CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1La détermination de la hauteur de l’atmosphère constitue un fil rouge de la science atmosphérique tout au long des xviie et xviiie siècles. Johannes Kepler, au début du xviie siècle, estime la hauteur de l’atmosphère, assimilée à une couche homogène d’air surmontée par l’éther, au sein de laquelle est réfractée la lumière provenant des étoiles, à 3,7 km sur la base d’un modèle de réfraction atmosphérique [1]. Cette valeur est très inférieure à celle déduite au xie siècle par les savants arabes de la durée des crépuscules, de l’ordre de 80 km [2]. La découverte du caractère pesant de l’air et de la loi régissant son élasticité, au milieu du xviie siècle, fait passer l’atmosphère du statut d’objet purement mathématique à celui de système physique complexe [3]. La dilatation de l’air avec l’altitude comme l’inverse du poids de la colonne d’air qui le comprime, suivant la loi de Boyle-Mariotte, permet de lever certaines contradictions. Robert Hooke, en Angleterre, comprend que ce sont les couches de fort poids spécifique, au voisinage de la surface, qui causent la réfraction, réconciliant les faibles hauteurs déduites de la réfraction de la lumière des étoiles avec celles déduites de la durée des crépuscules [4]. Edme Mariotte en France [5] et Edmund Halley en Angleterre [6] calculent que l’air, vers 60, 70 km d’altitude, est raréfié d’un facteur d’environ 4 000, un taux de dilatation qu’on peut atteindre à l’époque dans les machines pneumatiques, et qui semble une limite raisonnable aux capacités de dilatation de l’air, jugées limitées. On converge ainsi au tournant du xviiie siècle vers une représentation cohérente de l’atmosphère et de sa hauteur, de l’ordre de 70 km.

2C’est dans ce contexte que s’inscrit le relèvement considérable de la hauteur de l’atmosphère opéré entre 1726 et 1735, d’abord par Jean-Jacques Dortous de Mairan (1678-1771), qui estime l’altitude des plus hautes aurores boréales à 1 200 km, puis par Jacques Cassini (1677-1756), qui, proposant une loi de dilatation de l’air pur observé sur les montagnes en raison inverse du carré du poids comprimant (au lieu de la loi en raison inverse du poids comprimant, dite de Boyle-Mariotte), relève la hauteur de l’atmosphère déduite des mesures de pression à une valeur supérieure à 2 000 km. Cassini propose peu après une estimation théorique de la hauteur de l’atmosphère de 40 000 km, destinée à expliquer la vitesse de rotation de la Terre sur elle-même par l’effet d’entraînement par le fluide éthéré du tourbillon local, tout en respectant les lois de Kepler. L’idée sous-jacente, explicitée par Bernard Le Bovier de Fontenelle (1657-1757) dans la partie « Histoire » des volumes de l’Académie royale des sciences, est une validation de la théorie des tourbillons cartésiens par l’observation des aurores boréales et de la pression de l’air, qui placent le sommet de l’atmosphère à une hauteur, sinon égale, tout au moins plus proche de la hauteur théorique requise par la dynamique tourbillonnaire. Nous suggérons, sur la base d’une analyse de la nature du système de l’aurore boréale de Mairan, d’essence cartésienne [7], et de la justification que fournit la grande hauteur de l’atmosphère avancée par Mairan à la modification qu’apporte Cassini à la loi de dilatation de Boyle-Mariotte, qui renforce encore la cohérence entre grande hauteur de l’atmosphère et théorie des tourbillons, que cet enchaînement de travaux peut être vu comme une offensive cartésienne concertée. Le créneau temporel de ces développements scientifiques coïncide avec les périodisations établies par Pierre Brunet, puis John Bennett Shank, concernant le conflit entre ceux qu’ils nomment cartésiens et newtoniens. Nous suggérons donc par cette étude que cette question de l’atmosphère constitue un élément dont il faut tenir compte dans l’histoire du conflit, élément qui, jusqu’à présent, n’avait pas été mis en évidence.

3Dans la seconde partie, nous donnons un aperçu de la représentation de l’atmosphère héritée du xviie siècle, à partir de laquelle se sont construites les hypothèses sur sa stratification utilisées par Mairan et Cassini dans leurs modèles. La troisième partie est consacrée à la question de la dichotomie air grossier – air pur, qui est à la base de l’idée d’un air plus élastique en altitude, capable donc de s’étendre plus haut, et à l’estimation de la hauteur de l’atmosphère d’air pur proposée par Cassini. La quatrième partie traite de la dichotomie air – air subtil, celui-ci étant imaginé suffisamment dense pour freiner et maintenir en suspension la matière subtile solaire, et de l’estimation de la hauteur de l’atmosphère d’air subtil faite par Mairan. La cinquième partie est dédiée à l’analyse du lien proposé entre cartésianisme, c’est-à-dire théorie des tourbillons cartésiens, et grande hauteur de l’atmosphère.

Représentation de l’atmosphère héritée des siècles précédents

4Le terme atmosphaera, ou « globe des vapeurs », pour qualifier la couche d’air qui enveloppe la Terre, apparaît au début du xviie siècle sous la plume de Willebrord Snell, qui traduit en latin les versions en néerlandais des œuvres antiques et médiévales réalisées par le mathématicien et ingénieur Simon Stevin [8]. Celui-ci s’intéresse à la détermination de la hauteur des vapeurs par les savants arabes à partir de la durée du crépuscule, et pour lui le mot « atmosphère » désigne précisément la région dont cette méthode des crépuscules fournit la hauteur. La méthode consiste à estimer l’altitude des couches supérieures de l’atmosphère qui réfléchissent la lumière du Soleil après le coucher de celui-ci, la nuit ne devenant noire que lorsque le Soleil franchit un angle limite de 18° au-dessous de l’horizon. On considère à l’époque que l’air, étant invisible, est complètement transparent et ne peut réfléchir la lumière, contrairement à la matière grossière des vapeurs et des nuages qui est tenue pour responsable de cette réflexion. La hauteur de ces couches, telle qu’estimée au xie siècle par Ibn Muʿādh, est de l’ordre de 80 kilomètres [9]. Cette hauteur, qui sera revue légèrement à la baisse au début du xviiie siècle [10], est jugée trop grande par certains scolastiques, comme le jésuite Niccolo Cabeo, qui notent que le sommet des nuages est fréquemment observé au-dessous des pics montagneux, donc à beaucoup plus faible altitude, et qui plus est doutent généralement de la pertinence de la démarche mathématique pour représenter le fonctionnement de la nature [11]. Johannes Kepler lui-même, convaincu de la finesse de l’atmosphère, suite à son calcul basé sur la réfraction atmosphérique horizontale de la lumière des étoiles, qui lui donne une épaisseur de 3,7 km [12], rejette la valeur déduite de la durée des crépuscules. Mais il existe tout au long du xviie siècle un courant de pensée selon lequel l’air s’étend très loin au-dessus de l’air impur des basses couches chargé de vapeurs et d’exhalaisons terrestres. La nature de la matière qui surmonte l’air impur fait l’objet de nombreuses interrogations : s’agit-il d’un air pur, air débarrassé des impuretés terrestres, ou bien de l’éther, ou encore du feu, ou tout simplement du vide ? Marin Mersenne déclare que « l’air est continu depuis la terre jusques au firmament, & peut-estre par-delà jusques à l’infiny [13] ». Jean-Dominique Cassini, dans un traité sur la comète de 1652, écrit que « chaque astre a une atmosphère qui s’étend fort loin, et qui se mêle avec les atmosphères des autres astres [14] », et Samuel Sorbière que « l’estenduë de l’univers n’est autre chose que la rencontre des Atmospheres [15] ». Edme Mariotte dit de l’air qu’il y a « quelque vraisemblance qu’il doit s’étendre jusqu’à la lune [16] ». Ainsi, l’hypothèse d’un espace planétaire baigné par les atmosphères des planètes qui l’occupent, dont les composantes d’air pur s’étendraient très loin de leur centre, est omniprésente dans la littérature savante française au xviie siècle, s’inscrivant dans la tradition stoïcienne d’un ciel aérien, théorisée par Jean Pena au milieu du xvie siècle [17] et reprise par Chistoph Rothmann à la fin du même siècle [18].

5Le fait marquant de cette époque en matière de science atmosphérique est la mise en évidence par Evangelista Torricelli en 1644 du caractère pesant de l’atmosphère [19]. L’expérience du puy de Dôme, réalisée peu après par Florin Périer, sur la suggestion de Blaise Pascal et René Descartes, montre que le poids de la colonne d’atmosphère diminue avec l’altitude, et confirme la proposition de Torricelli. Cette découverte modifie considérablement la nature de l’objet « atmosphère », jusqu’alors considéré par les savants comme un milieu essentiellement abstrait, siège de réfraction et de réflexion de la lumière donnant lieu à des calculs mathématiques (modèle de crépuscule d’Ibn Muʿādh, modèle de réfraction de Kepler, repris par Jean-Dominique Cassini quarante ans plus tard [20]). L’air prend dans la deuxième moitié du xviie siècle le statut de matière physique, pesante et compressible, qui, par dilatations successives, se raréfie avec l’altitude. Pierre Gassendi développe une théorie atomiste de l’air, imaginant que l’atmosphère est composée de corpuscules, dont la plupart sont des exhalaisons de nature terrestre, qui ont un poids et tendent à retomber vers la Terre, créant la montée du mercure dans le tube, théorie rapidement popularisée outre-Manche par Walter Charleton [21]. Edme Mariotte côté français, et Robert Boyle côté anglais, établissent la loi qui dit que la dilatation de l’air varie en raison inverse du poids de la colonne d’air qui le comprime, loi dite de Boyle-Mariotte. À partir du rapport, de plus en plus précisément connu, entre le poids spécifique du mercure et celui de l’air, les physiciens calculent la hauteur de la colonne d’air, supposée homogène, nécessaire pour équilibrer les 760 mm de mercure mesurés dans le baromètre. Mariotte propose pour la hauteur de l’atmosphère homogène une valeur de 2 lieues, soit 8 km [22]. Procédant à une linéarisation par morceaux de la progression géométrique des dilatations de l’air, il calcule de proche en proche, à partir du bas, les dilatations des couches successives du fait de la diminution du poids de l’air comprimant, et conclut à une atmosphère de 60 km d’altitude, l’air au sommet étant 4 000 fois plus dilaté qu’au niveau de la mer. Si l’on accepte que l’air puisse être raréfié 8 millions de fois, l’atmosphère s’élève selon lui jusqu’à 120 km [23]. Il teste sa relation sur les mesures de pression effectuées par Jean-Dominique Cassini sur une montagne de Provence [24] et la trouve vérifiée par l’observation à mieux que 2 % de précision. Outre-Manche, Robert Hooke suggère, à partir d’un calcul analogue, que seules les couches situées dans la partie basse de l’atmosphère, typiquement les 5 à 7 premiers kilomètres, infléchissent significativement les rayons lumineux du Soleil par réfraction [25], réconciliant la faible valeur de la hauteur de l’atmosphère proposée par Kepler avec la hauteur plus importante déduite des crépuscules. Halley calcule que l’air à 65 km d’altitude, au voisinage de la hauteur fournie par les crépuscules, est raréfié d’un facteur 4 000 [26], résultat voisin de celui de Mariotte. On parvient ainsi, à la fin du xviie siècle, à une représentation cohérente de l’atmosphère et de sa hauteur, rendant compte de la faible hauteur déduite de la réfraction horizontale, et accordant les hauteurs déduites des crépuscules et de l’application de la loi de Boyle-Mariotte autour d’une valeur d’une soixantaine de kilomètres.

