CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1. Introduction

1 Les effectifs d’actifs classés dans les professions artistiques et culturelles ont connu, dans tous les pays développés, une croissance forte. Aux États-Unis, par exemple, ils ont progressé de 78 % entre 1980 et 2000. En France, le rythme de croissance a été de +37 % entre 1982 et 1990, de +19 % entre 1990 et 1999, et encore de +16 % entre 1999 et 2005 : au total, les actifs des professions culturelles ont augmenté à un rythme quatre fois et demi plus rapide que la population active française dans son ensemble, et représentaient 2 % de celle-ci en 2005. Toutes les enquêtes nationales [1] indiquent que les artistes connaissent une plus forte inégalité des gains, une plus grande variabilité de leurs revenus dans le temps, et des taux plus élevés de chômage et de sous-emploi contraint que la quasi-totalité des autres professions qui sont classées dans la même catégorie statistique. L’augmentation des effectifs et celle de la dispersion des rémunérations sont corrélés, si une croissance de la demande a pour double effet d’attirer de nouveaux artistes dans le secteur considéré, mais aussi d’amplifier simultanément les écarts de revenu en faveur des plus talentueux.

2 Je n’examinerai pas ici l’ampleur, la composition sectorielle et les facteurs de l’augmentation de la demande de culture, telle que nous la font connaître les analyses des dépenses de consommation des ménages, les enquêtes sur les pratiques culturelles et les données sur les entreprises et établissements du secteur marchand et non marchand de la culture. La comparaison entre les modèles sociologique et économique d’analyse de la consommation culturelle a été souvent faite et ne laissait guère de place à une intégration féconde des approches : le choc des impérialismes explicatifs était direct. Les sociologues avaient l’avantage de proposer des données d’enquête originales et cumulatives sur les comportements et les inégalités de consommation et d’en ordonner l’analyse à partir de modèles puissants de stratification sociale, pendant que la théorie économique admettait progressivement que son axiomatique de base devait être modifiée pour rendre compte des interdépendances et des affiliations des préférences individuelles. Inversement, l’analyse économique a accordé une attention croissante aux propriétés informationnelles des transactions et des imperfectionsde la concurrence marchande et aux phénomènes d’imitation et de contagion dans les choix individuels, sans se départir de son individualisme méthodologique, qui arme la critique contre le recours des sociologues à des forces mystérieuses ou à des grandeurs mal définies (e.g. la classe sociale et la position de classe).

3 En revanche, l’analyse de l’offre de travail et des marchés du travail a ouvert des voies plus rapidement fécondes d’échange entre sociologues et économistes. Je me propose avant tout d’examiner trois questions liées à la variation des effectifs dans les professions artistiques et à la rémunération du travail artistique : la composition évolutive de la catégorie des professions artistiques, les critères de professionnalité et l’explication du niveau et de la distribution des rémunérations. Je montrerai d’abord quelles variations peuvent être imputées au découpage du secteur économique et professionnel des arts, soulignant ainsi ce qui est l’un des apports de la sociologie, quand elle insiste sur le caractère socialement construit des catégories et des nomenclatures. Je procéderai ensuite à une analyse des critères de la professionnalité : déterminer sur quelle réalité (revenus, temps, intention subjective auto-déclarée, affiliation professionnelle, etc.) asseoir l’identification des effectifs professionnels est un défi habituel dans les recherches sur les mondes artistiques, que les sociologues ont relevé avec plus de prudence méthodologique que les économistes. Mais, et ce sera mon troisième point, lorsque l’analyse prend pour critère central le niveau et la distribution des revenus, et leur profil particulier, il est aisé de tracer un sentier de convergence, et de produire une théorie originale de la compétition et des carrières professionnelles dans les arts.

2. Les artistes : catégorisation et dénombrement

4 La sociologie, discipline d’enquête, a, depuis l’origine, notamment sous l’influence de Durkheim, pris soin de rappeler que les catégories à l’aide lesquelles sont définis et mesurés les faits et les comportements sociaux sont des constructions sociales. L’argument a trouvé une force considérable dans les travaux d’épistémologie sociologique de Pierre Bourdieu et al.[1968]. Les travaux interactionnistes américains avaient eux-mêmes montré empiriquement comment l’analyse fonctionnaliste de la croissance de la déviance et de la criminalité pouvait être grevée par l’aveuglement à l’égard des procédures très concrètes d’enregistrement et de catégorisation statistique des données utilisées [Kitsuse et Cicourel, 1963]. Dans une importante enquête sur les artistes plasticiens, destinée à fixer des standards méthodologiques nouveaux dans l’approche sociodémographique de professions aux contours flous, Raymonde Moulin et al. [1985] ont, au début des années 1980, fait un premier inventaire des difficultés d’identification professionnelle des artistes et proposé des solutions originales et exigeantes.

5 Le bénéfice de la profondeur historique des analyses de sociologie de l’art et de la culture fut non moins décisif. Peu de professions ont une identité nominale aussi constante à travers le temps et une visibilité aussi élevée, enraison de l’une des propriétés cardinales et exceptionnelle de la production artistique, sa durabilité, qui vaut aux artistes les plus réputés de traverser le temps. Et par suite, peu d’activités professionnelles sont aussi bien documentées sur la très longue durée : quelque lacunaires que puissent être les sources au regard des exigences modernes d’analyse des carrières et des métiers, l’analyse historique offre l’équivalent d’une situation expérimentale pour étudier les conceptions changeantes de la professionnalité artistique que masque la stabilité de l’identité nominale, et pour examiner notamment l’éloignement progressif entre les activités artistiques et artisanales. Les historiens d’art ont montré la voie [2]. Certains sociologues, tels Harrison et Cynthia White [1965] ou Raymonde Moulin [1983], ont fondé sur l’étude historique leur analyse des innovations esthétiques et des transformations de l’organisation professionnelle des mondes artistiques. L’analyse économique, plus récemment, a trouvé dans l’enquête historique des ressources neuves pour explorer la formation et le développement des marchés artistiques [3], et les écarts que révèlent les comparaisons interculturelles dans la différenciation entre création artistique et création artisanale [Greffe et Sato, 2008].

6 Le problème de l’instabilité des critères de professionnalité peut être énoncé simplement, comme l’a fait Judith Adler : « dans une société dans laquelle l’appartenance à une profession n’est pas définie ou contrôlée par une corporation, par une académie ou un système public de licence professionnelle, les problèmes d’identification professionnelle ne peuvent être ni ignorés ni résolus complètement »  [4]. En d’autres termes, ce qui, dans une approche naïvement positiviste de la profession artistique, ferait de la catégorie professionnelle une variable indépendante et du recensement des artistes une opération élémentaire, doit avoir été d’abord traité comme une variable dépendante, et les choix méthodologiques corrélatifs doivent avoir été opérés explicitement.

3. La composition de la catégorie

7 Un bref examen comparé du contenu de la catégorie professionnelle des artistes pour quelques-uns des pays (États-Unis, France, Royaume-Uni) dans lesquels ont été développées des recherches statistiques systématiques sur les caractéristiques sociodémographiques et les revenus des professions artistiques permet de cerner les contours du problème taxinomique posé par l’objectivation statistique des professions artistiques.

8 Les professions artistiques figurent dans un ensemble plus vaste, celui des professions culturelles, elles-mêmes rattachées aux professional, managerial and technical workers dans le monde anglo-saxon, et à la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures et, plus marginalement, à celle des professions intermédiaires, en France. La composition de l’ensemble des professions culturelles est assez semblable dans les quatre pays. Les professions dotées d’une identité artistique depuis longtemps stabilisée – écrivains, danseurs, acteurs, musiciens, peintres et sculpteurs, architectes – figurent au centre du groupe. Ont été progressivement rattachées à ce noyau des professions antérieurement considérées comme techniques, artisanales ou commerciales – réalisateurs de cinéma et de télévision, photographes, graphistes, illustrateurs, stylistes décorateurs et designers, artisans d’art. La liaison opérée entre « art » et « culture » a conduit, en outre, à inclure des métiers liés à la conservation et à la documentation – bibliothécaires, archivistes, conservateurs –, et à l’enseignement artistique – professeurs d’art hors enseignement secondaire – ; à incorporer des spécialités ouvertement commerciales et appliquées de certaines professions anciennement ou nouvellement qualifiées d’artistiques – « artistes commerciaux » selon la dénomination distinctive employée au Royaume-Uni, designers industriels et métiers de la mode – ; à absorber diverses professions de la presse et des médias – journalistes, présentateurs – ; à rattacher les actifs des professions de la production et de la gestion dans les industries culturelles – managers des spectacles, producteurs de spectacle vivant, de cinéma et d’audiovisuel, et autres cadres, techniciens et ouvriers des spectacles.

9 L’harmonisation européenne des nomenclatures nationales, élaborée à des fins de production statistique intégrée et comparative, opère, elle, selon un triple principe :

10

  • de composition de la catégorie des professions culturelles par division fonctionnelle : les métiers de création et d’interprétation sont au centre d’un ensemble qui comprend aussi les fonctions de patrimonialisation et de conservation et les fonctions technico-artistiques et techniques ;
  • de hiérarchisation : les professions supérieures sont distinguées des professions intermédiaires artistiques et techniques, selon un clivage qui tient à la fois à une division verticale du travail et à une hiérarchie plaçant les activités créatives exercées à des fins « industrielles et commerciales » plus bas que les activités « purement artistiques ». Ceci rappelle la justification qu’avait fournie l’Insee à sa distinction verticale entre des activités opérant dans le régime de finalité sans fin, et de « gratuité » dans la recherche esthétique de l’originalité, et des activités classées en professions intermédiaires par des « individus qui, pour répondre aux besoins de la presse, de la publicité, de la mode et de la décoration intérieure ou extérieure, conçoivent et exécutent des oeuvres originales, mais dont l’activité n’est pas reconnue comme purement artistique » ;
  • d’extension par contiguïté : aux architectes sont ainsi adjoints, de manière plutôt surprenante, « les urbanistes et ingénieurs de la circulation routière »  [5].

