CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La cristallisation d’un discours sur le « déclin » du modèle social français en 2005-2007 exprime l’inflexion du débat public national dans le sens d’une forme d’autocritique. Le « constat » de la « crise » du modèle français réunit des commentateurs divers, qui s’opposent plus sur les causes et les conséquences de celle-ci que sur son existence, voire sur celle d’un « modèle social » facilement définissable.

2Cet article a pour but de reconstituer les principaux traits et la dynamique des usages socio-politiques de cette notion durant la période 2005-2007, en s’appuyant sur un corpus de textes d’opinion et une série d’entretiens avec plusieurs acteurs de ce débat [1].

3Dans un premier temps (§1), nous rappelons quelles sont les racines historiques et idéologiques du discours consistant à « mettre en crise » le modèle social français. Nous analysons ensuite (§2) les principaux traits lexicaux et rhétorico-argumentatifs de ce discours à partir d’un corpus strictement délimité de textes d’opinion. Enfin, la dynamique du débat ou de la controverse est restituée à partir de ces textes et d’un ensemble d’entretiens réalisés auprès de ses protagonistes (§3).

4Le succès public de la notion de « modèle social français » s’impose au cours de l’année 2005. Peu présente jusque-là même si son usage progresse tendanciellement, l’expression « modèle social » est surtout associée à l’Europe, comme le montrent les textes de congrès syndicaux [2] ou ceux qui sont regroupés dans la « Collection des discours publics ».

Tableau 1

Modèle social dans la base de données « Collection des discours publics » (1990-2006)

Tableau 1
1990-1994 1995-1999 2000-2004 2005 2006 Titres et mots-clés 4 41 23 25 6 Texte intégral 85 584 1 626 567 362

Modèle social dans la base de données « Collection des discours publics » (1990-2006)

5L’année 2005 ne marque pas seulement le succès d’une nouvelle locution visible à sa diffusion notable dans les discours publics. A travers elle, c’est un ensemble de ressources et de techniques argumentatives fondées sur la valorisation des « expériences étrangères qui marchent », qui s’imposent au centre du débat économique et social français. Le modèle social français donnerait de nombreux signes d’épuisement. Ses performances seraient médiocres, surtout lorsqu’on les compare à celles de pays proches. Cela rendrait urgente sa redéfinition, voire son abandon, au profit d’un nouveau modèle.

6Derrière ces formulations mille fois entendues ou lues depuis lors, il est vain de chercher une définition du modèle social français qui serait commune aux acteurs et commentateurs qui l’invoquent : tantôt l’on désigne à travers lui le système de protection sociale, tantôt le système de relations professionnelles, les services publics, le droit du travail, l’Ecole républicaine, tantôt encore un mélange particulier de ces divers traits, auxquels peuvent s’ajouter ponctuellement tels ou tels aspects du tempérament ou de l’histoire politique, économique, sociale nationale. « Modèle social français » prend sens, avant tout, comme opération idéologique de mise en comparaison entre le « système social » relativement cohérent qui caractériserait la France et d’autres « traditions », systèmes ou trajectoires nationaux. A travers lui, chacun développe sa vision d’une société et d’une économie confrontées aux mises en cause qu’implique l’insertion dans un système socio-économique désormais mondial et intensément compétitif.

7L’usage public accru de la notion de « modèle social français » n’est pas totalement sans lien avec des productions savantes – notamment dans le domaine de la comparaison internationale des systèmes économiques et sociaux ou des types d’Etat-providence [3] –, mais il s’en éloigne néanmoins à beaucoup d’égards, comme si une fois la doxa constituée, elle pouvait en quelque sorte se déployer de façon indépendante, sans qu’aucune des ambiguïtés ni que le flou qui la caractérise de façon fondamentale ne s’estompent jamais vraiment ; cela oblige les acteurs/auteurs à un perpétuel travail de définition laissant largement intact le schéma argumentatif principal qui a fait le succès de la locution. Il est vrai que le discours idéologique a pour caractéristiques son lien extrêmement lâche avec des objets empiriques scientifiquement délimités, son caractère instrumental qui en fait un cas particulier de discours performatif [4] et sa dimension fortement contextuelle, qui le lie étroitement à l’adhésion partiellement inconsciente des récepteurs [5].

1 – Les racines de la « mise en crise » du modèle social français

8Le succès de l’expression « modèle social français » et de l’usage argumentatif spécifique qui vient d’être décrit a été préparé depuis longtemps par les succès intellectuels et médiatiques – plus ou moins éphémères – des modèles scandinave ou nordique, allemand, japonais, américain, anglais, néerlandais, suédois, danois, etc., qui avaient été tour à tour ou simultanément offerts en exemples aux décideurs politiques, confrontés depuis la fin des années 1960 à ce que Michel Crozier décrivait comme une « société bloquée » [6]. La mise en crise du modèle social français peut néanmoins être interprétée comme l’aboutissement d’une dynamique idéologique qui se cristallise vraiment au début des années 1980.

9Ce mouvement se caractérise par la remise en cause d’un Etat-providence jugé inadapté dans le contexte de la mondialisation et face à une crise économique devenue structurelle. En France, comme dans d’autres pays développés, la prétendue « générosité » du système social issu de l’après-guerre est pointée du doigt par divers acteurs et commentateurs comme l’une des sources majeures d’inefficacité économique et sociale. Avec des variations conjoncturelles, qui vont s’accompagner de la valorisation de succès étrangers très variables, cette thématique ne changera guère, dans ses fondements, des premiers essais critiques sur les limites de l’Etat-providence jusqu’aux discours sur le modèle social français. La thématique du modèle social français apparaît ainsi au premier abord comme une déclinaison conjoncturelle de thèmes présents dans l’espace public depuis une trentaine d’années environ.

Encadré 1. La crise de l’Etat-providence[*]

Le discours sur le modèle social français peut être assimilé à la nouvelle version d’un discours plus global sur la crise de l’Etat-providence, qui se déploie à partir des années 1970, en France comme dans d’autres pays. Cette remise en cause s’est opérée en deux temps : d’abord dans le cadre de débats et de discours relatifs à l’érosion du système de représentation dans les années 1970, ensuite à travers la mise en œuvre de nouvelles politiques dans les années 1980. Le thème du déclin de l’Etat-providence repose sur l’idée que celui-ci se révèle incapable de faire face à la crise économique, alors que les Trente Glorieuses avaient pu entretenir la croyance en un Etat capable d’avoir réponse à tout. Au début des années 1980, de nombreux experts décrivent l’Etat-providence « keynésien » en crise. Ces thèses sont développées par Pierre Rosanvallon dans ses ouvrages La crise de l’Etat-Providence et La nouvelle question sociale. Repenser l’Etat-Providence. Il s’agit d’une triple crise : financière, de légitimité et d’efficacité. Le « voile de l’ignorance » (John Rawls, Théorie de la Justice (1971), Seuil 1987) concernant les dépenses du Welfare State, acceptées pendant les Trente Glorieuses, s’est peu à peu déchiré. Les limites économiques de l’Etat-providence ont été avancées par M. Crozier, dans La société bloquée – Etat modeste Etat moderne (1970) ou encore par le Rapport Nora, en avril 1967, sur les entreprises publiques (La documentation française, 1968) : l’Etat-providence s’est développé dans le cadre d’une « économie fermée », son ébranlement est un sous-produit du mouvement d’ouverture des frontières. Les deux chocs pétroliers affectent par la suite les deux composantes de l’Etat-providence : sa dimension économique mais également sa dimension sociale. Parallèlement à ces difficultés économiques, un discours se développe autour de la perte de fiabilité de l’Etat et de l’allergie aux contraintes administratives. Des courants idéologiques très divers et parfois opposés multiplient les attaques contre l’Etat-providence. Le thème de l’Etat inefficace apparaît dès les années 1960 par exemple, et se focalise sur la rigidité, le formalisme ou encore la lenteur bureaucratique (cf. le discours de J. Chaban Delmas le 16 septembre 1969 sur l’Etat « tentaculaire » et « inefficace »), mais elles s’inscrivent dans une démarche « positive » visant à améliorer les méthodes de gestion publique ; au même moment les préceptes managériaux commencent à se diffuser dans la haute fonction publique. Les débats des années 1970 et surtout 1980 se situent dans une tout autre perspective : il s’agit davantage de critiques négatives mettant en cause les bienfaits de l’Etat-providence et de la régulation étatique. Au premier rang de ceux-ci figure l’école du Public choice, et en France des essayistes comme A. Minc (1987) ; plus récemment des économistes de la concurrence comme J.-J Laffont (voir par exemple l’ouvrage Etat et gestion publique, 2000). Le thème de l’Etat oppressif est au cœur des thèses des « nouveaux philosophes » à la fin des années 1980. Ils développent une vision très négative de l’Etat-providence, présenté comme une contrainte, réduisant la marge de liberté individuelle, derrière lequel se profile le spectre du totalitarisme (B.-H. Lévy, 1976). Ce discours fera écho quelques années plus tard dans la doctrine juridique qui dénoncera la notion de « service public » comme « liberticide » (P. Delvolvé, « Service public et Libertés publiques », RFDA, 1985). Ces nouveaux discours prônent soit la régulation par le marché, soit la place croissante de la société civile, soit encore « la deuxième révolution individualiste ». Cette inflexion des représentations idéologiques débouche dans les années 1980 sur un ensemble de mesures concrètes d’adaptation de l’Etat-providence. Les politiques publiques contribuent ainsi à les traduire dans les institutions et les pratiques, de façons variables et complexes. Dès 1994, en parlant de « préférence française pour le chômage », Denis Olivennes (1994) avait contribué à caractériser la France comme une exception négative dans le domaine de l’emploi dans une note de la Fondation Saint-Simon, toujours beaucoup citée. Plus récemment, en France, plusieurs rapports officiels souvent cités contribuent à la légitimation et l’accélération de ces politiques publiques de « modernisation ». Le rapport Camdessus a, en 2004, mis en évidence les exemples de pays (Finlande, Suède, Danemark, Grande-Bretagne et Canada) qui ont réussi les réformes visant à transformer leur modèle de croissance. En 2005, le rapport Péberau développe des préconisations très proches dans l’optique d’une stabilisation de la dépense publique et d’une réduction de la dette de l’Etat, rendues possibles par les « réformes structurelles ». La commission pour la libération de la croissance française (commission Attali) mise en place en août 2007 illustre la volonté du nouveau président de « conduire la réforme tambour battant » (p. 26). « L’Etat et les autres collectivités publiques doivent être très largement réformés. Il faudra réduire leur part dans la richesse commune, concentrer leurs moyens sur les groupes sociaux qui en ont réellement besoin, faire place à la différenciation et à l’expérimentation, évaluer systématiquement toute décision, a priori et a posteriori » (p. 19).

