CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis la fin de la guerre froide, les opérations de peacemaking, peacekeeping et peacebuilding se sont multipliées, avec pour vocation, respectivement, de « trouver un accord par des moyens pacifiques », de « prévenir la reprise des violences » et de « consolider la paix » [1]. Si la définition stricte de la médiation se limite à un rôle de tiers facilitateur qui a pour principal objectif de réunir à la même table les acteurs en conflit afin de trouver une solution, le recours à cette pratique s’est progressivement accru pour couvrir toutes les étapes du processus de paix [2]. Depuis le milieu des années 1980, les travaux qui lui sont consacrés se développent, notamment dans la science politique américaine, avec un aller et retour constant entre le milieu universitaire et le monde des ONG. Particulièrement foisonnante, cette littérature se divise essentiellement par protagonistes et par pratiques : elle traite principalement des processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) [3], des professionnels de la paix, des différentes méthodes de médiation [4]. Jacques Faget distingue cinq thèmes fréquemment abordés : « le conflit, les protagonistes, le contexte de la médiation, la posture du médiateur et la mesure des effets de la médiation » [5]. Les travaux sur la médiation couvrent à la fois les réformes institutionnelles (secteur de la sécurité, élections, partage du pouvoir) et « la pacification par le bas » prise en charge par les ONG de médiation qui se penchent plus particulièrement sur les dimensions interpersonnelles. La place centrale des praticiens explique que le point de vue privilégié par les analystes soit celui des organisations internationales, des ONG et de leurs employés [6]. Ces travaux se caractérisent par une série de présupposés sur la rationalité des acteurs engagés dans la médiation. Les compensations économiques ou politiques permettraient de réduire la violence, notamment si elles sont couplées avec une redistribution des ressources et un accès à des positions de pouvoir. Certains médiateurs et analystes soutiennent ainsi que le médiateur le « plus efficace » est celui qui a la capacité de « mobiliser le plus de ressources pour faire changer l’attitude des belligérants » [7]. Or, de façon paradoxale, ces processus de médiation destinés à rétablir la paix ne se traduisent généralement pas par une réduction de la violence et de la conflictualité, mais par leur intensification ou leur généralisation. Au Mali, comme en République démocratique du Congo, au Soudan, en République centrafricaine ou en Angola, ils se sont tous soldés par une fragmentation des groupes armés qui a contribué à perpétuer le conflit.

2La littérature dominante sur les médiations de paix s’inscrit dans une perspective économique inspirée de la théorie du choix rationnel [8]. Les acteurs armés sont modélisés comme des homo economicus doués d’agency hors-norme, qui manipulent la médiation à leur avantage en fonction de leur intérêt à participer aux négociations [9]. Le poncif de l’avidité des rebelles guide le cadre interprétatif de (trop) nombreux analystes et médiateurs qui, d’ailleurs, assument parfois les deux fonctions [10]. Alex de Waal, paradigmatique de cette mouvance, est à la fois chercheur à l’Université Tufts (États-Unis) et directeur exécutif de la World Peace Foundation. Il part de l’hypothèse selon laquelle la guerre et la politique seraient essentiellement une affaire d’argent, de business[11], comme en témoigne l’exemple du président du Mouvement de libération du Soudan qui aurait négocié le prix de sa signature [12]. Ainsi l’échec répété des processus de médiation est-il renvoyé aux stratégies individuelles ou communautaires des groupes armés. J. Faget souligne la multiplicité des intérêts des individus à participer à une médiation : « L’acceptation d’une médiation permet aussi de donner une bonne image de soi, d’obtenir des alliances, voire des retombées financières. Elle peut aussi être fondée sur des raisons de politique interne, conserver son leadership, répondre à une attente de la population. Cette conception stratégique de la médiation conduirait souvent à un échec. (...) Le choix de la médiation (...) reposerait davantage sur des intérêts individuels que sur des “valeurs partagées” ou une “convergence d’intérêts” » [13]. Le vocabulaire employé par l’auteur, « intérêts individuels », absence de « valeurs partagées », renvoie à une dimension (a) morale des acteurs participant à la médiation. Olivier Richmond souligne, lui aussi, l’importance d’analyser la façon dont la médiation est instrumentalisée par les acteurs armés [14]. Dans un article très lu dans les milieux de la médiation, Stephen Stedman explique que, la paix allant à l’encontre des intérêts des ex-combattants, ces « fauteurs de troubles » (spoilers) usent de la violence pour saper le processus de paix [15]. En se focalisant uniquement sur les effets des comportements des acteurs armés sur le processus, ces approches, dérivées des théories économiques sur les guerres civiles, négligent la façon dont les dispositifs de la médiation cadrent les actions des belligérants.

3Aujourd’hui cependant, la théorie des spoilers de S. Stedman et, plus largement, les modèles issus de la théorie du choix rationnel renseignent sur les pratiques de médiations qui, elles-mêmes, contraignent la rationalité des mouvements armés. Denis Tull et Andreas Mehler ont montré que les dispositifs de médiation incitent les combattants à déployer des stratégies d’extraversion [16]. Il faut donc renverser la proposition centrale : ce ne sont pas les belligérants qui font échouer les négociations par leur rationalité égoïste (essentiellement économiste), ce sont les dispositifs mis en place par la médiation qui, de façon endogène, créent les conditions de la perpétuation du conflit armé. La conviction des médiateurs selon laquelle les ressources économiques permettent de réussir la paix aboutit à la mise en place d’un dispositif qui instaure un système de récompenses pour ceux qui ont fait ou font encore usage de la violence (dans le but qu’ils s’engagent à renoncer à cet usage). Pourtant, les nombreuses ressources dont disposent les médiateurs (ONU et ONG) sont autant d’incitations à la violence pour les belligérants [17]. Depuis ces quinze dernières années, la méthode privilégiée par les pays occidentaux pour instaurer la paix sur le continent africain consiste à faire signer des accords de partage du pouvoir entre le gouvernement en place et les mouvements armés [18], l’usage de la violence étant pour ces derniers le seul moyen d’être reconnus politiquement par les acteurs de la médiation. Dans une logique d’extraversion [19], les ressources internationales de médiation deviennent alors pour les acteurs armés, et en particulier pour leurs dirigeants, une façon légitime d’entrer dans l’État. Nathalie Duclos considère les ex-combattants au Kosovo comme des « courtiers de la paix » qui se sont adaptés aux exigences de la médiation afin d’en tirer parti pour renforcer leur domination [20]. De même, Alex Veit décrit la façon dont, au Congo, les interlocuteurs de la MONUC se sont imposés en captant la manne des organismes internationaux [21]. Par ailleurs, les médiateurs imposant une définition des groupes selon des logiques ethniques et confessionnelles [22], les opérations qu’ils mènent produisent une structure d’incitations qui encourage le factionnalisme [23].

4Le cas malien est particulièrement révélateur de la façon dont les processus de médiation structurent et aggravent les conflits. Une perspective sociologique amène à envisager ces processus comme des moments de reconfiguration des rapports de domination, des modalités d’accumulation et de conversion des capitaux [24]. Le processus de médiation engagé dans ce pays à partir de 2013 a abouti à la signature d’un accord de paix en juin 2015 sous l’égide de la communauté internationale et des États de la sous-région [25]. Lorsque le conflit a éclaté en 2012, quatre mouvements armés étaient présents au Nord-Mali. En 2019, six ans après le début du processus de médiation, ils étaient plus d’une vingtaine à s’affronter régulièrement, la plupart étant issus des quatre mouvements préexistants au conflit.

5Pourquoi le processus de médiation s’accompagne-t-il d’une fragmentation des mouvements armés en principe engagés sur la voie de la réconciliation ? Pour répondre à cette question dont le paradoxe qu’elle contient n’est qu’apparent, je développe l’hypothèse selon laquelle les dispositifs internationaux incitent les groupes à s’affirmer en tant qu’acteurs armés pour bénéficier des ressources et opportunités promises par le processus de médiation. Écarter une perspective normative – les négociations sont destinées à faire la paix – permet de voir que ces médiations ne sont pas des « échecs », mais font partie intégrante des conflits armés [26]. La médiation constitue un site de conversion du capital militaire en capital politique ou économique, mais la particularité de cette conversion réside dans le fait qu’un capital collectif est converti en capital individuel et renvoie donc à la question cruciale de la représentation. L’accord prévoit des rétributions politiques, financières et militaires pour les belligérants à travers la distribution de postes au sein de l’armée, de l’administration ou des commissions qui accompagnent le processus de médiation. Ces gratifications individuelles, partagées au sein de la famille ou du groupe social, permettent aux représentants de mouvements armés de reconstituer une base sociale et s’articulent à des enjeux locaux électoraux. Cependant, participer à ce grand marché de la conversion implique de détenir initialement des ressources et des capitaux. Dès lors, la majorité des militants et combattants de base sont « hors-champ » et ne peuvent que compter sur les promesses de leurs dirigeants [27]. Participer à un mouvement armé restreint où les réseaux interpersonnels sont forts garantit de plus grandes chances d’exister dans l’arène politique locale. C’est ainsi que la fragmentation des mouvements armés peut être comprise comme une multitude de formes de la représentation politique qui permet une redistribution des prébendes de l’international au sein de plusieurs couches de la société.

