CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 La République sud-africaine (RSA) occupe une posture de puissance régionale en Afrique. Cette situation n’est pas seulement le fruit de ses importantes ressources économiques mais elle est aussi due à son énorme potentiel en matière de recherche. Dans ce domaine, la nation « arc-en-ciel » est la pionnière du continent africain dans de multiples secteurs de la science et de la technologie.

Les grands pôles de la recherche

2 La capacité d’action scientifique de la RSA est prégnante dans la pléthore d’organismes de recherche dont le rayonnement dépasse les frontières du pays. Parmi ceux-ci, le CSIR (Council for Scientific and Industrial Research), établissement qui possède des missions identiques au CNRS français et qui a été à l’origine de découvertes fondamentales dans plusieurs champs d’activité. Dans le domaine de la physique hydraulique, les ingénieurs sud-africains ont développé les brise-lames qui sont utilisés non seulement dans les ports d’Afrique du Sud mais aussi dans de nombreux sites identiques aux États-Unis, dans le golfe Persique et en Israël. Dans le registre de la géophysique, les techniciens sud-africains sont les premiers (et les seuls) à avoir mis au point un compteur fiable destiné à mesurer la densité des éclairs de la foudre.

3 Comme le CSIR, les grands services de recherche ont été créés dans les trois dernières décennies du XXe siècle : le SAMR (South Africa for Medical Research) qui a fait de la RSA le leader de la recherche médicale en Afrique, le SABS (South Africa Bureau of Standards) qui a pour fonction de vérifier la qualité des produits agricoles et industriels, l’AEC (Atomic Energy Corporation) qui possède des missions comparables à celles du Commissariat à l’énergie atomique français, le HSRC (Human Sciences Research Council) dont l’action touche les sciences humaines, la démographie et l’éducation.

4 D’autres sphères technologiques ont mis en lumière le savoir-faire des scientifiques qui ont notamment permis au pays d’être à l’avant-garde dans tout ce qui concerne l’aménagement de l’environnement souterrain. Les mines de la RSA, dont certaines atteignent quatre kilomètres de profondeur, sont équipées d’un système de réfrigération spécifique qui permet leur exploitation par l’homme. L’Afrique du Sud est aussi à la pointe dans deux secteurs industriels : d’une part, la technique de transformation du charbon en carburant (le complexe de Sasol dans le Transvaal permet de produire, à partir du charbon, près d’un tiers des besoins en pétrole de la RSA) et d’autre part, la production de la fonte (l’usine Iscor à Pretoria est devenue un centre industriel de référence après des recherches intensives pour la mise au point du système Corex qui ont été entreprises conjointement par des savants allemands, autrichiens et sud-africains). L’ensemble offre deux avantages : une réduction significative de la pollution de l’environnement et une diminution d’un tiers des coûts de production.

5 Mais c’est surtout le fait nucléaire qui représente le mieux la prééminence scientifique de l’Afrique du Sud dans le continent. La RSA est le seul pays africain à avoir acquis la maîtrise de l’arme atomique. Cette situation a été révélée au moment de l’explosion nucléaire effectuée le 22 septembre 1979 au large de l’île sud-africaine du Prince Édouard dans l’océan Indien [1]. Les études dans ce secteur hautement stratégique ont été réalisées avec des scientifiques israéliens au centre nucléaire de Pelindaba, à proximité de Pretoria. Puis le régime a changé de politique à la fin des années 1980 pour ne se consacrer qu’au nucléaire civil. Après l’abandon de l’arme atomique, la RSA a été alors à la pointe du combat pour faire de l’Afrique une zone exempte d’armes nucléaires. L’accord qui en a résulté porte justement le nom de Traité de Pelindaba. Il a été établi en 1996 et est entré en vigueur en 2009, dès qu’il y a eu vingt-huit signataires. À ce jour, cinquante-quatre États l’ont signé mais seulement trente-huit l’ont ratifié [2].

Les nouveaux enjeux technologiques

6 Très dépendante du charbon dont elle est l’un des principaux producteurs mondiaux, l’Afrique du Sud a mobilisé son potentiel scientifique dans la recherche de nouvelles sources d’énergie beaucoup moins nocives pour l’environnement. Dans cette affaire, il s’agit de remplacer le combustible très polluant qui active encore les treize centrales produisant près de 90 % de l’électricité du pays. Ce grand défi s’appuie d’abord sur un programme nucléaire ambitieux, un dessein qui possède un socle solide de connaissances forgé par les ingénieurs sud-africains depuis plusieurs décennies. La centrale de Koeberg, près de la ville du Cap, installée par un consortium français (Framatome, Spie-Batignolles, Alsthom) en 1976, possède deux réacteurs de 920 Mégawatts. En août 2014, la société Areva a remporté un contrat pour la mise en place de six générateurs. La convention a cependant été annulée fin 2015 par la Cour suprême d’appel d’Afrique du Sud (la seconde plus haute juridiction du pays après la Cour constitutionnelle). Motif invoqué : les critères justifiant l’obtention du contrat au groupe français sont d’ordre stratégique et ne sont pas ceux annoncés au principal rival Westinghouse (qui avait porté plainte devant les tribunaux) ! Le développement du nucléaire civil en RSA est en effet un champ d’affrontement impitoyable entre les deux géants de cette industrie. D’autres acteurs sont présents sur ce théâtre de guerre économique : des accords de coopération nucléaire ont été signés par Pretoria en 2014 avec les compagnies russe Rosatom et chinoise CNNC (China National Nuclear Corporation). Des négociations sont en cours avec la Corée du Sud.

