CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Le Royaume-Uni, comme nombre d’États, est confronté à l’incertitude la plus totale quant à la nature et l’évolution des dangers que recèle la scène internationale. Ces incertitudes trouvent leur équivalent sur la scène intérieure. Les risques et les menaces, qu’ils soient d’origine naturelle (comme les inondations catastrophiques survenues au Nord du Royaume au début 2016), liés à des cyber-attaques à l’origine difficile à identifier, ou aux attentats terroristes, demeurent largement imprévisibles quant à leur ampleur et leur survenance. Ils se manifesteront sans que l’on puisse savoir à l’avance où, quand et comment. C’est dans ce contexte extrêmement flottant qu’a été rédigée la SDSR 2015 (National Security Strategy and Strategic Defence and Security Review—A Secure and Prosperous United Kingdom) publiée en novembre 2015 [1]. Les conditions dans lesquelles s’inscrit la SDSR sont aussi, peu ou prou, celles que connaît la France : tassement de l’effort budgétaire de défense (34,4 Mds de £ en 2015) et interrogations sur le rôle et la fonction des forces armées dans les relations internationales. À cela s’ajoute, dans le cas britannique, un double legs. Celui, pour le moins mitigé, des guerres expéditionnaires entreprises derrière les Américains en Afghanistan [2] et en Irak [3] et qui ont eu pour conséquence le rejet par de nombreux Britanniques d’accepter, à l’avenir, tout engagement militaire à l’extérieur qui serait aussi mal défini dans ses objectifs et son intérêt pour le Royaume-Uni que le furent ces deux conflits. D’ailleurs, les débats aux Communes sur le refus d’engager des moyens aériens contre les forces de Bachar al-Assad en ont porté témoignage même si, quelques mois plus tard, les parlementaires ont autorisé le bombardement de Daech en Irak par la RAF[4]. Les deux aventures militaires des années 2000 ont, de surcroît, littéralement épuisé les armées britanniques. La SDSR 2015 arrive ainsi dans un contexte difficile pour les forces armées d’autant plus que la précédente révision stratégique, entreprise à l’initiative du gouvernement Cameron (SDSR 2010), avait réduit les dépenses de défense de 8 % en termes réels.

2 La SDSR 2015, présentée par le Premier ministre, est avant tout un document programmatique qui définit et fixe la place et le rôle du Royaume-Uni dans la société internationale. Si, comme dans les Livres blancs français de 2010 et 2013, il traite de l’avenir de la défense britannique, il ne leur correspond pas exactement. La revue stratégique porte autant sur les conditions stricto sensu de la sécurité du Royaume-Uni que sur les conditions de sa prospérité et de son rayonnement international. Le premier chapitre rappelle la vision de la société internationale des autorités britanniques et les valeurs qui sous-tendent leur action extérieure et qu’elles entendent, par ailleurs, promouvoir. Ce rappel précède l’énoncé des priorités en matière de sécurité à savoir : protection des citoyens et du territoire britannique, défense et maintien de l’influence globale du Royaume-Uni, pérennité et développement de la prospérité du royaume. Les chapitres suivants détaillent les voies et moyens pour parvenir aux buts précédemment définis. La défense n’y représente qu’un élément parmi d’autres [5]. Avant d’aborder la dimension militaire de la SDSR, plusieurs remarques s’imposent.

