CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le paysage postrévolutionnaire de la Tunisie est régulièrement célébré pour ses politiques de « réconciliation ». En témoigne la remise en 2015 du prix Nobel de la paix aux quatre grandes organisations ayant œuvré au « dialogue national » [1]. Si l’« exceptionnalisme » supposé du cas tunisien, fer de lance de la transition démocratique dans le monde arabe, a été déconstruit à juste titre [2], force est de constater l’existence dans ce pays d’une longue histoire d’alliances entre acteurs politiques antagonistes. Pour justifier leur politique actuelle de modération et de compromis, certains acteurs autrefois exilés et désormais de retour en Tunisie sont particulièrement disposés à mobiliser ces expériences de dialogue menées sous le régime de Ben Ali (1987-2011) et présentées comme des moments de débats précurseurs qui ont nourri la nouvelle Constitution de 2014 et mené à l’accord politique avec des partis pouvant sembler ennemis.

2De telles alliances existent dans toute mobilisation, et les sociologues des mouvements sociaux et du militantisme en ont très tôt souligné l’importance. Dans le monde anglo-saxon, en particulier, de nombreux travaux ont analysé les conditions externes de ces coalitions, probables ou improbables [3], entre groupes socialement et politiquement hétérogènes [4], leurs caractéristiques organisationnelles ainsi que leurs succès et leurs échecs [5]. De même que l’étude des mouvements sociaux a élargi aux dynamiques transnationales sa focale jusque-là restreinte aux États-nations [6], de même une littérature émergente a mis en lumière les processus de formation de « coalitions transnationales » [7] entre différents types d’acteurs contestant l’ordre mondial néolibéral (à l’instar des organisations anti-guerre, écologistes, ou via les forums sociaux internationaux [8]). En travaillant sur les alliances entre divers groupes militants tunisiens agissant en France sous le régime autoritaire de Ben Ali, je m’inscris dans la continuité de ces travaux sur la transnationalisation de l’action collective. Pour pouvoir décrire ce que la « distance » fait à ce type d’alliances, je mobilise les apports d’un courant de recherche en pleine expansion sur les politiques d’exil [9], ainsi que les travaux inspirés des théorisations de l’« espace des mouvements sociaux » [10] et de l’« espace de la cause des femmes » [11] pour qualifier l’espace politique dans lequel interagissent les militants exilés [12]. Plus précisément, il s’agit de cerner les dynamiques propres à ces alliances dans ce que j’appelle un espace transétatique des mobilisations, constitué d’une pluralité d’univers sociaux militants et polarisé, en l’occurrence, entre un champ d’action politique tunisien et un champ des luttes de l’immigration [13].

3Tandis que la majorité des travaux sur les alliances montre que celles-ci sont favorisées par des connivences d’orientations idéologiques, ou du moins de conceptions du monde social dans lequel évoluent les acteurs, mon analyse porte sur les conditions de dépassement des polarisations idéologiques entre militants tunisiens islamistes et de gauche. Le cas de la Tunisie renvoie plus largement à d’autres dynamiques de convergence entre des forces politiques antagonistes dans le monde arabe. À partir des années 1990, le Liban, le Yémen, la Jordanie, l’Algérie, le Maroc et l’Égypte ont vu se faire et se défaire des alliances oppositionnelles entre islamistes, nationalistes et mouvements de gauche [14]. Ces phénomènes ont été analysés dans un certain nombre de recherches, mais leur déploiement au-delà des frontières nationales demeure un angle mort de la littérature.

4Dans le cas tunisien, plusieurs acteurs sont concernés. Du côté des islamistes, le principal parti, Ennahda, a joué un rôle particulier dans ces alliances. Ses militants, réprimés par le régime de Ben Ali à partir de 1990, se sont massivement exilés en France où ils ont progressivement restructuré la lutte anti-régime. Du côté des gauches, terme générique englobant ce que d’aucuns appellent les « modernistes » ou le « camp démocrate », on peut schématiquement distinguer quatre écoles [15] : la gauche communiste, représentée majoritairement par des militants actifs dans l’Association des Tunisiens en France (ATF), créée en 1981 à partir de différentes factions du Parti communiste tunisien et de marxistes-nationalistes du groupe al-hakika ; la gauche marxiste-léniniste d’inspiration nationaliste arabe avec le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), créé en 1986 en Tunisie et disposant d’une section en France ; les sociaux-démocrates, représentés par le Parti démocrate progressiste (PDP) et le Congrès pour la République (CPR) ; et les trotskystes. Cette constellation d’acteurs – dont une première génération s’était déjà exilée en France dans les années 1970 soit pour fuir la répression menée par le régime de Bourguiba, soit pour suivre leurs études ou trouver du travail – est constituée de partis politiques et d’associations de défense des droits de l’homme. La plus importante parmi ces dernières est le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT), fondé en 1996 à Paris et bénéficiant de soutiens aussi bien français que maghrébins. Certaines organisations ont par ailleurs reconverti leurs actions en défense des droits des immigrés, à l’instar de l’Association des Tunisiens en France et de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, créée initialement en 1974 sous le nom d’Union des travailleurs immigrés tunisiens par des militants des groupes el-Amal el-Tounsi (le travailleur tunisien) et el-Cho’ola (la flamme). Entre tous ces acteurs des gauches, qui évoluent souvent dans les mêmes cercles politiques, le positionnement vis-à-vis des islamistes et des alliances transidéologiques constitue un point de discorde majeur. De fait, les hostilités entre ces grandes familles politiques, principales forces de l’opposition tunisienne depuis l’indépendance, relèvent d’une longue histoire de clivages culturels, sociaux, et idéologiques, cristallisés par des affrontements sur les campus universitaires tunisiens dans les années 1970 et 1980 [16]. Leur rapprochement à partir des années 2000 sur le territoire français n’allant pas de soi, j’analyserai les conditions d’émergence et les modalités concrètes de ces alliances improbables, afin de montrer en quoi elles sont révélatrices des caractéristiques de cet espace des mobilisations et des rapports de force qui s’y jouent.

5Mes analyses s’appuient sur une enquête menée entre 2015 et 2017, principalement à Paris, plus brièvement à Lyon et à Marseille, ainsi qu’à Tunis. J’ai conduit une quarantaine d’entretiens biographiques auprès de militants tunisiens exilés en France sous les régimes de Bourguiba (1957-1987) et de Ben Ali. Si ces différents récits de vie militants m’ont permis d’avoir une vision plus riche et élargie de l’espace des mobilisations et de ses acteurs, je m’appuierai ici principalement sur les trajectoires des cadres des différents courants politiques à l’étude. J’ai également dépouillé les communiqués et la documentation des mouvements dans les archives nationales françaises, les archives privées des mouvements et les archives numériques. La plupart de ces dernières proviennent de l’un des sites les plus actifs sous Ben Ali, Tunisnews, ressource centrale pour les militants permettant de relayer les initiatives, pétitions et communiqués de toute l’opposition tunisienne sous la forme d’une liste de diffusion anonyme. L’un des animateurs de Tunisnews m’a notamment fourni des centaines de pages de documents tirés du site qui n’est plus accessible en ligne. Le contexte postrévolutionnaire dans lequel a été menée cette recherche a facilité mon terrain : la nécessité de prendre part au récit dominant du « compromis historique » ou au contraire de justifier un passé militant marqué par les tensions entre certains acteurs islamistes et de la gauche rendait mes interlocuteurs particulièrement disposés à commenter ces expériences d’alliances. Cette nécessité est apparue évidente lors de la conférence que j’ai co-organisée en 2016 avec des acteurs centraux du Collectif parisien du 18 octobre 2005 [17], et dont la retranscription a été particulièrement précieuse pour mieux saisir les modalités de ces alliances et le regard rétrospectif des militants sur les dynamiques à l’œuvre dans l’espace transétatique des mobilisations.

