CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Cette année marque le 35e anniversaire de la guerre des Malouines où 907 Argentins et Britanniques ont perdu la vie. La moitié d’entre eux servaient sur bâtiments d’escorte. Les pertes matérielles ont également été lourdes, avec 15 frégates britanniques et 1 croiseur argentin coulés ou mis hors de combat en moins de trois mois. À la lumière de ce conflit et après le lancement du programme FTI (frégate de taille intermédiaire) en avril 2017, il est opportun de s’interroger sur l’avenir de la composante frégates, socle de toute marine océanique. Le renouvellement de cette capacité sous tension trouve en effet dans le programme FTI une avancée significative. Après avoir rappelé le besoin, il s’agira de présenter les spécificités des FTI et les capacités d’évolution des frégates de premier rang dans un contexte de numérisation poussée.

Un besoin vital pour les armées

2 Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 acte l’introduction d’un nouveau type d’unités de combat au sein des frégates. La préparation du programme FTI a été l’occasion d’en préciser les différents paramètres.

3 Nombre d’unités et dates de livraison constituent une première partie de l’équation. Un format à 15 frégates de premier rang comprend 2 frégates de défense aérienne de type « Horizon », 2 frégates multimissions à capacités de défense aérienne renforcées et 6 frégates multimissions. La cible des FTI est donc fixée à 5. Compte tenu des délais de construction, la livraison de la première unité est prévue fin 2023. Cette date ne correspond pas pour autant à une capacité immédiate. Avant qu’elle ne puisse voguer vers l’Orient compliqué, différentes étapes suivront la livraison à Lorient. Des essais en mer, nécessairement longs pour des séries courtes et une vérification des capacités militaires en environnements extrêmes sont indispensables pour garantir un emploi efficace et en sécurité par chaque équipage. Ainsi, l’entrée dans le cycle opérationnel des FTI devrait s’échelonner de 2025 à 2030. Le renouvellement de la composante frégates est donc lancé. Il va nécessiter encore treize ans et la livraison de 9 [1] bâtiments, mais aussi la modernisation de frégates « La Fayette » pour assurer la transition.

4 Une fois ces paramètres-clefs fixés, la nécessité de maîtrise des espaces maritimes a modelé la définition des FTI. Ces étendues présentent de multiples enjeux stratégiques par les ressources qu’elles abritent, les flux commerciaux qui les traversent et les espaces de liberté qu’elles offrent pour le déploiement des forces navales, terrestres et aériennes. L’émergence de nouvelles puissances souhaitant y défendre des intérêts croissants est illustrée par l’évolution rapide des capacités chinoises : productions accélérées [2], mise en service d’un pétrolier ravitailleur géant, déploiements permanents en océan Indien et réguliers en Méditerranée, première flottille de chasse embarquée formée… Dans ce contexte, la maîtrise des espaces maritimes constitue une condition nécessaire pour pouvoir contribuer aux différentes fonctions stratégiques (connaissance et anticipation, dissuasion, protection, prévention et intervention). Elle impose une aptitude à durer en haute mer, une autodéfense dans tous les milieux et des niveaux de survivabilité et d’interopérabilité adaptés aux missions de coercition. Elle implique enfin de pouvoir agir dans les différents domaines de lutte (anti-sous-marine, antinavire, antiaérienne) et assurer la projection de forces spéciales. Par ces facultés, la FTI est donc destinée à contribuer à la sûreté de déploiement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), s’intégrer aux dispositifs d’escorte de groupes navals (sans vocation à commander la défense de la force) et réaliser des missions de renseignement, de prévention et de gestion de crise ainsi que des opérations spéciales.