3 La lecture du document fait apparaître, en filigrane, le débat sur la sortie éventuelle du Royaume-Uni de l’Union européenne (British exit – Brexit) alors même que les partis politiques britanniques restent divisés sur cette question [6]. Le gouvernement conservateur est lui-même traversé par des dissensions à ce sujet à tel point que le Premier ministre s’est vu contraint d’accepter, en début d’année, que les membres du Cabinet Office puissent prendre des positions divergentes lors de la campagne référendaire sur la sortie ou non du Royaume-Uni de l’Union européenne [7]. La pérennité du gouvernement était en jeu avec, dans le cas contraire, la démission de membres influents favorables au Brexit. En 2016, les présidences hollandaise et slovaque auront à gérer cette question et avec elle les rapports entre l’approfondissement politique de l’UE, la souveraineté des États et le rôle des institutions européennes. Il paraît douteux que David Cameron puisse infléchir suffisamment la position de ses partenaires sur ses demandes de réforme de l’Union à l’occasion du Sommet extraordinaire de l’UE, en février 2016. Il l’avait pourtant affirmé à l’issue du Sommet européen tenu en décembre 2015, où ses demandes, notamment sur les limites à imposer sur la libre circulation des travailleurs européens, et en particulier ceux venus d’Europe centrale et orientale, avaient fortement irrité nombre de ses partenaires, dont la présidente de la Lituanie, Mme Dalia Grybauskaité, accusant le Premier ministre de « chantage ». La Chancelière allemande, pour sa part, a déclaré que l’intérêt de l’Union était d’éviter le Brexit sans pour autant avoir à réécrire les principes fondamentaux régissant le fonctionnement de l’Union, ajoutant qu’un compromis comme celui proposé au Danemark en 1992 pourrait servir à régler le problème. C’est vraisemblablement sur cette voie que l’on s’achemine, voie qui, sans préjuger du résultat du référendum, permettra à David Cameron de sauver la face. Si l’importance de l’Union européenne est maintes fois soulignée, les rédacteurs de la SDSR 2015 prennent soin de réaffirmer que l’Angleterre est une puissance à l’influence mondiale avec de multiples affiliations (Commonwealth, Five Eyes Agreement[8], liens privilégiés avec les États-Unis, rapports étroits avec le Japon [9], etc.) et possède, en propre, de multiples moyens et canaux pour maintenir et accroître cette influence (poids de la City, rôle de la BBC ou encore du British Council) [10]. De telles réaffirmations sont autant de gages donnés aussi bien aux partisans du maintien dans l’UE, qu’à ceux qui s’y opposent. De ce point de vue, le document est consensuel d’autant, après tout, que les ambitions et les arrangements dans les domaines de la défense et de la cybercriminalité ne seraient pas vraiment affectés, en tant que tels, par l’un ou l’autre choix sur l’UE.

4 En insistant sur les qualités, les atouts particuliers et les réussites du Royaume-Uni, la SDSR 2015 prend une tonalité nationale marquée, label que refuseront bien évidemment ses rédacteurs mais qui correspond bien à l’ère du temps. Les Britanniques ne dérogent pas, ainsi, à une tendance de fond qui semble se dessiner en Europe, pour des raisons multiples et qui s’apparente à un « retour » vers la nation. Dans le cas britannique, cela ne saurait signifier un repli sur soi mais plutôt une forme de redécouverte du « grand large », le document en donne de nombreux signes.

5 Parmi les partenaires les plus proches du Royaume dans le domaine de la défense, les États-Unis sont bien évidemment mentionnés mais il convient de souligner que la France occupe une place de choix. Ce qui est nouveau se rapporte à l’insistance avec laquelle cette antienne est réaffirmée maintes fois dans l’énoncé de la politique déclaratoire britannique relative aux questions de sécurité et de défense. Du côté français, il conviendrait d’ailleurs de prendre la mesure de cette inflexion et de travailler à rapprocher encore davantage les deux pays sur un certain nombre de sujets d’autant plus qu’un éventuel succès du « non » au référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne ne devrait pas se traduire par la diminution des liens de sécurité qui existent entre le 10 Downing Street et l’Élysée. Les Britanniques soulignent l’exceptionnelle qualité des rapports entre Londres et Paris en matière de défense, notamment depuis la signature du Traité de Lancaster House en 2010 [11], et parce que tous deux mènent un combat commun, tant au Proche-Orient qu’en Afrique, face au terrorisme, contre le crime organisé et sur la sécurité du transport aérien. À différentes reprises dans le document, l’approfondissement de ces relations est souhaité, y compris au travers du renforcement de la coopération entre les différents quartiers généraux et centres de commandement des deux pays. Les liens vont être, d’ailleurs, davantage renforcés – avec la mise en service opérationnelle, en 2016, d’un corps expéditionnaire interarmées franco-britannique (Combined Joint Expeditionary Force) de 10 000 hommes. La dimension nucléaire n’est pas oubliée : la coopération nucléaire avec la France est évoquée avec la mention du Teutates Treaty de 2010 [12].

