CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Fondation Roland X

2La Cour : – Sur le premier moyen du pourvoi principal : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 6 nov. 2013), que Roland X est décédé le 22 novembre 2006 en l’état d’un testament authentique reçu le 18 mai 2004, par lequel, révoquant toutes dispositions testamentaires antérieures, il a, d’une part, institué pour légataire universel « une fondation à créer dont le but sera de favoriser la recherche médicale et dont le nom sera fondation Roland X » et, d’autre part, nommé M. Y en qualité d’exécuteur testamentaire ; qu’à l’initiative de celui-ci la fondation a été constituée et inscrite au registre du commerce de Genève le 19 juillet 2007 ; que le legs lui a été délivré, l’exécution en étant autorisée par arrêté du 18 septembre 2008 de la ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales conformément aux dispositions de l’article 3 du décret n° 66-388 du 13 juin 1966, modifié ; que Mme Z, sœur et unique héritière du défunt, a poursuivi la nullité de ce legs ;

3Attendu que Mme Z fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen, que si, selon l’article 18-2 de la loi du 23 juillet 1987 modifiée par la loi du 4 juillet 1990, un legs peut être fait au profit d’une fondation qui n’existe pas, c’est à la condition que cette fondation obtienne en France, après les formalités de constitution, la reconnaissance d’utilité publique qui doit être demandée dans l’année suivant l’ouverture de la succession ; qu’en décidant que la fondation Roland X constituée post mortem en Suisse pouvait valablement recueillir le legs prévu dans la succession de Roland X soumis à la loi française, la cour d’appel a violé le texte susvisé ensemble les articles 3 et 906 du Code civil ;

4Mais attendu qu’après avoir énoncé, à bon droit, que la succession mobilière du défunt était soumise à la loi française et que les conditions requises pour succéder relevaient de cette loi, l’arrêt retient, à juste titre, que, pour pouvoir recueillir, selon les dispositions successorales françaises, le legs fait à son profit, qui est licite, une fondation étrangère doit bénéficier de la personnalité morale au jour de l’ouverture de la succession selon la loi régissant son statut, sans être tenue d’obtenir la reconnaissance d’utilité publique en France ; qu’après avoir constaté qu’au regard du droit helvétique la fondation Roland X avait acquis la personnalité morale du seul fait de son inscription au registre du commerce de Genève le 19 juillet 2007, avec effet rétroactif au jour de l’ouverture de la succession, la cour d’appel, qui a justement retenu que cette fondation avait la capacité juridique de recevoir le legs objet du litige, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;

5Et sur le second moyen du même pourvoi : – Attendu que le moyen n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

6Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventurl : – Rejette le pourvoi principal ;

7Du 15 avril 2015 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 14-10.661 – Mmes Batut, prés. ; Bignon, rapp. ; M. Bernard de La Gatinais, prem. av. gén. – SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.

8(1) 1. Il est fréquent de souligner les difficultés auxquelles sont confrontées les fondations lorsqu’elles veulent rayonner au-delà de leur sphère nationale ou recevoir des dons transnationaux. Ce constat a motivé l’initiative de l’Union européenne visant à créer un statut de fondation européenne d’utilité publique (Proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la fondation européenne (FE), présentée par la Commission européenne le 8 févr. 2012, COM(2012) 35 final). Cependant, dans un domaine où non seulement les droits nationaux sont assez hétérogènes mais où, surtout, se maintient souvent un contrôle étatique assez étroit sur ces institutions, la recherche d’un compromis susceptible de réunir un consensus unanime des États membres s’est révélée être un objectif très ambitieux, au point que les efforts engagés en ce sens semblent actuellement s’essouffler. Face à un tel contexte, l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 15 avril 2015 n’en présente que plus d’intérêt. En effet, dans le prolongement de l’évolution du droit interne français, il lève les obstacles qui avaient jusqu’alors paralysé la possibilité pour une fondation testamentaire directe étrangère, dite également fondation post mortem, de recueillir un legs dans le cadre d’une succession soumise à la loi française. Rompant avec la jurisprudence antérieure, clairsemée mais hostile, l’arrêt méritait assurément l’honneur de la publication au Bulletin qui lui a été réservé et l’attention qu’il a déjà suscitée (F. Sauvage, RJPF 2015. 6/38 ; M. Grimaldi, RTD civ. 2015. 448 ; M. Devisme, JCP N 2015, n° 50, p. 25 ; G. Chabot, RLDC 2015. 131, p. 43 ; S. Godechot-Patris, RDC 2015. 905 ; F. Mélin, D. Actualité, 11 mai 2015).