6La définition de l’atmosphère fournie par l’article Athmosphere du Dictionnaire universel d’Antoine Furetière de 1690 [27] :

7

« C’est la partie de l’air qui est chargée de vapeurs, ou de nuages, & qui n’a pas la pureté de la région étherée : c’est ce qui cause la refraction de la lumiere des astres. La lune paroist plus grosse à son lever, à cause des vapeurs de l’Athmosphere. »

8pose clairement la distinction entre l’air des basses couches, chargé d’impuretés, et qui est responsable de la réfraction de la lumière des astres, et la région éthérée qui se trouve plus haut. La croyance selon laquelle c’est la réfraction de la lumière par les vapeurs qui fait paraître la Lune plus grande au voisinage de l’horizon (phénomène dit aujourd’hui de l’illusion lunaire, car d’origine psychologique) est encore prégnante au tournant du xviiie siècle. La polémique qui oppose à ce sujet Nicolas de Malebranche à Pierre-Sylvain Régis à la fin du xviie siècle [28] est emblématique des résistances qui se manifestent à l’encontre des théories faisant appel à une origine non-mécaniste du phénomène. L’estimation de la hauteur de l’atmosphère à partir de la mesure de la réfraction atmosphérique conduit à une valeur que Kepler, on l’a vu, estime à quelques kilomètres, et il peut donc paraître naturel d’attribuer la réfraction à l’air des basses couches chargé d’impuretés. Il est ajouté au même article Athmosphere, dans l’édition de 1727 du Dictionnaire universel[29], que la partie de l’air chargée de vapeurs et de nuages est « la plus grossière, & la plus pesante », et que cette atmosphère « se termine à une certaine distance, & forme comme un globe qui environne, & enferme celui de la terre », introduisant donc l’idée d’une limite supérieure à l’atmosphère. L’article Athmosphere du Lexicon technicum anglais de John Harris dans son édition de 1704 [30] présente l’atmosphère de façon similaire, à ceci près qu’il ne fait aucune allusion à l’agrandissement de la Lune par la réfraction à l’horizon. Dans la partie de l’article consacrée à la hauteur de l’atmosphère, l’auteur mentionne que, selon Robert Boyle, si « l’atmosphère n’est pas qu’une partie limitée de l’air, mais s’étend aussi haut que lui », il est « probable qu’elle soit haute de centaines et même de milliers de miles ». On retrouve l’idée d’un air, au sens d’air pur, ou d’éther, s’étendant à grande distance de la Terre, l’air grossier, qui constitue l’atmosphère, ayant au contraire une extension spatiale limitée.

9L’article Athmosphere du Grand dictionnaire géographique et critique de Bruzen de La Martinière, édité en 1726 [31], fournit une bonne synthèse des connaissances héritées du xviie siècle. Il est presque exclusivement consacré à la question de la hauteur de l’atmosphère, qui devient au début du xviiie siècle un sujet d’interrogation majeur. L’article débute par la définition suivante :

10

« On entend par ce mot la region inferieure de l’air, laquelle enveloppe la terre tout à l’entour, & où s’élevent les exhalaisons, les brouillards, les nuées et les vents. L’air qui est au-delà est nommé l’Æther ou la matiere Ætherée. C’est dans l’Atmosphère que se forme la refraction de la lumière que nous envoyent les Etoiles fixes & les Planetes, & ce sont ses vapeurs qui font paroître la Lune plus grande quand elle se leve, que quand elle est au Meridien. L’Atmosphere a donc une étendue bornée, & et elle est terminée à une certaine distance dans laquelle il y a deux choses à considerer ; le poids, & la hauteur, l’une pourroit se conclure de l’autre si elle étoit également dense par tout ; mais cela n’est pas. »

11On y retrouve l’idée que l’atmosphère résulte d’un mélange entre l’éther et les vapeurs et exhalaisons terrestres au voisinage de la surface de la Terre. Concernant la question de la hauteur de l’atmosphère, l’auteur explique qu’il n’est pas possible de l’estimer à partir de la loi de décroissance de la pression de l’air déduite de la loi de Boyle-Mariotte, car « tout ce qu’on peut découvrir du raport des condensations de l’air au poids, est renfermé dans des observations faites fort près du Globe de la Terre, & qui ne tirent gueres à consequence pour l’air pris à des hauteurs beaucoup plus grandes ». Il préconise d’utiliser plutôt la méthode des crépuscules. Il cite ensuite le globe de feu (un météoroïde entrant dans l’atmosphère) qui a traversé le ciel de l’Italie en 1676, dont la hauteur a été estimée à 60 km [32]. On ne peut pas douter, selon lui, que « ces feux ou météores ne soient formez par des exhalaisons sulphureuses, qui sortent de la Terre, & qui venant à s’enflamer, pesent beaucoup moins que la partie de l’air dont elles occupent la place : mais quelque legeres qu’elles soient elles ne laissent pour cela d’être plus pesantes que l’Æther, que nous considerons sans aucune pesanteur ». En conséquence, elles s’élèvent jusque « sur la surface de l’Atmosphere où elles nagent tant qu’elles durent ; ainsi la hauteur de ces feux doit être la même, que celle de l’Atmosphere ». Les hauteurs déduites des crépuscules et de l’observation du globe de feu sont compatibles entre elles, ce qui renforce la plausibilité de la valeur estimée par les crépuscules.

12Le dictionnaire universel anglais Cyclopædia publié en 1728 par Ephraïm Chambers présente toujours la même définition de l’atmosphère [33]. Mais, comme dans le Dictionnaire géographique paru deux ans auparavant, l’auteur nous informe que la relation entre le degré de dilatation de l’air et l’altitude dérivée de la loi de Boyle-Mariotte est mise en défaut à haute altitude. Les mesures de pression faites sur de hautes montagnes montrent en effet que la loi de dilatation de l’air des montagnes n’est pas la même que celle de l’air aux pressions équivalentes dans les machines pneumatiques, suggérant que l’élasticité de l’air pur, à haute altitude, ne suit pas la même loi que celle de l’air grossier, car « les raréfactions de l’air pur croissent dans un rapport plus grand que les poids [dont l’air est chargé] ne diminuent ». L’article Athmosphere de l’Encyclopédie de D’Alembert et Diderot [34], publié en 1751 [35], reprend quasiment à l’identique celui du Cyclopædia. Cette découverte de la plus grande élasticité de l’air des montagnes ouvre la voie à une possible grande extension vers le haut de l’air pur, sans que pour autant soient violées les lois physiques de comportement de l’air mesurées au laboratoire, puisque air des plaines et air des montagnes sont supposés présenter des caractéristiques physiques différentes.

Dichotomie air grossier – air pur et hauteur de l’air pur

13La question du poids des vapeurs et des exhalaisons est étroitement liée à celle de l’interprétation des variations de pression mesurées par les baromètres à partir du milieu du xviie siècle, dont, au moins pour une part, les impuretés relâchées par la surface terrestre sont rendues responsables. On ne peut ici aller dans le détail des très nombreux débats que cette question a alimentés dans la communauté scientifique de l’époque, mais il est utile d’en expliciter certains aspects liés à la question de la dichotomie air grossier – air pur, qui est un déterminant majeur des conceptions qui vont amener à l’idée d’une atmosphère d’une très grande hauteur. Concernant les variations naturelles de la pression atmosphérique, « il est probable que les vents qui soufflent de tel ou tel endroit les occasionnent, de même que les vapeurs & les exhalaisons de la terre », peut-on lire dans l’article Baromètre de l’Encyclopédie[36]. Gassendi est le premier à avoir souligné le rôle des vents, en conjonction avec celui des exhalaisons, dans les variations du baromètre [37]. Mais, dans sa vision, les exhalaisons n’agissent pas principalement du fait de leur poids, qui augmenterait celui de l’atmosphère, mais plutôt par leur effet dynamique :

14

« […] car ces exhalaisons echauffent, rarefient, soûlevent, & agitent l’air, & font par consequent qu’il pese moins, ou qu’il fait moins d’effort sur la surface de la Terre ; ce qui arrive aussi dans un temps venteux, parce que le Vent agitant, & remuant l’air, & ne luy donnant pas, pour ainsi dire, le loisir de s’aseoir, fait qu’il pese moins, ou qu’il peut moins faire sentir son poids sur la Terre. »

15L’atomisme de Gassendi le conduit à distinguer la pression de l’air de son poids, la pression chez Gassendi étant envisagée comme une résultante, par propagation de proche en proche à travers les chocs entre corpuscules de l’air, de la force de pesanteur [38]. On sait que la pensée de Gassendi a été popularisée en Angleterre par Walter Charleton [39], et il n’est guère douteux que Halley, dans l’interprétation qu’il fournit à la fin du xviie siècle des variations du baromètre en termes d’interactions entre des vents contraires [40], s’inspire des théories de Gassendi. Pour Halley, ce sont les vents qui provoquent compression ou dilatation de l’atmosphère, c’est-à-dire hausse ou baisse du baromètre par apport ou soustraction d’air, et l’effet des vapeurs et exhalaisons se limite à amplifier ces variations : une atmosphère allégée favorise la précipitation des vapeurs qu’elle ne parvient plus à soutenir, et donc s’allège encore (baromètre bas quand il pleut), une atmosphère alourdie maintenant par contre en suspension les vapeurs, qui l’alourdissent d’autant plus (baromètre haut quand il fait soleil). Concernant le rôle de la chaleur dans les variations de la pression atmosphérique, Halley estime qu’il est compensé par celui des vapeurs et des exhalaisons dont la chaleur favorise la production à la surface de la Terre. Celles-ci, venant se loger dans les interstices libérés par la dilatation de l’air échauffé, lui font reprendre en poids ce qu’il perd dans la dilatation, le poids spécifique de l’air n’étant donc pas, ou étant peu, altéré par les effets de la chaleur.

