CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Adrian Coman, Robert Clabourn Hamilton, Asociaţia Accept c/ Inspectoratul General pentru Imigrari, Ministerul Afacerilor Interne

2[…]

3Sur les questions préjudicielles

4Observations liminaires

518. Il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, la directive 2004/38 vise à faciliter l’exercice du droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres qui est conféré directement aux citoyens de l’Union par l’article 21, § 1, TFUE et que cette directive a notamment pour objet de renforcer ledit droit (arrêts du 12 mars 2014, O. et B., C-456/12, EU:C:2014:135, point 35 ; du 18 déc. 2014, McCarthy e.a., C-202/13, EU:C:2014:2450, point 31, ainsi que du 14 nov. 2017, Lounes, C-165/16, EU:C:2017:862, point 31).

619. Aux termes de son article 3, § 1, la directive 2004/38 s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, point 2, de cette directive, qui l’accompagnent ou le rejoignent.

720. À cet égard, ainsi que la Cour l’a jugé à plusieurs reprises, il résulte d’une interprétation littérale, systématique et téléologique des dispositions de la directive 2004/38 que celle-ci régit uniquement les conditions d’entrée et de séjour d’un citoyen de l’Union dans les États membres autres que celui dont il a la nationalité et qu’elle ne permet pas de fonder un droit de séjour dérivé en faveur des ressortissants d’un État tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union, dans l’État membre dont celui-ci possède la nationalité (voir, en ce sens, arrêts du 12 mars 2014, O. et B., C-456/12, EU:C:2014:135, point 37 ; du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C-133/15, EU:C:2017:354, point 53, ainsi que du 14 nov. 2017, Lounes, C-165/16, EU:C:2017:862, point 33).

821. En l’occurrence, ainsi qu’il a été exposé aux points 9 à 11 du présent arrêt, M. Coman, citoyen roumain et américain, et M. Hamilton, citoyen américain, se sont adressés à l’Inspection afin que leur soient communiquées la procédure et les conditions dans lesquelles M. Hamilton pouvait, en sa qualité de membre de la famille de M. Coman, obtenir un droit de séjour dérivé en Roumanie, État membre dont M. Coman possède la nationalité. Il s’ensuit que la directive 2004/38, dont la juridiction de renvoi cherche à obtenir une interprétation, n’est pas susceptible de fonder un droit de séjour dérivé en faveur de M. Hamilton.

922. Cela étant, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation des dispositions de la directive 2004/38, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C-133/15, EU:C:2017:354, point 48, ainsi que du 14 nov. 2017, Lounes, C-165/16, EU:C:2017:862, point 28 et jurisprudence citée).

1023. À cet égard, la Cour a déjà reconnu, dans certains cas, que des ressortissants d’États tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union, qui ne pouvaient pas bénéficier, sur le fondement des dispositions de la directive 2004/38, d’un droit de séjour dérivé dans l’État membre dont ce citoyen possède la nationalité, pouvaient toutefois se voir reconnaître un tel droit sur le fondement de l’article 21, § 1, TFUE (arrêt du 14 nov. 2017, Lounes, C-165/16, EU:C:2017:862, point 46).

1124. En particulier, la Cour a jugé que, lorsque, à l’occasion d’un séjour effectif du citoyen de l’Union dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, en vertu et dans le respect des conditions prévues par la directive 2004/38, une vie de famille s’est développée ou consolidée dans cet État membre, l’effet utile des droits que le citoyen de l’Union concerné tire de l’article 21, § 1, TFUE exige que la vie de famille que ce citoyen a menée dans ledit État membre puisse être poursuivie lors de son retour dans l’État membre dont il possède la nationalité, par l’octroi d’un droit de séjour dérivé au membre de la famille concerné, ressortissant d’un État tiers. En effet, en l’absence d’un tel droit de séjour dérivé, ce citoyen de l’Union pourrait être dissuadé de quitter l’État membre dont il a la nationalité afin d’exercer son droit de séjour, en vertu de l’article 21, § 1, TFUE, dans un autre État membre, en raison du fait qu’il n’a pas la certitude de pouvoir poursuivre dans l’État membre dont il est originaire une vie de famille ainsi développée ou consolidée dans l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2014, O. et B., C-456/12, EU:C:2014:135, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

1225. En ce qui concerne les conditions d’octroi de ce droit de séjour dérivé, la Cour a souligné que celles-ci ne doivent pas être plus strictes que celles prévues par la directive 2004/38 pour l’octroi d’un tel droit de séjour à un ressortissant d’un État tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union qui a exercé son droit de libre circulation en s’établissant dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité. En effet, cette directive doit être appliquée par analogie à la situation visée au point précédent du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts du 12 mars 2014, O. et B., C-456/12, EU:C:2014:135, points 50 et 61 ; du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C-133/15, EU:C:2017:354, points 54 et 55, ainsi que du 14 nov. 2017, Lounes, C-165/16, EU:C:2017:862, point 61).

1326. En l’occurrence, les questions posées par la juridiction de renvoi reposent sur la prémisse selon laquelle M. Coman a, lors de son séjour effectif en Belgique au titre de l’article 7, § 1, de la directive 2004/38, développé ou consolidé à cette occasion une vie de famille avec M. Hamilton.

1427. C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

15Sur la première question

1628. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans une situation dans laquelle un citoyen de l’Union a fait usage de sa liberté de circulation, en se rendant et en séjournant de manière effective, conformément aux conditions prévues à l’article 7, § 1, de la directive 2004/38, dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, et a développé ou consolidé à cette occasion une vie de famille avec un ressortissant d’un État tiers de même sexe, auquel il s’est uni par un mariage légalement conclu dans l’État membre d’accueil, l’article 21, § 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité refusent d’accorder un droit de séjour sur le territoire de cet État membre audit ressortissant, au motif que le droit dudit État membre ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe.

1729. Il y a lieu de rappeler que, en tant que ressortissant roumain, M. Coman jouit, en vertu de l’article 20, § 1, TFUE, du statut de citoyen de l’Union.

1830. À cet égard, la Cour a relevé à maintes reprises que le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (arrêts du 20 sept. 2001, Grzelczyk, C-184/99, EU:C:2001:458, point 31 ; du 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, C-34/09, EU:C:2011:124, point 41, et du 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 29).

1931. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, un ressortissant d’un État membre qui a, comme dans l’affaire au principal, en sa qualité de citoyen de l’Union, exercé sa liberté de circuler et de séjourner dans un État membre autre que son État membre d’origine peut se prévaloir des droits afférents à cette qualité, notamment de ceux prévus à l’article 21, § 1, TFUE, y compris, le cas échéant, à l’égard de son État membre d’origine (voir, en ce sens, arrêts du 23 oct. 2007, Morgan et Bucher, C-11/06 et C-12/06, EU:C:2007:626, point 22 ; du 18 juill. 2013, Prinz et Seeberger, C-523/11 et C-585/11, EU:C:2013:524, point 23, ainsi que du 14 nov. 2017, Lounes, C-165/16, EU:C:2017:862, point 51).

2032. Les droits reconnus aux ressortissants des États membres par cette disposition incluent celui de mener une vie familiale normale tant dans l’État membre d’accueil que dans l’État membre dont ils possèdent la nationalité, lors du retour dans cet État membre, en y bénéficiant de la présence, à leurs côtés, des membres de leur famille (voir, en ce sens, arrêts du 7 juill. 1992, Singh, C-370/90, EU:C:1992:296, points 21 et 23, ainsi que du 14 nov. 2017, Lounes, C-165/16, EU:C:2017:862, point 52 et jurisprudence citée).