92. Dans cette affaire, une personne avait, par testament authentique établi en 2004, institué comme légataire universel une fondation à créer dont le but serait de favoriser la recherche médicale et désigné un exécuteur testamentaire. Ce dernier, après le décès du testateur intervenu en novembre 2006, procéda aux opérations de constitution de la fondation et à son enregistrement, en juillet 2007, au registre du commerce de Genève. Puis, la fondation obtint la délivrance du legs dont l’exécution avait été autorisée par arrêté du ministre de l’Intérieur conformément aux prescriptions alors en vigueur s’agissant de libéralités au profit d’États et d’établissements étrangers. Mais la sœur du défunt, son unique héritière, a contesté la validité du legs. Elle a fait valoir que, en vertu de la loi française en l’espèce applicable à la succession mobilière du défunt, il ne pouvait être dérogé à l’interdiction des legs au profit de personnes morales futures posée à l’article 906 du Code civil que selon les termes de l’article 18-2 de la loi du 23 juillet 1987 telle que modifiée par la loi du 4 juillet 1990. Ce texte subordonne la validité des legs au bénéfice de fondations post mortem à leur reconnaissance d’utilité publique. Or la fondation suisse n’avait accompli aucune démarche en vue d’une telle reconnaissance en France. Ce texte devait-il s’appliquer et la condition de reconnaissance d’utilité publique s’imposer s’agissant d’une fondation étrangère ? L’héritière qui le prétendait n’est pas parvenue à convaincre la Cour d’appel de Paris dont l’arrêt est approuvé par la Cour de cassation. Pour écarter l’exigence de reconnaissance d’utilité publique à l’endroit de la fondation étrangère, la Cour de cassation affirme que, s’il appartenait à la loi successorale française de définir les conditions requises pour succéder, il suffisait, pour que la fondation puisse recueillir le legs, qui était licite, que celle-ci bénéficie de la personnalité juridique au jour du décès selon la loi régissant son statut. Elle dissipe ainsi, sur le terrain des conflits de lois, les interrogations de la jurisprudence antérieure quant à la condition d’existence de la fondation au jour du décès (I) tout en confirmant le principe de la reconnaissance de plein droit en France des fondations étrangères (II).

I – L’existence au jour du décès de la personnalité juridique de la fondation post mortem étrangère, sous l’angle des conflits de lois

103. En l’espèce, il n’était pas discuté que la loi française s’appliquait à la succession mobilière à laquelle se rattachait le legs litigieux en vertu de la traditionnelle règle de conflit de lois française distinguant la succession mobilière, soumise à la loi du dernier domicile du défunt, et la succession sur les immeubles héréditaires soumise à la lex rei sitae. Le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (JOUE L 201, 27 juill. 2012, p. 107), qui donne désormais compétence à la loi de l’État de la dernière résidence habituelle du défunt pour régir l’ensemble de la succession, mobilière comme immobilière, ne s’appliquait pas puisqu’il est entré en application le 17 août 2015 pour les successions ouvertes à compter de cette date.

