CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dans un contexte mouvant caractérisé par une instabilité régionale et mondiale, la Mauritanie s’est trouvée contaminée par l’extrémisme et confrontée au terrorisme. Dans contexte mouvant caractérisé par une instabilité régionale et mondiale, la Mauritanie s’est trouvée contaminée par l’extrémisme et confrontée au terrorisme. De 2005 à 2010, le pays fut à plusieurs reprises la cible d’attaques de groupes terroristes qui ont porté un coup fatal à l’activité touristique  [1].

2 Conscientes de l’ampleur de ce phénomène, les autorités mauritaniennes ont décidé de s’engager résolument pour relever ce défi sécuritaire. Ainsi, depuis 2010, une stratégie globale a été adoptée. Elle consiste à associer tous les acteurs pour élaborer une approche qui utilise les moyens civils et militaires pour contrer le terrorisme. Cette approche a une spécificité notable : s’appuyer sur les oulémas (docteurs de la loi religieuse) et les fuqhahas (juristes religieux) afin de contrecarrer les propagandes des salafistes jihadistes et corriger leurs fausses perceptions religieuses.

De la coercition… au débat

3 Sur le plan militaire, la stratégie adoptée est fondée sur des actions préventives pour chasser l’ennemi chaque fois qu’il se regroupe à proximité des frontières. Elle a été précédée par une profonde restructuration de l’armée avec comme principes directeurs, entre autres, l’anticipation, la réactivité et la modularité. Un effort particulier a été fait sur les forces spéciales terrestres avec la constitution de groupements spéciaux d’intervention, mobiles, bien équipés et autonomes, dédiés à la lutte contre le terrorisme. L’armée s’est aussi dotée de bases logistiques avancées et de moyens aériens capables d’appuyer les troupes au sol au cours des opérations menées contre les groupes terroristes. Des fusiliers marins et des escadrons de la Garde nationale ont aussi été engagés. Des forces de la Gendarmerie mobile patrouillent sur le territoire et 35 postes-frontière ont été implantés pour contrôler les entrées et sorties.

4 Parallèlement à ces mesures sécuritaires, les autorités ont conduit un grand débat national afin d’adopter une stratégie globale pour lutter contre le terrorisme. Ce débat a regroupé des oulémas, des penseurs, des leaders d’opinion, des représentants des organisations non gouvernementales et de la société civile.

5 Le débat national a permis de montrer de façon édifiante à l’opinion publique la réalité des objectifs des terroristes et des moyens d’intimidation et de désinformation qu’ils utilisent pour atteindre leurs buts. Suite à ce débat, un dialogue a été lancé entre des oulémas et plus de 80 prisonniers arrêtés dans le cadre d’affaires liées au terrorisme. L’objectif de ce dialogue, relayé largement par les médias, était de déconstruire l’argumentaire théologico-politique dont les salafistes jihadistes se parent pour justifier leurs actions, les inciter à se repentir et à renoncer à la violence.

Un effort d’explication et de persuasion…

6 D’une part, au cours de leur dialogue avec les prisonniers extrémistes, les oulémas ont expliqué que le jihad est mal compris et que certains exploitent ce concept afin de parvenir à des fins politiques ou satisfaire des intérêts personnels. Le Jihad, en tant qu’action de défense des États musulmans, relève de l’autorité gouvernementale et il n’appartient pas aux individus ou groupuscules de l’initier. De plus, le Jihad ne signifie pas la guerre, il désigne avant tout la lutte contre le mal et l’effort constant pour accomplir le bien.

7 Les oulémas ont démontré aux égarés que l’Islam est une religion basée sur la paix, la miséricorde et la compassion et que, contrairement à ce qu’ils pensent, leurs actes terroristes ne les mèneront qu’en enfer, car tuer des innocents ou s’attaquer à des civils ne peut jamais être justifié  [2]. D’autre part, les oulémas ont démontré qu’en Islam, il est formellement interdit pour une personne de se suicider, quelle que soit la raison et quel que soit le moyen utilisé  [3].

… pour corriger des perceptions erronées

8 La guerre, dans la conception musulmane et telle que définie dans le Coran et la Sunna, ne peut être ni initiée, ni déclarée par les pays musulmans hormis dans le cadre de la légitime défense. Quand un pays musulman est envahi et après avoir épuisé toutes les voies pacifiques disponibles en vue d’épargner les vies humaines, les autorités de ce pays peuvent recourir à l’utilisation de la violence légitime. Selon le Coran, le combat est permis seulement dans l’autodéfense, et non pas pour commettre des meurtres ou afin d’opprimer les autres. La valeur de la vie humaine est clairement exprimée dans le Coran et tous les musulmans sont appelés à la préserver  [4]. L’Islam respecte les non-musulmans, même après leur mort  [5].