6 Les aspects budgétaires des investissements requis par la SDSR 2015 sont amplement détaillés. Force est cependant de relever certaines zones d’ombre. À titre d’exemples, deux points peuvent être soulevés. Le premier – que l’on retrouve à l’identique dans la posture de défense française – concerne le caractère pour le moins vague des engagements financiers découlant de grands programmes mis en valeur par la SDSR, ce que la presse britannique a d’ailleurs relevé, ou encore des astuces qui donnent l’impression de vouloir faire plus avec autant de ressources [13]. Le second se rapporte aux coûts induits par certains programmes dont le financement n’est pas détaillé – voire abordé – par la SDSR. En matière de lutte contre les atteintes à la sécurité liées au crime organisé ou à l’immigration clandestine, non seulement le ministère de l’Intérieur (Home Office) et le Foreign and Commonwealth Office (FCO) n’ont pas été dotés de fonds supplémentaires mais des coupes dans leur budget ont été annoncées [14]. En matière de défense, certains programmes qui vont arriver à maturité laissent subsister de nombreuses incertitudes quant à leur coût réel. Le coût d’acquisition final de neuf avions de patrouille maritime Boeing P-8 Poseidon – dont les premiers seront opérationnels en 2020 – reste très incertain (les Australiens avaient dû débourser 3,6 milliards de dollars pour 8 exemplaires). 138 chasseurs F-35 sont prévus à 104 millions de dollars l’unité (le dernier ne devrait pas entrer en service avant 2030). Les 24 premiers formeront deux escadrons, le premier opérationnel en 2018 sur le porte-avions Queen Elizabeth, le deuxième seulement en 2022. Cette évaluation budgétaire suppose que l’appareil, qui a connu de très nombreux déboires dans sa mise au point, n’en connaîtra pas de nouveaux qui retarderaient d’autant sa mise en service dans la RAF. En outre, le F-35 – ainsi que les P-8 – ne pourront utiliser, en l’état, les tout nouveaux avions ravitailleurs en vol de la RAF, les Airbus A 330 Voyager KC2/KC3, qui devront être modifiés avec une perche de ravitaillement en vol compatible avec les deux avions d’origine américaine, ce qui représente autant de coûts à budgéter le moment venu et que la SDSR n’assume pas.

7 Les autorités britanniques ont confirmé leur attachement à la dissuasion nucléaire, ce qui vient d’ailleurs renforcer la position française. La SDSR 2015 garantit le processus de renouvellement des quatre SNLE actuels de la classe Vanguard par quatre sous-marins Successor, avec 6 milliards supplémentaires pour un projet qui devrait s’élever à 41 milliards de £. Contrairement à la France, même si des voix isolées s’élèvent à ce sujet, la dimension nucléaire de la défense britannique continue à faire débat avec l’opposition d’une frange significative de la population ainsi que d’une partie de la classe politique. Le leader travailliste Jeremy Corbyn est ainsi vice-président du mouvement Campaign for Nuclear Disarmament[15] – mouvement créé en 1958 qui s’oppose vigoureusement au nucléaire militaire. Sur cette question, Corbyn a durci la ligne de son parti en remplaçant (janvier 2016), au poste de ministre de la Défense du shadow cabinet, Mme Angela Eagle, favorable au maintien de la dissuasion, par Emily Thornberry, une opposante de longue date au nucléaire militaire. À cela s’ajoute l’hostilité du SNP (Scottish National Party) au nucléaire et au maintien des installations équivalentes à celles de l’Île Longue (base des SNLE français), qui se trouvent à Faslane (HMNB Clyde) [16] et Coulport en Écosse.

8 Le Premier ministre a également affirmé sa volonté de voir le Royaume-Uni demeurer un acteur militaire global avec la mise en service prochaine des deux porte-avions Queen Elizabeth et Prince of Wales qui atteste de la volonté, affichée dans la SDSR 2015, de rompre avec la cure d’austérité imposée aux armées par la SDSR 2010. David Cameron peut d’autant plus y consentir que l’économie britannique est globalement en bonne santé, ce qui lui a valu d’accéder au cinquième rang des puissances économiques mondiales (avec un PNB de 3 trillions de dollars en 2015), devançant la France (septième dans le classement du FMI avec 2,93 trillions de dollars en 2015) [17]. Le gouvernement conservateur a pu ainsi annoncer une augmentation de l’ordre de 12 milliards de £ sur le programme d’investissement sur dix ans pour l’achat d’équipements militaires, initialement fixé à 166 milliards de £. Cet accroissement n’est pas seulement dû à des augmentations stricto sensu en termes monétaires mais s’inscrit plutôt dans un plan quinquennal d’économie de 11 milliards de £ dans lequel figurent, notamment, la vente d’un tiers des 200 000 hectares (500 000 acres) de terres appartenant à la Défense ainsi que des coupes dans la structure civile du MoD (Ministry of Defence), qui sera amputée d’environ 30 % (18 000 personnes) pour être ramenée à 41 000 personnes dans cinq ans.

