CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1M. X c/ Caisse primaire d’assurance maladie de Thionville

2La Cour : – Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Metz, 22 avr. 2014), que, domicilié en France et exerçant son activité professionnelle au Luxembourg, M. X a sollicité de la caisse primaire d’assurance maladie de Thionville (la caisse) le remboursement de prestations de santé dont il avait bénéficié du 4 décembre 2007 au 17 mars 2008 ; que la caisse a procédé au remboursement de ces prestations, déduction faite d’une franchise ; que, contestant le fait que cette participation demeure à sa charge dès lors qu’il paye des cotisations sociales dans son pays d’emploi, M. X a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale ;

3Attendu que M. X fait grief à l’arrêt, après avoir déclaré n’y avoir lieu à renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne, de décider que la franchise prévue à l’article L. 322-2 du Code de la sécurité sociale n’est pas une cotisation sociale et, en conséquence, de rejeter sa demande, en sa qualité de travailleur frontalier domicilié en France et exerçant son activité professionnelle dans un autre État membre de l’Union européenne, tendant au remboursement de ladite participation réglée à la caisse primaire de la Moselle, alors, selon le moyen :

41°/ qu’il appartient à la Cour de justice de l’Union européenne de statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation de textes communautaires soulevant une question sur laquelle elle n’a pas encore statué ; que la Cour de cassation française doit donc poser à cette juridiction la question préjudicielle suivante, sur laquelle celle-ci ne s’est pas à ce jour prononcée : « une pratique interne ayant pour objet de mettre à la charge des assurés sociaux une contribution sur le remboursement des prestations en nature constitue-t-elle une cotisation sociale au sens de l’article 11 du règlement 883/2004 ? Le fait pour l’état de résidence servant les prestations de mettre cette contribution à la charge des travailleurs frontaliers qui acquittent les cotisations sociales dans le pays d’emploi caractérise-t-il une atteinte au principe de libre circulation des travailleurs ? », cela par voie de renvoi préjudiciel en application des dispositions de l’article 267 du traité sur l’Union européenne (TUE) ;

52°/ qu’en toute hypothèse, toute contribution affectée spécifiquement au financement du régime de sécurité sociale d’un état membre de l’Union européenne revêt, indépendamment de sa qualification juridique et de ses modalités de calcul ou de perception, la nature d’une cotisation de sécurité sociale soumise à l’interdiction de double prélèvement visant les personnes résidant dans un état membre et travaillant dans un autre ; qu’en l’espèce, la franchise annuelle d’un montant forfaitaire laissée à la charge de l’assuré pour les frais relatifs à chaque prestation et produit de santé, constituant un gain immédiat pour la caisse, est ainsi affectée spécifiquement au financement du régime de sécurité sociale ; qu’en se fondant sur les modalités de perception de la franchise pour décider le contraire et considérer qu’elle ne constituait pas une cotisation de sécurité sociale soumise à l’interdiction du double prélèvement, la cour d’appel a violé l’article 11 du règlement européen 883/2004 du 29 avril 2004 et l’article L. 322-2 III du Code de la sécurité sociale ;

6Mais attendu que la franchise annuelle laissée à la charge de l’assuré en application de l’article L. 322-2 III du Code de la sécurité sociale pour les frais, pris en charge par l’assurance maladie, relatifs à chaque prestation et produit de santé que le texte énumère, ne revêt pas le caractère d’une contribution pour le financement de la sécurité sociale au sens de l’article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, applicable à la date des soins litigieux ;

