CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Sur le tableau blanc d’une des salles du ministère équatorien de l’Environnement où je conduis un entretien avec un ingénieur en octobre 2017 figure une liste de sujets à traiter, avec les modalités de leur opérationnalisation. L’un de ces sujets est : « Mise en œuvre du COA : demander à GIZ, FAO, TNC » [1]. J’en déduis que ce ministère élabore et met en œuvre ses politiques environnementales, en l’occurrence le Code organique environnemental (Código Orgánico Ambiental, voté en 2017), conjointement avec une agence bilatérale allemande, la Société de coopération internationale (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeiz, GIZ), une institution onusienne, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et une ONG internationale, La Conservation de la nature (The Nature Conservancy, TNC). Cependant, outre la confirmation des constats relatifs à l’action publique multiniveau dans les pays receveurs de coopération internationale [2], cette formulation indique que les pratiques liées à ce type d’action publique ne se limitent pas à des transferts de ressources ou à la diffusion de normes et de pratiques. De fait, l’appropriation de ces dernières repose sur des collaborations au quotidien entre les agents de l’État et les employé·es de la coopération internationale, ce qui renvoie aux spécificités des processus de formation de l’État dans le secteur environnemental, ce dernier ayant la double particularité d’être récent et internationalisé.

2L’internationalisation de l’action publique a été analysée sous différents angles. À l’échelle macro, les relations internationales et la sociologie des organisations internationales ont mis en lumière les jeux d’échelles et d’alliances et leurs conséquences ambivalentes sur la formation des États [3], notamment en termes de dépolitisation des institutions derrière un discours qualifié de technique et d’expert [4]. À l’inverse, à l’échelle micro, l’anthropologie du développement a montré comment les pratiques des employé·es de la coopération internationale permettaient de constater une certaine fragmentation de l’État [5]. Loin de voir là un mouvement vertical d’imposition de normes, la littérature existante a montré toutes les nuances entre réinterprétations, réappropriations, voire résistances, qui apparaissent au contact de ces « bonnes pratiques » définies au sein de l’arène internationale [6]. Elle a souligné également leurs conséquences sur la formation de différents secteurs de l’État historiquement receveurs de coopération internationale comme la santé ou l’éducation [7]. Bien que les dynamiques ne soient pas réductibles à une imposition du haut vers le bas, ces constats rejoignent les travaux sur l’action publique libérale qui montrent comment la dépendance aux financements de la coopération internationale transforme l’action publique en la privatisant, ce qui entraîne un désengagement de l’État [8]. Afin de trouver un équilibre entre les échelles micro et macro des études existantes, et pour poursuivre le questionnement engagé sur la formation des États dans des secteurs receveurs de coopération internationale [9], en somme pour « localiser l’international » [10], je propose de porter le regard sur les trajectoires et les pratiques ordinaires des acteurs travaillant au ministère de l’Environnement à Quito en Équateur, et dans les directions provinciales, ainsi que sur celles de leurs partenaires des organisations internationales. Cette démarche permet d’observer les administrations publiques par le bas, en appliquant l’étude de la street-level bureaucracy[11] à toutes celles et ceux qui construisent le secteur environnemental au quotidien, les agents de l’État comme les employé·es de la coopération internationale.

3De plus, cette démarche permet d’analyser les spécificités de la formation de ce secteur de l’État équatorien. En effet, la question environnementale dans ce pays a été saisie soit sous l’angle de l’action collective [12], soit sous l’angle de la rhétorique et du positionnement de Rafael Correa [13], président charismatique issu de la « vague de gauche » des années 2000 en Amérique latine. Durant toute cette décennie, le concept de Buen Vivir, constitutionnalisé sous les gouvernements de Rafael Correa (2007-2017) et d’Evo Morales en Bolivie (2006-2019), a constitué le point d’ancrage d’une proposition de refonte en profondeur du système politique vers un modèle décolonial et environnementaliste. Au-delà des changements survenus à la tête de l’État et des usages symboliques, voire électoralistes des politiques environnementales [14], ma démarche permet de saisir le sens et la réalité des changements intervenus plus généralement en Équateur à partir de 2007, tout en évitant de porter la focale sur les conflits socio-environnementaux déjà bien connus. En outre, cette perspective, « qu’on pourrait qualifier de “réaliste” en ce qu’elle refuse une approche normative et essentialiste » [15] de l’État, amène à penser la formation de celui-ci comme un processus résultant de luttes pour sa définition, un construit social historique dont le secteur environnemental serait une nouvelle composante, lui-même espace de rapports de force mouvants et de configurations instables.

4Les premières aires protégées en Équateur apparaissent dans les années 1970, mais le ministère de l’Environnement n’est créé qu’en 1996 sous la présidence d’Abdalá Bucaram. En 2007, le mouvement politique Alianza País arrivé au pouvoir propose de marquer une rupture. La Révolution citoyenne dirigée par R. Correa est un projet politique à la fois anti-impérialiste et écologiste. C’est pourquoi, au cours de ses deux premiers mandats, entre 2007 et 2013, de nouvelles institutions de contrôle de la coopération internationale sont créées, comme le Secrétariat d’État technique de coopération internationale (Seteci, Secretaría técnica de cooperación internacional), et des projets environnementalistes de grande ampleur, comme le très médiatisé Yasuni ITT [16], sont lancés. Avec la réforme de la Constitution en 2008, le Buen Vivir et les droits de la nature sont constitutionnalisés pour marquer une volonté de refonder l’État en profondeur sur un modèle post-développementaliste et décolonial [17]. Cependant, ces changements institutionnels dans le secteur environnemental sont également le résultat de dynamiques historiques de moyenne durée, indépendantes des changements à la tête de l’État. Son internationalisation et son renforcement récents reposent donc sur l’association d’un discours radicalement anti-impérialiste porté par le gouvernement et de politiques environnementales fortement influencées depuis la création de ses institutions par les organisations internationales en termes de normes et de pratiques. Pour comprendre la façon dont le secteur environnemental équatorien s’est formé avec la présence étrangère et enrichir le questionnement sur l’action publique induite au contact d’organismes internationaux, je m’intéresserai d’abord aux trajectoires des professionnel·les de l’environnement dans ce pays, et analyserai ensuite leurs pratiques dans la construction et la mise en œuvre des politiques environnementales.