9 En ce qui concerne les trois armées, les investissements annoncés sont loin de régler les différents problèmes auxquels elles sont confrontées et qui sont largement dus aux legs précédemment évoqués : réduction de l’effort de défense depuis une dizaine d’années et « fatigue » liée aux guerres d’Afghanistan et d’Irak avec pour conséquences l’usure de certains matériels, des difficultés à recruter et à fidéliser le personnel. Il est à noter, et c’est une différence de taille avec les Français, que l’espace militaire n’apparaît pratiquement pas dans la SDSR 2015 alors qu’il est une composante stratégique pour la France.

10 La RAF a vu passer ses escadrons de combat de 30 en 1990 à 8 actuellement. Après cinq années de réductions budgétaires, l’armée de l’air britannique se retrouve à devoir maintenir en service deux escadrons de chasseurs-bombardiers Tornado dans le cadre des opérations contre Daech (le 2e – qui opère depuis Chypre – et le 12e escadron devaient être retirés du service respectivement en 2015 et en mars 2016). À terme, en 2019, quand l’ensemble des Tornado auront été retirés du service actif (5 escadrons au total) [18], la RAF devrait connaître un très sérieux problème capacitaire en attendant l’arrivée – au compte-gouttes – des F-35, laissant l’Armée de l’air française comme seule force aérienne d’importance en Europe. Une telle réduction du nombre d’avions de combat conduit, d’ores et déjà, à utiliser des drones Reaper armés. Entre septembre 2015 et début janvier 2016, pratiquement la moitié des 300 frappes aériennes britanniques contre Daech ont été effectuées par les Reaper (12 en parc) [19]. En 2019, resteront en service 76 chasseurs-bombardiers Typhoon qui, en 2015, après huit ans de service, ne pouvaient toujours pas utiliser [20] la dernière version du missile air-sol Brimstone, abondamment employé par les Tornado. Sur ces 76 appareils, environ la moitié est réservée à la protection des îles britanniques et un petit contingent (4), aux îles Falkland, laissant un stock d’une quarantaine d’avions pour des opérations extérieures (ce qui correspond au contrat fixé à la RAF par la SDSR 2010). La SDSR 2015 ne répond que partiellement à ce problème de raréfaction du nombre des chasseurs-bombardiers en prévoyant une augmentation du parc des Reaper (une nouvelle version de l’engin sera commandée à 20 exemplaires) et la création de deux escadrons de Typhoon supplémentaires – sans pour autant que cela corresponde à l’arrivée de nouveaux matériels, ces moyens provenant de stocks déjà existants.

figure im01

11 La Royal Navy verra ses effectifs (voir tableau ci-après) augmenter de seulement quelques centaines de personnes (450).

Tableau 1
1. Royal Navy & Royal Marine Strength Agatist Liattlity at 1 Oct 2015 Officers Ratings/Other Rank Total RN RM RN RM Str#nom Regular Trained strengh 5.080 730 17.400 6.240 29.450 Full Time Regular (FTRS) “Regular” 80 10 15O 20 260 Liability1 5.230 710 18.4*0 5.870 30.270 Surplus (deficit) 7131 30 (B30

12 Cette modeste augmentation – alors qu’au total il lui faudrait 4 000 hommes supplémentaires – ne résout pas la question, qui se pose aussi dans les deux autres armées, de l’enrôlement de recrues qualifiées. Il n’est pas certain que dans ces conditions la Navy possède suffisamment d’hommes pour armer les deux porte-avions [21] lorsqu’ils entreront en service. Le parc de frégates est fixé à 19. Ce nombre sera-t-il maintenu si le programme de prolongation et de modernisation des 13 frégates Type 23 mises en service entre 1989 et 2001 est amputé ? Les futures frégates de Type 26 verront leur nombre réduit de 13 à 8.