S’allier pour s’opposer à distance

6Les dynamiques d’alliances sont définies ici dans un sens large. Elles couvrent différents types, durées et degrés d’action de coopération entre groupes militants aux idéologies distinctes en vue d’un double objectif politique : réunir les forces d’opposition pour entamer un dialogue et combattre le régime de Ben Ali à partir d’un front commun. Si j’utilise de manière indifférenciée les termes d’alliance ou de coalition contestataire, je porte une attention particulière aux mots qu’utilisent les acteurs.

7S’interroger sur l’autonomie relative de ces expériences dans l’espace transétatique des mobilisations permet d’entrevoir leurs conditions de possibilités. Alors que certaines coalitions reflètent l’extension des dynamiques tunisiennes, d’autres traduisent une prise d’initiative autonome des acteurs tunisiens en France. Néanmoins, toutes requièrent un climat de confiance, nécessaire à une action collective plus organisée entre acteurs politiques antagonistes dans le contexte spécifique de l’exil. En l’occurrence, le recours aux droits de l’homme permet de faire converger les oppositions à distance.

Un apprentissage progressif

8Dans l’entretien qu’il m’a accordé, Khémais Chammari, cofondateur du mouvement Perspectives, député du Mouvement des démocrates socialistes (MDS) au début des années 1990, puis repassé dans l’opposition « non légale » au régime de Ben Ali, notamment depuis son exil à Paris, de 1997 à 2004, évoque l’idée d’un « dégel » : « C’est le terme utilisé, un dégel des relations entre la gauche et les islamistes d’Ennahda, c’est une idée qui a pris du temps » [18]. En effet, les forces politiques tunisiennes qui se recomposent en France à partir des années 1970 évoluent dans des sphères sociales et politiques distinctes. Dans les années 1980, les relations politiques entre gauches et islamistes se limitent aux rencontres certes régulières mais informelles entre les militants du Mouvement de l’unité populaire (MUP), créé en 1973 par un ancien ministre sous le régime de Bourguiba, Ahmed Ben Salah, et particulièrement actif en France à partir de la fin des années 1970, et ceux du Mouvement de la tendance islamique (MTI), l’ancêtre d’Ennahda. Jusqu’au début des années 2000, les quelques alliances qui existent réunissent des acteurs évoluant dans une relative proximité idéologique, ou du moins partageant une même matrice politique. C’est le cas du Collectif tunisien du 26 janvier 1978, actif sous le régime de Bourguiba, alors que l’espace transétatique des mobilisations est constitué de diverses tendances de gauche en compétition et d’acteurs pro-régime [19]. Le Collectif est créé à Paris, dès le lendemain du 26 janvier, journée de manifestations et de répression des militants syndicalistes appelée le « jeudi noir ». Les événements, qui polarisent la scène politique tunisienne entre partisans du régime et opposants, trouvent en effet un écho fédérateur en France parmi les exilés se définissant comme l’« opposition démocratique tunisienne » en soutien aux syndicalistes emprisonnés. Militants d’extrême gauche (anciens Perspectivistes, militants du Parti communiste tunisien et d’al-hakika), nationalistes arabes, membres du Mouvement de l’unité populaire, et indépendants forment la première expérience politique unitaire en France. C’est au sein de ce collectif, basé au 46 rue de Vaugirard à Paris, que l’opposition au régime bourguibien va être la plus articulée. Sous Ben Ali, la première tentative d’organisation de collaboration incluant Ennahda débute en 1991 : Tunisie : Démocratie maintenant dure environ deux ans, et réunit des islamistes, des membres du Mouvement de l’unité populaire, des nationalistes arabes et des indépendants. Dans son premier communiqué de septembre 1991, l’association déclare vouloir rendre publiques les violations des droits humains en Tunisie, défendre les prisonniers politiques, leurs familles et les réfugiés, et « promouvoir un processus politique démocratique » [20]. L’expérience s’achève assez rapidement en raison des dissensions internes et de l’étiolement progressif de l’action militante. L’association rejoint ensuite la Coordination pour la défense des libertés en Tunisie.

9Le « dégel » entre forces islamistes et de gauche devient plus explicite à partir du début des années 2000, et surtout lors du référendum constitutionnel de 2002, qui propose, entre autres, de modifier l’article 39 de la Constitution en supprimant la limitation des trois mandats présidentiels, ce qui permettrait à Ben Ali de se présenter une quatrième fois à la présidence de la République en 2004. Dans la foulée d’une réunion qui s’est tenue à Tunis pour organiser le boycott de ce qui est considéré comme un « plébiscite présidentiel » et une tentative d’instaurer une « présidence à vie » [21], le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie prend l’initiative d’organiser un meeting à Paris le 18 mai 2002. Toutes les tendances politiques tunisiennes, basées en Tunisie et en France, sont invitées à dénoncer le référendum et, pour la première fois, le Comité déclare qu’il « continuera à se faire l’écho de toutes les initiatives, sans exclusive, qui se développent en Tunisie pour tenter de faire entendre les voix des acteurs associatifs et politiques qui militent pour les libertés, les droits de l’homme et la démocratie, dans leur diversité et leurs différences qui sont une source de synergie » [22]. Le contexte de relative ouverture en France permet d’inviter des militants de Tunisie, et le seul fait de voir à Paris, sur une même scène, des islamistes et des acteurs de la gauche tunisienne marque une rupture franche avec les pratiques antérieures.

10Cet « apprentissage progressif » des dirigeants islamistes et de gauche pose les bases d’une forme de réunion plus organisée qui a lieu un an plus tard, entre le 23 et le 25 mai 2003, à l’occasion des rencontres d’Aix-en-Provence. En effet, le contexte répressif ne permettant pas à ces différentes forces politiques de se réunir sur le sol tunisien, une quarantaine d’acteurs politiques basés en France et en Tunisie décident, à l’initiative de l’association française Aix-Solidarité, de soutiens français individuels à la cause anti-régime et de dirigeants du Congrès pour la République exilés, de se réunir dans le sud de la France pour entamer un processus de dialogue [23]. Des membres du Congrès pour la République, du Forum démocratique pour le travail et les libertés, parti social-démocrate fondé en 1994, d’Ennahda et du Parti démocrate progressiste, ainsi que des militants associatifs, des journalistes et des militants indépendants participent aux discussions de trois tables rondes : « Liberté d’expression et verrouillage médiatique. Quelle stratégie de communication ? », « L’indépendance de la justice en question... Droits de l’homme : quel combat ? », « Acteurs politiques/acteurs associatifs : même combat. Quel projet démocratique pour l’après-dictature ? » [24]. Les rencontres d’Aix marquent le début d’une action collective organisée entre les différentes tendances. Comme le remarque l’un des organisateurs, membre du Congrès pour la République : « Aix a cassé cet effet de diabolisation, le rapprochement entre les islamistes et les autres était possible. Le rapprochement intellectuel était possible. On était dans des sous-entendus, de l’incompréhension, on ne connaissait pas les islamistes, ils ont exposé leur thèse, pareil pour les autres » [25]. Le président de Solidarité tunisienne, l’association représentant Ennahda en France, confirme cette confiance qui semble s’être établie entre les groupes à cette occasion : « C’était un revirement très important qui a permis d’avoir une plus grande confiance entre les gens et par la suite, ici, les réunions et les rencontres se sont accélérées et élargies » [26].

