CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Les prises d’otages ont de plus en plus d’implications politiques qui se traduisent par un engagement ferme de l’État pour tenter de régler les crises qu’elles induisent. L’intervention des gouvernants se manifeste par les canaux alambiqués de la diplomatie secrète. La diplomatie « parallèle » reste en effet le paramètre fondamental dans le jeu subtil des tractations avec les ravisseurs (ou plutôt les intermédiaires) et le processus délicat de préparation d’une opération pour libérer les captifs. Dans cette problématique complexe qui concerne le sauvetage de vies humaines, le succès des négociations ou la réussite d’une action militaire dépend surtout d’une forte détermination politique.

La volonté politique

2 Les interventions pour délivrer des otages nécessitent parfois le montage de mises en scène particulièrement audacieuses. L’élaboration de telles entreprises requiert non seulement une bonne dose d’imagination, mais surtout une volonté sans faille de la part de l’État qui veut sauver des citoyens détenus par des terroristes. Sur ce chapitre qui concerne l’inventivité et le courage politique, la libération des prisonniers à l’ambassade du Japon au Pérou le 22 avril 1997 constitue un modèle du genre. L’affaire commence à Lima avec l’attaque du bâtiment de la représentation nippone par un commando du mouvement révolutionnaire Tupac Amaru avec la prise en otages d’une centaine de diplomates japonais et de personnalités diverses qui participaient à une soirée en l’honneur du soixante-troisième anniversaire de l’empereur Akihito. Dans leurs revendications, les kidnappeurs réclamaient l’élargissement de plusieurs centaines de leurs compagnons d’armes emprisonnés. La crise va durer cent vingt-six jours, le temps de construire des tunnels reliant l’ambassade à un édifice adjacent et invisible depuis le lieu de détention. Les bruits provoqués par les travaux de construction des souterrains étaient couverts par de la musique diffusée par des haut-parleurs. Les preneurs d’otages ont été complètement surpris par le lieu d’arrivée des forces spéciales venues du sous-sol pour libérer les captifs. Toutes les séquences de l’assaut militaire avaient été minutieusement répétées pendant quatre mois dans un camp de l’armée péruvienne où avait été édifiée une réplique du site. Parmi les préparatifs, qui ont été testés par les services du génie, figurait notamment la quantité d’explosifs nécessaire pour ouvrir le sol dans l’ambassade. Le coup de poker magistral qui a permis le sauvetage des diplomates japonais et de leurs invités a eu pour catalyseur l’extraordinaire résolution du pouvoir exécutif à Lima. Cette volonté politique s’est manifestée durant les trois phases du processus de l’opération (conception du projet, décision, exécution de l’action jusqu’à son achèvement). Elle s’est conclue par un acte symbolique très significatif : au Pérou, le 22 avril est commémoré comme « un jour d’action militaire valeureuse ».

3 La libération d’Ingrid Betancourt, prisonnière des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), a également dû son succès à la détermination farouche du Président colombien de lancer une opération de délivrance, à la fois hardie et ingénieuse, menée au début de juillet 2008. Le scénario sensationnel, digne d’une superproduction d’Hollywood, a consisté à héliporter dans la jungle colombienne une vraie/fausse mission humanitaire, accompagnée d’une soi-disante équipe de télévision. Toutes ces personnes étaient en réalité d’authentiques agents des services spéciaux venus récupérer la captive franco-colombienne. Comme dans le cas précédent, la mise en scène démesurée a permis la réussite de cet extraordinaire coup de bluff[2] qui a dupé les rebelles. Dans ces deux exemples, le pouvoir politique a osé briser des tabous en imaginant des solutions originales mêlant grains de folie et éclairs de génie.

Les controverses politiques

4 L’implication politique dans ce genre d’événements entraîne souvent des polémiques qui alimentent des débats et ouvrent le champ à des interrogations. L’affaire des diplomates américains retenus en otage dans leur ambassade à Téhéran pendant quatre cent quarante-quatre jours (4 novembre 1979-20 janvier 1981) est, à ce titre, révélateur du côté obscur que présente parfois le processus de négociations. Sur ce sujet épineux, le témoignage crédible de Gary Sick, ancien membre du Conseil national de sécurité de 1976 à 1981, apporte des révélations capitales sur le rôle ambigu du jeu politique dans les crises d’otages. Selon cette personnalité américaine, le régime de Khomeiny qui avait couvert la prise de la représentation diplomatique des États-Unis à Téhéran le 4 novembre 1979 avait prévu de libérer les captifs en octobre 1980, soit un mois avant l’élection présidentielle américaine opposant Jimmy Carter à Ronald Reagan. Des investigations ont dénoncé l’attitude de l’état-major du candidat républicain qui aurait négocié secrètement avec l’Iran pour retarder la libération des ressortissants américains. Ronald Reagan n’avait pas intérêt à ce que ses compatriotes détenus soient élargis avant la date du scrutin présidentiel. Si les otages avaient été libérés un mois avant le jour du vote, le président démocrate en place Jimmy Carter, profitant alors d’un regain de popularité, aurait très certainement remporté l’élection. Les diplomates prisonniers seront en effet relâchés le 20 janvier 1981, jour de l’intronisation à Washington de Ronald Reagan, le nouvel hôte élu de la Maison-Blanche. En échange, ce dernier livrera par la suite des armes à l’Iran alors en guerre contre l’Irak. Cette combine sournoise plongera le Président américain dans le scandale de l’Irangate. Ces tractations troublantes ont été confirmées par Bani Sadr, l’ex-président de la République d’Iran réfugié en France.

