CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1« Je vais te donner un exemple. Mon mari vient d’une ville d’Anatolie, Sivas, et il y a trois ans j’y suis allée avec ma nièce, qui est aussi membre de la branche féminine d’Istanbul. Quand on est arrivées au comité là-bas, il était 17 heures, et j’ai dit : “Oh c’est trop tard, il n’y aura personne, à 17 heures les femmes seront à la maison, à cuisiner pour leur famille...”. Mais quand on est arrivées, c’était plein de femmes qui discutaient et travaillaient. J’étais tellement impressionnée qu’un soir de la semaine, à 17 heures, les femmes soient là. Elles m’ont dit que leurs maris étaient à la maison à s’occuper des enfants. Elles m’ont dit : “On a vaincu les hommes de Sivas” » [1].

2C’est en ces termes que Zerha, militante, décrit sa surprise de découvrir des femmes de la branche féminine du Parti de la justice et du développement (AKP) occupées à des activités politiques à une heure tardive dans une ville réputée conservatrice. Cette rencontre pourrait amener à considérer l’AKP, formation islamo-conservatrice au pouvoir en Turquie depuis 2002, comme un lieu d’émancipation pour les femmes. Le militantisme est porteur d’une tension entre remise de soi au collectif et épanouissement individuel. Dès lors, comment s’exprime cette tension au sein d’un parti conservateur à la tête d’un État autoritaire, qui plus est lorsqu’il s’agit de femmes ? Sur la base d’une enquête de terrain au sein de la branche féminine de l’AKP, je propose d’étudier les rapports ambivalents de contrôle et d’autonomie à l’œuvre dans ce parti, et ce à partir de la notion de subjectivation politique, entendue comme une transformation du rapport à soi via la remise en question des normes, des pratiques et des représentations auxquelles les individus étaient socialement disposés. Pour cela, j’analyse le militantisme à l’AKP pour lui-même, et la manière dont l’engagement partisan affecte les trajectoires, les modes de vie et les perceptions de soi des militantes. Celles-ci sont en effet issues de milieux conservateurs dans lesquels la structure familiale et les rôles genrés qui y sont attachés ont une grande importance. Elles sont engagées dans un parti qui met ces valeurs en avant dans son discours comme dans son organisation interne. Pourtant, elles sont devenues des quasi-professionnelles de la politique, bouleversant leurs modes de vie et perturbant les dispositions acquises au cours de leur socialisation.

3L’AKP est issu de plusieurs décennies de croissance du mouvement islamiste. D’abord présenté comme un parti « démocrate conservateur » [2], il a pris un tournant autoritaire au début des années 2010, renforçant son contrôle sur les institutions étatiques, l’économie et la société civile. Ce mouvement s’est accéléré depuis la tentative de coup d’État de 2016, la reprise du conflit dans les régions kurdes, et l’alliance avec l’extrême droite [3]. Le parti se caractérise par la domination d’un chef charismatique, une hiérarchie centralisée, l’absence de démocratie interne, mais aussi une organisation plus informelle au niveau local, qui allie encouragement de la participation et contrôle des militants [4].

4Les femmes constituant à la fois un électorat et une base militante essentielle pour l’AKP [5], la question du genre est centrale au sein du parti [6]. Tout en manifestant la volonté de se placer comme l’avant-garde de l’intégration des femmes à la politique et à l’économie de marché, les réformes adoptées représentent surtout un progrès du « droit des mères », et s’adressent aux femmes en fonction de leur place dans la famille [7]. Le parti est organisé autour de trois entités qui se déclinent du niveau national au niveau local : la structure principale et deux organes auxiliaires sans statut officiel ni autonomie financière, la branche des jeunes et la branche féminine. Cette dernière a institutionnalisé l’activisme des femmes issu du mouvement islamiste des années 1990. Elle compte 4,5 millions d’adhérentes, soit la moitié des effectifs du parti, et représente la plus grande organisation féminine en Turquie [8]. C’est surtout au niveau des quartiers que le militantisme féminin au sein de l’AKP est connu : les femmes assurent la majorité des activités de campagne électorale et d’entretien des liens entre le parti et sa base par du porte-à-porte et un travail de charité, répertoire d’action hérité du Parti de la prospérité (Refah Partisi) [9] et observé dans d’autres mouvements islamistes [10]. Si la littérature portant sur les politiques genrées de l’AKP est vaste, peu de travaux ont été consacrés à la participation des femmes à l’organisation partisane [11], qui est surtout traitée de manière annexe. La branche féminine y est souvent analysée comme un instrument de mise à l’écart des femmes [12], et le genre abordé comme un simple indicateur du positionnement idéologique du parti.

5La littérature sur le militantisme féminin oscille entre deux approches [13] : l’une consiste à mettre en lumière les logiques patriarcales du militantisme, la division et la hiérarchisation sexuelle du travail militant [14], l’autre insiste au contraire sur l’effet émancipateur de ce militantisme considéré comme un « espace de réalisation de soi » [15]. Dans les mouvements de la droite radicale, la question s’est posée avec une acuité particulière : le militantisme conservateur reproduit-il la domination masculine dans la sphère politique, ou bien est-il un vecteur d’émancipation [16] ? Ces travaux peuvent être rapprochés de la riche littérature qui se penche depuis les années 1990 sur l’agency (capacité à agir) des femmes dans l’activisme religieux, en particulier musulman [17]. Délaissant le raisonnement dichotomique en termes d’émancipation et de domination, ainsi que l’approche « romantique » de la résistance [18], d’autres études ont proposé à la suite de Saba Mahmood d’élargir la définition d’agency à l’œuvre « non seulement dans les actes de résistance aux normes mais aussi dans les multiples façons dont on habite les normes » [19]. Il n’est plus question alors de résoudre le « paradoxe » de l’engagement féminin conservateur mais plutôt de l’étudier dans ce qu’il produit sur des trajectoires nécessairement situées et dans les possibilités de subjectivation et de participation qu’il ouvre, y compris dans la réappropriation des normes [20]. Je m’inscris dans cette démarche, en proposant de lier l’étude des pratiques et récits des actrices et celle des structures institutionnelles dans lesquelles ils se développent. Largement issue de la pensée de Foucault, la notion de subjectivation [21] peut aider à comprendre les prises de distances par rapport à la socialisation, les négociations mais aussi les différentes manières d’habiter et de reproduire les normes de genre. Elle est, comme l’agency, un processus relationnel [22] fragile, qui s’inscrit dans des cadres sociaux que l’on ne peut ignorer [23].

6Mes réflexions s’appuient sur une enquête de quatre mois menée en 2017 au sein de la branche féminine de l’AKP à Istanbul où j’ai conduit 30 entretiens biographiques auprès de militantes dont les niveaux de responsabilités sont différents, du quartier à la direction du siège provincial. Ceux que je mobilise ici ont été principalement menés dans l’arrondissement de Tuzla, quartier périphérique d’Istanbul, très étendu et relativement mixte, composé de nouvelles classes moyennes et de classes populaires, où j’ai pu obtenir ainsi un échantillon reflétant la diversité interne de l’AKP. Ils portaient sur les trajectoires familiales, militantes et professionnelles des enquêtées, mais aussi sur leurs pratiques et leur vision de l’organisation partisane. Ce travail a été complété par l’observation des activités militantes. La méthode d’analyse repose sur l’étude simultanée des entretiens et de leur inscription dans le contexte institutionnel de l’AKP. Comprendre les processus de subjectivation à l’œuvre dans l’engagement nécessite une attention particulière au récit biographique mais aussi à la tendance de mise en cohérence rétrospective propre au récit de soi [24].