2133. S’agissant de la question de savoir si les « membres de la famille », visés au point précédent, incluent le ressortissant d’un État tiers, de même sexe que le citoyen de l’Union, dont le mariage avec ce dernier a été conclu dans un État membre conformément au droit de celui-ci, il y a lieu de rappeler d’emblée que la directive 2004/38, applicable, ainsi qu’il a été relevé au point 25 du présent arrêt, par analogie dans des circonstances telles que celles en cause au principal, mentionne spécifiquement le « conjoint » en tant que « membre de la famille » à son article 2, point 2, sous a).

2234. La notion de « conjoint », visée à cette disposition, désigne une personne unie à une autre personne par les liens du mariage (voir, en ce sens, arrêt du 25 juill. 2008, Metock e.a., C-127/08, EU:C:2008:449, points 98 et 99).

2335. Quant au point de savoir si cette notion inclut le ressortissant d’un État tiers de même sexe que le citoyen de l’Union, dont le mariage à ce dernier a été conclu dans un État membre conformément au droit de celui-ci, il convient de souligner, tout d’abord, que la notion de « conjoint », au sens de la directive 2004/38, est neutre du point de vue du genre et est donc susceptible d’englober le conjoint de même sexe du citoyen de l’Union concerné.

2436. Il importe ensuite de relever que, tandis que, aux fins de déterminer la qualification de « membre de la famille » d’un partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré sur le fondement de la législation d’un État membre, l’article 2, point 2, sous b), de la directive 2004/38 renvoie aux conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre dans lequel ce citoyen entend se rendre ou séjourner, l’article 2, point 2, sous a), de cette directive, applicable par analogie en l’occurrence, ne comporte, en revanche, pas un tel renvoi en ce qui concerne la notion de « conjoint », au sens de ladite directive. Il en découle qu’un État membre ne saurait invoquer son droit national pour s’opposer à la reconnaissance sur son territoire, aux seules fins de l’octroi d’un droit de séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers, du mariage conclu par celui-ci avec un citoyen de l’Union de même sexe dans un autre État membre conformément au droit de ce dernier.

2537. Certes, l’état des personnes, dont relèvent les règles relatives au mariage, est une matière relevant de la compétence des États membres, et le droit de l’Union ne porte pas atteinte à cette compétence (voir, en ce sens, arrêts du 2 oct. 2003, Garcia Avello, C-148/02, EU:C:2003:539, point 25 ; du 1er avr. 2008, Maruko, C-267/06, EU:C:2008:179, point 59, ainsi que du 14 oct. 2008, Grunkin et Paul, C-353/06, EU:C:2008:559, point 16). Les États membres sont ainsi libres de prévoir ou non le mariage pour des personnes de même sexe (arrêt du 24 nov. 2016, Parris, C-443/15, EU:C:2016:897, point 59).

2638. Toutefois, il ressort d’une jurisprudence bien établie que les États membres, dans l’exercice de cette compétence, doivent respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (voir, en ce sens, arrêts du 2 oct. 2003, Garcia Avello, C-148/02, EU:C:2003:539, point 25 ; du 14 oct. 2008, Grunkin et Paul, C-353/06, EU:C:2008:559, point 16, ainsi que du 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 32).

2739. Or, laisser aux États membres la possibilité d’accorder ou de refuser l’entrée et le séjour sur leur territoire à un ressortissant d’un État tiers, dont le mariage avec un citoyen de l’Union de même sexe a été conclu dans un État membre conformément au droit de celui-ci, selon que les dispositions du droit national prévoient ou non le mariage entre personnes de même sexe, aurait pour effet que la liberté de circulation des citoyens de l’Union, qui ont déjà fait usage de cette liberté, varierait d’un État membre à l’autre, en fonction de telles dispositions de droit national (voir, par analogie, arrêt du 25 juill. 2008, Metock e.a., C-127/08, EU:C:2008:449, point 67). Une telle situation irait à l’encontre de la jurisprudence de la Cour, rappelée par M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, selon laquelle, compte tenu de son contexte et des finalités qu’elle poursuit, les dispositions de la directive 2004/38, applicables par analogie en l’occurrence, ne sauraient être interprétées de façon restrictive et ne doivent pas, en tout état de cause, être privées de leur effet utile (arrêts du 25 juill. 2008, Metock e.a., C-127/08, EU:C:2008:449, point 84, ainsi que du 18 déc. 2014, McCarthy e.a., C-202/13, EU:C:2014:2450, point 32).

2840. Il s’ensuit que le refus, par les autorités d’un État membre, de reconnaître, aux seules fins de l’octroi d’un droit de séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers, le mariage de ce dernier avec un citoyen de l’Union de même sexe, ressortissant de cet État membre, conclu, lors de leur séjour effectif dans un autre État membre, conformément au droit de ce dernier État, est susceptible d’entraver l’exercice du droit de ce citoyen, consacré à l’article 21, § 1, TFUE, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. En effet, un tel refus aura pour conséquence que ledit citoyen de l’Union pourra se voir privé de la possibilité de retourner dans l’État membre dont il est ressortissant, accompagné de son conjoint.

2941. Cela étant, conformément à une jurisprudence constante, une restriction à la libre circulation des personnes qui, comme dans l’affaire au principal, est indépendante de la nationalité des personnes concernées, peut être justifiée si elle est fondée sur des considérations objectives d’intérêt général et est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (voir, en ce sens, arrêts du 14 oct. 2008, Grunkin et Paul, C-353/06, EU:C:2008:559, point 29 ; du 26 févr. 2015, Martens, C-359/13, EU:C:2015:118, point 34, ainsi que du 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 48). Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une mesure est proportionnée lorsque, tout en étant apte à la réalisation de l’objectif poursuivi, elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 26 févr. 2015, Martens, C-359/13, EU:C:2015:118, point 34 et jurisprudence citée).

3042. S’agissant des motifs d’intérêt général, il convient de constater que plusieurs gouvernements ayant soumis des observations à la Cour ont relevé, à cet égard, le caractère fondamental de l’institution du mariage et la volonté de plusieurs États membres de préserver une conception de cette institution comme une union entre un homme et une femme, laquelle est protégée dans certains États membres par des normes de rang constitutionnel. Le gouvernement letton a ainsi indiqué, lors de l’audience, que, à supposer que le refus, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, de reconnaître les mariages entre personnes de même sexe conclus dans un autre État membre constitue une restriction à l’article 21 TFUE, une telle restriction est justifiée par des raisons liées à l’ordre public et à l’identité nationale, visée à l’article 4, § 2, TUE.

3143. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 4, § 2, TUE, l’Union respecte l’identité nationale de ses États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles (voir également, en ce sens, arrêt du 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 73 et jurisprudence citée).

3244. Par ailleurs, la Cour a itérativement jugé que la notion d’« ordre public » en tant que justification d’une dérogation à une liberté fondamentale doit être entendue strictement, de sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de l’Union. Il en découle que l’ordre public ne peut être invoqué qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (voir, en ce sens, arrêts du 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 67, ainsi que du 13 juill. 2017, E., C-193/16, EU:C:2017:542, point 18 et jurisprudence citée).

3345. À cet égard, il convient de constater que l’obligation, pour un État membre, de reconnaître un mariage entre personnes de même sexe conclu dans un autre État membre conformément au droit de celui-ci, aux seules fins de l’octroi d’un droit de séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers, ne porte pas atteinte à l’institution du mariage dans ce premier État membre, laquelle est définie par le droit national et relève, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 du présent arrêt, de la compétence des États membres. Elle n’implique pas, pour ledit État membre, de prévoir, dans son droit national, l’institution du mariage entre personnes de même sexe. Elle est limitée à l’obligation de reconnaître de tels mariages, conclus dans un autre État membre conformément au droit de celui-ci, et cela aux seules fins de l’exercice des droits que ces personnes tirent du droit de l’Union.