11Deux ans plus tard, le Collectif parisien du 18 octobre 2005 élargit le spectre politique de l’alliance en réunissant la grande majorité des mouvements anti-régime basés à Paris. En octobre 2005, alors que le régime tunisien s’apprête à tenir le Sommet mondial sur la société de l’information à Tunis, huit militants des principales tendances idéologiques (extrême gauche, islamiste, nationaliste arabe, droits de l’homme) entament une grève de la faim à Tunis. Si le sommet constitue pour le régime de Ben Ali une excellente occasion de se présenter sous son meilleur jour, la visibilité internationale de l’événement offre aux opposants en Tunisie celle d’opérer ce que Vincent Geisser et Éric Gobe appellent un « coup politique » [27]. Dès le premier jour, tous les mouvements de l’opposition en France se font l’écho des détails de cette grève de la faim qui en dure trente-deux [28]. La Coalition du 18 octobre pour les droits et les libertés voit le jour en Tunisie aussitôt après, avec pour principaux mots d’ordre : liberté d’expression et de la presse ; libération de tous les prisonniers politiques et loi d’amnistie générale ; respect du droit à constituer des partis politiques et des associations. Un militant d’extrême gauche se souvient : « On a reçu la Coalition ici [à Paris] et la grève de la faim comme une aubaine, une occasion de faire quelque chose qui était attendu depuis longtemps » [29]. Entre octobre et décembre 2005, un « comité de soutien à l’étranger » du mouvement du 18 octobre est constitué. Un comité de suivi coordonne ses actions autour de trois thèmes – « politique, médias et terrain » [30], produit régulièrement des bulletins d’information et des communiqués, et organise des rassemblements à Paris. Une grève de la faim de quarante-huit heures a également lieu le 15 novembre à Paris, à laquelle participent la majorité des dirigeants de l’opposition en exil [31].

12Le 2 février 2006 une étape supplémentaire est franchie avec la création du Collectif parisien du 18 octobre, qui se décrit comme « un cadre permanent de travail et de coordination » : cinquante-quatre militants et trois militantes provenant de la majorité des partis politiques en exil [32] et des principales associations [33] sont les premiers signataires d’une plateforme qui vise à former une structure composée d’une assemblée générale et d’un comité de coordination. Le 13 février, l’initiative commune prend forme avec pour slogan : « Tunisie : il faut défendre la société... Plateforme politique pour une action commune » [34]. Bien qu’il se soit constitué initialement comme relais et extension du mouvement initié à Tunis, et qu’il « entretien[ne avec lui] un rapport de partenariat privilégié », le Collectif parisien affiche avec cette plateforme son caractère autonome [35]. L’un de ses objectifs spécifiques est la défense des exilés et des réfugiés.

13Ces différentes formes d’alliances à distance, relais des dynamiques tunisiennes ou autonomes, permettent donc d’impulser des débats entre les différentes familles politiques, principalement entre les islamistes et les différents courants de la gauche. Au-delà, elles visent à regrouper les forces disponibles pour combattre le régime de Ben Ali.

Cadrage et ambivalence des droits de l’homme

14La défense des droits de l’homme constitue un moyen privilégié de réunir les acteurs islamistes et de gauche, et ce faisant de se positionner dans une logique de rupture avec le régime. Comme l’explique un militant du Congrès pour la République, les droits de l’homme « ça crée des liens, ça brise parfois des tabous idéologiques » [36]. Et un militant du Parti démocrate progressiste de conclure : « Ce qui a structuré et a été très important, c’est que dans l’isolationnisme dans lequel le régime de Ben Ali a[vait] réussi à mettre l’opposition, l’axe droits de l’homme a été un axe extrêmement porteur » [37]. Cette rhétorique centrée sur les droits humains produit « un cadrage dominant de coordination effectif » [38], un point de convergence ou mot d’ordre partagé permettant aux acteurs de se retrouver en vue de transcender les clivages idéologiques en exil. Elle est cependant révélatrice de l’ambivalence des alliances à distance, en ce qu’elle représente « un recroquevillement prudent et quasi contraint sur les droits les plus élémentaires à la vie et à la dignité, une démarche à la limite infrapolitique et, en même temps, un véritable défi aux autorités, menaçant un ordre établi dans une large mesure sur la sécurité et la coercition » [39]. Les rencontres d’Aix-en-Provence de 2003 ainsi que le Collectif parisien du 18 octobre 2005 sont particulièrement instructifs à cet égard.

15Les rencontres d’Aix-en-Provence marquent en effet une étape importante dans le refus de négocier avec le régime tunisien. Le compte rendu détaillé des rencontres n’a jamais été publié, mais il paraît sur Internet un mois plus tard sous le titre « L’appel de Tunis du 17 juin 2003 », listant douze points principaux pour lutter contre le régime autoritaire et proposant une solution fondée sur l’établissement d’un « contrat politique instaurant une société démocratique » [40]. Pour l’un des organisateurs des rencontres, militant du Congrès pour la République, « c’était comme une déclaration de guerre contre Ben Ali » [41]. Le communiqué des organisateurs souligne que la déclaration finale de ces rencontres a été centrale sur deux plans : par « son contenu (nouveau contrat politique et social pour la Tunisie rompant sans ambiguïté avec la dictature et mettant les bases d’une vraie alternative pour [le] pays) » et par « le consensus qu’elle a généré » [42]. Cependant, la majorité des participants – notamment les membres de deux des principaux partis impliqués (le Parti démocrate progressiste et le Forum démocratique pour le travail et les libertés) – ne signent pas le document final des rencontres [43]. De plus, bien qu’invitées à participer, deux organisations centrales dans la lutte anti-régime en France sont absentes des rencontres (le Parti communiste des ouvriers de Tunisie et le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie). En 2003, travailler de concert avec les islamistes dans l’opposition au régime autoritaire demeure un point de discorde au sein des gauches tunisiennes, et la rupture radicale avec le régime ne fait pas encore l’unanimité.

16Trois ans plus tard, le Collectif parisien du 18 octobre permet de briser ce tabou en évoquant pour la première fois, publiquement et clairement, l’hypothèse d’un changement de régime. Si l’on compare avec la plateforme tunisienne, le texte du Collectif parisien énonce plus nettement le « caractère nécessaire et inéluctable d’une rupture démocratique réelle », une « convergence pour la résistance à la dictature et pour la défense des droits de la société », la « nécessité de rompre [avec la dictature] sans plus attendre » [44]. Ainsi, d’après le texte programmatique du Collectif parisien, « l’apport qualitatif nouveau de l’initiative du 18 octobre est la volonté d’aller au-delà de la dénonciation et de la protestation vers le rassemblement de la capacité politique effective d’imposer ces exigences » [45]. La rhétorique unitaire du 18 octobre sape le discours sur lequel le régime a tenté de construire sa légitimité nationale et internationale au fil des ans en se présentant comme le seul garant contre la « menace islamiste ».

17Le texte constitutif de la plateforme parisienne déclare que les diverses composantes de l’unité d’action politique « doivent adhérer de manière claire et explicite à un minimum de principes fondamentaux », à savoir l’« égalité complète », l’« indépendance » (« refus de toute forme de domination coloniale, d’agression ou d’occupation ») et le « rejet de la violence » [46]. Toutefois, ces prérequis ne sont qu’un « minimum » nécessaire pour que l’alliance fonctionne, ils évitent de traiter en profondeur des sujets potentiellement clivants et de s’aliéner une partie des composantes, le but étant de préserver une unité d’action. Cette volonté de composer avec les exigences de tous les mouvements transparaît par exemple dans la formulation permettant de renvoyer implicitement aux droits des homosexuels dans le texte du 18 octobre : « On a trouvé un mot dans le texte, “égalité quels que soient les choix existentiels” » [47].