Encadré 1. Méthodologie

J’ai tout d’abord mené une enquête de terrain de six mois en 2017, principalement à Quito, où j’ai réalisé 38 entretiens semi-directifs avec des employé·es d’ONG, des militant·es environnementalistes, des personnels d’agences bilatérales de développement de différents pays européens, des personnels d’agences multilatérales et d’agences onusiennes, des fonctionnaires de plusieurs ministères (de l’Agriculture, des Affaires étrangères, de l’Environnement, de la Banque centrale équatorienne), et des fonctionnaires locaux dans des administrations décentralisées et déconcentrées. Ces entretiens m’ont permis de construire une cartographie des acteurs à l’échelle nationale et d’étudier, d’une part, les logiques de fonctionnement de la coopération internationale en Équateur, d’autre part, celles propres aux enjeux environnementaux. Ils m’ont également permis de comprendre à quels moments les acteurs de la coopération internationale croisaient les agents de l’État et d’analyser les stratégies d’alliances et les articulations entres les niveaux d’action. Au cours de mon second séjour de recherche, entre juin et décembre 2018, j’ai suivi l’équipe du ministère de l’Environnement à la Direction provinciale de l’Environnement de Chimborazo (Dirección Provincial del Ambiente de Chimborazo, DPACH) qui a sous sa tutelle la gestion du parc national Sangay (une des plus grandes aires protégées du pays avec ses 502 105 hectares de superficie [18]) et celle de la réserve de production de faune de Chimborazo (Reserva de Producción de Fauna de Chimborazo, RPFCH) qui a attiré 123 759 visiteurs en 2018 [19]. Là, j’ai mené un suivi des activités quotidiennes des agents de l’État et des employés de l’agence de coopération bilatérale allemande, la GIZ, très présents dans cette région.

Qui sont les professionnel·les de l’environnement ? Une généalogie du secteur

Une socialisation professionnelle commune, des trajectoires croisées

5La restitution de données qualitatives n’a pas pour objectif ici de dresser une liste exhaustive des caractéristiques sociales des professionnel·les de l’environnement rencontré·es en Équateur ni de dessiner une cartographie d’ensemble des agents du secteur environnemental. Il s’agit plutôt, à travers la mise en récit de trajectoires professionnelles sélectionnées pour leurs traits significatifs, de mettre au jour les logiques qui animent les carrières de ces agents. En effet, qu’ils œuvrent dans le secteur public ou dans la coopération internationale, ceux-ci ont souvent des formations professionnelles similaires. Cette proximité a des conséquences sur leurs comportements, leurs logiques cognitives et le déroulement de leurs carrières.

6Dans les institutions centrales, à Quito, la majorité des employé·es ont tout d’abord étudié l’économie ou mené des carrières d’ingénieur en Équateur, puis suivi des spécialisations dans l’environnement au niveau du master, en Europe, aux États-Unis ou en Australie, et ensuite sont revenus dans leur pays natal. C’est le cas, à titre d’exemple, d’un responsable de projet pour le ministère de l’Environnement dont le travail consiste à encadrer une équipe afin de préparer le « rapport pays » de l’Équateur pour les Contributions nationales déterminées (National Determined Contributions, NDS), requises en vertu de l’accord de Paris de 2015. Ces agents de l’État occupent en général des postes à haute qualification et à hautes responsabilités. Les employé·es des différentes agences de coopération internationale sont dans le même cas, comme, par exemple, le directeur technique de Conservation International Ecuador, qui a fait une partie de ses études d’ingénieur environnemental aux États-Unis avant de revenir travailler dans son pays natal pour cette puissante ONG conservationniste étasunienne. Ces professionnels de haut niveau, socialisés à l’international, travaillent au quotidien avec les expatrié·es des agences de coopération internationale, qui sont souvent de la nationalité d’origine de l’organisation. Le responsable du Fonds italo-équatorien de développement durable (Fondo Italo-Ecuatoriano para el Desarrollo Sostenible, Fieds) est italien, le coordinateur de Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF) est français, la coordinatrice de la GIZ est allemande. Tous occupent, là encore, des postes à hautes responsabilités, et sont en contacts fréquents avec le siège de leurs organisations dans leurs pays d’origine respectifs pour le rendu des rapports et les évaluations de projets.

7Au niveau local, les caractéristiques sociales de ceux qui mettent en œuvre les politiques publiques et les projets environnementaux dans les institutions déconcentrées et décentralisées correspondent à d’autres types de formations. La proximité entre agents des administrations publiques et agents de la coopération internationale n’en est pas moins forte. En effet, parmi les garde-parcs des aires protégées, la grande majorité sont ingénieur·es forestiers ou ont réalisé un premier cycle universitaire dans le tourisme. Un ingénieur forestier de la Direction provinciale de Chimborazo, par exemple, a fait ses études à l’Université polytechnique de Chimborazo (Espoch) ; une garde-parc a fait ses études d’écotourisme dans la même université. Même chose pour les employé·es équatorien·nes des agences de coopération internationale. Le coordinateur de l’équipe locale de la coopération allemande dans la province de Napo est ingénieur forestier et a fait un master en Équateur. Indépendamment de leur employeur, qu’ils travaillent pour le secteur public ou pour une agence de coopération, la grande majorité des employé·es sont équatorien·nes et présentent des niveaux de qualification moins élevés que leurs collègues des institutions centrales, avec des formations de premier cycle universitaire suivies en Équateur même.

8La socialisation commune des agents dépend donc moins de leur employeur que de leur niveau d’action, certaines caractéristiques de leurs parcours pouvant contribuer à la construction d’ethos professionnels partagés. Les fonctionnaires nationaux et leurs collègues travaillant à Quito pour des agences de coopération ou pour des ONG ont été socialisés à l’international via des séjours à l’étranger dans le cadre de leurs études ou de leurs activités professionnelles. Au niveau local en revanche, les fonctionnaires des directions provinciales et leurs collègues employés par exemple par la GIZ, qui sont allés sur les bancs de la même université régionale et mettent en place des projets communs, ont une socialisation qui leur est spécifique et qu’ils ne partagent pas avec leurs supérieurs hiérarchiques à Quito [20].

9Cette culture professionnelle commune transparaît dans les déroulements de carrières [21]. Les trajectoires se caractérisent par une forte circulation entre administrations nationales, organisations internationales et non gouvernementales, qui contribue à homogénéiser les logiques d’action et les normes valorisées par ces professionnel·les. Ce phénomène existe également dans d’autres secteurs receveurs de la coopération internationale, comme la santé ou l’éducation [22]. Tarsicio Granizo, ministre de l’Environnement de mai 2017 à août 2018, a été directeur de l’ONG internationale La Conservation de la nature (TNC) de 1998 à 2004, et a ensuite travaillé pour le Fonds mondial pour la nature (World Wildlife Fund, WWF) de 2013 à 2016. Dans le Chimborazo, le chef de la Direction provinciale a travaillé au cours de sa carrière d’ingénieur forestier pour la coopération espagnole, la coopération japonaise, ainsi que pour la FAO. La responsable de la réserve de production de faune de Chimborazo a travaillé auparavant pendant quatre ans pour la coopération allemande dans une autre région du pays. Ces trois professionnel·les ont donc travaillé pour des organismes de coopération internationale avant de rejoindre le secteur public équatorien. Il arrive à l’inverse que certain·es de ces professionnel·les passent du secteur public à la coopération internationale. C’est le cas du coordinateur de la coopération allemande dans la province de Napo, qui n’a pas changé de collègues en changeant d’employeur puisqu’il était auparavant fonctionnaire local à la Direction provinciale de l’Environnement de la province de Napo (Dirección Provincial del Ambiente de Napo, Dpan). Ainsi est-il courant, lorsque l’on travaille sur des projets ou des politiques environnementales, de commencer sa carrière dans le secteur public et de la poursuivre dans un organisme de coopération internationale, ou l’inverse.