figure im03

13 Avec 20 000 hommes en moins depuis 2010, l’armée de terre britannique (81 700 hommes) est au niveau d’effectifs le plus bas puis les guerres napoléoniennes. Le recrutement de nouveaux réservistes est prévu pour renforcer les unités d’active en cas de besoin. Les réserves passeraient ainsi de 19 000 à 32 000 hommes en 2019. Certains doutes subsistent sur la capacité à atteindre cet objectif alors que depuis 2012 les réserves de l’armée de terre ne se sont accrues que de 1 000 hommes, laissant apparaître un déficit de 9 000 par rapport aux objectifs fixés.

figure im04

14 Les trois armées devront ainsi être capables à l’horizon 2025 de projeter une force expéditionnaire d’environ 50 000 hommes avec : une composante maritime autour d’un porte-avions avec ses flottilles de F-35 et son escorte prélevée dans la flotte des 19 frégates et des 7 SNA ; une division de l’armée de terre composée de 3 brigades prélevées dans un réservoir de force dont deux nouvelles brigades Strike ; un groupe aérien formé à partir des moyens de la RAF ; des éléments de forces spéciales.

Conclusion

15 La SDSR souligne la volonté du Royaume-Uni de rester un acteur majeur en matière militaire. Elle fait apparaître, en même temps, un décalage entre les aspirations stratégiques de Londres et les ressources prévues dans le cadre de la SDSR 2015. Ce grand écart existe également en France et la prochaine présidence devra, sur ce point, arbitrer entre les différentes priorités, ou mieux, redéfinir le périmètre et le rôle des armées dans le cadre d’une refonte de la politique de défense. Il semble, par ailleurs, que Londres ait implicitement fait un choix, ou plus exactement ait confirmé un choix qui est depuis longtemps celui du Royaume-Uni : disposer d’un outil militaire qui lui permette de jouer un rôle auprès de Washington et surtout de pouvoir être, le moment venu, en mesure d’influencer, voire de participer aux choix américains. De ce point de vue, certains commentateurs britanniques souhaitent que soit inversée la perception américaine selon laquelle « le Royaume-Uni déserte la scène mondiale et la France est un partenaire plus fiable » [22]. D’une certaine façon, en effet, la réintégration de la France dans l’Otan, même si elle continue de poser de sérieuses questions à une frange de l’opinion, a facilité un rapprochement militaire avec les Américains. Les Français s’y investissent en recherchant, avec des moyens limités, une sorte d’excellence opérationnelle qui les place en partenaire essentiel des Américains. Les résultats le prouvent comme, par exemple, l’attribution de commandements opérationnels. C’est ainsi que la TF50 (Task Force) qui opère dans le golfe Arabo-Persique, est commandée, depuis décembre 2015, par le commandant du groupe aéronaval français, le contre-amiral Crignola. C’est la première fois qu’un amiral non-américain se trouve en charge de ce commandement, qui agit en étroite collaboration avec les unités navales américaines qui appartiennent au Central Command et qui forment la composante navale de la coalition contre Daech. Les Britanniques cherchent plutôt à maintenir, voire à conforter, leur place auprès du pouvoir militaire américain en privilégiant non pas tant le caractère opérationnel de leurs forces – qui restent d’un très haut niveau – que par la connexion avec les centres de décisions politico-militaires américains, ce qui suppose de posséder d’importants moyens de renseignement, de commandement et d’aptitude à la planification d’opérations complexes, toutes choses que les Français possèdent également.

16 NDLR : le document complet du SDSR 2015 est disponible (www.gov.uk/), ainsi que le document du SDSR 2010 (www.gov.uk/).