7Et attendu que l’arrêt retient que la franchise instituée par les articles L. 322-2 III, D. 322-5 et D. 322-6 du Code de la sécurité sociale tend à laisser à la charge d’un assuré une partie du coût d’un acte ; qu’il ne résulte ni des dispositions précitées ni de celles des articles L. 241-1 et suivants que la contribution soit affectée spécifiquement au financement d’un régime de sécurité sociale ; que la seule circonstance que cette limitation des remboursements entraîne une économie pour la caisse débitrice des prestations ne peut suffire à caractériser son affectation au financement d’un régime ; que ce mécanisme a été introduit dans les dispositions relatives aux prestations en nature servies au titre de l’assurance maladie afin d’inciter leurs bénéficiaires à faire preuve de responsabilité vis-à-vis de l’usage des soins, la part laissée à charge de l’assuré ne pouvant excéder un plafond annuel de cinquante euros ; que la franchise forfaitaire constitue une retenue opérée sur le remboursement par la caisse des frais engagés par l’assuré ; que, directement reliée à une prestation ou un produit de santé, elle ne grève donc pas les revenus d’activité ou de remplacement perçus par le travailleur à l’occasion d’une activité exercée dans un autre État membre de l’Union européenne ; Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a déduit à bon droit que la franchise forfaitaire litigieuse n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ce dont il résultait qu’elle devait être définitivement supportée par le ressortissant européen bénéficiant de la prestation à laquelle la contribution est attachée ;

8D’où il suit que, sans qu’il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, le moyen n’est pas fondé ;

9Par ces motifs : - Dit n’y avoir lieu à renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne ; Rejette le pourvoi.

10Du 18 juin 2015 – Cour de cassation (Civ. 2e) - Pourvoi n° 14-19.890 – Mme Flise, prés. – M. Foussard, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, av.

11(1) Encore peu cultivé par la doctrine (v. néanmoins Ch. Freyria, Sécurité sociale et droit international privé, Rev. crit. DIP 1956. 409 ; J. Wibault, Le droit de la sécurité sociale et la notion de conflits de lois, Dr. soc. 1965. 318 ; A. Arseguel, Les conventions bilatérales de sécurité sociale entre la France et les États africains, in Ann. Univ. Toulouse, t. XV, 1992, p. 113 ; R. Bonnet, Sécurité sociale et relations internationales, RFAS 1985. 197 ; Y. Chassard et P. Venturini, la dimension européenne de la protection sociale, Dr. soc. 1995. 772 ; M. Laroque, Coordination et convergence des systèmes de sécurité sociale des États membres de la CEE, Dr. soc. 1993. 792. G. Perrin, Les fondements du droit international de la sécurité sociale, Dr. soc. 1974. 479 ; G. Nagel et C. Thalamy, Le droit international de la sécurité sociale, Puf, coll. « Que sais-je ? », 1994) en raison de son extrême complexité et de son appartenance au droit public (P. Mayer, Le rôle du droit public en droit international privé, RID comp. 1986. 467, P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, 11e éd., Montchrestien, n° 107), le droit international de la sécurité sociale a pourtant un présent et vraisemblablement un avenir considérable comme le démontrent, tant la récente étude d’Etienne Pataut : Territorialité et coordination en droit international privé : l’exemple de la sécurité sociale (in Mél. Pierre Mayer, LGDJ, 2015, p. 663) soulignant le phénomène de « déterritorialisation » des règles de protection sociale relevé par Pierre Rodière (in Droit social international – Sources. Principes. Questions générales, J.-Cl. internat. fasc. 573, 2009 spéc. n° 27), que les nombreux règlements européens qui alimentent à satiété la question (le règlement n° 3/58 a été remplacé par le règlement n° 1408/71 lui-même remplacé par le règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale : JOUE L 166, 30 avr. 2004, p. 1 complété par le règlement d’application n° 987/2009). La jurisprudence florissante en ce domaine en témoigne également. L’arrêt de la Cour de cassation reproduit en date du 18 juin 2015 illustre remarquablement le contentieux en la matière.

