CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 En 1919, dans un poème intitulé Les Scythes[1], le grand poète russe Alexandre Blok lançait déjà, de la part des Russes, un avertissement aux Européens :

Les Scythes c’est nous ! Les Asiates, c’est nous…
Entre deux races ennemies
L’Européen et le Mongol tenant le bouclier
Nous étions l’esclave soumis ! …
Mais désormais… nous ne voulons que regarder,
Sans vous servir de bouclier, la lutte à mort
Du regard de nos yeux bridés…
Le Hun cruel nous le laisserons faire !

2 Un siècle plus tard, nous n’avons toujours pas compris combien nous sommes vulnérables à notre Est si le peuple russe, notre frère et notre voisin, demeure au ban de la grande famille européenne. En d’autres termes, il est temps que les Européens découvrent que leur « petit cap de l’Asie » fait surtout partie de l’Eurasie.

3 L’Eurasie, ce n’est pas seulement l’Union douanière créée en 2011 et l’Espace économique unique qui s’en est suivi entre Biélorussie, Kazakhstan et Russie. Cette première initiative a été prolongée en 2014 par une Union économique eurasienne qui ajoute au premier noyau l’Arménie, le Kyrgyzstan et, bientôt peut-être, le Tadjikistan  [2]. Avant même que n’existe cette union économique, les six pays concernés ont bénéficié d’une défense commune dans le cadre de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC)  [3]. Mais le concept eurasien couvre un espace beaucoup plus vaste : une immense étendue liant tout ou partie de l’Europe à la Russie et à certains pays du Caucase et de l’Asie centrale, à l’exclusion cependant de la Chine ou de l’Iran. Fédéré, organisé, défendu, cet espace pourrait être porté au niveau des hyperpuissances américaine ou chinoise. Moscou trouverait ainsi une porte de sortie à son alliance risquée avec Pékin au sein de laquelle elle devrait avoir de plus en plus de difficultés à contrebalancer le potentiel croissant et les avancées de toutes sortes de son colossal partenaire chinois.

4 Les États-Unis, comme la Chine, paraissent conscients – beaucoup plus que l’Europe – de l’émergence possible d’une grande puissance au centre de « l’île mondiale ». Il semblerait qu’ils fassent déjà, chacun à leur façon, tout leur possible pour prévenir l’apparition d’une puissance intermédiaire « pivot du monde », qui serait admirablement placée pour leur tenir tête.

5 Après un court historique sur l’Eurasisme, on analysera ci-après à grands traits les manœuvres américaines et chinoises pour contrecarrer ou récupérer le « basculement vers l’Est »  [4] qui s’annonce en Europe. On évaluera enfin les chances d’une émergence de l’Eurasie au cœur des sous-ensembles russo-biélorusse, centre-asiatique et aussi européen.

Quid de l’Eurasisme ?

6 Le peuple russe eut la paternité de l’Eurasisme dans les années 1920 au sein de l’émigration blanche. Les Soviétiques étaient hostiles à ce mouvement de pensée. Il fallut donc attendre le déclin de l’URSS pour voir réapparaître le Néo-Eurasisme avec, d’abord, pour chef de file, Alexandre Douguine vite contesté pour ses penchants visionnaires, impérialistes et ultra-orthodoxes. Aujourd’hui, c’est plutôt Evguenii Primakov, homme d’État connu pour sa modération, qui serait le promoteur d’un nouvel Eurasisme débarrassé de tout un fatras mystique. On peut limiter son objectif à l’organisation d’un ensemble de nations chrétiennes et musulmanes à cheval sur l’Europe et l’Asie afin de tenir en respect, selon une optique géopolitique, les puissances de la mer, surtout anglo-saxonnes et protestantes, participant d’un autre monde. Le nouvel Eurasisme n’est pas pour autant hostile à l’Europe occidentale : bien au contraire, il semble mettre en avant le refus de toute visée impériale et de tout « anti-occidentalisme ».

