CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Une sollicitation opérationnelle forte sur des théâtres complexes

1 Au cours des deux dernières décennies, l’échiquier international a été marqué par une certaine redistribution de la puissance, assortie d’une évolution sensible des formes de conflictualité : nouveaux acteurs, nouveaux théâtres d’engagements, nouveaux modes d’action aussi, nouvelles capacités technologiques mises en œuvre également.

2 Dans ce contexte en pleine évolution, nos forces armées ont été engagées sans discontinuer sur de nombreux théâtres d’opérations : à l’Afghanistan ont succédé la Centre-Afrique, la bande sahélo-saharienne, le Levant. Des terrains d’intervention difficiles, pour les matériels, pour le soutien des opérations, mais plus encore pour les combattants. De manière relativement inédite, à ces projections extérieures s’est adjoint un déploiement important et permanent sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle.

3 Cette sollicitation de nos armées a été vécue d’autant plus intensément que ces engagements ont été concomitants de réductions d’effectifs. Or, ce sont les mêmes soldats qui s’entraînent, qui sont déployés en opérations extérieures et qui assurent notre protection sur le territoire national.

4 Sur le plan opérationnel, quelques enseignements de ces engagements, ou plutôt quelques tendances appelées à perdurer, se dessinent : une évolution substantielle de la menace, qui appelle autant de nouveaux modes d’action ; des situations d’engagements où la menace létale devient permanente (drones, IED…) ; un accroissement de la complexité du combat au sol.

5 À bien des égards, cette situation s’apparente à une forme de rupture qui impose de prendre le temps de la réflexion, précisément sur ces nouvelles formes de conflictualité, ces nouveaux paradigmes de la guerre, mais aussi et surtout sur les moyens à mettre en œuvre afin de conserver la supériorité opérationnelle dans les différentes situations auxquelles nos forces armées sont confrontées.

L’Homme, au cœur de l’action et de l’engagement

6 De manière un peu abrupte, l’on perd une guerre lorsque l’on n’a plus de matériels, plus de matières premières, mais aussi, et peut-être surtout, dès lors que l’on manque d’hommes. Or, quelles que soient demain les formes de conflictualité, il ne fait aucun doute comme le souligne l’Action Terrestre Future, document de réflexion et de prospective majeur réalisé par l’Armée de terre, que « l’engagement au contact immédiat de l’adversaire demeurera une donnée structurante de combat futur, exposant le combattant au danger et à la fatigue ». Le combattant demeure en effet le cœur de tout outil de défense.

7 Ensemble, cette complexité de l’engagement au sol, où le combattant est confronté au danger, à la fatigue, au stress, associée à la forte sollicitation de nos forces dans un cadre contraint, appellent au renforcement de la capacité à durer sur les théâtres dans des conditions d’engagement difficiles afin précisément de conserver la supériorité opérationnelle et de vaincre.

L’endurance du combattant, une des clés de la supériorité opérationnelle

8 Fruit d’un effort majeur de réflexion et de prospective conduit au sein de l’Armée de terre, l’Action Terrestre Future identifie à l’horizon 2035, 8 principes, 8 facteurs de « supériorité opérationnelle » : coopération, influence, faire masse, agilité, endurance, compréhension, force morale, performance du commandement.

9 La notion d’endurance est envisagée comme : « la capacité à durer en opérations, à supporter l’enchaînement des sollicitations opérationnelles en encaissant des coups et à résister dans le temps dans un environnement hostile. Il s’agit de combiner robustesse des équipements, rusticité des hommes et résilience des structures de commandement et de soutien et, plus généralement, de notre outil de défense ».

10 L’endurance s’entend donc par définition sur plusieurs niveaux qui interagissent ensemble : de celui du combattant individuel à celui de l’unité, jusqu’à celui de notre outil de défense entendu dans sa globalité. L’endurance relève à la fois de la robustesse de nos systèmes d’armes, de la résilience de notre outil de défense, de l’efficacité du soutien ou encore de la logistique. Mais précisément parce que « la stabilité et la résistance du modèle reposent (…) sur la conviction de la place centrale de l’Homme dans le combat d’aujourd’hui et de demain » [1], l’endurance au niveau du combattant individuel est fondamentale ; elle occupe une place centrale.

