CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Cour de cassation (Civ. 1re) – 12 juin 2014

2Succession – Loi française applicable – Conjoint survivant – Contrat de prévoyance professionnelle – Contrat de droit suisse – Contrat de capitalisation – Art. 843 c. civ. anc. – Libéralité rapportable (non).

3Le capital reçu par le conjoint survivant en exécution d’un contrat de prévoyance professionnelle de droit suisse souscrit par le défunt ne constitue pas une libéralité rapportable au sens de l’article 843 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi 23 juin 2006, applicable en la cause (1).

4Mme Y. c. succession Hubert X.

5La Cour : – Sur le moyen relevé d’office, après avertissement adressé aux parties dans les conditions de l’article 1015 du Code de procédure civile : Vu l’article 843 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 et applicable en la cause ; Attendu que Hubert X. est décédé le 20 octobre 2004 à Montpellier, en laissant pour lui succéder Mme Y., son épouse avec laquelle il s’était marié en secondes noces le 7 mai 1994 sous un régime de communauté, ainsi que Mme X. et M. X., ses deux enfants issus de son premier mariage avec Mme Z. ;

6Attendu que, pour condamner Mme Y. à rapporter à la succession la moitié d’un capital perçu par elle au titre d’un contrat de prévoyance professionnelle dit du 2e pilier souscrit par Hubert X. par l’intermédiaire de son employeur suisse auprès de la compagnie Swiss Life, l’arrêt, statuant sur les difficultés nées du règlement de la succession, après avoir relevé que la prévoyance professionnelle obligatoire constitue le 2e pilier du système suisse de prévoyance, résulte d’un contrat conclu entre le salarié par l’intermédiaire de l’employeur et une institution de prévoyance choisie par celui-ci et donne lieu au versement d’une rente de vieillesse et, en cas de décès, à celui d’une rente ou d’un capital au conjoint survivant, retient que le contrat souscrit par Hubert X. est un contrat de retraite complémentaire par capitalisation qui doit s’analyser en un contrat d’épargne par capitalisation dont les sommes sont rapportables à la succession du défunt de nationalité française, dès l’instant où la rente est transformée en un capital unique versé en France ; Qu’en statuant ainsi, alors que le capital perçu par Mme Y. ne constituait pas une libéralité rapportable à la succession, la cour d’appel a violé le texte susvisé, par refus d’application ;

7Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi : – Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a dit que le contrat de prévoyance professionnelle suisse dit du 2e pilier souscrit par Hubert X., de nationalité française, auprès de Swiss Life doit s’analyser en une épargne par capitalisation dès lors que la rente est convertie en un capital unique versé en France, condamné Mme Y. à rapporter la moitié de la somme perçue à ce titre à la succession de Hubert X., soit 143 652,63 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2005, dit que l’actif successoral comprendra notamment la somme de 143 652,63 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 février 2005 et débouté Mme Y. de sa demande de dommages-intérêts, l’arrêt rendu le 10 janvier 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nîmes ;

8Du 12 juin 2014 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 13-14.831 – Mme Bignon, f.f. prés. – SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boullez, av.

9(1) Quoique non publié au Bulletin, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 juin 2014 mérite de retenir l’attention à plus d’un titre et témoigne, à n’en pas douter, du malaise des juridictions françaises confrontées à des institutions qui leur sont pour partie étrangères. Ce malaise est en l’espèce d’autant plus perceptible que ce n’est pas seulement l’institution étrangère qui s’est trouvée ici malmenée, mais aussi le droit français des successions. Déstabilisées, les juridictions du fond donnent le sentiment d’avoir perdu leurs repères. Et si la Cour de cassation les remet sur le droit chemin, force est de constater qu’elle ne fait pas œuvre de pédagogie, comme l’atteste sa motivation lapidaire.