114. Or, la loi française, à l’article 906 du Code civil, subordonne la capacité de recevoir par testament à la condition d’être au moins conçu au jour du décès du testateur. La Cour de cassation a interprété la règle, prévue à l’origine pour les personnes physiques, comme devant être étendue aux personnes morales, prohibant en conséquence les legs aux personnes morales futures. La qualification de cette question, sur le terrain du droit international privé, a été discutée. Bartin y avait vu une condition attachée au statut des biens et relevant dès lors de la lex rei sitae dans la mesure où, selon lui, il s’agit d’éviter que les biens héréditaires restent vacants à l’ouverture d’une succession. Cependant, même si cette préoccupation tenant au régime des biens ne peut être ignorée justifiant son éventuelle intervention au titre de l’ordre public, elle ne doit pas commander la qualification. Car l’exigence posée à l’article 906 du Code civil constitue avant tout une condition générale requise de toute personne pour pouvoir se prétendre successible. À ce titre, elle ne doit relever ni de la loi réelle ni de la loi personnelle du bénéficiaire du legs, mais de la loi successorale (H. Battifol et P. Lagarde, Traité de droit international privé, t. 2, 7e éd., LGDJ, 1983, n° 651 ; B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, 7e éd., Économica, 2013, n° 980). Cette qualification est également celle adoptée par le règlement européen en matière de succession précité puisqu’il range, à l’article 23, § 2, c), la capacité de succéder parmi les questions entrant dans le domaine de la loi successorale. On n’a pas manqué d’observer qu’étaient notamment couvertes par cette disposition l’exigence d’être conçu au moment de l’ouverture de la succession et la question des legs aux personnes morales futures (en ce sens, U. Bergquist, D. Damascelli, R. Frimston, P. Lagarde, F. Odersky, B. Reinnhartz, Commentaire du règlement européen sur les successions, Dalloz, 2015, p. 120 ; M. Revillard, Portée de la loi applicable, in G. Khairallah et M. Revillard (dir.), Droit européen des successions internationales, Defrénois, 2013, n° 159). L’arrêt commenté est donc tout à fait classique en ce qu’il approuve la cour d’appel d’avoir énoncé que, la loi française étant applicable à la succession mobilière, les conditions requises pour succéder relevaient de cette loi. Suivant ces conditions, la fondation suisse ne pouvait recueillir le legs que si elle bénéficiait de la personnalité juridique au jour de l’ouverture de la succession.

125. Il convenait alors de déterminer la loi applicable à l’appréciation de l’existence de la personnalité juridique de la fondation au jour du décès pour vérifier que ladite condition était remplie. Il est admis que c’est, en principe, à la loi du siège de la fondation de régir son statut et de dire si elle est dotée de la personnalité juridique (H. Battifol et P. Lagarde, Traité de droit international privé, 8 éd., t. 1, LGDJ, 1993, n° 208-209 ; M. Revillard, J.-Cl. internat. fasc. 526-11, n° 7 ; Pau, 2 mars 1936, Rev. crit. DIP 1937. 153 ; T. civ. Seine, 6 avr. 1938, Rev. crit. DIP 1939. 108, note Batiffol ; Paris, 16 mai 1960, Fondation Potocki, JCP 1960. II. 11763, note Gavalda ; JDI 1961. 762, note Sialleli ; cependant, proposant de déterminer la loi compétente en tenant compte du lieu des activités et du lieu de situation des biens : P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, 11e éd., Montchrestien, 2014, n° 1132). Pourtant la question a été longtemps obscurcie dans le cas des fondations post mortem, du fait de l’effet rétroactif reconnu par certains droits étrangers, tels les droits allemand ou suisse, à la personnalité attribuée à une fondation constituée postérieurement au décès, tandis que le bénéfice d’une telle rétroactivité était écarté par la Cour de cassation pour les fondations françaises. L’existence rétroactive de la fondation reconnue par le droit étranger pouvait-elle être regardée comme équivalente à la condition d’être conçue posée à l’article 906 du Code civil ? Entre défaveur pour les biens de mainmorte et crainte des biens vacants, la jurisprudence s’y était refusée. Ainsi, dans un arrêt du 7 février 1912, la Cour de cassation avait déclaré que la règle de la non-rétroactivité était inspirée par des considérations d’ordre public et qu’une loi étrangère différente ne saurait prévaloir (Civ. 7 févr. 1912, Rev. crit. DIP 1913. 454, note Donnedieu de Vabres ; JDI 1912. 87 ; D. 1914. I. 433 ; S. 1914. I. 305, note Hugueney). Puis la Cour de Paris, dans l’arrêt Fondation Eckensberger (Paris, 26 juin 1981, Rev. crit. DIP 1982. 537, note B. Ancel, maintenu par Civ. 1re, 15 févr. 1983, Rev. crit. DIP 1983. 645, 2e esp., note B. Ancel, mais qui ne se prononce pas sur la question), après une analyse menée sur le terrain de la qualification, avait affirmé la compétence de la seule loi successorale pour vérifier la condition posée à l’article 906 du Code civil, escamotant ainsi la véritable difficulté qui était celle de l’articulation des lois successorale et personnelle (V. en ce sens, B. Ancel, notes préc.). Il lui avait alors suffi de constater que la fondation, non encore constituée au jour du décès, n’avait pas d’existence à cette date pour la priver de tout droit à recueillir le legs. Cela lui avait également permis d’éviter, même si de telles considérations n’étaient certainement pas étrangères à sa décision, de porter le débat sur le terrain de l’ordre public, ce qui aurait été délicat car, contrairement à la Cour de cassation, le Conseil d’État accordait le bénéfice de la rétroactivité aux fondations post mortem françaises.