7 À vrai dire, dans la zone envisagée par le nouveau courant, l’Europe occidentale, catholique ou protestante, souvent libérale, ne figure pas. Poutine, qui accepte une image de marque eurasiste, a inclus pourtant, le 25 novembre 2010, le Vieux Continent dans ses projets, par sa formule « l’Europe de Lisbonne à Vladivostok »  [5]et cela dans un esprit de coopération.

8 Noursoultan Nazarbaev, de son côté, est à sa façon un pionnier de l’idée eurasiste puisque, dans un discours prononcé le 29 mars 1994 à l’université d’État de Moscou, il a été le premier à proposer une application politique du concept et a fait signer dans sa capitale Astana, le 29 mai 2014, le traité fondateur de l’Union économique eurasienne. L’apparition d’une telle organisation, originale et bien située, ne pouvait qu’éveiller les réactions des hyperpuissances américaine et chinoise…

La manœuvre américaine

9 En Europe, les inquiétudes américaines sont apparues avec la création de North Stream qui créait, via la Baltique et l’Allemagne, un lien gazier très fort, jugé excessif entre l’Europe du Nord et la Russie. Le fait que Moscou ait lancé South Stream pour l’Europe du Sud a alarmé Washington et l’a encouragé à intervenir souterrainement en Ukraine, point idéal de blocage des initiatives d’ouverture russes vers l’Europe comme de la future route de la soie chinoise. La récupération par Moscou de la Crimée et, accessoirement, de ses approches maritimes riches en gaz, n’a fait qu’ancrer Washington dans sa détermination d’interdire à partir de l’affaire ukrainienne les velléités de rapprochement entre la Russie et certains pays d’Europe.

10 L’impact, sous le poids de l’opinion, du repli des États-Unis vers la zone du Pacifique et « la forteresse américaine » ne doit pas être exagéré : le contrôle de l’Europe occidentale est si important pour les Américains que, s’il le faut, ils ne manqueront pas de s’engager en Ukraine, mais en deuxième ligne, en livrant des armements, en manipulant l’Otan, en poussant devant eux les pays « activistes » européens : la Pologne en particulier. L’apparition en Amérique d’une administration républicaine ne ferait qu’augmenter cet interventionnisme au petit pied.

11 En attendant, la manœuvre entamée par l’actuelle administration démocrate se réfère, au moins depuis le début de la crise syrienne, à une hostilité quasi systématique des États-Unis à l’encontre de la Russie. Elle se traduit, selon certains spécialistes russes, par l’instauration d’un « chaos dirigé » mené avec des moyens assez limités, souvent militaires et clandestins, à partir de bases ou de flottes prédisposées loin de la « forteresse américaine » et de la zone prioritaire (depuis 2012) de l’Asie-Pacifique. D’un point de vue surtout défensif, elle consiste à maintenir des forces armées dans des États jugés « sensibles » (présence du contingent limité Resolute Support en Afghanistan), à soutenir sur le terrain des alliés (Irak) ou à prendre le contrôle indirect de points névralgiques (Ukraine), qui permettent d’assurer une veille, voire une interdiction sur certains axes stratégiques.

Le rêve chinois

12 Le président Xi Jinping, homme d’envergure au même titre que Poutine – avec lequel d’ailleurs il s’entend bien – a multiplié, depuis sa prise de pouvoir fin 2012, les déclarations énergiques. Le « rêve chinois » et la « renaissance du peuple chinois » sont les nouveaux slogans mobilisateurs qui prolongent « la montée en puissance pacifique » de ses prédécesseurs  [6]. Au titre du « rêve chinois » le président Xi a annoncé, en 2013, une « nouvelle route de la soie, maritime et terrestre ». Le 28 mars 2014, il était à Duisbourg, port intérieur de Rhénanie, à l’arrivée du Yuxinou[7], le train de conteneurs chargé de matériel informatique chinois en provenance de Chongqing : 11 000 kilomètres, mais seulement seize jours de trajet à un prix à peine supérieur à celui du fret maritime. Pékin a pris soin de déclarer que cette « ceinture économique » ne viendrait pas concurrencer l’Union douanière, mais existerait en parallèle  [8]. Dans ses variantes routières, ferroviaires et même énergétiques (gazoducs et oléoducs), elle relierait la façade côtière chinoise au cœur de l’Europe via le Xinjiang, l’Asie centrale, la Russie, l’Ukraine ou la Biélorussie, et la Pologne.