11 Il serait fastidieux de rappeler le détail des mouvements de reclassement qui ont fait évoluer ces nomenclatures dans le temps. Deux exemples suffiront pour indiquer comment sont traitées les incertitudes concernant le contenu et les limites de l’identification statistique des professions artistiques. En France, la nomenclature de l’INSEE, entre 1954 et 1982, classait les artistes avec le clergé, l’armée et la police, les professions sportives et certaines « professions » inclassables telles que les voyants et les radiesthésistes. Des évolutions s’introduisirent pourtant dans l’outillage taxinomique. En 1975, le code des métiers rattacha aux artistes certains métiers d’art, les photographes d’art, de mode et de publicité, et certains des métiers de la publicité et de la mode (dessinateurs, graphistes, concepteurs), tout en classant cet ensemble de métiers dans la catégorie des « ouvriers professionnels des arts plastiques et appliqués ». Cette évolution des classements avait une conséquence plus immédiate qu’un simple surcroît de cohérence et de précision taxinomique et statistique : les professionnels nouvellement inclus dans le poste 93 « artistes » du code des métiers ont pu s’estimer habilités à revendiquer les avantages sociaux, fiscaux et patrimoniaux des artistes [Moulin et al., 1986]. Depuis le début des années 1980, la nomenclature rénovée des PCS qui fut mise en oeuvre par l’INSEE situe les artistes parmi les cadres et les professions intellectuelles supérieures [Desrosières et Thévenot, 1988].

12 La composition interne des spécialités professionnelles incluses dans une catégorie statistique peut varier plus subtilement qu’à travers les adjonctions ou substitutions que les évolutions et les comparaisons évoquées plus haut rendent immédiatement visibles. Aux États-Unis, Bradshaw [1984] procéda à une évaluation des effets provoqués par la révision du système de classification des artistes intervenue en 1980. Les changements portaient, d’une décennie à l’autre, moins sur les intitulés des professions que sur lechoix d’inclure, d’exclure ou de redistribuer diverses spécialités professionnelles au sein des catégories détentrices d’une appellation générique. Les tableaux qui suivent font apparaître la part de l’accroissement démographique de la catégorie des professions artistiques qui est imputable aux modifications de la composition de la catégorie et de ses sous-catégories. Bradshaw procède à une démonstration en trois temps, qui est retracée dans les trois tableaux ci-dessous. Sont présentés successivement les résultats des deux recensements, sans correction des effets de structure provoqués par les changements intervenus dans la composition de la catégorie des professions artistiques, puis l’évaluation de l’impact de cette recomposition de la catégorie, à travers un exercice de recodification des données du recensement de 1970 à l’aide de la nomenclature de 1980, qui fait émerger les décalages positifs et négatifs dans les effectifs selon l’outil utilisé, et, en dernier lieu, la présentation des évolutions dans la démographie des professions artistiques entre 1970 et 1980, avant et après contrôle des effets de la recomposition sur chacune des professions distinguées et sur le résultat d’ensemble.

Tableau 1

Les effectifs des professions artistiques aux États-Unis en 1970 et 1980

Professions artistiques en 1970 Effectifs
recensés
en 1970
Effectifs
recensés
en 1980
Professions artistiques en 1980
Acteurs 14 140 67 180 Acteurs et metteurs en scène
Présentateurs radio / tv 22 296 46 986 Présentateurs
Architectes 57 081 107 693 Architectes
Professeurs d’art plastique, de
musique, de théâtre (enseigne
ment supérieur)
30 654 28 385 Professeurs d’art plastique, de
musique, de théâtre (enseigne
ment supérieur)
Auteurs 26 004 45 748 Auteurs
Danseurs 6 924 13 194 Danseurs
Designers 112 325 338 374 Designers
Musiciens et compositeurs 96 537 140 556 Musiciens et compositeurs
Peintres et sculpteurs 107 476 153 162 Peintres, sculpteurs, artisans
d’art, graveurs
Photographes 65 960 94 762 Photographes
Ecrivains, artistes et artistes de
divertissement non classés
ailleurs
64 091 49 653 Artistes et interprètes non clas
sés ailleurs
TOTAL ARTISTES 603 488 1 085 693 TOTAL ARTISTES
figure im1

Les effectifs des professions artistiques aux États-Unis en 1970 et 1980




(1984).
US Census Bureau, Census of Population, 1970 et 1980, cité par Bradshaw
Tableau 2

Effet des modifications dans la codification des professions artistiques aux États-Unis 1970-1980

Intitulés des
profession
artistiques
de 1970
Dénombrement
des artistes
recensés en
1970 selon les
codes de
classification
de 1970
(1)
Dénombrement
des artistes
recensés en
1970 selon les
codes de
classification
de 1980
(2)
Variation
des
effectifs
(2)- (1)
(3)
Pourcentage
d’accroisse
ment ou de
diminution
(2)/ (1)
(4)
Acteurs 16 47 + 31 + 193,7 % (1)
Présentateurs radio / tv 37 41 + 4 + 10,8 % (2)
Architectes 97 87 - 10 - 10,3 % (3)
Professeurs d’art plastique,
de musique, de théâtre
(enseignement supérieur)
58 63 + 5 + 8,6 % (4)
Auteurs 25 25 aucun aucun
Danseurs 8 8 aucun aucun
Designers 145 307 + 162 + 111,7 % (5)
Musiciens et compositeurs 154 154 aucun aucun
Peintres et sculpteurs 173 136 - 37 - 21,4 % (6)
Photographes 90 88 - 2 - 2,2 % (7)
Écrivains, artistes et artis
tes de divertissement non
classés ailleurs
92 73 - 19 - 20,6 % (8)
TOTAL ARTISTES 895 1,029 + 134 + 15 %
figure im2

Effet des modifications dans la codification des professions artistiques aux États-Unis 1970-1980




Lecture : si les artistes recensés en 1970 (colonne 1) étaient identifiés selon les critères de la nomenclature révisée pour le recensement de 1980, on trouverait non pas 16 mais 47 acteurs dans l’échantillon examiné, et un total de 1029 artistes, au lieu de 895, parmi les 120 000 cas d’actifs étudiés. L’explication est à chercher dans le remodelage des professions, tel que le précisent les notes ci-après.
(1) En 1980, la catégorie des acteurs incorpore les professions suivantes : « directors, program managers, producers, narrators », dont certains étaient antérieurement classés dans la catégorie « Écrivains, artistes et artistes de divertissement non classés ailleurs ».
(2) En 1980, les disc jockeys et les artistes de radio classés auparavant dans la catégorie « Ecrivains, artistes et artistes de divertissement non classés ailleurs » rejoignent celle des présentateurs.
(3) La catégorie des architectes perd en 1980 les architectes navals et de marine et certains ingénieurs civils.
(4) Certains enseignants antérieurement classés parmi les « miscellaneous teachers, college and university » rejoignent le groupe des professeurs de disciplines artistiques de l’enseignement supérieur.
(5) Les designers admis parmi les professionnels de l’art accueillent en 1980 les décorateurs et les étalagistes ; certains des intitulés d’emploi auparavant versés dans la catégorie des peintres et sculpteurs (« color consultants, art directors, art supervisors ») sont réaffectés à la catégorie des designers.
(6) La catégorie des peintres et sculpteurs s’élargit aux artistes des métiers d’art (« craft artists ») et aux graveurs et perd une partie des emplois transférés à celle des designers. Au total, son périmètre se restreint.
(7) La catégorie des photographes est définie de manière un peu plus étroite, en perdant certaines professions techniques de l’image.
(8) La catégorie résiduelle se défait, en 1980, de professions de l’édition, du journalisme et de la rédaction technique (« editors, reporters, technical writers »).
US Census Bureau, Census of Population, 1970. Analyse d’un échantillon de 120 000 cas (Bradshaw, 1984).
Tableau 3

Les effectifs des professions artistiques aux États-Unis en 1970 et 1980 : avant et après effets de structure

Variations
en % après
ajustement
(d)/ (c)
+ 61,73 %
+ 90,17 %
+ 110,35 %
- 14,75 %
+ 75,92 %
+ 90,55 %
+ 42,28 %
+ 45,59 %
+ 81,27 %
+ 46,93
- 2,36 %
+ 51,24 %
Variations
en % avant
ajustement
(d)/ (a)
+ 375,10 %
+ 110,73 %
+ 88,66 %
- 7,40 %
+ 75,92 %
+ 90,55 %
+ 201,24 %
+ 45,59 %
+ 42,50 %
+ 43,66 %
- 22,52 %
+ 79,90 %
Effectifs
recensés en
1980
(d)
67 180
46 986
107 693
28 385
45 748
13 194
338 374
140 556
153 162
94 762
49 653
1 085 693
Effectifs
recensés en
1970 après
ajustement
(c)
41 536
24 706
51 196
33 296
26 004
6 924
237 819
96 537
84 489
64 494
50 854
717 858
Coefficient d’ajustement
appliqué à partir de la
codification de 1980 – voir
tableau 2, colonne (4)
(b)
+ 193,75 %
+ 10,81 %
- 10,30 %
+ 8,62 %
-
-
+ 111,72 %
-
- 21,38 %
- 2,22 %
- 20,65 %
+ 18,95 %
Effectifs
recensés en
1970
(a)
14 140
22 296
57 081
30 654
26 004
6 924
112 325
96 537
107 476
65 960
64 091
603 488
Professions artistiques en 1980
Acteurs et metteurs en scène
Présentateurs
Architectes
Professeurs d’art plastique, de musi
que, de théâtre (enseignement supé
rieur)
Auteurs
Danseurs
Designers
Musiciens et compositeurs
Peintres, sculpteurs, artisans d’art,
graveurs
Photographes
Artistes et interprètes non classés
ailleurs
TOTAL ARTISTES
figure im3

Les effectifs des professions artistiques aux États-Unis en 1970 et 1980 : avant et après effets de structure




Lecture : on comptait en 1970 quelque 603 488 artistes (selon la nomenclature en usage alors) et 1 085 693 artistes en 1980. Si la nomenclature
de 1980 avait été déjà employée en 1970, la croissance aurait été non pas de +79,9 % mais de +51,2 %.
US Census Bureau, Census of Population, 1970 et 1980 (Bradshaw, 1984).

13 La leçon de méthode est éloquente : la croissance des effectifs des professions artistiques est forte, mais une part de cette croissance est imputable à des choix taxinomiques. Comme le travail sur les taxinomies n’est rien d’autre qu’un processus social de redéfinition des frontières des professions et de requalification périodique de leur cohérence interne, sous l’arbitrage des professionnels de la statistique sociale, les mouvements démographiques attestés par les simples comptages statistiques masquent le travail d’assimilation et de dissimilation qui donne à la carte des professions sa géographie évolutive, celle dont Andrew Abbott [1988] a justement caractérisé les ressorts concurrentiels pour qualifier la dynamique sociale de lutte pour le contrôle d’aires de juridiction assorties à l’expertise et à la valeur sociale des actes de travail revendiquées.