3446. Ainsi, une telle obligation de reconnaissance aux seules fins de l’octroi d’un droit de séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers ne méconnaît pas l’identité nationale ni ne menace l’ordre public de l’État membre concerné.

3547. Il importe d’ajouter qu’une mesure nationale qui est de nature à entraver l’exercice de la libre circulation des personnes ne peut être justifiée que lorsque cette mesure est conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte dont la Cour assure le respect (voir, par analogie, arrêt du 13 sept. 2016, Rendón Marín, C-165/14, EU:C:2016:675, point 66).

3648. S’agissant de la notion de « conjoint », figurant à l’article 2, point 2, sous a), de la directive 2004/38, le droit au respect de la vie privée et familiale garanti à l’article 7 de la Charte est fondamental.

3749. À cet égard, ainsi qu’il résulte des explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JOUE 2007, C 303, p. 17), conformément à l’article 52, § 3, de la Charte, les droits garantis à l’article 7 de celle-ci ont le même sens et la même portée que ceux garantis à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

3850. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la relation entretenue par un couple homosexuel est susceptible de relever de la notion de « vie privée » ainsi que de celle de « vie familiale » au même titre que celle d’un couple de sexe opposé se trouvant dans la même situation (CEDH 7 nov. 2013, Vallianatos e.a. c/ Grèce, CE:ECHR:2013:1107JUD002938109, § 73, ainsi que CEDH 14 déc. 2017, Orlandi et autres c/ Italie, CE:ECHR:2017:1214JUD002643112, § 143).

3951. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que, dans une situation dans laquelle un citoyen de l’Union a fait usage de sa liberté de circulation, en se rendant et en séjournant de manière effective, conformément aux conditions prévues à l’article 7, § 1, de la directive 2004/38, dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, et a développé ou consolidé à cette occasion une vie de famille avec un ressortissant d’un État tiers de même sexe, auquel il s’est uni par un mariage légalement conclu dans l’État membre d’accueil, l’article 21, § 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité refusent d’accorder un droit de séjour sur le territoire de cet État membre audit ressortissant, au motif que le droit dudit État membre ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe.

40Sur la deuxième question

4152. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, en cas de réponse affirmative à la première question, si l’article 21, § 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le ressortissant d’un État tiers, de même sexe que le citoyen de l’Union, dont le mariage avec ce dernier a été conclu dans un État membre conformément au droit de celui-ci dispose d’un droit de séjour de plus de trois mois sur le territoire de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité.

4253. Ainsi qu’il a été rappelé aux points 23 et 24 du présent arrêt, lorsque, à l’occasion d’un séjour effectif du citoyen de l’Union dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, en vertu et dans le respect des conditions prévues par la directive 2004/38, une vie de famille s’est développée ou consolidée dans ce dernier État membre, l’effet utile des droits que le citoyen de l’Union concerné tire de l’article 21, § 1, TFUE exige que la vie de famille que ce citoyen a menée dans cet État membre puisse être poursuivie lors de son retour dans l’État membre dont il possède la nationalité, par l’octroi d’un droit de séjour dérivé au membre de la famille concerné, ressortissant d’un État tiers.

4354. En ce qui concerne les conditions d’octroi de ce droit de séjour dérivé, la Cour a souligné, ainsi qu’il a été relevé au point 25 du présent arrêt, que celles-ci ne doivent pas être plus strictes que celles prévues par la directive 2004/38 pour l’octroi d’un tel droit de séjour à un ressortissant d’un État tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union qui a exercé son droit de libre circulation en s’établissant dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité.

4455. À cet égard, ainsi qu’il ressort de l’article 7, § 2, de la directive 2004/38, le droit de séjour prévu au paragraphe 1 de cet article s’étend aux membres de la famille n’ayant pas la nationalité d’un État membre lorsqu’ils accompagnent ou rejoignent dans l’État membre d’accueil le citoyen de l’Union, pour autant que ce dernier satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 1, sous a), b) ou c), du même article.

4556. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 21, § 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le ressortissant d’un État tiers, de même sexe que le citoyen de l’Union, dont le mariage avec ce dernier a été conclu dans un État membre conformément au droit de celui-ci dispose d’un droit de séjour de plus de trois mois sur le territoire de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité. Ce droit de séjour dérivé ne saurait être soumis à des conditions plus strictes que celles prévues à l’article 7 de la directive 2004/38.

46Sur les troisième et quatrième questions

4757. Eu égard à la réponse apportée aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre aux troisième et quatrième questions.

48Sur les dépens

4958. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

50Par ces motifs, La Cour (grande chambre) dit pour droit :

51

  1. Dans une situation dans laquelle un citoyen de l’Union a fait usage de sa liberté de circulation, en se rendant et en séjournant de manière effective, conformément aux conditions prévues à l’article 7, § 1, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, et a développé ou consolidé à cette occasion une vie de famille avec un ressortissant d’un État tiers de même sexe, auquel il s’est uni par un mariage légalement conclu dans l’État membre d’accueil, l’article 21, § 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité refusent d’accorder un droit de séjour sur le territoire de cet État membre audit ressortissant, au motif que le droit dudit État membre ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe.
  2. L’article 21, § 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le ressortissant d’un État tiers, de même sexe que le citoyen de l’Union, dont le mariage avec ce dernier a été conclu dans un État membre conformément au droit de celui-ci dispose d’un droit de séjour de plus de trois mois sur le territoire de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité. Ce droit de séjour dérivé ne saurait être soumis à des conditions plus strictes que celles prévues à l’article 7 de la directive 2004/38.

52Du 5 juin 2018 – Cour de justice de l’Union européenne – Affaire C-673/16 – M. Lenaerts, prés., M. Tizzano, vice prés., Mme Silva de Lapuerta, MM. Ilešic, (rapp.), da Cruz Vilaça, Rosas, Fernlund et Vajda, prés de chambre, M. Wathelet, av. gén. – Mme Iordache, MM. Wintemute, Ionescu, Mme MacLennan, av.

531. Mieux vaut ruse que force. C’est par la porte dérobée de l’octroi d’un droit de séjour dérivé que, dans l’arrêt Coman rendu en grande chambre le 5 juin 2018, la Cour de justice de l’Union européenne impose la reconnaissance d’un mariage entre personnes de même sexe valablement acquis dans un État membre au cours d’un séjour effectif, sans que l’État membre d’accueil ne puisse invoquer l’interdiction de tels mariages issue de son droit national. Mais au-delà du seul effet lié au séjour, c’est bien les portes d’une obligation de reconnaissance d’ensemble du mariage entre personnes de même sexe dans les États membres qui sont à présent ouvertes, ce que laissaient présager les dernières décisions de la Cour relatives la circulation des noms de famille (v. not. CJUE 8 juin 2017, aff. C-541/15, Freitag), mais qui n’est pas sans contraste avec la préservation des choix nationaux en matière de mariage officiellement présente dans les règlements européens de droit international de la famille.