18Le choix de l’intitulé du mouvement, quant à lui, reflète un débat plus profond sur le sens de l’alliance transidéologique et les difficultés et malentendus afférents. À Tunis, en vue d’éviter toute tension, les grévistes ont choisi la formule neutre de « Collectif du 18 octobre », jour du début de la grève de la faim. De l’autre côté de la Méditerranée, la plateforme constituante du Collectif s’intitule « Unité d’action pour un changement démocratique en Tunisie ». Si le terme « unité d’action » permet dans un premier temps de rester assez vague sur les objectifs affichés, les militants du Collectif parisien ne sont pas d’accord entre eux sur l’usage des mots plateforme, front, alliance, ce qui engendre un différend plus large sur les actions qui devront s’ensuivre. D’après l’un des rédacteurs de la plateforme, le texte parisien avait une réelle « ambition programmatique » : « À Paris, on voulait vraiment une alliance politique » [48]. Le président du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie exprime un autre point de vue : « La création d’un forum du 18 octobre ici en France rassemblait toutes les sensibilités politiques tunisiennes ici en France. Alors évidemment le mouvement se faisait sur le terrain des droits de l’homme » [49]. On touche là un point central des mobilisations tunisiennes en France sous Ben Ali, déjà évoqué dans le cas des rencontres d’Aix-en-Provence, mais exacerbé lors du 18 octobre : si certains membres du collectif (notamment ceux qui ont été les plus actifs dans l’écriture de la plateforme parisienne initiale) soulignent la volonté affichée de rupture politique avec le régime, le recours aux droits humains comme cadre principal des alliances transidéologiques demeure le seul dénominateur commun possible. Il permet aux courants de la gauche tunisienne les plus hostiles aux islamistes de justifier leur engagement aux côtés de ces derniers : ce n’est pas leur projet politique qui est soutenu mais leur statut de cibles principales de la répression orchestrée par le régime tunisien. Pourtant, il révèle également les ambigüités et les fragilités de ces formes d’alliances transnationales, l’hétérogénéité du bloc contestataire anti-régime et les limites d’un possible « front commun » à distance du pays d’origine. Certes, les alliances à distance reconfigurent l’espace transétatique des mobilisations en favorisant des relations apaisées entre acteurs antagonistes et en ouvrant la voie à une rupture claire et assumée vis-à-vis du régime de Ben Ali, mais elles contraignent les organisations politiques tunisiennes en France à se positionner vis-à-vis des autres acteurs agissant dans cet espace et par rapport à leur famille politique initiale, appelant ainsi à l’analyse d’une autre dimension pour appréhender les logiques du rapprochement.

Un espace d’interdépendance entre exilés et d’imbrications militantes

19Selon Sébastien Chauvin, l’histoire des alliances entre mouvements homosexuels et mouvements féministes au cours du xxe siècle « n’est pas celle d’une marche inéluctable vers l’union nécessaire de groupes aux intérêts communs préexistants, transhistoriques et “objectifs”, qu’il suffirait aux acteurs sociaux de savoir “reconnaître”, et que seule viendrait troubler une succession de stratégies rhétoriques superficielles » [50]. De fait, l’expérience tunisienne en France prouve que ces intérêts doivent être analysés à l’aune des ressources sociales et politiques asymétriques de militants dont les légitimités sont inégales dans l’espace transétatique des mobilisations. L’étude des alliances met donc au jour des relations d’interdépendance, l’enchevêtrement des sphères d’activités militantes et le rôle d’intermédiaires de certains acteurs.

Des intérêts contestés

20Les raisons de s’allier évoluent non seulement au gré des événements en Tunisie, mais aussi en fonction des contraintes de l’espace transétatique des mobilisations, dans la mesure où les différentes forces de l’opposition tunisienne en France sont doublement marginalisées. La répression perpétrée par le régime de Ben Ali touche en effet tous les mouvements de l’opposition dans les années 2000 et dépasse les frontières nationales. Les réseaux du pouvoir œuvrent à la démobilisation des communautés tunisiennes en France et à l’isolement de l’opposition politique [51]. Par ailleurs, et même s’ils sont différents en termes de trajectoires migratoires et militantes, le mouvement islamiste et les mouvements de gauche souffrent autant les uns que les autres non seulement de leur condition de mouvements exilés en France mais aussi des relations diplomatiques et économiques privilégiées entre les autorités françaises et le régime tunisien. Dès lors, comme l’a souligné Dieter Rucht, chercher des alliés, y compris parmi ses adversaires politiques « peut devenir primordial pour la survie d’un mouvement, particulièrement lorsqu’il est dans une position d’outsider » [52].

21Dans les années 2000, il est particulièrement crucial pour le mouvement islamiste Ennahda de travailler avec d’autres formations politiques tunisiennes pour être reconnu comme force d’opposition légitime et échapper à son isolement politique [53]. Les diverses formations de la gauche bénéficient d’une présence en France plus ancienne, et s’appuient sur des réseaux de sociabilités politiques développés dans d’autres secteurs militants, notamment dans les luttes de l’immigration, mais aussi dans des syndicats et partis politiques français. Elles ont accumulé bien plus de capitaux politiques et symboliques et leur statut légal leur ouvre plus de possibilités d’action : contrairement à la majorité des militants islamistes, par ailleurs frappés du stigmate religieux lié à leur identité et à leur identification politiques dans l’arène française, les militants de gauche ne sont dans l’ensemble pas demandeurs d’asile ou réfugiés statutaires. Ils peuvent alors représenter des relais très utiles pour des acteurs islamistes marginalisés, dont l’un évoque d’ailleurs le rôle joué par Kamel Jendoubi, un des dirigeants de la gauche associative tunisienne en France et président du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie : « Il nous a beaucoup aidés, j’ai appris beaucoup de choses, c’est quelqu’un qui maîtrise très bien la culture des droits de l’homme. Il a de bons réseaux. On doit le soutien du Parti communiste français, du Parti socialiste français à Kamel » [54]. Reconverti dans la formation professionnelle des immigrés et proche de la Fédération internationale des droits de l’homme, K. Jendoubi développe en effet ses réseaux auprès de diverses organisations locales de défense des droits des immigrés, et à l’échelle européenne en tant que président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme. Son insertion témoigne d’un degré de « reconnaissance de secteurs sociaux homologues dans les pays d’accueil » [55] auquel ne peuvent prétendre les militants islamistes. Le fait que des partis politiques de gauche français soient invités à participer aux réunions du Collectif du 18 octobre organisées sous l’égide du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie [56] permet de médiatiser la cause anti-régime et d’élargir la résonance des alliances auprès d’acteurs « tiers » non tunisiens.