6En prenant pour objet central les scissions du mouvement indépendantiste, le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), qui a déclenché le conflit, je propose de dégager les effets structurels des pratiques de la médiation sur les stratégies des belligérants. J’analyserai tout d’abord le processus de médiation comme une dépolitisation du conflit dont les causes sociales et politiques sont ignorées. J’expliquerai ensuite en quoi la fragmentation qui résulte de ce processus permet à certains groupes sociaux de renégocier leurs rapports avec l’État. Enfin je montrerai comment, loin de permettre un renversement des rapports de pouvoir, cette conversion renforce les élites en place, creusant les inégalités et la polarisation de la société.

7Ma démonstration se fonde sur huit terrains de recherche d’une durée totale de huit mois, effectués entre 2012 et 2018 en Mauritanie, en Algérie, au Niger, au Maroc et au Mali, où j’ai réalisé 160 entretiens individuels et collectifs principalement auprès des membres du MNLA et des mouvements armés nés de ses scissions successives [28]. Parallèlement, j’ai rencontré à plusieurs occasions les chefs de ces mouvements armés lors de leurs déplacements à Paris et recueilli plus d’une centaine de documents qui ont trait à leur organisation interne et à leurs activités (rapports de congrès, feuilles de route, documents fournis par la médiation, écrits militants). J’ai également assisté à des réunions des différents sous-comités de suivi de l’accord. Cependant, je n’ai pas assisté aux négociations entre les acteurs de la médiation et mes interlocuteurs des mouvements armés. Paradoxalement, mon absence à ces moments cruciaux est heuristique car elle me permet de me départir de la question des intentions des acteurs de la médiation et, ainsi, de ne les approcher que par leurs effets.

La médiation : un dispositif de dépolitisation et une structure de concurrence

8Le dispositif mis en place par la médiation a dépolitisé le conflit à plusieurs niveaux : d’abord, par la négation des principales revendications sociales et politiques qui en étaient à l’origine : la revendication d’indépendance de l’Azawad, et la mise en place d’un État islamique ; ensuite, par un système de gratifications individuelles incitant les groupes armés à ne plus agir collectivement.

9La médiation a tout d’abord instauré une frontière entre ceux qui participaient au processus et ceux qui en étaient exclus. Les jugements normatifs auxquels ont été incités les États membres de la médiation ont joué un rôle dans cette exclusion : « Les médiateurs doivent également juger de ce qui est bon ou mauvais, juste ou injuste et légitime ou illégitime dans le processus de paix » [29]. Les mouvements islamistes (AQMI, MUJAO) ont été assimilés aux « spoilers totaux » de la typologie développée par S. Stedman, des mouvements face auxquels il faut avoir recours à la force ou – selon les termes euphémisés de cet auteur – à qui il faut imposer le « départ du train » [30]. Leur criminalisation a permis de nier leur projet politique pour in fine les exclure du processus [31], ce qui a notamment eu pour conséquence de leur permettre de se constituer en ordre social alternatif et d’étendre leurs réseaux dans la sous-région. Seule exception, Ansar Dine, un des trois mouvements ouvertement islamistes, a été accepté à la table des négociations, parce que les médiateurs ont considéré qu’il était composé d’« éléments maliens », à la différence des deux autres présentés comme étrangers. Cependant, comme la présence d’Ansar Dine aux négociations scandalisait une partie de l’opinion publique malienne, le mouvement s’est scindé : certains responsables ont formé le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA) qui a ensuite pris le nom de Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA). Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) a opéré le même type de scission et une partie de ses éléments ont intégré le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA). En supprimant toute référence à l’islam dans leur appellation, ces deux mouvements ont obtenu leur inclusion dans le processus. Les premières fragmentations sont donc issues des stratégies d’adaptation aux normes imposées par la médiation.

10Ensuite, la seconde revendication à l’origine du conflit, l’indépendance de l’Azawad, a été rapidement balayée au nom du principe de l’inviolabilité des frontières africaines. Les signataires ont témoigné du rapport de force qu’ils avaient vécu face à la communauté internationale, parlant d’un renoncement « imposé aux parties signataires par la médiation » [32]. Plusieurs témoignages ont fait état de distributions d’argent aux participants aux négociations dans les chambres d’hôtel, faisant écho à des pratiques déjà observées : « En Afghanistan, la CIA rémunère les seigneurs de guerre en dollars » [33]. L’Algérie, qui occupait une position stratégique en raison du trafic transfrontalier, la France, en raison de son poids militaire, et l’ONU, par le biais de la MINUSMA, ont exercé une pression sur les représentants du MNLA pour qu’ils mettent fin à leurs velléités indépendantistes.

11L’abandon de la lutte a imposé de nouveaux objectifs aux initiateurs du conflit : l’accès à l’État ou aux prébendes de l’international. En évacuant les deux revendications politiques du conflit, tout en proposant un système de récompenses pour les participations aux négociations, la médiation a imposé une logique clientéliste dans le cadre de laquelle ont eu lieu les scissions du Mouvement national de libération de l’Azawad. En juillet 2014, une feuille de route a été signée, actant notamment le renoncement à la revendication d’indépendantisme. L’abandon de cette cause a créé un fossé entre les dirigeants et la base militante qui s’est accentué à la signature de l’accord d’Alger en juin 2015. Dans les semaines qui ont suivi, le secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Acherif, a été reçu à Kidal par un rassemblement de militantes qui lui ont jeté des pierres. Par ailleurs, l’Union de la jeunesse de l’Azawad (UJA) a également rédigé un communiqué pour exprimer son opposition et, le 6 mars 2015, plusieurs associations et coordinations de femmes de l’Azawad ont publié un communiqué conjoint qui se terminait par la formule suivante : « Nous préférons le martyr à l’humiliation ». L’abandon de la revendication indépendantiste, particulièrement mobilisatrice dans certains milieux touareg du Nord, a radicalement transformé l’engagement des militants. Le témoignage d’un chef militaire du MNLA qui a rejoint les rangs du Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad illustre l’abandon de l’intérêt collectif et la focalisation sur des logiques plus individuelles : « Finalement, comme le MNLA a signé des accords et abandonné ses idéaux, autant aller chercher ses intérêts ailleurs » [34]. Les militants indépendantistes, quant à eux, concluaient, entre ironie et amertume, sur les réseaux sociaux : « Le problème azawadien, c’est : au début le peuple cherche l’indépendance et ses dirigeants finissent par rechercher un emploi » [35].

12Les gratifications individuelles ont fini d’annihiler le projet collectif au nom duquel le MNLA s’était formé. La médiation envisage les groupes armés comme des clientèles qu’il faut satisfaire. En ce sens, il n’est pas étonnant que des experts de la médiation réclament toujours davantage de moyens militaires et financiers pour conclure la paix [36]. Cependant, ces incitations financières sont également la raison pour laquelle, durant la première période de négociation, les combats n’ont pas cessé et ont été, pour les mouvements armés impliqués dans le processus, un moyen d’affirmer leur puissance et d’entrer dans les négociations. La difficulté pour les médiateurs à faire accepter l’accord de paix aux différentes parties en conflit a abouti à la signature d’un accord-cadre qui ébauchait « les contours d’une solution, tout en laissant beaucoup d’aspects à clarifier lors de la mise en œuvre » [37], ce qui impliquait un investissement considérable de la médiation durant tout le processus. Les quotas et les critères d’intégration des belligérants dans les forces nationales de défense et de sécurité constituaient notamment des questions cruciales et « hautement politiques » [38]. De plus, les « mécanismes de suivi prévus dans l’accord, à savoir le Comité de suivi et ses organes techniques » restaient à définir [39]. Pour les groupes armés, l’accession au processus de paix impliquait donc une nouvelle lutte qui, selon les modalités d’intégration implicites de la médiation, se gagnerait par les armes. C’est ce que m’a expliqué un combattant du MNLA lors des négociations pour l’accord de paix : « Si on respecte le cessez-le-feu et qu’on ne fait pas de combats, on ne parle plus de nous. (...) C’est grâce aux armes que nous avons ce que nous avons » [40]. Cette opinion était largement partagée dans les milieux indépendantistes : toutes les rébellions ont abouti à des intégrations dans l’État, ce que les manifestations pacifiques n’auraient jamais pu obtenir. Cet usage de la violence comme moyen d’assurer sa place au sein des négociations n’est d’ailleurs pas propre au Mali. Au Burundi par exemple, le Front national de libération (FNL) a été convié à la table des négociations immédiatement après l’attaque d’un camp de réfugiés en août 2004 qui a fait quelque 160 morts et dont le FNL avait revendiqué la responsabilité [41].

