CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Un fil directeur est présent dans ces différentes revues : le monde devient de plus en plus imprévisible, les situations binaires n’ont plus court, d’où la nécessité pour les diplomaties, dont celle la France, d’être souples, évolutives, multifonctionnelles.

2RIS - La Revue internationale et stratégique, publiée par l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), célèbre la sortie de son 100e numéro, avec un copieux dossier « La France, le monde » sous la direction de Pascal Boniface dans lequel s’expriment responsables politiques, experts et universitaires, occasion de balayer à peu près l’ensemble des enjeux planétaires.

3 Laurent Fabius plaide pour l’adaptation de notre diplomatie aux transformations du monde, tâche à laquelle il s’est attelé tout d’abord en élargissant le périmètre du ministère des Affaires étrangères et du développement international au commerce extérieur et au tourisme, en adaptant la cartographie du réseau diplomatique et consulaire à la nouvelle « géographie de la puissance », en améliorant les capacités d’anticipation et de réaction face aux crises, en créant de nouveaux opérateurs Business France et Expertise France au service de la diplomatie économique. Face à un monde complexe, chaotique, de plus en plus imprévisible, la diplomatie française s’est assignée quatre tâches, dont on voit qu’elles dépassent largement les étiquettes traditionnelles de « gaullo-mitterrandienne », d’« atlantiste », de « droits de l’hommisme », de « conservatrice », d’« indépendantiste » : la paix et la sécurité, l’organisation et la préservation de la planète (on en a vu les résultats, salués unanimement lors de l’adoption de l’Accord de Paris, du 12 décembre pour la COP21), la relance et la réorientation de l’Europe, dont les résultats se font toujours attendre, le redressement économique et le rayonnement de la France, dernier objectif dont les résultats sont contestés autant par François Fillon, François Bayrou, que par Jean-Luc Mélenchon questionnés par Pascal Boniface. Si la France continue à être regardée avec respect et sympathie, elle le doit à son histoire, ses valeurs, son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, sa langue, d’où sa capacité à faire rayonner une certaine image au plan international. Sans remettre en cause ce socle, les autres intervenants ont apporté leur vision propre. Pour François Fillon, la grandeur est un combat inlassable, pas un cadeau de l’Histoire d’où son constat du décalage croissant entre l’activisme international de la France et sa fragilité nationale, du fait du chômage de masse, des impôts, des réformes a minima. En Europe, la France a perdu le leadership, constat auquel adhèrent tant François Bayrou que Jean-Luc Mélenchon. Dans quelle mesure le plaidoyer de Nicole Genette, pour laquelle « l’Europe n’a d’autre choix que d’avoir une ambition stratégique » sera-t-il suivi d’effets ? Le couple franco-allemand est dès lors déséquilibré. Quant à notre politique vis-à-vis de la Russie, elle a été trop à la remorque des États-Unis et a été trop jusqu’au-boutiste au Moyen-Orient où nous avons manqué de réalisme. Pourtant, chacun à sa façon décrit la France comme une puissance singulière (François Bayrou), soit comme le trait d’union au sein de l’humanité universelle (Jean-Luc Mélenchon), et pour ce dernier l’Occident, dont la France se réclame, n’existe pas ni en tant que réalité géopolitique, ni culturelle.

4 Autres thèmes largement abordés par les contributeurs (Nicole Gnesotto, Pierre Hassner, Jean-Luc Domenach), ceux de la disparition du monopole occidental et européen de la puissance, de l’absence de véritable ordre international, à l’heure du monde « zéro-polaire » (Laurent Fabius), de l’effacement des États-Unis dont le leadership est devenu relatif, la stratégie brouillonne et la volonté de retrait patente. Les repères binaires traditionnels ont disparu (Est-Ouest, Nord-Sud, liberté contre despotisme), ce qui fait que bon nombre de pays ont du mal à se repérer ou à exercer leur marge de liberté même réduite. Ce n’est nullement le cas seulement de la France. La Russie de Poutine tient à son équation démocratie, sécurité, social, d’où le fait qu’elle accepte son régime autoritaire (Hélène Carrère d’Encausse). Mais, poursuit-elle, il y a une sorte de désarroi de la France vis-à-vis de la Russie, les Français ne savent pas ce qu’est cette Russie. Pour Pierre Hassner, les États-Unis sont sur la défensive, la politique du « président-professeur » Obama s’étant avéré un échec. Quant à Jean-Luc Domenach, grand connaisseur de la Chine, il dresse un tableau mitigé de la puissance chinoise dont il décrit les limites internes (inégalités, despotisme, corruption) et externes (politique régionale risquée en mer de Chine méridionale vis-à-vis du Japon, du Vietnam).