13 Il apparaît que la Chine s’évertue à établir la jonction (ferroviaire, routière, conduits de gaz et de pétrole) entre des tronçons existants – elle fait cela depuis dix ans – mais aussi à moderniser certains de ces itinéraires : création, par exemple, d’une liaison ferroviaire rapide entre Pékin et Moscou, prolongée vers Berlin et Paris.

14 Couverts par des précautions oratoires de Pékin, ces immenses travaux  [9], véritablement pharaoniques, pour certains d’entre eux inachevés, concurrencent bien entendu le projet eurasien moscovite puisqu’ils interviennent souvent dans le « pré carré russe » : la Sibérie, l’Asie centrale… Par ailleurs, ils sont déjà l’occasion pour le soft power chinois d’établir des contacts « innocents » de toutes sortes (techniques, économiques, commerciaux, financiers, culturels, etc.), avec les pays centre-asiatiques. Ils s’accompagnent d’implantations de populations han, notamment au Kyrgyzstan et au Tadjikistan  [10]. À la longue, dans les régions les plus réceptives, ils seraient une entrave efficace à l’influence et au commerce d’autres nations : russe, européennes, turque, iranienne, anglo-saxonnes, etc. Les crédits consentis rendraient l’installation chinoise assez indéracinable. Cette politique connaît une certaine réussite au Tadjikistan, mais surtout au Turkménistan relié bientôt à la Chine par trois gazoducs prévus pour le transport annuel de 60 milliards de m3. Ainsi, la supériorité économique de la Chine pourrait rivaliser peu à peu avec la supériorité militaire des États-Unis, mais non sans alerter la puissance russe… On verra cependant que, grâce à l’aveuglement des Américains et des Européens, une sorte de connivence économique et stratégique vient de se mettre en place entre Moscou et Pékin qui, suite aux engagements gaziers consentis en Sibérie  [11], devrait se maintenir au-delà du moyen terme. Cette connivence peut aller très loin : n’envisage-t-on pas, en secret, en cas d’infiltrations caractérisées des taliban et du Mouvement islamiste d’Ouzbékistan (MIO) au Tadjikistan, une défense en commun de ce pays, les Russes se chargeant du Tadjikistan proprement dit et les Chinois de la Province autonome du Gorno-Badakhchan ?

15 En bref, quoique concurrents, Russes et Chinois parviennent à s’entendre. Paradoxalement la Chine, par ses réalisations économiques, favorise la cohésion et le développement de la future Eurasie.

L’émergence de l’Eurasie est-elle concevable ?

16 Trois sous-ensembles de l’Eurasie seront étudiés : le sous-ensemble russo-biélorusse, le sous-ensemble centre-asiatique, et, d’une façon sommaire, le sous-ensemble européen.

Le sous-ensemble russe et biélorusse

17 L’Union économique eurasienne qui vient d’apparaître est une organisation structurée, nantie d’un programme précis jusqu’en 2025  [12]. Mais son principal atout est de comporter un noyau solide dont on pense qu’il sera une véritable « locomotive » pour l’intégration des pays acceptés dans la communauté. « La troïka eurasienne » – Astana, Minsk et Moscou – présente, à ce que disent ses acteurs, un potentiel attirant aussi bien en direction de l’Europe que de l’Asie centrale. Mises ensemble, les trois nations représentent 80 % du potentiel économique de l’ex-URSS avec un outil industriel assez considérable, des capacités agricoles suffisamment développées et un marché de 170 millions de consommateurs. Cela a suffi pour entamer en 2014 un processus d’adhésion amorcé par l’Arménie et le Kyrgyzstan. Il ne faut surtout pas voir dans cette évolution un retour à l’Union soviétique : les partenaires russe, biélorusse et kazakh montrent seulement aux nouveaux adhérents qu’ils cherchent des possibilités inédites de coopération et de réussite. Cela est obtenu par le dialogue et même par des différends qui ne dégénèrent pourtant jamais en conflit idéologique comme le cauchemar ukrainien a pu en donner une idée. Est-il besoin de signaler que le conflit ukrainien s’est amorcé lorsque l’Ukraine de Yanoukovitch a envisagé en fin 2013 son entrée dans l’union douanière et qu’il s’est approfondi lorsque le nouveau pouvoir à Kiev a formé le projet d’entrer dans l’Otan, ce qui serait se présenterait comme déstabilisant pour Moscou ?