16Mais il existe en France, dès le milieu du xviie siècle, un autre courant qui attribue au poids des vapeurs et exhalaisons un rôle majeur dans les variations du baromètre. Ce courant trouve sa source dans les idées de Blaise Pascal [41], privilégiant la notion de poids de la colonne d’air par rapport à celle de pression élastique mise en avant par Gassendi [42]. Cette opinion est partagée par des membres éminents de l’Académie royale des sciences au tournant du xviiie siècle, tels que Jacques-Philippe Maraldi, ainsi que l’exprime Fontenelle commentant les mesures du baromètre réalisées à Paris et à Gênes [43], qui montrent des variations strictement parallèles dans les deux endroits, « & cela, quoique les Vents y fussent presque toûjours différents, & quelquefois opposés, & la constitution de l’air très différente à l’égard du chaud & du froid ». Autrement dit, ce ne sont ni le vent, ni la chaleur qui, selon Fontenelle, sont à l’origine des variations du baromètre et ce sont donc les vapeurs et exhalaisons qui jouent dans son esprit le rôle central. Ce courant est parfaitement incarné par Nicolas Hartsoeker. Selon lui, « les vents, les tempêtes & tous les grands mouvemens de l’atmosphere diminuent l’action de son poids sur le mercure du Barometre, parce qu’ils font tomber à terre quantité de corps étrangers qu’elle soutenoit, & qui la rendoient par consequent pesante [44] ». Ainsi, c’est à travers leur effet sur la présence ou l’absence de vapeurs que les vents font varier la pression atmosphérique, Halley, on l’a vu, soutenant au contraire que la présence ou l’absence des vapeurs découlent de l’action directe des vents sur la pression. Ainsi, « toutes les variations du mercure dans le tuyau du Barometre viennent principalement des vapeurs & des exhalaisons, dont l’air est toujours plus ou moins chargé & qui l’appesantissent lorsqu’il est obligé de les soutenir ». Hartsoeker, partageant la vision de Descartes suivant laquelle les rayons de lumière passent plus librement à travers un milieu dur et structuré qu’à travers une substance molle et désorganisée, estime que la réfraction atmosphérique est le fait exclusif des particules en suspension dans l’atmosphère [45]. Il introduit un lien direct entre chargement en vapeurs et exhalaisons et intensité de la réfraction atmosphérique, les réfractions étant selon lui « plus grandes quand le Baromètre est haut, & qu’il y a beaucoup d’exhalaisons, & de vapeurs invisibles dans l’air, que lorsque le Baromètre est bas & que l’air a été comme lavé & purgé de ces exhalaisons & de ces vapeurs [46] ». On a dit que l’agrandissement de la Lune au voisinage de l’horizon a longtemps été attribué à l’effet de la réfraction par les vapeurs présentes au voisinage de la Terre, idée qui a perduré jusqu’à la fin du xviie siècle. Hartsoeker inscrit sa représentation de l’atmosphère dans la continuité de cette idée, établissant une relation étroite entre l’intensité de la réfraction atmosphérique et le poids de la colonne d’air attribué aux particules qu’il suppose responsables de la réfraction. L’infirmation de cette relation par l’observation conduira à l’introduction d’une matière subtile réfractive distincte de l’air [47], mais c’est plutôt l’idée sous-jacente d’une atmosphère chargée en vapeurs et exhalaisons qui est ici cruciale.

17Cette idée, très prégnante, est développée dans l’article Air de l’Encyclopédie[48], où la question de l’importance des vapeurs dans le poids de l’air est explicitement abordée : « Quelques personnes douteront peut-être que l’air soit pesant de lui-même, & croiront que sa pesanteur peut venir des vapeurs & des exhalaisons dont il est rempli. Il n’y a aucun lieu de douter que la pesanteur de l’air ne dépende effectivement en partie des vapeurs. » Des mesures du poids de l’air relativement à celui de l’eau, et surtout de sa variation temporelle naturelle, y sont citées, avec la mention de l’opinion de Pieter Van Musschenbroek, selon lequel « suivant les expériences faites en divers endroits de l’Europe […] le rapport de la pesanteur de l’air à celle de l’eau doit être réduit à certaines bornes, qui sont comme 1 à 606, & de-là jusqu’à 1 000 », amplitude très supérieure à celle de la variation du baromètre, suggérant une contribution des vapeurs et exhalaisons au poids de l’atmosphère de plusieurs dizaines de pourcents. La valeur exacte de cette fraction est quantifiée par Jean-Henri Lambert dans une tentative de réconciliation de la valeur de la vitesse du son calculée par Newton et de celle effectivement mesurée, écart que Lambert attribue à la présence de particules en suspension dans l’air qui en augmenteraient la pesanteur et en diminueraient l’élasticité [49]. Il conclut : « Donc en supposant même que les particules étrangères n’occupent que les interstices de l’air pur, il s’ensuit que tout ce surplus du poids dérive de ces particules étrangères, & que par conséquent elles font la 12/37 partie ou environ le tiers de tout le poids d’un pied cube d’air pris à la surface de la mer. » Cette proportion du tiers, déjà suggérée par Van Musschenbroek, est considérable, impliquant un chargement permanent et massif de l’atmosphère en vapeurs et exhalaisons.

18La forme physique précise de ces vapeurs et exhalaisons est au début du xviiie siècle inconnue. Les vapeurs sont définies dans l’article Vapeurs de l’Encyclopédie[50] comme « l’assemblage d’une infinité de petites bulles d’eau ou d’autre matière liquide, remplies d’air raréfié par la chaleur & élevés (sic) par leur légèreté jusqu’à une certaine hauteur dans l’atmosphère ; après quoi elles retombent, soit en pluie, soit en rosée, soit en neige, &c. ». Cette vision est essentiellement basée sur l’observation de l’ébullition de l’eau, avec la formation des bulles que les physiciens de l’époque imaginent remplies de l’air initialement dissout dans l’eau. L’article Ebullition de l’Encyclopédie[51] mentionne néanmoins que d’autres physiciens, dont notamment Van Musschenbroek, « croient que l’ébullition vient des particules de l’eau même, qui sont changées par l’action du feu en vapeur très dilatée, & qui s’élèvent du fond du vase à la surface ». Les vapeurs sont dans tous les cas constituées de petites parties de l’eau, sous une forme physique qui fait débat, suffisamment petites pour que la matière en suspension soit transparente, qui lorsque l’atmosphère se refroidit se joignent pour former des particules plus grosses susceptibles de retomber, dans un processus inverse de celui de l’évaporation. L’article Evaporation de l’Encyclopédie[52] étend la production des vapeurs à partir de l’eau à celle des exhalaisons à partir de la terre, donnant lieu à « l’élévation de certains corps dans l’atmosphère, produite par un degré de chaleur suffisant pour les décomposer, ou par l’ustion [la calcination] même ». C’est par l’effet de la chaleur que vapeurs et exhalaisons s’élevant dans l’atmosphère acquièrent une certaine élasticité, élasticité qu’elles perdent en redevenant eau ou terre par l’action du froid. L’air se distingue des vapeurs et exhalaisons en ceci qu’il garde toute son élasticité, même par les plus grands froids, l’élasticité étant une propriété qui lui est propre, qu’il ne partage pas avec les autres fluides. Van Musschenbroek explicite dans son Essai de physique[53] la difficulté à mesurer expérimentalement l’élasticité de l’air pur, car « notre atmosphère est composée de divers fluides élastiques, dont la force élastique n’est pas du tout la même », la difficulté étant de pouvoir produire au laboratoire un « air bien pur, & sans aucun mélange de quelque autre Fluide étranger », et d’isoler suffisamment cet air pur de son environnement pour pouvoir travailler en confiance. Il se réfère aux mesures de pression faites sur de hautes montagnes, dont l’altitude a par ailleurs été mesurée géométriquement, et qui montrent que la loi des dilatations mesurée au laboratoire n’y est plus vérifiée, l’air pur des montagnes étant plus élastique que celui des plaines, chargé de vapeurs et d’exhalaisons.

19Ce résultat provient des mesures de pression réalisées à partir de 1700 au sommet de plusieurs montagnes de l’Auvergne et des Pyrénées, dans le cadre de la reprise du tracé de la méridienne de Paris, entamé en 1669 [54]. Les hauteurs des montagnes sont calculées par des moyens géométriques, et l’utilisation du baromètre permet de vérifier la loi de variation de la dilatation de l’air établie vingt ans plus tôt par Mariotte [55]. Le baromètre peut par ailleurs être utilisé pour estimer l’altitude d’une montagne qui n’aurait pas pu être caractérisée autrement, pour peu que la loi de variation de la pression avec l’altitude soit vérifiée avec une précision suffisante. Dès 1705, Jacques Cassini publie une table de la variation de la pression entre le niveau de la mer et une altitude de 3 000 m, dérivée de ses propres mesures pour des lieux situés entre 0 et 2 000 m, comparée à celle proposée par Mariotte, qu’il commente ainsi : « Toutes les observations que je viens de rapporter concourent à donner, à mesure qu’on s’éloigne de la Terre, une dilatation plus grande que celle qui résulte des principes de M. Mariotte [56]. » Il cite Mariotte qui a prévu qu’à 5 000 m d’altitude, où l’air doit être dilaté au double (la pression y étant la moitié de celle au niveau de la mer), l’eau bout, d’après les mesures faites dans les machines pneumatiques, ce qui empêcherait tout homme ou animal d’y survivre, l’ébullition de sang devant perturber sa circulation. Il note que ceux qui ont placé, en 1700, un repère pour les mesures géodésiques sur le Canigou, haut de 2 900 m, n’ont pas subi de trouble particulier, ce qui ne va pas dans le sens de la prévision de Mariotte. Dans l’Histoire de la même année, Fontenelle commente ces résultats [57], notant que Philippe de La Hire, qui a examiné la relation entre le poids suspendu à un ressort et son extension, n’a trouvé une relation de proportionnalité que dans une gamme d’extension moyenne, cette relation n’étant pas conservée aux grandes extensions. Il signale que Cassini a refait les expériences de Mariotte en laboratoire, confirmant la loi des dilatations jusqu’à des pressions beaucoup plus faibles que celles régnant au sommet des montagnes, l’air des montagnes ayant donc un comportement différent de celui du laboratoire. Fontenelle rapporte, trois ans plus tard, les résultats d’une expérience de La Hire consistant à mesurer le degré de dilatation de l’air chauffé en l’équilibrant par le poids d’une colonne d’eau mise à son contact et le pressant [58]. Ces mesures, effectuées dans différentes conditions d’humidité de l’air, montrent, selon Fontenelle, une augmentation de l’élasticité de l’air avec l’humidité. Il suggère que l’air des montagnes, chargé des gouttes de pluie qui se forment en altitude, est plus élastique du fait de son humidité. Cette explication est contredite, comme mentionné par ailleurs dans l’article Air de l’Encyclopédie, par James Jurin, pour qui « il peut se faire que quand l’air fut condensé, & l’eau entrée dans le globe par le syphon, ces vapeurs se soient tournées en eau [59] ». L’idée que l’excès de dilatation de l’air humide n’est pas le fait de l’air, mais tient à la présence d’une vapeur de l’eau elle-même, est également exprimée par Van Musschenbroek dans son Essai de physique, dont la première publication en latin remonte à 1726, et pour qui « cet effet dépend non pas de l’Air, entant qu’Air, mais de la grande force élastique de la Vapeur de l’Eau [60] ».