10Décédé domicilié en France, le de cujus, de nationalité française laissait comme héritier, en concours avec des enfants issus d’un premier lit, une épouse avec laquelle il s’était marié en 1994, sous un régime de communauté. Si le droit international privé s’est invité en l’espèce, c’est en raison du contrat de prévoyance professionnelle conclu par le défunt par l’intermédiaire de son employeur suisse auprès de la compagnie Swiss Life. Pour bien comprendre les ressorts d’un tel contrat, rappelons que le système de prévoyance professionnelle suisse repose sur trois piliers. Le premier garantit un minimum vital par répartition (assurance vieillesse de base – AVS). Le deuxième vise à permettre aux intéressés de conserver leur niveau de vie antérieur au moyen d’un dispositif obligatoire par capitalisation dès lors que les salaires excèdent un certain seuil (art. 1 Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 – LPP). Le troisième est un système de prévoyance individuelle facultative. Le second pilier, en cause en l’espèce, est sans aucun doute le plus complexe ne serait-ce que parce qu’il relève de deux dispositifs législatifs parallèles. Le premier assure le dénouement du contrat par le service d’une rente ou d’un capital dans l’un des cas de prévoyance (retraite, décès, invalidité). Le second, dit prestation de libre passage, permet une sortie anticipée sous forme de capital mais à certaines conditions. Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, le décès du souscripteur, constitutif aux termes de la l’article 19 de la LPP d’un cas de prévoyance, avait ouvert au bénéfice du conjoint le droit à un capital. Se posait donc la question du traitement de ce capital dans le cadre du règlement de la succession. La cour d’appel considère que le capital doit être rapporté à la succession pour moitié. Elle retient, en effet que « le contrat souscrit par Hubert X. est un contrat de retraite complémentaire par capitalisation, qui doit s’analyser en un contrat d’épargne par capitalisation dont les sommes sont rapportables à la succession du défunt de nationalité française, dès l’instant où la rente est transformée en un capital unique versé en France ».

11Si on laisse un instant de côté les éléments de droit international privé de cette décision, la position de la cour d’appel étonne à un double égard. Pourquoi d’une part n’avoir réintégré à la succession que la moitié de la somme versée ? Pourquoi d’autre part, avoir fait appel au mécanisme du rapport, alors même que le conjoint survivant n’en est ni le créancier ni le débiteur au sens strict des termes (Fr. Terré, Y. Lequette, S. Gaudemet, Les successions, Les libéralités, Dalloz, 2013, spéc. n° 1051 et 1056) ? À la première question, certains éléments de réponse peuvent être fournis, confortés par la lecture du moyen annexé à la décision. La cour d’appel a probablement considéré que le capital versé était un acquêt de communauté. Pour ce faire, elle a sans doute trouvé un point d’ancrage dans un arrêt du 3 janvier 2008, où la Cour de cassation avait déjà eu à connaître, mais cette fois dans le cadre de la liquidation d’un régime matrimonial, du régime de prévoyance professionnelle obligatoire suisse. Elle avait alors considéré que « les droits acquis au titre d’un régime de prévoyance professionnelle obligatoire attribués en considération de la situation personnelle de leur titulaire, constituent des biens propres par nature et seul le capital représentatif de la prestation de libre passage dont le versement est demandé avant la dissolution du régime constitue un substitut de rémunération et entre en communauté » (Civ. 1re, 3 mars 2010, AJ fam. 2010. 241, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2010. 806, obs. B. Vareille ; JCP 2010. 487, n° 19, obs. A. Tisserant ; adde, V. Barabé-Bouchard, Retraite et régime matrimonial de communauté, in Mélanges en l’honneur du Professeur G. Champenois, Défrénois, 2012, p. 1 s.). La solution avait à l’époque été approuvée par la doctrine. Est-ce à dire qu’elle devait être transposée en l’espèce ? À coup sûr, non, ne serait-ce que parce que le versement n’avait pas eu lieu en amont de la dissolution du régime, mais en aval. Le capital ne pouvait donc enrichir la communauté. À cette première erreur d’analyse s’en ajoutait en l’espèce une seconde. En effet, à supposer même que le capital ait été un acquêt et que le conjoint ait pu en récupérer une moitié au titre de ses droits matrimoniaux et une autre au titre de ses droits successoraux, il n’en demeure pas moins qu’on ne s’explique pas que la Cour en ait appelé ici au rapport : par la force des choses (et des qualifications !), l’attribution du capital ne pouvait ressortir que de la mise en œuvre des principes de dévolution légale.