7À rebours d’une conception monolithique de l’AKP, considéré de l’extérieur comme un bloc dominant la société, ce terrain m’a permis de saisir l’hétérogénéité interne du parti en termes de genre, ainsi que dans d’autres caractéristiques essentielles : la classe, le capital culturel, les trajectoires familiales et professionnelles. L’analyse intersectionnelle [25] de l’engagement semble être alors l’approche la plus heuristique : comme le montre Martina Avanza à propos des activistes anti-avortement italiennes, elle permet d’échapper au dilemme de l’agency versus domination, en révélant les hiérarchies internes au mouvement étudié [26]. Les trajectoires de subjectivation diffèrent à l’intérieur du parti, et toutes les femmes conservatrices n’ont pas la même capacité à agir, celle-ci dépendant de facteurs sociaux et organisationnels. En effet, les lignes de partage observées durant mon terrain sont principalement verticales. Au sommet de la hiérarchie, parmi les cadres du parti, on trouve des femmes diplômées issues de la bourgeoisie. Quand elles ne se consacrent pas entièrement à leur carrière politique, elles mènent de front militantisme et vie professionnelle, et ont une vie familiale souvent éloignée du modèle traditionnel. Dans les comités de quartier, on trouve plutôt des femmes au foyer, issues des classes populaires, ne disposant que d’un faible niveau d’études et dont les conjoints exercent des professions peu qualifiées. Ce sont souvent les plus âgées et les plus nombreuses. On trouve enfin une catégorie de femmes plus jeunes, célibataires ou récemment mariées, qui partagent leur temps entre études, militantisme et débuts dans la vie professionnelle. Cette hétérogénéité interne à l’organisation, sociale et générationnelle, est un élément essentiel de l’analyse des processus de subjectivation.

8J’étudierai tout d’abord les bouleversements introduits dans la gestion quotidienne de l’espace et du temps, les limites dans lesquelles ils s’inscrivent, ainsi que les registres moraux qui les entourent, entre revendication de nouveaux comportements et rappels à l’ordre. J’analyserai ensuite les modifications intervenues dans les équilibres entre les sphères de vie, ainsi que les tensions et négociations qui en résultent. Enfin, j’évoquerai les rétributions et les opportunités offertes par l’engagement. Celles-ci, bien que tangibles, sont circonscrites par un ensemble de règles institutionnelles qui limitent les possibilités de changement dans les trajectoires des militantes.

S’engager dans la branche féminine : rupture et transformation des usages de l’espace et du temps

9Federico Tarragoni a défini la subjectivation politique comme la remise en cause « des certitudes phénoménologiques ancrées dans un certain rapport au monde, socialement produit et engageant des corps, des identités, des découpages de lieux et de temps » [27]. Les récits d’entrée dans le militantisme à l’AKP insistent sur une rupture avec un « avant » qui incite à prendre en compte tant les trajectoires variables de l’engagement que les conséquences concrètes de celui-ci.

Motivations et trajectoires d’engagement

10Lorsque l’on interroge les militantes sur les raisons de l’existence d’une branche féminine à l’AKP, leurs réponses oscillent entre une vision instrumentale de leur mobilisation et un objectif plus large d’amélioration de la condition des femmes. La plupart justifient ainsi, d’abord, leur présence par leur utilité : du fait de leur rôle central dans la famille et de leur accès privilégié aux électeurs et, surtout, aux électrices, les femmes sont indispensables à l’AKP. C’est la conception de l’engagement la plus partagée aux échelons inférieurs du parti, qui adhèrent à une définition complémentaire et essentialiste des genres. Parmi les cadres, on entend une seconde raison : « développer les femmes » et les inclure dans la vie politique. La branche féminine est alors conçue comme un outil d’amélioration du quotidien des femmes et un tremplin vers la politique professionnelle. Beaucoup présentent d’ailleurs leur engagement comme un vecteur de libération et d’épanouissement, et comme la preuve de la réussite de l’AKP, parti qui se présente comme le libérateur des femmes musulmanes opprimées par des décennies de laïcité à marche forcée.

11Une analyse processuelle de l’engagement permet d’en retracer les principaux traits. Si les militantes partagent une socialisation au sein de milieux conservateurs qui a favorisé leur politisation, les récits doivent être replacés dans le contexte d’ascension de l’AKP, qui a encouragé l’entrée en politique de femmes jusqu’alors restées dans des engagements associatifs et caritatifs. La plupart des militantes ont été « invitées » par une femme, voisine, membre de leur famille ou amie. En raison du statut semi-officiel de la branche féminine, les nominations sont relativement informelles, et plus l’on descend vers le niveau local, plus le recrutement se fait dans le voisinage, à l’occasion des activités de porte-à-porte. Seule une femme de notre échantillon s’est engagée en suivant son mari. L’entrée au parti se fait de manière différente aux échelons supérieurs : les diplômées ont pu bénéficier d’une opportunité à une période d’expansion où l’AKP avait besoin de militants qualifiés et en particulier de femmes. Plusieurs ont été ainsi « approchées » par le parti en raison de leur niveau d’études ou de leurs relations familiales. De manière générale, la création des branches féminines à tous les échelons du territoire a créé une structure d’opportunité pour l’engagement féminin.

Élargissement physique et symbolique de l’espace

12Une journée passée avec les militantes consiste en un grand nombre de déplacements en voiture ou en bus, des locaux du parti aux quartiers, de la visite à une association au thé chez une militante. Elles disent d’ailleurs qu’elles vont « sur le terrain ». L’engagement, vécu comme une rupture, a souvent engendré un élargissement de leur espace quotidien. Beaucoup sont femmes au foyer, et leurs rares déplacements étaient auparavant circonscrits au quartier, du fait des contraintes domestiques, des consignes de leurs conjoints ou d’obstacles matériels (absence de permis de conduire, coût des transports en commun). Pour elles, s’engager, c’est donc avant tout sortir : « Elle m’a dit : “On travaille pour le parti, est-ce que tu veux nous aider ?”. Moi je suis sortie de la maison ce jour-là. Je suis sortie de la maison en 2001, je ne suis jamais retournée à la maison et aujourd’hui je suis ici. Ça fait quinze ans. Depuis ce jour, on est dehors » [28].

13Tuzla est un arrondissement plutôt mal desservi par les transports en communs. Une militante de quartier, femme au foyer, mère de trois enfants et mariée avec un petit commerçant, m’a expliqué qu’elle avait été longtemps dépendante de son mari pour ses déplacements. Son domicile étant éloigné des locaux du parti, elle manquait régulièrement des réunions. Aussi m’a-t-elle appris, au cours de mon enquête, que son mari avait accepté qu’elle passe son permis de conduire et qu’il lui avait acheté une voiture. Certes, cette autonomie nouvelle visait à répondre au besoin socialement légitime de participer aux activités de l’AKP, mais sa voiture lui sert également désormais à rendre visite à ses proches ou à aller au centre commercial [29].

14À mesure qu’elles progressent en politique, les militantes participent à des congrès dans d’autres villes, voire à l’étranger. Pour des femmes issues de milieux dans lesquels il peut être réprouvé de se déplacer seule, c’est une grande source de confiance en soi. Certaines « anciennes » témoignent tout particulièrement des transformations survenues à leur génération, en inscrivant leur liberté fraîchement acquise dans une opposition maintes fois répétée entre l’« ancienne » et la « nouvelle » Turquie : « J’ai 50 ans, et aujourd’hui je peux sortir et aller partout comme je veux. Avant j’avais peur de sortir, peur qu’on m’embête. Avant, si je croisais quelqu’un qui me disait : “Bonjour, comment allez-vous ?”, j’avais peur. Tellement on a été élevées dans l’enfermement. Avant, on ne pouvait même pas s’asseoir devant la porte, on se disait : “Il y aura des commérages”. Mais aujourd’hui, les femmes sont partout ! » [30].