10Le destin de la notion de modèle social est, cependant, spécifique. Il est très lié aux débats européens. Dans les années 1990, la promotion du « modèle social européen » est, en effet, à l’ordre du jour, notamment à gauche de l’espace politique et dans le champ syndical, à la suite du second « livre blanc » de Jacques Delors qui le popularise en 1993. Face à la montée de l’« euroscepticisme », cette notion vise à rééquilibrer une construction européenne qui s’est principalement appuyée jusque-là sur la politique économique et sur la construction d’un grand marché, puis de l’union monétaire ; elle a aussi pour fonction d’opposer la construction européenne à un modèle américain, perçu à la fois comme inégalitaire et comme concurrent, auquel l’Europe doit se mesurer. On retrouve cette thématique du modèle social européen dans les débats du référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005, d’autant que l’« euroscepticisme » a désormais un fort contenu social, qu’illustrera d’ailleurs le succès des votes d’opposition au projet de référendum dans les catégories populaires [7]. C’est alors de la droite du champ politique que surgira la problématique de l’avenir du modèle social français, qui se déploie rapidement à l’occasion de la montée en puissance puis du succès du « non ».

11Ce succès témoigne aussi d’un certain renouvellement du débat public national, que l’on pourrait caractériser par la généralisation de la comparaison dépréciatrice : la France est constituée en contre-modèle sous le rapport de ses performances et c’est sur la base de ce constat que la nécessité de réformes s’impose comme une évidence logique. Du succès médiatique et politique du « classement de Shangaï » des universités, en passant par la mise en place des benchmarks de la stratégie européenne pour l’emploi [8], sans oublier les comparaisons omniprésentes de la compétitivité, des systèmes juridiques [9], éducatifs [10], de santé [11], etc., tous les secteurs de la société française sont soumis à une politique de la comparaison qui conduit généralement à des réévaluations à la baisse, en prétendant échapper à toute considération idéologique pour ne s’appuyer que sur des faits. La thématique du modèle social français peut ainsi apparaître, en premier lieu, comme une cristallisation récente de la généralisation de cette pratique à tous les secteurs sociaux. Les intellectuels regroupés sous le label médiatique de « déclinologues » s’en sont faits les promoteurs actifs, en mettant en avant la chute de la France à l’aune des comparaisons internationales [12]. La multiplication des pratiques de benchmarking a renforcé cette tendance. Comme nous l’indique un enquêté, « ce qui a également contribué à faire évoluer le débat, c’est que les journalistes français ont commencé à faire de plus en plus de benchmarking : il y a trois-quatre ans, dire qu’il y avait des choses à prendre au Royaume-Uni était encore inaudible, on ne pouvait pas le dire, alors qu’aujourd’hui on voit presque tous les jours à la télé des trucs qui marchent ailleurs » (homme, expert à l’Institut Montaigne). Une variante plus savante existe aussi : en 2005, Olivier Blanchard (2005), professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology, décrit la France comme une « exception » (négative) pour ses performances en matière d’emploi : taux de chômage, durée du chômage, taux d’emploi, risque de chômage. Un mois plus tard, André Sapir, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, réalise une étude dans le cadre de l’Institut Bruegel sur la « réformes des modèles sociaux européens » [13]. Il y distingue quatre modèles sociaux : « les pays nordiques, qui offrent de hauts niveaux de dépenses sociales et une protection universelle ; les pays anglo-saxons, qui accordent une assistance sociale en dernier ressort ; les pays continentaux, distribuant de l’assurance sociale, des prestations de chômage et des pensions de retraite ; les pays méditerranéens, qui concentrent leurs dépenses sociales sur les pensions de retraite et admettent une forte segmentation des statuts. Les performances des quatre groupes sont comparées et la sentence est sans appel : les modèles des pays méditerranéens et continentaux sont condamnés (…). Le modèle continental auquel la France appartient, doit donc d’urgence se réformer » [14].

12L’impératif de la comparaison des performances internationales s’ancre dans les récentes évolutions des politiques publiques européennes, qui ont mis de nouvelles techniques politico-économiques, les procédures de benchmarking, sur le devant de la scène [15], en en faisant le cœur des nouvelles méthodes de gouvernance. La « stratégie européenne pour l’emploi », née en 1997 d’une impulsion social-démocrate, fait figure en la matière de laboratoire et de référentiel implicites [16]. Importées du secteur marchand, comme plus largement les diverses techniques du new public management (création d’agences indépendantes de financement et de contrôle, segmentation fonctionnelle des institutions publiques, contractualisation, etc.), ces procédures conduisent à aligner les institutions et les pratiques nationales sur des benchmarks qui servent de référence aux pays les moins performants. La notion de best practice peut ainsi être décrite comme l’incarnation d’un modèle au sens le plus normatif et aussi immédiatement opérationnel du terme : il paraît toujours naturel de vouloir imiter les meilleures pratiques. A travers l’évaluation des inputs et des outputs, notamment en matière d’emploi, une nouvelle technologie de la comparaison s’institutionnalise ; elle prend corps, à des degrés variables, dans les politiques publiques nationales, régionales et locales. La mise en indicateur tend ainsi à se généraliser dans les pays européens, contribuant à une benchmarkisation de l’action publique. Ce cadre institutionnel renforce la légitimité de la politique de la comparaison qui se développe plus largement dans l’espace public, notamment dans les médias et dans la vie politique. La France est désormais perçue à travers ses performances relatives et celles-ci sont souvent présentées comme moyennes, voire franchement médiocres (notamment, bien sûr, en matière d’emploi).

13L’enquête lexico-métrique a fait apparaître que le succès de la notion de modèle social français est indissociable de l’ascension d’un acteur politique, Nicolas Sarkozy, durant le dernier mandat du Président Jacques Chirac : pour se démarquer de celui-ci, le ministre de l’Intérieur et président de l’UMP (alternativement ou simultanément) va maximiser – dans une stratégie discursive qui doit sans doute beaucoup à l’influence de ses inspirateurs déclinologues – tout ce qui le sépare de la tradition parfois décrite comme « gaulliste » et « technocratique » incarnée par le président de la République et par son Premier ministre, Dominique de Villepin. Le rapport au modèle social français va être l’un des points d’appui dans cette stratégie de démarcation : face à ceux qui entendent tout faire pour préserver ce modèle (en le réformant et en l’adaptant), il va mettre en avant la nécessité d’un changement plus radical, le modèle social français étant supposé avoir échoué, en premier lieu en matière d’emploi. A l’origine de l’imposition de ce cadre interprétatif, dont nous étudierons également certains des ressorts internes, les interventions de Nicolas Sarkozy déterminent très largement l’écho médiatique fait par la suite à cette notion. Dans une deuxième phase, en 2006, cette thématique nourrira diverses tentatives de re-problématisation, venues du monde universitaire ou de l’expertise scientifique, qui resteront relativement inefficientes sur l’orientation globale du débat politique et économique. En 2007, la thématique du modèle social français refait surface durant la campagne présidentielle, sans variations notables par rapport aux données du débat de 2005, nourri notamment par les rapports Camdessus (2004) et Pébereau (2005). Le modèle social français est largement présenté comme sous-performant en matière d’emploi, ce qui justifie sa réforme rapide.

2 – Les principaux traits du discours sur le modèle social français

14Le discours sur le modèle social français tel qu’il se déploie en 2005 et 2006 possède un certain nombre de traits spécifiques. Nous nous concentrons ici sur quelques propriétés lexicales et argumentatives de ce discours, apparues à travers l’étude d’un corpus de textes de presse publiés en 2005 et 2006. Ce type de texte permet en effet de saisir de façon synthétique les principales propriétés d’un débat économique et social public [17].

Encadré 2. Le corpus

La sélection des articles de presse retenus dans cette étude a été effectuée dans deux bases de données spécialisées dans la presse nationale et internationale : Lexis Nexis et Factiva. La recherche a été effectuée dans la presse française uniquement, à partir des mots clés modèle social français, modèle français et modèle social : d’abord sur les titres, puis sur les sous-titres/en-têtes d’articles, et enfin, en texte intégral. La période de recherche sélectionnée va de début septembre 2004 (présentation du projet de loi sur la cohésion sociale au Conseil des ministres du 15 septembre 2004) à début janvier 2007. A partir de la liste des articles obtenue selon ces critères, la sélection du corpus de textes a été menée de la façon suivante : les articles devaient être de type « article d’opinion » ou « éditorial » ; ils devaient être d’une taille au moins égale à 400 mots, afin de pouvoir les comparer ; enfin, le contenu de ces articles devait être centré sur ou aboutir à la question du modèle social français (son état, ses causes, ses conséquences, etc.). Le corpus ainsi constitué, regroupant peu d’articles, a ensuite été enrichi de textes parus dans la presse spécialisée trouvés sur Internet, sélectionnés selon les mêmes critères. Au final, le corpus d’articles de presse est composé de N = 66 articles. Les grands titres sur lesquels la recherche a pu être menée de façon efficace sur la période allant du 1er septembre 2004 au 2 janvier 2007, sont : L’Humanité *, Libération, Le Monde, Le Figaro, La Croix *, Les Echos, Enjeux-Les Echos, La Tribune, L’Express, L’Expansion, Le Nouvel économiste *, Le Point. En revanche, certains titres n’étaient disponibles que partiellement : Le Monde diplomatique (depuis août 2006), 20 Minutes (depuis le 23 mai 2005), Le Parisien-Aujourd’hui en France (depuis le 6 octobre
2005). Pour Le Monde diplomatique et 20 Minutes, ainsi que pour les titres Marianne et Sciences Humaines, qui ne figuraient pas dans les deux bases de données, des recherches complémentaires sur Internet ont permis de compléter le corpus de textes. Enfin, concernant la presse régionale, seul Lexis Nexis disposait de quelques titres qui ont donc fait partie de la recherche, à savoir : La Nouvelle République du Centre Ouest, Paris Normandie, Le Télégramme de Brest, Sud Ouest et Bref Rhônes-Alpes[1].

2.1 – La prédominance de la presse d’opinion conservatrice

15Le thème du modèle social est majoritairement traité par la presse nationale dite « de droite » et proche du monde économique (Le Figaro, Les Echos). A l’opposé, très peu d’articles (même purement journalistiques) ont été publiés dans la presse régionale ou dans L’Humanité. La notion de modèle social français et son traitement représentent ainsi un enjeu politique d’envergure nationale, issu de la droite et du centre de l’espace politique. Cette hypothèse est confirmée par le nombre d’articles parus sur le thème entre le 1er septembre 2004 et le 2 janvier 2007 dans les grands quotidiens.