14 Il y aurait une économie politique de la catégorisation professionnelle et sectorielle des arts à écrire. Dans un travail de comparaison des modèles de politique culturelle [6], j’ai montré comment, depuis les années 1980, composer une politique culturelle passe notamment par la redéfinition de son champ. Celle mise en œuvre au Royaume-Uni distingue deux domaines d’intervention : le patrimoine (heritage) et les creative industries qui comprennent l’architecture, la musique, les arts du spectacle, l’édition, le marché de l’art et des antiquités, la musique, les métiers d’art, la télévision et la radio, le film et la vidéo, la publicité, le design, la mode, les jeux vidéo, les logiciels et les services informatiques. L’argument est simple. Dans sa définition habituelle, la culture qui est objet de politique se matérialise par des œuvres, des services, des spectacles, des pratiques qui, toutes, procurent au citoyen consommateur de l’utilité : dans cette conception, la culture est un bien final, et sa consommation devrait être aussi équilibrée que possible, géographiquement et socialement, pour que des satisfactions individuelles soient assorties de bénéfices collectifs. Dans sa requalification par sa forte teneur en créativité, la culture, au sens évoqué à l’instant, devient le secteur où sont recherchées et mises en œuvre des qualités qui sont également une ressource pour l’économie tout entière. C’est la raison pour laquelle sont associées aux arts des activités qui relèvent d’une définition utilitariste et fonctionnelle de la production, mais qui doivent être exercées avec suffisamment d’invention pour ajouter un coefficient profitable d’originalité et d’innovation : les cas du design industriel, de la publicité, de la mode, des logiciels et des services informatiques, explicitement incorporés dans le périmètre de l’action culturelle publique en Grande-Bretagne, en sont l’illustration. Le domaine de la culture constitue assurément un foyer remarquable de créativité, car il pousse si loin les exigences d’originalité, d’inventivité et de liberté à l’égard des contraintes et des modèles connus, qu’il semble reléguer au second plan les compétences techniques requises par l’exercice d’une activité supérieure spécialisée. Mais la créativité doit être conçue comme cet élément générique d’inventivité commun à l’ensemble des activités économiques qui incorporent en permanence la connaissance, son renouvellement incessant, et ses applications techniques dans le processus de production, à des fins d’innovation et de différenciation compétitives.

15 La politique culturelle devient une politique « industrielle » : non seulement la culture doit cesser d’être considérée comme une activité qui ne peut s’épanouir qu’à l’écart des pressions du marché, ce que l’incorporation des industries culturelles dans l’agenda public avait déjà récusé officiellement, mais la culture doit occuper légitimement cette position d’avant-garde que lui assignait déjà Henri de Saint-Simon au début du 19ème siècle quand il faisait de l’artiste, de l’ingénieur et de l’entrepreneur les trois héros des temps modernes.

16 La requalification de la sphère culturelle en secteur des « industries créatives » opère à la jonction de trois évolutions. D’une part, la politique culturelle devient celle de sociétés dont le modèle de croissance repose sur l’innovation technologique et sur l’élévation du capital scientifique et intellectuel du pays. Plutôt ignorée initialement par la stratégie européenne de Lisbonne, la culture s’invite dans la société de la connaissance. Mais c’est une production culturelle qui, comme le fait valoir le modèle anglo-saxon, doit faire la preuve de sa viabilité sur le marché, en disposant d’un environnement de soutien public indispensable à la croissance de ses entreprises, à la formation de ses personnels, à la protection de ses sources de financement et notamment des revenus issus de l’exercice consolidé du droit de la propriété intellectuelle. D’autre part, c’est un modèle qui immerge la politique culturelle dans l’ensemble des politiques économiques et sociales, au plan national et international. La troisième évolution concerne l’emploi dans le secteur culturel. L’un des arguments de la creative industries policy est la consécration des valeurs clés associées à la créativité : flexibilité et adaptabilité du comportement individuel, goût du risque, capacité de réaction face à l’imprévu, aptitude à la pensée divergente et intuitive, valorisation de la diversité dans les équipes. Ces caractéristiques font apparaître les ressorts d’une économie de variété et de différenciation illimitée de la production de biens et de services artistiques et culturels. Leurs effets sur la situation d’activité des creative workersconstituent un défi pour les politiques sociales de l’État providence, car la combinaison de la flexibilité fonctionnelle de l’organisation par projet et du risque individualisé de sous-emploi est poussée à l’extrême, et peut conduire à sursolliciter les mécanismes de protection sociale.

4. Les critères de professionnalité et leur contestabilité

17 Après celui posé par l’identification des activités qui reçoivent la qualité de professions artistiques, le second obstacle tient à la détermination des critères de professionnalité qui permettent de définir un seuil univoque d’exercice des activités habituellement recensées comme artistiques, et de séparer les formes professionnelles d’exercice de ces activités des engagements et des pratiques des amateurs. Dans chacune des professions qui sont identifiées comme artistiques, la question est perpétuellement lancée : qui doncdoit être identifié et compté comme artiste ? L’étude des professions artistiques met ainsi en évidence un problème inhabituel : la définition d’une profession par le savoir et les compétences qui qualifient la revendication d’une expertise atteint sa limite si l’expertise est graduée selon les écarts de réputation, et si elle s’exprime dans la probabilité de tirer de son activité artistique un niveau suffisant de rémunération. Dans les arts, ces écarts de réputation et de rémunération sont considérables, et la corrélation entre les niveaux de formation et les niveaux de réputation et de rémunération est plus faible que dans les autres professions supérieures. D’où l’émergence d’une pluralité de critères de professionnalité qui se font concurrence en fonction des objectifs des groupes et des institutions qui cherchent à en faire reconnaître la légitimité, sinon l’exclusivité, dans les procédures et dispositifs d’attribution de professionnalité.

18 C’est cette pluralité que les économistes Bruno Frey et Werner Pommerehne [1993, p. 202] ont reconnue en proposant au moins huit critères pour définir l’artiste :

19

« le temps consacré au travail artistique ; l’importance des revenus tirés d’activités artistiques ; le fait d’être considéré comme artiste par le public ; le fait d’être reconnu comme artiste par les autres artistes ; la qualité du travail artistique produit (ce qui implique que la notion de qualité doive, d’une façon ou d’une autre, être définie) ; l’appartenance à un groupe ou à une association d’artistes professionnels ; la qualification professionnelle (diplômes d’écoles artistiques) ; la réponse personnelle de chaque individu à la question : « Suis-je un artiste ? » ».

20 Parmi ces huit critères, le dernier, couramment employé dans les enquêtes des instituts statistiques nationaux, peut conduire à la subjectivation de la profession, si l’autodéclaration n’est fortement corrélée à aucun critère mesurable. La remarque est moins spécieuse qu’il n’y paraît, on va le voir, et permet de montrer comment l’analyse sociologique a identifié les défis à relever et comment l’analyse économique des revenus des artistes, que j’examinerai plus loin, a aidé à les résoudre.

21 Le critère de l’autodéfinition peut être compris en deux sens fort différents. Lorsqu’une enquête de recensement comme celle de l’INSEE demande à l’individu de déclarer la profession principale qu’il exerce actuellement, la réponse sollicitée contient certes un élément de pondération subjective et engage une représentation sociale du classement et de la dénomination des activités [Burnod et Chenu, 2003], mais elle s’appuie essentiellement sur la réalité des catégories en vigueur sur le marché du travail et dans les organisations. S’agissant des artistes, l’autodéfinition professionnelle par évaluation subjective nous entraîne sur un chemin différent de la simple autodéclaration. C’est ce que montre l’autodéfinition promue au rang de critère définitoire de l’artiste par l’Unesco, dans sa Recommandation relative à la condition de l’artiste de 1980 :

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« On entend par « artiste » toute personne qui crée ou participe par son interprétation à la création ou à la recréation d’œuvres, qui considère sa création artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui ainsi contribue au développement de l’art et de la culture, et qui est reconnue ou cherche à être reconnue en tant qu’artiste, qu’elle soit liée ou non par une relation de travail ou d’association quelconque.
Le mot « condition » désigne, d’une part, la position que, sur le plan moral, l’on reconnaît aux artistes définis ci-dessus dans la société sur la base de l’importance attribuée au rôle qu’ils sont appelés à jouer, et, d’autre part, la reconnaissance des libertés et des droits, y compris les droits moraux, économiques et sociaux, notamment en matière de revenus et de sécurité sociale, dont les artistes doivent bénéficier ».

23 Cette définition associe des arguments contraires. Elle place d’abord la vie d’artiste dans une parfaite apesanteur sociale, au prix d’une remontée aux conditions de possibilité de l’engagement dans l’activité artistique, par-delà toute incarnation sociale et marchande. La condition d’artiste est ainsi gagée sur une forme accomplie de motivation intrinsèque. Mais c’est aussi à ce titre que l’activité d’artiste doit être pleinement inscrite dans la sphère des droits sociaux garants d’un libre exercice professionnel. Toute délimitation normative du périmètre des bénéficiaires est bannie, ce qui revient à lever la contrainte de rareté des ressources, pour conformer la « reconnaissance » des droits à la reconnaissance potentiellement illimitée de la qualité d’artiste. Le rejet des sanctions du marché, quand le critère du revenu est réputé inutilisable pour déterminer un seuil de déclenchement de la qualification de professionnalité, se mue paradoxalement en un droit universel à l’exercice de la vocation d’artiste, dont le financement a été tenté parfois, mais s’est relevé insoutenable dans la durée [7]. L’extrême dilution de la professionnalité que promeut l’argument de l’autodéfinition érige ainsi la raison statistique qui s’évertuerait à catégoriser et à classer selon des indices ou des faisceaux d’indices en une construction sociale négatrice des singularités expressives de chaque identité individuelle, ce qui reconduit le procès ordinaire fait par les mondes de l’art à la catégorisation objective exigée par les opérations statistiques. Mais dans le même temps, la critique de la raison statistique débouche sur l’appel à une collectivité, à une totalité sociale, qui devrait être disposée à aménager, au coeur de la division du travail et des assignations socioprofessionnelles en lesquelles elle se réalise, un droit social et économique à la subjectivation complète du travail supposé non monétarisable.

24 La critique des théories fonctionnalistes de la profession menée par la sociologie interactionniste conduit à récuser tout aussi directement une définition économique du métier. Eliot Freidson [1986] a cherché à débrouiller l’« imbroglio conceptuel » constitué par les professions artistiques en s’appuyant sur la distinction forgée par Hannah Arendt entre oeuvre et travail (work vs labor)  [8] pour conférer au premier type de travail une valeur essentiellement extra-monétaire, dont les gratifications sont intrinsèques, et correspondent au besoin de réalisation personnelle de l’homme dans le travail.