15Cet élargissement de l’espace doit toutefois être relativisé. Il est d’abord dépendant de l’échelon hiérarchique. Les présidentes de comité ont une responsabilité de représentation, leur présence est requise à de nombreux événements publics. Elles ont un chauffeur et se déplacent dans tout le pays. Le quotidien des militantes de quartier est beaucoup plus circonscrit géographiquement. Par ailleurs, l’espace auquel elles accèdent est genré, les femmes se regroupant dans les maisons, marchés, associations, quand les hommes investissent cafés, entreprises et places publiques. Quand elles et ils utilisent les mêmes lieux, c’est rarement de manière simultanée. Surtout, la majeure partie du temps militant est consacrée aux visites à domicile : si les femmes de l’AKP sont sorties de chez elles, c’est pour mieux entrer chez les autres. Activité principale de la branche féminine, ces visites de courtoisie ont lieu chez les sympathisantes ainsi que chez les personnes identifiées comme vulnérables (pauvres, handicapées, âgées), ou encore à l’occasion d’un événement important (mariage, naissance, décès). Les militantes effectuent ces tournées par petit groupe, apportant un cadeau (thé, café, pâtisseries), parfois des dons (vêtements, nourriture). À ces visites s’ajoutent en période électorale le porte-à-porte et les « conversations à la maison » (ev sohpetleri). Ces séances de discussion réunissent une dizaine de femmes (voisines, famille) au domicile d’une adhérente autour d’un sujet politique, social ou religieux, une activité hautement politique donc, mais qui ne sort pas de l’espace domestique. Il y a ainsi une ambivalence entre la sortie vers l’espace public et une forme de confinement à la sphère privée. C’est une stratégie revendiquée par l’AKP : les femmes sont indispensables car elles sont capables de « frapper à toutes les portes », et parce qu’une femme acquise à la cause du parti pourra convaincre sa famille [31]. Ces réunions à domicile peuvent être comparées à celles des militantes communistes des années 1970 décrites par Dominique Loiseau : « Le lien de sociabilité reste la maison, mais cette modification des attributs de l’espace privé lui donne ses lettres de noblesse, le transcende, tout comme l’homme transcende son lieu de travail en y militant. L’énergie n’est pas déployée seulement pour reproduire ou exécuter, elle vise à transformer le réel ou les rapports au sein de ce réel » [32]. Ainsi les activités de la branche féminine de l’AKP tournées vers la sphère privée entraînent-elles une politisation de cet espace. Or, loin d’être autonomes ou spontanées, ces « conversations à domicile » font l’objet d’une planification précise par le parti et de rapports écrits systématiques. Elles témoignent donc de l’institutionnalisation par l’AKP des rôles attribués aux femmes.

Nouvelle gestion du temps

16Un poste à l’AKP représente un engagement lourd, même pour les militantes qui étaient déjà bénévoles dans le secteur associatif. Toutes opposent le temps d’avant, passé à rester « assises », à « attendre », à leur nouvelle vie où elles « courent partout » et « sont occupées ». Celles qui mènent de front vie professionnelle et militantisme constatent des modifications de leur rythme de vie. Ces modifications, qu’elles tiennent pour positives, suscitent chez elles un éloge de l’activité et de nombreuses critiques de l’« oisiveté » des femmes au foyer : « Je ne reste pas assise à la maison moi ! Aujourd’hui, je n’ai rien de particulier à faire ici, mais je viens, on ne sait jamais, peut-être que je peux me rendre utile. Si je reste à la maison deux jours de suite, j’ai l’impression de ne rien faire. Le premier jour tu fais le ménage. Tu continues le deuxième. Le troisième jour, je me dis : “Mais pourquoi je suis à la maison ? Je n’ai rien fait aujourd’hui”. Parce que le ménage, la cuisine, c’est toujours la même chose. Mais quand je sors... regarde je t’ai rencontrée. J’ai fait une réunion. En chemin, j’ai croisé une amie, on a papoté, j’ai aidé quelqu’un à propos du parti. Aujourd’hui, je suis sortie de la maison, j’ai déjà fait trois ou quatre choses utiles ! Si je reste toute la journée à la maison, quoi ? Je vais aller voir ma voisine, on va boire un café, faire des commérages, ou alors je vais allumer la télévision » [33].

17Les militantes passent en moyenne une à deux journées par semaine dans les locaux du parti, mais il y a toujours du passage, quelle que soit l’heure. Certaines viennent en avance aux réunions, d’autres y rédigent des documents, partagent un thé. Les absences sont tolérées, chacune modulant son investissement en fonction de ses obligations familiales ou professionnelles. Surtout, l’engagement varie en fonction des échelons hiérarchiques. Pour les cadres, le militantisme est un travail à plein temps : en déplacement tous les jours de la semaine, elles consacrent leurs week-ends à des réunions et des cérémonies. Pour les militantes de la base, l’engagement est plus ponctuel. Cependant, et même si elles ne peuvent pas l’appliquer à leur propre vie, elles ont parfaitement intégré l’idéal de la femme active et débordée : l’éloge de l’activité témoigne tout autant d’une transformation des modes de vie que de l’adhésion à de nouvelles normes.

18Pourtant, une femme qui « en fait trop » sera mal considérée, et son manque de mesure aura un coût sur sa réputation. Il existe donc, parallèlement à l’éloge de l’activité, un éloge de l’équilibre entre les sphères de vie : « Je n’ai pas travaillé comme une folle. J’ai travaillé de manière calme, stable, organisée, en sachant ce que j’avais à faire. J’ai ma famille, mon mari, mes enfants. Il faut garder un équilibre entre les deux. Si tu te charges trop ici, et que tu négliges ta maison, ton foyer tombe en ruines. Ton mari, il peut accepter jusqu’à un certain point. (...) Une femme intelligente, c’est une femme équilibrée » [34].

19Ainsi la famille est-elle une priorité incontournable : « Je leur dis : “Ne négligez surtout pas vos enfants. Ne négligez pas votre mari. Parce que si vous négligez votre famille...”. Par exemple aujourd’hui, Yasemin a préparé la liste des assesseurs, mais si elle avait dû négliger l’éducation de ses enfants pour le faire, alors pour nous ce serait du travail perdu. On ne veut jamais prendre le temps qu’une mère devrait consacrer à sa famille » [35]. Ces recommandations émanent d’une femme à qui sa position de présidente confère une certaine autorité. Célibataire et sans enfant, elle cumule ses responsabilités au parti, un poste à la mairie et la présidence d’une association caritative. Il semble ainsi qu’une division du travail soit acceptable entre les femmes qui ont des priorités familiales en tant qu’épouses et mères et celles qui n’en ont pas parce qu’elles sont célibataires ou divorcées.

De nouveaux modes de vie, sources de tensions

20Le militantisme a des conséquences directes sur la vie familiale. De nouveaux arrangements apparaissent, accompagnés de discours qui revendiquent une certaine prise de distances par rapport au modèle familial traditionnel.

Négociations entre vie familiale et militantisme

21Les femmes étant majoritairement responsables de la sphère domestique, il est essentiel de tenir compte dans l’analyse de l’imbrication des différentes sphères de vie [36] afin de comprendre les incidences de l’engagement [37]. La plupart se sont engagées en fonction de leur disponibilité biographique [38], quand les responsabilités familiales étaient moins lourdes, soit parce qu’elles étaient célibataires, soit parce que leurs enfants avaient grandi.