10Qu’ils ou elles soient fonctionnaires ou employé·es d’organisations internationales, les professionnel·les de l’environnement en Équateur construisent leurs parcours sur une imbrication manifeste du secteur public et de celui de la coopération internationale. Une socialisation professionnelle commune se met en place, et les circulations entre agences de coopération et secteur public attestent une multipositionnalité des acteurs.

L’environnement professionnel des professionnel·les de l’environnement

11C’est dans les détails du travail quotidien que se révèle cette imbrication. La localisation des bureaux, en particulier, met en évidence les dynamiques de construction du secteur environnemental. À Quito, le ministère de l’Agriculture est un grand édifice moderne d’une vingtaine d’étages situé au milieu d’une esplanade et qui sert de point de rencontre aux Quiteños tant son emplacement est central et son architecture identifiable. C’est également dans ce bâtiment que la GIZ et la FAO ont leurs locaux. L’imbrication entre coopération internationale et secteur public n’est donc pas seulement présente dans les trajectoires professionnelles des agents, elle s’inscrit également dans l’organisation matérielle et physique de leur travail au quotidien. Interrogée sur cette proximité, la coordinatrice de la GIZ au bureau de Quito explique que ce sont les échanges quotidiens qui permettent la réalisation des politiques publiques et des projets environnementaux : « Tous nos bureaux sont à l’intérieur des locaux d’un partenaire local. Ici, nous sommes dans le MAG (ministère de l’Agriculture). Dans la province de Chimborazo, c’est dans le MAE (ministère de l’Environnement). Dans la province de Tungurahua c’est dans les locaux du gouvernement provincial, dans la province de Zamora aussi. C’est ce que le pays met de sa part pour avoir l’assistance technique de l’Allemagne, leur contribution, dans la réciprocité. Nous avons décidé non pas d’être un programme d’Allemagne, mais bien un programme de coopération Allemagne-Équateur. Dans les locaux du MAG [la communication] est beaucoup plus facile : je descends voir cette personne, je monte voir celle-là, je déjeune avec un tel...» [23].

12Les locaux de la Direction provinciale de Chimborazo où la GIZ a ses quartiers se situent dans la ville de Riobamba, 13e ville du pays avec un peu plus de 225 000 habitant·es [24], entourée par les volcans Chimborazo, Tungurahua, el Altar et Sangay. C’est un ensemble de quatre bâtiments de plain-pied avec des toits en bois, proches les uns des autres, qui délimitent une cour rectangulaire centrale (schéma). L’imbrication manifeste entre les espaces des fonctionnaires locaux et ceux des employé·es de la coopération internationale a pour conséquence d’invisibiliser la présence de la coopération internationale [25]. En témoigne ma conversation informelle dans la cour de la Direction provinciale avec un fonctionnaire, ingénieur forestier et responsable des contrôles de légalité du bois. Lorsque je lui ai demandé, en lui montrant les bureaux de la GIZ dont les stores étaient fermés, si les Allemands étaient souvent là, il m’a répondu : « Il n’y a pas d’Allemands ici ». En effet, aucun·e des employé·es de la coopération allemande dans l’équipe locale de la province de Chimborazo n’est de nationalité allemande. Et les fonctionnaires n’identifient pas les employé·es de la coopération internationale en tant que tels, mais bien comme des collègues qui leur ressemblent et partagent leur quotidien, indépendamment de leur employeur. Le processus de formation du secteur environnemental n’est pas pensé par ses protagonistes en termes d’oppositions entre employés de l’État et employés de la coopération internationale. Celle-ci n’intervient donc pas comme un simple bailleur conditionnant son aide financière à l’adaptation ou à l’appropriation de normes internationale dans l’arène nationale [26].

Locaux de la Direction provinciale de l’Environnement de Chimborazo

Locaux de la Direction provinciale de l’Environnement de Chimborazo

Locaux de la Direction provinciale de l’Environnement de Chimborazo

Élaboré par l’auteure.

13D’autres éléments de ce quotidien sont révélateurs de l’entrecroisement permanent entre coopération internationale et secteur public. Les uniformes des fonctionnaires locaux de la Direction provinciale, qui sont les mêmes pour toutes les directions provinciales du pays, sont composés de pantalons kakis, de chemisettes blanches, de chaussures de montagne, de casquettes au logo du ministère de l’Environnement, de vestes polaires marrons et de coupe-vent vert foncé. Sur la manche droite des vêtements de pluie, on trouve une série de logos, celui du ministère de l’Environnement évidemment, mais aussi ceux du Programme alimentaire mondial (World Food Program, WFP) et du Fonds d’adaptation au changement climatique (Adaptation Fund for Climate Change), créé en 2010 à la suite de la signature du protocole de Kyoto, et géré par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (United Nations Framework Convention on Climate Change, UNFCCC). Au cours de la réunion préparatoire d’un rapport sur la vigogne (animal de la famille des lamas), je remarque que la responsable de la réserve du Chimborazo écrit ses notes dans un carnet rouge au logo de la GIZ, et que la photo affichée dans son bureau porte le logo Promaren, Projet de gestion des ressources naturelles de Chimborazo mis en place entre 2011 et 2018 [27] par la FAO et financé par le Fonds pour l’environnement mondial (Global Environmental Fund, GEF). Ces objets apparemment anodins sont autant de preuves de l’imbrication de l’international et du local dans le quotidien des professionnel·les de l’environnement de cette province.

14Socialisation professionnelle commune, circulations des agents entre entités locales et internationales, agencements de leurs lieux de travail, et même uniformes et petit matériel de bureau, tout concourt à l’émergence d’un univers et de pratiques communes, voire d’un ethos professionnel partagé par l’ensemble des agents du secteur. Celui-ci est ainsi co-construit par les fonctionnaires et par les employé·es de la coopération internationale, non seulement dans les institutions centrales à Quito mais aussi au niveau déconcentré. Cela a deux conséquences immédiates.

15La première est la multipositionnalité des acteurs [28] qui ne mettent pas en opposition les employé·es du secteur public et celles et ceux de la coopération internationale, contrairement à ce que soulignent la majorité des études sur la coopération internationale. Il ne s’agit donc pas de dynamiques verticales où les niveaux international, national et local seraient strictement séparés et où les politiques environnementales mises en place ne seraient que la dernière étape de cette « cascade de la norme » [29] commencée dans l’arène internationale. La seconde est que l’invisibilisation, mentionnée plus haut, des acteurs de l’arène internationale dans l’espace national ne veut pas dire absence de l’arène internationale, qu’il s’agisse de la coopération bilatérale, multilatérale ou des ONG. Loin de la vision d’un État prétendu sous perfusion, d’un État « fragile » [30] ou monolithique auquel la coopération internationale imposerait une manière de gouverner, le processus de formation du secteur public équatorien en matière environnementale s’opère dans le cadre d’un champ professionnel unifié [31] où les secteurs s’enchevêtrent et deviennent indissociables.