5 La France a connu aussi des controverses politiques à l’occasion de prises d’otages. Dans les années 1980, les négociations inhérentes aux otages du Liban ont dévoilé l’existence de circuits filandreux impliqués dans divers marchandages, notamment ceux concernant le paiement des rançons. L’événement le plus marquant reste toutefois la crise d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie. L’affaire commence le 22 avril 1988 avec l’attaque de la brigade de Gendarmerie à Fayaoué et l’assassinat à la hache de quatre gendarmes par un commando indépendantiste du FLNKS (Front de libération nationale Kanak socialiste). Vingt-sept gendarmes sont pris en otage (douze seront rapidement libérés). Les militaires français kidnappés sont conduits dans la grotte de Gossanah, un site mythique pour la population locale de l’île et situé dans une véritable jungle végétale, donc difficilement pénétrable. D’autres gendarmes, venus parlementer, seront aussi emprisonnés dans la grotte. Devant l’intransigeance cynique et le refus de dialoguer du chef des ravisseurs, Alphonse Dianou, l’assaut est donné sur le site le 5 mai 1988, à trois jours du second tour de l’élection présidentielle qui oppose François Mitterrand à son Premier ministre de cohabitation Jacques Chirac. Le bilan est lourd : dix-neuf ravisseurs et deux militaires français sont tués, mais tous les otages sont libérés.

6 Les rebelles kanaks ont déclenché leur action à un moment judicieusement choisi : en pleine campagne électorale entre les deux tours de l’élection présidentielle. La péripétie douloureuse débute alors que la France est administrée par un gouvernement de droite. C’est ce contexte politique très tendu qui sert de cadre à la polémique. Les forces françaises, qui ont libéré tous les captifs dans des conditions périlleuses, font d’abord l’objet de louanges. Mais une controverse voit le jour après la réélection de François Mitterrand et le changement de couleur politique du gouvernement. En quelques jours, l’action exemplaire de l’armée française, jugée indispensable, devient totalement inutile et exagérément meurtrière ! La polémique enfle notamment à propos de supposés interrogatoires musclés des ravisseurs faits prisonniers et d’une soi-disante exécution sommaire d’Alphonse Dianou après l’assaut. Dans ce débat tronqué, on oublie, d’une part le sort tragique des quatre gendarmes sauvagement assassinés, d’autre part le supplice de leurs collègues quotidiennement menacés de mort et enchaînés deux par deux durant deux semaines au fond d’un antre obscur et insalubre.

7 Le drame d’Ouvéa a été amplifié par des contradictions politiciennes. Il a provoqué un malaise grave et durable au sein de la Gendarmerie. Ce trouble profond a gagné l’armée française qui a été injustement mise sur le banc des accusés. La vérité confisquée sera cependant révélée plus tard, une fois le feu des passions éteint, par des témoignages éloquents des acteurs de l’intervention qui ont pu s’exprimer lorsqu’ils n’étaient plus soumis au devoir de réserve et au secret de l’instruction : le général Vidal (le commandant de l’opération de libération Victor), Michel Lefèvre (le chef du groupe d’assaut du GIGN), Joëlle Rondreux de Collors (juge d’instruction des événements), Jean Bianconi (substitut du procureur au moment des faits). Cet épisode bouleversant a mis en lumière le décalage qui peut parfois exister entre le pouvoir politique et l’autorité militaire. Cette rupture dommageable a été exacerbée par les divisions de l’exécutif et le changement de gouvernement juste après la fin de l’intervention.