12Autant dire qu’à s’en tenir au seul droit interne français la cour d’appel était partie sur de très mauvaises bases. À cela on ajoutera que certains éléments qui lui ont semblé décisifs étaient en vérité indifférents. Peu importe que le de cujus ait été de nationalité française et le capital versé en France : dans le cadre du règlement de sa succession, ce qui est déterminant c’est le lieu du dernier domicile du défunt et non sa nationalité ou le lieu de situation des biens meubles ! Et c’est parce que la loi successorale était la loi française, qu’il convenait de s’interroger sur le traitement successoral à réserver au contrat de prévoyance. La censure de la Cour de cassation semblait donc inévitable. Sa motivation n’en laisse pas moins songeur : elle casse la décision de la cour d’appel car « le capital perçu par Mme Y. ne constituait pas une libéralité rapportable à la succession ». Est-ce à dire qu’elle estime que c’est le mécanisme du rapport qui devait en l’espèce être exclu ou considère-t-elle, de manière plus radicale, que c’est la dimension libérale de l’acte qu’il convenait de remettre en cause ? À dire vrai, il n’est pas simple de trancher. En effet, la cassation pour violation de l’article 843 du Code civil irait plutôt dans le sens de la première analyse. Mais à la lecture du dispositif c’est la seconde analyse qui nous semble devoir prévaloir, puisqu’il y est écrit que la Cour « casse et annule en ce qu’il a dit que le contrat de prévoyance professionnelle (…) doit s’analyser en une épargne par capitalisation ». Somme toute, la Cour de cassation ne nous dit pas ce qu’est le contrat de prévoyance aux yeux du droit français mais ce qu’il n’est pas. L’arrêt invite donc à une lecture entre les lignes : il ne s’agit pas tant d’apprécier le bien-fondé de cette conclusion que d’identifier la méthode mise en œuvre par la Cour de cassation pour parvenir à une telle conclusion et tenter ainsi de dessiner le sort à réserver au contrat litigieux.

13Le point de départ de la réflexion doit être le suivant : ce à quoi s’est refusée la Cour, c’est à considérer comme équivalent à un contrat d’épargne par capitalisation le contrat de prévoyance. Dans cette perspective, deux points méritent de retenir l’attention : le premier vise à montrer en quoi un raisonnement en terme d’équivalence s’imposait ici (I) et le second à identifier les éléments qui, en l’espèce commandaient – ou du moins qui auraient dû commander – la mise en œuvre d’un tel jugement (II).