542. En l’espèce, M. Coman, double national roumain et américain, et M. Hamilton, ressortissant américain, après plusieurs années de vie commune à New York, se sont mariés en Belgique, où M. Coman séjournait en raison de son travail au Parlement européen. Après avoir quitté son emploi, M. Coman a souhaité retourner vivre en Roumanie avec son mari. Or l’administration roumaine a refusé à ce dernier un titre de séjour dérivé de plus de trois mois, en raison du fait que la Roumanie ne reconnaît pas le mariage entre personnes de même sexe. Les époux ont donc formé un recours devant les juridictions roumaines pour discrimination fondée sur l’orientation sexuelle lors de l’exercice du droit de libre circulation, et à cette occasion ont soulevé une exception d’inconstitutionnalité de l’article 277, § 2 et 4, du code civil roumain, interdisant la reconnaissance en Roumanie des mariages entre personnes de même sexe contractés à l’étranger. Saisie pour répondre à cette exception la Cour constitutionnelle roumaine a posé une question préjudicielle à la CJUE, estimant que l’affaire soulevait une difficulté d’interprétation de la directive 2004/38 relative aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et séjourner librement sur le territoire des États membres. Articulée en trois temps, la question vise en substance à savoir si la notion de « conjoint » employée par ladite directive s’applique à l’époux de même sexe du citoyen européen.

553. Pour y répondre, la CJUE modifie tout d’abord le cadre de la question, dans la mesure où la directive 2004/38 n’est pas applicable à la situation d’espèce. De fait, elle vise l’hypothèse où un citoyen de l’Union entend séjourner dans un État d’accueil autre que celui de sa nationalité ; or, en l’espèce, M. Coman voulait s’installer avec son époux dans l’État membre de sa nationalité. La directive n’est donc pas applicable à sa situation et partant ne permet pas de fonder le droit de séjour de l’époux (point 21 ; v. aussi CJUE 14 nov. 2017, aff. C-165/16, Lounes). La Cour modifie donc le fondement du droit au séjour, passant du droit dérivé à la liberté fondamentale de l’Union qu’est la liberté de circulation issue de l’article 21, § 1, TFUE. La question est alors abordée en termes « d’effet utile » de ce droit à la libre circulation bénéficiant à tout citoyen de l’Union, qui impose que la vie familiale créée par le citoyen européen à l’occasion d’un séjour dans un État membre autre que celui de sa nationalité puisse être poursuivie s’il retourne dans son État national (point 24). Partant, c’est à la lumière de la citoyenneté européenne que la Cour reformule la question en interprétation de la liberté de circulation : il s’agit de savoir si l’article 21, § 1, TFUE s’oppose à ce qu’un État membre dont le citoyen a la nationalité refuse d’accorder un droit de séjour sur le territoire de cet État à un ressortissant d’un État tiers, avec lequel a été créée une vie familiale dans un autre État membre, au motif que le droit de l’État d’accueil ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe.

564. La réponse donnée par la Cour est positive : un tel refus constitue une entrave à la liberté de circulation, sans que l’État d’accueil ne puisse se prévaloir de l’interdiction en droit interne de tels mariages au nom de son ordre public. Dans sa motivation prudente et circonstanciée, la Cour prend soin de répéter que cette obligation de reconnaissance imposée à l’État membre d’accueil l’est « aux seules fins de l’octroi d’un titre de séjour ». Mais le fondement même de cette obligation rattachée à la citoyenneté européenne elle-même, « statut fondamental des ressortissants des États membres » comme le rappelle la Cour (point 30, citant l’arrêt fondateur CJCE 20 sept. 2001, aff. C-184/99, Grzelczyk), lui confère potentiellement une bien plus ample portée. Après le nom de famille, c’est le statut matrimonial qui bénéficie ici d’une circulation facilitée par la nécessité d’assurer sa continuité au-delà des frontières, amorce d’un « droit fondamental à la stabilité internationale du statut personnel du citoyen européen » (S. Pfeiff, La portabilité du statut personnel dans l’espace européen, Bruylant, 2017, p. 343). La conciliation de cette logique européenne d’ordre matériel avec les impératifs nationaux ne manquera pas d’être délicate, en ce domaine du mariage et de la famille, que l’on présentait naguère encore comme l’un des trois piliers de l’ordre juridique (J. Carbonnier, Flexible droit, LGDJ, 2013, p. 255).

575. La motivation précautionneuse de la Cour de justice peut alors rassurer, du moins partiellement. Il convient de le mesurer tout d’abord à travers les contours de l’obligation de reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe célébrés à l’étranger qu’elle consacre au nom de la liberté de circulation (I), puis des fortes restrictions apportées aux limites à cette obligation, en particulier par la quasi neutralisation de l’ordre public de l’État d’accueil (II).

I – L’obligation de reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe célébrés à l’étranger

586. L’arrêt Coman frappe par le contraste entre l’apparente prudence dont la Cour fait preuve en insistant sur le caractère circonstancié de la solution qui ne concernerait que l’octroi d’un titre de séjour dérivé, et la motivation de fond sous-jacente qui laisse transparaître la volonté d’une portée bien plus large. Ainsi le fondement de la solution tient-il à l’effet utile des droits de circulation attachés à la citoyenneté européenne – malgré un va-et-vient récurrent entre l’article 21, § 1, TFUE et la directive 2004/38 appliquée en l’espèce par analogie –, alors que le dispositif même de l’arrêt rejoint davantage la question telle que posée par la cour constitutionnelle roumaine. Cette double approche traduit toute l’ambiguïté de la motivation : d’un côté la réalité de la circulation du citoyen européen au sens de la directive permet à la Cour de délimiter le contexte de l’obligation de reconnaissance imposée à l’État d’accueil roumain (A) ; d’un autre, l’appréhension de cette même circulation comme attribut de la citoyenneté dont il faut assurer l’effet utile, conduit la Cour à dépasser la qualification même de la notion de « conjoint » et partant de « mariage », question centrale de l’objet de cette obligation de reconnaissance (B).

597. A – À première vue, au regard de la délimitation précise qu’elle donne de son contexte, la Cour de justice semble vouloir assurer un certain encadrement à l’obligation de reconnaître les mariages entre personnes de même sexe, comme l’illustre la formule précautionneuse et contorsionnée employée : « le refus, par les autorités d’un État membre, de reconnaître, aux seules fins de l’octroi d’un droit de séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers, le mariage de ce dernier avec un citoyen de l’Union de même sexe, ressortissant de cet État membre, conclu, lors de leur séjour effectif dans un autre État membre, conformément au droit de ce dernier État, est susceptible d’entraver l’exercice du droit de ce citoyen, consacré à l’article 21, § 1, TFUE, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres » (point 40). Deux séries d’exigences sont ainsi mises en avant, qui délimitent le contexte, voire constituent les conditions mêmes de la reconnaissance : elles traduisent l’existence d’une situation objectivement transfrontière, par l’existence d’une mobilité effectivement exercée, mais également celle d’une attente légitime du citoyen quant à la continuité de son statut personnel et matrimonial eu égard aux circonstances de sa création – exigences à ce double égard plus strictes qu’en matière de nom de famille (v. en particulier CJCE 2 oct. 2003, aff. C-148/02, Garcia Avello ; CJUE Freitag, préc.). La Cour met ainsi en avant l’exercice effectif de la liberté de circulation (1°) et la nécessité que le mariage soit acquis conformément au droit de l’État membre d’origine (2°).

608. 1°) En premier lieu, l’obligation de reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe est posée dans l’hypothèse d’une situation objectivement internationale, ou plus exactement intra-européenne, par le fait que le citoyen européen doit avoir effectivement séjourné dans un autre État membre que celui de sa nationalité (v. not. points 40 et 51) – ce qui est une bonne chose. Deux impératifs en découlent.