13En cinq ans, le MNLA s’est fragmenté en six mouvements : Coalition pour l’Azawad (CPA), Front populaire de l’Azawad (FPA), Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), puis MSA 2 à la suite d’une scission du MSA, Congrès pour la justice dans l’Azawad (CJA) et CJA 2 issu d’une scission du CJA. La structure d’opportunités et de concurrences imposée par la médiation a créé une compétition pour les ressources entre les potentiels bénéficiaires, qui a entraîné la fragmentation des groupes et incité à la création de mouvements armés. Dès juin 2013, quelques mois après le début des négociations de Ouagadougou, un dispositif légal a été mis en place qui permettait de nouvelles inclusions [42]. L’international Peace Institute a conçu une frise montrant la « fragmentation et [la] recomposition des groupes armés dans le processus de paix » [43]. Bien que didactique, cette frise ne mentionnait pas les opportunités politiques et économiques corrélées à ces scissions. Cependant, tout semble indiquer que la multiplication des mouvements armés n’est ni aléatoire ni arbitraire. L’examen attentif des principales dates auxquelles ces mouvements se sont fragmentés révèle que les scissions ont correspondu aux périodes où le processus de médiation offrait de nouvelles ressources : le lancement des négociations (mai 2013), la signature de la feuille de route (juillet 2014) et, enfin, la mise en place des autorités intérimaires (mars-avril 2016).

14Au lancement des négociations en mai 2013, trois nouveaux mouvements ont fait leur apparition : le Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad, le Mouvement arabe de l’Azawad et le CMFPR (Coordination des mouvements et Front patriotique de résistance). Le HCUA, nous l’avons vu, était issu d’une scission d’Ansar Dine, le CMFPR était un mouvement loyaliste qui avait été intégré au processus sans avoir combattu. Le MAA, comme l’explique un de ces membres, avait été formalisé juste avant les négociations : « Le but était de commencer à s’organiser pour participer aux négociations de Ouaga[dougou] » [44]. Dans un premier temps, de nombreux conflits sont apparus au sein des mouvements armés autour de la nomination des représentants au processus de négociations. Les gratifications individuelles liées à la participation sont en effet nombreuses : voyager, prendre l’avion, dormir à l’hôtel, recevoir des per diem, prendre des selfies dans sa chambre d’hôtel ou en compagnie des « internationaux », se nourrir aux buffets de grands hôtels, rapporter des souvenirs à sa famille. La monétisation des négociations a tendance à neutraliser les débats politiques et sociaux. Au cours des négociations qui se sont tenues à Ouagadougou, une blague circulait au sujet d’un colonel qui voulait « revendre » son mouvement. Elle consistait à imiter le colonel démarchant de chambre en chambre dans les couloirs de l’hôtel, son attaché-case à la main rempli des documents de « son mouvement » comme s’il s’agissait d’une association : « Pas cher, je te fais un prix. (...) J’ai le récépissé, les statuts et tout ».

15À la signature de la feuille de route en juillet 2014, de nouvelles scissions issues du MNLA et du MAA ont rallié le gouvernement (CPA, FPA, MPSA (Mouvement populaire pour le salut de l’Azawad), MAA 2), une scission du CMFPR est devenue le CMFPR 2 et un mouvement loyaliste a fait irruption dans le processus : le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA). À cette époque, l’intégration à l’un des organes de mise en œuvre de l’accord ouvrait à une ascension économique jusque-là impensable au niveau national. Le salaire mensuel d’un membre d’une commission est de 1 400 000 FCFA et celui d’un membre permanent au Comité de suivi de l’accord (CSA) de 1 900 000 FCFA, soit respectivement 35 fois et 47 fois le salaire moyen qui était en 2019 de 40 000 FCFA. À cela s’ajoutent de nombreux avantages en nature : bons d’essence, buffets avec de la viande et des sodas, accès à une imprimante. Un de mes interlocuteurs a résumé par un dicton local cette volonté d’intégration à un mouvement qui permet d’accéder à un poste dans les commissions : « À défaut de téter sa mère, on tète sa grand-mère » [45]. Faute de ne pouvoir se nourrir de ce qui ferait le plus de bien (l’indépendance de l’Azawad), les combattants se nourrissent de ce qui reste (l’intégration à des commissions). Un membre fondateur du MAA a justifié la création du MAA 2 en reconnaissant simplement : « Au début, il y avait un seul mouvement mais, compte tenu de l’accord et des privilèges, il y a eu des divisions, chaque fraction a pris un mouvement » [46]. Et ces ressources massives qui arrivaient sur le territoire provoquaient de nombreux conflits internes. Au sein du MAA 2, le secrétaire permanent, nommé au Comité de suivi de l’accord, a subi une tentative d’assassinat à son domicile à Bamako. Peu de temps après, le motif de l’assassinat a été révélé : le secrétaire général, absent de Bamako pour cause de maladie, n’avait pas pu participer à la nomination des membres aux comités. Mécontent de sa nomination à une sous-commission, moins rémunératrice que le Comité de suivi de l’accord, il aurait tenté dans un premier temps de suspendre le secrétaire permanent de ses fonctions [47], puis de l’assassiner [48].

16Enfin, en mars-avril 2016, alors que la paix était signée depuis presque un an, l’Assemblée nationale a adopté une loi instituant des autorités intérimaires dans les collectivités territoriales du Nord qui a entraîné une fragmentation supplémentaire des mouvements issus du MNLA (MSA 1 et MSA 2, CJA 1 et CJA 2).

La fragmentation communautaire : un moyen d’accéder à l’État

17Les discussions entre personnes familiarisées avec le conflit malien s’apparentent à une jonglerie de sigles : MAA 1 et MAA 2, CJA 1 et 2, MSA 1 et 2, CMFPR 1 et 2. Pour différencier ces mouvements, les observateurs apposent souvent à ces sigles celui de la communauté qu’ils représentent : on parle du « CJA des Kel Ansar », du « GATIA des Imghads », du « MSA des Daoussahak », du « MSA des Chamanamas », du « MAA des Berrabiches »... Si aucun de ces mouvements n’est réellement homogène d’un point de vue communautaire, de nombreux groupes sociaux, fractions et territoires du Nord-Mali sont représentés par des mouvements armés dont chacun présente les mêmes caractéristiques : présence systématique d’au moins un représentant étatique (un élu local), d’un chef de fraction et d’un bailleur de fonds local (souvent un grand commerçant), et « occupation » d’un territoire défini.

18Les mouvements armés sont considérés dans le processus de médiation comme les représentants politiques des communautés qui permettent à certains membres desdites communautés de bénéficier des ressources du DDR ou de positions au sein du processus de médiation. Or la distribution de postes dans les différents organes du processus est pour les chefs de ces mouvements un moyen de se constituer une base sociale et/ou électorale. L’extraversion est accrue par l’afflux de financements et d’opportunités politiques que suscite le processus de médiation. Cette manne internationale incite les chefs de mouvements à déployer leur agenda personnel, ce qui a des implications sur le jeu politique national. Ainsi, un chef de mouvement armé peut constituer une base militante qu’il fidélise par la distribution de postes. En donnant un pouvoir économique ou politique à certains membres de leur communauté, les chefs de mouvement entendaient rehausser la position sociale locale de tout le groupe. Ce dispositif a entraîné, en fonction des contextes, une scission des groupes ou l’usage de la violence.