9 Selon l’Islam, la guerre est régie par une éthique et un ensemble de normes, aussi bien dans sa préparation que dans sa conduite. Ces normes sont d’ailleurs antérieures aux règles contemporaines des Droits de l’Homme. Il est strictement interdit de s’attaquer aux civils ou de prendre les armes contre les femmes et les enfants, et de mutiler les cadavres. Les prisonniers doivent être traités avec dignité, et si l’ennemi déclare qu’il est disposé à faire la paix, les musulmans doivent accepter la paix  [6].

10 D’autre part, il fallait que les extrémistes prisonniers (et, à travers eux, les autres) comprennent que ceux qui les endoctrinent profitent de leurs lacunes pour atteindre des objectifs personnels. Généralement, les jeunes ciblés ont un savoir religieux très superficiel et peuvent facilement être embrigadés. De même, ils peuvent aussi être instrumentalisés par des services secrets étatiques mal intentionnés.

Les musulmans, premières victimes du terrorisme

11 Les musulmans ont été victimes des actes terroristes perpétrés par les extrémistes jihadistes et ils ont tous le devoir de contrer les idées des groupes terroristes et de limiter leur capacité de nuisance.

12 Les groupuscules terroristes dénaturent et travestissent les valeurs de l’Islam, et leurs actions nuisent à cette religion. Il incombe donc à tous les musulmans de condamner fermement les actes terroristes et de dénoncer les conséquences de leurs actions meurtrières sur les perceptions des non-musulmans.

13 La grande majorité des victimes des actions des groupuscules terroristes sont des musulmans. Les terroristes ne distinguent pas entre musulmans et non-musulmans ; ils considèrent tous ceux qui n’adhèrent pas à leur idéologie comme des cibles légitimes de leur violence ou tout au moins des victimes collatérales justifiées par leurs desseins.

14 Les takfiristes  [7], par exemple, considèrent comme apostat et ennemi tout musulman qui n’embrasse pas leur courant idéologique. Pour atteindre leurs objectifs, les extrémistes utilisent souvent les lieux de culte pour véhiculer leurs messages et identifier les futures recrues ou gagner des sympathisants ; ce qui exige des autorités un ensemble de mesures pour discréditer leurs discours.

Contrôle des lieux de culte et formation des imams

15 Le contrôle des lieux de culte par l’autorité publique permet d’empêcher que des éléments radicaux (salafistes jihadistes, takfiristes) obtiennent la mainmise sur eux et en fassent des centres d’endoctrinement idéologique et d’incitation à la violence. Ce contrôle vise à se prémunir contre le fondamentalisme et à déconstruire la doctrine belliqueuse colportée par les extrémistes en lui opposant une conception modérée de la religion, basée sur la tolérance et l’ouverture d’esprit.

16 Pour cela, les autorités s’appuient désormais sur les imams et les érudits pour renforcer la tradition musulmane mauritanienne, fondée sur le rite malékite plus souple dans l’interprétation des textes. À cette fin, 800 imams ont été recrutés dans le cadre d’un programme ambitieux qui vise à accroître le contrôle sur les chaires des mosquées et à empêcher d’y tenir des prêches radicaux. Ces imams contribuent à combattre l’idéologie terroriste sur le terrain des idées. Les sermons des prières du vendredi et les prêches sont dorénavant soigneusement encadrés par les autorités religieuses.

17 Dans ce même ordre d’idées, le ministère de l’Orientation islamique, responsable des affaires religieuses multiplie les colloques et les congrès avec des thèmes explicites : « Islam modéré, application et compréhension », « Pour une interprétation correcte de l’Islam ». Ces forums de discussion qui réunissent des oulémas, des imams et des intellectuels visent à exalter les vertus réelles de l’Islam.