61Tout d’abord, la Cour insiste sur la nécessité d’un exercice initial et réel de la liberté de la circulation, lorsqu’elle prend soin de rattacher le contexte de création du mariage en Belgique à la directive 2004/08 (v. not. points 24, 26, 51). Ainsi c’est parce que M. Coman a « exercé sa liberté de circuler et de séjourner dans un État membre autre que son État d’origine » qu’il doit pouvoir se prévaloir des attributs de la citoyenneté, notamment quand il revient dans son État national (point 31). À défaut, il subirait une entrave : en l’absence d’octroi d’un titre de séjour dérivé à son conjoint, le citoyen « pourrait être dissuadé de quitter l’État membre dont il a la nationalité afin d’exercer son droit de séjour dans un autre État membre, en raison du fait qu’il n’a pas la certitude de pouvoir poursuivre dans l’État membre dont il est originaire une vie de famille ainsi développée ou consolidée dans l’État membre d’accueil » (point 24). Opposer l’interdiction du mariage homosexuel issue de son droit national conduirait à ce que « la liberté de circulation des citoyens de l’Union qui ont déjà fait usage de cette liberté, varierait d’un État membre à l’autre » (point 39). Sur ce premier point, l’arrêt est plus exigeant que les décisions relatives au nom de famille, qui se plaçaient davantage dans une approche personnaliste de la liberté de circulation attachée à la double nationalité européenne, en se contentant d’un exercice potentiel (v. aff. Garcia Avello, préc.) ou « intellectuel » (v. aff. Freitag, préc.) : l’affaire Coman revient à une approche territoriale de la circulation en termes de mobilité réelle, d’autant plus nécessaire ici que le citoyen n’est pas double national « européen ».

629. Ensuite, la Cour met en avant l’existence d’un « séjour effectif » dans l’État membre de création du mariage, ce qui évoque la nécessité d’une proximité territoriale avec ce dernier. Une telle proximité est bien caractérisée ici puisque M. Coman vivait et travaillait en Belgique depuis plusieurs années au moment de son mariage – même s’il n’apparaît pas dans l’arrêt même que son conjoint américain y ait vécu avec lui. À l’instar de certaines décisions relatives au nom de famille (v. not. CJCE 14 oct. 2008, aff. C-353/06, Grunkin et Paul ; CJUE 22 déc. 2010, aff. C-208/09, Sayn-Wittgenstein ; CJUE 2 juin 2016, aff. C-438/14, Bogendorff von Wolffersdorff), un lien réel avec l’État membre d’obtention du statut est donc caractérisé, tenant à la réalité du séjour (dû à une mobilité professionnelle initiale) et à sa durée, ce qui permet d’établir son effectivité, sinon avec le couple du moins avec l’époux citoyen européen. Cette proximité avec l’État d’origine du statut est un moyen de fonder l’attente légitime des parties dans la stabilité de leur statut et combinée avec l’intervention de l’autorité de célébration du mariage, permet d’établir la « cristallisation » de la situation (P. Mayer, Les méthodes de la reconnaissance en droit international privé, in Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 547, spéc. n° 29) : c’est à cette occasion que le citoyen a « développé ou consolidé » sa vie familiale avec le ressortissant d’un État tiers (point 51).

63Si la proximité effective existe bien en l’espèce, certaines interrogations subsistent. D’une part, quelle intensité ce séjour doit-il revêtir pour être considéré comme « effectif » ? Il faut qu’il permette la « consolidation » de la vie familiale, ce qui semble présupposer une certaine durée (2 ans en l’espèce) marquant une intégration dans l’État du séjour. La Cour ne précise pas les modalités d’appréciation de cette effectivité : on pourrait songer à un faisceau d’indices, à l’image de l’établissement d’une résidence habituelle expression d’un centre-vie du couple, telle qu’utilisée sur le terrain du conflit de lois. D’autre part et surtout, est-ce une condition nécessaire à la reconnaissance ou pourrait-on l’admettre en son absence ? La première option serait préférable, en ce qu’elle serait un garde-fou à la fraude des époux, sauf à déplacer sur le terrain de l’ordre public de l’État d’accueil le contrôle d’une telle proximité (v. sur cette discussion P. Lagarde, La méthode de reconnaissance est-elle l’avenir du droit international privé, RCADI t. 371, 2015, spéc. p. 32), ce qui ne semble cependant pas être la voie empruntée par la Cour de justice (v. aussi CJUE Freitag, préc.). Mais la seconde option reste possible et serait conforme à une pure logique de reconnaissance (v. P. Lagarde, op. cit.), d’autant que des raisons notamment professionnelles, et pas seulement volontaires, pourraient expliquer l’absence de stabilité du couple dans l’État d’origine (rappr. CEDH 23 févr. 2016, n° 68453/13, Paiic c/ Croatie). Il reste que la seule exigence d’un exercice effectif de la liberté de circuler n’exclut pas un éventuel forum ou law shopping.

6410. 2°) En second lieu, la Cour de justice précise que le mariage doit avoir été « légalement conclu » (point 51) dans l’État membre du séjour, « conformément au droit de ce dernier État » (point 40). C’est en effet uniquement une situation valablement constituée dans l’État d’origine qui mérite d’être protégée et de bénéficier de la faveur à la circulation offerte par la logique de reconnaissance. Le for d’accueil s’en remet alors au for d’origine, en ce qu’il ne pourra opposer ses propres règles de conflit de lois pour apprécier la validité de cette situation (v. P. Lagarde, op. cit. p. 30). Telle que formulée en l’espèce, la condition laisse plusieurs questions en suspens.

65D’une part, selon quel « droit » de l’État d’origine faut-il apprécier cette validité ? Faut-il considérer les règles matérielles internes ou les règles de droit international privé de cet État ? Dans le premier cas, cela limiterait le jeu de la reconnaissance à l’hypothèse d’un mariage célébré dans l’État de séjour, comme c’était le cas de M. Coman, qui s’est marié en Belgique où il résidait. Dans le second, cela étendrait le bénéfice de la reconnaissance à l’hypothèse d’un mariage obtenu dans un État autre (membre ou tiers) mais qui aurait ensuite été considéré comme valable par l’État membre de séjour effectif, créant par là une attente légitime des époux en sa validité. Par exemple si en l’espèce les époux s’étaient mariés aux Pays-Bas ou aux États-Unis pour ensuite vivre en tant qu’époux en Belgique durant deux années (comp. art. 9 Conv. La Haye du 14 mars 1978 sur la célébration et la reconnaissance de validité des mariages).

66D’autre part, faut-il nécessairement qu’une autorité étatique soit intervenue lors de la création de cette situation ? Si tel sera souvent le cas en matière de mariage, dès lors que la forme locale est celle du mariage civil, on songe – au-delà du cas du mariage entre personnes de même sexe – à des mariages religieux, voire à des éléments de statut personnel acquis sans intervention d’aucune autorité, par exemple par le jeu d’une possession d’état.

6711. Cet encadrement du contexte dans lequel le mariage entre personnes de même sexe a été obtenu se prolonge – du moins à première vue – quant à l’objet même de l’obligation de reconnaissance, à savoir le mariage, mais uniquement « aux seules fins de l’octroi d’un titre de séjour », donc dans l’un des effets qui lui est attaché par la directive 2004/38.

6812. B – La portée plus étendue que recèle de façon sous-jacente l’arrêt Coman tient essentiellement à la façon dont la Cour de justice s’approprie la définition du statut familial objet de la reconnaissance, qui de présupposé au droit au séjour dérivé semble être absorbée par la notion de « citoyen européen » dont elle serait un attribut. Le raisonnement suivi par la Cour est à cet égard ambigu en raison d’un enchevêtrement de sources de référence utilisées (1°) et interroge sur la façon dont la définition du mariage est abordée dans les autres instruments européens, en particulier les règlements touchant au droit international privé de la famille (2°).

6913. 1°) La méthode de qualification de la qualité de « conjoint » et au-delà de la notion de « mariage » empruntée par la Cour n’est pas des plus limpides. Elle semble en effet glisser d’une conception de l’opération de qualification à une autre, selon qu’elle l’envisage au regard de la directive, des droits nationaux ou de la citoyenneté européenne.