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« Pour les arts, aux États-Unis, aucune association, aucun syndicat ne regroupe assez de membres pour pouvoir revendiquer d’être représentatif ; aucun diplôme, aucun certificat n’atteste sans contestation possible une formation ou une reconnaissance dignes de confiance ; enfin et surtout peut-être, trop peu d’artistes vivent de leur art ou d’une activité professionnelle apparentée pour nous permettre de les repérer dans une enquête ou dans le recensement. Ils n’en existent pas moins, de même que leurs produits et leurs activités artistiques. Ils ont reçu une formation, se sont engagés subjectivement dans leur vocation artistique. Ils s’identifient eux-mêmes comme artistes et sont membres de groupes d’artistes. Comme leurs activités n’ont le plus souvent aucun valeur économique, nous ne pouvons les qualifier de « travail » au sens technique et économique du terme, mais nous devons les reconnaître comme « oeuvre » au sens culturel du terme » [Freidson, 1986, p. 439].

26 En rejetant les divers critères objectivants de la professionnalité artistique, parce que tous échoueraient à relier de manière univoque la pratique d’un art à un revenu ou à une formation économiquement assimilable à un investissement dans un travail productif, Freidson [1986] veut faire pivoter l’analyse de l’ancrage socio-économique des professions : au lieu de voir dans les professions artistiques un cas marginal et sources d’apories conceptuelles, il propose d’inverser l’approche et d’en faire le révélateur de la dimension symbolique des appréciations du travail. Les pratiques artistiques sont, selon Freidson [1986, p. 442],

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« des situations expérimentales permettant d’affiner l’analyse de l’engagement dans la mise en oeuvre de compétences complexes et spécialisées et de l’organisation sociale de la vie professionnelle qui rend possible et oriente cet engagement. Nous pourrions peut-être par là dépasser les limites empiriques et conceptuelles d’une définition purement économique du métier et du travail, définition longtemps dominante au point de nous aveugler sur la portée théorique de la pratique contemporaine des arts. Peut-être retrouverions-nous la signification du vieux thème durkheimien selon lequel les relations économiques sont une superstructure dont les représentations sociales définissent les fondements et les conditions de possibilité ».

28 L’usage, administratif ou savant, du critère de l’autodéfinition repose sur une pétition de principe : il demande de considérer comme une évidence que l’exercice professionnelle d’une activité artistique procure une gratification essentiellement non monétaire, et que c’est même là la condition de l’inventivité authentique. D’où la conclusion que l’immense majorité des artistes ne seraient pas recensés comme tels si la professionnalité était définie par la proportion des revenus tirés de leur art. L’argument est paradoxal puisqu’il commence par dispenser de toute analyse précise de la situation matérielle des artistes, et en vient à récuser le critère du revenu, sans l’avoir précisé, sur la base d’une évidence de sens commun.

29 La critique des critères objectivants prend un tour différent lorsqu’il s’agit de la formation. La formation et la compétence détenues par les artistes ne sont pas, comme le revenu du travail artistique, tenues pour statistiquement introuvables, bien au contraire, mais c’est le défaut d’organisation de la profession qui interdirait de valoriser la formation dans un titre valant monopole ou avantage concurrentiel sur le marché des services et des biens :

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« les produits [des professions artistiques] ont une grande portée culturelle, ils exigent une compétence, une inspiration, une formation extrêmes, autant de critères qui justifient qu’on les qualifie de professions. Mais faute d’une organisation formelle de la profession, d’un système de titres, d’une protection statutaire sur le marché, nous ne pouvons appliquer ici les méthodes ordinaires d’étude des professions pour circonscrire nettement les métiers d’artistes et ainsi déterminer leurs membres » [Freidson 1986, p. 439].

31 Si la compétence d’artiste ne se laisse ni produire ni certifier uniquement et incontestablement par un apprentissage diplômant, c’est bien évidemment parce que la variabilité des modes d’accès et d’exercice de l’activité dans les différents arts est trop grande. Mais la forte dispersion des situations observées varie selon les pays et les générations, et n’annule pas ipso facto la portée du critère objectivant de la formation : c’est seulement par comparaison avec un modèle d’organisation stricte de la profession, qui restreint l’accès aux détenteurs du diplôme requis, que l’activité d’artiste échappe à la définition d’une profession.

32 L’anti-portrait statistique qui émerge dit à peu près que les artistes sont, en règle générale, des travailleurs très qualifiés, mais incapables d’obtenir que le jeu du marché rémunère ces compétences, à travers la vente des oeuvres et prestations qu’elles leur permettent de produire. Mieux, pour que le travail soit réalisé conformément à ce qui fait la qualité intrinsèque d’une réalisation artistique, il faut que la rémunération soit d’une autre espèce, psychique et non-monétaire, et que le revenu de subsistance soit procuré par l’engagement dans d’autres activités supplémentaires, en marge du travail de vocation. Aboutissons-nous à une disjonction radicale des sphères d’activité ? Les apports de l’analyse microéconomique de l’offre de travail ont été précieuses pour éviter l’impasse. Voyons comment.

5. L’analyse des revenus des artistes

33 L’étude des rémunérations figure parmi les rubriques habituelles d’une analyse sociologique des professions artistiques. Pour procéder à la collecte d’informations difficilement accessibles ou imparfaitement renseignées dans les données statistiques générales sur l’emploi et sur les professions, le travail d’enquête sociologique, ses techniques de recueil de données auprès des sujets interrogés, et son recours à des sources administratives difficiles à localiser, à approcher, ou à convertir en données exploitables par le chercheur, se sont révélés précieux et cumulatifs. Mais c’est l’analyse économique qui a montré la voie dans les années 1960 et 1970, pendant que la recherche sociologique sur les artistes s’intéressait prioritairement à la structure et au déroulement des carrières et à la socialisation professionnelle des artistes. William Baumol et William Bowen [1966] ont consacré le cinquième chapitre de leur ouvrage pionnier, Performing Arts : the Economic Dilemma, au revenu, aux conditions de travail, aux formes d’emploi et aux alternances fréquentes entre emploi et chômage chez les interprètes, lescompositeurs, les auteurs de théâtres et les chorégraphes, à partir de données d’enquête originales et de données du recensement [9].

34 Les données réunies par Baumol et Bowen [1966] faisaient apparaître la position médiocre des artistes dans la hiérarchie des professions, les fortes inégalités interindividuelles dans les professions artistiques, les forts écarts des niveaux de gain entre les différentes professions artistiques et le risque élevé de chômage. Elles signalaient aussi l’un des traits originaux des professions artistiques, le recours fréquent à la pluriactivité, et la diversité des sources de revenu, au nombre desquelles figurent aussi les ressources du conjoint [10]. Alan Peacock, en étudiant avec l’historien Ronald Weir la situation économique des compositeurs en Grande-Bretagne, a orienté dans cette même direction son enquête sur leurs revenus. Ainsi, dans le cas des compositeurs de musique savante, le tiers de leurs revenus était le produit de l’activité créatrice proprement dite, la moitié venait d’autres activités musicales professionnelles (enseignement, interprétation, direction d’orchestre, etc.) et seulement 13,4 % dérivaient d’emplois ou prestations non artistiques [11]. Les comportements de pluriactivité des artistes ont été de plus en plus précisément explorés dans les recherches sociologiques qui ont été consacrées depuis lors aux différentes professions artistiques [12].

35 Les ressorts exacts de cette pluriactivité ont été mieux compris quand l’analyse sociologique et l’analyse économique ont été reliées [13]. Il importait d’opérer une différenciation précise entre les formules de pluriactivité, et de séparer le travail de vocation (celui qui occupe la position la plus élevée dans le projet professionnel et dans les arbitrages de l’individu), les activités artistiques adjacentes, qui exploitent la diversité des rôles professionnels que requiert la division du travail et l’organisation des activités dans les mondes de l’art, et les activités extra-artistiques (les « boulots alimentaires »). Un schéma de gestion personnelle des risques par la pluriactivité émerge, que j’ai comparé à une gestion de portefeuille d’actifs.

36 David Throbsy [1994, 1996] a modélisé le caractère paradoxal de l’offre de travail sous ce schéma, en retenant une distinction dichotomique. L’individu artiste doit allouer son temps entre des activités artistiques et para-artistiques, dont le contenu correspond à ses préférences, mais dont la rémunération espérée est basse (incertaine et de distribution très biaisée),d’un côté, et des activités plus routinières, peu ou pas créatives, qui lui procurent un revenu plus sûr, de l’autre. En présence d’un meilleur taux de rémunération dans l’activité la moins désirable, l’artiste diminuera son temps de travail dans celle-ci au lieu de l’augmenter, afin de consacrer un surcroît de temps à son activité la plus créative. L’arbitrage opère à partir d’une contrainte implicite de gain minimal sous laquelle l’individu s’assure de quoi allouer son temps au mélange d’activités qui constitue la meilleure combinaison de gratifications psychiques et de revenus de subsistance.

37 L’analyse de la pluriactivité doit s’établir à partir d’un raisonnement sur plusieurs dimensions du travail. D’une part, dans le sillage des arguments déjà mis en avant par Adam Smith pour déterminer le prix du travail à partir d’une différenciation multidimensionnelle de ses caractéristiques, la théorie dite des différences égalisatrices [14] insiste sur le shadow price des agréments et désagréments d’un travail ou d’une profession. Le revenu qu’ils procurent est l’addition du revenu monétaire et d’un revenu non monétaire (positif ou négatif) qui doit permettre d’égaliser les avantages nets des emplois, une fois contrôlée la source principale de hiérarchisation des revenus, le niveau de formation. Les sociologues raisonnaient dans des termes qui peuvent être reliés à cette analyse, mais qui avaient une autre portée : il s’agissait de construire et d’étalonner empiriquement des échelles de statut et de prestige social des professions [15] et d’y situer les professions artistiques. Une autre version de l’argument du prestige social invoquait le milieu social d’origine des artistes, pour justifier le classement de ceux-ci parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures, et pour relativiser le critère du revenu [16].