Tableau 2

Nombre d’occurrences des deux expressions dans la presse nationale (01/09/2004 - 02/01/2007)

Tableau 2
« Modèle social » « Modèle social français » Dans les titres et en-têtes d’articles 138 50 Dans les titres et en-têtes d’articles 582 211 Dans les textes intégraux 2 440 798

Nombre d’occurrences des deux expressions dans la presse nationale (01/09/2004 - 02/01/2007)

Source : base de données Factiva.
Tableau 3

Nombre d’occurrences des deux expressions dans Libération, Le Monde et Le Figaro uniquement entre le 01/09/2004 et le 02/01/2007

Tableau 3
« Modèle social » « Modèle social français » Dans les titres d’articles uniquement 87 27 Dans les titres et en-têtes d’articles 365 122 Dans les textes intégraux 1 662 531

Nombre d’occurrences des deux expressions dans Libération, Le Monde et Le Figaro uniquement entre le 01/09/2004 et le 02/01/2007

Source : base de données Factiva (recherche effectuée selon les mêmes critères que pour le tableau 1, à savoir « en français uniquement », à l’exclusion des « sports et loisirs »).
Tableau 4

Nombre d’occurrences des deux expressions dans les titres d’articles

Tableau 4
« Modèle social » « Modèle social français » Libération 6 2 Le Monde 35 12 Le Figaro 46 13 Total 87 27

Nombre d’occurrences des deux expressions dans les titres d’articles

Source : base de données Factiva.
Tableau 5

Nombre d’occurrences des deux expressions dans les titres et en-tête d’articles

Tableau 5
« Modèle social » « Modèle social français » Libération 46 16 Le Monde 119 37 Le Figaro 200 69 Total 365 122

Nombre d’occurrences des deux expressions dans les titres et en-tête d’articles

Source : base de données Factiva.

16Il est particulièrement notable qu’à eux seuls, Libération, Le Monde et Le Figaro concentrent plus de la moitié des occurrences observées. Le nombre d’occurrences de l’expression modèle social français en recherche par texte intégral (531) dans ces trois quotidiens représente même les deux tiers du nombre total d’occurrences du terme sur l’ensemble de la presse nationale étudiée. L’enjeu que constitue l’usage de la notion de modèle social (français) pour la Droite devient évident lorsque l’on compare la fréquence de son utilisation entre les trois quotidiens respectifs :

Tableau 6

Nombre d’occurrences des deux expressions dans le texte intégral des articles

Tableau 6
#171; Modèle social » « Modèle social français » Libération 289 93 Le Monde 499 137 Le Figaro 874 301 Total 1 662 531

Nombre d’occurrences des deux expressions dans le texte intégral des articles

Source : base de données Factiva.

17Le Figaro utilise nettement plus la notion de modèle social (français) durant la période étudiée. Cela illustre le fait que le basculement dans l’usage de l’expression résulte d’une lutte politique à droite, liée à l’ascension de Nicolas Sarkozy et à la contestation du Président Chirac.

Tableau 7

Lexique en 2005 (spécificités positives)

Tableau 7
N° Terme F f Spécificité 25 Modèle 377 256 + E05 192 Ecole 32 29 + E05 551 Scolaire 13 13 + E04 550 Royaume-Uni 13 12 + E03 619 Barre 11 11 + E03 672 Budget 10 10 + E03 408 Moyenne 17 15 + E03 122 Croissance 55 43 + E03 211 Droite 29 25 + E03 681 Démocrate 10 10 + E03 319 Plan 21 19 + E03 200 Euros 31 26 + E03 119 Taux 59 44 + E03 542 Prime 13 12 + E03 181 Gauche 34 28 + E03

Lexique en 2005 (spécificités positives)

Source : corpus articles d’opinion.

2.2 – Le débat d’opinion : éléments de caractérisation lexicale et rhétorico-argumentative

18Le débat est véritablement lancé durant les deux semaines qui suivent le résultat du référendum du 29 mai 2005. 11 articles sont publiés entre le 1er et le 14 juin 2005. Rien que pour l’ensemble du mois de juin, on dénombre 13 articles et pour la période qui va de juin à fin août, 21 articles, soit près du tiers de la totalité du corpus. Octobre 2005, le mois qui fait suite au lancement proprement politique de la thématique du « nouveau modèle français » par Nicolas Sarkozy, concentre à lui seul 10 articles. Plus de la moitié des articles du corpus sont donc publiés entre juin et fin octobre 2005, qui est la phase haute de l’usage de la notion dans le débat public national. Avec 7 articles, qui sont autant liés à une actualité éditoriale qu’au mouvement social contre le Contrat première embauche (CPE), février 2006 marque une légère résurgence du débat, qui s’étiole ensuite (jusqu’à la campagne présidentielle de 2007, qui n’est pas intégrée dans la base de données étudiée).

Encadré 3. Liste des articles retenus dans le corpus

1. Les Echos, 2 juin 2005, « Faut-il vraiment sauver le modèle social français ? », Yves de Kerdrel, p. 14, 1 155 mots.
2. Les Echos.fr, 2 juin 2005, « Il n’y a pas d’exception sociale française », interview de Raymond Soubie, PDG d’un cabinet spécialisé en ressources humaines et conseiller de François Fillon sur la réforme des retraites, 752 mots.
3. Le Monde, 3 juin 2005, « Le modèle social français est à bout de souffle », Claire Guélaud, 722 mots.
4. Le Monde, 3 juin 2005, « On est dans la cristallisation des inégalités », interview de François Dubet, sociologue de l’éducation à Bordeaux II, 600 mots.
5. Le Figaro, 3 juin 2005, « Pierre Méhaignerie : “Concilier voie libérale et sociale” ; Le député d’Ille-et-Vilaine propose de doubler la prime pour l’emploi », Sophie Huet, p. 10, 521 mots.
6. La Croix, 7 juin 2005, « Interview : Hervé Novelli, chef de file du groupe des réformateurs, qui réunit plus de 70 parlementaires UMP favorables à une réforme du modèle social français et, notamment, du code du travail », Boissieu Laurent de, p. 17, 402 mots.
7. Le Monde, 8 juin 2005, « Social : un modèle scandinave à la française ? », interview de Dominique Méda et Jean Lefèbvre, 1 173 mots.
8. Le Point, 9 juin 2005, « Le pseudo-modèle social », Nicolas Baverez, éditorial, 832 mots.
9. Le Point, 9 juin 2005, « L’hypocrisie française », Patrick Bonazza et Olivier Truc, 2 227 mots.
10. L’Express, 13 juin 2005, « Le modèle socialement fatigué », Denis Jeambar, éditorial, p. 11, 630 mots.
11. Le Figaro, 14 juin 2005, « La France dont je rêve. L’écrivain évoque satiriquement l’idéologie du “modèle social” hexagonal », par Pascal Bruckner, « Débats et opinions », p. 14, 1 210 mots.
12. Le Figaro, 18 juin 2005, « Un système somptuaire et négligent. La philosophe s’interroge sur les limites du modèle social hexagonal », par Chantal Delsol, « Débats et opinions », p. 15, 1 230 mots.
13. Le Figaro, 20 juin 2005, « Quatre vérités sur l’emploi et le modèle social français », par Michel Godet, 1 555 mots.
14. Le Point, 20 juillet 2005, « Doit-on sauver le modèle social français ? », Nicolas Baverez, 1 821 mots.
15. Le Point, 28 juillet 2005, « Le modèle social français. Vive la sécu à la française ! », Bernard Maris, p. 50, 795 mots.
16. Le Point, 4 août 2005, « Le modèle social français : La défaillance des dirigeants », par Ezra Suleiman, 831 mots.
17. Le Point, 11 août 2005, « Le modèle social français : Mes quatre remèdes », Gérard Mestrallet, 630 mots.
18. Le Point, 18 août 2005, « Le modèle social français : « Le système français est le plus juste que je connaisse » », par Marc Blondel, 596 mots.
19. Le Point, 25 août 2005, « Le modèle social français : Autopsie d’un cadavre », Jacques Marseille, 1 480 mots.
20. Le Monde, 28 août 2005, « Réformer d’urgence notre modèle social », François Chérèque, 1 014 mots.
21. Les Echos, 31 août 2005, « Pour un nouveau compromis économique et social français », par Pierre Moscovici, « Idées », p. 11, 842 mots.
22. Libération, 7 septembre 2005, « Introuvable modèle social français », Duhamel Alain, p. 37, 910 mots.
23. Le Figaro, 27 septembre 2005, « Le fardeau du modèle social », Nicolas Barré, éditorial, « débats et opinions », p. 14, 495 mots.
24. Le Figaro Economie, 3 octobre 2005, « Les soixante ans du modèle social français », Béatrice Taupin, p. 26, 535 mots.
25. Le Figaro Economie, 3 octobre 2005, « Il faut oser remettre en cause certains tabous », interview de Philippe Séguin par Béatrice Taupin, 1 095 mots.
26. Le Monde économie, 4 octobre 2005, « S’appuyant sur la fragmentation du salariat, le gouvernement parvient, jusqu’à maintenant, à maintenir la crise sociale à distance », interview de Jean-Marc Le Gall, directeur d’études à Entreprises et Personnel, 1 292 mots.
27. Le Monde économie, 4 octobre 2005, « La véritable idéologie française, c’est l’élitisme républicain », interview d’Eric Maurin, directeur de recherche à l’EHESS, 1 150 mots.
28. Le Monde économie, 4 octobre 2005, « La baisse de l’impôt sur le revenu est contraire à la recherche de l’équité », interview de Eric Heyer, directeur adjoint au département Analyse et prévision de l’OFCE, 1 171 mots.
29. Les Echos, 6 octobre 2005, « Fantasmatique modèle social », Patrice Drouin, p. 30, 458 mots.
30. Acteurs publics, 17 octobre 2005, « Une notion trop idéologique », interview de André Etchegoyen, Commissaire au Plan, Dossier : « Modèle social : la rupture, mais pour quoi faire ? », p. 40.
31. Acteurs publics, 17 octobre 2005, « Il y a urgence à agir », interview de François Chérèque, CFDT, Dossier : « Modèle social : la rupture, mais pour quoi faire ? », p. 42.
32. Acteurs publics, 17 octobre 2005, « Sortir du champ de bataille idéologique », interview de Pierre Bilger, ancien PDG d’Alstom, Dossier : « Modèle social : la rupture, mais pour quoi faire ? », p. 43.
33. Le Figaro, 28 octobre 2005, « N’opposons pas rupture et continuité ! », entretien avec Jean-Louis Borloo, 877 mots.
34. L’Express, 3 novembre 2005, « Comment sauver le modèle social français ? », entretien avec le philosophe François Ewald et l’économiste Philippe Herzog, p. 100, 2 227 mots.
35. Libération, 9 novembre 2005, « Piégés par la République », par Didier Lapeyronnie et Laurent Mucchelli.
36. La Tribune, 14 novembre 2005, « Le modèle social français, un chefd’œuvre en péril », Philippe Mabille.
37. Libération, 15 novembre 2005, « République inachevée ou à jeter ? » par Alain Lecourieux et Christophe Ramaux, membres du conseil scientifique d’ATTAC (suite aux articles de Duhamel et Lapeyronnie/Mucchelli du 9 novembre dans Libération).
38. Alternatives économiques, n° 241, novembre 2005, « Il est urgent d’adapter le modèle social français », entretien avec Dominique Méda.
39. La Croix, 25 novembre 2005, « Interview de Timothy B. Smith : Le modèle social français profite à ceux qui en ont le moins besoin », p. 11, 1 132 mots.
40. Les Echos, 25 novembre 2005, « Le modèle social n’est pas le problème », Paul Fabra, « Idées », p. 31, 1 098 mots.
41. La Tribune, 12 décembre 2005, « Retrouvons le plein emploi grâce à la sécurité sociale professionnelle », par Nicolas Sarkozy, p. 36, 970 mots.
42. Les Echos, 22 décembre 2005, « Donner un nouveau souffle au modèle social français », Jean-Marc Le Gall, p. 13, 1 016 mots.
43. Le Monde, 14 février 2006, « Le modèle français privé de sa cohérence », par Jean-Paul Fitoussi, 724 mots.
44. Le Monde.fr, 14 février 2006, « L’idée d’un modèle social cache d’autres enjeux ; il est maintenu en l’état par une fraction de la population frileuse et conservatrice », 1 095 mots.
45. Le Monde.fr, 14 février 2006, « La France a cinquante ans d’avance en matière de droit social », par Gérard Filoche, 1 202 mots.
46. Le Point, 16 février 2006, « Le modèle français profite aux riches », interview de Timothy B. Smith, 1 522 mots.
47. Libération, 17 février 2006, « La France est coincée entre deux modèles sociaux », par Timothy B. Smith, p. 8, 574 mots.
48. 20 minutes, 17 février 2006, « Le modèle social français se fait au dépend des exclus », entretien avec Thimothy B. Smith.
49. Le Monde.fr, 28 février 2006, « Licencier plus facilement, mais avec une meilleure sécurité des parcours professionnels », par Pierre Cahuc, 1 403 mots.
50. Le Nouvel Economiste, 21 mars 2006, « Les analyses du Club Ulysse – Un modèle qui craque de partout – La résistance au CPE est une nouvelle illustration sur le plan social des limites du modèle français, après la crise des banlieues de novembre et les récentes polémiques sur les manifestations contre l’antisémitisme », par Michel Wievorka, membre du Club Ulysse, « Idées et Opinions – Les Expertises », p. 22-23, 795 mots.
51. Le Point, 23 mars 2006, « Comment inventer un nouveau modèle social ? », par Alain Duhamel, 601 mots.
52. Libération Emploi, 3 avril 2006, « Top modèles du Grand Nord », interview de Dominique Méda et Alain Lefèbvre, 2 370 mots.
53. Le Parisien-Aujourd’hui en France, 6 avril 2006, « Inspirons-nous du modèle nordique », entretien avec Dominique Méda et Alain Lefèbvre, 741 mots.
54. Le Nouvel Observateur, 13 avril 2006, « CPE : une étrangeté française », interview de Philippe d’Iribarne, 1 809 mots.
55. Libération, 20 avril 2006, « Osons un New Deal à la française », par Dominique Méda et Thierry Pech, 1 415 mots.
56. Le Figaro, 25 avril 2006, « La « flexi-sécurité » peut sauver le modèle social français », Philippe Mongin, p. 16, 1 269 mots.
57. Alternatives économiques, n° 247, mai 2006, « Le modèle nordique est adapté à la situation française », entretien avec Alain Lefebvre, conseiller pour les affaires sociales et résident en Suède, et Dominique Méda, sociologue, chercheuse au Centre d’études de l’emploi (CEE), Dossier : « Où va le modèle social français ? », 1 665 mots.
58. Enjeux-Les Echos, 1er mai 2006, « Le modèle social français ausculté », par Pascale-Marie Deschamps, p. 124, 476 mots.
59. La Croix, 4 mai 2006, « Aux sources du modèle social français. Soixante-dix ans après, nous vivons toujours dans le cadre social installé par le gouvernement Blum, malgré les mutations technologiques et la mondialisation de l’économie », Olivier Jay, p. 26, 659 mots.
60. La Croix, 20 juin 2006, « Les Français doivent partager à nouveau une vision commune de la société et de son avenir. Rénovons le modèle social français », par Gilles de Robien, p. 25, 819 mots.
61. Les Echos.fr, 29 juin 2006, « Le modèle nordique, trop exigeant pour la France ? », par Jean-Marc Vittori, 1 152 mots.
62. Le Figaro, 8 juillet 2006, « “Mal français” : le diagnostic d’Alain Peyrefitte n’a pas pris une ride », par Jean d’Ormesson, 1 026 mots.
63. L’Express, 14 septembre 2006, « Le travail doit être réhabilité et libéré », par Nicolas Baverez, p. 62, 1 787 mots.
64. L’Express, 28 septembre 2006, « L’espoir d’un rebond français », par Raymond Barre, 1 348 mots.
65. Le Figaro, 12 octobre 2006, « L’expert-comptable, cet acteur méconnu de la réforme du modèle social », par Jean-Pierre Alix, Président du Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables, p. 14, « débats », 935 mots.
66. Le Figaro, 21 octobre 2006, « Interview de Jean-Louis Borloo. Ne pas bafouer le modèle social », p. 32, 807 mots.