20Le même savant indique les différentes causes susceptibles d’expliquer l’excès de dilatation trouvé par Cassini et quelques autres au sommet des montagnes :

21

« Cette augmentation de rarefaction dans l’Air dépend de différentes causes. 1°. Elle vient des différentes forces centrifuges, qui font monter les particules de l’Air à diverses hauteurs, & qui augmentent continuellement à proportion de l’élevation de ces particules. 2°. Elle dépend aussi de la force de la pesanteur, qui n’est pas non plus toujours la même, & qui diminue continuellement à mesure qu’on s’éloigne davantage du Centre de la Terre […] 3°. L’élasticité de l’Air doit aussi différer suivant qu’il est plus ou moins pur ; l’Air doit être d’autant plus pur, qu’il se trouve plus élevé, parce que les Vapeurs & les Exhalaisons, qui sont pesantes, ne peuvent monter que jusqu’à une hauteur peu considerable. 4°. Peut-être aussi que la force élastique de l’Air supérieur l’emporte sur celle de l’Air inférieur, que par conséquent ces deux sortes d’Air ne sont pas de même nature, qu’ils restent séparés l’un de l’autre, & qu’ils ne se mêlent pas ensemble, comme on voit l’Eau claire verte de Mer se séparer de l’Eau de Riviere, qui est trouble [61]. »

22L’idée que les vapeurs et exhalaisons, des parties de natures liquide et solide qui perdent leur élasticité quand elles retournent à la Terre, rendent l’air grossier moins élastique que l’air pur, est clairement exprimée, ici comme en d’autres endroits de son essai, l’auteur n’excluant pas une différence de nature entre les deux airs, indépendamment, comprend-on, de la question du chargement de l’air en impuretés. Cette idée est aussi exprimée dans l’article Atmosphere de l’Encyclopédie[62] qui attribue la raison de cette différence « à la quantité de vapeurs & d’exhalaisons grossieres, dont l’air est chargé, & qui est bien plus considérable dans la partie inférieure de l’atmosphere qu’au-dessus », ces vapeurs étant « moins élastiques & moins capables par conséquent de raréfaction que l’air pur ». Notons que certains auteurs, comme Jean-Antoine Nollet [63], n’introduisent pas de différence de nature entre les deux airs, et ne mentionnent pas non plus la possible différence d’élasticité entre air pur et air grossier :

23

« Un corps à ressort que l’on a comprimé fortement avec un certain nombre de poids égaux, lorsqu’on vient à le décharger peu à peu, se déploye par des quantités qui vont toujours en augmentant, & qui suivent d’abord une progression assez réguliére ; mais sur la fin, lorsqu’on ôte les derniers poids, le developpement ou l’extension du ressort se fait, dans des rapports beaucoup plus considérables. Comme l’air est un fluide élastique, on doit présumer que dans les hautes régions, où il est bien moins chargé par son propre poids, que par-tout ailleurs où nous pouvons faire des épreuves, il s’étend aussi beaucoup davantage, ce qui doit donner à l’atmosphére une hauteur plus grande qu’elle n’auroit, si nous en devions juger par les quantités qui répondent ici-bas à une ligne d’abaissement du mercure dans le barométre. »

24Nollet cite les mesures de Jacques Cassini, ainsi que de Jacques-Philippe Maraldi [64], et le fait que la règle de Mariotte n’est pas suivie pour les grandes hauteurs, précisant que « plus ou moins de chaleur ou de pureté dans une région où nos observations ne peuvent s’étendre, suffit pour causer des changements assez considérables à la pésanteur de l’atmosphére, & à sa hauteur », soulignant donc le rôle possible de la température, que Cassini et Maraldi n’évoquent pas.

25Ce sont les mesures de pression faites par François de Plantade au sommet de hautes montagnes des Pyrénées, qu’il publie en 1731, qui relancent le débat [65]. Des mesures faites sur le Canigou, à près de 3 000 m d’altitude, et d’autres hautes montagnes pyrénéennes, confirment les résultats publiés par Cassini en 1705. Plantade donne quatre arguments, dont trois présupposant un rôle effectif des exhalaisons dans le déficit d’élasticité de l’air grossier, en faveur d’un air différent sur les montagnes : 1/ il n’a pas été incommodé sur le Canigou, argument déjà utilisé par Cassini ; 2/ le froid qui règne en altitude est dû à l’absence d’exhalaisons en suspension capables de garder longtemps la chaleur du soleil, suggérant que celles-ci ne peuvent monter jusqu’à ces altitudes (du fait du faible poids spécifique de l’air en altitude) ; 3/ la croix de fer plantée sur le Canigou en 1700 ne présente aucune trace de rouille, montrant que les parties corrosives des exhalaisons n’atteignent pas ces altitudes ; 4/ les brouillards n’ont pas la mauvaise odeur qu’ils ont en plaine, suggérant l’absence d’exhalaisons fétides. Deux ans plus tard, Jacques Cassini, sur la base des mesures de Plantade, propose une loi de dilatation de l’air pur en raison de l’inverse du carré du poids comprimant (et non de l’inverse du poids comprimant, selon la loi de Boyle-Mariotte), encore insuffisante selon lui pour rendre compte des mesures [66]. Il indique ne pas entreprendre l’élaboration d’une explication physique de cette loi, ne visant qu’à fournir la dilatation réelle de l’air aux physiciens pour leurs travaux futurs. Il calcule l’altitude à laquelle, suivant la loi qu’il propose, l’air est chargé d’une ligne de mercure [67] et la trouve supérieure à 2 000 km, donc très au-dessus de l’altitude de 60 km proposée par Mariotte.

Dichotomie air – air subtil et hauteur de l’air subtil

26On peut lire dans l’article Atmosphere de l’Encyclopédie[68] que « l’espace qui est au-dessus de cet air grossier, quoiqu’il ne soit peut-être pas entierement vuide d’air, […], est appellé pour cette raison région éthérée ou espace éthérée (sic) ». La présence évoquée d’un peu d’air au-dessus de l’air grossier fait sans aucun doute référence à l’air pur, encore appelé air élémentaire dans l’article Air[69], par opposition à l’air grossier qualifié d’air hétérogène. L’article Ether[70] stipule que, soit l’éther n’est présent qu’au-dessus de l’atmosphère, où il emplit l’espace entre les corps célestes, soit il est « d’une nature si subtile, qu’il pénètre l’air & les autres corps, & occupe leurs pores & leurs intervalles ». Le terme même d’éther est ambigu, certains nommant éther un fluide de même nature que les autres corps, mais s’en distinguant par sa ténuité (ce qui le rapproche donc de l’air pur précédemment évoqué), alors que « l’idée ancienne & commune » (la tradition cartésienne) lui attribue une nature plus pure et plus subtile que celle des « substances qui sont autour de la Terre ». Il faut noter la conception qu’a Robert Hooke, ainsi qu’il est dit dans l’article Air du Lexicon[71], suivant laquelle « l’air n’est rien d’autre qu’une sorte de teinture, ou solution, des particules terrestres et aqueuses dissoutes dans l’éther, et agitées par lui ; et, ces particules, il les suppose de nature saline », conception dont l’auteur de l’article Æther du Lexicon nous dit qu’elle se rapproche trop de la « doctrine cartésienne d’un plein absolu qui, par de nombreuses raisons et expériences infaillibles, est prouvée être impossible » pour être acceptable. Même s’il n’évoque pas explicitement un processus de dissolution, Jean-André de Luc ne dit pas autre chose quand il écrit, un siècle plus tard :

27

« Serait-il absurde de penser que l’air & l’éther sont une seule & même substance diversement modifiée ; que les Atmosphères des Planètes sont l’éther condensé autour d’elles par la gravitation, & que les différences de densité, de transparence & de vertu réfringente de ces Atmosphères, sont produites par celles des masses des Planètes, & par la nature & la quantité des vapeurs qui s’en élèvent [72]. »

28La Lune, selon de Luc, aurait une « aérosphère », « une sphère d’un air pur, d’une enveloppe d’éther condensé, dans laquelle il ne s’élèverait point de vapeur ». En se rapprochant de la Lune vers la Terre, l’air perdrait d’abord de sa densité, puis peu à peu commencerait à en regagner, « devenant enfin assez dense pour être en équilibre avec les vapeurs & les exhalaisons qui s’élèvent de notre Globe, il serait alors notre Atmosphère proprement dit ». Il existe ainsi, tout au long du xviiie siècle, un continuum de représentations de l’éther, qui va de l’air pur à la matière la plus subtile. Tout comme il existe un air pur, plus pur que l’air grossier présent au voisinage de la Terre, il existe un air subtil, moins pur que l’éther, mais plus pur que l’air pur, au sommet de l’atmosphère.

29L’existence de cet air subtil a été postulée sur la base d’expériences de laboratoire dans la deuxième moitié du xviie siècle. C’est la suspension du mercure à une hauteur presque trois fois supérieure à celle correspondant au poids de l’atmosphère mesuré par le baromètre, lorsqu’un tube rempli d’un mercure purgé de son air est retourné sur un récipient contenant du mercure, le mercure restant comme suspendu à l’extrémité fermée du tube, qui suggère à Huygens, qui fait d’abord son expérience sur de l’eau purgée de son air en 1661 [73], puis Boyle, qui utilise du mercure pour refaire l’expérience de Huygens, présentée en 1663 à la Royal Society, l’existence d’un air subtil, au sens où il traverse, dans certaines conditions, les pores du verre. Au tout début du xviiie siècle, Guillaume Amontons invoque une perméabilité du verre à un air différent de l’air grossier, plus subtil, pour expliquer les écarts entre les niveaux du mercure observés dans différents baromètres [74]. Jean Bernoulli, à la même époque, explique la lumière du baromètre, encore appelée phosphore mercuriel[75], découverte par Jean Picard quelques décennies plus tôt [76] et consistant en une lueur apparaissant dans un baromètre à mercure quand on le secoue, par un air subtil traversant le verre et interagissant par collision avec l’éther contenu dans le mercure. Des expériences d’application de deux plaques de métal, ou de marbre, l’une contre l’autre [77], que l’on ne peut ensuite séparer qu’en exerçant une force considérable, bien plus importante que celle qui serait due au seul poids de l’atmosphère, tel que mesuré par le baromètre, vont dans le même sens, à savoir l’existence d’un air subtil pesant, mais traversant les pores du verre, qui néanmoins ne pourrait venir se loger dans les pores à la jonction des plaques du fait de leur petitesse.