7014. Dans un pan de sa motivation, la Cour aborde la question sous l’angle classique d’une opération de qualification, en ce qu’il s’agit en substance de définir le sens du terme de « mariage ». Il faut alors déterminer l’ordre juridique de référence pour cette qualification, à savoir trancher entre les conceptions des États membres et celles du droit européen. Sous cet angle, elle tend à délimiter une notion autonome de « mariage » au sens du droit européen dérivé : elle recherche ce qu’il faut entendre par « membre de la famille » au sens de la directive 2004/38, afin de voir si le conjoint de même sexe correspond au présupposé de cette règle européenne. Pour ce faire, elle note que cela concerne notamment le « conjoint », ce qui désigne « une personne unie à une autre par les liens du mariage » (CJUE 25 juill. 2008, aff. C-127/08, Metock). Or ce terme de conjoint pourrait inclure un conjoint de même sexe, puisque le terme « est neutre du point de vue du genre » selon la directive (point 35 ; sur cette neutralité, v. M. Fallon, note préc., n° 31). La Cour poursuit cette définition autonome en justifiant la mise à l’écart du droit national de l’État d’accueil roumain : elle note que dans la directive, aucun renvoi au droit national n’est prévu pour définir la notion de « conjoint » contrairement au renvoi opéré pour celle de « partenaire ». L’État d’accueil ne saurait donc imposer sa définition plus restrictive du mariage.

7115. Mais ensuite, la Cour opère un mouvement de caméra pour passer du gros plan sur la directive à une vue d’ensemble sur le statut de citoyen européen (point 37). Elle quitte alors le terrain de la définition du « mariage », même envisagée au titre de notion autonome européenne, pour justifier plus fondamentalement la mise à l’écart de toute référence au droit national d’accueil.

72Certes, comme dans les affaires relatives au nom de famille, la Cour prend le soin de rappeler la compétence de principe des États en ce qui concerne les questions d’état des personnes (point 37). Mais pour, comme à l’accoutumée, préciser aussitôt que cette compétence doit être exercée dans le respect des principes de l’Union, notamment de la liberté de circulation accordée à tout citoyen (point 38). Or, laisser aux États la possibilité de se référer à leur conception nationale du mariage – selon que le mariage de même sexe est ou non admis – « aurait pour effet que la liberté de circulation des citoyens de l’Union, qui ont déjà fait usage de cette liberté, varierait d’un État membre à l’autre en fonction de telles dispositions de droit national » (point 39). La confrontation n’est plus alors entre deux approches de la notion de « mariage » ou « conjoint », mais entre la citoyenneté européenne et la conception nationale de mariage. Partant, la notion de « mariage » devient en elle-même secondaire, en ce qu’elle est absorbée par la qualité même de citoyen européen : c’est cette dernière qu’il convient de préserver, laquelle intègre le droit de mener une vie familiale avec les membres de sa famille (point 32).

73Dans cette approche, ce n’est pas alors à une définition européenne du mariage que l’on s’attache, mais à celle prévalant dans l’État membre d’origine de la situation (Belgique), dans lequel la vie familiale s’est « développée et consolidée » (point 51). La compétence nationale écartée pour caractériser le mariage n’est pas celle « des États membres » en général, mais seulement celle de l’État d’accueil (Roumanie) : il doit recevoir la conception de l’État d’origine au nom de la citoyenneté européenne. Cette dernière devient alors le vecteur d’une qualification lege causae, en raison de la logique de reconnaissance qu’elle postule (rappr. M.-L. Niboyet et G. de la Pradelle, Droit international privé, LGDJ, 6e éd., 2017, n° 317).

7416. 2°) Cette approche de la notion de mariage au travers du prisme de la citoyenne européenne, qui esquive d’une certaine manière la nécessité de la définir, est source de questionnement au regard des règlements européens de droit international de la famille. S’ils ne concernent pas la validité du mariage en elle-même, cette question reste une question préalable à l’occasion d’un divorce, d’une liquidation de régime matrimonial, de l’obtention d’aliments ou d’une succession, sur le terrain des conflits de lois ou de juridictions. De fait, les règlements emploient le terme « époux », « mariage » ou « relation de mariage ». En ce sens la question de savoir quels types de mariages entrent dans leur champ d’application matériel se pose régulièrement, et ce spécialement pour l’inclusion des mariages entre personnes de même sexe qui étaient souvent peu admis lors de l’adoption des instruments (v. en matière de désunion pour le règl. n° 1259/2010 Rome III, S. Corneloup, in Le droit européen du divorce, LexisNexis, Credimi, 2013, p. 503, n° 20).

75Or, au titre de question préalable, l’existence et la validité de ces mariages est en général exclue du champ d’application des règlements et laissée à l’appréciation de l’État membre du for : en vertu du rattachement autonome de ces questions, il appréciera cette validité au regard de ses propres règles de conflit de lois (v. not. art. 1 § 2b règl. n° 1259/2010 Rome III ; art. 1 § 2a règl. n° 650/2012 « successions » ; art. 1 § 2b règl. n° 2016/1103 « régimes matrimoniaux »).

7617. On peut se demander comment concilier ces solutions avec l’approche de l’arrêt Coman – si elle doit être étendue au-delà de la seule question de l’octroi d’un titre de séjour. La question se pose d’autant plus que certains règlements insistent de différentes façons sur cette nécessité de préserver les conceptions nationales. Ainsi le règlement « aliments » du 18 décembre 2008 prévoit-il que « la reconnaissance et l’exécution d’une décision en matière d’obligations alimentaires (…) n’impliquent en aucune manière la reconnaissance des relations (…) de mariage ou d’alliance qui sont à l’origine des obligations alimentaires ayant donné lieu à la décision » (art. 22 ; v. aussi cons. 64 règl. « régimes matrimoniaux »). Ainsi encore le règlement « régimes matrimoniaux » prévoit-il une « compétence de substitution » permettant au juge de se dessaisir s’il ne connaît pas l’union en cause (art. 9) ou l’article 13 du règlement Rome III une clause d’opt-out lorsque le for saisi « ne considère pas le mariage comme valable aux fins de la procédure du divorce ».

77Or, s’il faut considérer que le statut personnel et familial se doit de circuler au sein de l’Union en tant qu’attribut de la citoyenneté, c’est écarter toute compétence de l’État d’accueil sur ce point, au profit de l’État d’origine. Ce déplacement du curseur conduirait à une certaine dilution, voire absorption de la question préalable (rappr. S. Sana-Chaillé de Néré, Les questions préalables, in T. Azzi et O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Bruylant, 2013, p. 123, spéc. p. 133 s. ; S. Corneloup, Les questions préalables de statut personnel dans le fonctionnement des règlements européens de droit international privé, TCFDIP, 2010-2012, p. 189, spéc. p. 203), à l’image aussi des difficultés que pourrait susciter la dissociation forme/fond opérée par le récent règlement « documents publics » (règl. n° 2016/1191 du 6 juill. 2016 visant à favoriser la libre circulation des citoyens en simplifiant les conditions de présentation de certains documents publics dans l’Union européenne, et modif. règl. (UE) n° 1024/2012, v. not. cons. 18 et art. 2 § 4).

II – La restriction des limites à l’obligation de reconnaissance

7818. La potentielle portée de l’arrêt Coman peut interroger quant à la force de cette obligation de reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe contracté à l’étranger qui pèse sur l’État d’accueil. Si un refus de reconnaissance fondé sur l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe en droit interne constitue une entrave, peut-elle être fondée sur des « considérations objectives d’intérêt général et proportionnée à l’objectif légitimement suivi par le droit national » (point 41) ? Force est de constater que lors de ce classique contrôle de proportionnalité, la Cour de justice fait preuve de sévérité : la neutralisation de l’ordre public national qu’elle consacre ne laisse que bien peu de place à la défense de l’intérêt du for d’accueil (A), ce qui conduit à se demander si un encadrement de l’obligation de reconnaissance ne pourrait être trouvé sur d’autres terrains (B).