19Revenons à la période de nomination des autorités intérimaires qui a été particulièrement conflictuelle, car elle était considérée comme un tremplin pour être élu [49]. Un ancien membre du MNLA, faisant le point sur les dissidences du mouvement, a résumé ainsi la situation de l’époque : « Jusqu’à l’accord d’Alger, au MNLA, y avait des Idnans, des Chamanamas, des Daoussahak, des Kel Ansar... Maintenant chacun a son mouvement, et c’est les Idnans qui ont gardé le MNLA » [50]. Le « CJA des Kel Ansar », issu d’une scission du MNLA et du HCUA, a été créé lorsque la première liste de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) pour nommer les autorités intérimaires a été rendue publique (décembre 2016), les Kel Ansar étant absents de la liste. Après une négociation sur le partage des prébendes et en concertation avec un responsable du HCUA, le chef de fraction des Kel Ansar a pris l’initiative de créer le CJA afin que les Kel Ansar soient inclus dans les organes du processus [51]. Ces scissions n’étaient pas nécessairement le reflet de fractures sociales préexistantes au sein du groupe. Par exemple, Ousmane, militant de la première heure du MNLA qui a fait scission avec d’autres membres de sa famille, se définissait comme étant « du MNLA et du CJA » [52]. Son oncle, membre fondateur du CJA a expliqué : « Bon, au départ, les jeunes de notre communauté étaient dans le MNLA, et en 2015 à la signature de l’accord, les cadres ont fait des réunions, il fallait trouver un moyen de rentrer dans les différentes commissions [prévues par l’accord], avoir un mouvement, c’était le seul moyen d’être sur le terrain et de négocier avec l’État » [53].

20Outre les scissions, la période de nomination des autorités intérimaires a déclenché des violences utilisées comme instrument de négociation politique. À Tombouctou et Taoudeni, en mars 2017, des groupes armés ont interrompu le processus jusqu’à ce qu’ils obtiennent satisfaction de leurs doléances [54]. En octobre 2016, à Tombouctou, le CJA a empêché l’installation des autorités intérimaires en bloquant l’entrée de la ville jusqu’à ce qu’ils soient finalement inclus dans tous les organes de l’accord. À Taoudeni, un élu, Mohamed Taher Ould Elhadj, maire de Salam depuis 2009, 2e vice-président du conseil régional de Tombouctou et membre du MAA 2, mécontent des nominations car il n’avait pas obtenu la présidence des autorités intérimaires, « a envoyé ses jeunes attaquer le poste des FAMA [Forces armées maliennes] » [55], ce qui a eu pour effet d’annuler la procédure de mise en place des autorités intérimaires [56]. Les cérémonies d’installation des autorités intérimaires de Tombouctou et de Taoudeni ont donc été reportées à plusieurs reprises en raison de nombreuses tensions sécuritaires. En fin de compte, les deux mouvements concernés ont obtenu gain de cause : plusieurs Kel Ansar du CJA ont été nommés dans les autorités intérimaires et l’élu mécontent du MAA 2 fait désormais partie du collège transitoire qui effectue les nominations au niveau des communes et des cercles (collectivités territoriales regroupant plusieurs communes), entérinant ainsi son pouvoir politique.

21Par ailleurs, le processus électoral a entraîné une fragmentation administrative et électorale qui a changé les règles de la représentation. Les fractions, entités administratives locales qui permettent aux nomades de se faire recenser là où ils le souhaitent, ont la possibilité de se scinder si le nombre de leurs membres est supérieur à 100. Lors des élections, la fraction pouvait s’inscrire dans la commune de son choix, ce qui permettait de négocier directement avec le candidat que l’on souhaitait soutenir. Si ce dernier était affilié au parti au pouvoir, cela permettait d’accéder aux ressources étatiques croissantes durant cette période. Cependant, la multiplication des fractions a provoqué une représentation ultra fragmentée. Les rares données qu’il est possible de collecter sont édifiantes : le cercle de Goundam est passé de 85 fractions en 2008 [57] à 211 en 2017 [58] ; le seul arrondissement de Gargando est passé de 17 fractions recensées en 2012 à 64 en 2017. N’étant pas validées par des justificatifs d’identité, les listes de membres des fractions enregistrées permettaient de multiples manœuvres électorales [59]. Un résident de Gargando, commentant la liste d’une fraction récemment enregistrée dans sa localité, expliquait : « Celui-ci est mort, celui-là est en Arabie Saoudite, celle-ci en Libye...» [60]. La pratique consistant à scinder les fractions avait déjà été observée à la fin de la rébellion de 1990, alors que des élections législatives se préparaient et que des alliances politiques étaient en cours de négociation. À Kidal en particulier, le nombre de fractions était passé de 65 à 117. À l’époque, cette stratégie avait permis aux Ifoghas de Kidal non seulement d’obtenir les principaux postes politiques locaux en s’alliant avec le parti au pouvoir, mais aussi de bénéficier du plus gros quota de réintégration lors du DDR et des meilleures places dans l’armée et la fonction publique [61]. Cette dynamique s’est répétée lors de la campagne présidentielle de 2018 où des maires [62] et des chefs de fractions [63] (qui sont les équivalents des chefs de village ou de quartier pour les sédentaires) ont rallié le Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad, le mouvement armé le plus proche du parti au pouvoir (Rassemblement pour le Mali, RPM), dans l’espoir de faire bénéficier leurs communautés des meilleurs quotas lors de la réintégration. Ces ralliements, tout comme les scissions de mouvements rebelles qui ont rejoint la Plateforme loyaliste, s’expliquent par les quotas mis en place par la médiation afin de constituer les commissions : six membres nommés par les mouvements rebelles (Coordination des mouvements de l’Azawad), six membres nommés par des mouvements loyalistes (Plateforme) et huit membres nommés par le gouvernement. L’État a été fortement impliqué dans les nominations des membres de la Plateforme. Ainsi, une de mes interlocutrices, sympathisante d’un mouvement loyaliste, a été directement contactée par la sécurité intérieure afin de proposer sa candidature au Comité de suivi de l’accord [64]. Ces postes, rémunérés par des fonds internationaux, ont permis au gouvernement de coopter d’anciens rebelles et de pratiquer un clientélisme politique dans une dynamique similaire à celle observée par Sandrine Perrot lors du DDR en Ouganda [65].

22Enfin, le factionnalisme généralisé s’explique également par le fait que les chefs de fractions étaient assimilés à des autorités traditionnelles par les acteurs de la médiation. Ces derniers plébiscitent en effet « des solutions africaines aux problèmes africains », précepte qui implique la valorisation des autorités dites traditionnelles dans les divers programmes de résolution de conflit. Dès lors, le statut de chef de fraction donne accès à de nombreuses ressources économiques, symboliques, matérielles et politiques : être invité aux réunions de médiation, ce qui signifie, entre autres, recevoir des per diem, devenir l’intermédiaire privilégié des ONG, pouvoir exprimer un point de vue personnel sur la politique locale, être le relais pour la distribution de dons, notamment de vivres par les ONG : « Quand le CICR arrive, c’est deux sacs de riz par fraction » [66]. Ce procédé rappelle les pratiques de l’aide humanitaire en temps de paix, où les détenteurs locaux du pouvoir ont la capacité d’orienter les allocations de l’aide [67]. Il n’est d’ailleurs pas rare que les habitants retrouvent les dons alimentaires en vente à l’épicerie du coin. La recherche de relais communautaires pour la réalisation des programmes humanitaires qui accompagnent le processus de médiation fragmente elle aussi les populations et les associations [68]. Ainsi, à Kidal, l’association des femmes de l’Azawad s’est divisée sur le même modèle que les mouvements armés pour capter les ressources de la MINUSMA [69].

Un renforcement des rapports de domination

23En incitant les élites à déployer des stratégies d’extraversion, les dispositifs mis en place par la médiation renforcent, voire institutionnalisent les rapports de domination, contribuant ainsi à aggraver la crise à l’origine du conflit et à polariser la société. En effet, si la médiation constitue le site qui permet aux acteurs armés de convertir leur capital militaire en capital politique ou économique, cette conversion suppose des ressources antérieures au déclenchement du conflit. Comme en République centrafricaine, au Tchad et en République démocratique du Congo, les dirigeants – contrairement à leur base – ne sont pas des exclus sociaux, mais les produits d’un « recyclage de l’élite » [70]. Des travaux ont montré que les processus post-conflit contribuent à « marginaliser ceux qui [sont] censés en bénéficier » [71] et à renforcer l’élite nationale qui parvient à capter les « dividendes de la paix » [72]. Au Tchad, Marielle Debos a montré que les ex-combattants qui ont accumulé les ressources post-conflit sont ceux dont les réseaux familiaux étaient les mieux connectés à l’État avant la guerre, rappelant ainsi que « la guerre est un espace de différenciation sociale » [73]. Depuis 2014, le Mali connaît une croissance de son PIB alors même que les inégalités ne cessent de se creuser [74].