22De leur côté, les gauches trouvent dans l’alliance avec les islamistes un moyen d’élargir le cercle réduit de militants activement investis dans la lutte anti-régime dans le cadre associatif et partisan, leurs effectifs étant en décalage avec leur poids politique. Ainsi le mouvement islamiste profite-t-il des réseaux des courants les plus institutionnalisés de la gauche, tandis que ces derniers bénéficient de la (relative) force du nombre d’Ennahda [57], ce que résume, de façon un peu schématique, un militant du Congrès pour la République : « C’est “la tête et les jambes” : la tête, c’est la gauche, les jambes, c’est Ennahda. Dans le sens où Kamel et sa compagnie [les militants de gauche], conçoivent, invitent, organisent, lancent un projet ; et Ennahda amène les troupes. Et la salle était pleine » [58]. Certes, ce constat peut paraître condescendant à l’égard d’Ennahda, et l’idée de « troupes » doit être relativisée compte tenu de la large démobilisation de la population immigrée tunisienne dans la lutte anti-régime, mais les dirigeants du mouvement islamiste le partagent pleinement : « Quand ils [la gauche] organisent des choses, ils nous invitent et on vient. Parce que, comme en Tunisie, ils savent très bien que la base, c’est à nous. Même ici, en France, ils n’ont pas de base. Un événement où on ne participe pas, ils n’auront pas de base, ils seront que quelques-uns. Donc ils nous invitent » [59].

23Mettre au jour les intérêts qui sous-tendent une convergence des forces militantes à distance selon les ressources différenciées des acteurs de l’espace transétatique des mobilisations est donc bien loin de la vision romantique de forces oppositionnelles antagonistes s’exprimant à l’unisson. L’étude de ces dynamiques permet au contraire de révéler les divisions politiques et idéologiques qui se reproduisent en exil au sein même des grandes familles politiques sur la question de savoir « avec qui s’allier ». Du côté des gauches en particulier, l’expérience parisienne du Collectif du 18 octobre 2005 exacerbe cette ligne de fracture et montre que les intérêts à l’alliance demeurent des sources de tensions entre les mouvements et en leur sein.

24La grève de la faim débutée en Tunisie a obtenu le soutien de la majorité des opposants de gauche, mais l’étape suivante, qui consistait à mettre en place un collectif, cristallise ces tensions [60]. La volonté de participer à un collectif transidéologique est loin d’être dominante dans les partis de gauche et les associations en exil. Au moment où se crée la plateforme parisienne en février 2006, un texte important paraît sous la forme d’une pétition, rassemblant les signatures d’une centaine de militants se définissant comme « appartenant à la famille de la gauche démocratique tunisienne », et dont beaucoup font partie de la gauche associative tunisienne en France, notamment de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives. Intitulé « À propos d’une dérive », ce texte évoque les principales raisons de s’opposer à l’alliance [61]. L’une d’elles – le risque de contribuer à l’affaiblissement d’une gauche déjà divisée, la priorité étant d’unir ses propres rangs – rejoint les arguments développés par Maha Abdelrahman au sujet de la coopération entre les gauches et les islamistes en Égypte [62]. Chérif Ferjani, militant d’el-Amal el-Tounsi dans les années 1970 et d’un certain nombre de luttes de l’immigration à Lyon, est l’un des signataires de la pétition. Selon lui, « il ne fallait pas signer un chèque en blanc parce que les islamistes avaient tout à gagner avec le 18 octobre » [63]. Même s’ils souscrivent aux trois revendications initiales du mouvement, les signataires considèrent que « le débat démocratique est une chose, l’alliance à tout prix en est une autre » [64]. Pour certains militants de la gauche, l’action commune avec les islamistes est nécessaire pour mener à bien la lutte anti-régime, pour d’autres, ce choix tactique qu’ils perçoivent comme un soutien aux islamistes est à envisager avec réserve. Ces considérations rappellent le constat de D. Rucht à propos du West German Peace Movement des années 1950 et 1960, qui a plus souffert que bénéficié du soutien des groupes communistes, tant le contexte de la guerre froide générait un sentiment de suspicion à l’égard de tout groupe soutenu par ceux-ci [65].

25D’un côté, les alliances délimitent les frontières d’appartenance légitime au milieu de l’opposition en exil, de l’autre, elles dévoilent l’interdépendance des acteurs de cette opposition en France. « L’espace des possibles pour la constitution d’alliances formelles ou tacites » est alors déterminé par « la connaissance de sa propre position et de celles des autres groupes » [66], bien que cette connaissance ne soit pas appréhendée par tous de manière homogène. Des structures et des acteurs précis, mobilisés sur plusieurs scènes, en viennent alors à jouer un rôle qui ne peut être négligé, et témoignent du fait que ces expériences d’alliances ont certes comme cause motrice la lutte contre un régime autoritaire, mais se façonnent aussi en fonction d’autres éléments de conjoncture militante dans cet espace politique spécifique.

Sites de courtage et figures de passeurs

26Les travaux sur les mouvements sociaux en général [67] et sur les alliances en particulier [68] ont montré l’importance des « passeurs » ou « médiateurs » dans le rapprochement d’acteurs aux différends idéologiques. L’une des spécificités de l’espace des mobilisations constitué par des militants exilés aux trajectoires et statuts divers est qu’un certain nombre d’entre eux sont actifs dans d’autres secteurs militants, à distance des clivages politiques du pays d’origine. Cette multipositionnalité leur permet d’accumuler un capital social et militant pouvant favoriser des formes d’alliances. Pourvus d’un niveau de ressources plus élevé, certains sont alors en mesure d’endosser ce rôle de « courtier » susceptible de connecter des réseaux contestataires jusqu’alors non reliés [69]. Le courtage peut être effectif au niveau des militants et de leurs organisations, mais aussi entre différentes scènes de mobilisation.

27Les processus de médiation entre les groupes sont portés notamment par des partis politiques dont le caractère transidéologique est attesté par les trajectoires de leurs militants. Au début des années 2000, l’espace transétatique des mobilisations tunisiennes est marqué par une certaine vitalité de la vie oppositionnelle et un renouvellement des partis politiques. Parmi eux, malgré des histoires, des fonctionnements et des échelles très différents, le Parti démocrate progressiste et le Congrès pour la République ont en commun la volonté de construire des regroupements larges contre le régime autoritaire de Ben Ali, en dépassant les dichotomies islamistes-gauches. Bien que dirigée par Moncef Marzouki, figure de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, la section parisienne du Congrès pour la République est constituée en 2001 par un groupe d’amis, anciens sympathisants ou membres d’Ennahda ou dirigeants régionaux de l’Union générale tunisienne des étudiants, le syndicat étudiant d’obédience islamiste, ensuite rejoints par d’anciens militants de l’extrême gauche tunisienne et des indépendants. Exilé en France à partir de 1991, Chokri Hamrouni est l’un des co-fondateurs du Congrès pour la République à Paris [70]. Sa connaissance intime des dirigeants d’Ennahda en France, avec qui il conserve des liens de sociabilités importants malgré sa rupture politique avec le mouvement (son frère est en outre l’un des responsables de ce parti), ainsi que des militants agissant dans différentes formations politiques l’amène à jouer un rôle concret de médiation entre les gauches et les islamistes. Docteur en science politique de l’Université Paris 8 en 2001, il dispose de compétences utiles à l’activité militante (notamment dans la rédaction de communiqués) et développe ses réseaux universitaires, politiques et médiatiques dans l’arène française. Il est notamment l’un des organisateurs des rencontres d’Aix-en-Provence en 2003, et l’un des porte-parole du Congrès pour la République auprès du Collectif parisien du 18 octobre.

