CAIRN.INFO : Matières à réflexion
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1 Il ne fallait pas moins de 1 040 pages pour proposer une nouvelle biographie – passionnante – de Philippe Pétain, maréchal comme héros de Verdun puis chef de l’État français replié à Vichy, condamné à mort puis finissant sa vie comme prisonnier dont la seule issue fut le cimetière de l’île d’Yeu. Le résultat est à la hauteur et ce livre mérite toute sa place dans toute bonne bibliothèque d’histoire de France.

2 Il serait vain de vouloir résumer la vie si longue du Maréchal (1856-1951), dont au final la longévité fut le drame. Il serait disparu en 1940, son nom figurerait ainsi au Panthéon de la République. Hélas, ce ne fut pas le cas.

3 Soulignons ici que Pétain s’exprima dans le premier numéro de la RDN en 1939 pour expliquer le besoin de développer une réflexion de haut niveau sur les questions de défense, mission qui reste au cœur de l’ADN de la RDN. L’auteure a voulu, à juste titre, couvrir l’ensemble du parcours de Pétain sans se limiter aux chapitres connus comme Verdun, sa relation avec de Gaulle et bien entendu, le Régime de Vichy. C’est ainsi qu’elle aborde avec un intérêt majeur l’homme privé qu’il fut au cours de plusieurs phases très différentes : de l’officier de garnison, du maréchal statufié au chef de l’État puis au détenu.

4 Avec une première idée forte considérant que Pétain, de par son éducation, sa culture et son état de militaire, était d’abord un homme du XIXe siècle, dont la compréhension des enjeux, en particulier lorsqu’il devient un homme public après Verdun, n’a pas été à la hauteur des évolutions politiques et sociétales issues de la Grande Guerre. Et de souligner que jusqu’à l’âge de 58 ans, il n’est qu’un officier parmi tant d’autres, à la carrière estimable mais sans éclat et dont la vie privée est marquée certes par le célibat mais aussi par des conquêtes féminines. Avec un souci de sa condition physique qu’il a conservé tout au long de sa vie et qui contraste avec certains de ses pairs. Par contre, l’auteure souligne également combien Pétain a été un homme d’études et de travaux intellectuels jusqu’en 1914 avec notamment des affectations comme professeur à l’École de Guerre. Il a indéniablement su développer une doctrine personnelle sur l’emploi tactique de l’Infanterie qu’il sut utiliser avec efficacité lorsque la guerre se déclencha. Cette dimension d’instructeur militaire restera centrale et a d’ailleurs joué un rôle dans la rivalité entre Pétain, auréolé de sa gloire de Maréchal et de Gaulle, jeune officier supérieur, en quête de reconnaissance militaire dans les années 1920. Cette rivalité intellectuelle se transformera en rivalité politique à partir de juin 1940.

5 L’une des dimensions psychologiques de Pétain est justement sa vanité, sachant que celle-ci est devenue pathologique avec l’âge et les honneurs que la République lui a abondamment décernés entre les deux guerres, le rendant incapable de faire preuve de clairvoyance, notamment à Vichy.

6 Ainsi, il s’illusionne lors de l’entrevue de Montoire, croyant pouvoir discuter avec Hitler. La liste des renoncements qui s’ensuivront est hélas trop longue. Son incapacité à contrer les manœuvres de Pierre Laval, son aveuglement face à la réalité de l’occupation et le durcissement progressif du Régime de Vichy sont autant de drames qui précipitèrent la France dans le naufrage de la Collaboration.

7 La masse d’informations et son analyse sont ici impossibles à résumer tant le livre est riche, en couvrant toute la vie du Maréchal, avec le recul désormais possible où les archives récemment ouvertes permettent d’éviter la passion – pour ou contre – mais traduisent l’implication directe du Maréchal sur les décisions les plus controversées de Vichy. La thèse du Maréchal protégeant les Français est ici sévèrement ébranlée tant il manqua de caractère et d’esprit de décision pour s’opposer à la fois aux Allemands et aux Collabos partisans de l’entrée en guerre de la France aux côtés de Berlin. Cette suite ininterrompue de lâchetés et d’abandon de ce qui restait de la souveraineté de Vichy était paradoxalement peu perçue par l’opinion publique et la popularité du Maréchal est restée vive quasiment jusqu’à la Libération à l’été 1944.

8 Les derniers chapitres sont également essentiels, entre le procès du Maréchal, dont la portée était symboliquement majeure dans le processus de reconstruction psychologique de la France et les dernières années où la captivité d’un vieillard, dont la sénilité devient totale, posa au final plus de problèmes aux gouvernements successifs de la IVe République qu’au condamné lui-même désormais trop affaibli et tristement résigné à son sort. Il ne faut cependant pas se leurrer et vouloir exempter le Maréchal Pétain de ses responsabilités. Même si en 1940, il était déjà âgé de 84 ans, il a été un acteur majeur et de premier plan du Régime qu’il voulût implanter à Vichy. Et si « la vieillesse est un naufrage » selon le général de Gaulle, Pétain n’a pas su éviter le naufrage d’une certaine France.

Jérôme Pellistrandi
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Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.787.0127
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