12En l’espèce, un individu était domicilié en France et travaillait au Luxembourg. Il sollicitait de la caisse primaire d’assurance maladie de Thionville le remboursement de prestations de santé dont il avait bénéficié durant une période de 4 mois. Or la caisse française a procédé au remboursement de ces prestations, déduction faite d’une franchise prévue aux articles L. 322-2, III, D. 322-5 et D. 322-6 du Code de la sécurité sociale. Le salarié contestait devant les juridictions françaises le fait que cette participation financière reste à sa charge dès lors qu’il paye des cotisations sociales dans son pays d’emploi. La personne souhaitait voir poser la question préjudicielle suivante : « une pratique interne ayant pour objet de mettre à la charge des assurés sociaux une contribution sur le remboursement des prestations en nature constitue-t-elle une cotisation sociale au sens de l’article 11 du règlement 883/2004 ? Le fait pour l’État de résidence servant les prestations de mettre cette contribution à la charge des travailleurs frontaliers qui acquittent les cotisations sociales dans le pays d’emploi caractérise-t-il une atteinte au principe de libre circulation des travailleurs ? ». La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir refusé un tel renvoi, la franchise forfaitaire litigieuse n’entrant pas dans le champ d’application de l’article 11 du règlement du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. Elle doit être définitivement supportée par le ressortissant européen bénéficiant de la prestation à laquelle la contribution est attachée. L’étude de cette décision conduit à s’intéresser au double principe d’unicité : unicité du droit applicable (1) et unicité de la cotisation qui suppose de régler la qualification de la participation financière et de la franchise annuelle instaurée par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie (JO 17 août 2004) (2).

I – Du droit applicable et de son unicité

13Le principe dit de l’« unicité du droit applicable » figure à l’article 11 du règlement aux termes duquel : « les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre ». Par cette disposition qui n’est pas contraire aux prescriptions de l’article 5 du traité (CJCE 20 oct. 2000, aff. C-242/99, Johann Vogler, Rec. I-9083), le règlement entend faire disparaître tout risque de cumul ou de lacune issu de la méthode de détermination unilatérale du champ d’application international de leurs lois par chacun des États. Aucune personne, au sein de l’Union européenne, ne peut être soumise à aucune loi ou se voir appliquer simultanément plusieurs législations nationales (CJCE 3 mai 1990, aff. C-2/89, Kits van Heijningen). Si une personne exerce une activité dans plusieurs États membres, même pour le compte de plusieurs employeurs, une seule législation nationale s’applique et couvre toutes les activités (v. en ce sens l’art. 13, § 5, du règl. n° 883/2004 selon lequel les personnes sont traitées, aux fins de la législation déterminée conformément à ces dispositions, comme si elles exerçaient l’ensemble de leurs activités salariées ou non salariées et percevaient la totalité de leurs revenus dans l’État membre concerné).

14Selon l’article 11, la législation en question est déterminée « conformément au présent titre ». En vue de garantir le mieux possible l’égalité de traitement de toutes les personnes occupées sur le territoire d’un État membre, l’article 11 3 du règlement dispose que la législation applicable est celle de l’État membre dans lequel l’intéressé exerce son activité salariée ou non salariée. Le choix de la lex loci laboris traduit le fait que les lois de sécurité sociale sont des lois d’ordre public ou des lois de police (J.-J. Dupeyroux, Marché commun et sécurité sociale, JCP 1959. I. 1504 ; C. Freyria, article préc.). Comme cela a été souligné (P. Laroque, Problèmes internationaux de sécurité sociale, Genève, éd. BIT, 1952), historiquement, ce choix exprime aussi l’ambition de faire profiter les migrants du système national de sécurité sociale le plus avantageux, les migrations se faisant majoritairement des pays les moins aisés vers les pays les plus riches de l’Union (A. Mattera, La libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté européenne, RMUE 4/1993. 47 ; A. Lyon-Caen, De la mobilité des salariés à l’intérieur de la Communauté européenne, Dr. soc. 1989. 467). Il a aussi été souligné par J.-Ph. Lhernould (J.-Cl. Protection sociale, fasc. 212-30, spéc. n° 52) que le recours à la loi de l’État d’activité répond à l’objectif d’intégration des migrants dans l’État d’accueil, les migrants résidant habituellement dans l’État d’emploi (v. au sujet de prestations de chômage : CJCE 12 juin 1986, aff. 1/85, Horst Miethe, Rec. 1837), et illustre la domination de la conception assurantielle de la sécurité sociale (au moins au moment où cette règle générale de rattachement a été édictée), fondée sur des liens privilégiés entre l’exercice d’une activité professionnelle et le droit à la sécurité sociale.