L’implication de l’armée

8 En France, les opérations de sauvetage d’otages sont généralement confiées au Raid et au GIGN particulièrement bien préparés pour ce type d’intervention à hauts risques. Dans l’affaire d’Ouvéa, des unités militaires sont venues renforcer le GIGN : éléments de l’EPIGN (escadron parachutiste d’intervention de la Gendarmerie nationale), 11e Choc (le service action de la DGSE), commando Hubert de la Marine nationale, section parachutiste du Rimap (Régiment d’infanterie de Marine du Pacifique). De nos jours, les forces spéciales sont aguerries à ce genre d’intervention. Ces unités d’élite ont notamment agi au Sahel.

9 L’engagement de formations militaires spécialisées est apparu nécessaire dans les pays menacés par le fléau des kidnappings à répétition. En Colombie, les Lanceros, surnommés « les commandos de l’Amazone » sont entraînés dans des conditions extrêmes pour combattre les Farc et libérer les otages. Leur centre de préparation se situe en pleine jungle. Durant un stage de deux mois qui a déjà acueilli des étrangers (notamment des militaires français appartenant à la Légion et aux Troupes de Marine), les commandos sont soumis à des épreuves de pression psychologique d’une intensité inimaginable.

10 Parmi les pays qui consentent l’effort militaire le plus conséquent dans les opérations de délivrance d’otages, l’Algérie occupe une place prépondérante en raison de la menace terroriste qui ébranle la région depuis le début des années 1990. Le centre de conduite et de coordination des actions de lutte anti-subversive (CLAS) est le véritable cerveau des opérations « spéciales ». Les commandos sont instruits à l’École d’application des troupes spéciales (EATS) située à Biskra aux confins de l’Aurès. Pour les interventions de grande ampleur, Alger dispose de la 17e division parachutiste forte de cinq régiments para-commandos (RPC). Ces formations d’élite organisées sur le modèle des Spetsnaz russes participent à des séances d’entraînement dispensées par une unité américaine basée près de Tamanrasset dans le Sahara. En plus de ces corps d’intervention de l’Armée de terre, l’Algérie utilise aussi, d’une part les forces spéciales des services de renseignement comme les célèbres ninjas, surnommés ainsi en raison de leurs tenues noires et cagoules pour dissimuler leur visage, d’autre part les groupes d’intervention et de recherche (GIR) de la Gendarmerie. L’importance des moyens consentis dans la lutte contre le terrorisme et les prises d’otages met en relief la très grande volonté politique du gouvernement algérien de prendre à bras-le-corps cette problématique angoissante.

11 Les kidnappings alimentent en effet des questions anxiogènes qui perturbent les politiques quant à la façon de négocier ou d’employer la force, ébranlent la société et impliquent souvent les militaires. Dans la majorité des cas, le jeu politique, troublé par les emballements médiatiques, doit s’adapter à la stratégie du bluff où l’imagination, le double langage et la ruse restent les ingrédients majeurs pour dénouer une crise qui, à tout moment, peut prendre une tournure dramatique.

Notes

  • [1]
    Note préliminaire : Cet article est la suite de « La problématique des prises d’otages » paru dans le n° 779, avril 2015, de la RDN.
  • [2]
    « La stratégie du bluff », Revue Défense Nationale, n° 778, mars 2015.
Français

Les prises d’otages deviennent des pratiques courantes dans les conflits actuels, obligeant les États concernés à trouver de nouveaux modes d’action pour répondre à des événements très anxiogènes et pouvant tourner très vite au drame.

English

Taking hostages: The political game

Taking hostages has become a common practice in current conflicts, forcing the states to find new ways of acting to respond to the stressful events that could quickly turn into a tragedy.

Éléments de bibliographie

  • Michel Klen : Les ravages de la désinformation ; Favre, 2013. Chroniques « Pensée militaire » dans la Revue Défense nationale : « La stratégie du bluff » (décembre 2014, janvier, février et mars 2015).
  • Gary Sick : America’s hostages in Iran and the election of Ronald Reagan ; Random House/Times Books, 1991.
  • Éric Denécé : Forces spéciales et groupes d’intervention antiterroristes algériens, Bulletin de documentation du centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Le sanglant crépuscule des djihadistes, éditorial n° 37 du CF2R.
  • Michel Lefèvre : Ouvéa, l’histoire vraie ; Éditions du Rocher, 2012.
  • Jacques Vidal : Grotte d’Ouvéa, la libération des otages ; Volum, 2010.
  • Dominique Lorentz : Secrets atomiques, la véritable histoire des otages du Liban ; Les Arènes, 2002.
  • Nouchine Yavari-d’Hellecourt : Les otages américains à Téhéran ; La Documentation française, 1992.
  • Pierre Salinger : Otages, les négociations secrètes de Téhéran ; Buchet/Chastel, 1981.
Michel Klen
Essayiste, auteur de nombreux articles et ouvrages sur le renseignement dont un livre sur la désinformation.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.780.0088
Pour citer cet article
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