38 L’argument de la composante non-monétaire du revenu des artistes peut aisément dériver vers l’enchantement idéologique du travail artistique, et vers le désenchantement radical des sociétés qui en contrarient le libre déploiement. Qu’advient-il en effet lorsque ce n’est pas le profil moyen des rémunérations attendues au long de la carrière professionnelle qui est pris en compte, mais, comme il est fréquent dans la perception courante de la condition des artistes, le niveau de rémunération modal, relevé dans la strate de la population où les effectifs sont les plus nombreux ? Comme la condition de cette majorité relative d’artistes apparaît généralement très médiocre, il faut leur imputer des préférences et des capacités telles qu’ilssemblent motivés quasi exclusivement par des considérations non pécuniaires, ou, en d’autres termes, qu’ils acceptent de tout sacrifier à l’exercice de leur art et aux satisfactions souveraines qu’il sera réputé leur procurer.

39 La représentation ainsi proposée de la vie d’artiste illustre un cas limite, sur le marché du travail, celui où les courbes d’offre sont complètement inélastiques et les taux des salaires relatifs uniquement déterminés par les conditions de la demande. Les mieux lotis bénéficient d’une rente, au sens économique du terme : leur attente plus ou moins prolongée de la réussite, au prix de sacrifices matériels parfois considérables, aura démontré a posteriori qu’ils auraient accepté de conserver le même métier pour un revenu beaucoup plus faible. Les plus mal rémunérés, qui acceptent durablement leur condition plutôt que de changer de profession, sont, pour rationaliser leur choix, logiquement conduits à imputer la médiocrité de leur état essentiellement, sinon exclusivement à une crise endémique de sous-consommation culturelle : s’ils sont économiquement marginalisés, c’est, à leurs yeux, parce que la demande est globalement trop faible, ou, autre manifestation du même dysfonctionnement de la société, parce que les préférences des consommateurs, façonnées par les forces du marché et par les inégalités fondant les sociétés de classes, se fixent sur un nombre désespérément limité d’œuvres et d’artistes.

40 Un tel raisonnement tient du système de défense contre le désenchantement, selon l’expression de Pierre Bourdieu [1971]. Il peut alimenter une sociographie misérabiliste qui, dans les schémas de pluriactivité, ne retiendrait que les positions 1 et 3 de la tripartition – le travail de vocation et le travail de subsistance –, et négligerait la catégorie intermédiaire. Or la sociologie est précieuse pour montrer comment le déploiement de la division du travail dans les arts et le système de rôles professionnels en lequel cette division s’incarne fournissent une armature à la démultiplication individuelle dans plusieurs types de travail et d’emploi associés. Au centre de la constellation des rôles adjacents à l’activité de vocation figure l’enseignement artistique, qui, selon Freidson, joue un rôle voisin de celui que l’enseignement joue dans la carrière universitaire pour assurer la viabilité professionnelle des activités plus enviables et plus risquées de recherche scientifique. Et il n’est pas difficile de voir que la role versatility peut, sous certaines conditions, avoir une incidence positive sur la carrière professionnelle : un compositeur de musique savante, en exerçant simultanément ou successivement les fonctions d’interprète, de chef, de pédagogue, de critique, d’entrepreneur musical ou d’administrateur culturel, peut consolider les conditions de circulation de son œuvre et de diffusion de ses idées esthétiques, et chercher à élargir le contrôle sur la chaîne de coopération à laquelle son œuvre et sa réputation doivent d’exister [17].

41 Au total, le portefeuille des tâches et des sources de revenu monétaire et non monétaire qui sont associées dans les situations de pluriactivité a des caractéristiques contrastées, car les combinaisons varient individuellement avec le niveau de réussite dans l’activité de vocation, avec les ressources offertes par la localisation de l’exercice de la profession, et avec la positionde l’individu dans le cycle de vie professionnelle. Elles varient collectivement avec le système d’organisation du travail propre aux différents arts et au poids qu’y joue l’enseignement spécialisé, ainsi qu’avec le niveau de socialisation du risque professionnel que fournissent les politiques culturelles publiques des États providence. Il n’est pas indifférent qu’aux États-Unis, la statistique sur le multiple job holding comptabilise les professions artistiques dans deux classements : celui qui les place haut dans la liste des professions dont les membres exercent un second métier, et celui des professions pratiquées préférentiellement par ceux qui exercent au moins deux métiers. Ce deuxième indicateur fait clairement apparaître que des segments du marché du travail jouent le rôle de réservoirs dans lesquels les mondes artistiques peuvent puiser et rejeter les candidats à la carrière sans être embarrassés par les coûts fixes qui seraient à associer à des recrutements en emploi à durée indéterminée, et sans financer les coûts d’organisation des carrières (formation, éthique, gestion des flux démographiques, retraites), comme dans les professions à licence d’exercice.

6. Les facteurs explicatifs de la distribution parétienne des gains dans les arts

42 L’analyse économique des revenus des artistes, toutes sources de gains pris en compte, a voulu évaluer la « pénalité » économique attachée à l’exercice d’une profession artistique par une estimation des espérances de gain d’un artiste à partir d’une équation de revenus : une fois comparée à ce que seraient les gains d’un individu représentatif de l’ensemble du groupe professionnel auquel les artistes sont rattachés [Filer, 1986], la « pénalité » de gain ne correspond guère à ce que suggère une sociographie misérabiliste, même si elle peut varier fortement selon la profession artistique considérée. Mais un autre trait beaucoup plus visible intrigue, que l’analyse par les différentiels compensateurs échoue à expliquer directement : les considérables inégalités de revenus, qui, aux États-Unis, classent en particulier neuf des onze professions artistiques dans le palmarès des quinze professions les plus inégalitaires, parmi un ensemble de 123 professions supérieures examinées [Alper et Wassal, 2006]. La distribution des revenus dans les professions artistiques a généralement le profil d’une courbe de Pareto. Le médiocre ajustement des équations de salaire par les facteurs habituels de capital humain n’est guère surprenant. À quels mécanismes du marché du travail artistique imputer ce décalage et les inégalités extrêmes qui en résultent ?

43 La réponse peut être fournie à partir d’un appareillage conceptuel dont l’utilisation illustre bien le bénéfice qui peut être tiré de l’intégration des approches sociologique et économique. Le problème posé est de savoir pourquoi la valeur sociale et économique des actes de travail dans certains métiers ne varie pas simplement en raison du degré de qualification desprofessionnels et de l’étendue du contrôle hiérarchique que certains professionnels exercent sur d’autres dans l’organisation du travail. Arthur Stinchcombe [1963] a proposé de distinguer deux catégories d’activités et de métiers. Dans la première catégorie figurent les activités dans lesquelles la contribution d’un professionnel talentueux à la réussite du projet ou de l’entreprise est plus que proportionnelle à ce qui fait sa différence avec les qualités de ses partenaires de travail : ses qualités propres contribuent fortement au succès de l’équipe ou de l’organisation. C’est dans ces métiers que la compétition pour attirer et rémunérer les individus jugés les plus talentueux est la plus vive et que la concentration des gains crée des situations de winner take all. Robert Frank et Philip Cook [1995] ont popularisé beaucoup plus tard l’argument en insistant sur le gâchis social et économique que provoquent la diffusion de ce modèle de compétition et de rétribution et l’industrie grandissante de la célébrité qu’il a suscitée. Stinchcombe [1963] cite, parmi les secteurs et les professions concernés, la recherche scientifique, l’enseignement universitaire, l’industrie du divertissement (le cinéma, l’audiovisuel, les concerts, les shows et les spectacles de grande audience), l’athlétisme. Le talent y est un facteur « complémentaire » ou multiplicatif de production : par exemple, la valeur exceptionnelle reconnue à un chercheur procurera à son équipe et à son université des moyens de recherche très importants, tout comme la réputation d’un chanteur lyrique pourra élever considérablement les chances de succès d’un spectacle. Dans la seconde catégorie d’activités, des contributions individuelles, même spectaculairement excellentes, ne sont pas en mesure d’apporter à l’organisation ou à l’équipe un surcroît considérable de réputation ou de profit : les compétences requises pour exercer l’activité constituent un facteur « additif » de production, et leur distribution parmi les individus est plus homogène. Dans l’enseignement en lycée et en collège, dans la production manufacturière, dans l’artisanat, la présence de professionnels aux performances exceptionnelles (ou déplorables) ne vaudra pas à ce métier un prestige (ou un discrédit) considérable.

44 Dans une élaboration ultérieure de ce modèle, David Jacobs [1981], puis James Baron et David Kreps [1999], proposent une typologie à trois termes, en insistant sur les asymétries entre bonne et mauvaise performance dans une activité. Les star jobs sont des emplois impliquant fortement l’innovation et la connaissance, comme celui de chercheur scientifique : une performance même médiocre ne nuit pas considérablement à l’organisation ou à la firme, mais une bonne performance (une bonne idée, soigneusement expertisée) peut lui procurer des gains considérables. Dans ces métiers, la probabilité d’avoir un très bon résultat est faible, et la plupart des performances ont des résultats moyens : le coût pour la firme d’embaucher un professionnel moyen est faible, au regard des bénéfices qu’elle retire si elle trouve quelqu’un d’exceptionnel, ce qui conduira à une politique d’emploi ou de relation contractuelle qui fait appel à beaucoup d’individus différents, pour trouver la « perle rare ».

45 Dans d’autres emplois, une bonne performance n’a pour l’organisation qu’une valeur un peu supérieure à la moyenne, mais c’est la mauvaise performance qui est désastreuse : un pilote qui pose son avion en douceur ou qui tient son horaire a certes de la valeur, mais s’il rate son atterrissage,sa mauvaise performance aura un résultat négatif incomparablement plus dommageable que la bonne performance ne sera profitable. Ces emplois sont des guardian jobs, et sont généralement logés dans des systèmes complexes de production dans lesquels les interdépendances entre les travailleurs sont grandes, et où la performance d’ensemble est principalement déterminée par la contribution individuelle de moindre qualité. Ces emplois sont pourvus au terme de sélections initiales très minutieuses et de longues périodes d’apprentissage.

46 Enfin, dans les foot-soldier jobs, la variation dans la performance individuelle n’a qu’un impact limité et l’amplitude des différences individuelles est faible : le succès de l’organisation dépend de l’agrégation de l’ensemble des performances individuelles. Le recrutement se fait sur la base d’une négociation salariale simple : est embauché qui accepte le salaire proposé.

47 Illustrons l’analyse par l’exemple d’une production d’opéra. Cette production mobilisera une troupe de chanteurs solistes, un chœur, un orchestre, un chef et une équipe technique. Les chanteurs et les cantatrices solistes, pour tenir leurs emplois, doivent être d’un niveau suffisant pour que leurs prestations au fil des représentations aient, au minimum, la qualité normalement attendue. Mais la prestation très réussie d’une grande soprano ou d’un jeune ténor peut donner aux représentations un éclat considérable. La prestation de l’orchestre et du chœur et celle du chef risquent, elles, de conduire les représentations à la catastrophe si elles sont très médiocres, mais si elles sont réussies, elles influent moins sur le résultat que la performance des solistes. Enfin, le travail des machinistes (et des personnels de salle et d’accueil) a généralement la qualité attendue, et n’influe pas beaucoup sur la valeur des représentations.