136. L’horizon s’est éclairci avec la réforme du 4 juillet 1990 précitée qui, brisant la jurisprudence de la Cour de cassation, a expressément consacré la validité des legs au profit d’une fondation post mortem. On avait alors présagé que les difficultés d’application internationale de l’article 906 du Code civil allaient s’aplanir (M.-Ch. de Lambertye-Autrand, Rep. internat. Dalloz, Fondations, n° 10 s.). Pourtant, le pourvoi, en l’espèce, menaçait d’un nouvel orage. L’article 18-2 de la loi du 23 juillet 1987 telle que modifiée par la loi précitée du 4 juillet 1990 prévoit qu’« un legs peut être fait au profit d’une fondation qui n’existe pas au jour de l’ouverture de la succession, sous la condition qu’elle obtienne, après les formalités de constitution, la reconnaissance d’utilité publique », dont la demande doit être déposée « à peine de nullité du legs » dans l’année suivant l’ouverture de la succession. Le pourvoi reprochait donc à la cour d’appel d’avoir, en validant le legs litigieux nonobstant cette absence de reconnaissance, violé l’article 18-2 précité ensemble les articles 3 et 906 du Code civil. En d’autres termes, dès lors que les conditions requises pour succéder, parmi lesquelles l’interdiction des legs aux personnes morales futures de l’article 906 du Code civil, relevaient de la loi successorale française en vertu de l’article 3 du Code civil, les conditions permettant de déroger à cette interdiction édictées à l’article 18-2 précité s’imposaient également sur le fondement de la compétence de la loi successorale française. Mettant ses pas, mutatis mutandis, dans ceux de la Cour de Paris lors de l’affaire de la Fondation Eckensberger, le pourvoi faisait du couple « interdiction/dérogation » un tout nécessairement lié sur le terrain de la loi applicable. L’examen des motifs de la cour d’appel tels que rapportés par le pourvoi annexé à l’arrêt commenté montre que le débat avait été livré sous l’angle de l’équivalence pour rechercher si la fondation, qui avait reçu en Suisse l’onction d’une forme de reconnaissance d’utilité publique en considération du but « idéal » d’intérêt général poursuivi, ne pouvait pas être regardée comme dotée des mêmes attributs qu’une fondation reconnue d’utilité publique en France. La Cour de cassation balaye ce raisonnement car il repose sur une analyse inexacte de la signification de l’exigence de la reconnaissance d’utilité publique au regard de l’article 906 du Code civil et aboutit ainsi à une qualification erronée.

