CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 La Guyane, territoire mythique à l’autre bout du monde, recèle à la fois l’or vert et l’or jaune. Près de 95 % de sa surface est couverte de forêt équatoriale et son sous-sol aurait un potentiel aurifère estimé à plus de 300 tonnes. L’El Dorado existe donc bien. Près de 10 000 garimpeiros (orpailleurs en brésilien) exploitent l’or guyanais illégalement. Ce chiffre ne cesse d’augmenter.

2 Que faire ? Orpaillage illégal signifie insécurité, problème de santé publique, destruction de l’environnement et préjudice financier. La réponse doit être militaire, judiciaire, économique et diplomatique. Aujourd’hui toutes ces conditions ne sont pas réunies.

L’opération Harpie

3 Face à l’explosion des activités illégales d’orpaillage, l’opération Harpie est déclenchée en 2008. Il s’agit de lutter de manière globale, durable et brutale contre l’orpaillage clandestin. Opération interministérielle, elle vise à renforcer et faciliter la coopération entre forces armées, forces de police, justice, douanes, services fiscaux, office national des forêts et acteurs du parc amazonien.

4 De nombreuses actions coups de poing sont alors menées. Les opérations Anaconda, conduites conjointement par soldats et gendarmes, visent à saisir ou détruire les matériels trouvés sur les sites clandestins : les placers, et à arrêter les illégaux. Ces opérations sont difficiles : le territoire à contrôler est immense et le milieu éprouvant.

5 La synergie est indéniable, l’opération s’avère d’emblée efficace. Le bilan de l’année 2013 est éloquent : 2 500 jours de missions conjointes forces armées/gendarmerie, saisie de 9 kg d’or et 170 kg de mercure, destruction de 800 motopompes.

6 Mais les garimpeiros sont coriaces et poursuivent sans cesse leur action, s’adaptant en permanence. Certains sites sont détruits deux à trois fois la même année. Le rendement est faible, mais rentable. Le cours de l’or a en effet triplé sur les dix dernières années. Les placers, presque asphyxiés, parviennent encore et toujours à fonctionner.

7 En 2012 s’opère un véritable tournant : 2 soldats sont tués et 2 gendarmes blessés sur le site clandestin de Dorlin. La Nation française prend conscience des conséquences de l’orpaillage sur sa forêt du bout du monde. La lutte contre l’orpaillage doit donc encore s’intensifier. La victoire ne peut s’obtenir dans la jungle.

La solution est judiciaire, économique et diplomatique

8 Pour aller plus loin, il faut remonter aux sources de l’orpaillage, c’est-à-dire à ses financements. Or, aujourd’hui, il est très difficile d’accéder aux « commanditaires ». Les procédures judiciaires sont complexes, d’autant que ces personnes résident bien souvent au Brésil ou au Surinam. Concernant les poursuites judiciaires, environ 1 200 interpellations sont réalisées par an. Une petite centaine de peines incluant de la prison ferme a été prononcée en 2013. La répression s’est néanmoins accentuée, puisque le code minier a été renforcé en 2011 : « Toute exploitation aurifère illégale est punie d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 € », infraction aggravée en cas d’atteintes graves à l’environnement.

9 Une des réponses économiques s’appuie désormais sur la procédure accélérée d’installation minière. Cette nouvelle stratégie conduite par l’État consiste à réimplanter des opérateurs légaux sur des secteurs anciennement occupés par des clandestins. La gendarmerie participe ensuite temporairement à la sécurité du site. Une dizaine de procédures de ce type est en cours. Les retombées économiques représentent un véritable défi, tant pour l’industrie minière que pour l’État, qui prélève des taxes sur l’or extrait. En 2013, environ 1,5 tonne d’or a été extraite légalement contre 5 à 10 tonnes illégalement. Il serait donc rentable d’inverser la tendance.

10 Il est effectivement difficile de tracer l’origine de l’or. Depuis 2011, la « loi de la garantie » sur la traçabilité de l’or s’applique enfin à la Guyane. Elle oblige tous les acheteurs d’or de la filière à tenir un registre officiel renseignant l’identité du vendeur. Ainsi, pour un orpailleur illégal, il est désormais beaucoup plus difficile d’écouler son or en Guyane française. Cette loi viserait-elle à éviter « l’or du sang » à l’instar des fameux « blood diamonds » de la Sierra Leone ? L’impact de cette loi reste néanmoins limité, puisque 95 % de la proportion de l’or produit chaque année dans le monde n’est pas traçable. Dès lors, le consommateur n’a aucune information sur la façon dont l’or est extrait et transformé. L’or illégal est alors blanchi. C’est notamment le cas dans les pays voisins.

11 La réponse à l’orpaillage clandestin doit être aussi diplomatique, par le biais d’accords de coopération régionaux solides.

12 Prenons le cas du Brésil. En décembre 2008, un accord est signé avec pour objectif de « contribuer à la protection et à la conservation du patrimoine environnemental du plateau des Guyanes, ainsi que la prise de conscience des menaces que l’exploitation aurifère illégale fait peser en matière d’écologie et de santé publique ». Cet accord ne sera ratifié par le Brésil qu’en décembre 2013.

13 Sur le contenu, il s’agit plus d’un premier pas louable que d’une avancée spectaculaire, à l’image du pont franco-brésilien sur le fleuve Oyapock. Sur l’autre rive se trouve l’État brésilien de l’Amapa, région particulièrement pauvre et peu développée. L’orpaillage y est un moyen facile de gagner sa vie. Le Brésil doit donc trouver une solution économique adaptée pour cette population, ce qui complexifie encore la situation.

14 Concernant le Surinam, le bilan est encore plus alarmant. Un accord de coopération transfrontalière en matière policière a été signé avec la France en juin 2006. Il n’a toujours pas été ratifié par le Surinam. Cet accord visait à renforcer les moyens mis au service de la lutte contre la délinquance transfrontalière, le long des 500 kilomètres du fleuve Maroni. Le Surinam n’a de plus pas les capacités de contrôler l’ensemble de son territoire. Les zones éloignées du littoral sont sous-développées et ses habitants se tournent naturellement vers l’orpaillage illégal.

15 Les pays voisins n’ont donc ni la volonté politique ni les possibilités économiques et sociales de s’attaquer réellement à l’orpaillage illégal.

16 L’opération Harpie est véritablement efficace, mais les résultats restent insuffisants. La solution contre l’orpaillage illégal réside donc principalement dans la neutralisation des flux logistiques majeurs depuis le Maroni et l’Oyapock. Cette neutralisation ne peut être que tripartite. D’ici là, les garimpeiros vont continuer à creuser.

Français

Malgré l’opération Harpie lancée en 2008, l’orpaillage illégal en Guyane est synonyme d’insécurité, de problème de santé publique, de destruction de l’environnement et de préjudice financier. Pour faire face à ce fléau, la réponse doit être militaire, judiciaire, économique et diplomatique ; mais ces conditions ne sont pas réunies.

English

The Fight Against Covert Gold Panning in French Guyana: Still Not Won!

Despite operation Harpie launched in 2008, illegal gold panning in French Guyana is synonymous with insecurity, public health problems, the destruction of the environment, and financial damage. To confront this scourge, a military, judicial, economic, and diplomatic response is required; but these conditions have not been amassed.

Sébastien Escat
Chef de bataillon. Officier de l’Armée de terre et Saint Cyrien. Stagiaire de la 22e promotion de l’École de Guerre (« Maréchal Leclerc »).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.779.0044
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