7919. A – Examinant la justification possible à l’entrave portée à la liberté de circulation, la Cour vérifie en particulier, si le caractère fondamental de l’institution du mariage pourrait être avancé au titre de l’ordre public national. Elle y répond en l’espèce par la négative dans la mesure où l’obligation de reconnaissance des mariages homosexuels étrangers « n’implique pas, pour ledit État membre de prévoir dans son droit national l’institution du mariage entre personnes de même sexe » (point 45). Ce faisant, la Cour restreint sensiblement les motifs d’ordre public que l’État peut avancer pour justifier un refus de reconnaissance d’un élément du statut personnel (1°), en les soumettant davantage à un contrôle au regard des exigences européennes, non sans ambiguïtés (2°).

8020. 1°) Au regard tout d’abord de la teneur des considérations objectives d’intérêt général pouvant être avancées par l’État pour justifier une entrave à la libre circulation, on sait notamment depuis les arrêts Sayn Wittgenstein et Bogendorff von Wolffersdorff (préc.) rendus en matière de nom de famille que c’est avant tout le respect de l’identité nationale de l’État membre, qui doit être la même pour tous ses ressortissants, qui peut justifier le refus de reconnaissance, que cela découle d’une disposition constitutionnelle expresse ou non. Doit être caractérisée une « menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société », comme le rappelle la Cour (point 44). Ainsi a-t-on pu admettre au nom de l’égalité des citoyens l’interdiction d’utilisation des titres nobiliaires, notamment lorsqu’elle découle d’un principe constitutionnel tenant à une loi d’abolition de la noblesse (aff. Sayn Wittgenstein, préc.).

81Semblables considérations auraient pu être retenues en l’espèce, s’agissant d’un domaine à fortes spécificités nationales, sans réel consensus entre États membres, et ce d’autant plus que le caractère hétérosexuel du mariage est dans divers pays inscrit dans des dispositions constitutionnelles (v. not. Pologne, Hongrie). L’hypothèse est donc proche des affaires relatives au nom de famille dans lesquelles la Cour avait admis le jeu de la réserve d’ordre public.

82Néanmoins, dans l’affaire Coman, la Cour estime qu’aucune atteinte à l’identité nationale n’est réalisée, en l’occurrence que n’est pas portée atteinte « à l’institution du mariage (….) laquelle est définie par le droit national », affirmation sinon péremptoire du moins laconique, si l’on compare à l’examen plus minutieux mené dans les affaires précitées relatives au nom de famille. Mais surtout, il est pour le moins curieux d’admettre que l’absence d’atteinte à l’ordre public national découle du fait que l’État n’est pas obligé de consacrer le mariage homosexuel en droit interne, car l’obligation qui pèse sur lui au regard de la libre circulation est « limitée à l’obligation de reconnaître de tels mariages » célébrés à l’étranger (point 45) – ce qui ne heurterait pas son ordre public. En d’autres termes, les interdits nationaux ne vaudraient que pour les situations constituées sur le territoire national, mais ne seraient jamais affectés par la reconnaissance. Que reste-t-il alors de l’ordre public international ? On croirait une variante de l’effet atténué de l’ordre public ici devenu effet nul. L’on n’est pas loin d’un blanc-seing accordé à la logique du fait accompli, invitant les citoyens à traverser la frontière pour obtenir ce qui est interdit dans leur État national – si l’on excepte les précautions ici prises par la Cour pour encadrer l’obligation de reconnaissance.

83Cette mise à l’écart de l’ordre public national est confortée par le fait que, contrairement aux arrêts en matière de nom, disparaît l’idée que « les circonstances spécifiques qui pourraient justifier d’avoir recours à la notion d’ordre public peuvent varier d’un État membre à l’autre et d’une époque à l’autre. Il faut donc, à cet égard, reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité » (aff. Bogendorff, préc., point 68 ; Sayn Wittgenstein, préc., point 87). Aucune marge d’appréciation ici pour l’État d’accueil. En outre, tout comme dans l’affaire Freitag, aucune considération de proximité ne semble admise pour moduler le jeu de l’ordre public, en particulier tenant au fait que le citoyen est un national de l’État d’accueil (comp. sur ce point CEDH 14 déc. 2017, n° 26431/12, Orlandi c/ Italie). Cela peut aussi s’expliquer par le fait que la proximité a été contrôlée lors de la création de la situation.

8421. 2°) Afin peut-être de tempérer le caractère drastique de sa position, la Cour insiste sur le nécessaire encadrement que subit l’exception nationale d’ordre public au regard des exigences de droit européen. Elle rappelle le fait que la mesure nationale d’ordre public doit être conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte (point 47), spécialement au droit au respect de la vie privée et familiale issu de son article 7, dont la portée est identique à celle de l’article 8 de la Convention EDH. C’est donc à l’ensemble de l’arsenal européen des droits fondamentaux qu’il convient de confronter l’ordre public national.

85Or, la Cour reste très elliptique sur cet appel à l’article 8 de la Convention EDH, dont elle n’explicite pas, voire déforme les exigences. Indiquant qu’un couple de même sexe relève de la notion de « vie familiale » (point 50), elle enchaîne immédiatement sur l’obligation de reconnaissance du mariage homosexuel « eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent » (§ 51). Cela laisse entendre que la Cour EDH aurait elle-même imposé cette obligation. Or ce n’est pas le cas, y compris dans le récent arrêt Orlandi c/ Italie (préc., v. § 192) : les États doivent accorder un statut juridique aux couples de même sexe, leur offrant protection suffisante (v. déjà CEDH, 24 juin 2010, n° 30141/04, Schalk et Kopf c/ Autriche, § 108 ; CEDH 21 juill. 2015, n° 18766/11 et 36030/11, Oliari e.a. c/ Italie), mais ne sont pas tenus de leur ouvrir l’accès au mariage. Plus avant, dans l’affaire Orlandi, la Cour EDH note expressément qu’en l’absence de consensus entre États sur la reconnaissance des mariages homosexuels étrangers, ceux-ci devaient bénéficier d’une marge d’appréciation étendue quant à savoir s’ils doivent ou non enregistrer ces mariages comme tels (§ 205 ; comp. les obs. opposées de l’avocat général dans l’aff. Coman, spéc. § 58 évoquant un « mouvement généralisé » d’admission de ces mariages, correspondant à « une reconnaissance universelle de la pluralité des familles »). La Cour de justice va donc plus loin dans l’arrêt Coman, puisque d’une part elle exclut que l’État d’accueil bénéficie d’une telle marge, et d’autre part elle impose la reconnaissance des mariages de même sexe – du moins pour l’octroi d’un titre de séjour.

8622. Alors qu’elle est présentée comme la condition « “que l’on ne peut pas ne pas retenir” (…) sauf à accepter de se dissoudre et de disparaître » (Y. Lequette, Les mutations du droit international privé : vers un changement de paradigme ?, RCADI 2017, t. 387, spéc. n° 370), voire comme motif unique de refus (v. S. Pfeiff, op. cit., maintenant une « exception européenne d’ordre public ») et qu’elle est toujours réservée par les conventions internationales même de façon stricte (v. not. art. 11 Conv. La Haye du 14 mars 1978 sur la reconnaissance des mariages), l’exception d’ordre public se trouve ici quasiment évincée, car l’on voit mal quel principe fondateur de son identité nationale l’État pourrait opposer. Il reste alors à savoir si une possible limitation à l’obligation de reconnaissance pourrait découler d’une réduction de sa portée à certains cas précis.