22Autre condition indispensable citée par toutes les militantes : l’autorisation du conjoint. Le militantisme à l’AKP est accepté car socialement légitime, c’est une activité non rémunérée, assimilée à du volontariat, ne remettant pas en cause le modèle du male breadwinner, et qui respecte le principe de séparation des sexes. Certes, l’accès des femmes à l’emploi est encouragé dans les discours officiels de l’AKP, et de nombreuses cadres du parti travaillent. Néanmoins, il peut être considéré comme inapproprié dans les milieux les plus conservateurs, alors que le militantisme est plus facilement accepté : « J’avais très envie de travailler, mais mon mari ne m’a pas donné la permission. Moi, tu sais, j’ai été admise au concours des fonctionnaires après le lycée ! Mais mon mari préférait que je reste à la maison. (...) Mais j’étais un peu stressée, à cause des enfants. Donc il m’a dit : “Tu vas te rendre utile, tu seras dans le parti, ça va te déstresser, tu vas être bénévole”. Comme il aime beaucoup ce travail bénévole, il me soutient, il s’occupe des enfants, Dieu merci. (...) L’autre jour, je lui ai laissé mon fils, il m’a dit : “J’en ai marre des enfants, je les veux pas dans mes pattes au travail !” J’ai dit : “Dans ce cas, je quitte l’AKP. Où veux-tu que je laisse les enfants ?” Alors il m’a dit : “Tais-toi, dis pas n’importe quoi, si toi tu arrêtes, qui va s’occuper de ce pays !” » [39].

23Plusieurs militantes racontent que la répartition des tâches se modifie en période électorale, leur conjoint acceptant ponctuellement de s’occuper des enfants ou de la cuisine. Malgré ces arrangements, les horaires génèrent des conflits parce que l’engagement est autant de temps en moins passé à la maison, et parce qu’il n’est pas considéré comme convenable qu’une femme soit dehors à des heures tardives. Les militantes ont alors recours à des stratégies, notamment en période électorale : « J’ai beaucoup de mal à gérer ma maison et ce travail en même temps. Quand je rentre à la maison le soir à 1 heure ou 2 heures du matin, je me dis : “Pourvu que mon mari n’entende pas”. Je mets mon pyjama tout de suite, j’allume la télévision, et quand, lui, il sort de la chambre à coucher, je dis : “Oh ça fait longtemps que je suis rentrée”, alors que je viens d’arriver. Je lui dis : “Tu ne m’as pas entendue rentrer ?”, “Non, je n’ai pas entendu la porte” » [40].

24Sans renverser les hiérarchies, ces « petits arrangements » [41] sont des formes de négociation et de distance au rôle, des modalités de subjectivation induites par l’activité politique et susceptibles de « former le creuset de dispositions à l’agency à venir » [42].

Des modes de vie hors norme dans un milieu normé

25Certaines militantes aux profils atypiques méritent une attention particulière. Parmi les enquêtées, cinq ont plus de 35 ans, sont célibataires et sans enfant. Elles sont aux postes les plus élevés de la hiérarchie et concilient militantisme et activité professionnelle. Deux autres ont divorcé [43]. Elles ont un mode de vie éloigné de celui promu par l’AKP qui valorise le rôle maternel des femmes, puisque, selon les discours largement médiatisés d’Erdoğan, les femmes devraient avoir « au moins trois ou quatre enfants », et qu’« une femme sans enfant est incomplète » [44].

26Le décalage entre le discours du parti et sa propre vie n’a pas échappé à cette diplômée d’architecture, membre du comité provincial de la branche féminine, qui a étudié en Australie puis travaillé à Dubaï et au Canada. À 36 ans, elle est mariée et mère de deux enfants : « Écoute, moi, personnellement, oui je suis dans ce parti, mais je ne peux pas faire trois ou quatre enfants. Ça me demande beaucoup, deux enfants, de m’en occuper. Je respecte les gens qui font trois ou quatre enfants, c’est bien les familles nombreuses, c’est important pour moi que les femmes fassent des enfants quand elles sont jeunes. Mais tout le monde ne peut pas faire trois enfants » [45].

27S’engage alors un travail de mise en cohérence des discours. Les militantes présentent leur engagement comme l’extension dans la sphère politique des responsabilités et des qualités maternelles telles que le dévouement, l’écoute, voire le sacrifice de sa propre vie familiale pour mieux se dédier à la cause du parti [46]. Celles qui n’ont pas d’enfant expliquent que leur engagement fait d’elles de futures mères, des mères de la nation et même des mères de l’État : « Pour moi, l’État, c’est comme un enfant, comme un petit... Il ne peut grandir que si tu l’élèves, si tu lui donnes à manger, si tu t’occupes de lui. Et ça, je pense que ce sont les femmes qui en sont capables. Si tu regardes l’État comme un petit, alors pour pouvoir faire grandir ce pays, il faut des femmes en politique » [47].

28Une diplômée en management, comptable aux services financiers de la mairie, célibataire et sans enfant, utilise ce même registre de justification : « Une femme peut être forte du point de vue spirituel. Elle a un côté spirituel très fort, dans sa constitution. Parce que, quoi qu’il en soit, c’est une mère, c’est une personne qui enfante, qui donne la vie » [48]. En définissant la maternité (même symbolique) comme une caractéristique essentielle de la femme, elle peut revendiquer des qualités féminines sans pour autant suivre le modèle prévu pour les femmes, et la contradiction entre les rôles est atténuée.

29Par ce travail d’« invention de soi » [49], les militantes élaborent des conceptions nouvelles des rôles de genre. Sans remettre en question la norme, elles négocient sa définition et la manière dont elles s’y conforment. Au demeurant, ces discours sont en partie suscités par la situation d’entretien qui tend à générer des récits cohérents. Porte-parole de leur parti, beaucoup de ces enquêtées ont considéré cette situation comme une occasion de promouvoir les valeurs de l’AKP, valeurs qu’il serait problématique de remettre en cause par une trop grande dissonance avec leurs propres modes de vie.

Les rappels à l’ordre

30Si ces arrangements avec les modèles familiaux procèdent d’un processus de subjectivation politique, il convient, pour que l’analyse soit complète, de prendre en compte les mécanismes de contrôle qui y répondent.

31Les contextes de non-mixité ont pu être décrits comme des opportunités de prise de conscience et d’émancipation individuelle et collective [50], mais ils peuvent également fournir des espaces de réitération des normes par les pairs via un ensemble de recommandations. Ces rappels à l’ordre forment un contrôle horizontal, une injonction à respecter un mode de vie en accord avec les règles morales du collectif. Régulièrement, les aînées encouragent les plus jeunes, célibataires, à fonder une famille, à trouver « un bon mari » et à faire « de beaux enfants », si possible rapidement. Les règles de convenance concernent aussi le travail aux côtés des hommes. Une militante de 22 ans justifie ainsi son entrée à la branche féminine plutôt qu’à la branche des jeunes qui est mixte : « La branche des jeunes... bien sûr, moi aussi je suis jeune, mais... je suis mariée, en même temps. Comme je suis mariée, je suis avec les femmes » [51].

32Enfin, les commérages sont fréquents entre militantes. Lors d’une soirée informelle autour d’un café, deux de mes enquêtées critiquent le comportement d’une membre de leur comité qui aurait l’habitude de participer à toutes les activités, y compris le soir : « Qu’est-ce qu’une femme a à faire dehors à 2 heures du matin avec des hommes ? ». La frontière entre l’acceptable et l’inacceptable est ténue. Ces deux enquêtées, Feryal et Yelda, tiennent ces propos dans un café autour de 22 heures, mais c’est un établissement familial, situé dans la « marina » sécurisée de Tuzla, et le mari de Feryal les attend à l’extérieur : contexte bien différent d’une activité d’affichage de nuit organisée par les jeunes du parti et à laquelle il est inconvenant de participer. La pression des pairs à être une bonne mère, respectable et équilibrée, contribue ainsi au maintien d’un statu quo moral.

33Ces réflexions renvoient au débat sur l’« émancipation » des femmes dans les régimes communistes est-européens. Plusieurs travaux [52] ont révélé la manière dont coexistaient à cette époque des politiques pro-femmes promouvant leur intégration à l’économie et, plus marginalement, à la politique, et une conception maternaliste remettant peu en question les inégalités dans la sphère domestique, générant par là même un double burden pour des femmes dont les aspirations familiales, professionnelles et politiques étaient parfois difficilement conciliables.