Que font les professionnel·les de l’environnement ? Une conception conjointe de l’action publique

16Les pratiques de ces agents du bas sont significatives non seulement des changements de l’action publique tels qu’ils se diffusent au niveau international, mais aussi des processus par lesquels ces agents s’approprient ensemble les normes fondatrices de ces changements. Tout d’abord, l’action publique conjointe se concrétise dans l’appropriation d’outils partagés tels que le cycle de projet et donc dans l’introduction de la gestion par les résultats et le recours aux indicateurs quantitatifs. Ensuite, les outils, notamment participatifs, de cette action publique amènent à une technicisation des enjeux et à une éviction du conflit. Enfin, les caractéristiques de cette action publique environnementale sont celles d’une action publique libérale, fortement inspirée par le New Public Management[32].

Encadré 2. Les Contributions nationales déterminées en Équateur

En signant l’Accord de Paris en 2016, l’Équateur s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre et à lutter contre le réchauffement climatique. Chaque pays devant rendre un rapport au Secrétariat créé pour l’occasion, le NDC Registry de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le ministère équatorien de l’Environnement a constitué une équipe de huit personnes chargées de préparer le premier rapport du pays et de définir ses objectifs pour la période 2020-2025. Commencée au milieu de l’année 2017, la première phase du projet a pris fin au début de l’année 2019 avec le dépôt officiel du rapport au NDC Registry. La seconde phase a consisté à mettre en œuvre les objectifs. Pour ce faire, le responsable et son équipe ont créé 30 ateliers participatifs, 6 par secteur stratégique : l’agriculture, l’énergie, la production de déchets, l’industrie, et l’USCUSS (l’utilisation des terres, le changement de leur affectation et la foresterie). Plus de 75 réunions bilatérales entre les institutions spécialisées et l’équipe du projet ont été nécessaires pour élaborer ce document qui est désormais publié [33]. Il y est fait état de la participation de 1 000 personnes environ et de 150 institutions, « du secteur public, du secteur privé, de la recherche, de la société civile et des organismes internationaux » pendant plus d’un an et demi.
J’ai suivi une partie du cycle des ateliers spécifiques au secteur de la production des déchets, qui se déroulaient dans un hôtel luxueux de Quito, l’Hilton Patria, donnant sur l’un des parcs les plus emblématiques de la ville, El Ejido.

Logiques de projet et porosité des niveaux d’action

17Le rapport de l’Équateur sur les Contributions nationales déterminées (NDC) ne se réduit pas à la mise en conformité du pays avec un texte international. Il définit une stratégie nationale [34] qui sera mise en place avec des objectifs à moyen et long terme entre 2020 et 2025. L’équipe engagée pour faire naître ce document dans un premier temps et accompagner sa mise en œuvre dans un second temps est installée dans les locaux du ministère de l’Environnement central à Quito. Les salaires des membres de cette équipe sont payés par un partenaire, le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) appelé à soutenir ce projet, ce qui atteste une fois de plus l’imbrication entre coopération internationale et fonctionnaires et renforce ici l’invisibilisation de l’arène internationale dans l’action publique nationale. En effet, le responsable de l’équipe se présente comme travaillant pour le ministère de l’Environnement et non pour le PNUD, ce qui constitue encore un indice de l’ambivalence des interactions : le PNUD participe bien à la construction du secteur public environnemental mais sans rendre cette participation explicite.

18En ce qui concerne les pratiques, cette imbrication se traduit par la diffusion des outils d’action publique valorisés par la coopération internationale, en particulier le cycle de projet. Le PNUD finance un projet en deux phases définies strictement et circonscrites dans le temps avec des objectifs quantifiés et précis à atteindre. Ce projet n’est pas un cas isolé. Au ministère de l’Environnement, les politiques publiques sont de plus en plus dépendantes de financements ou de cofinancements d’organismes de coopération internationale. C’est le cas du Fonds pour l’environnement mondial (GEF) qui transmet les financements verts non pas à l’institution publique nationale chargée de mettre en œuvre le projet, mais à l’une des institutions internationales accréditées pour recevoir l’argent parmi lesquelles la FAO, la Banque interaméricaine de développement, le PNUD, le PNUE, Conservation International (ONG internationale), la Banque latino-américaine de développement (Corporación Andina de Fomento, CAF) et la Banque mondiale. Il n’est donc pas rare de voir des équipes se former le temps d’un projet, indépendamment de l’organigramme du ministère de l’Environnement et de ses sous-directions, puis disparaître une fois le projet terminé. Ainsi la fabrique conjointe du secteur environnemental en Équateur se traduit-elle par la diffusion de l’action publique par projet, qui construit le cadre cognitif mobilisé pour penser les problèmes publics et la manière de les résoudre. Cette organisation impose d’établir des objectifs quantitatifs, de limiter l’action dans le temps court, de justifier l’utilisation de fonds par des critères prédéfinis, ce qui contribue à la diffusion des principes du New Public Management[35].

19La porosité entre niveaux et acteurs infuse donc la culture par projet dans l’action publique équatorienne. Or, dans le secteur environnemental, cette dernière suit son propre agenda, parallèlement à l’agenda politique équatorien. Cela explique la consolidation d’une action publique conforme aux « bonnes pratiques » définies au niveau international, indépendamment des changements institutionnels ou de personnel politique qui adviennent dans le pays. Les pratiques des professionnels dans ce secteur montrent, en effet, comment s’approfondit l’internalisation de l’international.

Technicisation des enjeux, éviction du conflit

20Un atelier participatif pour le secteur « déchets » s’est tenu le 26 septembre 2018 à l’hôtel Hilton donc (encadré 2). Une ingénieure du ministère a ouvert l’atelier avec quelques mots de bienvenue aux participant·es devant la bannière du PNUD et sa devise « Au service des personnes et des nations ». Elle s’est félicitée de voir des représentant·es « de tous les secteurs » puisque cet espace participatif réunissait différentes institutions publiques, privées et internationales, comme le PNUD, la Banque latino-américaine de développement, la mairie de Quito, la banque d’État (Banco del Estado, BDE), une ONG italienne, le Secrétariat d’État de Gestion des risques (Secretaría Nacional de Gestión de Riesgos, SNGR), et des universités. Trois grandes thématiques ont été mises l’ordre du jour : partenariats public/privé, campagnes de sensibilisation du grand public et recherche. Les participant·es étaient réparti·es parmi ces trois thématiques et ont fait tomber dans un premier temps une « pluie d’idées » à l’aide de post-it multicolores. Plusieurs filtres ont ensuite permis de réduire le nombre de post-it et de les organiser par sous-catégories. Deux idées par groupe ont finalement été retenues avec des propositions concrètes et précises. Le responsable du projet guidait le groupe : « Comment on concrétise ? Quel est l’impact ? Imaginez qu’on soit dans une réunion avec un organisme de coopération internationale, un potentiel bailleur, quel type de partnership[36] lui propose-t-on ? ». La dernière étape a été de désigner un porte-parole de la thématique, qui allait exposer une des deux idées. Il devait le faire en imaginant être dans le cadre d’une conférence de presse la veille de l’inauguration de l’idée choisie dont on présumait qu’elle avait été accomplie.