19La méthode lexico-métrique utilisée pour étudier ce corpus repose sur la notion de spécificité [18]. Il s’agit de comparer la fréquence des formes observées dans un sous-ensemble textuel (année, auteur, journal) à une fréquence théorique, qui est calculée à partir d’une distribution a priori. La spécificité est d’autant plus fortement positive (resp. négative) que la fréquence observée est nettement supérieure (resp. inférieure) dans le sous-ensemble étudié par rapport à la fréquence théorique. Une fois repérées les spécificités de divers segments, on caractérisera la rhétorique argumentative spécifique déployée dans chaque contexte ou par chaque auteur.

20La première année (2005) est plus particulièrement caractérisée par le mot modèle (globalement très utilisé dans l’ensemble du corpus avec F = 377) ; les mots relatifs aux institutions scolaires : école, scolaire, même s’ils le sont marginalement dans l’ensemble du corpus, ce qui montre bien que n’importe quelle composante de la société française peut, selon les contextes, être constituée comme un aspect important de son modèle social ; les mots relatifs à la macroéconomie et aux indicateurs ou unités économiques : budget, croissance, taux, euros ; le vocabulaire politique : droite, gauche ; la référence au Royaume-Uni.

21L’imposition de la notion de modèle social français vient d’abord, nous l’avons vu, de la droite de l’espace politique où l’on pointe la contre-performance française. La rhétorique adoptée a un contenu essentiellement économique et se fonde sur des indicateurs simples utilisés largement, en premier lieu la croissance du PIB. La référence au Royaume-Uni est plus présente durant cette phase. On est ici au cœur de la rhétorique de l’évidence, qui caractérise fondamentalement le discours néo-libéral [19]. Cette rhétorique repose en effet sur l’enchaînement suivant : énoncé de faits (contre-performance française), imputation de ces faits à une cause (modèle social épuisé), et conséquences politiques (rupture ou changement du modèle social).

22La deuxième année (2006) centre plus nettement le débat sur la flexibilité du marché du travail, le droit du travail, en relation avec le conflit du CPE et les jeunes. Il est vrai que, plus largement, le mot travail est l’un des plus utilisés dans l’ensemble du corpus (F = 257). Ce sont alors plutôt la formation, les salariés, les partenaires (sociaux), les contrats de travail eux-mêmes qui sont spécifiquement associés au débat sur le modèle social. La référence au modèle nordique se fait beaucoup plus présente, en relation avec l’affirmation dans le débat d’auteurs comme Dominique Méda et Alain Lefebvre, qui tentent de déplacer la thématique vers la Scandinavie. Ainsi, on peut, schématiquement, distinguer deux grandes phases dans le débat : une phase marquée par l’émergence de la thématique sous sa forme dominante, où les acteurs politiques et journalistiques prévalent et où des caractéristiques très diverses peuvent être associées au modèle français ; une phase marquée par la tentative de diffusion d’un discours plus savant et aussi plus critique, et dans laquelle émerge l’enjeu de la réforme (le mot réforme est plus utilisé en 2006 dans le corpus) du marché du travail, à travers le CPE.

2.3 – Un champ discursif structuré

23Nous nous concentrons ici sur quelques acteurs centraux du débat, situés dans des positions différentes de l’espace politico-intellectuel et représentatifs du « champ discursif » [20] qui lui correspond : Nicolas Baverez, Dominique Méda, Timothy Smith et Nicolas Sarkozy. Le point commun de ses auteurs/acteurs est une certaine focalisation sur la thématique du marché du travail et de sa flexibilisation, focalisation qui se poursuit en 2006 avec le mouvement social contre le CPE et ses conséquences. Le choix de nous concentrer sur ces quelques auteurs est lié à leur forte présence au sein du corpus et, plus largement, dans le débat public sur le modèle social français durant la période, débat auquel certains sont même largement identifiés [21].

24Nicolas Baverez, qui occupe dans l’économie générale du débat une position très importante, liée à son statut d’essayiste à succès et à ses fonctions au comité directeur de l’Institut Montaigne, sur-utilise un certain nombre de mots qui contribuent à fixer la problématique qui s’impose en 2005. C’est tout d’abord le mot faillite qui est la forme la plus définitive et radicale de caractérisation de l’inefficacité absolue du modèle français. Une forme plus faible, utilisée par d’autres auteurs, est l’expression à bout de souffle, à laquelle recourt Claire Guélaud dans Le Monde dès le 3 juin 2005. Ce sont ensuite des mots ressortant du discours économique ou du registre des indicateurs socio-économiques, signalant les domaines où l’on mesure cette inefficacité : insertion, PIB, compétitivité, production, travail, activité, marché, innovation… Les mots désignant tout ce qui montre (au sens du constat empirique) cette inefficacité sont également sur-utilisés : baisse, déficit, chômage, croissance, pauvreté. Le recours à des chiffres, pourcentages, plus important, permet d’établir la faillite du modèle français comme un constat objectif. Ils réfèrent de façon sous-jacente à un ensemble de résultats scientifiques. Enfin, le pays le plus cité (relativement à ce qu’il est dans le reste du corpus) est le Royaume-Uni, qui fait ainsi figure de modèle extrêmement valorisé dans la comparaison, à l’aune duquel se donne à voir la faillite relative du modèle français. Sur le plan idéologique, c’est le mot libéralisme qui est le plus sur-utilisé par N. Baverez. A l’opposé, les mots salariés, France, chômeurs sont sous-utilisés : termes renvoyant à des collectifs plus ou moins mobilisés, ils caractérisent plus nettement d’autres acteurs, notamment politiques.