15Le principe d’unicité de la loi applicable a une portée absolue. Il est vrai que dans un premier temps, la Cour de justice, sous l’empire du règlement n° 3, a admis l’application concurrente des législations de l’État d’emploi et de l’État de résidence lorsque cela se traduisait par un complément de protection sociale (CJCE 5 déc. 1967, aff. 19/67, Van der Vecht, Rec. 445 ; CJCE 13 juill. 1966, aff. 4/66, Hagenbeeck, Rec. 1966. 617 ; CJCE 9 juin 1964, aff. 92/63, Nonnenmacher, Rec. 557). En vertu de cette jurisprudence, un migrant pouvait bénéficier des prestations de maladie selon la loi de l’État de résidence désignée par le jeu normal des règles de conflit et d’une rente vieillesse par application de la loi d’un autre État membre, le règlement n° 1408/71 n’interdisant pas à une législation nationale d’accorder une protection sociale plus large que celle découlant de l’application dudit règlement (CJCE 10 janv. 1980, Jordens-Vosters, aff. 69/79, Rec. 75). Dans un second temps, deux affaires ultérieures, dans lesquelles il était demandé si la législation de l’État de résidence pouvait s’appliquer concurremment à la législation de l’État d’emploi, ont permis à la CJCE de revenir à une analyse plus orthodoxe (en ce sens. J.-Ph. Lhernould, préc.) en refusant le cumul au motif que les dispositions du règlement de coordination tendent à ce que les intéressés soient soumis au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls des législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évitées (CJCE 10 juill. 1986, aff. 60/85, Luitjen ; CJCE 12 juin 1986, aff. 302/84, T. Holder).

16Les règlements européens ont toutefois mis en place des mécanismes de coopération entre institutions de sécurité sociale afin de permettre à une personne de recevoir des soins dans un État membre qui n’est pas son État d’affiliation, en application des règles de l’État de soins. La caisse de l’État d’affiliation peut donc dans ce cas appliquer directement non pas les règles de son propre État mais celles d’un autre État membre. Telle est notamment l’hypothèse des travailleurs transfrontaliers comme dans l’espèce rapporté. Le travailleur transfrontalier est défini par l’article 1f du règlement de 2004, comme toute personne qui exerce une activité salariée dans un État membre et qui réside dans un autre ; cette personne y retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine (sur le concept de travailleur frontalier, plusieurs décisions rendues sous l’empire du règlement n° 1408/71 demeurent pertinentes dans le cadre du règlement n° 883/2004 : CJCE 20 mai 2008, aff. C-352/06, Brigitte Bosmann, Rec. I-3827 ; RJS 2008. 770, chron. F. Kessler ; RJS 2009. 791 note J.-Ph. Lhernould ; Journal des Tribunaux du Travail, 2008, n° 1016, D. Martin et J.-Ph. Lhernould ; CJCE 13 mars 1997, aff. C-131/95, P.-J. Huijbrechts, Rec. I-1409 ; CJCE 22 sept. 1988, aff. 236/87, Anna Bergemann, Rec. I-5125). Ce travailleur, affilié à l’organisme du pays d’emploi a cependant accès aux soins de santé des deux États. L’article 17 du texte européen envisage l’hypothèse de résidence dans un État membre autre que l’État compétent : « La personne assurée ou les membres de sa famille qui résident dans un État membre autre que l’État membre compétent bénéficient dans l’État membre de résidence des prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de résidence, selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme s’ils étaient assurés en vertu de cette législation ». Par exemple, une personne qui travaille au Luxembourg et réside en France sollicitera une carte vitale de la caisse primaire de son lieu de résidence. Celle-ci lui sera délivrée sur présentation du formulaire « S1 », délivrée par l’État compétent en matière d’assurance maladie, le Luxembourg en l’espèce. Les remboursements sont opérés par la caisse primaire comme si la personne est assurée sociale en France (J-Ph. Lhernould, J.-Cl. Protection sociale, fasc. 212-40). Dans l’espèce commentée, le salarié luxembourgeois résidait en France ; les remboursements devaient dès lors être opérés comme s’il était assuré social en France. Cependant, ce salarié s’opposait au fait de devoir supporter la participation forfaitaire et la franchise annuelle mise à la charge de l’assuré par la législation française.