14I. – L’équivalence est au cœur du raisonnement conflictuel et peut en présence d’une institution étrangère être sollicitée à deux reprises (V. notre article, Retour sur la notion d’équivalence au service de la coordination des systèmes, Rev. crit. DIP 2010. 271 s. et les réf.) : d’abord, lors de l’identification de la règle de conflit applicable ; ensuite, lors de la mise en œuvre de la loi désignée toutes les fois que celle-ci ignore l’institution en cause. Cette opération qui commande la qualification de l’institution est certes délicate mais pas impossible. Et force est de reconnaître que le degré de spécialisation de la règle sera dans cette entreprise un élément clé. En présence d’une règle générale, l’équivalence sera rarement prise en défaut. À l’inverse, en présence d’une règle présentant un fort degré de spécialisation il risque d’en aller autrement. Or si les règles de conflit reposent sur des concepts le plus souvent imprécis, il en va en revanche différemment des règles internes. C’est dire qu’en présence d’une institution étrangère au for, ce n’est pas tant lors de l’identification de la règle de conflit que lors de la mise en œuvre de la loi interne que les difficultés vont se présenter. L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2014 l’illustre d’ailleurs : c’est au stade de la mise en œuvre de la loi interne que la Cour a dû se livrer à un jugement d’équivalence, encore que quelques précisions s’imposent ici. Ce qui a rendu nécessaire ce jugement d’équivalence c’est le dépeçage des relations conflictuelles. La validité du contrat de prévoyance n’était en l’espèce pas discutée. Elle relevait à coup sûr de la loi suisse. En revanche, un tel contrat de capitalisation en ce qu’il emportait versement au décès du souscripteur d’une rente ou d’un capital au profit de son conjoint pouvait ne pas laisser la loi successorale indifférente. Il y avait bien là une source d’enrichissement pour le conjoint dépourvue de toute contrepartie. Une conclusion similaire pourrait être formulée en matière de régimes matrimoniaux et l’arrêt précité du 3 juillet 2008 en est d’ailleurs l’illustration : à supposer que le contrat soit dénoué du vivant des époux, les prestations servies au titre d’un tel contrat peuvent-elles ou non recevoir la qualification d’acquêts ? On retrouve donc ici une distinction déjà mise en œuvre ailleurs (V. en matière de trust, not., Civ. 1re, 20 févr. 1996, Zieseniss, D. 1996. 231, chron. Y. Lequette ; Rev. crit. DIP 1996. 692, note G. Droz ; JCP 1996. II. 22647, note M. Béhar-Touchais) et que le règlement du 4 juillet 2012 en matière de successions internationales a consacré à l’article 1, dans le cadre de la délimitation de son champ d’application : la validité et l’efficacité des institutions qui tout en entretenant des liens avec la matière successorale s’en détachent sont appelés à relever de deux règles de conflit distinctes (art. 1 § 2 pt g du Règlement-Successions : « Son exclus du champ d’application du règlement (…) les droits et biens créés ou transférés autrement que par successions, par exemple au moyen de libéralités, de la propriété conjointe avec réversibilité au profit du survivant, de plans de retraite, de contrats d’assurance et d’arrangements analogues, sans préjudice de l’article 23, § 2, point i) »). À supposer que la même loi s’applique aux deux dimensions, aucune difficulté n’est à déplorer. Il en va en revanche différemment en cas de pluralité de compétences législatives, toutes les fois que l’instrument para-successoral est étranger au système applicable à la succession. Le trust a par le passé alimenté le contentieux. Les contrats de prévoyance suisse sont aujourd’hui sur la sellette, à ceci près qu’on pourrait ici discuter de leur caractère exorbitant. Est-on réellement en présence d’une institution non réglementée par le for ? Au fond, en quoi de tels contrats se distinguent-ils des mécanismes consacrés dans le cadre du système de retraite de droit français ?