25Interviewés en 2006 à l’occasion de la sortie de leur ouvrage Faut-il brûler le modèle social français ?, auteurs de textes plus conjoncturels dès 2005 mais surtout en 2006, Dominique Méda et Alain Lefebvre sont conduits à commenter l’actualité sociale brûlante avec le mouvement contre le CPE. Les mots jeunes, qualifiés, formation, professionnelle, qu’ils utilisent beaucoup, sont liés à la façon dont ils se saisissent de cette conjoncture. Celle-ci leur permet néanmoins de tenter de re-problématiser le débat autour du modèle scandinave : nordiques, nordique, danois, Danemark sont sur-utilisés. Ils sont d’ailleurs globalement les termes géographiques les plus présents dans le débat. C’était là précisément l’intention de leur ouvrage, qui va réussir au moins partiellement à réorienter la discussion autour d’une comparaison entre modèle anglo-saxon et modèle scandinave, le modèle « conservateur », dont la France n’est qu’un cas particulier, étant jugé « condamné ». Leur posture se révèle très clairement si l’on considère la sur-utilisation de notions qui s’articulent très étroitement à leur conception propre du modèle scandinave : formation, qualité, partenaires, réformes, flexibilité. Il s’agit de conjuguer réformes et flexibilité, considérés comme inéluctables et nécessaires, et un certain nombre de traits jugés spécifiques au modèle scandinave : la négociation entre partenaires sociaux et un important investissement public en matière de lutte contre le chômage (formation professionnelle, formation continue, etc.). Le recours à la désignation de groupes en position marginalisée (jeunes, femmes, enfants…) ou dominants (employeurs, patrons…) fait plus nettement référence aux rapports sociaux que le discours plus purement économique des intervenants dominants.

26Le discours de Timothy Smith a également une place importante. D’abord en nombre total d’interventions, notamment d’interviews qui font suite à la publication de son ouvrage La France injuste ; ensuite parce qu’il cristallise un certain nombre d’éléments du discours dominant sur le marché du travail français, portant cette fois sur la fonction publique et les statuts, et qu’il n’est pas originaire de la France (T. Smith est Canadien), ce qui lui donne un gage de sérieux comparatiste. Son ouvrage, dont le titre fait référence au modèle social, est préfacé par Jean Boissonnat, grande figure du journalisme économique et des élites dirigeantes issues du catholicisme social [22]. T. Smith est très sollicité pendant la crise du CPE. Il sur-utilise les termes désignant des catégories : fonctionnaires, jeunes, immigrés, femmes, chômeurs qui renvoient à une sorte de macrosociologie des intérêts économiques et sociaux. Les mots bénéficient, avantages acquis montrent que l’auteur se place justement sur le terrain du calcul des bénéficiaires et des désavantagés du modèle social français en place, associé à l’Etat-providence : les fonctionnaires, les salariés à statut sont les « privilégiés » ; les jeunes, précaires, les femmes, les immigrés sont en position marginale. France, français sont sur-utilisés, de même que Suède, exemple de réforme réussie dont la France devrait s’inspirer. Mondialisation et libéralisme permettent de caractériser l’environnement mondial qui rend la réforme absolument nécessaire. Le discours de T. Smith est très proche de celui de Nicolas Baverez, mais peut-être un peu moins définitif sur le plan du constat : sa thèse est essentiellement la réactivation du schème du dualisme entre outsiders et insiders sur le marché du travail français. Ce thème, déjà très daté [23], est souvent réactivé, notamment à la faveur des mouvements sociaux dans le secteur public. Sur le plan des préconisations, T. Smith penche plutôt pour la flexibilisation du marché du travail, mais, dans le contexte du CPE, il ne peut se solidariser totalement avec le gouvernement qui semble prendre le parti des actifs établis contre les jeunes.

27Le texte de Nicolas Sarkozy présent dans le corpus, prise de position visant à lancer, dans un journal économique, les thématiques dites du « contrat unique » et de la conjugaison de flexibilité et de sécurité, montre que la stratégie du candidat (fin 2005) est alors très fortement tournée vers le monde du salariat, tout en reprenant une thématique portée par les milieux patronaux et les organisations internationales, celle de la nécessité d’une flexibilisation du marché du travail qui s’accompagnerait du maintien d’une certaine sécurité pour les salariés. Celle-ci se décline à travers la proposition d’un contrat unique qui sera l’une de ses innovations politiques durant la période 2005-2007 : d’où la sur-utilisation des mots embauches, salarié(s), licenciement, flexibilité, entreprises. Le contrat unique est susceptible de créer à la fois emplois et profits, permettant de rétablir la confiance, élément nécessaire au redressement de la France dans le contexte de mondialisation. On a donc là un discours de mobilisation autour de la réforme du marché du travail, que les événements sociaux de 2006 vont en partie remettre en cause en tant qu’axe central de construction politique (même si la crise du CPE va aussi lui permettre de marginaliser son concurrent politique), du moins jusqu’au premier semestre 2007 où la proposition est à nouveau utilisée dans la campagne électorale.

28Les recherches lexico-métriques et rhétorico-argumentatives menées, plus largement, sur ce corpus [24] confirment la diversité des usages de la notion de modèle social et des problématiques associées à celle-ci. Un schéma argumentatif fondé sur le constat de l’échec, centré principalement (mais pas exclusivement) sur le marché du travail, et appelant au dépassement du modèle français structure le discours d’une très grande partie des acteurs. L’étude permet de faire apparaître le rôle du modèle britannique, très valorisé, en arrière-plan de ce schéma. Sans s’opposer frontalement à ce constat d’échec, d’autres acteurs mettent en avant, avec un temps de retard, un autre modèle, scandinave ou nordique. Celui-ci est supposé avoir réussi une synthèse entre flexibilité du marché du travail et sécurité des travailleurs en matière d’emploi (la flexisécurité). On a là une variante critique de la doxa plus qu’un discours alternatif. Coexistent donc un discours nettement dominant et des tentatives, minoritaires et limitées dans leurs effets, pour le subvertir, essentiellement en promouvant le modèle nordique et la nécessité d’un rôle accru des partenaires sociaux [25].

3 – La dynamique du débat

29L’étude linguistique et les entretiens menés font apparaître l’existence de plusieurs moments successifs qui caractérisent la dynamique du champ discursif défini par le débat étudié, même si toute forme de périodisation est toujours délicate et partiellement arbitraire en ce domaine. Nous avons ainsi distingué l’interprétation politico-médiatique du « choc » du référendum (qui conduit à la formation de la doxa) ; la relance de la rupture sarkozyste à la rentrée 2005-2006 ; la tentative de renouvellement du débat au moment du mouvement anti-CPE et de la publication de l’ouvrage de Timoty Smith (février 2006), puis de celui de Dominique Méda et Alain Lefebvre ; l’étiolement final avant la campagne de 2007. Selon les cas, les acteurs concernés ne sont pas les mêmes. Beaucoup d’interventions sont éminemment conjoncturelles, voire ponctuelles, et surviennent dans un contexte très spécifique ; d’autres renvoient à des stratégies plus structurelles d’engagement dans le débat public que les entretiens réalisés permettent de mieux appréhender.

Encadré 4

Nous nous appuyons ici sur N = 17 entretiens réalisés auprès d’auteurs du corpus ou d’acteurs du débat public : experts, universitaires, syndicalistes, chefs d’entreprise. Ces entretiens révèlent un investissement très inégal dans un débat assez peu stabilisé, qui semble rester circonscrit à l’univers des acteurs politiques et médiatiques dominants pendant une période très courte et ne pas prendre très largement par la suite dans les différents espaces concernés. Beaucoup d’enquêtés donnent rétrospectivement à leurs prises de position un rôle très conjoncturel, voire même contingent, leur déniant toute importance. Il est vrai que l’on ne peut qu’être frappé par la relativement faible plus-value intellectuelle apportée par la première phase du débat : l’essentiel réside dans l’imposition du schéma argumentatif « échec-réforme » qui va servir de cadrage dominant sur le sujet.

30Schématiquement, du point de vue des experts, le cœur du débat oppose à un pôle Nicolas Baverez, à l’autre Dominique Méda. L’un et l’autre sont parmi les deux auteurs les plus prolixes sur le sujet. Il n’est d’ailleurs pas indifférent de relever que le premier sera l’un des inspirateurs économiques et sociaux de Nicolas Sarkozy et l’autre une conseillère de Ségolène Royal durant la campagne présidentielle de 2007. Le nombre relativement important d’interviews présents dans les textes du corpus étudié plus haut montre par ailleurs que les journalistes sont, souvent, à la recherche de discours censés pouvoir éclairer une controverse issue du champ politique et qui se diffuse d’abord dans la sphère médiatique la plus proche des acteurs dominant le champ politique (les éditorialistes et les journalistes économiques les plus politiques [26]). Les mouvements de concepts et de résultats allant des travaux spécialisés vers l’espace public caractériseront plutôt la dernière phase, mais de façon relativement timide.

31Les escarmouches Chirac-Villepin / Sarkozy autour du modèle français [27] fournissent la justification de ce que l’on peut donc appeler la doxa politique et médiatique sur le modèle social. L’article de Claire Guélaud (journaliste économique), dans Le Monde, exprime bien la forme la plus commune – et relativement modérée – de cette doxa, ne serait-ce que par son titre : Le modèle social français est à bout de souffle. Très proche du cadrage opéré par Nicolas Sarkozy, cette doxa met d’abord l’accent sur le constat global qui est censé s’imposer désormais sur la base de nombreux indicateurs comparatifs : l’essoufflement du « modèle social » français ou encore sa caractérisation comme un « mythe », une « idéologie » qui ne correspond plus ou pas à une quelconque réalité. Cette thématique dominante reste présente depuis lors comme cadrage dominant de la notion de modèle social jusqu’en 2008 où l’on assiste à un renversement radical (conjoncturel ?) de polarité.

32Plusieurs éléments se combinent dans l’argumentation mobilisée couramment autour de la notion :

  • le constat d’échec actuel du modèle social français ;
  • l’opposition entre le passé (formation et efficacité relative du modèle social) et le présent (mondialisation et mise en crise) ;
  • l’opposition entre les principes et les réalités du modèle social : la réalité serait à l’opposé des principes affichés.
Selon les auteurs et les contextes, des composantes différentes de ce raisonnement sont plus ou moins accentuées. Simultanément, des journalistes, dans Les Echos et surtout Le Figaro, des experts qui acceptent de répondre à des interviews sans avoir particulièrement investi la notion de modèle social contribuent à ce que le thème se cristallise très vite, dès le début de façon floue autour de ces quelques éléments. Certaines contributions (celle de l’écrivain médiatique Pascal Bruckner par exemple) se concentrent sur la disqualification des défenseurs du « non » au référendum. D’autres sont plus journalistiques, tout en étant également réactives, et plus précisément suscitées par l’évolution du débat politique à droite. Un journaliste des Echos (aujourd’hui au Figaro), qui intervient parmi les premiers, explique qu’il le fait en réaction aux discours tenus alors par Jacques Chirac, après avoir été influencé par les textes de Michel Godet, Nicolas Baverez et les rapports Pébereau et Camdessus (qui ont un rôle important dans la formation de la doxa des politiques publiques françaises) : « C’est quand même assez étonnant qu’en 2005, pendant la campagne sur le TCE, puisque c’était sur le référendum, on ait entendu le président de la République [ne] parler que du modèle social français ! Comme si c’était quelque chose qu’il fallait sacraliser, sanctuariser. Je trouve ça assez stupéfiant (…). Un, c’était, comment dire, déplacé. Deux, se gausser, comme ça, du modèle social français qui est… Je veux dire, le rapport Pébereau, publié six mois avant, avait même dressé le constat d’inefficience totale. Ça montrait soit qu’on n’avait pas pris conscience, soit on ne voulait pas prendre conscience. (…) C’était se tirer une balle dans le pied, en parlant du modèle social français, on se tire même une balle dans les deux pieds. On se tire dans le pied droit et dans le pied gauche, parce que vous finissez de convaincre ceux qui étaient pas encore convaincus que le modèle français est inefficace (…) et vous finissez de convaincre ceux qui pensaient que la France avait un modèle social qui serait protégé au sein de l’Europe, que ce modèle social n’avait effectivement aucune valeur » (entretien, journaliste au Figaro, 45 ans, maîtrise de droit, école de commerce, juin 2007).