24Comme le souligne J. Faget, peu de travaux se sont penchés sur les « questions pourtant cruciales de la représentativité des participants à la médiation » [75]. Au Mali, les premiers participants appartenaient à l’élite politique du pays (le gouvernement et les élus) et aux représentants des mouvements armés. Cependant, ces deux catégories se recoupent en partie. Devenir représentant d’un mouvement armé suppose en effet d’avoir des ressources politiques, économiques et un large réseau social, ce qui correspond au profil des élites locales. Un ancien militant du MNLA à qui j’ai demandé quel était le point commun entre les chefs des mouvements armés m’a répondu : « En fait, c’est ces gens-là qui ont eu l’initiative de créer un mouvement, c’est des gens qui ont en réalité des soutiens quelque part. La preuve, on le voit, ils sont avec les MINUSMA, ils voyagent, une fois ils étaient à Bamako, une fois ils étaient à Ouaga[dougou], Niamey, Algérie, Italie, France, ils font des trucs, des assises, ils discutent. À chaque fois, parmi eux, tu vois qu’il y en a un qui a créé son groupe et il sait qu’il va être appelé par la communauté internationale, c’est-à-dire par l’ONU ou par la médiation algérienne, parce qu’ils le connaissent, ils savent qui gère le dossier, c’étaient des gens qui avaient déjà des relations, des anciens maires, des notables » [76]. Les relations avec la communauté internationale confèrent un prestige évident (voyager, être invité à des réunions). Par ailleurs, plus que les compétences militaires, ce sont le capital social (connexion à l’État, « ils avaient déjà des relations », « ils le connaissent ») et le capital politique (« des anciens maires, des notables ») qui sont valorisés... sans oublier les moyens financiers : « En effet, bien que non officielle, la vérification des moyens financiers d’un candidat est une pratique discriminatoire répandue. Selon les partis, il s’agit de vérifier que le candidat sera en mesure d’assumer en grande partie les frais de sa campagne. La possibilité de se porter candidat au sein d’un parti est souvent de facto réservée à une certaine élite » [77].

Capitaux détenus avant la guerre par les dirigeants politiques des mouvements armés issus des dissidences des mouvements dits « azawadiens »

Année de créationMouvement (affiliation)Dirigeant politiqueFonction avant 2012CapitauxDissidence du
2012MNLA (CMA)Bilal ag AcherifÉtudiant en économie en LibyeSocial et culturel
2013HCUA (CMA)Alghabass ag IntallaDéputé de Kidal, fils du chef de fractionPolitiqueAnsar Dine
MAA (CMA)Sidi Ibrahim Ould SidattiMaire de Ber, employé d’une ONGPolitique et socialMUJAO
2014MAA 2 (Plateforme)Mohamed Taher Ould El HadjMaire de Salam
2e vice-président du conseil régional de Tombouctou
Politique et socialMAA
CPA (CME)Ibrahim Ag Mohamed AssalehAncien député de BouremPolitique et socialMNLA
FPA (CME)Hassane Ag MehdiColonel de douaneMilitaire, politique et socialMNLA/MAA
MPSA (CME)Boubakar Sadeck Ould TalebEntrepreneur en travaux publics proche du gouvernement mauritanienPolitique et économiqueMNLA/ MAA/ HCUA
2016MSA (CME)Moussa ag AcharatoumaneDirigeant étudiant du MNA (regroupement d’associations estudiantines à la base du MNLA)Social à l’international et culturelMNLA
CJA (CME)Azarock ag InaborchadEmployé d’une ONG internationaleSocial et politiqueMNLA/ HCUA
MSA 2Assalat ag HabiColonel de l’armée malienneMilitaire et politiqueMSA
2017CJA 2Hamma ag MahmoudMinistre du gouvernement malienSocial et politiqueCJA
Capitaux détenus avant la guerre par les dirigeants politiques des mouvements armés issus des dissidences des mouvements dits « azawadiens »

Capitaux détenus avant la guerre par les dirigeants politiques des mouvements armés issus des dissidences des mouvements dits « azawadiens »

25Sur les 11 profils de dirigeants politiques présentés ici, cinq avaient des fonctions politiques au moment du déclenchement de la rébellion. Deux étaient dans l’armée, deux étaient des étudiants, un était entrepreneur et un était employé d’une ONG internationale. Leurs capitaux économiques, sociaux, politiques et scolaires correspondent au profil habituel des hommes politiques intégrés à la sphère étatique. Bilal ag Acherif et Moussa ag Acharatoumane font apparemment figure d’exception : plus jeunes que les autres, ils ont développé leur capital social et politique pendant la rébellion et possèdent désormais de nombreux contacts à l’international (hommes politiques français et organisations internationales). Ici, le passage à l’international est déterminant. Ce sont les mieux dotés en capitaux matériels et symboliques qui accumulent le plus les ressources mises à disposition par la médiation.

26Par ailleurs, les élections législatives et présidentielle imposées par la médiation ont institutionnalisé le pouvoir de ceux qui détenaient les armes, les autorisant ainsi à convertir leur capital militaire en capital politique. Ici encore, la situation malienne ne fait pas exception à la règle et le recours à des élections en plein conflit dans le but de maintenir ou de réinstaurer le jeu démocratique a généralement contribué à entériner « des institutions et des dirigeants en temps de guerre (par exemple, l’Angola en 1992, le Rwanda en 1994 et le Liberia en 1997) » [78]. En 2013, l’année du lancement des négociations de paix, la médiation a imposé une élection présidentielle, comme condition sine qua non pour entamer le processus. Ces élections (législatives et présidentielle) se sont déroulées dans un contexte d’insécurité extrême qui a favorisé les candidats ayant le soutien des mouvements armés dans la zone où devaient se déplacer les électeurs. Des chefs militaires rebelles ont cumulé les mandats et ont accédé à un statut d’élu. De nombreux témoignages font état du difficile accès aux cartes d’électeurs (camps de réfugiés et localités isolées des grandes villes au Nord) et, pour ceux qui avaient pu les obtenir, des risques d’arrestation auxquels les exposait le seul fait de se rendre aux bureaux de vote.

27Lors des élections législatives de 2013, plusieurs membres actifs de mouvements armés se sont présentés et ont été élus sous la bannière du parti au pouvoir (RPM) : Mohamed ag Intalla, fils de l’Amenokal des Ifoghas, membre d’Ansar Dine et fondateur du Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad, devenu député RPM de Tin Essako ; Ahmada ag Bibi, ancien membre d’Ansar Dine, puis du HCUA, devenu député RPM d’Abeibara ; ould Matally, membre influent du MAA, redevenu député RPM de Bourem (il avait effectué un mandat de 1992 à 1997 mais n’avait pas été réélu). En plus de consacrer politiquement les chefs les plus puissants militairement, la médiation a légitimé les acteurs ayant appartenu à des mouvements islamistes, alors même qu’elle prétendait les exclure [79].

28En 2018, une nouvelle élection présidentielle a été organisée. Pendant la campagne électorale, de nombreuses tractations ont eu lieu entre le gouvernement et les chefs de mouvements sur le rôle de ces derniers pour assurer la sécurité du scrutin [80]. Dans une logique clientéliste, les représentants des mouvements armés qui ont accepté ce rôle sécuritaire ont dans le même temps accepté de donner des consignes de vote en échange de promesses de postes au sein de l’armée et de la fonction publique dans le cadre de la réintégration des combattants. Un chef de mouvement, devenu loyaliste après sa scission du MNLA, me l’a confirmé en ces termes : « Il vaut mieux travailler avec un diable qu’on connaît [rires], IBK [Ibrahim Boubacar Keita] nous a fait des promesses, le prochain on ne sait pas ! » [81]. Les résultats de l’élection présidentielle de 2018 dans les zones où étaient présents les mouvements armés sont sans équivoque : à Gao, Menaka, Taoudeni et Kidal, 95 % des votants ont donné leurs voix au président sortant, Ibrahim Boubacar Keita. Des morts lui ont également donné leurs voix, ce qui ne semble pas avoir dérangé la communauté internationale présente pour les observations du vote [82].