5 L’analyse de la menace prospective a, dans un dernier temps, guidé plus précisément les choix d’architecture, savants dosages d’impératifs opérationnels, techniques et économiques. La recrudescence durable de la menace sous-marine est la plus marquante. Le nombre de submersibles augmente et leur emploi est réel. L’activité russe revient à son niveau de la fin de la guerre froide. La qualité des sous-marins s’améliore aussi en termes de mobilité, de discrétion et d’armement. L’emport de missiles de croisière se généralise notamment. Demain, drones et capteurs déportés étendront encore ces facultés. Les sous-marins sont donc clairement porteurs de déséquilibres tactiques et stratégiques. À ce titre, le ministre de la Défense a évoqué en novembre 2016 des « incursions dans le golfe de Gascogne de sous-marins russes », qui mettent « au défi nos capacités de patrouille maritime » et renforcent le « choix de la future frégate de taille intermédiaire ». La menace missiles se généralise aussi et s’accompagne d’une quête de vitesse, d’agilité et de techniques de guidage toujours plus difficiles à contrer. Enfin, les multiples attaques asymétriques survenues depuis un an dans le détroit de Bab-el-Mandeb au sud du Yémen, point de passage obligé des flux commerciaux [3] vers le Moyen-Orient et l’Asie, rappellent que le risque ne se limite pas aux seuls armements perfectionnés. Cette analyse a conduit à doter les FTI de capacités opérationnelles permettant de faire face à ces différentes menaces, tout particulièrement en lutte sous la mer.

6 Le renouvellement d’une trame frégates adaptée aux enjeux futurs passe donc par des FTI, dont l’appellation commerciale « Belh@rra »® ne constitue pas l’unique innovation numérique.

La frégate FTI à l’ère numérique

7 Afin de s’adapter à l’évolution des menaces, tout en restant dans un tonnage volontairement maîtrisé [4], la FTI bénéficiera d’importantes avancées permises par la révolution numérique.

8 Ce tournant structure son architecture. Des « data centers » (ou fermes de serveurs) hébergeront la plupart des calculateurs afin de gagner en résilience en cas d’avarie ou d’impact. Cette solution optimise aussi la maintenance en diminuant le nombre de calculateurs et en homogénéisant leur type. Enfin, la collecte facilitée de nombreuses données de fonctionnement devrait déboucher sur de nouvelles méthodes de prédiction des pannes.

9 Au niveau des équipements, le choix d’installer un radar numérique, à antenne active et à panneaux fixes [5], constitue une rupture majeure. La puissance de calcul permise par sa complète numérisation permet de suivre de multiples cibles menaçantes sans devoir renoncer à la veille du reste de l’espace aérien. L’antenne fixe apporte la continuité de la détection dans le temps et dans l’espace. Le suivi de missiles particulièrement rapides et agiles devient possible, du fait de l’absence de perte de détection entre deux tours d’antenne. La répartition de ces panneaux autour des superstructures de la frégate offre une détection sur tout l’horizon, en limitant la gêne occasionnée par d’autres équipements. Leur légère inclinaison rend enfin possible la surveillance jusqu’à la verticale du bâtiment (veille zénithale). Une bulle de détection étanche de plusieurs centaines de kilomètres est ainsi créée. En lutte sous la mer, la numérisation accrue de certains équipements, permet la mise en œuvre du sonar remorqué des frégates multimissions (Fremm), reconnu comme l’un des plus performants au monde, à bord d’une frégate de moindre taille. Enfin, le traitement de la menace asymétrique nécessite de voir et d’agir à l’extérieur du bâtiment. La multiplication des moyens électroniques empêche l’installation d’une passerelle de défense à vue sur le toit de l’abri de navigation. La numérisation permet de recréer ce centre nerveux à l’intérieur, par un réseau de caméras de haute définition et un système d’aide à la décision. Ce dernier offre aussi la capacité de piloter les senseurs optroniques et les effecteurs non létaux (avertisseurs sonores et lumineux) et létaux (canons de 20 mm), tout en enregistrant les actions conduites.