33Le dossier du Point, tout au long de l’été 2005, auquel Nicolas Baverez, qui y est chroniqueur tout en exerçant le métier d’avocat, et Jacques Marseille, historien économique à l’origine universitaire, contribuent à donner sa tonalité très libérale, permet de maintenir et renforcer les éléments-clés de cette doxa, en spécifiant plus le contenu du modèle social français d’un point de vue historique et économique. Le travail de constitution de la doxa repose sur la mobilisation politico-intellectuelle d’intellectuels et d’experts de sensibilité libérale. En dehors d’une série d’essais, plusieurs rapports officiels (le rapport Pébereau sur la dette publique, le rapport Camdessus sur la réforme du marché du travail…) ou diverses études de think tanks ont participé à la formation de cette thématique depuis plusieurs années. L’Institut Montaigne, créé par Claude Bébéar, a en particulier promu les pratiques de benchmarking auprès des acteurs politiques et journalistiques, ces derniers étant depuis longtemps convertis aux techniques de palmarès et de comparaisons de performances. La formation de la doxa est donc au premier abord l’expression du succès de la forme prise par le benchmarking à droite de l’espace intellectuel, et de la conjonction de discours convergents issus de rapports officiels. L’Institut Montaigne, comme certains acteurs journalistiques du débat, prendront par la suite une certaine distance avec la variante la plus ultra-libérale du discours du déclin français et coloreront d’un certain optimisme leur critique, sans appel, du modèle social français. Un journaliste économique, auteur d’un ouvrage qui se veut une réponse plus « positive » aux prophéties des « déclinologues » (publié en 2007 et intitulé significativement N’enterrez pas la France) : « il y a un vrai danger, chez les déclinologues, à considérer que le modèle n’étant pas sauvable, il faut le détruire et finalement faire table rase de tout ce passé, de tout ce qui construit quand même le consensus social. (…) Il faut le réformer profondément ce modèle. Parce que (…) il est arrivé aujourd’hui probablement à bout de souffle. (…) On s’est dit : “Les gens ne vont pas accepter de n’entendre que cette voix-là (celle des déclinologues)”. Il faut qu’on essaie de tenir l’autre voix (…). On espérait être les seuls, alors, finalement on a été très nombreux à partir dans cette direction, avec des Bébéar à l’Institut Montaigne. Il y en a eu quelques autres… » (entretien, journaliste à La Tribune, 41 ans, diplôme d’histoire, IEP de Paris, mars 2007). La publication d’un ouvrage intitulé Comment fait la France quand elle gagne ? par l’Institut Montaigne, se situera dans la même veine : « Le comité directeur s’est dit que, comme ils faisaient beaucoup de benchmarking, ils allaient donner l’impression qu’ils sont chagrins, qu’en gros, ils trouvaient que tout allait mal dans ce pays. Donc, ils se sont dit que c’est idiot car il y a beaucoup de choses qui vont bien. Donc recensons les succès, décrivons-les, et ce sera bon pour notre image parce qu’on verra qu’on est pas seulement des pleurnichards et en plus ce sera bon pour la vie intellectuelle et le débat public en France, parce que ce sont des exemples français et donc applicables en France » (entretien, 46 ans, permanent à l’Institut Montaigne, ancien journaliste économique, Essec, maîtrise de droit des affaires, juin 2007).

34Durant la deuxième phase du débat, qui commence en septembre 2005 avec la mobilisation de l’UMP autour de la thématique du nouveau modèle français, la production de prises de position continue d’être intense et assez proche de celle de la première phase. Le Figaro-Economie joue un rôle important, de même que la presse économique (Les Echos, La Tribune, etc.). On peut parler d’une forme d’installation, voire d’institutionnalisation du débat, dont la parution d’un dossier du Conseil d’analyse stratégique sous l’égide d’Alain Etchegoyen offre un exemple, tout comme, un peu plus tard, en 2006, celle d’un numéro des Cahiers français, autre indice de consécration officielle de la problématique, ou encore celle d’un ouvrage de synthèse écrit par des inspecteurs de l’Igas chez Odile Jacob. L’Institut Bruegel, think tank bruxellois, réalise en novembre 2005 sous la plume d’André Sapir, une étude sur les modèles sociaux et la mondialisation, qui conclut à la supériorité des modèles libéraux anglo-saxon et scandinave. En décembre 2005, Alain Lefebvre, conseiller en Suède pour les affaires sociales, publie aux éditions Liaisons sociales Europe un ouvrage sur le modèle social danois. Cette institutionnalisation est bien sûr liée à la structuration du discours sarkozyste et de l’UMP autour de cette thématique, avec le succès corrélatif de la notion de « rupture ». Durant cette deuxième phase, le débat politique et médiatique est en effet structuré par l’opposition entre la conception sarkozyste centrée sur la rupture et celle de D. de Villepin, qui veut adapter le modèle social français. Une proposition de réforme radicale est alors avancée par N. Sarkozy comme un instrument de cette rupture : le contrat unique, qui se substituerait à la fois au CDI et au CDD, réforme radicale du marché du travail censée s’accompagner d’une sécurisation des parcours professionnels. Ce dernier, issu du rapport Camdessus et des travaux réalisés par Pierre Cahuc, prépare la progression de la notion de « flexicurité » dans le débat public.

35Les acteurs syndicaux sont conduits à réagir de façons diverses à cette installation de la thématique du modèle social français. Dans son article de rentrée publié fin août 2005 dans Le Monde, le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, est le premier à réagir, ce qui est cohérent avec l’importance de la lexie « modèle social » dans le discours de la CFDT, contrairement par exemple à la CGT qui ne l’utilise pas : il reprend le constat d’un essoufflement du modèle social français, mais il met en avant l’absence de culture de la négociation et de l’accord comme étant au cœur de cette crise, qui expliquerait la dualisation du marché du travail. Proche des auteurs regroupés autour de Pierre Rosanvallon et publiés dans la collection « La République des idées », il développe un discours du diagnostic et de la réforme négociée, et assume ouvertement des positions qui l’ont conduit à accepter des réformes impopulaires (comme la réforme Fillon sur les retraites en 2003), quand elles étaient jugées « nécessaires ».

36Une combinaison d’événements politiques et de deux parutions (T.B. Smith, A. Lefebvre, D. Méda) conduit en février et mars 2006 à une réactivation très contextuelle du débat dans la grande presse autour de la question de la flexibilité du marché du travail, de la flexicurité et de l’insertion des jeunes. Cette actualité politique et sociale parasite en partie le discours des experts et universitaires qui tentent de diffuser des travaux de nature plus comparatiste, comme ceux de Gotha Esping-Andersen, ou de discuter des vertus des modèles nationaux sur la base de comparaisons d’indicateurs plus systématiques, en essayant d’introduire plus de distance comparative dans les analyses sommaires qui ont marqué les premières phases. Cette tentative d’européanisation du débat, très consciemment nourrie aux pratiques officielles de benchmarking, mais accompagnée de mises en perspectives historiques, sociologiques et comparatives, notamment à travers l’usage de typologies, ne réussit pas véritablement à conduire à une comparaison entre les deux modèles qui auraient pu s’imposer comme les deux termes d’une alternative pour la France : le modèle anglo-saxon et le modèle scandinave. Le « modèle rhénan » de capitalisme cher à Michel Albert a en effet largement disparu de l’horizon et le modèle japonais de production moderne (le toyotisme), qui avait fait florès dans les années 1980, ne semble plus qu’un lointain souvenir. Le modèle conservateur auquel la France est censée appartenir est quant à lui très largement disqualifié par les promoteurs du modèle scandinave. Ceux-ci reprochent à la Gauche critique (incarnée dans ce débat par Jacques Rigaudiat, auteur d’un ouvrage sur le nouvel ordre prolétaire) de s’en tenir à une position très défensive sur le modèle français, et de refuser de considérer le modèle scandinave comme une vraie alternative. Ils reprochent aussi à certains économistes proches de P. Rosanvallon et de « la République des Idées », plus favorables au modèle anglo-saxon, comme T. Philippon, d’oublier les traits spécifiques au modèle nordique.

37La tentative de mettre en avant le modèle scandinave ou nordique peut, il est vrai, apparaître comme partiellement ambiguë, au moins dans la réception qui est en faite dans la France de 2006 : c’est en effet pour leur caractère flexible, pour leur capacité à la réforme que les pays scandinaves sont souvent cités en exemples, plus que pour leur haut niveau de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques, ou d’autres traits de leur système économique et social finalement assez mal connu. Le discours de T. Smith est très clair sur ce plan : la Suède a réussi à réformer un système jusque-là extrêmement généreux dans le sens d’une plus grande flexibilité. Les usages du modèle scandinave ou nordique peuvent ainsi recouvrir autant un retour aux sources de la social-démocratie qu’une inflexion libérale concernant en premier lieu le marché du travail. Les ambivalences de l’usage de la flexicurité confortent d’ailleurs cette interprétation. Il reste que c’est bien le modèle danois qui sera le plus explicitement présent dans le débat public français, sans doute du fait des difficultés à constituer le modèle britannique ou a fortiori le modèle américain en exemples qui s’imposeraient de façon ouverte, en particulier en matière de réforme du marché du travail. Sur ce plan, la valorisation du modèle scandinave a peut-être eu pour effet paradoxal de rendre encore moins visible l’omniprésence de ce modèle anglo-saxon tellement valorisé qu’il n’a pas besoin d’être explicitement énoncé. Celui-ci reste pourtant extrêmement central en France, cela sans grande variation depuis l’après-Seconde Guerre mondiale. Des commissions de productivité du Plan en passant par les ouvrages de J.-J. Servan-Schreiber ou de M. Crozier, c’est même sans aucun doute le modèle américain qui a le plus fasciné les élites économiques, politiques, administratives et intellectuelles françaises depuis 1945. La construction de la catégorie de modèle social français est aussi certainement indissociable des nouvelles modalités de ce rapport national ambivalent à la domination, symbolique autant que politique et économique, des Etats-Unis d’Amérique.