30Autant l’existence d’un air pur plus élastique que l’air grossier est acceptée par plusieurs savants de premier plan, tels que Van Musschenbroek et Nollet, autant celle de l’air subtil est controversée. Van Musschenbroek rejette l’explication de la suspension du mercure à une hauteur plus grande que celle de la colonne équilibrant le poids de l’atmosphère par l’existence de l’air subtil [78], ainsi que l’avait fait Mariotte un demi-siècle avant lui, attribuant, en parlant du mercure, cet effet à « la contiguïté naturelle de tous les corps, & à la loi ou règle de la nature, par laquelle les corps contigus ne se séparent point, ou résistent à être séparés, si quelque autre corps ne se glisse entre deux [79] ». Notons que l’air pur, appelé air élémentaire dans l’article Air de l’Encyclopédie[80], est selon ce même article « une matiere subtile, homogene & élastique, qui est la base, pour ainsi-dire, & l’ingrédient fondamental de tout l’air de l’atmosphere, & qui lui donne son nom ». Il est écrit dans l’article Matière[81] que « Matière subtile » est « le nom que les Cartésiens donnent à une matiere qu’ils supposent traverser & pénétrer librement les pores de tous les corps, & remplir ces pores de façon à ne laisser aucun vuide ou interstices entr’eux ». L’air subtil dont il est question ici n’est donc pas l’air élémentaire, dont le caractère délié lui vaut l’appellation de matière subtile dans l’article Air de l’Encyclopédie, mais une matière subtile au sens que lui donne Descartes de pénétrer librement les pores des corps. Mairan défend l’air subtil au sens de Descartes, et consacre à ce sujet un chapitre entier de son essai de 1731 sur l’aurore boréale [82], reprenant l’ensemble des preuves précédemment exposées en faveur de l’existence de l’air subtil. Il y ajoute un argument de son cru, à savoir que « la Force Centrifuge, plus grande vers l’Equateur que vers les Poles, doit l’assembler [assembler l’air subtil] en plus grande quantité au dessus de la Zone Torride, que par tout ailleurs, l’y élever [élever l’air subtil], & en rendre les couches plus épaisses, ou plus profondes ». Or, le baromètre s’élève moins en zone tropicale qu’à nos latitudes, et il manque donc, selon lui, une partie de l’air dans le bilan, partie qu’il assimile à celle de l’air subtil, pesant mais qui passe à travers les pores du verre du baromètre et n’est donc pas pris en compte dans la mesure de la pression, dont l’excès sous les tropiques y surpasserait le déficit d’air grossier révélé par le baromètre. Dans la deuxième édition de son traité, parue en 1754 [83], Mairan mentionne les résultats présentés par Jacques Cassini dans son article de 1733, à savoir la hauteur de l’atmosphère de 2 000 km déduite de la loi de variation de la dilatation de l’air comme le carré du poids d’air comprimant. Mais, écrit-il, « pourquoi borner la matière de l’Atmosphère, & l’air même à cet air grossier, qui ne sauroit passer au travers du Verre ? » C’est par l’observation des aurores boréales, supposées se produire dans l’air subtil de la Terre, que Mairan va fournir sa propre estimation de la hauteur de l’atmosphère, comprise donc comme incluant sa composante d’air subtil.

31La reprise des aurores boréales au début du xviiie siècle, après une période de faible activité solaire qui s’étend sur une grande partie du xviie siècle (le « petit âge glaciaire »), suscite un très fort intérêt parmi les scientifiques. En l’espace de trente ans, trois grandes théories différentes sont proposées pour les expliquer. La première, élaborée par Halley en 1717, invoque la circulation de la matière magnétique à travers le globe terrestre et autour de lui, suivant la théorie cartésienne de l’aimant [84]. La deuxième, proposée par Mairan en 1731, suppose la précipitation épisodique dans l’atmosphère terrestre de la matière solaire, celle-ci se mêlant à l’air subtil des hautes couches [85]. La troisième, due à Leonhard Euler et publiée en 1746, fait appel à la pression exercée par les rayons du Soleil, qui chasserait les parties les plus subtiles de l’air à grande distance de la Terre, à la façon dont la matière cométaire repoussée par le Soleil forme une queue dans la direction opposée au Soleil [86]. Ces trois théories n’ont pas du tout les mêmes implications en termes de hauteur de l’atmosphère. Dans la théorie magnétique, le faisceau de particules magnétiques traversant la Terre du pôle Sud au pôle Nord magnétique émerge, selon Halley, dans l’éther, pas nécessairement dans l’atmosphère. La lumière produite par l’aurore boréale peut être, selon Halley, soit due au caractère intrinsèquement lumineux de la matière magnétique, soit due au fait qu’elle réfléchit la lumière du Soleil, soit due à des vapeurs et exhalaisons terrestres qui seraient soulevées par le jet de matière magnétique. Halley ne fournit pas d’estimation de la hauteur des structures aurorales, estimant que la position apparente de l’arc auroral, comme celle de l’arc-en-ciel, dépend de celle de l’observateur, ce qui ne permet pas d’en estimer la distance par des mesures trigonométriques. La théorie de Mairan fait appel non seulement à la matière subtile formant l’atmosphère du Soleil, mais également à l’air subtil. Ces deux matières sont supposées se mélanger, et se stratifier en fonction des différents types de particules solaires, cette stratification se traduisant par la structuration verticale vue dans les aurores boréales. C’est ce mélange qui est supposé rendre la matière solaire lumineuse. L’altitude considérable déduite par Mairan de l’observation des aurores (plusieurs centaines, voire plus de mille kilomètres) exclut, selon lui, de considérer l’air ordinaire comme présent à de tels niveaux, sachant que la hauteur de l’air grossier responsable de la durée des crépuscules n’excède pas 70 km. Dans l’hypothèse d’Euler, l’aurore se produit en dehors de l’atmosphère et ne fournit donc aucune information sur sa hauteur.

32Les estimations de hauteur faites par Mairan portent sur les arcs auroraux, qui sont les structures les plus utilisées à l’époque et ultérieurement pour estimer la hauteur de l’aurore (celle du point central de l’arc, situé sur le méridien magnétique, ou à son voisinage), structures visibles, bien terminées, et stables, se rétablissant rapidement en cas de dégradation temporaire. L’observation des arcs des aurores de 1716 et de 1726, vus simultanément depuis Lisbonne et Saint-Pétersbourg, implique pour le centre de l’arc une hauteur de l’ordre de 800 km. À partir des observations réunies par Maraldi de l’arc auroral de 1726, vu simultanément depuis la région parisienne, Marseille et Rome, Mairan déduit une hauteur de 1 100 km. L’arc de l’aurore d’octobre 1731, observé de France et de Copenhague, culmine également autour de 1 000 km. L’abbé Pierre Bertholon, dans l’article Aurore boréale du Dictionnaire de physique[87], cite également les estimations de hauteur faites par Pierre-Louis Moreau de Maupertuis et Rugerius Josephus Boscovich, toutes dans la fourchette estimée par Mairan. Il mentionne une série de 54 observations, provenant de la deuxième édition du Traité de Mairan [88], qui conduit à une hauteur moyenne de l’aurore boréale de 700 km, les aurores ayant lieu le plus souvent entre 400 km et 1 200 km d’altitude.

Cartésianisme et grande hauteur de l’atmosphère

33La fascination qu’a exercée sur Mairan la méthode expérimentale newtonienne, ainsi que sa méfiance à l’égard des systèmes spéculatifs (ceux qui ne sont pas étayés par un nombre suffisant d’observations), et le rôle joué par l’imagination scientifique dans son œuvre de savant, ont été soulignés par Ellen McNiven Hine [89]. Le système de l’aurore boréale de Mairan illustre bien ces trois caractéristiques prêtées à sa démarche scientifique. Tout d’abord, ce système emprunte à la fois à Descartes et à Newton, ainsi que l’ont montré Morton Briggs [90], puis Stéphane Le Gars [91], illustrant le souci de son auteur « de conserver à [ses] recherches l’avantage de se soûtenir avec tous les systèmes, en n’y admettant que des Observations et des faits qui puissent être avoués de part & d’autre [92] ». On notera cependant que le volet newtonien du traité, concernant l’attraction de la matière solaire par la Terre, reste accessoire dans le mécanisme imaginé par Mairan, se limitant à accroître la quantité de matière solaire captée par la Terre, et n’ayant aucune conséquence sur la nature du système. Ainsi que l’a noté Briggs, les calculs mathématiques que fait Mairan en utilisant la loi de la pesanteur universelle n’entrent en aucune façon dans une logique newtonienne d’explication et de prévision des comportements des corps impliqués dans le phénomène, très éloigné du champ d’investigation de la mécanique céleste. Les éléments newtoniens de la théorie de Mairan en constituent des ornements, plutôt que des briques constitutives. Il est indubitable que le concept même de matière subtile solaire de différents degrés de finesse est d’essence cartésienne, même si Mairan prend soin de noter que la matière solaire pourrait résulter de l’attraction gravitationnelle de matière éparse dans le système solaire. L’autre élément qui constitue le cœur de son système est l’air subtil, supposé permettre la suspension à grande hauteur de la matière solaire et une stratification de cette matière solaire suivant ses différents degrés de subtilité pour expliquer la structure spatiale de l’aurore. Les principaux promoteurs de l’air subtil ont été des savants d’inspiration cartésienne, Huygens tout d’abord, qui attribue à celui-ci la suspension de l’eau ou du mercure dans des tubes renversés, puis Jean Bernoulli, avec sa théorie du baromètre lumineux impliquant un mécanisme de collision entre air subtil et matière du premier élément. Malgré les ajouts newtoniens que fait Mairan à son système, qu’il cherche à rendre le plus universel possible, transcendant les clans philosophiques, celui-ci est très clairement de nature cartésienne, tant par le choix de ses constituants physiques que par sa dimension cosmique, ou plus exactement cosmo-atmosphérique. Concernant les réserves de Mairan vis-à-vis du caractère spéculatif de certains systèmes notées par Hine, il est indubitable que Mairan prend grand soin d’apporter des éléments tirés de l’observation en soutien à son système de l’aurore boréale, pour précisément le rendre le moins arbitraire possible. Ce dernier s’appuie sur une compilation d’un grand nombre d’aurores boréales du passé, et appelle une campagne d’observations systématiques destinées à valider par la collecte longue des données la relation soupçonnée, sur la base des observations existantes, entre la fréquence d’occurrence des aurores et la distance de la Terre au Soleil, suivant en cela l’approche expérimentale prônée par Fontenelle dans sa préface à l’Histoire de 1699 [93]. Concernant la revendication du rôle de l’imagination scientifique, il est indéniable que l’intuition du rôle joué par le Soleil, qui fait de Mairan un précurseur de l’explication moderne, ainsi que le note Le Gars, traduit l’influence de celle-là sur la démarche scientifique de Mairan.