147. En ce sens Mme Revillard, s’interrogeant sur la conséquence de la règle au regard de la capacité de recevoir d’une fondation étrangère, observe que le texte étant rédigé en termes très généraux, il est « possible, effectivement, de considérer qu’il s’applique à toutes les fondations de droit français et de droit étranger ». Mais elle conteste aussitôt la pertinence d’une telle interprétation dans la mesure où, en droit français, la reconnaissance d’utilité publique permet à la fondation de se prévaloir de sa capacité juridique, ce dont n’a nul besoin la fondation étrangère si sa loi personnelle la lui confère (M. Revillard, Droit international privé et européen : pratique notariale, 8e éd., Defrénois, 2014, n° 1287). La reconnaissance d’utilité publique est en effet, pour une fondation française, une condition même de l’attribution de sa personnalité juridique et, par conséquent, de sa capacité à recevoir des legs. À cet égard, l’article 18-2 précité ne présente aucune singularité en ce qu’il affirme la nécessité pour les fondations testamentaires directes d’obtenir cette reconnaissance puisqu’il s’agit là seulement de les soumettre à une condition du droit commun des fondations françaises sans laquelle elles n’ont pas la capacité juridique. La reconnaissance d’utilité publique ne constitue donc pas une condition spéciale, ayant une signification autonome, propre aux fondations post mortem. Élément du statut des fondations françaises, qu’il s’agisse de fondations post mortem ou non, cette reconnaissance n’a donc aucunement vocation à s’appliquer aux fondations étrangères sur le fondement de la compétence de la loi successorale française. Telle est l’analyse que retient la Cour de cassation, qui restitue ici clairement les domaines respectifs des lois successorale et personnelle, cette dernière, la loi suisse régissant le statut de la fondation, étant donc consultée pour vérifier l’existence de la personnalité juridique au jour du décès ainsi que l’exige, au titre des conditions requises pour succéder, la loi successorale française. Or, l’inscription au registre du commerce suffisant, selon le droit suisse, à doter de la personnalité juridique la fondation avec effet rétroactif au jour du décès, la condition de l’article 906 du Code civil est donc bien vérifiée. On observe, de plus, qu’il s’était écoulé moins d’un an entre le décès et l’inscription au registre du commerce, l’exécuteur testamentaire ayant veillé à satisfaire le court délai imparti aux fondations françaises pour procéder aux formalités prévues à l’article 18-2. Ce délai traduit les préoccupations du législateur pour que la dévolution successorale ne soit pas trop longtemps suspendue et la vacance des biens trop longtemps prolongée. Son respect pourrait ainsi être requis, non sans adaptation pour tenir compte du formalisme propre à chaque droit, tant en application de la loi successorale qu’en application de la loi réelle au titre de l’ordre public.

II – La personnalité juridique de la fondation post mortem étrangère, sous l’angle de sa reconnaissance en France

158. Il convenait assurément de vérifier que la fondation bénéficiait de la personnalité juridique selon la loi de son statut car il n’était pas possible de la lui conférer si « sa » loi ne la lui attribuait pas. Mais cette vérification opérée n’excluait pas pour autant que, sur un autre terrain, celui de la condition des personnes morales étrangères en France, le droit français ne subordonne à l’exigence de la reconnaissance d’utilité publique la possibilité pour une fondation étrangère de recueillir le legs. En effet, dès lors que les fondations post mortem françaises ne se voient attribuer la personnalité juridique et donc la capacité de recueillir des libéralités que si elles ont été reconnues d’utilité publique, on pouvait envisager que cette même condition soit exigée pour la reconnaissance en France de la personnalité juridique de la fondation post mortem étrangère ou pour la jouissance du droit de recevoir des legs. Ainsi, la Convention de La Haye du 1er juin 1956 sur la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés, associations et fondations étrangères (convention ratifiée par la France mais non entrée en vigueur faute de ratifications suffisantes) prévoit, en son article 5, que l’État qui reconnaît la personnalité juridique étrangère peut lui refuser les droits qu’il n’accorde pas lui-même aux sociétés, associations ou fondations du « type correspondant ». La Cour de cassation écarte une telle interprétation de l’article 18-2 précité refusant d’y voir une règle, conçue pour les fondations françaises, qui contiendrait indirectement et contrairement au régime traditionnellement réservé en France aux fondations étrangères, une condition pour les seules fondations étrangères post mortem, de leur reconnaissance en France ou une restriction à leur capacité de recevoir.