21C’est un ensemble de pratiques hautement normatives qui sont ici encouragées et reproduites à travers la méthodologie de ces ateliers participatifs. L’injonction à la technicisation des enjeux va de pair avec leur dépolitisation [37]. Les participant·es sont invité·es à se responsabiliser, à s’autonomiser, à apprendre à « vendre » leurs idées et leurs projets [38]. Ce constat rejoint les nombreuses recherches montrant l’ambivalence des pratiques dites participatives [39]. Raphaëlle Parizet montre ainsi qu’il s’agit d’« une technologie de pouvoir qui individualise la relation des acteurs locaux aux dispositifs de développement ». Selon elle, « l’appel à la responsabilité traduit des enjeux de normalisation et de moralisation de la conduite des individus » [40].

22Solliciter la présence d’un grand nombre d’organisations du secteur public et du secteur privé est une manière de montrer des relations de pouvoir fondées sur l’horizontalité et la négociation, donc conformes aux préceptes de la « bonne gouvernance » [41]. Le vocabulaire utilisé tout au long de l’atelier appuie l’hypothèse de ce changement ambivalent de paradigme politique : partenariat public/ privé, société civile, partnership sont autant d’expressions qui imposent un cadre cognitif pour penser la décision politique comme une éternelle négociation, une recherche de compromis, une « politique du win-win » [42] où les rapports de domination disparaissent face à une supposée égalité des acteurs sociaux. Ceux-ci ne sont plus pensés à partir des catégories sociales mais sont invités à devenir des participant·es qui doivent présenter des propositions, les transformer et les traduire dans le cadre concret et pragmatique proposé. Cette technicisation et le contournement du politique qui en découle constituent une des marques de l’internalisation des principes de la « bonne gouvernance » pour la fabrique quotidienne du secteur environnemental en Équateur.

Encadré 3. Le projet d’assemblée participative de la réserve de production de faune de Chimborazo

La réserve de production de faune de Chimborazo (RPFCH) est une aire protégée de 58 560 hectares créée en 1986 [43]. Elle comprend « le point le plus proche du soleil » (el punto mas cercano al sol), c’est-à-dire le Chimborazo, le plus grand volcan équatorien, qui donne son nom à la province. En 1988, les institutions environnementales ont entrepris de réintroduire la vigogne [44], disparue sur toute la superficie de l’aire protégée à cause des activités humaines, notamment l’agriculture, et dont de nombreuses études avaient attesté la présence auparavant dans l’écosystème de l’aire. La coopération allemande a proposé de mettre en place des actions concrètes afin que les habitant·es puissent réaliser un bénéfice commercial de la vigogne (dans une région où les indicateurs de nécessités de base insatisfaites sont parmi les plus élevés du pays [45]) tout en conservant les écosystèmes et en n’exploitant pas de parcelles agricoles à plus de 3 300 mètres comme le veut la loi environnementale équatorienne [46]. Dans son projet ProCambio I (Programme changement climatique, biodiversité et développement durable) de 2014 à 2016, la GIZ a donc impulsé un certain nombre d’actions, notamment la création d’une association de la vigogne en 2017, l’AsocVicuña, afin de faire participer les habitant·es aux enjeux de gouvernance autour de l’animal [47]. C’est dans le cadre de son nouveau programme ProCambio II, débuté en 2017, que la GIZ a proposé de mettre en place des formations à l’intention des agriculteur·rices pour la tonte de la vigogne et la vente de sa laine.
La suite du projet Procambio II prévoyait la constitution d’une assemblée participative de la réserve de Chimborazo, où les protagonistes de l’aire protégée pourraient se rencontrer pour débattre de thèmes centraux comme la distribution de l’eau, la frontière agricole, la régulation de la vigogne. Pendant mon travail de terrain, plusieurs réunions ont été convoquées conjointement par la Direction provinciale et la GIZ afin de voter l’arrêté qui légaliserait cette assemblée et lui donnerait une existence juridique.

23La responsable de la réserve à la Direction provinciale et celle du bureau Chimborazo de la GIZ ont présenté ensemble le texte de l’arrêté et animé les réunions pour faire naître l’assemblée participative de la réserve de Chimborazo (encadré 3). Il y en a eu trois, une pour chaque province administrative comptant sur son territoire une partie de la réserve. Parmi les personnes présentes, il y avait des représentant·es des institutions publiques (la police, le ministère de l’Environnement, le ministère de l’Agriculture, le ministère de l’Eau) et des universités de la province, des acteurs du secteur privé (propriétaires terriens, agences de tourisme) ainsi que des représentant·es des juntas parroquiales (assemblées paroissiales) [48] situées dans l’enceinte de la réserve et des représentant·es des assemblées locales de l’eau.

24Le 28 novembre 2018, à Ambato, capitale de la province de Tungurahua, a eu lieu la deuxième réunion après celle pour la province de Bolivar et avant celle de Chimborazo. Lors du débat sur le texte de l’arrêté, de nombreuses contestations se sont fait entendre. Les critiques portaient principalement sur deux points : le texte n’était pas suffisamment solide pour être voté et les citoyen·nes n’y avaient pas été familiarisés en amont. Dans une intervention particulièrement virulente et agressive qui a mis beaucoup de gens mal à l’aise, un participant, employé d’une université régionale, a déclaré qu’il ne « comprenait pas pourquoi il était là pour valider un texte qui ne lui paraissait pas solide, pas soigné ». Ensuite, il a remis en cause la réintroduction de la vigogne : « Quel est le bénéfice pour les gens ? Quelle est l’utilité ? ». En sortant de la réunion, les organisateurs ont parlé de cette intervention. Dans un éclat de rire, la responsable de la coopération allemande s’est exclamée : « Ah lui, c’est sûr qu’on ne l’invitera plus ! ». Le système participatif tant vanté de la mise en œuvre des politiques environnementales supposerait-il l’éviction des voix contestataires potentielles ? Il semble en fait que ces processus participatifs soient un instrument [49], une technique de gouvernement [50] utilisée dans le cadre normatif plus large des « bonnes pratiques » définies au sein de l’arène internationale, de la « bonne gouvernance » [51]. Les transformations de l’action publique s’y appuient sur des outils et instruments concrets, techniques et dépolitisés. Ici, l’instrument est l’assemblée participative, qui permet de mettre en place des mécanismes d’horizontalité ambivalents, d’imposer un cadre de pensée technique, limité aux problèmes immédiats rencontré par l’aire protégée. Dès lors qu’un élément conflictuel apparaît, on le discrédite et on l’exclut comme n’étant pas capable de penser dans le cadre donné. Malgré un « refoulé du politique » qui pointe parfois [52], comme cela a été le cas avec cet intervenant opposé au texte, les instruments venus de l’arène internationale constituent donc une machine efficace de dépolitisation des enjeux, et du cadre pour les penser, et de régulation des comportements.