Associer toutes les franges de la société aux efforts de déradicalisation

18 D’une part, le rôle des autorités religieuses dans les processus de déradicalisation des éléments jihadistes doit être appuyé et complété par des actions plus en amont au niveau de toute la société. Dans ce cadre, les autorités ont développé des programmes ambitieux au profit des jeunes et des franges pauvres et marginalisées de la population (caisses populaires d’épargne et de crédit, commissariat de lutte contre la pauvreté, etc.). L’emploi, la formation continue et la lutte contre l’analphabétisme figurent aujourd’hui parmi les priorités des autorités pour donner l’espoir aux jeunes et aux chômeurs et leur permettre d’utiliser leurs énergies dans la construction et le développement. Pour tarir les ressources financières du terrorisme, les autorités ont pris des mesures législatives et réglementaires visant l’incrimination du financement du terrorisme ainsi que le gel et la confiscation des biens des terroristes. À cet effet, elles ont mis en place un dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (commission d’analyse des informations financières). D’autre part, il était nécessaire de renforcer les mesures visant à améliorer la résilience de la société civile, pour que toutes ses composantes soient en mesure de rejeter les idéologies véhiculées par les extrémistes et de dénoncer ceux qui les défendent. Enfin, il fallait amener les citoyens à accomplir leur devoir religieux, civique et patriotique et aider à empêcher la radicalisation. Cela permet à la société de déceler les activités terroristes et d’échanger de façon proactive avec les organes de sécurité pour lutter efficacement contre ce fléau.

Diffusion institutionnelle des arguments théologiques dans tous les segments de la société

19 La réponse idéologique s’est aussi déclinée d’autres manières. L’Institut mauritanien pour les études stratégiques a organisé en collaboration avec l’état-major général des Armées un « colloque sur la lutte contre le terrorisme ». Ce colloque a regroupé des fuqhahas, des juristes, des militaires, des policiers, des économistes, des éducateurs, des journalistes et des représentants de la communauté internationale. Le colloque a eu pour objectif de présenter l’approche mauritanienne en matière de lutte contre le terrorisme et de dégager quelques recommandations claires en vue de l’amélioration de la lutte contre ce fléau.

20 Parmi les propositions et recommandations de ce colloque, on peut citer, entre autres, l’organisation de campagnes de sensibilisation sur le danger du terrorisme, l’écriture et l’édition des livres porteurs de discours islamiques modernes et la création d’un organe médiatique pour lutter contre la propagande des terroristes. Il faudra également réviser les programmes pédagogiques en y intégrant des contenus religieux capables de réfuter les discours extrémistes afin d’éduquer les enfants, aussi bien à l’école qu’au foyer, sur les principes de modération et de tolérance. Le secteur de l’enseignement (public et privé), notamment au niveau du primaire et du secondaire, doit être « sanctuarisé » afin de se prémunir contre l’influence des courants les plus radicalisés. Dans le but de faire face aux propagandes des mouvements radicaux diffusées par les médias malintentionnés, une stratégie de communication adaptée a été mise sur pied pour satisfaire les besoins en communication de crise, informer et sensibiliser en permanence les citoyens.

Actions médiatiques dans l’infosphère

21 Imprudents ou même ignorant les effets de leurs programmes, certains médias diffusent une culture de violence et banalisent les moyens d’action utilisés par les terroristes. Cela contribue à l’élargissement de la contamination par l’extrémisme des franges les plus vulnérables de la société, et constitue un facteur de stimulation et de fascination en faveur des terroristes.

22 Les autorités ont consenti beaucoup d’efforts pour promouvoir et garantir la liberté d’expression et d’opinion. La Mauritanie figure d’ailleurs au premier rang en matière de liberté d’expression au niveau des pays arabes. Parallèlement, le rôle et les attributions de la Haute autorité de presse et d’audiovisuels (Hapa) ont été renforcés. Les médias nationaux, notamment audiovisuels, ont développé des programmes qui visent à être suffisamment attrayants et formateurs (notamment concernant les émissions religieuses) pour détourner le public des chaînes satellitaires étrangères qui prônent la radicalité et l’intolérance.

23 Les services de communication de l’appareil judiciaire et des Forces armées et de sécurité fournissent régulièrement des éléments de communication pour dénoncer le caractère criminel et mafieux de ces groupes terroristes. D’ailleurs, outre les outils de la communication institutionnelle, toutes les tribunes d’opinion (presse privée, presse électronique, réseaux sociaux, notabilités locales…) contribuent à l’effort global pour lutter contre le terrorisme.

