CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Issu d’une thèse de doctorat, ce travail témoigne à la fois de la vitalité de la recherche historique sur la Bretagne et de la curiosité renouvelée pour la paroisse, ainsi que plus largement pour l’échelon local. Comme le souligne l’auteur, il ne s’agit ni d’une nouvelle monographie diocésaine – puisque le cadre choisi englobe trois diocèses, Rennes, Dol et Saint-Malo – ni d’une étude de micro~histoire – puisqu’elle porte sur un grand nombre de paroisses (469, celles des trois villes épiscopales étant exclues du champ de l’étude).

2Le découpage chronologique annoncé par le titre correspond à l’ample mouvement de Réforme catholique qui, du milieu du XVe au milieu du XVIIIe siècle, forme bel et bien, comme le montre d’emblée l’introduction, le cœur du propos. L’auteur choisit de l’étudier pour le pays gallo, moins connu que la Basse-Bretagne. Disposant d’archives paroissiales abondantes, et notamment de très belles séries de comptes de fabriques, il rompt délibérément avec la démarche classique consistant à étudier le processus de diffusion de la Réforme catholique du haut vers le bas, depuis les évêques jusque vers la masse des fidèles. Il préfère privilégier l’échelle paroissiale, en cette zone où la paroisse coïncide avec la communauté locale, afin de retracer une histoire « au ras du sol » des changements religieux. C’est peut-être à cette démarche de l’historien que renvoie l’énigmatique « Révolution » annoncée dans le titre…

3Chronologique dans ses grandes lignes, le plan de l’ouvrage, plus subtil qu’il n’y paraît, nous propose, dans un premier temps, un panorama des paroisses de Haute-Bretagne au XVIe siècle, suivi d’une partie plus dynamique intitulée « Le siècle de la Réforme catholique », et d’une troisième sous forme de bilan,« Réussites et limites de la Réforme catholique ».

4Le tableau initial mêle l’étude, fort minutieuse, de la gestion paroissiale au quotidien à celle de la disposition et de la décoration des églises. Si le questionnement relevant de l’approche anthropologique héritière des travaux d’Alphonse Dupront a déjà trouvé sa place dans maints travaux d’histoire religieuse, on soulignera la nouveauté que représente l’intégration des objets du culte, soigneusement inventoriés par les trésoriers des paroisses bretonnes, comme source à part entière du travail historique. L’étude de l’encadrement clérical révèle, jusqu’à la fin du XVIe siècle, une gestion efficace mais plus administrative que réformatrice.À l’échelle locale, le clergé apparaît bien inséré dans la société laïque, ce qui explique peut-être la faible implantation du protestantisme, limitée à quelques îlots aristocratiques ou urbains.

5Un long XVIIe siècle est ensuite identifié comme celui de la mise en œuvre de la Réforme catholique dans les paroisses. À des rythmes et selon une intensité variables d’un diocèse à l’autre, s’observent les déclinaisons du phénomène réformateur bien connu :multiplication des statuts synodaux, visites pastorales plus fréquentes, lente diffusion dans les rangs du clergé d’un nouvel idéal clérical. Dans les paroisses devenues plus riches, la gestion est soumise à un contrôle plus étroit et l’on repère, vers le début du XVIIIe siècle, une restriction effective de la participation aux décisions. Plus largement, le projet de christianisation de la société passe par l’action des élites dévotes, bien étudiée à partir du registre inédit de la Compagnie du Saint-Sacrement de Vitré, et des missions qui sillonnent la province. La remarquable densité des confréries de dévotion dans les paroisses du diocèse de Saint-Malo illustre la réussite de cette entreprise. L’analyse des transformations du culte donne lieu à de beaux passages sur la sollicitation des sens, à une étude des fondations et messes privées reposant sur les testaments conservés dans les archives paroissiales et à une analyse précise des réorganisations de l’espace sacré.

6Le bilan de cette entreprise fait l’objet de la troisième partie, intitulée « Croyances et pratiques. Réussites et limites de la Réforme catholique ». L’auteur y montre de quelle manière l’omniprésence du clergé, les évolutions de la pastorale, le développement du catéchisme et de la confession et les transformations de la décoration des églises contribuent à l’intériorisation et à l’individualisation de la piété. Croisant les données issues de l’iconographie, des invocations testamentaires et des titulatures d’églises, autels et chapelles, il dresse le panorama des dévotions et de leur évolution. Sur le temps long, il apparaît que la confrontation des saints locaux et de nouveaux cultes promus par le clergé réformateur s’effectue, ici peut-être plus qu’ailleurs, sous le signe du compromis et d’accommodements réciproques. Ceci n’empêche pas, comme le montre l’ultime chapitre, la survivance de croyances et de rites protecteurs, qui souligne les limites du processus d’acculturation.

7Au fond, les résultats obtenus, s’ils ne remettent pas fondamentalement en cause ce que l’on savait déjà, confirment la validité de la démarche consistant, en exploitant au maximum les sources locales, à « rendre aux paroissiens eux-mêmes leur dignité d’acteurs et ruiner le mythe de leur passivité » (p.352). Ces sources sont ici citées et étudiées avec une minutie et un souci de la nuance exemplaires, qui préservent l’auteur de toute généralisation abusive et donnent à son ouvrage toute sa richesse.

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2009
https://doi.org/10.3917/rhmc.554.0189
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