7 Le solaire constitue l’autre défi énergétique. Dans ce secteur prometteur, le pari est favorisé par l’extraordinaire taux d’ensoleillement de la RSA (plus de 300 jours de soleil par an, 350 dans les provinces du Cap Nord et du Cap Ouest). Depuis quelques années, les réalisations sont encourageantes. La première centrale électrique solaire, Kaxu Solar One, a été inaugurée en mars 2013 dans la province du Cap Nord. D’autres sites de type similaire et dans la même zone sont sur le point d’être opérationnels avec les projets Xina Solar One et celui du groupe français Engie à Kathu. Dans cette panoplie, il faut ajouter le parc photovoltaïque Jasper, le plus important d’Afrique, ouvert en octobre 2014 et capable d’alimenter 80 000 foyers en électricité. Sur ce chapitre, l’entreprise Solaire Direct Southern Africa, filiale de la compagnie française Solaire Direct, a été créée en 2009 pour construire et exploiter des parcs solaires dans le sous-continent austral. Deux programmes sont en cours de mise en place à Aurora et Vredental dans la province du Cap Ouest.

8 Le développement des communications est aussi un enjeu de taille car les programmes sont faramineux. La société Alcatel-Lucent a mis en place le système WACS (West Africa Cable System) composé d’un câble sous-marin reliant l’Afrique du Sud au Royaume-Uni. La surveillance et l’entretien de cette voie de communication particulière sont assurés par des groupes sud-africains (MTN, Vodacom, Telkom). D’autres réseaux sous-marins sont à l’étude pour relier la RSA à l’Amérique. Alcatel-Lucent est également impliqué dans la gestion et l’extension du système EASSY (Eastern Africa Submarine System) composé d’un ensemble de 10 000 kilomètres de lignes sous-marines entre la RSA et les pays de l’Afrique de l’Est.

9 Le dernier enjeu technologique de l’Afrique du Sud est lié à sa volonté d’amplifier sa position dominante sur le continent dans le domaine de la recherche spatiale. La RSA est la terre d’accueil de télescopes performants SALT (South African Large Telescope) et d’observatoires astronomiques fréquentés par des scientifiques du monde entier : Royal Observatory dans la région du cap de Bonne-Espérance, South Africa Astronomical Observatory dans la province du Cap Nord… Le projet le plus ambitieux réside cependant dans le programme Meerkat pour l’installation de 80 antennes paraboliques. Cette plate-forme astronomique constitue un banc d’essai pour le projet SKA (Square Kilometre Array) qui prévoit l’installation de télescopes en Australie et en Afrique du Sud. Si ce plan gigantesque est réalisé – le début des travaux est prévu en 2018 – l’ensemble aura une superficie totale de collecte d’informations scientifiques (et militaires) d’un kilomètre carré. De classe mondiale, le projet comporte dix membres [3]. Son siège est à l’observatoire de Jodrell Bank (Royaume-Uni). Les ingénieurs sud-africains ont également participé au lancement de trois satellites. Les programmes ont été conçus à l’université de Stellenbosch : Sunsat lancé par la NASA (1999), Sumbandilasat lancé à la base de Baïkonour au Kazakhstan (2003) et le minisatellite Zacube-1 lancé à la base russe de Yasni (2009). Les données scientifiques de ces engins placés en orbite sont traitées par l’institut de recherche d’Hartebeeshoek près de Pretoria. Avec le Nigeria, le Kenya et l’Égypte, la RSA est l’un des quatre États africains à disposer d’une agence spatiale. L’objectif le plus fort concerne toutefois le projet Africa2moon porté par la Fondation pour le développement spatial basée au Cap : il s’agit d’envoyer sur la Lune un engin spatial entièrement made in Africa. Les études sont avancées mais elles se heurtent à la problématique financière.