48 Nous sommes ici dans le cadre d’un travail en équipe, au sein d’une organisation stable ou d’une organisation par projet (e.g. une représentation lyrique dans le cadre d’un festival). Il n’est pas difficile d’étendre l’analyse au travail individuel de l’artiste hors d’une organisation. L’artiste, en gérant et en diversifiant son activité, se comporte à vrai dire à la manière d’une micro-organisation. Dans les pratiques de pluriactivité que j’ai examinées, nous trouvons les deux ou trois types d’emploi évoqués par l’analyse fonctionnelle. Celui d’artiste (créateur ou interprète soliste) est évidemment unstar job. L’activité artistique ou intellectuelle de complément (e.g. celle d’enseignant associée à la carrière de peintre ou de compositeur, celle de journaliste associée à la carrière d’écrivain, etc.) appartient à la deuxième catégorie, dans la distinction de Stinchcombe, et tantôt à celle des guardian jobs, tantôt à celle des foot-soldier jobs, dans la typologie de Baron et Kreps [1999]. Enfin, les activités extra-artistiques relèvent le plus souvent des foot-soldier jobs.

49 C’est l’explication du succès dans les star jobs qui a concentré la curiosité des chercheurs, parce qu’elle doit mettre en évidence ce que les équations de salaire ne parviennent pas à capter, ce qui s’appelle aptitudes ou talent. L’énigme qui a intrigué sociologues et économistes est la suivante : pourquoi les écarts de réussite peuvent-ils être considérables alors qu’on ne sait pas déterminer précisément la nature et l’amplitude des qualités qui en sont responsables ? Il faut disposer de deux ressources analytiques pour résoudre l’énigme : une analyse des mécanismes d’avantage cumulatif, dont l’argument a été énoncé par le sociologue Robert Merton [1968], et une analyse des mécanismes d’amplification des écarts par l’exploitation des technologies de consommation jointe, dont le modèle a été proposé par Sherwin Rosen [2001]  [18]. Les deux modèles reposent sur l’argument que la sensibilité à l’égard de différences de qualité est très élevée pour certains types d’activité, et que des différences même minimes de qualité suffisent à créer des écarts spectaculaires de réussite. Le raisonnement de Rosen [2001] s’inscrit exactement dans la distinction fonctionnelle des emplois que proposait Stinchcombe :

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« Certaines tâches sont si routinières et si bien circonscrites par la manière habituelle de les exercer qu’à peu près n’importe quelle personne compétente y atteint le même résultat. D’autres activités sont plus difficiles, plus incertaines, ce qui offre de nombreuses possibilités d’agir et de décider comment faire. Dans l’exercice de telles tâches, un talent supérieur a plus de chances d’émerger et de faire la différence. Des médecins aux capacités supérieures passent beaucoup moins de temps à traiter des cas routiniers que des cas difficiles » [Rosen, 2001, p. 455].

51 Dans ces métiers, les biens et les prestations produits sont fortement différenciés, l’expertise ou l’originalité sont considérablement valorisées, et les différences de qualité perçues ont une importance décisive pour orienter les préférences des consommateurs : à prix donné du bien ou de la prestation, aller vers le professionnel jugé le plus talentueux procure plus d’utilité au consommateur.

52 Mais les sociologues sont plus intrigués que les économistes par la nature exacte de ces différences de qualité. Rosen [2001] dit deux choses : il y a bien des différences de qualité, et ces différences peuvent très bien être minimes, mais il suffit qu’elles soient détectées et confirmées pour que l’attraction différentielle sur la demande opère et provoque des écarts grandissants. Merton [1986] était plus radical en supposant que la différence entre deux individus dotés de caractéristiques comparables peut très bien être nulle, et que le hasard seul est capable d’enclencher la différenciation des trajectoires, par une succession d’opportunités avantageuses aux gains cumulatifs. William Goode [1979] a ajouté une caractérisation multidimensionnelle de ces qualités non directement mesurables (séparément et/ou dans leur combinaison optimale) :

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« Bien que seul un petit nombre d’individus remarquables atteignent le niveau le plus élevé de performance dans les activités où la compétition est aiguë, les réalisations les plus élevées sont généralement de niveau très proche. […] Seule une poignée de gens peuvent percevoir les écarts précis d’excellence qui séparent les dix ou plus probablement les quatre-vingts meilleurs pianistes classiques dans le monde. De fait, dans la plupart des activités, y compris dans celle de creuser des fossés [ditch digging], les critiques les plus perspicaces pourraient soutenir qu’il n’y a pas d’individu au sommet, mais plutôt une poignée de gens de premier plan, dont chacun se distingue des autres par des différences complexes dequalité plutôt que par de simples degrés d’excellence. Bien que les différences d’excellence parmi les top performers soient petites, les écarts de succès sont grands avec ceux dont les performances sont très proches des leurs […]. Le plus créatif des chercheurs scientifiques sait qu’à n’importe quel moment, la nouvelle idée qu’il nourrit est fort probablement près d’être inventée par quelqu’un d’autre, peut-être inconnu jusqu’ici » (p. 68).

54 Merton [1986] veut situer l’énigme au début du processus de différenciation des trajectoires professionnelles et émet l’hypothèse que le talent peut être une variable endogène du système d’action. Rosen [2001] fait du talent une variable exogène, dont le calibrage est incertain, mais dont l’action causale est manifeste sur les préférences des consommateurs. Les deux approches convergeraient si la concentration des choix des consommateurs sur certains professionnels et certains produits pouvait être tout aussi bien modélisée comme l’effet du hasard. C’est la voie choisie par exemple par Chung et Cox [1994]. Mais la discussion des modèles de Merton et de Rosen peut en réalité converger plus efficacement sur l’argument inverse : la comparaison compétitive entre des professionnels dotés de qualités malaisément observables conduit à révéler leurs qualités sous-jacentes après un petit nombre d’épreuves. C’est l’argument d’Allison, Krauze et Long [1982] dans leur discussion du modèle de Merton sur les carrières des scientifiques, et c’est l’argument que propose Arthur De Vany [2004] pour rendre compte des chances de carrière (de réalisation d’une série plus ou moins longue de films) des cinéastes hollywoodiens.

55 Parvenu en ce point, je suis en mesure de donner une explication de l’excès structurel d’offre, à partir des contributions de la sociologie des organisations et de l’économie des industries culturelles ou créatives. Comment détecter cette « perle rare » en laquelle s’incarnent les star jobs ?

56 L’évaluation des artistes et de leurs œuvres et la perception de différences qualitatives seraient aisées si l’appréciation était réalisée en termes absolus, et si elle conduisait à déterminer les qualités de l’artiste et les caractéristiques de ses œuvres à partir d’une échelle univoque de mesure et d’un ensemble stable de critères dépourvus d’ambiguïté. C’est ce que faisait déjà ressortir le rendement problématique de la formation, puisque l’impact de la formation des artistes sur leurs revenus serait beaucoup plus important si le travail artistique était fondé sur des critères bien définis de performance professionnelle et si le résultat d’une activité créatrice pouvait être évalué en termes absolus. Dans un tel cas, le système de formation artistique pourrait être optimisé pour faciliter la détection efficace des candidats dotés d’aptitudes élevées, et pour leur fournir les compétences les plus profitables. Et la qualité de la formation initiale agirait plus directement sur les chances de réussite. Tel n’est pas le cas, puisque les propriétés fondamentales de l’activité sont la différenciation illimitée des biens et des qualités des artistes, et la compétition par l’originalité.

57 Comment opère en effet une mesure relative de la qualité sous le principe de la concurrence par l’originalité ? La valeur des productions artistiques est déterminée à travers l’intensité de la demande immédiate qui les préfère, et à travers le flux intertemporel de demandes qui s’établit sur le caractère durable de l’œuvre et sur l’interdépendance entre les œuvres produites par l’artiste tout au long de sa carrière. Mais la qualité de chaque offre estincertaine : l’appréciation des aptitudes des artistes et de la valeur des œuvres produites ne peut pas se faire directement, à travers des mesures de compétences ou des tests standardisés. Alors, les critiques, les professionnels des mondes de l’art, les intermédiaires des marchés (producteurs, employeurs, organisateurs, agents) et les consommateurs ne cessent de procéder à des classements, et de hiérarchiser, à travers leurs jugements et leurs préférences, ce que le principe de différenciation tendait, dans un premier temps, à juxtaposer comme autant de personnalités et de réalisations singulières et incomparables. Et la capacité de jugement pour apprécier et évaluer les œuvres, ou plus simplement la culture, peut se laisser définir comme la somme des comparaisons significatives qu’un individu est capable d’effectuer, explicitement et tacitement, pour attribuer sens et valeur à une œuvre. Elle est inégalement distribuée, elle fait l’objet d’un marché d’opinions expertes (les critiques, les taste makers) et elle alimente les réseaux d’échange interindividuels par lesquels circulent informations et appréciations.

58 La valeur procède-t-elle du talent ? Mais, dans ce cadre analytique, ce qu’on appelle le « talent » ne peut pas être défini autrement comme ce gradient de qualité qui est attribué à l’individu artiste à travers ces comparaisons dépourvues de repères externes absolus. La difficulté de définir le talent vient donc de ce qu’il est non pas une valeur arbitraire, mais une qualité purement différentielle.