Des rétributions et opportunités limitées

34Quels sont les processus de subjectivation à l’œuvre dans les activités militantes ? Les femmes jouant un rôle essentiel dans la mobilisation électorale et dans l’entretien de la clientèle de l’AKP, l’enjeu organisationnel pour le parti est donc de trouver un équilibre entre rétributions (qui rendent l’engagement agréable) et contrôle (qui permet la loyauté et l’efficacité des militantes).

Épanouissement personnel et encadrement de l’individu

35L’idéal du don de soi et l’« intérêt au désintéressement » [53] qui existent dans les organisations caritatives [54] comme dans la politique professionnelle [55] sont exacerbés dans la branche féminine de l’AKP, où trois registres se conjuguent : le dévouement du militant au collectif ; le don de soi féminin et maternel ; et le sacrifice religieux qui interdit toute recherche d’un gain matériel. À cela s’ajoute le culte de la personnalité d’Erdoğan, figure centrale dans les récits des femmes qui mettent en avant leur volonté de s’effacer au service du « chef ».

36L’engagement ne peut cependant être envisagé sous le seul angle du sacrifice car il génère en réalité des dynamiques couplées « de don de soi et d’affirmation de soi, d’adhérence et d’affranchissement, d’emprise et de déprise institutionnelle » [56]. La politique peut alors être présentée comme une activité « pour soi » : « Avant d’entrer en politique, je me suis vraiment dévouée à ma famille, que ce soit mes enfants ou mon mari. Avec moi, ils n’ont jamais manqué de rien. J’ai tout fait, j’ai préparé les repas, j’ai fait le ménage. Mais ils ont grandi, ils ont volé de leurs propres ailes... et un peu après je suis entrée en politique en me disant : “Maintenant il faut que je fasse quelque chose pour moi” » [57].

37Le militantisme offre une multitude de rétributions [58]. De nombreuses activités de la branche féminine s’apparentent à un travail de charité : distribution de nourriture aux réfugiés, visites aux enfants malades, aide spirituelle aux familles en deuil. Les militantes en tirent la satisfaction de « faire le bien » et une estime de soi [59], notamment pour celles qui n’exercent pas de profession. La formule « avant, j’étais femme au foyer » revient régulièrement : sans être une profession, « militante » est un statut valorisant. De plus, des formations permettent aux femmes de se tenir au courant de la situation politique de la Turquie (telle que présentée par le parti). Durant la campagne sur le référendum de 2017, elles ont été par exemple régulièrement « briefées » sur les enjeux constitutionnels de la réforme. Ces nouvelles connaissances se traduisent par un sentiment d’autorisation politique [60] directement observable en situation d’entretien : beaucoup ont saisi cette occasion pour présenter dans le détail les politiques de l’AKP.

38Au niveau organisationnel, le parti offre également une reconnaissance en valorisant la hiérarchie et l’autorité. La répartition des responsabilités et du prestige jusqu’au niveau le plus local apporte aux militantes un sentiment de reconnaissance. Elles s’appellent mutuellement başkan, « présidente », y compris pour s’adresser à leurs collègues des postes inférieurs. Elles sont en effet toutes présidentes de quelque chose : des affaires sociales, des relations publiques, de la communication, et ce à tous les échelons.

39Enfin, le militantisme permet l’acquisition d’une notoriété locale : « Dès que tu sors dans la rue, tu es “AKP”, directement les gens disent : “C’est une de Tayyıp”. Quand je vais au marché, tout le monde me salue, me dit : “Que Dieu te bénisse”. Tout le monde m’arrête, “Sinem, ma sœur, la mairie m’a dit ça, etc.”. Je ne peux pas faire les courses, mon mari s’énerve ! Une personne normale reçoit peut-être un invité par jour. Moi au moins 10 personnes frappent à ma porte chaque jour ! Mon téléphone sonne 50 fois par jour ! » [61].

40Pour des femmes au foyer issues des classes populaires, ce genre de rétributions est très important, et l’engagement constitue une rupture dans le champ des possibles [62]. C’est moins le cas pour les cadres dont la réussite professionnelle et l’expérience acquise en politique peuvent rendre en comparaison l’engagement moins attractif s’il ne leur offre pas de perspectives de carrière satisfaisantes. Il arrive dans ces cas-là qu’elles envisagent un désengagement : « Après le référendum, je ferai un peu un check-up. Je verrai ce que je ferai. Ça n’a rien à voir avec la politique en soi, tu comprends ? J’ai envie de le faire. Mais... tu sais, je pense que si tu ne gagnes rien quelque part, si aller à cet endroit ne t’apporte rien, c’est une perte de temps. Il faut essayer autre chose, et là où je prends plus de plaisir, je suis plus efficace, je peux travailler davantage » [63].

Opportunités de carrière et limites institutionnelles

41À ces rétributions symboliques s’ajoutent des avantages plus matériels, notamment sur le plan de la carrière politique et professionnelle. La branche féminine de l’AKP est-elle ainsi un vecteur d’empowerment[64] politique et professionnel ? L’engagement est l’occasion d’acquérir un capital militant [65]. Les membres de l’organe féminin de l’AKP évoquent des apprentissages qui peuvent se révéler utiles dans le monde professionnel comme la rédaction de rapports, l’acquisition de compétences relationnelles ou d’une discipline de travail. Certaines séances dédiées à la prise de parole en public ou aux règles protocolaires témoignent de la volonté de l’AKP de professionnaliser et d’encadrer le travail de ses membres. La valorisation de la formation dépasse même le cadre du parti, puisque beaucoup de militantes, encouragées par le collectif, ont repris des études.

42La rétribution la plus importante se situe dans les opportunités professionnelles. Depuis 2002, l’AKP monopolise le pouvoir et contrôle la plupart des institutions, à commencer par l’administration, l’éducation, les médias et la justice [66]. Grâce aux réseaux du parti et à la pratique étendue du patronage, il est aisé de naviguer entre milieu partisan, emploi dans la fonction publique et secteur privé, notamment au niveau local [67]. Dans le cas des femmes, l’accès à l’emploi est limité [68], mais il existe des opportunités pour les militantes notamment dans les structures municipales d’aide sociale, qui représentent un accès à l’emploi facilité et socialement légitime que les militantes perçoivent comme la continuité de leur engagement, dans un secteur majoritairement féminin. Dans notre échantillon, six femmes cumulaient un poste à l’AKP et un emploi à la mairie ou dans des structures paramunicipales sous un statut d’agent contractuel. Si elles niaient avoir été recrutées en guise de rétribution de leur engagement, toutes ont accédé à leur poste après être devenues membres de la branche féminine de l’AKP.

43En matière d’accès à la politique, le passage par cet organe est une étape nécessaire, comme en témoigne la trajectoire de la quasi-totalité des élues [69]. Il n’est toutefois pas suffisant. Au vu du faible taux de féminisation des élus, on ne peut pas considérer qu’il ait permis de briser le « plafond de verre », mais il a pu ouvrir une (petite) porte d’entrée vers la politique professionnelle.

44Un ensemble de mécanismes freinent ces possibilités de carrière. Si la cooptation par la direction du parti est importante dans la structure principale, les règles de nomination ne figurent pas dans les statuts de la branche féminine, et les postes sont alors attribués de façon encore plus informelle, via des réseaux d’interconnaissances locaux. Ce ne sont pas les individus et leurs compétences qui sont valorisés mais plutôt leur ancrage social et leur loyauté envers le parti. Le mot d’ordre de l’organisation m’a été maintes fois répété : « À l’AKP, on ne demande pas un poste, on le reçoit », formule par laquelle les militantes soulignaient leur absence d’ambition et leur respect des décisions du parti. L’interchangeabilité des postes contribue à l’idée que personne n’est indispensable, et la structure est caractérisée par un fort taux de rotation : « Chez les jeunes, il y a un renouvellement lié à l’âge. Dans la branche féminine, c’est lié à la vie des femmes. Par exemple, un homme, si sa femme tombe enceinte, il ne va pas démissionner, mais la femme elle, si elle tombe enceinte, elle va être obligée de quitter son poste. À cause des mariages, des déménagements, des enfants, il y a des changements dans la vie des femmes. Donc il y a beaucoup de circulation dans les équipes de la branche féminine. C’est pour ça qu’on n’a pas de statut officiel. Pour moi, on ne peut pas être officialisées, on a beaucoup trop de circulation » [70].