L’industrie d’armement sud-africaine

10 Ce secteur sensible s’est imposé paradoxalement grâce à l’embargo sur l’armement à destination de la RSA décrété par l’ONU en 1977. À cette époque, l’armée sud-africaine était essentiellement équipée de matériels français : chasseurs de type Mirage F1 et Mirage III, avions de transport Transall, hélicoptères Alouette III, Puma et Super Frelon, automitrailleuses Eland fabriquées sous licence Panhard, missiles antichar Entac, SS11 et Milan, sous-marins Daphné[4], etc. La coopération militaire avec Pretoria avait été lancée par le général de Gaulle qui avait besoin d’uranium sud-africain pour promouvoir la politique de dissuasion nucléaire de la France. Le boycott des Nations unies a alors mis en exergue les capacités de résilience et de créativité des industriels sud-africains pour faire face à cette situation nouvelle. En l’espace de seulement quelques années, l’Afrique du Sud, contrainte ainsi de fabriquer elle-même les engins de guerre qui étaient nécessaires à son armée, a bâti une puissante industrie d’armements performants par le biais de la société Armscor. La liste des matériels mis au point par les ingénieurs sud-africains est impressionnante : véhicules adaptés à la lutte contre la guérilla (camions Buffel et Samil, blindés Casspir, tous munis de dispositifs anti-mines), véhicules de transport de troupes (VTT) blindés Ratel, blindés légers de reconnaissance Lynx, canons d’artillerie G5 et G6, lance-roquettes multiples Valkiri, avions de chasse Cheetah, hélicoptères d’attaque Rooivalk, missiles air-air Darter… Qui plus est, l’ingéniosité des techniciens d’Armscor a non seulement permis à la RSA d’être autosuffisante en matière d’armements, mais aussi d’en devenir exportatrice et de s’imposer à la cinquième place [5] dans le marché mondial des ventes de matériels de guerre. Parmi les gros clients : l’Irak qui s’est abondamment fourni en canons G5 et G6 durant le conflit contre l’Iran (1980-1988).

11 En 1992, la firme Denel a succédé à Armscor en achetant ses activités de production. La nouvelle majorité noire a alors procédé à des réductions drastiques dans l’industrie d’armement. Conscients des dégâts provoqués dans l’un des fleurons de l’économie sud-africaine, les dirigeants ont ensuite amorcé un changement radical à partir de 2005. Aujourd’hui, Denel souhaite redevenir un grand fournisseur de technologies, de produits et de services dans le domaine de la défense. Le groupe industriel s’est notamment forgé une réputation dans le secteur des drones avec la mise en service du Snyper[6] armé de missiles antichars. Cet aéronef sans pilote est un produit dérivé du Seeker 400. Cet engin de surveillance a suscité l’intérêt de l’Arabie saoudite, acheteur potentiel. Dans ce marché en pleine évolution, il faut aussi inclure le drone antiémeutes Skunk qui peut envoyer des projectiles lacrymogènes et un rayon laser aveuglant. L’engin a été commandé par des sociétés minières. L’Afrique du Sud vend également des radars de surveillance et des missiles de défense navale. Denel équipe ainsi la marine finlandaise du système mer-air Umhonto-IR.

12 Le potentiel technologique de la RSA, en particulier dans des domaines d’avenir comme le nucléaire, l’espace et l’armement, constitue une donnée majeure qui a des implications économiques et stratégiques. Ce domaine d’excellence dans des segments sensibles de l’industrie et de la recherche renforce le statut de pays émergent de la RSA. Le pays du cap de Bonne-Espérance devra cependant s’adapter aux mutations prescrites par la mondialisation. Pour ce faire, il dispose, aux côtés du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine, d’une nouvelle tribune internationale avec le BRICS. ♦

Notes

  • [1]
    En mars 1993, le président de Klerk annonce que la RSA a produit six bombes atomiques et qu’il les a faites démanteler en 1989, quelques mois avant la libération de Mandela et le début du processus d’abolition de l’Apartheid.
  • [2]
    Parmi les États qui n’ont pas encore ratifié le traité : l’Égypte, le Maroc, la RDC, la RCA, le Niger, la Somalie, le Soudan, l’Érythrée, Djibouti…
  • [3]
    RSA, Australie, Canada, Chine, Allemagne, Inde, Italie, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Royaume-Uni.
  • [4]
    D’autres sous-marins de type Agosta, commandés et payés par la RSA, ne seront jamais livrés. La commande fut annulée par le président Giscard d’Estaing.
  • [5]
    Derrière les États-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni.
  • [6]
    Orthographe en Afrikaans, la langue parlée par les Blancs afrikaners.
Français

L’Afrique du Sud dispose d’un potentiel scientifique et technologique très important lui conférant une place à part sur le continent africain. Le nucléaire – désormais civil – mais aussi l’industrie d’armement constituent des atouts qui restent solides et répondent aux nouvelles ambitions de Pretoria.

English

The Scientific Potential of South Africa

South Africa has a very important scientific and technological potential at its disposal, setting it apart from the African continent. Nuclear power, henceforth civil but also in the armament industry, constitutes an asset that remains solid and responds to Pretoria’s new ambitions.

Éléments de bibliographie

  • Michel Klen : Le défi sud-africain ; France-Europe Éditions, 2004. Articles parus dans la Revue Défense Nationale : octobre 2015, octobre 2014, janvier 2012.
  • Bernard Lugan : Histoire de l’Afrique du Sud ; Ellipses, 2010.
  • Tiphaine Le Liboux : « Conquête spatiale : l’Afrique veut décrocher la Lune », Jeune Afrique, 12 janvier 2015.
Michel Klen
Essayiste, auteur de nombreux articles et livres sur le renseignement, la désinformation et l’Afrique.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.790.0112
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