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Coopérer dans l’espace numérique pour mieux faire face à un ennemi commun

1 Les acteurs français et étrangers de la cyber défense militaire se sont réunis le 24 septembre 2015 à Paris lors du colloque « #Cyber défense, le combat numérique au cœur des opérations ». Cet événement inédit a réuni près de 700 personnes, trois ministres, les ministres de la Défense français, britannique et belge, et une vingtaine de délégations étrangères.

2 Bien plus qu’un lieu de débats et d’échanges, ce colloque a permis d’initier et de renforcer la coopération entre pays partageant les mêmes enjeux dans le domaine de la cyber défense militaire. En effet, l’espace numérique, transverse et sans frontières matérielles, ne peut s’appréhender de manière autarcique. La session 2016 sera d’ailleurs organisée à Londres par le ministère de la Défense britannique, qui prend ainsi le relais de l’initiative française.

3 En effet, la coopération entre membres d’une même coalition est essentielle pour partager de l’information, échanger les bonnes pratiques, se coordonner face à des ennemis communs et tendre ensemble vers des relations pacifiées au sein de l’espace numérique. C’est également un outil au service de notre souveraineté numérique.

4 Elle permet notamment d’anticiper la menace, d’améliorer nos capacités en bénéficiant d’échanges fructueux, que ce soit dans le cadre d’exercices conjoints, de formations ou encore d’opérations en coalition, mais aussi de mesurer nos forces et nos faiblesses.

5 Grâce à une montée en puissance en termes de moyens financiers, humains et techniques, la cyber défense militaire française a acquis des capacités lui permettant de proposer son savoir-faire et son expertise à des pays désireux de développer leurs capacités cyber militaires, notamment grâce au Pôle d’excellence cyber récemment constitué autour de nombreux partenaires de la société civile (industriels et universités par exemple).

6 Renforcé par les moyens confiés par la Loi de programmation militaire et sa réactualisation, le ministère de la Défense a opéré une réelle montée en puissance depuis 2010. En cinq ans, un commandement opérationnel de cyber défense s’est mis en place au sein de l’état-major des armées, étoffant progressivement ses missions, ses ressources humaines et ses capacités.

7 Un budget de 350 millions d’euros d’équipements, associés à un budget Recherche et Développement multiplié par trois et à un recrutement de plus de 1 000 personnes supplémentaires, est désormais consacré à la cyber défense, enjeu de souveraineté nationale reconnu par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.

8 Un plan stratégique baptisé « Pacte Défense Cyber » met l’ensemble des actions et leur gouvernance en cohérence, mobilisant ainsi tous les acteurs du ministère vers un objectif commun.

9 Du développement de capacités de lutte informatique défensive à celles de la lutte informatique offensive, en passant par le renseignement d’intérêt de cyber défense, le ministère de la Défense entend développer sa compréhension et sa maîtrise de l’espace numérique sur son périmètre de responsabilité, les opérations militaires. Cette maîtrise de l’espace numérique s’étend de la couche technique à la couche informationnelle.

10 L’intégration de la dimension cyber aux autres formes de combat est primordiale. Que ce soit par la prise en compte de la menace en adaptant notre posture défensive ou en orchestrant des opérations cyber en appui des opérations cinétiques.

11 L’arme informatique est un outil qui doit apporter un appui maîtrisé aux forces conventionnelles. Elle doit être appréhendée comme une nouvelle forme de frappe dans la profondeur, mais aussi une forme d’appui tactique aux forces sur le terrain.

La diversité des menaces dans l’espace numérique : de l’attaque informatique à la désinformation

12 Les forces armées agissent face à des menaces de plus en plus protéiformes et complexes : attaques ciblées de type Advanced Persistent Threats (APT), attaques de faible ampleur visant à perturber, désinformation… Les acteurs sont tout aussi divers : États, mafias agissant seules ou au profit du plus offrant, hacktivistes opérant de façon isolée ou en groupe, groupes armés terroristes…

13 La menace cyber pour le ministère de la Défense ne se résume plus seulement à des attaques informatiques pouvant perturber ou détruire des systèmes d’information, elle prend également place dans le domaine informationnel.

14 Lorsque nos ennemis, contre lesquels nos forces armées sont engagées sur les théâtres, diffusent de fausses informations sur Internet et les réseaux sociaux, menacent les militaires et leurs familles, revendiquent des manœuvres tactiques sur le terrain, le concept de guerre de l’information prend tout son sens.

15 Les conflits en cours l’illustrent parfaitement. Les groupes armés terroristes, au Levant, mais aussi en Afrique ou au Maghreb, ont investi de manière massive l’espace numérique. Cette barbarie numérique vise des objectifs cherchant à démoraliser et terroriser son ennemi pour l’empêcher de combattre ; apparaître plus fort qu’on ne l’est en réalité ; recruter à l’aide de campagnes de propagande mensongères, mais sophistiquées ; désorganiser en propageant de fausses rumeurs, amplifiées là aussi par les réseaux sociaux, comme dans l’exemple de l’attaque contre la chaîne de télévision TV5 Monde, le 8 avril 2015.