10 Une cybersécurité renforcée accompagne ces évolutions. La conception de la FTI limite les zones d’intrusion cyber possibles, réduisant de fait au maximum l’occurrence d’une attaque. Elle a ensuite tout mis en œuvre pour abaisser sa gravité potentielle. Les « infrastructures numériques » prévoient une capacité de contrôle de flux d’informations, permettant la détection des agressions et la réaction de l’équipage. L’intervention devra tenir compte de l’urgence de l’action militaire en cours. Il sera ainsi possible de choisir entre isoler un système infecté ou le conserver s’il s’avère indispensable à une action en cours. Ensuite, la restauration en totale autonomie d’un système infecté pour le ramener en état sûr doit être possible. Cette capacité de contrôle d’automatismes de plus en plus nombreux s’impose donc aussi comme un nouveau défi. Les nouvelles compétences associées maintiennent les équipages au cœur de la réussite des missions.

11 La conception de la FTI intègre donc une part prépondérante d’innovations numériques qui ouvrent de nombreuses perspectives.

Quelles implications sur la composante frégates ?

12 La FTI introduit de nouveaux concepts d’évolution des frégates. Le numérique, indispensable au vu des avancées présentées, impose des cycles technologiques de plus en plus courts. Sur la durée de vie d’une frégate (environ trente ans), cinq à dix générations de Smartphone se seront ainsi succédé. Ce nouveau paradigme a été pris en compte dans la conception des FTI. En a découlé un principe d’évolution en standards, à l’instar de multiples équipements en service dans les armées. Les choix d’architecture préservent à cet effet des capacités d’ajout ou de remplacement de matériels et d’installation de nouveaux logiciels. La mise en service de drones s’inscrit par exemple dans ce processus. Les frégates « Horizon » et Fremm, qui n’ont pas été construites sur cette logique de standards, vont nécessiter des rénovations profondes à partir de 2025. Outre le remplacement de certains équipements, une numérisation plus poussée pourrait en découler. Cet investissement visant à rentabiliser pleinement la seconde partie de vie de ces frégates offrira de fait une évolutivité accrue.

13 Une fois toutes les frégates en mesure de tirer profit de l’agilité numérique, une stratégie d’adaptation coordonnée devient possible. Elle repose sur une convergence progressive des systèmes logiciels, ouvrant des perspectives de gains économiques, de rapidité de déploiement des innovations et de facilité de formation des équipages. Cette stratégie facilitera de plus la mise en place de solutions collaboratives pour la tenue de la situation tactique, à base de radars ou sonars virtuels réalisés à partir d’équipements de chaque unité isolée [6]. Ces synergies dépasseront le seul cadre des frégates puisque le développement du radar des FTI bénéficiera aussi à des applications terrestres.

14 L’arrivée du premier standard de la FTI constitue bien une étape-clef dans le renouvellement de la composante frégate de premier rang et permettra de disposer de capacités adaptées aux menaces futures. Elle est en partie permise par la prédominance du numérique qui offre des solutions nouvelles, mais surtout des perspectives d’évolutivité qui devraient permettre à l’ensemble des bâtiments de s’adapter tout au long de leur cycle de vie, au rythme toujours plus soutenu de l’évolution des menaces.

Notes

  • [1]
    2 dernières Fremm, 2 Fremm à capacités de défense aérienne renforcées et 5 FTI.
  • [2]
    La production de 5 frégates chinoises s’effectue sur un an environ, en parallèle de la construction de plusieurs sous-marins, porte-avions et corvettes (1 livrée tous les 6 semaines).
  • [3]
    40 % du trafic mondial.
  • [4]
    Classe 4 000 tonnes à comparer aux 6 000 tonnes des Fremm.
  • [5]
    Radar Sea Fire.
  • [6]
    Veille coopérative navale et multistatisme.
Français

Le programme FTI (Frégate de taille intermédiaire) prévoit la construction de cinq bâtiments dont le premier sera livré fin 2023. Cette nouvelle génération s’inscrit dans un contexte de numérisation poussée capable d’évolutions technologiques durant la trentaine d’années de service prévue pour cette classe au design innovant.

Guillaume Garnoix
Capitaine de vaisseau. Officier engagement-combat, État-major de la Marine.
Nicolas du Chéné
Capitaine de frégate. Officier de programme FTI, État-major de la Marine.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.806.0013
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