5Politique Étrangère, publiée par l’Institut français des relations internationales (Ifri), dresse dans son numéro d’hiver 2015-2016, le bilan de 70 ans de justice pénale internationale, autre façon de répondre à la question : la paix par le droit ? A priori, on pourrait penser que la jungle internationale s’est rétrécie. Après les différentes cours ad hoc, qui ont traité de l’ex-Yougoslavie et du génocide rwandais, une Cour permanente, au statut ratifié par 123 États, dont le Japon, qui lui apporte un financement appréciable, et la Palestine, ce qui lui pose un défi considérable, s’est installée dans ses locaux à La Haye. Un Fonds au profit des victimes (FPV) lui a même été rattaché. Cette Cour pénale internationale a également été dotée d’un organe politique de contrôle, l’Assemblée des États-parties. Pourtant, la minorité des États (70) qui ne l’a pas ratifié rassemble la majorité de la population du globe (États-Unis, Inde, Chine, Russie). L’adhésion de l’un d’eux serait une avancée majeure, mais elle est peu probable dans l’immédiat, sans pour autant être impossible. Autre handicap important de cette justice pénale internationale : ses incriminations ne concernent pour l’heure que les pays africains, ce qui a pour conséquence que plusieurs pays africains et l’Union africaine en contestent la compétence et l’action. Résultat : le procureur qui avait lancé son premier chef d’accusation contre un chef d’État en exercice, Omar El-Béchir, puis s’est saisi de sa propre initiative de la situation au Kenya où l’un des accusés, Uhuru Kenyatta, a été élu Président, s’étant heurté aux limites de la coopération des États, a suspendu son enquête contre le premier et a abandonné la procédure contre le second. La justice internationale reste donc un idéal réclamé par les victimes et elle continue de mobiliser les acteurs d’un monde en proie à de nouvelles violences, mais elle reste une longue et sinueuse route vers un idéal bien inaccessible.

6Hérodote, revue de géographie et de géopolitique, aborde un sujet important et qui n’a été que trop peu examiné, celui des situations post-conflits : entre guerre et paix ? En effet, si les nombreux experts, acteurs et responsables se sont penchés sur les multiples causes des conflits, sur leur déroulement et leur terme, peu se sont jusqu’à ces dernières années, interrogés de manière systématique et comparative sur ce qui se passait après la cessation d’une guerre/d’un conflit. Sachant que la plupart des conflits sont d’ordre interne et non interétatique, cet examen est rendu plus difficile car il implique une approche multiple, en termes stratégique, militaire, juridique, économique, social… D’où la nouveauté de ce numéro qui procède à une série d’études de cas en se livrant à des analyses très précises aux différentes échelles géographiques, celle du quartier, de la ville, de la région, que celle-ci soit délaissée, excentrique, qu’elle constitue un pont mort ou une zone exposée. Ce n’est que sous cet angle que l’analyse géographique vient compléter les approches politico-juridiques trop globales, où dominent les notions de démobilisation, de désarmement, de réinsertion… Une telle typologie fait apparaître la forte hétérogénéité des territoires (Irlande, Pays Basque, Kosovo, Sud Soudan, Kivu, Côte d’Ivoire, Mozambique, Congo-Brazzaville) où apparaissent de grandes villes qui accueillent des flux de réfugiés, se gonflent et deviennent à leur tour des foyers de recrutement ou de conflits par heurts entre populations hétérogènes, pôles de relance des conflictualités (massifs montagneux, deltas, déserts), zones de refuge ou de colonisation vs zones grises, marges dépeuplées. Aussi, les oppositions tranchées ou les ruptures chronologiques entre guerre et paix, conflit et post-conflit, apparaissent largement simplistes. Analyser toutes ces situations requiert de prendre en compte l’épaisseur historique des contextes, les enjeux de délimitation et d’interaction spatiale et l’étude des différentes représentations d’acteurs politiques. D’ailleurs toute après-guerre, n’est pas toujours un post-conflit, puisqu’émergent à travers les diverses stratégies soit étatiques soit celles des autres, de nouvelles configurations conflictuelles. La notion de post-conflit est ainsi d’abord une norme d’intervention qui va guider des actions standardisées : urgence humanitaire, post-urgence, transition, state building, réconciliation, construction et développement, etc. Chaque étape est associée à une gamme d’interventions de l’ONU ou d’autres acteurs (UE, OSCE, UA…) et d’acteurs garants d’une expertise et d’une neutralité technique. C’est une période plus ou moins longue qui s’étale sur dix-huit mois à trois, voire quatre ou cinq ans. C’est aussi une ressource, car la manne financière émanant de divers côtés va être captée par les acteurs les mieux placés ou les plus forts. Les forces armées se servant les premières, ce qui est un encouragement à la violence. Le post-conflit est enfin une représentation où les visions, intérêts et jeux des différents protagonistes, se croisent, se heurtent et se concilient. On le voit, la situation géopolitique entre guerre et paix n’est pas si simple, linéaire, tranchée que certains l’imaginaient. Les diverses études approfondies portant sur toutes les régions du monde que l’on a citées plus haut en fournissent une abondante preuve et une source précieuse d’information et de réflexion.

Eugène Berg
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.787.0121
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