29Le principal critère d’accès à un poste au sein des organes du processus est le lien de proximité avec le chef du mouvement, seul détenteur du pouvoir d’inscrire « ses gens » sur la liste. Dès lors, le capital social et en particulier les liens familiaux sont primordiaux au moment des nominations et renforcent les inégalités au sein de la société : les familles les plus diplômées, les mieux dotées économiquement et les plus connectées à l’État central trouvent leur place au sein des commissions. Une jeune femme et son frère originaires du Nord mais n’ayant jamais vécu dans cette région et n’ayant jamais participé à la rébellion ont été propulsés, respectivement, à la commission de Sécurité et à la commission Justice, Vérité et Réconciliation parce que leur oncle était à la tête d’un mouvement loyaliste. Malgré sa méconnaissance totale – et avouée – des réalités de terrain dans le Nord et des questions sécuritaires, la jeune femme a renforcé sa position sociale, tandis que son frère, absentéiste notoire, comme sa sœur, de la commission pour laquelle il n’a aucune compétence, a obtenu grâce à sa nomination les moyens financiers de se marier. Par le biais des dispositifs mis en place par la médiation, ces deux jeunes issus d’une grande famille connectée à l’État central (postes dans l’administration, un membre de la famille employé par les ambassades) ont pu asseoir leur statut économique et social et maintenir un niveau de vie largement au-dessus de la moyenne des jeunes Bamakois. Cet exemple montre que l’accès à une commission mise en place par la médiation dépend plus de la proximité avec l’État que de l’engagement dans le conflit. En renforçant l’accumulation par les élites d’avant-guerre, le dispositif de médiation a accentué les rapports de domination et de dépendance.

30Enfin, si la centralisation à Bamako des services qui accueillent les nombreuses ONG liées à la médiation crée de nouveaux emplois pour les habitants (chauffeurs, cuisiniers, gardiens, femmes de ménage), l’enrichissement des élites se fait sur fond de crise humanitaire et de dégradation de l’accès aux premiers soins, à l’éducation et aux biens de première nécessité. Le dernier bulletin du Bureau de la coordination humanitaire (OCHA) fait état de 3,4 millions de personnes affectées par l’insécurité alimentaire (le taux de malnutrition aigüe est plus sévère dans le nord du pays), le nombre de déplacés internes ne cesse d’augmenter, un centre de santé sur quatre n’est pas fonctionnel dans le nord du pays, 257 000 enfants sont privés d’école [83]. Parmi mes enquêtés, de nombreuses familles retournent régulièrement dans les camps de réfugiés pour que les enfants puissent suivre une scolarité. En avril 2019, le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) a comptabilisé 138 500 réfugiés, répartis entre le Burkina Faso, le Niger et la Mauritanie [84], auxquels s’ajoutent les nombreuses personnes qui ne sont pas enregistrées ou font des allers et retours fréquents, et celles qui vivent dans les pays dépourvus de structures d’enregistrement comme l’Algérie. En somme, cette marchandisation de la paix n’a fait que reléguer au second plan les causes structurelles du conflit [85].

31Le processus de médiation produit des dispositifs d’incitation à l’usage de la violence et contribue à aggraver les inégalités qui constituaient en partie les causes initiales du conflit. Dès lors, comment expliquer la récurrence de pratiques qui aggravent manifestement les problèmes qu’elles sont censées résoudre ? Une première réponse possible est la façon dont sont conçues les recommandations aux médiateurs. La littérature la plus influente est largement produite par des chercheurs qui sont directement impliqués dans ou subventionnés par les organisations privées ou internationales investies dans la médiation. D’ailleurs, les bailleurs qui financent leurs travaux sont aussi, en général, ceux qui rétribuent les dirigeants des mouvements armés, et les modalités sont les mêmes (salaires mirobolants, per diem, avantages en nature). Les rapports du groupe d’experts de l’ONU sur le Mali, directement inspirés de la théorie des spoilers, en sont un exemple paradigmatique [86]. Dans une logique de « carottes et de bâtons pour récompenser ou punir le fauteur de trouble » [87], ils s’évertuent à identifier les individus qui bloquent le processus pour les sanctionner (exclusion de la médiation, gel des avoirs, interdiction de voyager), insinuant ainsi que, si ces spoilers sont neutralisés, la paix sera enfin possible. Le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un think tank influent aux États-Unis, promeut lui aussi un usage plus intensif « de la carotte et du bâton » afin d’accélérer la mise en œuvre du processus au Mali [88]. Il faut prendre la mesure de l’animalisation qu’insinue le registre récurrent du dressage dans l’incapacité à penser les mouvements armés et leurs revendications sociopolitiques.

32Une autre réponse possible est que les acteurs qui animent le processus ont des intérêts matériels à sa perpétuation indépendamment de son succès. Si l’« avidité » des rebelles est encore mobilisée par divers experts et chercheurs, la logique marchande des agences de médiation est plus rarement soulignée. Pourtant, des travaux ont montré que les agences internationales spécialisées dans le post-conflit utilisent leurs connaissances non seulement pour réduire les risques de conflit, mais aussi pour étendre leur mandat et leur expertise dans le domaine du post-conflit, et constituer ainsi un oligopole [89]. Le compte exhaustif des agences internationales qui gèrent les réformes et l’accompagnement post-conflits permet de le constater : en 2004, six agences internationales seulement se partageaient la mise en place des DDR, six également menaient les réformes du secteur de la sécurité, neuf géraient les réfugiés et déplacés et six travaillaient dans le secteur de la santé [90]. En définitive, les nombreuses similitudes avec d’autres processus de paix, ou les comparaisons récurrentes entre les situations malienne et afghane, s’expliqueraient plus par les dispositifs internationaux de gestion de conflit que par des analogies entre les contextes initiaux. Il faut donc continuer à explorer l’hypothèse selon laquelle les aspects spontanément ramenés à des spécificités locales sont en fait le produit de contraintes internationales qui façonnent les guerres civiles contemporaines [91].