45Le caractère discontinu de l’engagement est un obstacle à la progression des carrières. De plus, la branche féminine repose sur un fonctionnement flexible, présenté par les cadres comme la condition de l’engagement de femmes a priori éloignées de la politique et qu’une discipline trop stricte pourrait dissuader. Les activités sont rythmées par de nombreux moments de divertissements. Beaucoup ont expliqué avoir trouvé dans la branche féminine une « famille », une « deuxième maison », expressions qui témoignent de l’attachement émotionnel au parti mais aussi de l’informalité qui caractérise les activités, que certaines conçoivent comme un frein à la professionnalisation : « La structure principale et la branche féminine, c’est simple, c’est comme professionnel/amateur » [71]. Cette ambiance informelle entraîne un renforcement du plafond de verre : « C’est un environnement semi-officiel. Ce qui a un inconvénient aussi, je pense. Oui, tu as une agency[72] politique, mais tu n’es pas préparée pour l’agency professionnelle. Et du coup, le manque de professionnalisme te rattrape parfois » [73].

46Enfin, la branche féminine dispose d’une faible autonomie et reste hiérarchiquement et financièrement dépendante de la structure principale du parti. Il n’est pas rare qu’aucun véhicule ne soit disponible pour les activités des femmes ou que les réunions doivent se tenir dans un petit bureau faute de place, et les présidentes locales manquent de marge de manœuvre pour monter des projets. C’est parmi les cadres intermédiaires, qui identifient le plafond de verre auquel se heurtent leurs ambitions, que les critiques se sont le plus exprimées : « Dès qu’on veut faire quelque chose qui nécessite de l’argent, il faut l’aval de la branche principale. Nos femmes ont parfois besoin d’une voiture pour aller d’un lieu à l’autre. Il faut demander à notre directeur financier, qui doit demander au directeur financier de la branche principale de la commune qui doit demander au directeur financier de la branche principale de la province [rires]. Notre ancienne présidente souhaitait plus de liberté, et elle n’a pas beaucoup continué dans cette organisation. On peut être libre, mais dans ce cas il faut faire autre chose » [74].

47La branche féminine de l’AKP est une organisation hybride. Organe auxiliaire d’un parti autoritaire et structure féminine semi-autonome, elle est le lieu à la fois d’un engagement vecteur de politisation et d’épanouissement pour les femmes et d’un encadrement des militantes par des règles institutionnelles et morales. La notion de subjectivation politique permet de rendre compte de la complexité des trajectoires militantes dans leur dimension processuelle et relationnelle, et ce dans trois domaines : la transformation des rapports quotidiens à l’espace et au temps ; la négociation de nouveaux rôles familiaux et les rappels à l’ordre qui les accompagnent ; l’accès à des rétributions symboliques, matérielles et professionnelles. Si l’étude du récit de soi permet de comprendre les dimensions morales et discursives de ces changements, c’est la prise en compte simultanée des dispositifs encadrant le militantisme qui permet une analyse fine du phénomène. La subjectivation a lieu sous contrôle institutionnel, elle est limitée par des cadres moraux et conditionnée à la loyauté au parti. Un des principaux résultats de cette enquête est d’avoir pu identifier les différentes formes de ce processus de subjectivation selon la position sociale des enquêtées. Ce faisant, elle a révélé l’hétérogénéité interne de la branche féminine de l’AKP et les décalages entre l’élite et les militantes de la base du parti concernant leurs discours, leurs pratiques et leurs carrières.

48Lévi-Strauss distinguait l’ingénieur, qui imagine et va « au-delà » des cadres qui l’entourent, du bricoleur, qui « s’arrange avec les moyens du bord » et dont l’horizon est « précontraint » [75]. Les militantes de l’AKP n’inventent pas un mode de vie totalement détaché des modèles traditionnels qu’elles continuent de promouvoir. En revanche, elles bricolent un rôle alternatif, celui de « mères politiques », négociant leur vie familiale et contournant parfois les normes au nom du parti. Suivant Jean-Claude Kaufmann, on pourrait dire que « c’est dans ce bricolage ordinaire des cadres de détermination que la liberté de l’individu s’exprime le plus fortement » [76]. Néanmoins, chaque voix dissonante se heurte au contexte hautement hiérarchisé et dominé par les hommes de l’AKP et à la disparition du pluralisme interne dans un parti plus que jamais contrôlé par son président.