59 Chercher la perle rare demande une certaine organisation. C’est de la sociologie des organisations, et notamment d’auteurs comme Stinchcombe [1959], Thompson [1967] et Perrow [1967], et de son application à l’étude de l’industrie culturelle qu’est venu le modèle qui permettait d’analyser les stratégies adoptées par les entrepreneurs culturels face à l’incertitude sur la qualité et la valeur des œuvres et des artistes. Alors que la sociologie européenne des industries culturelles, dans le sillage des analyses marxistes et des travaux de l’Ecole de Francfort, avait décrit celles-ci comme des machines à formater les œuvres, les artistes et les consommateurs, et à détruire ce que la culture peut receler d’authentiquement expressif (de non mercenaire), l’approche américaine fut tout autre. Les recherches de Paul Hirsch [1969] insistèrent d’emblée sur l’environnement hautement incertain dans lequel évoluent les entrepreneurs culturels, et sur les dispositifs organisationnels qui permettent de tirer parti de l’incertitude pour innover, puis de réduire l’incertitude pour exploiter les innovations et les productions qui s’imposent. Hirsch [1972], et Peterson et Berger [1971], mirent aussi en évidence les particularités de la concentration oligopolistique dans le secteur et notamment cette structure de co-opétition par laquelle les grandes firmes laissent les producteurs indépendants agir comme des explorateurs, preneurs de risques et connaisseurs des niches de marché et des tendances émergentes, dont les majors distribuent les productions et/ou rachètent sélectivement les artistes et les catalogues. D’autres analyses sur l’organisation de la production cinématographique hollywoodienne, comme celles de Faulkner et Anderson [1987], et de Christopherson et Storper [1989], ont mis en évidence les mécanismes de désintégration verticale de la production dans l’organisation par projet. La gestion de l’incertitude par la surproduction n’est viable que si l’entrepreneur minimise ses coûts fixes, recourt à la flexibilité contractuelle et procédurale maximale dans la gestion des emplois au projet, acquiert la matière première créative (le travail artistique) à un prix partiellement ou complètement indexé sur la performance de marché constatée a posteriori, et dispose d’un système d’information sur les capacités des individus qui agisse en même temps comme un mécanisme d’incitation à l’engagement dans des projets par nature éphémère avec des équipes changeantes. L’allocation des emplois et la fixation de la rémunération sur la base de la réputation cumulent leurs effets : les quantités d’emploi au projet et les revenus sont distribués selon des courbes identiquement asymétriques sur ces marchés du travail. Et les classes de réputation stratifient les mondes professionnels et stratifient les réseaux de collaboration dans des appariements sélectifs, comme l’a d’abord montré Faulkner [1983].

60 Nous parvenons au but, car nous pouvons expliquer d’un même mouvement la structure des carrières en régime d’excès structurel d’offre et les inégalités de revenus.

61 L’excès d’offre (de biens et de candidats à la carrière d’artiste) a deux motifs. Le nombre d’artistes et la variété de la production augmentent plus vite que la demande, parce que la surproduction est une réponse rationnelle des organisations à un environnement incertain. D’autre part, l’organisation par projet de la production des biens artistiques, qui permet de minimiser les coûts fixes d’un tel schéma de surproduction rationnelle, fait largement appel à des relations contractuelles temporaires avec les diverses catégories de professionnels impliqués, pour la plupart des opérations requises, depuis la création jusqu’à la diffusion des biens. Ce mode d’organisation a lui-même pour propriété de gager sa flexibilité sur une main-d’œuvre structurellement excédentaire, dont les coûts d’entretien sont soit à la charge exclusive des individus (via les pratiques de diversification de ressources et de pluriactivité) dans les pays dépourvus de larges protections collectives, soit socialisés par des mécanismes dérogatoires d’assurance-chômage et d’assurance sociale [Menger, 2005].

62 Comment, de ces flux de candidats à une carrière, faire émerger ceux qui vont s’insérer plus ou moins durablement dans la profession, alors que la qualité ne se laisse pas mesurer directement et absolument, que l’incertitude sur la valeur potentielle des artistes fait loi, que des qualités essentielles peuvent ne se révéler qu’à travers une série d’expériences professionnelles, et que l’information sur les caractéristiques de chacun, dans une compétition par l’originalité, est difficile à rassembler et à actualiser ? La réponse est dans la formule des compétitions par comparaison relative et par tournoi d’évaluation, qui est omniprésente dans les mondes de l’art, pour classer les artistes et les œuvres.

63 C’est le sociologue James Rosenbaum [1979, 1984] qui avait proposé de concevoir certains types de carrière selon le principe du tournoi compétitif. Selon son modèle [19], les conditions requises pour l’adoption d’un mécanisme de tournoi sont : l’existence de différences interindividuelles substantielles, qui justifient que les plus méritants l’emportent sur les autres ; l’imperfection de l’information sur les aptitudes individuelles, qui requiert des compétitions répétées, à la différence des situations d’activité dans lesquelles l’aptitude paraît pouvoir être mesurée sans ambiguïté ; l’importance prise par les réalisations passées, qui influent sur les chances de succès des réalisations présentes ; l’existence d’un système efficace d’interprétation des informations sur les réalisations passées de l’individu. Il est facile de compléter par cette analyse la conception que Glenn MacDonald [1988] a proposée des carrières comme processus stochastique.

64 Les jeunes artistes sont incertains sur la qualité de leur travail, et leurs engagements (expositions, publications, performances, concerts) constituent une succession d’épreuves d’évaluation. Ils choisissent de poursuivre, si les premières évaluations des pairs, des critiques, des membres de leur groupe de référence, sont favorables. Les artistes qui réussissent moins bien ou très peu dans une première phase de la carrière sont exposés à un mécanisme de désavantage cumulatif. Le maintien dans la carrière, dans l’espoir de surmonter les effets négatifs de débuts médiocres, dépend des moyens qui sont à la disposition des artistes pour gérer les risques professionnels (pluriactivité, couverture assurantielle du sous-emploi, diversification des segments d’activité sur lesquels acquérir une visibilité, initiatives entrepreneuriales, aides publiques), et de la valeur qu’ils attribuent à la gratification non monétaire de leur activité, au regard des activités alternatives dans lesquelles ils pourraient disposer de chances supérieures de réussite.

65 Une cohorte d’artistes entrés simultanément sur le marché est ainsi composée de tous ceux qui n’obtiennent que des succès modestes ou rencontrent assez vite des échecs, et dont les revenus sont faibles, et d’une minorité de professionnels qui, au terme d’une première phase de carrière, émergent de la compétition. Les inégalités de revenu expriment les effets de composition de la population artistique. Saisie en coupe instantanée, la hiérarchie des réputations des artistes paraît exprimer des différences substantielles de qualité, telles qu’elles ont été révélées par une succession de comparaisons et de compétitions. Mais, comme le souligne Rosenbaum [1989], les comparaisons classantes ne se contentent pas de révéler des qualités inégalement distribuées et de sélectionner les individus sur cette base. Ces compétitions font diverger les carrières de concurrents dont les aptitudes pouvaient être proches. La concentration des gains et des réputations sur un tout petit nombre d’individus peut alors correspondre à des écarts de réussite qui sont sans commune mesure avec les écarts d’aptitude dénommés talents. Le signal émis par le gain d’une épreuve compétitive est le levier d’un processus d’accumulation de réputation.

7. Conclusion

66 Mon propos dans cet article n’était pas de souligner les oppositions entre les approches sociologique et économique des arts, qui me paraissent aujourd’hui moins intéressantes à réexaminer que les usages que chacune des deux disciplines peut faire des connaissances, des modèles et des méthodes de l’autre. Des ouvrages récents d’économie des arts et de la culture comme ceux de Richard Caves [2000], de David Throsby [2001], de Xavier Greffe [2002], de Françoise Benhamou [2008], ou le Handbook dirigé par Victor Ginsburgh et David Throsby [2008] font abondamment référence aux recherches sociologiques. En sens inverse, la sociologie de l’art, dont un des premiers grands livres, Le Marché de la Peinture, de Raymonde Moulin [1967], prenait appui sur les analyses économiques de la concurrence imparfaite pour caractériser certains ressorts essentiels du marché de l’art, a tiré profit de l’essor de l’économie des arts, et y a parfois contribué, pour explorer le fonctionnement des marchés du travail artistique et celui du marché des arts plastiques et visuels, comme je l’ai montré. Les travaux de jeunes chercheurs en sociologie économique qui sont consacrés aux arts [20] ne s’arrêtent plus aux frontières tracées autrefois entre les deux disciplines.

67 L’un des concepts qui a le mieux servi la cause de l’échange et des apprentissages réciproques est celui d’incertitude. Il figure au cœur de plusieurs des ouvrages, chapitres d’ouvrages et recherches mentionnés à l’instant, et il a formé le foyer de mes propres travaux sur les arts. Il a l’intérêt de caractériser ce que Caves appelle l’ignorance symétrique (plutôt que l’information asymétrique) sur la qualité des œuvres, mais il permet aussi de comprendre comment les individus peuvent s’engager dans des mondes gouvernés par une distribution parétienne de l’estime et de la reconnaissance matérielle et symbolique. J’ai indiqué plus haut pourquoi les différences de qualité sous-jacentes aux écarts de réussite ne sont pas pleinement observables. Le mécanisme des comparaisons relatives tire sa force de l’inobservabilité des facteurs ou combinaisons de facteurs personnels de la réussite. Cette ignorance est-elle une incertitude épistémique, que les progrès du savoir finiront par réduire à une distribution de probabilités connaissables et mesurables ? L’hypothèse plus féconde est qu’il s’agit d’une incertitude plus fondamentale, qui tient aux interactions et aux rétroactions dans la carte des facteurs qui déterminent la réussite. Et l’incomplète observabilité des différences de qualité a une fonction majeure, celle d’un voile d’ignorance : elle permet à un nombre important de candidats de nourrir l’espoir d’une carrière dans les métiers d’invention et de création, en dépit de la loi d’airain que symbolise la distribution parétienne très asymétrique des chances de réussite. Chacun peut supposer que c’est une combinaison des facteurs de travail, de chance et d’aptitude intrinsèque qui permet la réussite, mais la spécification très imparfaite des facteurs et de leur dosage pousse chacun à surestimer ses chances. Le gain d’une telle indétermination réside,pour l’individu, dans les acquis d’expérience de l’apprentissage on the job ; la perte se mesure à la dilapidation de qualités qui pourraient être employées autrement, si la persistance malgré l’échec est facilitée par des dispositifs (ressorts psychologiques, culture collective, socialisation trompeuse du risque professionnel) qui agissent comme des barrières à la sortie. J’ai montré comment les carrières artistiques doivent être arrimées à une constellation de rôles professionnels adjacents (enseignement, entrepreneuriat, etc.) pour offrir des ressources de gestion de l’incertitude qui est attachée au rôle le plus attirant, celui de créateur, qui vaut leur réputation et leurs rétributions hors normes à une étroite minorité de professionnels.