Notes

  • [1]
    Séverine Autesserre, « Construire la paix : conceptions collectives de son établissement, de son maintien et de sa consolidation », Critique internationale, 51, 2011, p. 153.
  • [2]
    Charles Tenenbaum, « La médiation des organisations intergouvernementales », dans Guillaume Devin (dir.), Faire la paix, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 107-108.
  • [3]
    Pour une analyse critique des DDR, voir Magali Chelpi-den Hamer, « Le mythe du jeune désœuvré. Analyse des interventions DDR en Côte d’Ivoire », Afrique contemporaine, 232 (4), 2009, p. 39-55 ; Louisa Lombard, « Rébellion et limites de la consolidation de la paix en République centrafricaine », Politique africaine, 125 (1), 2012, p. 189-208.
  • [4]
    Sandrine Lefranc, « Convertir le grand nombre à la paix... Une ingénierie internationale de pacification », Politix, 80 (4), 2007, p. 7-29 ; S. Lefranc, « Du droit à la paix. La circulation des techniques internationales de pacification par le bas », Actes de la recherche en sciences sociales, 174 (4), 2008, p. 48-67.
  • [5]
    Jacques Faget, « Les métamorphoses du travail de paix. État des travaux sur la médiation dans les conflits politiques violents », Revue française de science politique, 58 (2), 2008, p. 315.
  • [6]
    S. Autesserre, « Construire la paix : conceptions collectives de son établissement, de son maintien et de sa consolidation », art. cité ; J. Faget, « Les métamorphoses du travail de paix. État des travaux sur la médiation dans les conflits politiques violents », art. cité ; S. Lefranc, « Pacifier, scientifiquement. Les ONG spécialisées dans la résolution des conflits », dans Marc Le Pape, Johanna Siméant, Claudine Vidal (dir.), Crises extrêmes. Face aux massacres, aux guerres civiles et aux génocides, Parsi, La Découverte, 2006, p. 238-254.
  • [7]
    Asaf Siniver, « Power, Impartiality and Timing : Three Hypotheses on Third Party Mediation in the Middle East », Political Studies, 54 (4), 2006, p. 806-826, cité dans J. Faget, « Les métamorphoses du travail de paix. État des travaux sur la médiation dans les conflits politiques violents », art. cité, p. 321.
  • [8]
    Pour une revue de la littérature sur la prévention et la résolution des conflits dans une perspective rationaliste, voir Andrew H. Kydd, « Rationalist Approaches to Conflict Prevention and Resolution », Annual Review of Political Science, 13 (1), 2010, p. 101-121.
  • [9]
    Roland Paris, At War’s End. Building Peace after Civil Conflict, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ; Alex de Waal, The Real Politics of the Horn of Africa : Money, War and the Business of Power, Cambridge, Polity Press, 2015 ; Olivier Richmond, « Devious Objectives and the Disputants View of International Mediation. A Theoretical Framework », Journal of Peace Research, 35 (6), 1998, p. 707-722. Pour une perspective critique, voir Christopher Cramer, « Homo Economicus Goes to War : Methodological Individualism, Rational Choice and the Political Economy of War », World Development, 30 (11), 2002, p. 1845-1864.
  • [10]
    Paul Collier, « Doing Well out of War : An Economic Perspective », dans Mats Berdal, David M. Malone (eds), Greed and Grievance : Economic Agendas of Civil Wars, Boulder, Lynne Rienner, 2000, p. 91-111. Pour une critique du paradigme de l’avidité des rebelles, voir Roland Marchal, Christine Messiant, « De l’avidité des rebelles. L’analyse économique de la guerre civile selon Paul Collier », Critique internationale, 16 (3), 2002, p. 58-69.
  • [11]
    A. de Waal, The Real Politics of the Horn of Africa : Money, War and the Business of Power, op. cit. Pour une critique, voir Gérard Prunier, « The Real Politics of the Horn of Africa : Money, War and the Business of Power, by Alex de Waal », The Journal of the Middle East and Africa, 7 (2), 2016, p. 235-238.
  • [12]
    A. de Waal, « Comprendre le clientélisme politique », Le Débat, 162 (5), 2010, p. 97.
  • [13]
    J. Faget, « Les métamorphoses du travail de paix. État des travaux sur la médiation dans les conflits politiques violents », art. cité, p. 317.
  • [14]
    O. Richmond, « Devious Objectives and the Disputants View of International Mediation. A Theoretical Framework », art. cité.
  • [15]
    Stephen John Stedman, « Spoilers Problems in Peace Processes », International Security, 22 (2), 1997, p. 5-53. L’auteur crée une typologie de ces fauteurs de troubles (spoilers) afin de proposer trois solutions pour les neutraliser : l’incitation, la socialisation et la coercition.
  • [16]
    Denis M. Tull, Andreas Mehler, « The Hidden Costs of Power-Sharing : Reproducing Insurgent Violence in Africa », African Affairs, 104 (416), 2005, p. 377.
  • [17]
    David Ambrosetti, « Urgences et normalités de gestionnaires face aux violences “des autres”. L’ONU et le Soudan », Actes de la recherche en sciences sociales, 174 (4), 2008, p. 81-99.
  • [18]
    Pierre Englebert, Denis M. Tull, « Postconflict Reconstruction in Africa : Flawed Ideas about Failed States », International Security, 32 (4), 2008, p. 106-139.
  • [19]
    Jean-François Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, 5, 1999, p. 97-120.
  • [20]
    Nathalie Duclos, Courtiers de la paix. Les vétérans au cœur du statebuilding international au Kosovo, Paris, CNRS Éditions, 2018.
  • [21]
    Alex Veit, « International Intervention and the Congolese Army. The Paradox of Intermediary Rule », dans Berit Bliesemann de Guevara (ed.), Statebuilding and Stateformation : The Political Sociology of Intervention, Londres, Routledge, 2012, p. 40-56.
  • [22]
    S. Lefranc, « Convertir le grand nombre à la paix... Une ingénierie internationale de pacification », art. cité, p. 11.
  • [23]
    L. Lombard, « Rébellion et limites de la consolidation de la paix en République centrafricaine », art. cité ; D. M. Tull, A. Mehler, « The Hidden Costs of Power-Sharing : Reproducing Insurgent Violence in Africa », art. cité, p. 375-398.
  • [24]
    Pour un paradigme approchant ainsi les conflits armés, voir Adam Baczko, Gilles Dorronsoro, « Pour une approche sociologique des guerres civiles », Revue française de science politique, 67 (2), 2017, p. 309-327.
  • [25]
    La médiation est prise en charge par l’Algérie (chef de file), le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger, le Tchad, la CEDEAO et l’ONU, ainsi que l’Organisation de la coopération islamique, l’Union africaine et l’Union européenne.
  • [26]
    Une large partie de la littérature s’est attachée à évaluer les succès et les échecs des médiations. Pour une analyse critique de cette conception, voir N. Duclos, Courtiers de la paix. Les vétérans au cœur du statebuilding international au Kosovo, op. cit.
  • [27]
    J’utilise cette expression en référence au texte de Bernard Lahire, « Champ, hors-champ, contrechamp », dans Bernard Lahire (dir.), Le travail sociologique de Pierre Bourdieu. Dettes et critiques, Paris, La Découverte, 2001, p. 23-57.
  • [28]
    Ces entretiens ont été principalement conduits en français. Lorsque cela était nécessaire, ils ont été conduits en tamasheq avec l’aide d’interprètes non professionnels. Ils ont été par ailleurs anonymisés. Les citations mobilisées sont traduites par mes soins.
  • [29]
    S. J. Stedman, « Spoilers Problems in Peace Processes », art. cité, p. 53.
  • [30]
    Ibid., p. 14.
  • [31]
    Sur ce même mécanisme de criminalisation à des fins de dépolitisation en Ouganda, voir Sandrine Perrot, « Les sources de l’incompréhension. Production et circulation des savoirs sur la Lord’s Resistance Army », Politique africaine, 112 (4), 2008, p. 140-159.
  • [32]
    Charles Grémont, « Dans le piège des offres de violence. Concurrences, protections et représailles dans la région de Ménaka (Nord-Mali, 2000-2018) », Hérodote, 172 (1), 2019, p. 46.
  • [33]
    A. de Waal, « Comprendre le clientélisme politique », art. cité, p. 101.
  • [34]
    Entretien avec un chef d’unité du MNLA passé au HCUA, Bamako, mai 2017.
  • [35]
    Publié sur le réseau social Facebook à plusieurs reprises par les militants azawadiens à la suite de la signature de l’accord.
  • [36]
    Wasim Mir, Financing UN Peacekeeping : Avoiding Another Crisis, New York, International Peace Institute, 2019.
  • [37]
    Arthur Boutellis, Marie-Joëlle Zahar, Un processus en quête de paix. Les enseignements tirés de l’accord intermalien, New York, International Peace Institute, 2018, p. 26.
  • [38]
    S. Perrot, « Les meilleurs ennemis de Museveni. Dilemmes et usages politiques de la réintégration des anciens commandants de la Lord’s Resistance Army (LRA) au nord de l’Ouganda », dans N. Duclos (dir.), L’adieu aux armes ? Parcours d’anciens combattants, Paris, Karthala, 2010, p. 294.
  • [39]
    A. Boutellis, M. J. Zahar, Un processus en quête de paix. Les enseignements tirés de l’accord intermalien, op. cit., p. 42.
  • [40]
    Entretien avec un membre du MNLA, Rabat, avril 2016.
  • [41]
    D. M. Tull, A. Mehler, « The Hidden Costs of Power-Sharing : Reproducing Insurgent Violence in Africa », art. cité, p. 390.
  • [42]
    Article 24. Depuis l’Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix signé à Ouagadougou le 18 juin 2013, l’inclusion de mouvements n’ayant pas participé à la négociation est légale http://peacemaker.un.org/mali-accord-preliminaire-elections2013.
  • [43]
    A. Boutellis, M. J. Zahar, Un processus en quête de paix. Les enseignements tirés de l’accord intermalien, op. cit., p. 32.
  • [44]
    Entretien avec un membre du MAA passé au MAA 2, Bamako, mai 2018.
  • [45]
    Entretien avec un ancien militant du MNLA, passé au CJA et actuellement membre de la commission DDR au niveau national, Bamako, mai 2017.
  • [46]
    Entretien avec un membre permanent du CSA, Bamako, avril 2017.
  • [47]
  • [48]
  • [49]
    Adib Bencherif, « Le Mali post “Accords d’Alger” : une période intérimaire entre conflit et négociations », Politique africaine, 150 (2), 2018, p. 191.
  • [50]
    Entretien avec un membre du MNLA puis du CJA, Bamako, avril 2017.
  • [51]
    Denia Chebli, « La révolte en héritage. Militantisme en famille et fragmentation au Nord-Mali (MNLA) », Cahiers d’études africaines, 234 (2), 2019, p. 477.
  • [52]
    Entretien avec un jeune membre du MNLA puis du CJA, Bamako, mai 2018.
  • [53]
    Entretien avec un cadre du CJA, Bamako, mai 2018.
  • [54]
    La façon dont la pression a été exercée par les mouvements armés au niveau de la médiation renseigne sur une forme de division du travail de négociation. Certes, les décisions finales étaient prises depuis Bamako, mais les représentants des mouvements, qui participaient en toute courtoisie aux nombreuses réunions de la médiation, donnaient en parallèle des ordres à leur base armée sur le terrain pour être en meilleure position de négocier. En retour, les hommes sur le terrain avaient le pouvoir de se faire entendre à Bamako.
  • [55]
    Entretien avec un membre du MAA 2, Bamako, mai 2018.
  • [56]
  • [57]
  • [58]
  • [59]
    Il n’y a aucun registre centralisé des fractions créées pendant le conflit. Ce sont des individus (préfets et sous-préfets) parfois en exil qui les enregistrent.
  • [60]
    Entretien, Bamako, mai 2017.
  • [61]
    Georg Klute, « De la chefferie administrative à la parasouveraineté régionale », dans André Bourgeot (dir.), Horizons nomades en Afrique sahélienne. Sociétés, développement et démocratie, Paris, Karthala, 1999, p. 174.
  • [62]
    Par exemple le maire de Gossi, le maire de Rarhous et l’adjoint au maire de Lafia.
  • [63]
    Siguidi ag Ma Dit, un « influent » chef de la tribu Idoguiritan a quitté le MSA pour rejoindre le HCUA (communiqué de la CMA du 16 mai 2018).
  • [64]
    Entretien avec une membre du GATIA, Bamako, avril 2017.
  • [65]
    S. Perrot, « Les meilleurs ennemis de Museveni. Dilemmes et usages politiques de la réintégration des anciens commandants de la Lord’s Resistance Army (LRA) au nord de l’Ouganda », cité, p. 265-295.
  • [66]
    Entretien avec un gendarme de Gargando, Bamako, mai 2017.
  • [67]
    Dorothea Hilhorst, Bram J. Jansen, « Humanitarian Space as Arena : A Perspective on the Everyday Politics of Aid », Development and Change, 41 (6), 2010, p. 1136.
  • [68]
    Pour une analyse critique et édifiante de la mise en application des outils de pacification par le bas au Mali, voir Ferdaous Bouhlel, « Les rencontres intercommunautaires comme outil de “pacification par le bas” au Mali. Croyances, usages et limites d’une politique de substitution (1990-2019) », Afrique contemporaine, 267-268 (3), 2018, p. 67-88.
  • [69]
    Entretiens avec diverses représentantes d’associations des femmes de l’Azawad ainsi qu’avec le chef politique de la MINUSMA à Kidal, Bamako, mai 2017.
  • [70]
    D. M. Tull, A. Mehler, « The Hidden Costs of Power-Sharing : Reproducing Insurgent Violence in Africa », art. cité, p. 378.
  • [71]
    L. Lombard, « Rébellion et limites de la consolidation de la paix en République centrafricaine », art. cité, p. 202.
  • [72]
    Ricardo Soares de Oliveira, « Illiberal Peacebuilding in Angola », The Journal of Modern African Studies », 49 (2), 2011, p. 308.
  • [73]
    Marielle Debos, « Les limites de l’accumulation par les armes. Itinéraires d’ex-combattants au Tchad », Politique africaine, 109 (1), 2008, p. 167.
  • [74]
    Bâtir un avenir partagé, rapport annuel 2018 du FMI, Washington, FMI, 2018.
  • [75]
    J. Faget, « Les métamorphoses du travail de paix. État des travaux sur la médiation dans les conflits politiques violents », art. cité, p. 317.
  • [76]
    Entretien avec un militant du MNLA, Nouakchott, février 2015.
  • [77]
    Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Mali. Rapport final - Élections législatives 2013 http://www.eods.eu/library/EUEOM%20FR%20MALI%20PARLIAMENTARY%2013.02.2014_fr.pdf, p. 8.
  • [78]
    P. Englebert, D. M. Tull, « Postconflict Reconstruction in Africa : Flawed Ideas about Failed States », art. cité, p. 134.
  • [79]
    En ce qui concerne Ahmed ag Bibi et Mohamed ag Intalla, « les mandats d’arrêts qui pesaient sur eux avaient été levés par l’arrêt no 755 du 14 octobre 2013 de la Cour d’appel de Bamako ». Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Mali. Rapport final - Élections législatives 2013 http://www.eods.eu/library/EUEOM%20FR%20MALI%20PARLIAMENTARY%2013.02.2014_fr.pdf, p. 9.
  • [80]
    Entretiens avec différents représentants de mouvements (HCUA, MAA, MNLA, CJA), Bamako, mai 2018.
  • [81]
    Entretien avec un chef de mouvement, Paris, février 2019.
  • [82]
  • [83]
  • [84]
  • [85]
    F. Bouhlel, « Les rencontres intercommunautaires comme outil de “pacification par le bas” au Mali. Croyances, usages et limites d’une politique de substitution (1990-2019) », art. cité.
  • [86]
    Rapport final du Groupe d’experts créé en application de la résolution 2374 (2017) du Conseil de sécurité sur le Mali du 8 août 2018, et Rapport final du Groupe d’experts créé en application de la résolution 2374 (2017) du Conseil de sécurité sur le Mali et reconduit par la résolution 2432 (2018) du 6 août 2019.
  • [87]
    S. J. Stedman, « Spoilers Problems in Peace Processes », art. cité, p. 13.
  • [88]
  • [89]
    Michael Barnett, Hunjoon Kim, Madalene O’Donnel, Laura Sitea, « Peacebuilding : What Is in a Name ? », Global Governance, 13 (1), 2007, p. 48.
  • [90]
    Susan L. Woodward, « Peace Operations : The Civilian Dimension, Accounting for UNDP and the UN Specialized Agencies », Discussion Paper, Copenhagen Seminar on Civilian Capacity for Crisis Management, 8-9 juin 2004, cité dans M. Barnett, H. Kim, M. O’Donnel, L. Sitea, « Peacebuilding : What Is in a Name ? », art. cité, p. 48. Selon cette logique de marché, il n’était pas étonnant de rencontrer des représentants de la Fondation Dassault au Forum sur la Paix de Paris en 2019.
  • [91]
    Ce texte doit beaucoup aux commentaires des participantes et participants au panel ST 15 « Faire la paix » de l’AFSP 2019, au séminaire « Arpenter le politique » de l’ENS (mars 2019) et au séminaire de l’ERC « Social Dynamics of Civil Wars » à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (mai 2019). Pour leurs réflexions, je remercie Gilles Bertrand, Anastasia Fomitchova, Paul Grassin, Medhi Labzaé, Cléa Pineau, Camille Popineau, Arthur Quesnay, Candice Raymond, Mathilde Tarif, Charles Tenenbaum, Guillaume Vadot, Anne-Marine Vannier et Emmanuelle Veuillet. Merci également à Adam Baczko, Nathalie Duclos, Gilles Dorronsoro, Johanna Siméant-Germanos ainsi qu’aux évaluateurs et évaluatrices anonymes et à Catherine Burucoa de Critique internationale pour leurs relectures attentives. Cette recherche a été financée par l’European Research Council (ERC) dans le cadre du programme de l’Union européenne Horizon 2020 (Financement no 669690).
Français