18 Dans la mesure où l’hostilité actuelle entre l’Otan – bras armé des États-Unis – et la Russie se maintiendra, le pouvoir poutinien trouvera dans son peuple le soutien nécessaire à sa résistance comme au projet eurasien : jamais la Russie n’est aussi unie que lorsqu’elle se perçoit acculée le dos au mur !

19 Une opposition à des initiatives, voire à des empiétements chinois serait encore mieux accueillie par une population qui demeure sensible au danger qui, dans l’esprit des Russes, continue à stagner aux frontières de l’est, notamment celles de Sibérie, face à la fourmilière han.

20 Dans l’immédiat, toutefois, une réussite de l’Eurasie est quelque peu suspendue aux résultats de la guerre économique lancée par Washington contre Moscou : une atténuation du cauchemar ukrainien, de la crise du pétrole, de la chute du rouble et de la récession en Russie relancerait le processus d’Union eurasienne… Voilà pourquoi, sans doute, la crise actuelle a la vie dure ! La Biélorussie n’en devient pas moins un pont vers l’ouest : aujourd’hui, dans le bazar kirghiz de Dordoï les négociants chinois s’adaptent à la nouvelle union économique en expédiant leurs matériels et articles directement vers Minsk, à charge pour les Biélorusses d’assurer la réexpédition en Europe occidentale. Et cela marche !

21 On peut dire que l’Eurasie se crée d’elle-même sur le terrain autant par l’intégration des États que par le jeu des initiatives mercantiles.

Le sous-ensemble centre-asiatique, entre Eurasie, Chine et islam

22 Soulignons d’emblée qu’en Asie centrale la Russie bénéficie face à la Chine de l’appui, voire de la sympathie, de la majorité de la population centre-asiatique : le Chinois, en effet, fut de tout temps redouté dans cette région. Cela demeure l’atout principal de Moscou.

23 Dans cette zone, la grande menace concerne deux mouvances qui, souvent, ont partie liée : l’islamisme, d’une part et le trafic de drogues, d’autre part. La création de l’Eurasie serait l’occasion de contrecarrer efficacement – enfin ! – la pénétration de l’héroïne afghane qui inonde la Russie et en fait le premier consommateur mondial.

24 Avec le soutien du Kazakhstan, qui semble faire de l’Eurasisme son combat, mais aussi du Kyrgyzstan et du Tadjikistan – futur membre de l’Union eurasienne – on peut considérer que la moitié de l’Asie centrale est déjà acquise aux thèses de Moscou, à condition, bien sûr, que chaque pays puisse en tirer avantage  [13] et que son indépendance n’en soit pas compromise.

25 Face aux menaces islamistes et maffieuses venues d’Afghanistan, les pays de première ligne, le Tadjikistan et même l’Ouzbékistan et le Turkménistan non membres de l’OTSC, seront tous défendus par cette organisation militaire, si besoin est : cela pourrait se produire dès le printemps 2015, au moins par des accrochages frontaliers. En effet, selon Moscou, dès ce mois de janvier, les taliban et, surtout, les islamistes du MIO (Mouvement islamique d’Ouzbékistan) disposent de près de 1 000 guérilleros à la frontière tadjike, prêts à s’infiltrer vers le Ferghana et de 2 500 sur les confins turkmènes menaçant le gisement de gaz de Galkynych  [14].

26 Notons, par ailleurs, que le Turkménistan, véritable émirat gazier, pourrait devenir, un jour, une pomme de discorde entre Pékin et Moscou.