8723. B – Peut-on envisager que l’État d’accueil limite la portée de l’obligation de reconnaissance qui pèse sur lui, soit quant aux effets du mariage entre personnes de même sexe (1°), soit quant à l’internationalité des situations visées (2°) ?

8824. 1°) Une première piste pourrait tenir à un encadrement matériel de cette obligation de reconnaissance. Les termes littéraux de l’arrêt pourraient être un argument en ce sens, même si cet attachement à la lettre va sans doute contre l’esprit de la décision. Consacrée en l’espèce « aux seules fins de l’octroi d’un titre de séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers », comme le répète tel un leitmotiv la Cour de justice, l’obligation de reconnaissance imposée à l’État d’accueil pourrait-elle être limitée à certains effets du mariage seulement, sans être étendue à l’ensemble du statut matrimonial ? La question reste ouverte.

89Une approche restrictive tendrait à s’en tenir à cette reconnaissance sectorielle ou « ciblée » (H. Fulchiron et A. Panet, op. cit.). L’État d’accueil devrait se contenter d’accorder un droit de séjour de longue durée au conjoint de même sexe, sans être tenu par ailleurs de reconnaître l’ensemble des effets civils du mariage étranger. Il s’agirait d’une « garantie minimale » accordée au conjoint de même sexe (concl. av. gén. n° 99). Plusieurs éléments soutiennent cette première lecture. Tout d’abord la lettre même de l’arrêt et le caractère circonstancié du dispositif : la Cour prend soin de replacer toujours son argumentation en lien avec la directive 2004/38 appliquée par analogie et insiste sur le fait que seul l’octroi du droit au séjour ne peut être refusé. Ensuite, comme le rappelle par deux fois la Cour (points 37 et 45), la réglementation du mariage relève de la compétence des États membres et de leur autonomie (v. sur cet aspect, E. Pataut, obs. préc., spéc. p. 677). On se rapprocherait en cela de l’approche adoptée par certains règlements, indiquant que la reconnaissance d’une décision relative au domaine concerné n’implique pas reconnaissance du mariage qui est à l’origine (v. supra n° 17).

90Dans la même lignée, une approche moyenne pourrait être de reconnaître des effets attachés au mariage ou à la qualité de conjoint, mais qui ne sont pas de l’essence même du mariage. Outre le titre de séjour, on songerait par exemple à certains droits sociaux voire fiscaux. En revanche les effets civils du mariage, son enregistrement à l’état civil resteraient exclus. La situation ne serait pas sans rappeler le traitement un temps réservé aux enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, dont la filiation même n’était pas reconnue en France, mais qui pouvaient bénéficier de document de voyage ou de certificat de nationalité française (v. Circ. du 25 janv. 2013 et CE 12 déc. 2014, n° 365779). Les prérogatives nationales en matière de mariage resteraient intactes.

91Une approche extensive enfin conduirait au contraire à considérer que, au-delà du seul titre de séjour, c’est en réalité l’ensemble du statut d’époux qu’il conviendra à la Roumanie de reconnaître : le mariage entre personnes de même sexe déploierait tous ses effets dans l’État d’accueil, nonobstant son interdiction nationale de tels mariages (v. très affirmatif, G. Kessler, obs. préc. ; plus nuancé E. Pataut, obs. préc., p. 677). Il est vrai que la délimitation même de la notion de mariage par rattachement à la citoyenneté européenne militerait en ce sens, à l’image de la logique déployée dans les affaires relatives au nom de famille (v. not. CJUE 8 juin 2017, Freitag, préc.). C’est au titre de citoyen européen que l’individu doit pouvoir se prévaloir des droits y attachés, notamment la libre circulation, mais également « celui de mener une vie familiale normale » (point 32). Au-delà des seules exigences du droit au séjour, c’est donc potentiellement l’ensemble de son statut familial et individuel que le citoyen doit pouvoir emporter avec lui – qui devient « portable » (S. Pfeiff, La portabilité du statut personnel dans l’espace européen, Bruylant, 2017). Tous les effets du mariage en lui-même seraient alors concernés, y compris ceux qui sont de son essence même, sans que l’on se borne à y voir le seul présupposé d’un effet découlant d’une règle européenne. L’avancée serait considérable, mais imposerait certainement de reconsidérer la place accordée à l’ordre public national.

9225. 2°) Une seconde piste pourrait être explorée, qui reposerait sur l’application de la solution à certaines situations internationales seulement. La limitation serait d’ordre géographique ou personnel. Argument pourrait être tiré de ce que la Cour conditionne l’obligation de reconnaissance au fait que le mariage ait été obtenu conformément au droit d’un État membre (autre que celui de la nationalité) et ce dans le cadre même de l’exercice de sa liberté de circulation par le citoyen européen, à l’occasion d’un séjour effectif (v. supra n° 7 s.). Ne seraient alors pas concernés les mariages obtenus à l’étranger dans d’autres conditions, soit hors Union donc extérieurs aux libertés de circulation, soit dans l’Union mais sans que cela réponde à une mobilité réelle permettant une « consolidation » de la vie familiale dans l’État d’origine (comp. CEDH Orlandi, préc.). Les distinctions seraient peut-être périlleuses (v. pour divers exemples, H. Fulchiron et A. Panet, op. cit.) et devraient être conciliées avec les apports de la jurisprudence Metock, évoquée par l’arrêt autant que par les conclusions de l’avocat général, protégeant le conjoint ressortissant d’un État tiers « quel que soit le lieu et la date du mariage ». Mais ce pourrait être aussi une façon de sanctionner une « fraude à l’internationalité » dans des situations qui, contrairement à l’affaire Coman, ne reposent pas sur une mobilité objective du citoyen européen.

9326. Si la solution de l’affaire Coman peut en l’espèce se justifier, elle invite sans nul doute à réfléchir plus avant sur l’incidence des principes fondamentaux européens sur les méthodes de droit international privé, mais aussi au sens pouvant être donné à la circulation des individus lorsque leur localisation effective tend à être supplantée par leur statut de citoyen européen.

Français

Dans une situation dans laquelle un citoyen de l’Union a fait usage de sa liberté de circulation, en se rendant et en séjournant de manière effective, conformément aux conditions prévues à l’article 7, § 1, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, et a développé ou consolidé à cette occasion une vie de famille avec un ressortissant d’un État tiers de même sexe, auquel il s’est uni par un mariage légalement conclu dans l’État membre d’accueil, l’article 21, § 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité refusent d’accorder un droit de séjour sur le territoire de cet État membre audit ressortissant, au motif que le droit dudit État membre ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe (1).
L’article 21, § 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le ressortissant d’un État tiers, de même sexe que le citoyen de l’Union, dont le mariage avec ce dernier a été conclu dans un État membre conformément au droit de celui-ci dispose d’un droit de séjour de plus de trois mois sur le territoire de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité. Ce droit de séjour dérivé ne saurait être soumis à des conditions plus strictes que celles prévues à l’article 7 de la directive 2004/38 (2).

Mots clés

  • Citoyenneté européenne
  • Liberté de circulation
  • Article 21 TFUE
  • Directive 2004/38/CE
  • Application (non)
  • Interprétation conforme
  • Bénéficiaire
  • Membres de la famille du citoyen de l’Union
  • Notion de « conjoint »
  • Mariage entre personnes de même sexe conclu dans un État membre
  • Séjour effectif
  • Obligation de reconnaissance
  • Droit au séjour dérivé
  • Titre de séjour de plus de trois mois
  • Ordre public national
  • Droits fondamentaux
Petra Hammje
Professeur à l’Université de Nantes
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.184.0816
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