169. Il est en principe admis que les fondations étrangères bénéficient de plein droit de la personnalité juridique en France. Elles peuvent accomplir des actes isolés en France sans qu’il soit nécessaire qu’elles obtiennent la reconnaissance d’utilité publique, condition qui n’est requise que si elles entendent exercer en France une activité permanente. Or il était difficile de se convaincre que la loi du 4 juillet 1990, portant désormais un regard plus favorable sur les fondations et dont l’objet était justement de consacrer la validité des fondations post mortem françaises, pouvait avoir eu pour effet, par ricochet, de subordonner la reconnaissance de la personnalité juridique des fondations post mortem étrangères à une condition qui n’avait jamais été envisagée jusqu’alors. Cette différence de régime entre les fondations étrangères post mortem et les fondations « classiques » aurait peiné à trouver son fondement alors que la loi nouvelle témoignait justement de l’évanouissement des réticences que les fondations post mortem avaient pu susciter. Surtout, une telle interprétation aurait eu en réalité pour résultat d’exclure les fondations post mortem constituées sous l’empire d’un droit étranger de la possibilité de recueillir un legs en France tant la procédure de reconnaissance d’utilité publique est étroitement liée, pour les fondations, à leur constitution (impliquant notamment d’utiliser les statuts types « proposés » par le Conseil d’État). Pillet avait déjà souligné qu’exiger d’une fondation étrangère qu’elle obtienne la reconnaissance d’utilité publique en France, c’était lui demander qu’elle « se transmue » en une fondation française (A. Pillet, Des personnes morales en droit international privé, Sirey, 1914, n° 300 ; dans cette mesure, on peut se demander, par analogie avec les associations, si l’exigence serait conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution, v. S. Godechot-Patris, note préc.). Les mêmes remarques peuvent être transposées si l’on envisage l’exigence non comme une condition de reconnaissance de la personnalité juridique de la fondation étrangère mais comme une « simple » restriction à sa capacité de recevoir le legs. Car refuser à une fondation post mortem de droit étranger de recevoir le legs pour lequel elle doit justement être créée, sauf à obtenir la reconnaissance d’utilité publique, revient, si les biens sont situés en France, à bloquer l’aboutissement de sa constitution, puisque la fondation n’est autre que l’affectation d’une masse de biens dans un but déterminé. Il est très probable qu’une telle interprétation n’aurait pas, s’agissant des fondations constituées dans un État membre, réussi l’examen de compatibilité avec les libertés garanties par le droit de l’Union européenne à l’heure où la Cour de justice de l’Union européenne tend à imposer, sur le fondement de la non-discrimination et de la liberté de circulation des capitaux, une égalité de traitement sur le plan fiscal des organismes sans but lucratif d’intérêt général ainsi qu’elle l’a déjà réalisé en matière d’exonération d’impôt (CJCE 14 sept. 2006, aff. C-386/04, Stauffer) et de déductibilité des dons faits à leur profit (CJCE 27 janv. 2009, aff. C-318/07, Persche).

1710. Dans son attendu très ciselé, la Cour de cassation avait pris soin de relever que le legs était licite. Sa délivrance avait en effet été autorisée par décision du ministre de l’Intérieur, l’article 3 du décret n° 66-388 du 13 juin 1966, modifié, relatif à la tutelle administrative des associations, fondations et congrégations, applicable à l’époque des faits, soumettant les libéralités au profit des États et établissements étrangers à une telle autorisation. L’administration n’avait donc pas non plus interprété l’article 18-2 comme rendant obligatoire pour les fondations post mortem étrangères leur reconnaissance d’utilité publique, le régime d’autorisation étant certainement considéré comme suffisant pour des fondations n’ayant pas d’activité permanente en France. Le vent souffle d’ailleurs dans le sens de l’assouplissement du contrôle de ces libéralités au profit des États et établissements étrangers puisque la loi n° 2011-525 a supprimé la nécessité d’une autorisation pour la remplacer, aux termes de l’article 910, alinéa 4, du Code civil, par une acceptation libre sauf opposition du ministre de l’Intérieur dans les conditions fixées par le décret n° 2012-377 du 19 mars 2012 (sur les modalités de mise en œuvre de ce contrôle : M. Revillard, Droit international privé et européen…, op. cit., n° 1276).