15Répondre à cette question suppose de mettre en perspective les contrats de prévoyance suisse et les contrats de retraite français. L’opération est pour le moins périlleuse et il est inutile ici d’insister sur la complexité du régime français. On a souligné les traits caractéristiques du système de prévoyance professionnelle de droit suisse : il est obligatoire à partir de 21.150 CHF de salaire et financé selon un régime de capitalisation, les cotisations étant versées à part égale par le salarié et par l’employeur. Les fonds versés sont, dans le secteur privé, détenus par des institutions de prévoyance auxquelles l’entreprise a adhéré, institutions qui prennent la forme d’une fondation (V. sur l’ensemble de la question, M. Pittet, Les caisses de pension publiques suisses, Slatkine, 2005). Il s’agit le plus souvent d’entités qui dépendent de banques ou de sociétés d’assurance. L’objectif est de garantir au souscripteur en cas de survenance du risque, un niveau de vie équivalent à celui qu’il avait auparavant et que ne permet pas de lui garantir le régime de base. Trois risques sont ainsi garantis : la vieillesse, le décès et l’invalidité. En droit français, le système des retraites repose, pour faire bref, également sur trois piliers : le premier, dit régime de base, le second constitué par les régimes professionnels obligatoires, dit régime complémentaire, et le troisième qui correspond à l’épargne volontaire, dit régime supplémentaire (V. sur les régimes complémentaires et supplémentaires : Dossier retraites : régimes obligatoires et épargnes facultatives, où en est-on ?, in Actes pratiques et stratégie patrimoniale, éditeur???, 2011, n° 2). La tentation serait ici grande de rapprocher le second pilier du régime de prévoyance suisse du second pilier des systèmes de retraite de droit français, à ceci près qu’au système de capitalisation a été préféré un système de répartition. De surcroît, la veuve a touché un capital là où en France elle ne disposerait que d’une rente. Structurellement, il est donc difficile de nier la différence entre les deux régimes. Le caractère exorbitant de l’institution doit néanmoins être relativisé : le système de capitalisation préféré en Suisse n’est pas totalement étranger au droit français où l’épargne facultative se réalise au travers d’instruments de capitalisation. De même, cette épargne facultative dès lors qu’elle emprunte le vecteur de l’assurance-vie peut donne lieu à un versement sous forme de capital. Au fond, le système de prévoyance professionnelle suisse nous confronte à un instrument hybride : il emprunte au régime complémentaire français de retraite à un triple égard : d’abord tout comme lui, il est obligatoire, ensuite les cotisations sont dans les deux régimes en partie à la charge de l’employeur et en partie à la charge du salarié (art. 113, Constitution fédérale), enfin les droits à pension de réversion au profit du conjoint sont obligatoires (CSS, art. L. 912-4 pour la France et LPP art. 18 et 19 pour la Suisse). En revanche son mode de financement par capitalisation de même que son mode de versement le rapprochent des régimes supplémentaires français.

16Ceci étant, les deux systèmes sont des réponses apportées par l’État français et l’État suisse aux limites du régime de base et visent à garantir un meilleur taux de couverture en cas de vieillesse, invalidité, ou décès. Il faut néanmoins souligner que le droit français repose sur une distinction étrangère au droit suisse : en France, les compléments retraites ne couvrent que le risque-vieillesse tandis que les contrats de prévoyance indemnisent les risques liés à la personne humaine et notamment l’invalidité et le décès (V. sur cette question, J.-P. Chauchard, J.-Y. Kerbourc’h et Ch. Willmann, Droit de la sécurité sociales, 6e éd., LGDJ, 2013, spéc. n° 744). En Suisse le système de prévoyance porte sur l’ensemble de ces risques. Se trouve ainsi vérifiée l’observation de Batiffol qui soulignait que les institutions étrangères ne sont en définitive que des réponses différentes à des problèmes que nous résolvons autrement (H. Batiffol, Aspects philosophiques de droit international privé, Dalloz, 1956, réed. 2002., spéc. n° 19). Du reste, c’est à n’en pas douter le caractère hybride l’institution qui a rendu délicat, en l’espèce, son traitement successoral.

17II. – Le choix de la cour d’appel de juger équivalent à une épargne par capitalisation le contrat de prévoyance professionnelle tient, à s’en tenir à la décision, au seul fait que la rente a été convertie en un capital unique. Aussi bien, ce sont les modalités de versement au profit du bénéficiaire qui ont ici été décisives du jugement. Le raisonnement qui sous-tend une telle prise de position peut assez aisément être reconstitué : la retraite est un substitut de salaire ; elle ne peut l’être que si elle donne lieu à des versements réguliers. À partir du moment, où la somme versée ne l’est plus sous forme de rente, peut-on réellement considérer qu’il s’agit encore d’un substitut de salaire ? La cour d’appel ne l’a pas pensé, ce qui l’a conduit à voir dans le contrat une pure opération de capitalisation, qui à ce titre doit figurer dans la succession soumise à la loi française. La Cour de cassation la censure sans pour autant nous éclairer sur la solution en l’espèce à privilégier. Avant de proposer une solution alternative à celle retenue par la cour d’appel, il faut s’assurer au préalable que cette censure est fondée.