38Les macroéconomistes keynésiens de l’OFCE interviennent dans le débat de façon très critique et distanciée. Dans un rapport du Conseil d’analyse économique publié au début des années 2000, Jean-Paul Fitoussi montrait que les performances en matière d’emploi étaient davantage liées à des facteurs macroéconomiques (politique budgétaire, monétaire, salariale) qu’à des facteurs « institutionnels » (rigidité du marché du travail, centralisation des négociations, etc.). Il ne peut être qu’en porte-à-faux face à la réduction des contre-performances françaises à des structures sociales inadaptées. Comme l’indique un enquêté économiste à l’OFCE, organisme indépendant critique dirigé par J.-P. Fitoussi : « Les études [de l’OCDE] montrent qu’on n’arrive pas à faire un lien entre plus de flexibilité et plus d’emploi (…). Donc, ils disent : “Voilà, c’est pas parce qu’on n’arrive pas à le montrer que ça n’existe pas”. Là, on peut être d’accord avec eux… “Mais, tout de même, bon, il y a des corrélations qui fonctionnent bien et puis bon, théoriquement, on voit bien le modèle qui est derrière. Donc, ça devrait jouer là-dessus…” “Bon, il faut faire attention aux corrélations : corrélation n’est pas causalité”. Alors ils prennent toutes les réserves, mais ils disent : “Bon, on pourrait faire ça, quoi”. Et c’est très sérieux leurs études, hein : ils montrent les faiblesses de leurs résultats. Il y a un petit résumé. Donc c’est un peu ça : “Pourquoi pas ?” Mais surtout, ce qui est vraiment bien dans leurs travaux, c’est qu’ils vous montrent que la flexibilité seule ne fonctionne pas non plus. C’est catastrophique. C’est-à-dire que si vous ne faites que flexibiliser le marché du travail uniquement, ça va détruire des emplois. Donc, voilà, ils disent : “C’est important de flexibiliser, mais il faut sécuriser à côté. Et pour sécuriser, vous avez le modèle danois.” Admettons. (…) Mais sauf que ça, ça nécessite d’augmenter les prélèvements obligatoires de dix points. Ça coûte cher. » (Economiste à l’OFCE, doctorat d’économie, 40 ans, 2007).

39Les contradictions du discours libéral sur la flexicurité, révélées par les économistes de l’OFCE, sont liées à l’insistance sur la réduction des prélèvements obligatoires, qu’ils décrivent comme incohérente avec les caractéristiques du modèle nordique. C’est, implicitement, le modèle américain ou britannique qui est valorisé par beaucoup de ces acteurs [28] qui invoquent le Danemark ou la Suède.

40A la suite de ce débat, plusieurs ouvrages continueront d’être publiés sur le thème du déclin, de la crise ou de l’épuisement du modèle français. L’arrivée à l’Elysée de Nicolas Sarkozy avec un programme de rupture s’accompagnera d’une mise en application rapide de celle-ci, en premier lieu en matière d’emploi public. Préparé par de nouveaux rapports (le rapport Attali, en premier lieu), un nouveau mouvement de libéralisation et de réformes structurelles vise à renforcer la compétitivité de la France dans différents secteurs. Le contrat unique sur le marché du travail, proposition emblématique de la rupture durant la séquence 2005-2006, ne sera toutefois pas mis en place, à la grande déception de ses promoteurs dans le monde des économistes.

41La séquence du débat sur le modèle social français montre comment une catégorie émerge rapidement puis s’établit dans le paysage politico-médiatique. Une fois établie, elle fait l’objet d’un usage plus routinier, qui garde la trace de ce contexte d’usage initial ; elle s’accompagne d’un ensemble de raisonnements et de récits eux-mêmes routiniers, partiellement implicites, convoquant des évidences partagées qui sont très rarement questionnées sur une base argumentative et empirique approfondie. En l’occurrence, « modèle social français » devient une locution relativement courante, qui sera réactivée dans le contexte de l’élection présidentielle de 2007, qui circulera dans un espace international, et qui s’accompagnera désormais le plus souvent d’une dépréciation des performances françaises sur le plan social, en particulier en matière d’emploi.

42Début 2009 (le 30 janvier), cependant, un article de Claire Guélaud dans le journal Le Monde fait apparaître un nouveau cadrage, qui fait suite à l’entrée en crise brutale et massive du capitalisme mondial : « Dans la crise, le modèle français, naguère décrié, retrouve des couleurs ». « Qui eût cru, avant, que Nicolas Sarkozy serait prêt à défendre le “plus d’Etat” » ? Qui eût imaginé ses ministres convertis aux vertus d’un modèle français qu’ils accusaient, il y a peu, d’être trop coûteux, de brider l’esprit d’entreprise, de faire obstacle à la modernisation du pays ? ». Mais l’inversion des polarités idéologiques qui fait suite à la crise globale est une autre histoire…

Tableau 8

Lexique en 2005 (spécificités positives)

Tableau 8
N° Terme F f Spécificité 25 Modèle 377 256 + E05 192 Ecole 32 29 + E05 551 Scolaire 13 13 + E04 550 Royaume-Uni 13 12 + E03 619 Barre 11 11 + E03 672 Budget 10 10 + E03 408 Moyenne 17 15 + E03 122 Croissance 55 43 + E03 211 Droite 29 25 + E03 681 Démocrate 10 10 + E03 319 Plan 21 19 + E03 200 Euros 31 26 + E03 119 Taux 59 44 + E03 542 Prime 13 12 + E03 181 Gauche 34 28 + E03

Lexique en 2005 (spécificités positives)

Source : corpus articles d’opinion.
Tableau 9

Lexique en 2006 (spécificités positives)

Tableau 9
N° Terme F f Spécificité 180 CPE 34 34 + E13 579 Flexicurité 12 12 + E05 164 Nordiques 38 29 + E05 132 Contrat 50 36 + E05 38 Travail 257 140 + E05 705 Peyrefitte 10 10 + E04 366 Qualifiés 19 16 + E04 112 Formation 64 41 + E04 372 CDD 18 15 + E04 83 Jeunes 89 53 + E04 169 Mal 37 24 + E03 539 Permettre 13 11 + E03 328 Financement 20 15 + E03 142 Réformes 47 28 + E03 229 Heures 27 18 + E03 133 Droit 50 32 + E03 563 Actuelle 12 10 + E03 93 Salariés 77 44 + E03 666 Terme 11 10 + E03 127 Flexibilité 52 33 + E03 313 Gestion 21 16 + E03 639 Eviter 11 9 + E03 432 Nordique 16 13 + E03 206 Partenaires 30 21 + E03

Lexique en 2006 (spécificités positives)

Tableau 10

Le lexique de Nicolas Baverez

Tableau 10
N° Terme F f Spec. orig. 295 Faillite 22 12 + E09 238 Secteur 27 12 + E08 530 Insertion 13 7 + E06 540 PIB 13 6 + E05 237 Retour 27 9 + E05 701 Ouverture 10 6 + E05 256 Baisse 24 9 + E05 38 Travail 257 35 + E05 500 Privé 14 6 + E04 264 Fonction 24 7 + E04 520 Compétitivité 13 5 + E04 545 Production 13 5 + E04 179 Siècle 35 9 + E04 229 Heures 27 8 + E04 385 Plein 18 6 + E04 614 Aides 11 5 + E04 330 Milliards 20 7 + E04 221 Activité 28 8 + E04 677 Constitue 10 4 + E03 79 Marché 94 15 + E03 449 Européen 15 5 + E03 224 Développement 28 6 + E03 319 Plan 21 6 + E03 418 2005 16 5 + E03 651 Modernisation 11 4 + E03 170 Publique 37 8 + E03 582 Innovation 12 4 + E03 210 Code 29 6 + E03 550 Royaume-Uni 13 4 + E03 607 2004 11 4 + E03 101 Economique 70 12 + E03 277 National 23 6 + E03 472 Déficit 14 5 + E03 53 Chômage 171 22 + E03 499 Principe 14 5 + E03 122 Croissance 55 10 + E03 200 Euros 31 7 + E03 334 Pauvreté 20 4 + E02 647 Lutte 11 3 + E02 157 Durée 39 6 + E02 54 Sociale 168 18 + E02
Tableau 10
439 Trouve 16 4 + E02 118 Entreprise 59 9 + E02 346 Citoyens 19 4 + E02 71 Etat 111 13 + E02 183 Recherche 34 6 + E02 384 Passe 18 4 + E02 102 Contre 69 9 + E02 405 Libéralisme 17 4 + E02 119 Taux 59 9 + E02 504 Révolution 14 4 + E02 134 Economie 50 8 + E02 33 Social 281 26 + E02 543 Principes 13 3 + E02 598 Publiques 12 3 + E02 548 Redistribution 13 3 + E02 336 Progrès 20 4 + E02 533 Mobilité 13 3 + E02 382 Nation 18 4 + E02 266 Part 24 5 + E02 641 Glorieuses 11 3 + E02 670 Atteint 10 3 + E02 234 Providence 27 5 + E02 528 Grâce 13 3 + E02 123 Public 55 8 + E02 140 Chômeurs 47 0 - E02 36 France 263 10 - E02 77 Bien 97 2 - E02 111 Autres 64 0 - E02 59 Système 145 4 - E02 49 Pays 183 6 - E02 93 Salarié 77 0 - E03 94 Faire 74 0 - E03 67 Peut 121 0 - E04

Le lexique de Nicolas Baverez

Tableau 11

Le lexique de Dominique Méda

Tableau 11
N° Terme F f Spec. orig. 164 Nordiques 38 17 + E12 112 Formation 64 17 + E08 83 Jeunes 89 18 + E07 366 Qualifiés 19 8 + E06 362 Permet 19 7 + E05 205 Fin 30 8 + E05 432 Nordique 16 5 + E04 438 Travailler 16 5 + E04 207 Professionnelle 30 6 + E03 397 Danois 17 4 + E03 525 Elevée 13 4 + E03 678 Contrepartie 10 4 + E03 315 Main 21 5 + E03 367 Qualité 19 5 + E03 142 Réformes 47 7 + E03 183 Recherche 34 7 + E03 374 Continue 18 5 + E03 38 Travail 257 24 + E03 105 Vie 68 9 + E03 644 Emploi 11 4 + E03 457 Nombreux 15 4 + E03 259 Danemark 24 5 + E03 206 Partenaires 30 6 + E03 127 Flexibilité 52 9 + E03 263 Enfants 24 4 + E02 426 Femmes 16 3 + E02 89 Tous 79 9 + E02 215 Pourquoi 29 5 + E02 172 Ensemble 36 5 + E02 639 Eviter 11 3 + E02 343 Vivre 20 4 + E02 568 Besoins 12 3 + E02 687 Employeurs 10 3 + E02 222 Chacun 28 5 + E02 633 Différence 11 3 + E02 648 Massivement 11 3 + E02 455 Mis 15 3 + E02 592 Patrons 12 3 + E02 646 Long 11 3 + E02 229 Heures 27 4 + E02 96 Sociaux 72 9 + E02 539 Permettre 13 3 + E02
Tableau 11
294 Etudes 22 4 + E02 167 Assurance 37 5 + E02 79 Marché 94 10 + E02 684 Développer 10 3 + E02 72 Politique 109 1 - E02 73 Société 108 1 - E02 101 Economique 70 0 - E02 25 Modèle 377 9 - E03 33 Social 281 4 - E03