Des résultats surprenants et des débats de plus en plus sollicités

24 Débattre avec les terroristes est une idée innovante, et les efforts de déradicalisation ont donné des résultats probants. Ainsi, plusieurs jeunes se sont rendus aux services de sécurité et 90 % des participants au dialogue avec les oulémas ont renié leur engagement. En récompense de leur repentir exprimé librement lors du dialogue avec les dignitaires religieux et de leur promesse de se conformer à l’Islam sunnite modéré, 72 terroristes ont été libérés.

25 Compte tenu des résultats satisfaisants de cette entreprise, les autorités ont décidé de pérenniser le dialogue avec les extrémistes et de continuer à conjuguer le hard et le soft power.

26 Suite aux attaques des groupes terroristes, la Mauritanie a donc développé une approche globale pour lutter contre ce fléau. Parallèlement à l’approche sécuritaire, les autorités ont mené des efforts dans le cadre de la déradicalisation en associant les médias et la société civile. L’objectif de cette démarche est de montrer le vrai visage de l’Islam, de déconstruire les thèses des extrémistes et de combattre le terrorisme par le débat. Dans ce cadre, les autorités ont organisé des colloques, des débats constructifs et des dialogues directs relayés par les médias entre des oulémas et des extrémistes prisonniers. Cet exemple de Soft Fighting a donné des résultats probants : depuis 2010, le pays n’a plus jamais subi d’attaque terroriste. Aujourd’hui, le pays est disposé à partager son expertise avec les autres pays de la sous-région et au-delà. Cela est d’autant plus pertinent qu’en agissant ainsi, il assure sa sécurité immédiate contre le terrorisme.

Notes

  • [1]
    15 morts et 2 disparus à Lemgheyty (juin 2005), 3 morts à Ghallaouia (décembre 2007), 1 mort et 9 blessés parmi les forces de police et 12 morts à Tourine (septembre 2008), 3 touristes français assassinés et 1 blessé (décembre 2007), un ressortissant américain assassiné (juin 2009), trois humanitaires espagnols (novembre 2009) et un couple italien enlevé (décembre 2009).
  • [2]
    « N’approchez pas des turpitudes ouvertement, ou en cachette. Ne tuez qu’en toute justice la vie qu’Allah a fait sacrée. Voilà ce qu’[Allah] vous a recommandé de faire ; peut-être comprendrez-vous » (Coran 6:151).
  • [3]
    « … Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous » (Coran 4:29-30). Le prophète Mohamed (paix et salut sur lui) a dit « celui qui se suicide avec une chose sera puni avec cette même chose le jour du jugement ».
  • [4]
    « … Quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la Terre, ce serait comme s’il avait tué toute l’humanité et quiconque venait à sauver une vie, ce serait comme s’il avait sauvé toute l’humanité » (Coran 5:32).
  • [5]
    Un jour, alors que le Messager — paix et bénédictions sur lui — était assis, voyant arriver un cortège funèbre, il se leva. On lui dit qu’il s’agissait du cortège d’un non-musulman. Il s’indigna : « N’est-ce pas une âme ? ! ». « Et s’ils s’inclinent à la paix, alors inclinez-vous vers elle, et placez votre confiance en Dieu » (Coran 8:61).
  • [6]
    « S’ils vous laissent et vous proposent de faire la paix, Dieu ne vous permet pas de leur nuire » (Coran 4:90).
  • [7]
    Extrémistes islamistes adeptes d’une idéologie violente.
Français

Les autorités mauritaniennes ont adopté une stratégie globale pour lutter contre le terrorisme par tous les moyens. Ainsi, des mesures de Soft Fighting ont été prises envers les détenus salafistes pour leur montrer le vrai visage de l’Islam et combattre l’extrémisme par le débat.

English

Countering Terrorism in Mauritania: The De-Radicalization of Extremists

Mauritanian authorities have adopted a global strategy to combat terrorism by any means. Thus, “Soft Fighting” measures have been taken toward Salafi prisoners to show them the true face of Islam and combat extremism through debate.

Cheikh Mohamed Lemine Bellal
Officier de l’infanterie issu de la promotion 1997 de l’Académie militaire Zayed Bin Sultan aux Émirats arabes unis, a commandé une compagnie spéciale d’intervention au 2e Bataillon commando. A servi au cabinet du Chef d’état-major général des Armées. Diplômé de l’École d’état-major de Libreville au Gabon en 2009. Stagiaire de la 22e promotion de l’École de Guerre (« Maréchal Leclerc »).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.779.0047
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