25La veille, lors de la première réunion dans la province de Bolivar, le texte n’avait pas été validé par les participant·es. Dans la voiture, en rentrant aux locaux de la Direction provinciale, la responsable de la coopération allemande et sa collègue fonctionnaire responsable de la réserve ont discuté de l’échec de cette réunion, appréhendant celle de la province de Tungurahua décrite plus haut.

26

Fonctionnaire responsable de la réserve – La police m’a dit qu’on aurait dû approuver le texte en interne, ne pas leur demander...
Responsable de la coopération allemande – Ce sont eux [les citoyen·nes, représentant·es des communautés] qui bénéficieraient le plus de la constitution de cette assemblée participative et ce sont eux qui bloquent le processus...[Pause] C’est aussi selon les provinces où il y a plus ou moins de culture de la participation.

27Le concept de « culture de la participation » dont l’employée de la coopération allemande parle avec fierté, convaincue de l’efficacité et du bien-fondé de ses méthodes de travail, montre bien que, loin d’être une simple modalité d’action publique, la participation va de pair avec l’incorporation d’une manière de penser son rapport aux institutions et à leurs usager·es. La chargée de projet de la GIZ estime que, dans la province de Tungurahua, il y a davantage cette « culture de la participation » parce que son équipe locale travaille depuis 2014 avec les institutions de cette province. Dans celle de Chimborazo, où la coopération allemande a pris ses quartiers depuis peu (schéma), l’introduction de ce concept est récente puisque les contacts n’y étaient jusque-là pas réguliers. C’est donc bien la proximité entre employé·es de la coopération internationale et institutions déconcentrées et décentralisées de l’État qui a favorisé cette transformation de l’action publique environnementale : c’est par les pratiques quotidiennes de mise en œuvre de projets environnementaux communs qu’ont été intériorisées certaines normes de l’arène internationale.

28À toutes les étapes, de la conception à la mise en œuvre des politiques, le secteur de l’environnement en Équateur est intrinsèquement co-construit par les autorités publiques et les organismes de coopération internationale. Ce processus consolide la pratique de l’action publique par projet et le recours à des instruments ambivalents et normatifs issus de l’arène internationale. Dans ce secteur émergent et internationalisé, l’action publique s’opère par instrumentation, technicisation, dépolitisation des enjeux et éviction du conflit, allant jusqu’à exclure les voix contestataires si elles se font entendre malgré les dispositifs mis en place pour les contourner.

29Au cours de son troisième mandat (2013-2017), R. Correa a finalement tranché entre gauches verte et rouge et est revenu dans le sillon d’une gauche plus développementaliste et centrée sur l’accès aux services publics [53]. La préoccupation environnementale est retournée au second plan, ce qu’attestent la poursuite et la diversification de l’extractivisme pétrolier et minier [54]. Son successeur et ancien vice-président, Lenin Moreno, a mené à partir de 2017 une politique que les sympathisants de R. Correa qualifient de trahison politique à cause de sa ligne libérale. Cette politique laisse la voie plus libre à la coopération internationale et l’internalisation de l’international se poursuit de manière plus affranchie. Pour autant, les premiers mandats de R. Correa ne peuvent être vus comme une parenthèse où le contrôle de la coopération internationale était effectif et cette dynamique d’internalisation de l’international jugulée. Le cas du secrétariat d’État à la coopération internationale (Seteci) est à cet égard significatif puisque, déjà en 2016 sous R. Correa, cette institution chargée de la régulation de la coopération internationale n’était plus un ministère indépendant mais était devenue une sous-direction du ministère des Affaires étrangères, témoignant de l’amoindrissement de la place et des ressources attribuées à cette régulation. Articulés à l’analyse des agents du bas, ces éléments de contexte font apparaître des continuités dans le système politique équatorien sur la moyenne durée : le passage à une action publique conforme à la « bonne gouvernance » s’approfondit, tandis que ses principes prennent racine au sein du secteur environnemental. La liste inscrite sur le tableau du ministère de l’Environnement donnait un indice de la façon dont l’État équatorien construit le secteur environnemental conjointement avec la coopération internationale, et j’ai mis en lumière les mécanismes qui sous-tendent cette co-construction. Mettre la focale sur les trajectoires et les pratiques de ses agents permet non seulement de constater cette profonde imbrication, mais aussi d’en comprendre les articulations selon les niveaux d’action et les commanditaires des professionnel·les de l’environnement. Finalement, qu’il s’agisse d’une agence de coopération bilatérale, d’une agence de l’ONU et d’une ONG conservationniste, la demande d’appui du ministère est facilitée par l’homogénéité des socialisations et des trajectoires des professionnel·les du secteur. L’employeur devient alors secondaire dans l’opérationnalisation, qui ne se résume pas à un travail côte à côte. La fabrique quotidienne de l’action publique environnementale s’inscrit dans un contexte international où la protection de l’environnement est devenue une « bonne pratique » en soi. Les organismes d’aide au développement mettent en place des programmes transversaux environnementaux et des instruments concrets qui infusent les normes de cette nouvelle action publique, autour de projets et de dispositifs participatifs. Depuis le milieu des années 2000, les gouvernements équatoriens ont fait preuve d’une volonté manifeste de réguler la coopération internationale et de changer le rapport politique à l’environnement. Au-delà des débats suscités par les déclarations d’intention, tant de R. Correa que de son successeur L. Moreno, les pratiques ordinaires des agents chargés de ces politiques mettent au jour des mécanismes d’appropriation par le bas des normes internationales de l’action publique, et une continuité des processus d’internalisation des dispositifs, instruments et normes définis à l’échelle internationale.