34Le système de l’aurore boréale de Mairan, finalisé dès 1731, formalise l’idée d’une grande hauteur de l’atmosphère, qu’il avait présentée à l’Académie cinq ans plus tôt. Voici ce que Mairan nous dit dans son traité :

35

« J’osai avancer en 1726, dans l’Assemblée publique de l’Académie après la S. Martin, & à l’occasion de l’Aurore Boréale du 19e Octobre, qu’on venoit de voir, qu’il falloit que la matière de ce phénomène eût été à plus de 70 lieues au dessus de la surface de la Terre ; & que si j’en jugeois par quelques Observations particulières qui m’en avoient été communiquées, sa hauteur seroit beaucoup plus grande. Cette proposition, qui étoit peut-être alors assez hardie, & qui ne manqua pas de contradicteurs, vu le préjugé du peu de hauteur de l’Atmosphère, ne sera bientôt, si je ne me trompe, que l’énoncé d’une opinion commune, devenue telle par la fréquente inspection de l’Aurore Boréale. »

36On ne peut douter que suite aux travaux, encore récents à l’époque, de Philippe de La Hire, qui avait repris très en détail et affiné la théorie des crépuscules [94], estimant la hauteur de l’atmosphère à 35 000 toises, soit 70 km, certains académiciens se soient montrés critiques vis-à-vis de cette nouvelle hypothèse. On peut juger de la résistance à l’idée d’une grande hauteur de l’atmosphère à la position prudente et critique en la matière qui a été celle de la communauté savante anglaise tout au long du xviiie siècle, une partie de la communauté française adoptant la même position. La question de la validité de la méthode de la parallaxe, utilisant des observations de la même structure aurorale par des observateurs distants, interroge bon nombre de savants. L’auteur de l’article Hauteur de l’atmosphère dans l’Encyclopédie méthodique[95], d’emblée critique, pose deux questions relativement à la détermination de la hauteur de l’atmosphère par l’observation des aurores boréales, à savoir : 1/ les structures aurorales vues par deux observateurs distants sont-elles identiques ? et 2/ l’aurore a-t-elle bien lieu dans l’atmosphère ? La réponse de Halley à la première question est clairement réservée, voire négative [96]. Pour lui, les couronnes aurorales, qui se forment par « la convergence d’un grand nombre de faisceaux s’élevant très haut à partir des régions entourant l’observateur, et se rencontrant près du zénith » par un effet de perspective, sont des structures qui ne sont pas uniques et identiques vues de tous les lieux, mais diffèrent pour chaque horizon différent, « exactement de la même façon que l’arc-en-ciel vu dans un même nuage n’est pas le même arc, mais diffère en fonction de l’œil qui le regarde ». Quant à la deuxième question, tout en reconnaissant que l’aurore est liée au référentiel tournant de la Terre, Halley ne se prononce pas puisqu’il situe les faisceaux magnétiques émergeant du pôle dans l’éther, et mentionne même que « les vapeurs extrêmement rares constituant la matière des faisceaux [sont] élevées très au-dessus de l’atmosphère ». Henry Cavendish, dans un article de 1790 [97], parlant des estimations de la hauteur de l’aurore à partir des observations des arcs auroraux, et de la couronne aurorale, conclut au caractère certainement erroné de l’estimation dans ce dernier cas, et probablement également fallacieux dans le premier.

37Le système de Mairan, de par sa reconnaissance au plus haut niveau de l’Académie royale des sciences, offre clairement à Jacques Cassini la justification qui lui permet d’avancer sa loi empirique de variation de la dilatation de l’air pur des montagnes comme l’inverse du carré du poids comprimant de l’air environnant. Le système de Mairan est en effet totalement rédigé et diffusé dès 1731, année de la publication des mesures de pression de Plantade sur le Canigou. L’occasion est belle pour Cassini, et pour Fontenelle qui le commente dans l’Histoire, de confirmer, en l’élevant encore un peu, la valeur de la hauteur de l’atmosphère avancée par Mairan (1 200 km, l’altitude des plus hautes aurores observées), réconciliant ainsi les estimations faites à partir de l’observation des aurores boréales avec celles basées sur les mesures de pression. Cassini concède lui-même ne pas avoir d’explication physique pour la loi empirique qu’il avance, mais le terrain préparé par Mairan lui permet d’étendre sans s’exposer à la contestation le niveau auquel l’air soutient une ligne de mercure de 60 km à 2 000 km, en précisant que la loi adoptée pour la dilatation en inverse du carré du poids comprimant est encore au-dessous de la réalité, suggérant donc une altitude encore plus grande. Fontenelle, dans l’Histoire de 1733, signale que le résultat de Cassini confirme le système de Mairan : « La hauteur de l’atmosphère serait par-là de plus de 500 lieues, & il faut qu’elle aille bien au-delà, puisque la raison des carrés n’est pas assez grande. M. de Mairan ne pouvait guère espérer une plus heureuse confirmation de son Système de l’Aurore Boréale rapporté en 1732. » La hauteur de l’atmosphère a ainsi, entre la communication de Mairan à l’Académie en 1726 et la publication de Cassini en 1733, été multipliée par plus de 30 à travers l’élaboration d’un système physique cohérent. Celui-ci présuppose l’existence d’un air supérieur différent de l’air grossier, air pur pour Cassini, air subtil au sens cartésien pour Mairan. Ce dernier, dans la deuxième édition de son traité, publiée en 1754, mentionne en note de bas de page le résultat publié par Cassini en 1733.

38Cette extension vers le haut ouvre à son tour la voie à celle proposée deux ans plus tard, en 1735, par Jacques Cassini, qui cherche à réconcilier la théorie des tourbillons de Descartes et la vitesse de rotation des astres, Soleil et planètes, sur eux-mêmes [98]. Ainsi que l’explique Fontenelle dans l’Histoire de la même année :

39

« Dans le Sisteme des Tourbillons on a toûjours conçû, & on a dû concevoir, que les Planetes faisoient leurs révolutions autour du Soleil, emportées par le grand Fluide où elles nageoient, de sorte que leur vîtesse étoit précisément égale à celle de la couche de ce Fluide où elles se trouvoient enfermées, car chaque Planete ne reçoit sa vîtesse que de cette couche […] [99]. »

40Cassini imagine que la Terre, sans sa rotation de 24 heures sur elle-même, suit le mouvement du fluide subtil de l’éther entraînant par frottement le sommet de l’atmosphère terrestre dans son mouvement, l’atmosphère entraînant elle-même par frottement la surface terrestre, et jouant en quelque sorte le rôle de courroie de transmission entre l’éther et la terre solide. Il détermine donc l’altitude à laquelle un corps tournant autour de la Terre accomplit une révolution en 24 heures suivant la règle de Kepler. Il trouve cette altitude de l’ordre de 40 000 km (valeur connue aujourd’hui comme étant celle de l’altitude de l’orbite géostationnaire sur laquelle un satellite demeure en permanence au-dessus du même point de la surface terrestre). Fontenelle commente ainsi le résultat de Cassini :

41

« Reste à sçavoir si l’Atmosphere peut être assés haute pour aller rencontrer une couche de l’Ether qui ne lui imprime une rotation de 24 heures. On trouve aisément, par la Regle de Képler, à quelle hauteur, par rapport au Soleil, doit être la couche qui n’a que cette vîtesse, & ensuite quelle hauteur elle aura par rapport à la Terre. Il en résulte que l’Atmosphere aura bien 10 000 Lieuës de hauteur. Toutes nos expériences vont toûjours de plus en plus à augmenter la hauteur de l’Atmosphere, & en dernier lieu nous l’avons vû en 1733. Il falloit déja que cette hauteur allât bien au de-là de 500 Lieuës, mais il paroît que 20 fois au de-là ce soit beaucoup. Il est fort possible cependant que ce soit l’imagination seule qui s’effraye, parce qu’elle n’est pas encore accoûtumée à cette idée. Que l’on conçoive le demi-diametre de la Terre ou des 1 500 lieuës qu’il a réellement, ou de 10 000, ce n’est presque également rien par rapport aux 33 millions de Lieuës dont est le demi-diametre de l’Orbe de la Terre [100]. »

42On le voit, Fontenelle place cette nouvelle détermination de la hauteur de l’atmosphère, obtenue à partir de considérations purement théoriques, dans le prolongement direct du résultat publié deux ans plus tôt par Cassini. Bien que la nouvelle hauteur soit nettement supérieure à la limite inférieure de 2 000 km proposée par Cassini sur la base des mesures du baromètre, il n’exclut pas que l’atmosphère puisse atteindre une telle altitude, qui, dit-il, reste très petite par rapport à la distance entre la Terre et le Soleil, mettant en cohérence les résultats de l’observation, aurores boréales et mesures du baromètre, avec le système des tourbillons cartésiens. Cherchant à expliquer l’écart qui subsiste entre hauteur résultant de l’observation et hauteur théorique, Fontenelle imagine que la dernière couche de l’atmosphère au contact du tourbillon puisse ne pas prendre toute la vitesse du fluide subtil, auquel cas la hauteur requise de l’atmosphère serait moindre, plus proche des valeurs suggérées par l’observation.

43Fontenelle, Cassini et Mairan ont tous trois été des défenseurs ardents des tourbillons cartésiens. Mairan, pour expliquer le fait que les comètes pénètrent à l’intérieur des orbites des planètes, semblant violer le principe des tourbillons, « imagina, en 1725, que le tourbillon du Soleil pouvait être extrêmement aplati & comme disciforme : alors les Comètes pourraient être des Planètes d’un tourbillon voisin ; elles s’approcheraient fort près de nous, & s’éloigneraient encore plus, sans rencontrer aucun obstacle. L’hypothèse était ingénieuse : mais l’observation démontra que les Comètes traversaient l’écliptique, & par conséquent ce prétendu tourbillon disciforme [101] ». Fontenelle, dans l’Histoire de 1725, détaille longuement l’hypothèse de Mairan, venu au secours de Cassini, qui cherche alors à expliquer le mouvement des comètes sans abandonner les tourbillons cartésiens [102]. Mairan écrira en 1742 : « Quelle que soit la destinée des tourbillons, c’est une grande et belle théorie qui mérite qu’on fasse les derniers efforts pour la maintenir et pour la délivrer des objections pressantes dont les partisans du vide tâchent depuis plus de cinquante ans de l’accabler [103]. » En dépit des ajouts newtoniens qu’il fait à sa théorie de l’aurore boréale, Mairan reste jusqu’au bout un opposant résolu au vide et à l’attraction à distance. Plusieurs auteurs, comme Pierre Brunet [104] et ultérieurement John Bennett Shank [105], décrivent la période qui s’ouvre en 1727 et se prolonge jusqu’à la fin des années 1730, comme un moment de forte réaction cartésienne face à la pénétration de plus en plus affirmée du newtonianisme. Pour le premier, c’est dès le début du xviiie siècle que s’amorce la réaction cartésienne, l’opposition se faisant de plus en plus vive à partir de 1727, tandis que pour le second, le processus ne démarre réellement qu’en 1715, du fait d’un rejet publiquement affiché de Descartes par les newtoniens, l’éloge de Newton par Fontenelle en 1727 amplifiant la prise de conscience par les cartésiens de l’Académie de la menace newtonienne [106]. Les développements scientifiques relatés dans cet article s’inscrivent précisément dans la période de durcissement identifiée par Brunet, ou Shank, suggérant une offensive coordonnée de la part de l’Académie royale des sciences.