Notes

  • [1]
    Entretien avec Zerha, 49 ans, Bac+5, enseignante et éditorialiste née en Grande-Bretagne de parents turcs, mariée avec un universitaire, deux enfants, responsable des affaires internationales à la branche féminine d’Istanbul, 30 juin 2016. Je traduis les entretiens cités ici, que j’ai conduits en turc. Tous les entretiens ont été anonymisés, à l’exception de ceux conduits avec des cadres ou anciennes élues, avec leur autorisation.
  • [2]
    Ümit Cizre, Secular and Islamic Politics in Turkey : The Making of the Justice and Development Party, Londres, Routledge, 2008.
  • [3]
    Yohanan Benhaim, Uğur Kaya, Dilek Yankaya, « La Turquie post-coup d’État : une présidentialisation autoritaire », Confluences Méditerranée, 107 (4), 2018, p. 9-14.
  • [4]
    Toygar Sinan Baykan, The Justice and Development Party in Turkey : Populism, Personalism, Organization, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, en particulier chap. 6 ; Arda Can Kumbaracıbaşı, Turkish Politics and the Rise of the AKP : Dilemmas of Institutionnalisation and Leadership Strategy, Londres, Routledge, 2009.
  • [5]
    Jan Fidrmuc, Çiğdem Börke Tunali, « Female Vote and the Rise of AKP in Turkey », CESifo Working Paper Series, 5226, 2015.
  • [6]
    Feride Acar, Gülbanu Altunok, « The “Politics of Intimate” at the Intersection of Neo-Liberalism and Neo-Conservatism in Contemporary Turkey », Women’s Studies International Forum, 41 (1), 2013, p. 14-23.
  • [7]
    Ayşe Buğra, « Revisiting the Wollstonecraft Dilemma in the Context of Conservative Liberalism : The Case of Female Employment in Turkey », Social Politics : International Studies in Gender, State & Society, 21 (1), 2014, p. 148-166 ; Zeynep Atalay, « Partners in Patriarchy : Faith-Based Organizations and Neoliberalism in Turkey », Critical Sociology, 45 (3), 2019.
  • [8]
    En 2010, le taux de représentation des femmes était de 15 % au MYK (Merkez Yürütme Kurulu, Comité exécutif central), de 28 % au MKYK (Merkez Karar ve Yönetim Kurulu, Conseil d’administration et de décision central). Elles constituaient 11,28 % des effectifs des directions locales (23,42 % à Istanbul). Mine Alparslan, « Les modes de gouvernement des partis politiques en Turquie. L’exemple du Parti de la justice et du développement (AK Parti) et le Parti républicain du peuple (CHP) (2001-2010) », thèse de doctorat en science politique, Université Paris 1, 2014, p. 123. Ces chiffres sont proches de ceux du parti d’opposition, le CHP, mais bien en-dessous du parti pro-kurde HDP. Pour une comparaison, voir Lucie Drechselova, « Femmes et pouvoir local : processus d’engagement et trajectoires politiques féminines en Turquie », thèse de doctorat en science politique, Université Paris Sciences et Lettres et Université Charles de Prague, 2018.
  • [9]
    Jenny B. White, Islamist Mobilization in Turkey : A Study in Vernacular Politics, Seattle, University of Washington Press, 2002.
  • [10]
    Janine A. Clark, Islam, Charity, and Activism : Middle-Class Networks and Social Welfare in Egypt, Jordan, and Yemen, Bloomington, Indiana University Press, 2004.
  • [11]
    À exception notable de Ayse Güneş Ayata, Fatma Tütüncü, « Party Politics of the AKP (2002-2007) and the Predicaments of Women at the Intersection of the Westernist, Islamist and Feminist Discourses in Turkey », British Journal of Middle Eastern Studies, 35 (3), 2008, p. 363-384 ; L. Drechselova, « Femmes et pouvoir local : processus d’engagement et trajectoires politiques féminines en Turquie », cité.
  • [12]
    Ceren Ark, « Transformation urbaine et réseaux clientélistes. Le quartier de Şahintepe à Istanbul », thèse de doctorat en science politique, Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, 2015 ; Sevinç Dogan, Mahalledeki AKP : Parti İşleyişi, Taban Mobilizasyonu ve Siyasal Yabancılaşma (L’AKP dans le quartier : travail partisan, mobilisation de la base et distanciation politique), Istanbul, Iletişim, 2017, p. 223-231 ; Aysen Uysal, Öguz Toprak, Particiler, Türkiye’de Partiler ve Sosyal Ağların (Les partisans, partis et réseaux sociaux en Turquie), Istanbul, Iletişim, 2013, p. 35.
  • [13]
    Pour une synthèse, voir Olivier Fillieule, « Travail militant, action collective et rapports de genre », dans Olivier Fillieule, Patricia Roux (dir.), Le sexe du militantisme, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
  • [14]
    Danièle Kergoat, « Penser la différence des sexes : rapports sociaux et division du travail entre les sexes », dans Margaret Maruani (dir.), Femmes, genre et sociétés : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2005, p. 94-101.
  • [15]
    Jacques Lagroye, Joyanna Siméant, « Gouvernement des humains et légitimation des institutions », dans Pierre Favre, Jack Hayward, Yves Schemeil (dir.), Être gouverné. Études en l’honneur de Jean Leca, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 56.
  • [16]
    Martina Avanza, « Les femmes padanes militantes dans la Ligue du Nord, un parti qui “l’a dure” », dans O. Fillieule, P. Roux (dir.), Le sexe du militantisme, op. cit. ; Kathleen M. Blee, Women of the Klan : Racism and Gender in the 1920s, Berkeley, University of California Press, (1991) 2009 ; Magali Della Sudda, « La politique malgré elles. Mobilisations féminines catholiques en France et en Italie (1900-1914) », Revue française de science politique, 60 (1), 2010, p. 37-60 ; Paola Bacchetta, Margaret Power (eds), Right-Wing Women : From Conservatives to Extremists around the World, New York, Routledge, 2002 ; Karen Celis, Sarah Childs, Gender, Conservatism and Political Representation, Colchester, ECPR Press, 2014.
  • [17]
    Pour une synthèse, voir Alberta Giorgi, « Gender, Religion, and Political Agency : Mapping the Field », Revista Crítica de Ciências Sociais, 110, 2016, p. 51-72 ; Stéphanie Latte Abdallah (dir.), « Le féminisme islamique aujourd’hui », dossier, Critique internationale, 46, 2010.
  • [18]
    Lila Abu-Lughod, « The Romance of Resistance : Tracing Transformations of Power through Bedouin Women », American Ethnologist, 17 (1), 1990, p. 41-55.
  • [19]
    Saba Mahmood, Politics of Piety : The Islamist Revival and the Feminist Subject, Princeton, Princeton University Press, 2011, p. 32.
  • [20]
    Par exemple, Fariba Adelkhah, La révolution sous le voile. Femmes islamiques d’Iran, Paris, Karthala, 1991 ; Amélie Le Renard, « “Droits de la femme” et développement personnel : les appropriations du religieux par les femmes en Arabie Saoudite », Critique internationale, 46, 2010, p. 67-86.
  • [21]
    Pour une synthèse, voir Federico Tarragoni, « Du rapport de la subjectivation politique au monde social. Les raisons d’une mésentente entre sociologie et philosophie politique », Raisons politiques, 62 (2), 2016, p. 115-130.
  • [22]
    Judith Butler, Défaire le genre, Paris, Éditions Amsterdam, 2006.
  • [23]
    Catherine Achin, Delphine Naudier, « L’agency en contexte : réflexions sur les processus d’émancipation des femmes dans la décennie 1970 en France », Cahiers du genre, 55 (2), 2013, p. 109-130.
  • [24]
    Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62-63, 1986, p. 67.
  • [25]
    Kimberlé Crenshaw, « Mapping the Margins : Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », Stanford Law Review, 43 (6), 1991, p. 1241-1299.
  • [26]
    M. Avanza, « Using a Feminist Paradigm (Intersectionality) to Study Conservative Women : The Case of Pro-Life Activists in Italy », Politics & Gender, 16 (2), 2020, p. 552-580 ; Sirma Bilge, « Beyond Subordination vs. Resistance : An Intersectional Approach to the Agency of Veiled Muslim Women », Journal of Intercultural Studies, 31 (1), 2010, p. 9-28.
  • [27]
    F. Tarragoni, « Du rapport de la subjectivation politique au monde social. Les raisons d’une mésentente entre sociologie et philosophie politique », art. cité, p. 129.
  • [28]
    Entretien avec Sinem, 51 ans, études élémentaires, femme au foyer, mariée avec un ouvrier, deux enfants, militante d’arrondissement de Tuzla, 31 janvier 2017.
  • [29]
    Entretien avec Feryal, 36 ans, études secondaires, femme au foyer, mariée avec un revendeur de pièces automobiles, trois enfants, présidente de quartier, 29 janvier 2017.
  • [30]
    Entretien avec Damla, 50 ans, études secondaires collège, femme au foyer, mariée avec un ouvrier, deux enfants, militante d’arrondissement de Tuzla, 27 janvier 2017.
  • [31]
    Entretiens avec des membres des comités provinciaux et du comité national de la branche féminine, janvier-février 2017.
  • [32]
    Dominique Loiseau, Femmes et militantisme, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 198.
  • [33]
    Entretien avec Damla, cité.
  • [34]
    Ibid.
  • [35]
    Entretien avec Funda, 30 ans, Bac+5, employée contractuelle de mairie, célibataire, présidente d’un comité d’arrondissement, 14 février 2017.
  • [36]
    O. Fillieule, « Post scriptum : propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », Revue française de science politique, 51 (1-2), 2001, p. 57.
  • [37]
    Anni Borzeix, Margaret Maruani, Le temps des chemises : la grève qu’elles gardent au cœur, Paris, Éditions Syros, 1982.
  • [38]
    Julie Pagis, « Quand le genre entre en crise (politique)... Les effets biographiques du militantisme en Mai-68 », Sociétés & Représentations, 24 (2), 2007, p. 234.
  • [39]
    Entretien avec Feryal, cité.
  • [40]
    Entretien avec Sinem, cité.
  • [41]
    C. Achin, D. Naudier, « L’agency en contexte : réflexions sur les processus d’émancipation des femmes dans la décennie 1970 en France », art. cité, p. 116.
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    Analysant le profil des militants de l’AKP, Ü. Cizre montre que les femmes sont plus nombreuses que les hommes parmi les célibataires (24,7 % contre 20,6 %), et encore plus parmi les divorcé·es et les veufs et veuves (5,2 % contre 0,5 %). Elle en conclut que « la vie familiale freine davantage la participation politique des femmes ». Ü. Cizre, Secular and Islamic Politics in Turkey : The Making of the Justice and Development Party, op. cit., p. 205.
  • [44]
    Discours prononcé le 5 juin 2016 à l’occasion de l’inauguration du nouveau siège de KADEM, l’Association de la femme et de la démocratie (Kadın ve Demokrasi Derneği).
  • [45]
    Entretien avec Ece, 36 ans, Bac+4, architecte, mariée avec un ingénieur, deux enfants, militante de province, 6 février 2017.
  • [46]
    Ces observations renvoient aux analyses de l’engagement féminin catholique ou d’extrême droite, dans lequel l’extension du registre maternel au politique légitime la transgression de l’ordre social. Fiammetta Venner, « Le militantisme féminin d’extrême droite : “une autre manière d’être féministe” ? », French Politics and Society, 11 (2), 1993, p. 37 ; M. Della Sudda, « Discours conservateurs, pratiques novatrices », Sociétés & Représentations, 24 (2), 2007, p. 217.
  • [47]
    Entretien avec Gülsem, 26 ans, Bac+3, étudiante, célibataire, militante d’arrondissement, 1er février 2017.
  • [48]
    Entretien avec Yelda, 37 ans, Bac+3, employée de mairie, célibataire, membre du comité d’arrondissement de la branche féminine, 26 janvier 2017. Depuis, Yelda s’est mariée avec un cadre de l’AKP et a mis fin à ses activités professionnelles et militantes.
  • [49]
    Jean-Claude Kaufmann, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Paris, Armand Colin, 2004, p. 115.
  • [50]
    Stéphanie Mayer, « Pour une non-mixité entre féministes », Possibles, 38 (1), 2014, p. 97-110.
  • [51]
    Entretien avec Büket, 22 ans, Bac+1, étudiante, mariée avec un chauffeur du parti, militante d’arrondissement, 25 janvier 2017.
  • [52]
    Valérie Dubslaff, « Les femmes en quête de pouvoir ? Le défi de la participation politique en République démocratique allemande (1949-1990) », Allemagne d’aujourd’hui, 207 (1), 2014, p. 33-45 ; Donna Harsch, Revenge of the Domestic : Women, the Family, and Communism in the German Democratic Republic, Princeton, Princeton University Press, 2007.
  • [53]
    P. Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France 1989-1992, Paris, Le Seuil/Raisons d’Agir, 2012, p. 567-570.
  • [54]
    Annie Collovald, et al., L’humanitaire ou le management des dévouements, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.
  • [55]
    Jean-Louis Briquet, « Communiquer en actes. Prescriptions de rôle et exercice quotidien du métier politique », Politix, 28 (7), 1994, p. 16-28.
  • [56]
    Catherine Leclercq, « Engagement et construction de soi : la carrière d’émancipation d’un militant communiste », Sociétés contemporaines, 84 (4), 2011, p. 147.
  • [57]
    Entretien avec Hülya, 52 ans, études secondaires collège, femme au foyer, mariée avec un fonctionnaire aux affaires religieuses, trois enfants, militante d’arrondissement, 31 janvier 2017.
  • [58]
    Daniel Gaxie, « Rétributions du militantisme et paradoxes de l’action collective », Swiss Political Science Review, 11 (1), 2005, p. 160.
  • [59]
    Julien Fretel, « Quand les catholiques vont au parti. De la constitution d’une illusion paradoxale et du passage à l’acte chez les “militants” de l’UDF », Actes de la recherche en sciences sociales, 155 (5), 2004, p. 78.
  • [60]
    D. Gaxie définit l’autorisation politique comme le sentiment de compétence et de légitimité. D. Gaxie, « Rétributions du militantisme et paradoxes de l’action collective », art. cité, p. 158.
  • [61]
    Entretien avec Sinem, cité.
  • [62]
    M. Avanza, « Les femmes padanes militantes dans la Ligue du Nord, un parti qui “l’a dure” », cité, p. 159.
  • [63]
    Entretien avec Ece, cité.
  • [64]
    L’AKP a repris ce terme à son compte.
  • [65]
    Frédérique Matonti, Franck Poupeau, « Le capital militant. Essai de définition », Actes de la recherche en sciences sociales, 155 (5), 2004, p. 8.
  • [66]
    Élise Massicard, « Une décennie de pouvoir AKP en Turquie : vers une reconfiguration des modes de gouvernement ? », Les Études du CERI, 205, 2014 ; D. Yankaya, La nouvelle bourgeoisie islamique. Le modèle turc, Paris, PUF, 2013.
  • [67]
    Charlotte Joppien, Municipal Politics in Turkey : Local Government and Party Organization, Londres, Routledge, 2018 ; Sabri Sayarı, « Interdisciplinary Approaches to Political Clientelism and Patronage in Turkey », Turkish Studies, 15 (4), 2014, p. 655-670.
  • [68]
    En 2018, 32,9 % des femmes entre 15 ans et 64 ans occupaient un emploi. OCDE, « Tableau B3 - Rapports emploi/population par groupe d’âge – Femmes : en pourcentage de la population des femmes dans chaque groupe d’âge », dans Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2019 : l’avenir du travail, Paris, Éditions OCDE https://doi.org/10.1787/8aed014a-fr.
  • [69]
    M. Alparslan, « Les modes de gouvernement des partis politiques en Turquie. L’exemple du Parti de la justice et du développement (AK Parti) et le Parti républicain du peuple (CHP) (2001-2010) », cité, p. 123.
  • [70]
    Entretien avec Funda, cité.
  • [71]
    Ibid.
  • [72]
    En anglais dans l’entretien.
  • [73]
    Entretien avec Merve Kavakçi, 49 ans, Bac+8, professeur des universités, divorcée, deux enfants, ancienne députée du parti de la Vertu, 5 juillet 2016. Ce Parti a été actif de 1997 à 2001, et ses membres ont été parmi les fondateurs de l’AKP. Merve Kavakçi a été la première femme voilée au Parlement turc.
  • [74]
    Entretien avec Seyma Dögücü, 52 ans, Bac+5, avocate, mariée avec un avocat, trois enfants, présidente de la branche féminine de la province d’Istanbul, 24 août 2016.
  • [75]
    Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1983, p. 35.
  • [76]
    J.-C. Kaufmann, Ego : pour une sociologie de l’individu, Paris, Nathan, 2001.
Français