Notes

  • [1]
    La SDSR a donné lieu à de très nombreux commentaires en Angleterre, on pourrait notamment se référer à l’analyse qu’en a fait Julian Lindley-French sur son blog : SDSR 2015: Debt, Defence & Events (http://lindleyfrench.blogspot.fr/).
  • [2]
    Après treize années d’intervention en Afghanistan, les Britanniques ont retiré leurs unités combattantes à la fin du mois d’octobre 2014. Leurs pertes se sont élevées à 453 morts.
  • [3]
    De 2003 à 2011 les Britanniques ont enregistré 178 tués.
  • [4]
    Le vote est intervenu le 26 septembre 2015 avec 524 voix pour, 43 contre et 69 abstentions.
  • [5]
    Chapitre IV, « Protect our people ».
  • [6]
    « Half of Tory party to Vote for Brexit, Warns MP », The Financial Times, 20 décembre 2015. Ian Duncan Smith, Chris Grayling, Theresa Villiers, Michael Gove et vraisemblablement Theresa May sont cités parmi les membres influents du gouvernement favorables au Brexit.
  • [7]
    « EU referendum: David Cameron to Allow Ministers to Campaign for Either Side », The Guardian, 5 janvier 2016.
  • [8]
    Accords liant le Royaume-Uni, le Canada, les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande en matière d’espionnage.
  • [9]
    En visite au Japon au début du mois de janvier 2016, le ministre de la Défense, Michael Fallon, déclarait que le Japon était le partenaire le plus proche du Royaume-Uni en Asie et qu’il entendait développer et intensifier les liens en matière de défense grâce à la multiplication d’exercices, d’échanges de personnels et de programme d’armement conjoints.
  • [10]
    De nombreuses lignes sont consacrées au BC et à l’influence qu’en retire le Royaume-Uni. Les Français feraient d’ailleurs bien de méditer sur cet exemple alors même que, pris par une logique comptable et utilitariste, ils réduisent les crédits accordés à l’Alliance française, ce qui se traduit par la fermeture de nombreux établissements à l’étranger. Le British Council est présent dans une centaine de pays, il reçoit chaque année une vingtaine de millions de personnes et est « en ligne » avec 500 millions.
  • [11]
    « Treaty between the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and the French Republic for Defence and Security Co-operation », Londres, 2 novembre 2010 (https://assets.publishing.service.gov.uk/).
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    Voir par exemple « Cameron’s Defence Review is Muscular in Tone but has Capability Gaps », Financial Times, 23 novembre 2015.
  • [14]
    Malcolm Chalmers : « The ‘Missing Links’in SDSR Financing Organised Crime, Migration and Diplomacy », SDSR Briefing Papers, RUSI, septembre 2015.
  • [15]
    « Jeremy Corbyn named vice-president of Campaign for Nuclear Disarmament », The Guardian, 17 octobre 2015. Sur l’histoire du CND (www.cnduk.org/).
  • [16]
    56°03’53.60”N 4°49’17.30”O sur Google Earth.
  • [17]
    Valeurs exprimées en taux de change du marché ; l’Allemagne dépasse de 1 trillion de dollars la France, la Russie se situe à 2,09 trillons.
  • [18]
    Les 2, 9, 12, 31, 617 squadrons.
  • [19]
    Le 11 janvier 2016, les Reaper de la RAF avaient accompli leur 1 000e mission depuis leur engagement contre Daech en octobre 2014.
  • [20]
    « UK Integrating Brimstone 2 Missile onto Eurofighter Typhoon Fighter Jet », MBDA missile systems, février 2015 (http://mbdainc.com/).
  • [21]
    L’équipage est de 1 600 hommes (« HMS Queen Elizabeth, le nouveau fleuron de la Royal Navy », Mer et Marine, 9 juillet 2015 (www.meretmarine.com/).
  • [22]
    « A Partial Fix for Britain’s Hollowed-out Military », The Financial Times, 23 novembre 2015.
Français

La SDSR 2015 présentée par le gouvernement Cameron fixe les ambitions stratégiques de Londres pour la décennie à venir avec la réaffirmation de la dissuasion nucléaire, la reprise d’un réel effort budgétaire, le maintien du lien privilégié avec Washington, mais aussi sur l’importance de la relation avec Paris.

English

The United Kingdom and its defense: the SDSR 2015

The SDSR 2015 presented by the Cameron government fixes the strategic ambitions of London for decades to come, with the reaffirmation of nuclear dissuasion, the return to a real budgetary effort, the maintenance of privileged links with Washington as well as the importance of relation with Paris.

Yves Boyer
Directeur adjoint, FRS (Fondation pour la recherche stratégique) ; professeur émérite de l’École polytechnique.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.787.0068
Pour citer cet article
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