Conclusion

44Le propos de cet article s’inscrit dans le cadre de périodisations introduites par des historiens et apporte un thème complémentaire confortant l’idée d’un raidissement de la position cartésienne à la fin des années 1720, thème qui n’a pas été exploré jusqu’à présent à notre connaissance. Les trois savants impliqués dans cette extension considérable de l’atmosphère vers le haut étaient des personnalités importantes de l’Académie royale des sciences ; ils s’étaient déjà rencontrés sur d’autres problématiques liées à celle des tourbillons, et l’on sait qu’ils étaient tous trois des défenseurs de l’héritage cartésien, quelle que soit l’admiration qu’ils vouaient à Newton et, dans le cas de Mairan, la place accordée ostensiblement aux idées du savant anglais dans ses propres travaux. La mise en cohérence réalisée par Jacques Cassini entre les hauteurs estimées à partir de l’observation des aurores boréales et celle déduite des mesures de pression de l’air, outre qu’elle constitue une étape intéressante du processus d’évolution de la représentation de l’atmosphère et de sa stratification, peut être vue également comme un élément de l’affirmation du cartésianisme dans une période de regain de tension entre les tenants des deux grandes écoles de pensée.

Remerciements

Je suis redevable à Christophe Schmit de son avis critique et des conseils qu’il m’a prodigués tout au long de ce travail, et remercie également les deux rapporteurs, dont les avis détaillés et constructifs ont contribué à améliorer grandement la qualité du présent article.