1811. On ne peut donc qu’approuver la Cour de cassation qui, par cet arrêt, confirme le principe de la reconnaissance de plein droit de la personnalité juridique dont les fondations étrangères sont dotées selon la loi régissant leur statut, sans limiter leur capacité de jouissance pour l’acte isolé de recevoir un legs, et qui en fait bénéficier les fondations post mortem. On remarquera juste que la Cour de cassation n’a pas précisé à quel titre la loi suisse était désignée comme étant celle régissant le statut de la fondation et, notamment, ne l’a pas désignée comme étant la loi de son siège social. Non sans prudence car la question débattue n’était pas celle-là, on peut alors être tenté d’interpréter cette absence de précision comme étant le signe de la méthode de la reconnaissance, la loi suisse étant désignée en tant qu’elle est la loi du lieu d’enregistrement de la fondation qui a présidé à sa création (à rapprocher de la tendance unilatéraliste observée pour les sociétés, v. L. d’Avout, Rev. crit. DIP 2015. 541, note sous Crim. 25 juin 2014 et Com. 21 oct. 2014). On a pu, à cet égard, en matière de sociétés, montrer l’équivalence entre la désignation de la loi d’origine sous la forme d’une règle de conflit et la méthode de la reconnaissance (J. Basedow, La reconnaissance des situations juridiques en droit des affaires (sociétés et sûretés), in P. Lagarde (dir.), La reconnaissance des situations en droit international privé, Pedone, 2013, p. 221 s.). L’arrêt serait très proche, en ce cas, de la solution retenue par la Convention de La Haye du 1er juin 1956 précitée qui, à l’article 1er, prévoit que « la personnalité juridique, acquise par une société, une association ou une fondation en vertu de la loi de l’État contractant où les formalités d’enregistrement ou de publicité ont été remplies et où se trouve le siège statutaire, sera reconnue de plein droit dans les autres États » (v. H. von Loon, La méthode de la reconnaissance et les conventions de droit international privé de La Haye, in La reconnaissance des situations en droit international privé, op. cit., p. 121 s. et spéc. p. 123). Quelle que soit l’interprétation de l’arrêt sur ce point, reste à être conscient que ce libéralisme envers les fondations étrangères post mortem met à l’épreuve l’attractivité du droit français, en concurrence avec les modèles législatifs étrangers, tel notamment le droit suisse, susceptibles d’être beaucoup moins contraignants.

Français

La succession mobilière du défunt étant soumise à la loi française et les conditions requises pour succéder relevant de cette loi, la fondation étrangère qui doit, pour pouvoir recueillir selon les dispositions successorales françaises le legs licitement fait à son profit, bénéficier de la personnalité morale au jour de l’ouverture de la succession selon la loi régissant son statut, sans être tenue d’obtenir la reconnaissance d’utilité publique en France, a la capacité juridique de recevoir le legs objet du litige dès lors qu’au regard du droit étranger elle a acquis la personnalité morale du seul fait de son inscription au registre du commerce étranger, avec effet rétroactif au jour de l’ouverture de la succession (1).

Mots clés

  • Fondation
  • Fondation testamentaire directe
  • Fondation enregistrée à l’étranger
  • Succession mobilière française
  • Article 906 du Code civil
  • Personnalité juridique
  • Loi de l’enregistrement
  • Capacité de recevoir
  • Reconnaissance d’utilité publique non exigée
Marie-Christine de Lambertye-Autrand
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.162.0352
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