Les possibilités de subjectivation politique dans l’engagement partisan sont ici questionnées à partir d’entretiens et d’observations auprès de militantes de la branche féminine de l’AKP en Turquie. À rebours d’un raisonnement dichotomique en termes d’oppression et d’émancipation, il s’agit d’étudier les incidences de l’engagement sur les trajectoires des militantes, notamment à travers leur réappropriation des normes de genre. La notion de subjectivation politique s’applique ici dans trois domaines : la transformation des rapports quotidiens à l’espace et au temps ; la négociation des rôles familiaux et les rappels à l’ordre qui l’accompagnent ; l’accès à des rétributions symboliques, matérielles et professionnelles. L’étude des dispositifs encadrant le militantisme confirme que la subjectivation a lieu sous contrôle institutionnel, qu’elle est limitée par des cadres moraux et conditionnée à la loyauté au parti. Le processus varie toutefois en fonction de la position sociale des enquêtées, révélant l’hétérogénéité interne à l’AKP et les décalages entre l’élite et les militantes de la base du parti concernant leurs discours, leurs pratiques et leurs carrières.

Prunelle Aymé
doctorante en science politique à Sciences Po Paris, rattachée au Centre de recherches internationales (CERI). Ses travaux portent sur les femmes et la politique locale sous l’AKP, les politiques publiques et les politiques sociales sous ce même régime, le genre et l’intermédiation politique.
prunelle.ayme@sciencespo.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 21/09/2020
https://doi.org/10.3917/crii.088.0111
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