Notes

  • [1]
    Johannes Kepler, Epitome astronomiae copernicanae [1615-1621], in Id., Gesammelte Werke, vol. 7 (Munich : C. H. Beck, 1953).
  • [2]
    Bernard R. Goldstein, Refraction, twilight, and the height of the atmosphere, Vistas in astronomy, 20 (1976), 105-107.
  • [3]
    Voir par exemple Simone Mazauric (dir.), Louis Rougier, De Torricelli à Pascal [1927], Philosophia scientiæ, 14/2 (2010), 262 p.
  • [4]
    Robert Hooke, Micrographia (Londres : John Martyn, 1667), 236.
  • [5]
    Edme Mariotte, Discours De la nature de l’air [1676], in Œuvres de M. Mariotte de l’Académie royale des sciences […]. Nouvelle édition, 2 t. (La Haye : Jean Neaulme, 1740), t. I, 149-182, ici 175-176.
  • [6]
    Edmund Halley, A discourse of the rule of the decrease of the height of the mercury in the barometer, according as places are elevated above the surface of the Earth, with an attempt to discover the true reason of the rising and falling of the mercury, upon change of weather, Philosophical transactions of the Royal Society of London, 16/181 (1686), 104-116, ici 107.
  • [7]
    Nous utilisons ce terme pour évoquer ceux qui utilisent des modèles tourbillonnaires de matière subtile, dont l’origine est à chercher chez Descartes, bien qu’entre sa théorie et celle de ces successeurs, il y ait eu des évolutions ; cf. par exemple : Christophe Schmit, La Philosophie naturelle de Malebranche au xviiie siècle : Inertie, causalité, petits tourbillons (Paris : Classiques Garnier, 2020).
  • [8]
    Craig Martin, The invention of the atmosphere, Studies in history and philosophy of science, 52 (2015), 44-54.
  • [9]
    Goldstein, op. cit. in n. 2.
  • [10]
    70 km, d’après Philippe de La Hire. Voir : Id., Sur la hauteur de l’atmosphère, Histoire de l’Académie royale des sciences, année […], avec les mémoires de mathématique et de physique pour la même année, partie « Mémoires » (abrégé MARS dans la suite), 1713 (1716), 53-64.
  • [11]
    Martin, op. cit. in n. 8.
  • [12]
    Kepler, op. cit. in n. 1.
  • [13]
    Marin Mersenne, Seconde partie de l’Harmonie universelle (Paris : Pierre Ballard, 1637), « Livre cinquième : Des instruments à vent », 225-226.
  • [14]
    Jean-Dominique Cassini, Vie de J.-D. Cassini, écrite par lui-même, Troisième partie : Anecdotes de la vie de J.-D. Cassini, in Id., Mémoires pour servir à l’histoire des sciences et à celle de l’Observatoire royal de Paris, suivis de la Vie de J.-D. Cassini, écrite par lui-même, et des Éloges de plusieurs académiciens morts pendant la Révolution (Paris : chez Bleuet, successeur de Jombert, 1810), 266.
  • [15]
    Samuel Sorbière, Lettre LXIX. Continuation des remarques. Des atmosphères & émanations, causes du mouvement des planètes, in Id., Lettres et discours de M. de Sorbière sur diverses matières curieuses (Paris : François Clousier, 1660), 499.
  • [16]
    Mariotte, op. cit. in n. 5, 179.
  • [17]
    Peter Barker, Jean Pena (1528-58) and stoic physics in the sixteenth century, The Southern journal of philosophy, 23/1, suppl. (1985), 93-107.
  • [18]
    Gérald Péoux, L’homme, l’air et les réfractions à la fin du xvie siècle, Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2 (2010), 227-250.
  • [19]
    Mazauric, op. cit. in n. 3.
  • [20]
    Cassini publie une première table des réfractions en 1662, dans les éphémérides de Cornelio Malvasia ; voir par exemple : Jean-Baptiste Delambre, Histoire de l’astronomie au dix-huitième siècle (Paris : Bachelier, 1827), 775.
  • [21]
    Walter Charleton, Physiologia Epicuro-Gassendo-Charltoniana (Londres, 1654) ; cf. Martin, op. cit. in n. 8.
  • [22]
    Mariotte, op. cit. in n. 5, 174.
  • [23]
    Ibid., 176.
  • [24]
    Il s’agit du mont Faron, à Toulon (au sommet duquel se trouve le sanctuaire de Notre-Dame du Faron), improprement nommé par Cassini « montagne de Notre-Dame de la Garde, à Toulon », élevée de 1 070 pieds (326 m) ; cf. Jean-Dominique Cassini, Observations astronomiques faites en divers endroits du royaume en 1672, in Mémoires de l’Académie royale des sciences depuis 1666 jusqu’à 1699, t. VII : Observations faites en plusieurs voyages par ordre de Sa Majesté pour perfectionner l’astronomie et la géographie, avec divers traitez astronomiques (Paris : Compagnie des libraires, 1729), part. I, 349-375, ici 373-375.
  • [25]
    Hooke, op. cit. in n. 4.
  • [26]
    Halley, op. cit. in n. 6.
  • [27]
    Antoine Furetière, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots français, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts (La Haye – Rotterdam : Arnout & Reinier Leers), 1re éd., en 2 t. (1690), 2e éd. revue, corrigée et augmentée, en 3 t. (1701).
  • [28]
    Nicolas de Malebranche, Réponse du P. Malebranche, prestre de l’Oratoire, à M. Régis (Paris : André Pralard, 1693).
  • [29]
    Antoine Furetière, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots français, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, nouvelle éd., en 4 t. (La Haye : Pierre Husson, Thomas Johnson, Jean Swart et al., 1727).
  • [30]
    John Harris, Lexicon technicum ; or, an universal English dictionary of arts and sciences : Explaining not only the terms of art, but the arts themselves, 2 vol. (Londres : Dan. Brown, Tim. Goodwin, John Walthoe et al., 1704).
  • [31]
    Antoine-Augustin Bruzen de La Martinière, Le Grand dictionnaire géographique et critique, Tome premier (La Haye : P. Gosse, R. C. Alberts, P. De Hondt ; Amsterdam : Herm Huytwerf & Franç. Changuion ; Rotterdam : Jean Daniel Beman, 1726), 747-749.
  • [32]
    Le bolide du 21 mars 1676 observé dans le ciel de Bologne a fait l’objet d’un essai publié la même année par Geminiano Montanari (La Fiamma volante), qui en a été le témoin direct. Son altitude a été estimée à 60 km, et sa vitesse à 4 km/s. Sa dimension apparente équivalait à celle de la Lune, impliquant un diamètre d’au moins 800 m, et il a émis un long sifflement, suivi d’une explosion.
  • [33]
    Ephraïm Chambers, Cyclopædia : Or, an universal dictionary of arts and sciences containing the definitions of the terms, vol. I (Londres, 1728).
  • [34]
    Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une societé de gens de lettres, éd. par Denis Diderot et D’Alembert, 28 t. (Paris : Briasson, David, Le Breton, Durand ; puis Neuchâtel [Paris] : Faulche et Cie [?], 1751-1772) ; abrégé dans les notes suivantes : Encyclopédie, suivi du numéro du volume et de l’année d’édition de celui-ci.
  • [35]
    D’Alembert, Athmosphere (Physique), Encyclopédie, vol. I (1751), 819-822. Pour cet article de l’Encyclopédie, comme pour ceux que nous citons dans la suite, nous renvoyons au site ENCCRE (« Édition numérique collaborative et critique de l’Encyclopédie… » – http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/), ici : enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v1-3439-0/
  • [36]
    D’Alembert, Baromètre (Physique), Encyclopédie, vol. II (1752), 77-83 (http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v2-481-0/).
  • [37]
    François Bernier, Abrégé de la philosophie de Gassendi, 2de éd. (Lyon : Anisson, Posuel et Rigaud, 1684), t. II, 190-208.
  • [38]
    Corinne Massignat, Gassendi et l’élasticité de l’air : Une étape entre Pascal et la loi de Boyle-Mariotte, Revue d’histoire des sciences, 53/2 (2000), 179-204.
  • [39]
    Martin, op. cit. in n. 8.
  • [40]
    Halley, op. cit. in n. 6.
  • [41]
    Blaise Pascal, Récit des observations faites par Monsieur Périer continuellement jour par jour, pendant les années 1649, 1650 & 1651, in Id., Traitez de l’équilibre des liqueurs, et de la pesanteur de la masse de l’air (Paris : Guillaume Desprez, 1663), 195-209.
  • [42]
    Massignat, op. cit. in n. 38.
  • [43]
    Bernard Le Bovier de Fontenelle, Sur les observations du barometre faites en des lieux éloignés, Histoire de l’Académie royale des sciences, année […], avec les mémoires de mathématique et de physique pour la même année, partie « Histoire » (abrégé HARS dans la suite), 1709 (1711), 3-6.
  • [44]
    Nicolas Hartsoeker, Recueil de plusieurs pièces de physique (Utrecht : Veuve Broedelet, 1722), 114-134.
  • [45]
    Nicolas Hartsoeker, Cours de physique (La Haye : Jean Swart, 1730), 94-96.
  • [46]
    Hartsoeker, op. cit. in n. 44, 96.
  • [47]
    Arnaud Mayrargue, Air, lumière et matière réfractive, Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 44 (2009), 47-60.
  • [48]
    D’Alembert, Air (Physique), Encyclopédie, vol. I (1751), 225-236 (http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v1-981-0/).
  • [49]
    Jean-Henri Lambert, Sur la vitesse du son, in Collection académique (Paris : Panckoucke, 1774), 306-313.
  • [50]
    D’Alembert, Vapeurs (Physique), Encyclopédie, vol. XVI (1765), 836 (http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v16-2690-0/).
  • [51]
    D’Alembert, Ebullition (Physique), Encyclopédie, vol. V (1755), 217 (http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v5-432-1/).
  • [52]
    M. Le Roi, Evaporation (Physique), Encyclopédie, vol. VI (1756), 123-130 (http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v6-159-0/).
  • [53]
    Pieter Van Musschenbroek, Essai de physique, t. 2 (Leyde : Samuel Luchtmans, 1739), 629-706. La première publication, en latin, remonte à 1726.
  • [54]
    Bernard Le Bovier de Fontenelle, Sur la prolongation de la méridienne de Paris, HARS, 1700 (1703), 123-127.
  • [55]
    Mariotte, op. cit. in n. 5.
  • [56]
    Jacques Cassini, Réflexions sur les règles de la condensation de l’air, MARS, 1705 (1706), 61-74.
  • [57]
    Bernard Le Bovier de Fontenelle, Sur la raréfaction et la condensation de l’air, HARS, 1705 (1706), 10-16.
  • [58]
    Bernard Le Bovier de Fontenelle, Sur la dilatation de l’air, HARS, 1708 (1709), 11-19.
  • [59]
    James Jurin, in Géographie générale composée en latin par Bernard Varenius, t. III, sect. VI (Paris : Vincent et Lottin, 1755), 25.
  • [60]
    Van Musschenbroek, op. cit. in n. 53, 690.
  • [61]
    Van Musschenbroek, op. cit. in n. 53, 704.
  • [62]
    D’Alembert, op. cit. in n. 35.
  • [63]
    Jean-Antoine Nollet, De l’air considéré comme atmosphère terrestre, in Id., Leçons de physique expérimentale, t. III (Paris : Frères Guérin, 1745), 356.
  • [64]
    Jacques-Philippe Maraldi, Expériences du baromètre faites sur diverses montagnes, MARS, 1703 (1705), 229-237.
  • [65]
    François de Plantade, Expériences du baromètre faites sur diverses montagnes, avec des remarques physiques sur la constitution des montagnes & sur la nature de l’air qu’on y respire, Histoire de la Société royale des sciences, établie à Montpellier, avec les mémoires de mathématique et de physique, tirés des registres de cette société, t. II (Montpellier : Jean Martel Aîné, 1778), 29-39.
  • [66]
    Jacques Cassini, Réflexions sur la hauteur du baromètre observée sur diverses montagnes, MARS, 1733 (1735), 40-48.
  • [67]
    Il y a douze lignes par pouce de mercure, et la pression atmosphérique au niveau de la mer correspond à 28 pouces de mercure, une ligne de mercure représentant donc la trois cent trente-sixième partie de la pression atmosphérique.
  • [68]
    D’Alembert, op. cit. in n. 35. (D’Alembert souligne.)
  • [69]
    D’Alembert, op. cit. in n. 48.
  • [70]
    D’Alembert, Ether (Physique), Encyclopédie, vol. VI (1756), 51 (http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v6-67-0/).
  • [71]
    Harris, op. cit. in n. 30.
  • [72]
    Jean-André de Luc, Recherches sur les modifications de l’atmosphère […], nouvelle édition, t. IV (Paris : Veuve Duchesne, 1784), 13.
  • [73]
    Christiaan Huygens, Extrait d’une lettre de M. Hugens de l’Académie royale des sciences à l’auteur de ce journal, touchant les phénomènes de l’eau purgée d’air, Journal des sçavans (1672), 133-140.
  • [74]
    Guillaume Amontons, De la hauteur du mercure sur les baromètres ; Suite des remarques sur la hauteur du mercure dans les baromètres, MARS, 1705 (1730), 229-272.
  • [75]
    Jean Bernoulli, Nouvelle manière de rendre les baromètres lumineux, MARS, 1700 (1761), 178-190.
  • [76]
    Jean Picard, Expérience faite à l’Observatoire sur le baromètre simple touchant un nouveau phénomène qu’on y a découvert, Journal des sçavans (1675), 132.
  • [77]
    Ryck, Expérience faite à Leyden et envoyée par Monsieur Ryck professeur de cette ville à Monsieur Instel le 9. mars 1679, Journal des sçavans (1679), 107-108.
  • [78]
    Van Musschenbroek, op. cit. in n. 53, 658-660.
  • [79]
    Mariotte, op. cit. in n. 5, 171.
  • [80]
    D’Alembert, op. cit. in n. 48.
  • [81]
    D’Alembert, Matière (Métaph. & Phys.), Encyclopédie, vol. X (1765), 189-191 (http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v10-591-0/).
  • [82]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Traité physique et historique de l’aurore boréale (Paris : Imprimerie royale, 1733), 43-51.
  • [83]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Traité physique et historique de l’aurore boréale, 2de éd. (Paris : Imprimerie royale, 1754), 41-53.
  • [84]
    Edmund Halley, An account of the late surprizing appearance of the lights seen in the air, on the sixth of March last, with an attempt to explain the principal phænomena thereof, Philosophical transactions of the Royal Society of London, 29 (1717), 406-428.
  • [85]
    Mairan, op. cit. in n. 82.
  • [86]
    Leonhard Euler, Recherches physiques sur la cause de la queue des comètes, de la lumière boréale, et de la lumière zodiacale, Histoire de l’Académie royale des sciences et des belles lettres de Berlin (1746), 117-140.
  • [87]
    Dictionnaire de physique, éd. par Gaspard Monge, Jean-Dominique Cassini, Pierre-Nicolas Bertholon, t. Ier (lettres A, B) (Paris : Hôtel de Thou, rue des Poitevins, 1793), 338-387.
  • [88]
    Mairan, op. cit. in n. 83, 433-434.
  • [89]
    « In conclusion, an examination of Mairan’s published works and his unpublished correspondence reveals the complexity of his understanding of scientific methodology. The picture that emerges indicates a fascination with the Newtonian method, a wariness where speculative systems are concerned and an appreciation of the importance of the scientific imagination—all of which serve to throw light on the argument that he puts forward in the preface. » (Ellen McNiven Hine, Dortous de Mairan and eighteenth century « systems theory », Gesnerus, 52 (1995), 54-65.)
  • [90]
    J. Morton Briggs Jr., Aurora and Enlightenment eighteenth-century explanations of the aurora borealis, Isis, 58/4 (1967), 491-503.
  • [91]
    Voir l’analyse de Stéphane Le Gars, Dortous de Mairan et la théorie des aurores polaires : Trajectoire et circulation d’une idée, de 1733 à 1933, Revue d’histoire des sciences, 68/2 (2015), 311-333.
  • [92]
    Mairan, op. cit. in n. 82, 30.
  • [93]
    Bernard Le Bovier de Fontenelle, Préface, HARS, 1699 (1732), i-xix.
  • [94]
    Philippe de La Hire, Sur la hauteur de l’atmosphère, MARS, 1713 (1716), 53-64.
  • [95]
    Encyclopédie méthodique, Physique, éd. par Gaspard Monge, Jean-Dominique Cassini, Pierre-Nicolas Bertholon, Jean-Henri Hassenfratz, t. III (Paris : Mme Veuve Agasse, rue des Poitevins, 1819), 439-443.
  • [96]
    Halley, op. cit. in n. 84.
  • [97]
    Henry Cavendish, On the height of the luminous arch which was seen on Feb. 23, 1784, Philosophical transactions of the Royal Society of London, 80 (1790), 101-105.
  • [98]
    Jacques Cassini, De la révolution du Soleil et des planètes autour de leur axe, MARS, 1735 (1738), 453-464.
  • [99]
    Bernard Le Bovier de Fontenelle, Sur les rotations des corps célestes, MARS, 1735 (1738), 41-46.
  • [100]
    Fontenelle, op. cit. in n. 99.
  • [101]
    Alexandre-Gui Pingré, Cométographie ou traité historique et théorique des comètes, t. Ier (Paris : Imprimerie royale, 1783), 171-172.
  • [102]
    Bernard Le Bovier de Fontenelle, Sur une théorie des comètes appliquée à celles de 1707. & de 1723., HARS, 1725 (1727), 63-76.
  • [103]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Éloge de l’abbé de Molières, Éloges des académiciens de l’Académie royale des sciences, morts dans les années 1741, 1742, & 1743 (Paris : Durand, 1747), 201-234, 209.
  • [104]
    Pierre Brunet, L’Introduction des théories de Newton en France au xviiie siècle avant 1738 [1931] (Genève : Slatkine reprints, 1970).
  • [105]
    John Bennett Shank, The Newton wars and the beginning of the French Enlightenment (Chicago : University of Chicago Press, 2008).
  • [106]
    Une synthèse des périodisations proposées dans la littérature peut être trouvée dans : Pierre Crépel et Christophe Schmit, Autour de Descartes et Newton (Paris : Hermann, 2017), 21-40.
Français

Dans cet article, nous présentons tout d’abord les conceptions de l’atmosphère au xviiie siècle, en lien avec différentes acceptions de la notion d’air – air grossier, pur ou subtil –, héritées pour l’essentiel de Descartes, et leurs implications sur l’estimation faite à l’époque de la hauteur de l’atmosphère, principalement à partir de l’observation des aurores boréales et des mesures du baromètre réalisées sur les montagnes. Puis nous relatons l’enchaînement d’observations et d’hypothèses qui, de 1726 à 1735, a conduit des savants éminents de l’Académie royale des sciences de Paris à augmenter la hauteur de l’atmosphère de 70 à 2 000 km, la rapprochant ainsi de la valeur réconciliant la durée du jour terrestre avec la théorie des tourbillons cartésiens. Nous suggérons que ces travaux s’inscrivent dans le cadre de l’offensive cartésienne menée contre la pénétration du newtonianisme à partir de 1727, selon différents auteurs, notamment Pierre Brunet ou John Bennett Shank.

  • atmosphère
  • hauteur de l’atmosphère
  • air
  • aurores boréales
  • mesures du baromètre
  • xviiie siècle
  • cartésianisme
Éric Chassefière
Éric Chassefière, SYRTE – UMR 8630 (Observatoire de Paris – PSL, CNRS, Sorbonne Université, LNE), Observatoire de Paris, 61, avenue de l’Observatoire, 75014 Paris, France.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/12/2021
https://doi.org/10.3917/rhs.742.0407
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...