28Pour des raisons idéologiques et sociologiques liées à sa trajectoire politique, le Parti démocrate progressiste, héritier du Rassemblement socialiste progressiste créé en 1983, a toujours été le plus ouvert à cette démarche « dialoguiste » [71]. La section parisienne a été créée au milieu des années 2000 par des militants de l’extrême gauche tunisienne principalement. Ses membres sont plus jeunes que les militants des structures partisanes et associatives majoritaires des gauches tunisiennes, socialisés dans les années 1970 à l’université tunisienne, via le syndicalisme étudiant (l’Union générale des étudiants tunisiens) et la gauche estudiantine marxiste-léniniste ou maoïste. Les militants de la nouvelle génération « ne viennent pas de cette histoire-là », comme le rappelle l’un d’entre eux [72]. Ils ont en outre accumulé des expériences et des ressources politiques dans les luttes de l’immigration ainsi que dans les missions de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien, ou contre la guerre en Irak en 2003. La carrière militante d’Omeyya Seddik est à cet égard exemplaire [73]. Arrivé en France en 1989 pour continuer ses études de sciences politiques, il se mobilise tout au long des années 1990 et 2000. Il s’engage notamment pour la défense de la cause palestinienne, et dans le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), créé en 1995, qui fédère de nombreuses actions et associations autour de la lutte contre les violences policières et le racisme institutionnel en France. Cette accumulation d’expériences sert son action dans le militantisme tunisien. Figure de pont entre les différents mouvements, il est l’un des principaux rédacteurs et animateurs de la plateforme du Collectif parisien du 18 octobre.

29Le fait que les activistes exilés s’engagent dans des causes qui ne concernent pas directement la politique tunisienne permet ainsi de créer des sociabilités militantes et des jonctions entre forces politiques antagonistes. En France, dans les années 2000, la réaction à la seconde intifada en Palestine et la mobilisation en 2003-2004 contre la proposition de loi visant à interdire le port du voile dans les écoles publiques [74] favorisent et accélèrent les rapprochements au-delà de la cause anti-Ben Ali. Le cas de Karim Azouz est révélateur de ce rapprochement entre militants tunisiens islamistes et de gauche autour de causes « intermédiaires », dans le contexte spécifique français [75]. Contrairement à la majorité des cadres du mouvement islamiste, qui ont commencé leur trajectoire militante en Tunisie avant de fuir la répression des régimes de Bourguiba ou de Ben Ali, K. Azouz développe ses activités militantes une fois installé en France à la fin des années 1980. Devenu l’un des responsables du syndicat d’obédience islamiste (l’Union générale tunisienne des étudiants), il est coopté quelques années plus tard au sein du bureau politique d’Ennahda. Parallèlement, son militantisme au sein de diverses structures des luttes de l’immigration l’amène à rencontrer un certain nombre de militants de la gauche associative tunisienne en France. Il milite notamment au sein de plusieurs initiatives locales en banlieue parisienne, ainsi qu’au Mouvement de l’immigration et des banlieues. Il est également l’un des membres fondateurs du Collectif des musulmans de France et fait partie du comité d’organisation du Forum social européen en 2003 [76]. Sa trajectoire, à la croisée de divers univers militants et sites de mobilisation, le prédispose à ce rôle de courtier.

30Ces sociabilités militantes, à la fois informelles et formelles, reliées à la multipositionnalité de certains militants médiateurs, semblent favoriser en retour des formes plus organisées de rencontres entre islamistes et gauches dans la lutte anti-régime, même si lesdites rencontres ne sont pas nécessairement pensées en ces termes par les acteurs. Un militant du Parti démocrate progressiste, actif dans ce qu’il considère être « le trio d’action » de l’espace transétatique des mobilisations (la cause tunisienne, la cause palestinienne et la cause des immigrés) se souvient : « Moi, personnellement, j’ai commencé à connaître les islamistes via le fait qu’un groupe qui s’appelle le Collectif des musulmans de France était venu pour participer au Forum social [européen]. C’est fin 2002, début 2003, que j’ai commencé à croiser des gens d’Ennahda parce qu’ils étaient venus sur un axe militant progressiste. (...) C’est dans le cadre du [Collectif des musulmans de France] par exemple que j’ai rencontré Karim [Azouz] qui est devenu un ami après. Et qu’ils s’investissaient dans le Forum social, et sur des positions parfois extrêmement progressistes » [77]. L’insistance de ce militant sur le fait qu’Ennahda « soit venu sur l’axe progressiste » reflète les luttes de positionnement autour de la légitimité de chaque groupe à exister dans cet espace. De manière concomitante, la multiplicité d’engagements politiques des opposants tunisiens exilés en France favorise des proximités militantes. Ces dynamiques de courtage révèlent ainsi les spécificités des coalitions transnationales et transversales : des cadres unitaires sont créés, favorisés, voire accélérés par l’intermédiaire de luttes qui dépassent l’objectif initial de la mobilisation anti-régime.

31S’il semble périlleux d’évaluer les échecs et les succès de ces expériences d’alliances anti-régime à distance, l’analyse de leurs conditions de possibilité éclaire les ressorts des mobilisations transnationales. Ces expériences en contexte migratoire révèlent notamment le fait que les militants exilés agissent dans un espace politique doté de logiques de fonctionnement relativement autonomes par rapport au pays d’origine. Elles mettent en lumière l’extension de la scène politique tunisienne dans le contexte français et la relative clôture de cet espace. Elles soulignent également l’implication d’un large panel d’acteurs, aux trajectoires migratoires et aux ressources sociales et politiques différenciées, entraînant des ancrages et des sociabilités différentes en exil entre islamistes et gauches. L’étude des alliances et des trajectoires de leurs acteurs montre l’interdépendance des militants exilés et l’enchevêtrement des sphères d’activités militantes et des sites de mobilisation. Dans l’espace transétatique des mobilisations, la cause anti-régime se décloisonne en miroir du déplacement des terrains militants. Enfin, l’attention portée aux alliances révèle que les deux clivages centraux du champ politique tunisien (le rapport aux islamistes et le rapport au régime) sont réactivés, relativisant in fine l’autonomie de cet espace par rapport au pays d’origine. Malgré des rapprochements ponctuels, les groupes restent en compétition les uns avec les autres et leur consensus fragile autour des droits humains signale en creux l’impossibilité d’un projet politique d’opposition substantiel. L’union ne fait pas nécessairement la force face à l’autoritarisme, mais elle révèle les rapports de force dans l’architecture de ces luttes en France [78].