68 Il est difficile de ne pas conclure cet article sans mentionner, même allusivement, la situation d’expérimentation naturelle que les mutations technologiques actuelles fournissent à la recherche sur les producteurs, les entrepreneurs et les consommateurs de biens artistiques et culturels. La croissance et la diversification du secteur culturel, la dynamique des échanges et la démultiplication de leurs canaux et de leurs modalités (monétarisées ou non), la nature même des biens (le devenir des contenus numérisés, décomposables et transformables à volonté par leurs utilisateurs), le bouleversement des conventions juridiques élaborées pour assurer aux artistes et à leurs éditeurs un monopole durable sur leurs innovations sont quelques-unes des dimensions qui exposent la recherche à l’ivresse des changements en cascade. Les analyses historiques des sociologues et des économistes nous rappellent que les mutations technologiques ont perpétuellement relancé le questionnement sur l’encombrement des professions artistiques, sur l’instabilité de leurs frontières, sur l’architecture de la division du travail et sur les innovations organisationnelles que provoque la dynamique de destruction créatrice déclenchée par les innovations de rupture. Le paradoxe est que les œuvres d’art constituent aussi l’incarnation matérielle et symbolique par excellence, de la valeur durable et même indéfinie de l’inventivité humaine. C’est la ruse de la raison artistique : mettre l’innovation au service de l’abolition du temps. Et c’est la ruse de la raison économique que d’asseoir ce mécanisme paradoxal sur l’excès de production, et son prix individuel et collectif.

Notes

  • [*]
    Centre d’Etudes Sociologiques et Politiques Raymond Aron, CNRS EHESS Paris. Email : menger@ehess.fr
  • [1]
    Pour une revue de littérature, voir Pierre-Michel Menger [2006], ainsi que Neil Alper et Greg Wassall [2006].
  • [2]
    Rudolf Wittkower [2000], Martin Warnke [1989] et Antoine Schnapper [2004].
  • [3]
    John Michael Montias [1982], Cyril Ehrlich [1985], William Baumol et Hilda Baumol [1994], Neil De Marchi et Hans Van Miegroet [2006]. Les exigences du travail historique ont valu à certains travaux économiques insuffisamment étayés empiriquement, et victimes de biais de sélection non contrôlés, des critiques sévères, comme l’atteste la réception du livre de F.M. Scherer [2004] dans le Journal of Cultural Economics (2005, vol. 29, p. 143-146) ou dans The Economic History Review (2004, vol. 57, n° 4, p. 796-797).
  • [4]
    Judith Adler, citée dans Neil Alper, Greg Wassall, Joan Jeffri et al. [1996].
  • [5]
    La composition de la catégorie des professions culturelles selon la classification internationale type des professions (CITP) utilisée par les services statistiques de l’Union Européenne (Eurostat) est la suivante :
    214 Architectes, ingénieurs et assimilés
    2141 architectes, urbanistes et ingénieurs de la circulation routière
    243 Archivistes, bibliothécaires, documentalistes et assimilés
    2431 archivistes paléographes et conservateurs de musée
    2432 Bibliothécaires, documentalistes et assimilés
    245 Écrivains et artistes créateurs et exécutants
    2451 Auteurs, journalistes et autres écrivains
    2452 Sculpteurs, peintres et assimilés
    2453 Compositeurs, musiciens et chanteurs
    2454 Chorégraphes et danseurs
    2455 Acteurs et metteurs en scène de cinéma, de théâtre et d’autres spectacles
    313 Techniciens d’appareils optiques et électroniques
    3131 photographes et techniciens d’appareils enregistreurs d’images et de son
    347 Professions intermédiaires de la création artistique, du spectacle et du sport
    3471 Décorateurs et dessinateurs modélistes de produits industriels et commerciaux
    3472 Annonceurs-présentateurs de radio, de télévision et de spectacles
    3473 Musiciens, chanteurs et danseurs de rue, de boîte de nuit et assimilés
    3474 Clowns, magiciens, acrobates et assimilés
    Source : Statistiques culturelles en Europe, 2007.
  • [6]
    Pierre-Michel Menger « Les politiques culturelles dans le temps et dans l’espace européens. Modèles et évolutions », in Coll., Les 50 ans du ministère de la Culture, Paris, Documentation Française, 2010.
  • [7]
    Voir sur ce point l’expérience néerlandaise du BKR étudiée par Raymonde Moulin [1992, p. 374 sq].
  • [8]
    Cette distinction s’inscrit dans une longue histoire de la conception expressiviste de l’acte de travail. Voir sur ce point Pierre-Michel Menger [2003].
  • [9]
    C’est ce que rappelle notamment David Throsby [1996].
  • [10]
    Ces compléments de ressources obtenus grâce au conjoint dépassaient en moyenne, et de très loin, les revenus tirés de métiers ou occupations annexes par les musiciens, acteurs et danseurs interrogés par William Baumol et William Bowen [1966]. Et ils représentaient en moyenne les deux tiers des ressources du ménage pour les auteurs américains vivant uniquement de leur plume, selon l’enquête de la Guilde américaine des écrivains citée par Lewis A. Coser, Charles Kadushin et Walter W. Powell [1982].
  • [11]
    Alan Peacock, Ronald Weir [1975].
  • [12]
    Voir notamment Karla Fohrbeck et Andreas Wiesand [1975], Pierre-Michel Menger [1983], Paul Kingston et Jonathan Cole [1986], Raymonde Moulin, Jean-Claude Passeron et al. [1985], Pierre-Michel Menger [1998], Philippe Coulangeon [2004], Janine Rannou et Ionela Roharik [2006]. Pour une approche non statistique, voir Bernard Lahire [2006].
  • [13]
    Je m’appuie ici sur un article paru sous le titre « Rationalité et incertitude de la vie d’artiste » dans L’Année sociologique en 1989, et dans lequel je montrais les gains d’une double approche, sociologique et économique, pour l’analyse des professions artistiques. Une version remaniée de ce texte constitue le chapitre cinq de mon ouvrage Le travail créateur, Paris, Gallimard / Seuil, 2009.
  • [14]
    Sherwin Rosen [1986].
  • [15]
    Voir sur ce point les travaux de John H. Goldthorpe et Keith Hope [1974], Donald J. Treiman [1977], Christopher Jencks, Lauri Perman et Lee Rainwater [1988], ainsi que Christine Chambaz, Éric Maurin et Constance Torelli [1998].
  • [16]
    L’analyse des résultats du recensement général de la population française par l’INSEE, publiée en 1982, et qui inaugurait et mettait à l’épreuve la nouvelle nomenclature des PCS montra qu’au vu des caractéristiques sociodémographiques des professionnels de l’art (sexe, âge, diplômes, et, devrait-on ajouter, revenus), « les artistes sont proches des professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises ». Les auteurs de l’analyse justifièrent la position des artistes dans la nouvelle nomenclature en invoquant la faiblesse du critère du diplôme scolaire (qui laisse échapper le poids de l’expérience professionnelle et des apprentissages sur le tas), mais surtout l’origine sociale élevée des artistes : « Le milieu social d’origine permet cependant d’évaluer la position sociale des artistes. Avec 35 % d’enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures, ils sont parmi ceux dont l’origine sociale est la plus élevée. Il n’est guère que les membres des professions libérales pour les surpasser » [Michel Gollac et Baudoin Seys, 1984, p. 97].
  • [17]
    Voir sur ce point, Dennison Nash [1970], Pierre-Michel Menger [1983], Andrew Abbott et Alexandra Hrycak [1990], Philippe Coulangeon [2004] et Jann Pasler [2008].
  • [18]
    Sur le détail de la présentation et de la discussion de ces deux modèles et sur la résolution des difficultés posées par chacun d’eux, je renvoie au chapitre 6 de mon ouvrageLe travail créateur, 2009, op. cit.
  • [19]
    Ces travaux portent principalement sur la gestion des carrières en organisation et montrent comme il est fait appel à des mécanismes de tournoi et de compétition éliminatoire répétée pour organiser les mobilités ascendantes quand l’organisation insiste sur ces facteurs inobjectivables de productivité que sont le talent et le potentiel, c’est-à-dire sur ces différentiels de qualité qui ne sont précisément visibles qu’à travers le mécanisme des tournois de comparaison relative. Dans son ouvrage sur L’économie du star-system (Paris, Odile Jacob, 2002), Françoise Benhamou examine les tournois compétitifs que sont les concours et palmarès dans les arts, pour l’analyse desquels, comme elle l’indique, le modèle de Sherwin Rosen [1986] fournit une piste précieuse. Ma propre exploitation des travaux sociologiques et économiques sur les mécanismes de classement et d’amplification des écarts de classement propose une caractérisation des carrières artistiques.
  • [20]
    Citons notamment Olav Velthuis [2005], Fabien Accominotti [2008] et Pierre François [2008].
Français

Cette contribution finale montre comment économie et sociologie s’enrichissent mutuellement de leurs apports possibles. Le temps n’est certainement plus celui des confrontations, même si pendant longtemps, les sociologues ont eu l’avantage de proposer des données d’enquête originales et cumulatives sur les comportements et les inégalités de consommation et d’en ordonner l’analyse à partir de modèles puissants de stratification sociale, et si l’analyse économique bénéficiait de son appareil d’analyse des propriétés informationnelles des transactions et des imperfections de la concurrence marchande.
En partant d’une analyse de l’offre et des marchés du travail et en en explorant trois questions fondamentales (composition évolutive de la catégorie des professions artistiques, critères de professionnalité et explication du niveau et de la distribution des rémunérations, P.M. Menger montre au contraire que les deux disciplines se situent dans un rapport de coopération mutuellement profitable. Sans doute le concept d’incertitude joue-t-il ici un rôle central, fédérant les recherches d’un coté comme de l’autre.

  • artistes
  • méthodologie
  • offre de travail
  • revenus
  • sociologie
  • statut
English

Artists in numbers. What sociologists and economists have taught each other about artistic labor and occupations


This final contribution shows that the relationship between economics and sociology has been largely changing during the last period. During a long time, we attended an opposition between a sociology that benefited from exhaustive empirical studies on the demand side, producing important debates about cultural stratification ; and economics that benefited from very seminal analysis tools stressing the importance of market competition and information.
This contribution takes as an example of new reciprocate exchanges the domain of artistic labor supply and three related issues (the evolution of the artistic occupations’ categorization ; the relevant criteria of professionalization ; the distribution of the corresponding incomes). Then, P.M. Menger shows that sociology and economics are cross-fertilizing and mutually benefit from their specific researches programs. Very likely, the polarization of such disciplinary perspectives on the seminal concept of uncertainty has contributed to this mutual enrichment.

  • artists
  • income
  • labour supply
  • methodology
  • sociology
  • status

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Pierre-Michel Menger [*]
  • [*]
    Centre d’Etudes Sociologiques et Politiques Raymond Aron, CNRS EHESS Paris. Email : menger@ehess.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/05/2010
https://doi.org/10.3917/redp.201.0205
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