Les ressorts de l’endurance : l’exemple de la protection du combattant

11 L’endurance du combattant, c’est-à-dire sa capacité à durer sur le théâtre, repose sur de multiples facteurs parmi lesquels notamment : le soutien dont l’assure la Nation, sa force morale, sa formation, son entraînement, qui le préparent à l’action et à l’engagement, l’équipement dont il est pourvu et qui lui assure une protection adaptée.

12 Sur le terrain, en opération, la protection est un des éléments clé de l’endurance du combattant, de sa disponibilité afin qu’il puisse se concentrer sur son cœur de métier et durer dans un environnement complexe source de danger, mais aussi de stress et de fatigue physique, psychologique, cognitive.

13 Dans ces conditions, « les équipements jouent un rôle central dans la capacité opérationnelle d’un soldat. Être plus mobile, mieux protégé, évoluer dans des équipements confortables, pouvoir communiquer à tout moment avec les autres unités déployées sur un théâtre d’opérations, etc. sont autant d’enjeux et de critères qui nécessitent leur évolution régulière » [2]. Cette réflexion est déjà conduite par nos armées depuis de nombreuses années, par exemple dans le cadre du programme Félin (Fantassin à équipements et liaisons intégrés). Il s’est agi de promouvoir un système de combat individuel qui permette au combattant de mieux communiquer, de mieux voir, de disposer d’une capacité de feu appropriée, de conserver souplesse et agilité, et également d’être mieux protégé.

Enjeux, défis et perspectives

14 À l’instar des autres ressorts de l’endurance, la protection est synonyme à des horizons divers, d’enjeux, de défis d’ordre opérationnel bien sûr, mais également technologique, financier et éthique.

15 Sur le court terme par exemple, l’amélioration de la protection du combattant passe par une poursuite des travaux sur une meilleure protection balistique. Il s’agit ici de mieux protéger le soldat tout en allégeant son équipement ; sur le plan des communications, faire en sorte qu’il entende mieux, qu’il puisse mieux communiquer tout en étant mieux protégé sur le plan auditif et en minimisant le besoin en énergie pour faire fonctionner son équipement.

16 Sur le moyen terme, des équipements robotisés viendront renforcer la protection du combattant (système d’alerte, de détection) entraînant de nouvelles problématiques d’énergie indispensable à leur fonctionnement, de soutien, mais également de coût.

17 Sur le long terme enfin, l’intégration éventuelle de l’Intelligence artificielle ou de biotechnologies au plus près du combattant afin de renforcer sa protection est de nature à soulever des questions éthiques. Ne pas désinhiber la violence, ne pas déshumaniser le combattant est un impératif plusieurs fois évoqué avec insistance par l’Action Terrestre Future.

18 ***

19 L’endurance du combattant est un enjeu central pour nos forces comme le rappelle très justement l’Action Terrestre Future. Demain, plus encore qu’aujourd’hui, l’environnement opérationnel sera marqué par une forte complexité. L’exigence de l’engagement dans la durée pourrait être accrue, notamment en raison d’un « format contraint des forces terrestres déployées, tant en hommes qu’en équipements (et de leurs coûts) » [3].

20 Il s’agit donc dès aujourd’hui de penser les conditions de cette endurance, tout en conservant à l’esprit qu’elle n’a de sens qu’en liaison avec les autres facteurs de supériorité opérationnelle : coopération, influence, faire masse, agilité, compréhension, force morale, performance du commandement.

Notes

  • [1]
    « Analyse de la démarche capacitaire Terre en vue des engagements actuels et futurs », par le général Bernard Barrera, Res Militaris, hors série « France : opérations récentes, enjeux futurs », décembre 2016 ».
  • [2]
    « Modernisation de l’équipement individuel du soldat », FNCV Infos, 12 juillet 2017 (http://infos.fncv.com/post/).
  • [3]
    Action Terrestre Future, p. 43
Français

Le combat de demain sera exigeant en imposant une sollicitation forte à nos soldats. L’endurance du combattant sera dès lors un facteur conditionnant le succès. Cela exige une préparation et une adaptation des moyens consacrés au soldat qui restera toujours au cœur de l’action militaire.

Bertrand Gueynard
Directeur Défense & Sécurité à la Compagnie européenne d’intelligence stratégique (CEIS).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.806.0061
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