II – De la participation forfaitaire et de l’unicité de cotisation

17Le principe d’unicité de la législation applicable emporte interdiction des doubles cotisations. Ainsi, le fait pour un travailleur d’être grevé, pour un même revenu, de charges sociales découlant de l’application de plusieurs législations nationales, alors qu’il ne peut revêtir la qualité d’assuré qu’au regard d’une seule de ces législations, expose ce travailleur à une double cotisation, contraire aux dispositions de l’article 13 du règlement n° 1408/71 (CJCE 10 mai 2001, aff. C-389/99, S. Rundgren ; CJCE 3 mai 2001, aff. C-347/98, Commission c/ Royaume de Belgique, Rec. I-3327 ; CJCE 15 févr. 2000, aff. C-169/98, Commission c/ France ; CJCE 29 juin 1994, aff. C-60/93, Aldewereld ; CJCE 5 mai 1977, aff. 102/76, Perenboom, Rec. 815). En l’espèce, le justiciable entendait démontrer que la participation forfaitaire et la franchise mises en place constituaient une cotisation de sécurité sociale et étaient dès lors soumises à l’interdiction du double prélèvement, interdiction justifiée pour garantir la libre circulation des travailleurs. Or la question de la qualification en matière de droit international de la sécurité sociale est particulièrement sensible, puisque la France vient d’être condamnée par la Cour de justice au sujet de la CGS ou la CRDS, deux contributions prélevées sur les revenus du patrimoine d’une personne assurée sociale hors de France. Dans une décision en date du 26 février 2015 (aff. 623/13, Ministre de l’Économie et des Finances c/ D. : RJS 6/15, p. 368, chron. J.-Ph. Lhernould), la Cour de justice affirme que, même si les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine sont perçus par la France indépendamment de l’exercice de toute activité professionnelle de la personne assujettie, ces derniers relèvent du champ d’application du Règlement européen (n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971) qui prévoit le principe d’interdiction du cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale (art. 13, § 1). En d’autres termes, la Cour considère que les personnes qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre ne peuvent être assujetties en France à des prélèvements sociaux sur leurs revenus de patrimoine de source étrangère compte tenu de l’affectation de ces prélèvements au financement de la protection sociale française. Adoptant un raisonnement finaliste, la Cour a recherché l’affectation des prélèvements effectués sans s’arrêter à leur dénomination ou leur assiette pour conclure que les cotisations prélevées sur les revenus du patrimoine d’un ressortissant néerlandais étant affectées spécifiquement et directement au financement de la sécurité sociale en France. Quelques mois plus tard, dans un arrêt du 17 avril 2015, le Conseil d’État a alors censuré un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui avait adopté le raisonnement et la solution jusqu’alors consacrés par la juridiction administrative. À l’appui de son recours tendant à obtenir la décharge des cotisations sociales, le contribuable avait vainement fait valoir devant les premiers juges qu’il n’avait pas à acquitter ces cotisations sociales dès lors qu’il n’était affilié à aucun régime obligatoire français de sécurité sociale. Il lui avait été répondu par les juridictions administratives que « ces cotisations, dépourvues de tout lien avec l’ouverture d’un droit à une prestation ou un avantage servi par un régime de sécurité sociale, ont le caractère d’impositions de toute nature et non celui de cotisations de sécurité sociales ». La thèse niait le caractère social des cotisations pour les assimiler à un impôt. C’est cette analyse que le Conseil d’État réfute par une cassation qui reprend le raisonnement de la Cour de justice consacrant l’unicité d’affiliation et l’unicité de cotisation, et qui souligne que le champ d’application du règlement précité comprend les prélèvements de sécurité sociale alors même qu’ils seraient assis sur des revenus de la personne assujettie indépendamment de l’exercice de toute activité professionnelle : « la circonstance qu’un prélèvement soit qualifié d’impôt par une législation nationale n’exclut pas que ce même prélèvement puisse être regardé comme relevant du champ d’application du règlement n° 1408/71 ». La qualification dépend de l’affectation du produit de ces prélèvements.