Notes

  • [1]
    Je traduis de l’espagnol les citations et extraits d’entretiens.
  • [2]
    Marie-Claude Smouts, « La coopération internationale : de la coexistence à la gouvernance mondiale », dans M.-C. Smouts (dir.), Les nouvelles relations internationales. Pratiques et théories, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, chap. 5, p. 135-160 ; Guillaume Devin, Les solidarités transnationales, Paris, L’Harmattan, 2004.
  • [3]
    Margaret Keck, Kathryn Sikkink, Activists beyond Borders : Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
  • [4]
    James Ferguson, The Anti-Politics Machine : « Development » Depoliticization and Bureaucratic Power in Lesotho, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1994.
  • [5]
    Giorgio Blundo, « Une administration à deux vitesses. Projets de développement et construction de l’État au Sahel », Cahiers d’études africaines, 202-203, 2011, p. 427-452 ; Jean-Pierre Olivier de Sardan, Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Paris, Karthala, Marseille, APAD, 1995.
  • [6]
    Asmara Klein, Camille Laporte, Marie Saiget, Les bonnes pratiques des organisations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, p. 207-223 ; Franck Petiteville, « La politisation résiliente des organisations internationales », Critique internationale, 76, 2017, p. 9-19.
  • [7]
    Dorotha Dakowska, « What (ever) works. Les organisations internationales et les usages de “bonnes pratiques” dans l’enseignement supérieur », Critique internationale, 77, 2017, p. 81-102 ; Moritz Hunsmann, Hélène Suarez, « Sida et sécurité nutritionnelle en Tanzanie : des affinités électives », Politique africaine, 199 (3), 2010, p. 63-86.
  • [8]
    Voir notamment la littérature sur le New Public Management. Béatrice Hibou, « 1. De la privatisation des économies à la privatisation des États. Une analyse de la formation continue de l’État », dans B. Hibou, La privatisation des États, Paris, Karthala, 1999, p. 11-67.
  • [9]
    Philippe Lavigne Delville, Aide internationale et sociétés civiles au Niger, Paris, Karthala, 2015.
  • [10]
    Johanna Siméant, « Localiser le terrain de l’international », Politix, 100, 2012, p. 129-147.
  • [11]
    Les agents du bas, loin d’être de simples exécutants, participent à la définition de la politique publique en la mettant en œuvre. Michael Lipsky, Street-Level Bureaucracy. Dilemmas of the Individual in Public Services, New York, Russell Sage Foundation, 1992 ; Vincent Dubois, « Politiques au guichet, politique du guichet », dans Olivier Borraz, Politiques publiques 2, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, chap. 10, p. 265-286.
  • [12]
    Anthony Bebbington, « Los movimientos sociales frente a la minería : disputando el desarrollo territorial andino », dans José Bengoa, Territorios rurales : movimientos sociales y desarrollo territorial rural en América Latina, Santiago du Chili, Catalonia, 2007, p. 90-113 ; Guillaume Fontaine, « Le mouvement écologiste contre l’exploitation des hydrocarbures en Équateur », Problèmes d’Amérique latine, 70, 2008, p. 41-60.
  • [13]
    Alberto Acosta, « Extractivismo o neoextractivismo : dos caras de la misma maldición », Más allá del desarrollo, 23, 2011, p. 83-118 ; Marie-Esther Lacuisse, « Équateur : la révolution citoyenne des institutions pour le peuple à la personnification du pouvoir », dans Olivier Dabène, La gauche en Amérique latine, 1998-2012, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 145-173.
  • [14]
    Andreu Viola Recasens, « Discursos “pachamamistas” versus políticas desarrollistas : el debate sobre el sumak kawsay en los Andes », Iconos, 48, 2014, p. 55-72 ; Laurent Lacroix, « Un multiculturalisme sans minorités ? Quelques réflexions sur l’État plurinational en Bolivie et en Équateur », Belgeo, 3, 2013, mis en ligne le 24 mai 2014.
  • [15]
    Jacobo Grajales, Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie, Paris, Karthala, 2016, p. 12.
  • [16]
    Proposition gouvernementale faite en 2007 de ne pas extraire le pétrole d’un parc national en échange de subventions internationales de 3,6 milliards de dollars. En 2013, Rafael Correa a finalement annoncé l’échec des négociations internationales et le commencement des activités extractives dans la région du Yasuni.
  • [17]
    Arturo Escobar, « El desarrollo sostenible : diálogo de discursos », Revista Foro, 23, 1994, p. 98-111 ; Eduardo Gudynas, « Debates sobre el desarrollo y sus alternativas en América Latina : una breve guía heterodoxa », dans Miriam Lang, Dunia Mokrani, Mas allá del desarrollo. Grupo permanente de trabajo sobre alternativas al desarrollo, Quito, Fundación Rosa Luxemburg/Abya Yala, 2011, p. 21-56.
  • [18]
    Ministerio del Ambiente, Areas Naturales Protegidas Ecuador, Guía Parques, 2014, p. 186.
  • [19]
    Ministerio del Ambiente, Reporte de Registro de Visitas 2018, 2018.
  • [20]
    Claude le Gouill, « L’ethnicisation des luttes pour le pouvoir local en Bolivie. La conquête du monde rural dans le Nord Potosí », Revue d’études en agriculture et environnement, 92 (4), 2011, p. 363-387.
  • [21]
    On entend ici par culture professionnelle les « compétences techniques et les normes professionnelles inculquées aux professionnel·les de l’environnement lors de leur cursus professionnel (avec leur formation initiale et continue) mais également toutes les pratiques de fait comme “des habitudes, des routines”, et des “tours de main” correspondant à un savoir-faire spécifique, à des ajustements liés au site, au fonctionnement particulier de la structure, au système local de gestion, à la nature de la hiérarchie en place, aux relations entre collègues, aux contraintes contextuelles, matérielles, financières, etc. ». J.-P. Olivier de Sardan, « La sage-femme et le douanier. Cultures professionnelles locales et culture bureaucratique privatisée en Afrique de l’Ouest », Autrepart, 20, 2001, p. 67.68.
  • [22]
    Laëtitia Atlani-Duault, « Les ONG à l’heure de la “bonne gouvernance” », Autrepart, 35 (3), 2005, p. 3-17.
  • [23]
    Entretien avec la coordinatrice de la région Chimborazo pour le bureau central de la GIZ, Quito, 14 septembre 2017.
  • [24]
    INEC (Instituto Nacional de Estadística y Censos), Censo 2010, Resultados cantón de Riobamba https://www.ecuadorencifras.gob.ec/resultados/ (consulté le 25 juin 2020).
  • [25]
    Mathilde Allain, « Les jeux d’échelles de l’action collective : militantisme local et solidarité internationale dans les campagnes de Colombie », Critique internationale, 82, 2019, p. 51-73.
  • [26]
    Raphaëlle Parizet invite à ne pas réduire le travail des employé·es du PNUD au Mexique à un « impérialisme imposé “par le haut” », les politiques de développement étant construites conjointement avec les institutions mexicaines. Il s’agit souvent d’une confluence des « acteurs intéressés dont les intérêts positionnés sont différenciés ». Raphaëlle Parizet, Les paradoxes du développement. Sociologie politique des dispositifs de normalisation des populations indiennes au Mexique, Paris, Dalloz, 2015, p. 8, 104.
  • [27]
    FAO, Evaluación final del proyecto « Manejo de recursos naturales en Chimborazo », 2018, p. 14.
  • [28]
    Doris Buu-Sao, « “Perupetro est ton ami” : un gouvernement des contestataires en Amazonie péruvienne », Participations, 6, 2013, p. 119-139.
  • [29]
    Expression empruntée à Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, « International Norm Dynamics and Political Change », International Organization, 52, 1998, p. 887-917.
  • [30]
    Olivier Provini, « Discuter la catégorie d’“État fragile” par l’analyse des politiques publiques : le cas des réformes de l’enseignement supérieur au Burundi », Critique internationale, 77, 2017, p. 103-120.
  • [31]
    J. Grajales, Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie, op. cit., p. 12.
  • [32]
    Sylvain Barone, Pierre-Louis Mayaux, Joana Guerrin, « Introduction. Que fait le New Public Management aux politiques environnementales ? », Pôle Sud, 48, 2018, p. 5-25.
  • [33]
    UNFCCC, Ecuador First NDC https://www4.unfccc.int/sites/ndcstaging/Pages/Home.aspx (consulté le 8 juin 2019).
  • [34]
    En faisant une socio-histoire de la gouvernance d’un parc national en Indonésie, Tania Murray Li a montré comment, en technicisant et donc en choisissant une interprétation présentée comme apolitique, la coopération internationale biaise l’élaboration de ses projets/stratégies aux côtés des institutions nationales et locales. Tania Murray Li, The Will to Improve : Governmentality, Development, and the Practice of Politics, Durham, Duke University Press, 2007, p. 123-155.
  • [35]
    Jean-Pierre Olivier de Sardan, François Giovalucchi, « Planification, gestion et politique dans l’aide au développement : le cadre logique, outil et miroir des développeurs », Revue Tiers-Monde, 198, 2009, p. 383-406.
  • [36]
    En anglais dans la phrase originale.
  • [37]
    R. Parizet, « Le PNUD et la fabrique des indicateurs de développement », dans A. Klein, C. Laporte, M. Saiget, Les bonnes pratiques des organisations internationales, op. cit., p. 79-94 ; Lucile Maertens, Raphaëlle Parizet, « “On ne fait pas de politique !” Les pratiques de dépolitisation au PNUD et au PNUE », Critique internationale, 76, 2017, p. 41-60.
  • [38]
    Denis Merklen, « Du travailleur au pauvre. La question sociale en Amérique latine », Études rurales, 165-166, 2003, p. 171-196.
  • [39]
    Catherine Neveu, « Démocratie participative et mouvements sociaux : entre domestication et ensauvagement ? », Participations, 1, 2011, p. 186-209 ; D. Buu-Sao, « “Perupetro est ton ami” : un gouvernement des contestataires en Amazonie péruvienne », art. cité.
  • [40]
    R. Parizet, Les paradoxes du développement. Sociologie politique des dispositifs de normalisation des populations indiennes au Mexique, op. cit., p. 285.
  • [41]
    Jean Foyer, « Introducción general : gobernanza económica y política en un mundo indígena en via de transformación », dans Jean Foyer, Christian Gros (eds), ¿Desarrollo con identidad ? Gobernanza económica indígena. Siete estudios de caso, Lima, IFEA, Flacso sede Ecuador, CEMCA, 2010, p. 23-43.
  • [42]
    D. Merklen, « Du travailleur au pauvre. La question sociale en Amérique latine », art. cité, p. 192.
  • [43]
    Ministerio del Ambiente, Areas Naturales Protegidas Ecuador, Guía Parques, op. cit., p. 180.
  • [44]
    SUIA (Sistema Unificado de Información Ambiental), Plan Gerencial, Reserva de Producción Faunistica Chimborazo, 2006, p. 1.
  • [45]
    La province de Chimborazo fait partie des trois provinces du pays dont plus de 50 % de la population se situent au-dessous du seuil de pauvreté. INEC (Instituto nacional de Estadísticas y Censos) et FAO, « Capítulo 4. Análisis geográfico de la pobreza por consumo en Ecuador. Más allá del nivel provincial », Reporte de pobreza por consumo, Ecuador 2006-2014, 2014, p. 151.
  • [46]
    Republica del Ecuador, Ley orgánica de tierras rurales y territorios ancestrales, 2016, p. 14.
  • [47]
    DPACH (Dirección Provincial del Ambiente de Chimborazo), Informe País 2017-2018, p. 23.
  • [48]
    Il s’agit de la plus petite entité administrative en Équateur.
  • [49]
    Pierre Lascoumes, « Les normes juridiques et les normes techniques de l’inspection des installations classées pour la protection de l’environnement », Annales des Mines – Responsabilité et environnement 62, 2011, p. 30-34 ; Clément Soriat, « Imposition et appropriation de la lutte contre le sida par projet au Bénin. L’instrumentation de l’action publique comme observatoire des trajectoires étatiques africaines », Gouvernement et action publique, 2, 2018, p. 95-115 ; C. Laporte, « L’évaluation, un objet politique : le cas d’étude de l’aide au développement », thèse de doctorat en science politique, Sciences Po Paris, 2015.
  • [50]
    Michel Foucault, Il faut défendre la société. Cours au Collège de France (1975-1976), Paris, Le Seuil, 1992.
  • [51]
    L. Atlani-Duault, Au bonheur des autres : anthropologie de l’aide humanitaire, Paris, Armand Colin, 2009.
  • [52]
    F. Petiteville, « La politisation résiliente des organisations internationales », art. cité, p. 11.
  • [53]
    A. Acosta, économiste et soutien de Rafael Correa entre 2006 et 2008, a été président de l’Assemblée constituante pour ensuite rejoindre les rangs de l’opposition. Son livre, La década desperdiciada (La décennie gâchée) prend le contre-pied du surnom mélioratif des partisans de la Révolution citoyenne, La década ganada (La décennie gagnée), en référence aux acquis sociaux obtenus durant cette période. Alberto Acosta, John Cajas Guijarro, La década desperdiciada. Las sombras del Correismo, Quito, CAAP, 2018.
  • [54]
    Maristella Svampa, « Néo-“développementalisme” extractiviste, gouvernements et mouvements sociaux en Amérique latine », Problèmes d’Amérique latine, 81, 2012, p. 101-127.
Français