Le lexique de Dominique Méda

Tableau 12

Le lexique de Timoty B. Smith

Tableau 12
N° Terme F f Spec. orig. 625 Commencer 11 5 + E05 427 Fonctionnaires 16 6 + E05 83 Jeunes 89 15 + E05 234 Providence 27 7 + E04 671 Bénéficient 10 4 + E04 305 Suède 22 6 + E04 103 Française 68 9 + E03 411 Retrouver 17 4 + E03 519 Chose 13 4 + E03 60 Etre 143 14 + E03 71 Etat 111 12 + E03 484 Immigrés 14 4 + E03 426 Femmes 16 4 + E03 94 Faire 74 9 + E03 36 France 263 22 + E03 140 Chômeurs 47 7 + E03 257 Bas 24 5 + E03 477 Discours 14 3 + E02 496 Parti 14 3 + E02 650 Modèles 11 3 + E02 497 Précaires 14 3 + E02 285 Bon 22 4 + E02 79 Marché 94 9 + E02 306 Unis 22 4 + E02 170 Publique 37 5 + E02 99 Monde 71 7 + E02 612 Acquis 11 3 + E02 618 Avantages 11 3 + E02 408 Moyenne 17 3 + E02 478 Doivent 14 3 + E02 504 Révolution 14 3 + E02
Tableau 12
623 Classe 11 3 + E02 358 Gens 19 4 + E02 143 Mondialisation 46 6 + E02 373 Compris 18 3 + E02 218 Situation 29 5 + E02 405 Libéralisme 17 3 + E02 400 Egalité 17 3 + E02 317 Passé 21 4 + E02 460 Raison 15 3 + E02 451 Hommes 15 3 + E02 293 Etats 22 4 + E02 664 Riches 11 3 + E02 626 Confiance 11 3 + E02 33 Social 281 7 - E02 92 Protection 77 0 - E02 107 Niveau 66 0 - E02 54 Sociale 168 2 - E02 25 Modèle 377 9 - E02 104 Sécurité 68 0 - E02 293 Etats 22 4 + E02 664 Riches 11 3 + E02 626 Confiance 11 3 + E02 33 Social 281 7 - E02 92 Protection 77 0 - E02 107 Niveau 66 0 - E02 54 Sociale 168 2 - E02 25 Modèle 377 9 - E02 104 Sécurité 68 0 - E02

Le lexique de Timoty B. Smith

Tableau 13

Le lexique de Nicolas Sarkozy

Tableau 13
N° Terme F f Spec. orig. 637 Embauches 11 5 + E07 303 Salarié 22 4 + E04 93 Salariés 77 7 + E04 583 Licenciement 12 3 + E04 379 Juste 18 4 + E04 85 Aujourd’hui 87 5 + E03 106 Emplois 66 5 + E03 708 Profit 10 2 + E03 702 Parcours 10 2 + E03 127 Flexibilité 52 4 + E03 87 Entreprises 84 6 + E03 157 Durée 39 4 + E03 375 Davantage 18 2 + E02 264 Fonction 24 2 + E02 475 Devrait 14 2 + E02 581 Indemnisation 12 2 + E02 185 Face 33 3 + E02 40 Emploi 249 9 + E02 626 Confiance 11 2 + E02 143 Mondialisation 46 3 + E02 289 Contraire 22 2 + E02 133 Droit 50 3 + E02 383 Nouvelles 18 2 + E02 53 Chômage 171 7 + E02 132 Contrat 50 3 + E02 604 Véritable 12 2 + E02 268 Unique 24 2 + E02 25 Modèle 377 1 - E02

Le lexique de Nicolas Sarkozy

Notes

  • [*]
    CURAPP.
  • [1]
    Ce travail est issu d’une étude financée par l’IRES réalisée à la demande de la CGT sur « Les usages socio-politiques de la notion de modèle social » par le Frédéric Lebaron, Carole Waldvogel, Josette Lefevre, Florence Gallemand, du CURAPP (UMR UPJV-CNRS 6054) en 2006-2008.
  • [2]
    Cf. le travail réalisé par Josette Lefèvre, dans le cadre du projet, sur la base de données syndicales au CURAPP.
  • [3]
    L’une des principales références savantes mobilisées dans le débat public est la référence à G. Esping-Andersen, Les trois mondes de l’Etat-providence, coll. «Le lien social», ed. PUF, 1999. De nombreux autres travaux portent sur les modèles (surtout économiques ou productifs) nationaux, comme par exemple ceux de l’école de la régulation ou des néo-institutionnalistes sur les modèles de capitalisme. Cette littérature est très peu mobilisée dans le débat public et en particulier lors de la cristallisation du discours sur le modèle social français.
  • [4]
    Sur la notion de « performativité » en sociologie, P. Bourdieu (1982). Reprenant le concept à J.-L. Austin, à l’origine de la théorie des « actes de langage », Bourdieu analyse toute opération langagière comme une pratique socialement située.
  • [5]
    Sur les notions de « doxa » et « d’idéologie » en analyse de discours, cf. T. Guilbert, 2007.
  • [6]
    Selon l’expression utilisée par Michel Crozier en 1970 (La société bloquée, Etat moderne, Etat modeste, Seuil).
  • [7]
    Lehingue, 2007, p. 122-139.
  • [8]
    Bruno, 2008.
  • [9]
    La publication par la Banque mondiale d’un classement de l’attractivité des systèmes juridiques est à l’origine d’un large débat au sein de la communauté nationale des juristes.
  • [10]
    Sur les enquêtes PISA et leurs usages dans la comparaison des performances éducatives et des politiques publiques, cf. Mons, 2007.
  • [11]
    Pierru, 2006.
  • [12]
    Les plus connus de ces ouvrages sont : N. Baverez, Nouveau monde, vieille France, ed. Perrin, 2005 ; N. Baverez, Que faire ?, ed. Perrin, 2006.
  • [13]
    Sapir, 2005. Une étude sur la diffusion internationale de la notion de « modèle social » est bien sûr encore à mener.
  • [14]
    Pour une synthèse de cette étude, cf. Lefebvre, Méda, 2006, p. 36-37.
  • [15]
    Cf. Bruno, 2008, op. cit.
  • [16]
    Cf. aussi Lebaron, Schultheis, 2006, p. 873-886.
  • [17]
    Bien entendu, il est nécessaire, pour comprendre la dynamique de la formation de la notion et de ses usages, de prendre également en compte diverses autres formes de production de discours public : déclarations et discours officiels dans des conférences de presse ou des meetings, parole télévisuelle ou radiophonique, livres, articles académiques, rapports, notes administratives, textes publiés sur des sites Internet, etc.
  • [18]
    Cf. Tournier, 1981, p. 5-10.
  • [19]
    Cf. Guilbert, 2005, op. cit.
  • [20]
    Maingueneau, 2007.
  • [21]
    Voir tableaux d’analyse lexicale après la bibliographie.
  • [22]
    Lebaron, 2005, p. 73-89.
  • [23]
    Cf. notamment Olivennes, 1994, op. cit.
  • [24]
    Cf. rapport pour l’IRES.
  • [25]
    Du point de vue de leurs caractéristiques sociales (qui ont fait l’objet d’une étude dans le cadre du contrat de recherche), les acteurs dominants sont des acteurs politiques centraux, des journalistes, économistes, experts, chefs d’entreprise, souvent liés à l’espace politique et médiatique de la droite libérale. Les auteurs les plus critiques sont plus souvent liés au monde universitaire ou de la recherche.
  • [26]
    Cf. Guilbert, 2005, op. cit.
  • [27]
    Cf. Lebaron, 2009, p. 113-118.
  • [28]
    Comme dans beaucoup de débats publics, l’apparition d’une catégorie et d’une problématique apparemment nouvelles suscite des prises de position qui sont en partie circonstancielles. Il en est ainsi, de façon très évidente, de la mobilisation professionnelle de l’ordre des experts-comptables dans le débat sur le modèle social, qui est avant tout l’occasion d’affirmer un positionnement socio-professionnel spécifique. Il en est de même de l’intervention du directeur des études d’Entreprise et Personnel ou, dans un autre registre, de celle, très ponctuelle, d’un économiste universitaire proche d’Attac et du MRC. Ce dernier réagit, aux côtés d’un autre membre du conseil scientifique d’Attac, au discours violemment anti-républicain tenu à l’occasion des émeutes de novembre 2006 par deux sociologues. Ce caractère de test projectif est aussi manifeste avec l’intervention publique d’un ancien ministre du gouvernement Raffarin puis Villepin, qui met en avant les valeurs humanistes du modèle social français lors du lancement de son club « Société en mouvement ». Il le fait dans un article de La Croix où le modèle social est valorisé pour ses fondements humanistes, en réaction aux prises de position de Nicolas Baverez.
Français

La cristallisation d’un discours sur le « déclin » du modèle social français en 2005-2007 exprime l’inflexion du débat public national dans le sens d’une forme d’autocritique. Le « constat » de la « crise » du modèle français réunit des commentateurs divers, qui s’opposent plus sur les causes et les conséquences de celle-ci que sur son existence, voire sur celle d’un « modèle social » facilement définissable. Cet article a pour but de reconstituer les principaux traits et la dynamique des usages socio-politiques de cette notion durant la période 2005-2007, en s’appuyant sur un corpus de textes d’opinion et sur une série d’entretiens avec plusieurs acteurs de ce débat.
Dans un premier temps sont présentées les racines historiques et idéologiques du discours consistant à « mettre en crise » le « modèle social » français. Les principaux traits lexicaux et rhétorico-argumentatifs de ce discours sont ensuite analysés à partir d’un corpus strictement délimité de textes d’opinion. Enfin, la dynamique du débat ou de la controverse est restituée à partir de ces textes et d’un ensemble d’entretiens réalisés auprès de ses protagonistes.

English

The « French social model » (is running out of breath): genesis of a doxa – 2005-2007

The « French social model » (is running out of breath): genesis of a doxa – 2005-2007

The crystallisation of the discourse about the “decline” of the French social model in 2005-2007 reflects the inclination of the French public debate towards a sort of self-criticism. The “acknowledgement” of the “crisis” the French model is going through brings various analysts together, who rather discuss its causes and consequences than its existence, or even the existence of an easily definable “French model”. This article aims at defining the main characteristics and the dynamics of the socio-political uses of the notion over the period 2005-2007, based on a body of opinion writings, as well as on a series of interviews of several actors of this debate.
We will first present the historical and ideological backgrounds of the discourse, which puts the French social model “in crisis”. We will then analyse its main lexical and rhetorico-argumentative characteristics, on the basis of a strictly delimited body of opinion writings. Last, we will reconstruct the dynamics of the debate – the controversy? – from these writings and a set of interviews of the main protagonists.

Références bibliographiques

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  • Sapir A. (2005), « Globalisation and the Reform of European Social Models », Bruegel Policy Brief, November.
  • En ligneTournier M. (1981), « Spécificité politique et spécificité lexicale », Mots, 2, 2.
Frédéric Lebaron [*]
  • [*]
    CURAPP.
Florence Gallemand
Carole Waldvogel
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 30/12/2013
https://doi.org/10.3917/rdli.061.0129
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