18Qu’en est-il de la participation forfaitaire prévue par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 pour chaque consultation ou chaque acte couvert par l’assurance maladie ? Ce contentieux, objet de l’arrêt rapporté, est remonté à la Cour de cassation en dépit de la modicité des sommes en jeu : la participation est en effet de 0,5 € pour les médicaments concernés ; 0,5 € par acte effectué par un auxiliaire médical, 2 € par transport, sachant que le montant maximum supporté au titre de cette franchise par le bénéficiaire de soins au cours d’une année civile était fixé à 50 € (CSS, art. R. 322-962 et D. 322-2 et 332-6). L’arrêt commenté n’est pas isolé puisque la même chambre civile a déjà été saisie et a rendu un arrêt similaire deux ans auparavant (Civ. 2e, 10 oct. 2013, n° 12-22.836, JCP S 25 févr. 2014, p. 1088, note Th. Tauran) et il est peu probable que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 février 2015 ait commandé le raisonnement de la Haute juridiction française qui considère que la participation forfaitaire vise à laisser à la charge d’un bénéficiaire de l’assurance maladie une partie du coût de l’acte et ne constitue pas une cotisation de sécurité sociale relevant de l’interdiction du double prélèvement posée par l’article 13. Les textes ne prévoient pas que les sommes ainsi prélevées par le régime général de la sécurité sociale soient affectées au financement de la branche maladie. Au demeurant, cette restriction modique des remboursements serait insuffisante en elle-même à caractériser le financement d’un régime. Certes, toute modique qu’elle soit, pareille restriction entraîne une économie pour la caisse débitrice des prestations. Cependant selon la Cour, le mécanisme a été introduit dans le but d’inciter leurs bénéficiaires à faire preuve de responsabilité vis-à-vis de l’usage des soins, la part laissée à charge de l’assuré ne pouvant excéder un plafond annuel de cinquante euros. La franchise forfaitaire constitue une retenue opérée sur le remboursement par la caisse des frais engagés par l’assuré. La participation symbolique est une retenue prélevée sur les prestations en nature versées par la Caisse et ne grève donc pas les revenus d’activité ou de remplacement perçus par le travailleur à l’occasion d’une activité exercée dans un autre État membre. C’est donc faire une différence entre le fait d’augmenter d’un euro la cotisation par acte médical ou le fait de ne pas rembourser un euro par acte médical. S’il ne s’agit assurément pas une cotisation prélevée sur les revenus d’activité, peut-être aurait-il été opportun d’admettre le renvoi préjudiciel pour ôter tout doute quant à cette contribution que certains se sont résignés à considérer comme sui generis (Th. Tauran, note préc.). Telle n’est cependant pas la position de la Cour de cassation qui considère que la franchise doit être définitivement supportée par le ressortissant européen bénéficiant de la prestation à laquelle elle est attachée, et que ce système ne remet en cause ni le principe d’unicité, ni celui de la libre circulation des travailleurs.

Français

La franchise forfaitaire annuelle laissée à la charge de l’assuré en application de l’article L. 322-2 III du Code de la sécurité sociale n’entre pas dans le champ d’application de l’article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ce dont il résulte que cette franchise doit être définitivement supportée par le ressortissant européen bénéficiant de la prestation au remboursement de laquelle elle est appliquée (1).

Mots clés

  • Sécurité sociale
  • Règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004
  • Article 11
  • Travailleur transfrontalier
  • Remboursements de prestations santé
  • Prestations fournies en France
  • Affiliation dans l’État d’emploi
  • Application de la franchise de l’article L. 322-2 du Code de la sécurité sociale
Jean-Michel Jude
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.162.0360
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