18Dans cette perspective, la question est celle de savoir si les modalités de versement doivent commander la qualification. À notre sens, si elles peuvent éclairer sur la nature de l’institution, elles ne sauraient toutefois à elles seules en dicter la qualification. On pourrait à ce propos faire un parallèle avec une autre institution : le versement sous forme de capital ou de rente est-il déterminant de la qualification de prestation compensatoire ? Cela n’est pas certain. La préférence donnée aujourd’hui au versement sous forme de capital ne s’explique-t-elle pas principalement par la volonté de limiter le contentieux après-divorce ? Du reste, le versement sous forme de capital – ou inversement sous forme de rente – n’est que le résultat d’une conversion, d’une opération mathématique et ne saurait primer dans l’opération de qualification. On ajoutera d’ailleurs qu’aux termes de la LPP le versement sous forme de rente demeure le principe mais qu’elle organise la faculté pour l’institution de prévoyance de prévoir dans son règlement un paiement sous forme de capital (art. 37). C’est dire que ce n’est pas tant la conclusion à laquelle est parvenue la cour d’appel qui mérite ici d’être désavouée que la voie qu’elle a empruntée pour y parvenir. Ceci étant, reste à identifier les éléments qui doivent guider le juge dans l’élaboration de son jugement d’équivalence et pour ce faire c’est à la question suivante qu’il faut répondre : sur quels éléments doit porter le jugement de comparaison ?

19À cet égard, il faut bien s’entendre sur la place à réserver à la loi suisse dans cette opération et notamment au traitement successoral que la loi suisse elle-même applique au contrat de prévoyance professionnelle. Bien évidemment, le juge français ne saurait être lié par les solutions consacrées en droit suisse. N’oublions pas en effet que la loi suisse s’applique seulement à la validité de l’institution. Certains objecteront que ce faisant on méconnait la logique et la cohérence de la loi suisse. Mais n’est-ce pas là tout simplement le prix du dépeçage conflictuel du rapport litigieux (V. sur cette question, nos plus amples développements in article préc. spéc. n°22). Il n’en demeure pas moins que sans dicter la solution, le droit suisse peut néanmoins éclairer sur le traitement à réserver, sur le terrain successoral, au capital perçu à la suite de la réalisation du risque. Et si les textes ne sont sur ce point d’aucun secours, la jurisprudence et la doctrine laissent toutefois entendre que le capital épargne ne tombe pas dans la masse successorale (J. Guinand, M. Stettler, Droit civil II. Successions, 4e éd., éd. Univ. Fribourg Suisse, 1999, note n° 390 p. 331).

20En vérité, pour déterminer s’il convient ou non d’intégrer à la succession le capital versé à l’épouse, deux voies peuvent être empruntées, le recours à la seconde ne s’imposant que si la première se solde par un échec. Dans un premier temps, il faut à l’aune des caractères du régime de prévoyance professionnelle suisse déterminer l’institution française équivalente en vue de lui appliquer le traitement successoral correspondant. La substitution ne pourra toutefois être admise que si la dialectique entre le présupposé et l’effet de la règle n’est pas prise en défaut. Autrement dit, la substitution ne doit pas conduire à un résultat qui n’aurait pu être atteint à supposer que la loi française se soit appliquée tant à la validité qu’à l’efficacité de l’institution (notre article préc. spéc. n° 19 s.). À défaut d’équivalence, c’est, dans un second temps, sur le dispositif successoral français qu’il faudra faire porter ses efforts de manière à déterminer ce qui commande en droit français l’inclusion d’une valeur dans la masse successorale et conclure à l’aune des caractères de l’institution suisse à son inclusion ou non dans la dite masse. La feuille de route est la suivante : substitution d’abord, adjonction ensuite.