Notes

  • [1]
    L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA, syndicat patronal), l’Ordre national des avocats et la Ligue tunisienne des droits de l’homme.
  • [2]
    Choukri Hmed, « Au-delà de l’exception tunisienne : les failles et les risques du processus révolutionnaire », Pouvoirs, 156 (1), 2016, p. 137-147 ; Amin Allal, Vincent Geisser, « Introduction “Good-Bye Ben Ali !” », dans A. Allal, V. Geisser (dir.), Tunisie : une démocratisation au-dessus de tout soupçon ?, Paris, CNRS Éditions, 2018, p. 9-41.
  • [3]
    Sur les alliances entre mouvements pour la justice et la paix, voir Thomas D. Beamish, Amy J. Luebbers, « Alliance Building across Social Movements : Bridging Difference in a Peace and Justice Coalition », Social Problems, 56 (4), 2009, p. 647-676 ; entre militants altermondialistes et religieux, voir Stephen Ellingson, Vernon Woodley, Anthony Paik, « The Structure of Religious Environmentalism : Movement Organizations, Interorganizational Networks, and Collective Action », Journal for the Scientific Study of Religion, 51, 2012, p. 266-285 ; entre mouvements de lutte contre le sida et chômeurs, voir Lilian Mathieu, « Éléments pour une analyse des coalitions contestataires. La lutte contre le sida et le mouvement des chômeurs, de “Nous sommes la gauche” à Occupation », Revue française de science politique, 59 (1), 2009, p. 77-96.
  • [4]
    Nella Van Dyke, Holly J. McCammon, Strategic Alliances : Coalition Building and Social Movements, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2010 ; Dieter Rucht, « Movement Allies, Adversaries, and Third Parties », dans David A. Snow, Sarah A. Soule, Hanspeter Kriesi (eds), The Blackwell Companion to Social Movements, Oxford, Blackwell Publishing Ltd, 2007, p. 197-216.
  • [5]
    Pour des synthèses, voir Holly McCammon, Minyoung Moon, « Social Movement Coalitions », dans Donatella Della Porta, Mario Diani (eds), The Oxford Handbook of Social Movements, Oxford, Oxford University Press, 2015 ; Mario Diani, Ivano Bison, « Organizations, Coalitions, and Movements », Theory and Society, 33, 2004, p. 281-309.
  • [6]
    Margaret E. Keck, Kathryn Sikkink, Activists beyond Borders : Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998 ; Donatella Della Porta, Sidney G. Tarrow (eds), Transnational Protest and Global Activism, Lanham, Rowman & Littlefield, 2005.
  • [7]
    S. G. Tarrow, The New Transnational Activism, New York, Cambridge University Press, 2005.
  • [8]
    Joe Bandy, Jackie Smith (eds), Coalitions across Borders : Transnational Protest and the Neoliberal Order, Lanham, Rowman & Littlefield, 2005.
  • [9]
    Stéphane Dufoix, Politiques d’exil : Hongrois, Polonais et Tchécoslovaques en France après 1945, Paris, PUF, 2002 ; Olivier Grojean, « La cause kurde, de la Turquie vers l’Europe : contribution à une sociologie de la transnationalisation des mobilisations », thèse de doctorat en science politique, Paris, EHESS, 2008.
  • [10]
    L. Mathieu, « L’espace des mouvements sociaux », Politix, 77 (1), 2007, p. 131-151.
  • [11]
    Laure Bereni, « Penser la transversalité des mobilisations féministes : l’espace de la cause des femmes » dans Christine Bard (dir.), Les féministes de la deuxième vague, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 27-41.
  • [12]
    Marie-Laure Geoffray, « Révolutions de 1989 et restructurations de l’espace de la cause cubaine », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2-3, 2019, p. 139-173 ; Olivier Grojean, Élise Massicard, « Mobilisations transnationales et environnement politique. La dynamique des organisations kurdes et alévistes, entre Turquie et Europe », dans Marie-Claude Blanc-Chaléard, et al. (dir.), L’étranger en questions, du Moyen Âge à l’an 2000, Paris, Le Manuscrit, 2005, p. 401-430.
  • [13]
    Pour une discussion plus développée sur la notion d’espace transétatique des mobilisations, voir Mathilde Zederman, « Trans-State Spaces of Mobilisation. Tunisian Activism in France in the Era of Ben Ali (1987-2011) », thèse de doctorat en science politique, SOAS, Université de Londres, 2018.
  • [14]
    Maha Abdelrahman, « “With the Islamists ? – Sometimes. With the State ? – Never !” Cooperation between the Left and Islamists in Egypt », British Journal of Middle Eastern Studies, 36 (1), 2009, p. 37-54 ; Nicolas Dot-Pouillard, « Rapports entre mouvements islamistes, nationalistes et de gauche au Moyen-Orient arabe », Alternatives Sud, 2009 ; « The Dynamics of Opposition Cooperation in the Arab World », dossier, British Journal of Middle Eastern Studies, 38 (3), 2011 ; voir également le colloque organisé par l’IAU College Aix-Wafaw, ERC-IREMAM, « Gauches-Islamistes : pourquoi tant de haine ? Historicité et actualité, défis et réponses à la fracture idéologique des oppositions arabes », Aix-en-Provence et Cassis, 5-7 mai 2015.
  • [15]
    N. Dot-Pouillard « Les gauches arabes, orphelines de révolution », Revue Moyen Orient, janvier 2016, en ligne https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01272224/document.
  • [16]
    Michaël Béchir Ayari, Le prix de l’engagement politique dans la Tunisie autoritaire : gauchistes et islamistes sous Bourguiba et Ben Ali (1957-2011), Paris, Karthala, 2016.
  • [17]
    « L’union fait elle la force face à l’autoritarisme ? Regards critiques sur le mouvement tunisien du 18 octobre 2005 », CERI, Sciences Po Paris, 31 mars 2016. Les citations tirées de la conférence sont référencées comme suit : CERI, Sciences Po Paris, 2016.
  • [18]
    Entretien avec Khémais Chammari, Tunis, juillet 2016.
  • [19]
    Archives nationales françaises 19870623/30 « dossier 26 janvier ».
  • [20]
    Communiqué de Tunisie : Démocratie maintenant, 10 septembre 1991 https://tunisitri.wordpress.com/2008/11/23/%C2%AB-tunisie-democratie-maintenant-%C2%BB-n%E2%80%99est-plus/.
  • [21]
    Éric Gobe, « Tunisie 2002 : un référendum pour quoi faire », Annuaire de l’Afrique du Nord, Paris, CNRS Éditions, 2004, p. 381-413.
  • [22]
    Communiqué du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie, no 725, 13 mai 2002.
  • [23]
    Entretien avec Claudie et Benoît Hubert, fondateurs de l’association Aix-Solidarité, Aix-en-Provence, février 2016.
  • [24]
    Archives Tunisnews.
  • [25]
    Entretien avec Chokri Hamrouni, Paris, décembre 2016.
  • [26]
    Entretien avec Abderraouf Mejri, Paris, décembre 2015.
  • [27]
    V. Geisser, É. Gobe, « Des fissures dans la “Maison Tunisie” ? Le régime de Ben Ali face aux mobilisations protestataires », L’Année du Maghreb, 2, 2007, p. 353-414 ; V. Geisser, É. Gobe, « La question de “l’authenticité tunisienne” : valeur refuge d’un régime à bout de souffle ? », L’Année du Maghreb, 3, 2007, p. 371-408.
  • [28]
    Voir les communiqués quotidiens du Comité de soutien de la grève de la faim, archives Tunisnews.
  • [29]
    Omeyya Seddik, CERI, Sciences Po Paris, 2016.
  • [30]
    « Déclaration de Paris », 21 octobre 2005, archives Tunisnews.
  • [31]
    Archives Tunisnews.
  • [32]
    Congrès pour la République, Forum démocratique pour le travail et les libertés, Ennahda, Parti communiste des ouvriers de Tunisie et unionistes nasséristes.
  • [33]
    Collectif des familles et des proches des prisonniers politiques, Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie, Conseil national pour les libertés en Tunisie, Solidarité tunisienne, Voix libre.
  • [34]
    Collectif 18 octobre pour les droits et les libertés en Tunisie, Notre voie vers la démocratie, 2010.
  • [35]
    Ibid.
  • [36]
    Entretien avec Samir, Marseille, juin 2016.
  • [37]
    Entretien avec Adnane Ben Youssef, Tunis, novembre 2015.
  • [38]
    D. A. Snow, « Framing Processes, Ideology, and Discursive Fields », dans D. A. Snow, S. A. Soule, H. Kriesi (eds), The Blackwell Companion to Social Movements, op. cit., p. 390. Sur cette question du « cadrage de la coalition », voir aussi David Croteau, Lyndsi Hicks, « Coalition Framing and the Challenge of a Consonant Frame Pyramid : The Case of a Collaborative Response to Homelessness », Social Problems, 50 (2), 2003, p. 251-272.
  • [39]
    Sadri Khiari, Tunisie. Coercition, consentement, résistance. Le délitement de la cité, Paris, Karthala, 2003, p. 167.
  • [40]
    « L’appel de Tunis du 17 juin 2003 » https://tounis.wordpress.com/2008/10/11/appel-de-tunis-du-17-juin-2003/.
  • [41]
    Entretien avec Samir, cité.
  • [42]
    « Déclaration du Comité d’organisation des rencontres d’Aix », Paris, 26 mai 2003 https://tounis.wordpress.com/category/francais/.
  • [43]
    Pour un développement sur les raisons idéologiques et tactiques de ce refus de signer, voir É. Gobe, V. Geisser, « Le président Ben Ali entre les jeux de coteries et l’échéance présidentielle de 2004 », Annuaire de l’Afrique du Nord, Paris, CNRS Éditions, 2005, p. 291-320.
  • [44]
    Collectif 18 octobre pour les droits et les libertés en Tunisie, Notre voie vers la démocratie, 2010.
  • [45]
    Ibid.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    Omeyya Seddik, CERI, Sciences Po Paris, 2016.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Kamel Jendoubi, CERI, Sciences Po Paris, 2016.
  • [50]
    Sébastien Chauvin, « Les aventures d’une “alliance objective”. Quelques moments de la relation entre mouvements homosexuels et mouvements féministes au xxe siècle », L’Homme et la société, 158 (4), 2005, p. 112.
  • [51]
    Sur les pratiques extraterritoriales de la répression du régime tunisien, voir M. Zederman, « Contrôle social et politique de la diaspora tunisienne : un autoritarisme à distance ? », dans A. Allal, V. Geisser (dir.), Tunisie : une démocratisation au-dessus de tout soupçon ?, op. cit., p. 399-416.
  • [52]
    D. Rucht, « Movement Allies, Adversaries, and Third Parties », cité, p. 197.
  • [53]
    Margot Dazey, Mathilde Zederman, « Oppositions islamistes à distance : mobilisations tunisiennes et égyptiennes en France (1990-2016) », Revue française de science politique, 67 (5), 2017, p. 837-855.
  • [54]
    Entretien avec Salah Tagaz, Paris, décembre 2016.
  • [55]
    S. Dufoix, Politiques d’exil : Hongrois, Polonais et Tchécoslovaques en France après 1945, op. cit., p. 205.
  • [56]
    Voir par exemple le communiqué du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie, 25 décembre 2005, archives Tunisnews.
  • [57]
    Il est difficile d’établir des chiffres exacts, la majorité des militants évoquent un millier de personnes en Île-de-France, soit la moitié des réfugiés politiques tunisiens islamistes dans le monde dans les années 1990.
  • [58]
    Entretien avec Ahmed, Nabeul, novembre 2015.
  • [59]
    Entretien avec S. Tagaz, cité.
  • [60]
    Hichem Abdessamad, La gauche et l’islam politique ou le conflit suspendu. Retour sur le mouvement du 18 octobre en Tunisie, Tunis, Nirvana, 2017.
  • [61]
  • [62]
    M. Abdelrahman, « “With the Islamists ? – Sometimes. With the State ? – Never !” Cooperation between the Left and Islamists in Egypt », art. cité, p. 53.
  • [63]
    Chérif Ferjani, CERI, Sciences Po Paris, 2016.
  • [64]
    Ibid.
  • [65]
    D. Rucht, « Movement Allies, Adversaries, and Third Parties », cité, p. 208.
  • [66]
    S. Dufoix, Politiques d’exil : Hongrois, Polonais et Tchécoslovaques en France après 1945, op. cit., p. 195.
  • [67]
    Doug McAdam, Sidney G. Tarrow, Charles Tilly, Dynamics of Contention, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
  • [68]
    Fred Rose, Coalitions across the Class Divide : Lessons from the Labor, Peace, and Environmental Movements, Ithaca, Cornell University Press, 2000. Pour une typologie plus poussée du rôle des « coalition brokers » ou « bridge-builders » et de leurs diverses stratégies dans l’action collective transnationale, voir Marisa von Bülow, « Brokers in Action : Transnational Coalitions and Trade Agreements in the Americas », Mobilization : An International Quarterly, 16 (2), 2011, p. 165-180.
  • [69]
    D. McAdam, S. G. Tarrow, C. Tilly, Dynamics of Contention, op. cit.
  • [70]
    Entretiens avec C. Hamrouni, Tunis, Paris, juillet-décembre 2016.
  • [71]
    M. B. Ayari, Le prix de l’engagement politique dans la Tunisie autoritaire : gauchistes et islamistes sous Bourguiba et Ben Ali (1957-2011), op. cit.
  • [72]
    Entretien avec A. Ben Youssef, cité.
  • [73]
    Entretiens avec Omeyya Seddik, Tunis, juillet 2016, octobre 2017.
  • [74]
    Qui a abouti à la Loi no 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
  • [75]
    Par exemple, au sein du Collectif Une école pour tou-te-s – contre les lois d’exclusion.
  • [76]
    Entretien avec Karim Azouz, Paris, décembre 2015.
  • [77]
    Entretien avec A. Ben Youssef, cité.
  • [78]
    Je remercie Wajdi Limam, Nicolas Dot-Pouillard, Margot Dazey, Sonia Dayan-Herzbrun et Louise Bataillon, ainsi que les évaluateurs et évaluatrices anonymes de Critique internationale pour leur relecture critique et leurs remarques constructives.
Français