Cette enquête ethnographique porte sur la co-construction des politiques environnementales équatoriennes par les agents de l’État et les employé·es de la coopération internationale. Afin de comprendre la formation de ce secteur récent et internationalisé et les implications qu’elle induit en termes d’action publique, j’analyse les trajectoires et les pratiques quotidiennes de ses professionnel.les. Dans un premier temps, je décris leurs formations et leurs parcours, tant à Quito qu’au niveau provincial, et mets en évidence une socialisation professionnelle commune et des carrières croisées, que l’employeur soit une institution équatorienne ou un organisme international. Dans un second temps, je retrace le processus d’invisibilisation de l’international qui caractérise ce secteur, et ses conséquences sur les pratiques des acteurs, marquées par une internalisation de l’international, révélant ainsi la généralisation du fonctionnement par projet et de pratiques participatives normatives pourtant présentées comme neutres.

Louise Rebeyrolle
doctorante en science politique à l’IHEAL (Institut des hautes études de l’Amérique latine), Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, et au Creda (Centre de recherche et de documentation des Amériques). Elle a également été chercheure associée en 2018 à la Flacso Sede Ecuador au Département des affaires publiques. Sa thèse porte sur les processus de formation de l’État et de fonctionnement quotidien des administrations au contact d’organismes internationaux dans le secteur environnemental équatorien. Elle a publié « Amis à l’ONU, ennemis politiques en Équateur. Les stratégies d’alliance au prisme de la question environnementale (2006-2016) », Cahiers des Amériques latines (92, 2019, p. 177-195).
louiserebeyrolle@live.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 21/09/2020
https://doi.org/10.3917/crii.088.0031
Pour citer cet article
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