27 Les nouvelles ambitions chinoises seront-elles compatibles avec une avancée de l’Eurasie en Asie centrale ? Même s’il se découvre des ambitions maritimes, l’Empire du Milieu reste une puissance continentale. Les escarmouches en mer de Chine ne doivent pas faire oublier que les zones centre-asiatiques et sibériennes, si calmes aujourd’hui, demeurent une priorité pour « la diplomatie périphérique » très dynamique de Pékin  [15].

28 Une rivalité de la Chine et de la Russie, voire une hostilité entre elles, demeurent donc envisageables. Remarquons que l’Eurasie centre-asiatique actuelle (Kazakhstan plus Kyrgyzstan) permettrait d’exercer, par le contrôle de l’essentiel des frontières du Xinjiang, une pression très forte sur cette province chinoise de l’ouest qui, faisant partie intégrante de l’Asie centrale, demeure très sensible à son voisinage. Dans ce contexte, l’Eurasie actuelle serait déjà suffisante pour réfréner les débordements du « rêve chinois ». Une situation d’équilibre relatif pourrait en résulter dans le meilleur des cas. Dans le pire, l’extrémisme islamiste qui sévit aujourd’hui au Xinjiang se propagerait dans le reste de l’Asie centrale. En ce sens, l’extension en cours de l’union économique eurasienne en Asie centrale favorisera la stabilité de cette poudrière potentielle.

Le sous-ensemble européen vu de Moscou

29 Aux yeux des Russes, l’atlantisme est bien ancré au Benelux (organisations européennes et siège de l’Otan), dans les pays riverains de la Baltique (Pays baltes, pays scandinaves), dans certains pays d’Europe centrale (Tchéquie, Croatie, Roumanie et surtout Pologne) qui ont tendance à se sentir menacés par la Russie et voient dans l’Otan un bouclier providentiel.

30 Les autres pays européens paraissent, vus de Moscou, beaucoup plus fluctuants, notamment la Grèce, sœur orthodoxe en difficulté, les pays latins (en particulier la France et l’Italie), certains pays centraux (Hongrie, Bulgarie) plus Chypre  [16] et, hors Union européenne, la Moldavie, la Macédoine et surtout la Serbie, sœur orthodoxe et slave : une crise européenne, en particulier un effondrement de l’euro, pourrait rapprocher certains de ces pays d’une Russie qui serait pour eux, dans cette situation, un marché inespéré… voire un modèle étatique, car – on ne le souligne pas assez – l’ordre règne en Moscovie !

31 Malgré les apparences, les pays germaniques (Allemagne et Autriche) appartiendraient aussi aux nations fluctuantes : l’orientation vers la Russie et la Chine d’une part croissante de leur économie, leur position géostratégique, mais aussi de nouvelles tensions sociales (manifestation anti-immigrants à Dresde) les rendent à présent plus favorables au maintien d’une coopération poussée avec l’Est.

32 Quant à la Grande-Bretagne, européenne par opportunisme, elle est tout naturellement prête à prendre le large en direction, bien sûr, des États-Unis !

33 En résumé, si l’Eurasie a de bonnes possibilités d’extension en Asie centrale, en revanche, du côté de l’Europe occidentale, ses capacités d’émergence demeurent limitées. Mais l’avenir peut modifier du tout au tout cette approche actuelle.

34 ***

35 L’Eurasie qui pourrait lier étroitement des peuples chrétiens et musulmans, attirer vers l’Europe des populations caucasiennes et centre-asiatiques attachantes, entremêler des ensembles économiques très complémentaires, demeure un grand rêve assailli de toutes parts, presque irréalisable… Pourtant, le lien terrestre entre l’Europe et la Chine devenant peu à peu plus rentable que le maritime, l’ensemble eurasien naît déjà à partir des initiatives locales des acteurs économiques. Par ailleurs, aussi bien à Moscou et Astana qu’à Paris et Berlin, un élément unificateur qu’il ne faut pas sous-estimer interviendra ces prochaines années : l’ampleur des crises économiques, financières, sociales, qui attendent ces quatre capitales et leurs voisins pourrait bien les obliger à se rapprocher, tant la mise en commun de leurs destins deviendra impérative face aux menaces notamment islamistes du monde environnant. Le salut de l’Europe, de la Russie et de l’Asie centrale s’appellera alors, peut-être, Eurasie…