Pourquoi le processus de médiation au Mali s’est-il accompagné d’une fragmentation des mouvements armés, en principe engagés sur la voie de la réconciliation ? À rebours des théories économiques sur les guerres civiles, je propose de renverser la proposition centrale qui veut que la médiation soit instrumentalisée par les acteurs : ce ne sont pas les belligérants qui font échouer les négociations par leur rationalité égoïste, ce sont les dispositifs mis en place par la médiation qui, de façon endogène, créent les conditions de la perpétuation du conflit armé. La conviction des médiateurs selon laquelle les ressources économiques permettent de réussir la paix aboutit à la mise en place d’un dispositif qui instaure un système de récompenses pour ceux qui ont fait ou font encore usage de la violence. La médiation constitue alors un site de conversion du capital militaire en capital politique ou économique. Ces gratifications individuelles incitent les groupes armés à ne plus agir collectivement, et créent un système d’appel d’offres où la violence devient un moyen d’accéder à l’État et aux prébendes de l’international. En définitive, ces dispositifs renforcent, voire institutionnalisent les rapports de domination, contribuant ainsi à aggraver la crise à l’origine du conflit.

Denia Chebli
doctorante en science politique au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP) de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et membre de l’ERC Social Dynamics of Civil Wars. Elle travaille sur les processus de mobilisations qui ont abouti à la guerre civile au Mali, ainsi que sur les transformations politiques des mouvements armés durant le conflit et le processus de paix. Elle a récemment publié « La révolte en héritage. Militantisme en famille et fragmentation au Nord-Mali (MNLA) », Cahiers d’études africaines (234 (2), 2019, p. 453-481).
denia.chebli@gmail.com
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 21/09/2020
https://doi.org/10.3917/crii.088.0009
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