16 Si ces menaces relevant du champ des perceptions prennent une part grandissante dans les conflits, ils ne les transforment pas pour autant. L’espace numérique est certes un domaine d’action militaire se caractérisant par des attributs spécifiques : les menaces, le tempo opérationnel, les acteurs et les frontières revêtent des caractéristiques propres à celui-ci. Cependant, les acteurs agissant dans cet espace ont adopté des modes d’action conventionnels tels que la maîtrise de leur environnement, les actions de déception, de neutralisation et de ruse, le recours à des mercenaires…

17 Cet espace s’adosse et se superpose aux autres espaces de confrontation que constituent les espaces terrestre, aérien, maritime et extra-atmosphérique. La construction d’un nouvel espace d’affrontement ne révolutionne pas pour autant « la manière de faire la guerre ». Il la refaçonne pour l’adapter aux réalités de notre monde contemporain.

18 C’est un espace pleinement reconnu comme un milieu à part entière au sein duquel les forces armées évoluent, veillent, défendent et neutralisent, encadrées par un cadre juridique clair et protecteur.

19 Le ministère de la Défense a pris en compte cette nouvelle dimension, en particulier cette dimension cognitive, et ses potentiels impacts dans le cadre des opérations militaires.

La formation comme pilier essentiel d’une cyberdéfense robuste

20 Confronté à un domaine militaire à la fois unique et transverse, complexe et reprenant les modes d’action cinétique, un personnel compétent et formé constitue un impératif. Ainsi, l’un des axes particuliers d’effort du ministère de la Défense porte sur le développement d’une filière cyber au sein du ministère et sur l’entraînement permanent des forces avec des formations, des exercices réguliers.

21 Les exercices DEFNET organisés chaque année permettent notamment de tester nos capacités de cyber défense, nos forces et notre organisation de gestion de crise cyber.

22 Le combat numérique, par ses différentes facettes, capacités humaines et techniques (formation, cadre juridique, renseignement…), constitue un véritable enjeu pour le ministère de la Défense.

23 Comme rappelé par le ministre de la Défense lors du colloque du 24 septembre, « nous devons, en premier lieu, garantir la protection des réseaux et systèmes de notre défense. Cette protection suppose des produits et des services de confiance, mais aussi une conception rigoureuse des systèmes concernés. Le rôle des programmes et des projets de science et technologie conduits par la Direction générale de l’armement (DGA) avec les industriels est donc crucial. […] Nous devons ensuite monter en puissance notre chaîne opérationnelle de cyber défense, qui agit en temps réel pour la sécurité de nos systèmes. Ce volet est aujourd’hui intégré à tout déploiement de forces, par exemple au Levant ou au Sahel. Des dispositifs particuliers sont mis en œuvre au cœur des forces, afin de mettre en place un bouclier protecteur. Une unité a été spécialement créée et équipée dans cet objectif ; elle sera ainsi pleinement opérationnelle en 2018, mais dès à présent son noyau est en place, bénéficiant à nos forces au Levant. »

24 Troisième priorité pour le ministère de la Défense, des efforts restent encore à réaliser dans le renseignement cyber, « afin d’anticiper les menaces, de caractériser l’adversaire et d’adapter ainsi nos systèmes de défense. C’est à cette fin que la Direction du renseignement militaire (DRM) est en train de créer un centre de recherche et d’analyse cyber. La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) développe, quant à elle, ses propres moyens depuis plusieurs années. Nous devons, enfin, continuer à nous doter de moyens pour agir. [… ] Priver l’adversaire de ses systèmes numériques en les neutralisant ou en les leurrant, peut conférer un avantage déterminant dans une manœuvre militaire. […] La guerre de demain doit combiner le cyber dans toutes ses dimensions avec les autres formes de combat. »

25 Protéger et s’intégrer aux opérations militaires en défendant ses systèmes et ses réseaux, en anticipant et en neutralisant la menace, en exploitant les vulnérabilités des ennemis de façon combinée avec les actions dans les autres milieux. Le combat numérique s’inscrit désormais pleinement au cœur des opérations militaires.

Français

Le combat numérique est déjà une réalité dans la conduite de nos opérations. Nos forces sont engagées depuis plusieurs années dans un processus de montée en puissance de la cyberdéfense en couvrant tous ses aspects avec la volonté de préparer et d’anticiper les cyber-défis de demain.

English

Military Cyber Defense: Placing Digital Combat at the Heart of Operations

Digital combat is already a reality in the management of our operations. Our forces have been engaged for several years in a process of development of the cyber defense’s power covering all of its aspects with the will to prepare for and anticipate the cyber challenges of tomorrow.

Arnaud Coustillière
Vice-amiral. Officier général cyberdéfense à l’état-major des armées.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.784.0011
Pour citer cet article
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