Si l’« exceptionnalisme » supposé du cas tunisien, fer de lance de la transition démocratique dans le monde arabe grâce au « dialogue » et aux politiques de « réconciliation », a été déconstruit à juste titre, force est de constater l’existence d’une longue histoire d’alliances entre acteurs politiques antagonistes, dont une partie significative s’est déployée au-delà des frontières nationales. J’interroge ici les conditions de possibilité des alliances anti-régime Ben Ali en France, et les conditions de dépassement des polarisations idéologiques entre les principales forces de l’opposition tunisienne depuis l’indépendance : les militants islamistes et ceux des gauches. En analysant les modalités concrètes et ce que la « distance » fait à ce type d’alliances improbables, je montre en quoi elles sont révélatrices des caractéristiques de l’espace des mobilisations et des rapports de force qui s’y jouent. L’union ne fait pas nécessairement la force face à l’autoritarisme, mais elle révèle les rapports de force dans l’architecture de ces luttes en France.

Mathilde Zederman
docteure en science politique de la SOAS (Université de Londres) et actuellement ATER au LaSSP-Sciences Po Toulouse. Ses recherches portent sur les politiques d’exil, les mobilisations tunisiennes en France et les mémoires militantes. Elle a récemment publié « “Faire parti” à distance. Partis politiques tunisiens pro- et anti-régime Ben Ali en France », Revue internationale de politique comparée (26 (2-3), 2019, p. 33-56) ; « Contrôle social et politique de la diaspora tunisienne : un autoritarisme à distance ? », dans Amin Allal, Vincent Geisser (dir.), Tunisie : une démocratisation au-dessus de tout soupçon ? (Paris, CNRS Éditions, 2018, p. 399-416) ; et avec Margot Dazey « Oppositions islamistes à distance : mobilisations tunisiennes et égyptiennes en France (1990-2016) », Revue française de science politique (67 (5), 2017, p. 837-855).
mathildezederman@hotmail.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 21/09/2020
https://doi.org/10.3917/crii.088.0091
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