Notes

  • [1]
    Ce poème prémonitoire est longuement commenté dans la monographie Le milieu des empires : entre Chine, URSS et islam, le destin de l’Asie centrale, p. 111, de René Cagnat et Michel Jan, Robert Laffont, 1981, réédité en 1990.
  • [2]
    Pour plus de précisions cf. la lettre Eurasia Focus n° 55, AESMA, janvier 2015.
  • [3]
    ODKB en russe.
  • [4]
    Cf. l’article d’Alexandre Latsa : « Le grand basculement du monde vers l’Asie est quasiment inévitable » (http://alexandrelatsa.ru/).
  • [5]
    Poutine propose une zone de libre-échange avec l’Europe (www.lefigaro.fr/).
  • [6]
    Cf. la conférence de Michel Jan : « La stratégie de Xi Jinping » (8 décembre 2014), parue dans Lettre Asie 21 de janvier 2015.
  • [7]
  • [8]
    Cf. l’article traduit en français, sous le titre « La Chine leader régional ? » de la journaliste kyrgyze Natalia Timirbaeva dans la livraison du 24 janvier 2015 de Francekoul.
  • [9]
    Selon une déclaration de la municipalité de Pékin (22 janvier 2015), le TGV Moscou-Pékin s’étendra sur 7 000 kilomètres, coûtera 242 milliards de dollars. La durée du trajet sera de deux jours.
  • [10]
    Limité à quelques centaines d’individus en 1991, le peuplement chinois (souvent clandestin) est estimé aujourd’hui au Kyrgyzstan à 100 000 personnes, soit déjà 2 % de la population. Les Chinois n’en reconnaissent que 30 000.
  • [11]
    En 2014, la Russie a conclu avec la Chine deux énormes contrats gaziers : le premier, d’un montant de 400 milliards de dollars, prévu pour trente ans, organise l’envoi du gaz de Sibérie orientale vers le dong Beï (Mandchourie) ; le second agence le transport d’une partie du gaz de Sibérie occidentale vers le Xinjiang. À partir de 2018, les quantités supplémentaires exportées pourraient dépasser 60 milliards de m3 !
  • [12]
    Ibidem, note 2.
  • [13]
    Ce qui est présentement plus difficile à cause des sanctions occidentales contre la Russie.
  • [14]
    Cf. Asia Plus du 27 décembre 2014 et article de Ivan Lizan dans centrasia.ru (19 janvier 2015). Le gisement gazier de Galkynych serait le deuxième en importance au monde. Même si les effectifs terroristes mis en jeu paraissent réduits, la menace n’en est pas moins considérable.
  • [15]
    Ibidem note 6.
  • [16]
    Chypre est sur le point d’accorder aux Russes sur son territoire des facilités et droits d’escale qui équilibrent ceux dont dispose déjà la Grande-Bretagne – et donc l’Otan – à Akriotiri.
Français

La question du positionnement de la Russie entre Europe et Asie, avec la crise en Ukraine, a remis au goût du jour la notion d’Eurasie, qui donnerait une cohérence et une continuité géographique et de civilisation à un espace où les enjeux stratégiques sont imbriqués et complexes.

English

From Ukraine to Central Asia, Eurasian Stakes

The controversy over the positioning of Russia between Europe and Asia, with the crisis in Ukraine, has reopened the notion of Eurasia, which would give coherence and a geographic and cultural continuity to a space where strategic issues are interlinked and complex.

René Cagnat
Colonel (CR), docteur en sciences politiques, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris)
Serghieï Massaoulov
Docteur en philosophie, directeur du Centre de recherches prospectives (Kyrgyzstan).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.779.0103
Pour citer cet article
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