21À dire vrai, la tâche de l’interprète est plus simple qu’il n’y paraît. En effet, ce serait une perte de temps que de déterminer le système de retraite français dont le régime suisse est l’équivalent, du moins dans une perspective successorale. En effet, en droit français, les sommes versées au conjoint, au titre d’une pension de réversion, tant dans le régime de base que dans les régimes complémentaire et supplémentaire, sont hors succession. Le fondement d’une telle solution est le suivant : ces droits ne sont pas de nature successorale car la mort les crée, elle ne les transfère pas. (V. M. Grimaldi, Droit civil. Les successions, Litec, 2000, n° 68, citant Soc. 7 mars 1984, Bull. civ. V, n° 91). Partant, puisque le contrat de prévoyance professionnelle suisse emprunte aux différents régimes français, on serait donc enclin à conclure que le capital perçu par l’épouse figure hors de la masse successorale. L’économie de ce contrat de prévoyance et son mode de financement par capitalisation pourraient, toutefois, être perçus comme un frein à une telle conclusion. L’absence d’aléa pourrait notamment être dénoncée. Autrement dit, se dessine ici un risque que la corrélation entre présupposé et effet de la règle soit prise en défaut. Il faut partant s’assurer avant d’admettre le jeu de la substitution qu’un tel résultat ne heurte pas la cohérence de l’ordre juridique français. Il n’en est rien car en droit français l’épargne retraite supplémentaire alimente des pures opérations de capitalisation et la jurisprudence, au risque de dénaturer l’institution, n’a pas moins vu dans ces pseudo opérations de prévoyance des contrats d’assurance-vie et leur applique le dispositif dérogatoire des articles L. 132-12 et suivant du Code des assurances, à tout le moins si la faculté de rachat n’est pas purement illusoire, auquel cas on s’exposerait à une requalification en donation indirecte. Au fond, si dénaturation du droit français il y a, elle n’est pas la conséquence du jugement d’équivalence que seraient conduit à poser en l’espèce les juges mais simplement le résultat d’une assimilation contestable réalisée en amont par la jurisprudence entre les opérations de capitalisation et celles d’assurance-vie. Il est vrai qu’une condition n’en demeure pas moins posée par la jurisprudence pour que le régime de l’assurance-vie s’applique : il faut que ses effets dépendent de la durée de la vie humaine (Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, D. 2005. 1905, note B. Beignier ; JCP 2005. I. 187, n° 13, obs. R. Le Guidec ; RDC 2005. 297, obs. A. Bénabent ; RTD civ. 2005. 435, obs. M. Grimaldi). Il ne fait pas de doute qu’il en allait ainsi en l’espèce. Un dernier doute mérite d’être dissipé : que l’institution de prévoyance prenne la forme d’une fondation n’empêche pas que le contrat souscrit soit un contrat d’assurance. Quant au fait qu’on soit en présence d’une assurance de groupe cela aussi ne saurait être rédhibitoire… Les assurances de groupe sous-tendent en droit français le régime des retraites complémentaires supplémentaires et bénéficient du même traitement que les assurances individuelles aux termes de l’article L. 441-2 du Code des assurances.

22Concrètement, le capital perçu doit aux termes de l’article L. 132-16 du Code des assurances être qualifié de bien propre par nature, n’ouvrant pas droit à récompense au profit de la communauté et devant être maintenu hors de la succession du souscripteur (M. Grimadi, Réflexions sur l’assurance-vie et le droit patrimonial de la famille, Defrénois 1994, art. 35841 ; du même auteur, L’assurance-vie et le droit des successions, Defrénois 2001, art. 37276). N’oublions pas toutefois le revers de la médaille… ces règles ne trouveront à s’appliquer que sous réserve que les primes ne soient pas manifestement excessives.

23Ainsi la complexité de la tâche du juge mérite ici d’être relativisée. Au fond, l’institution étrangère peut en l’espèce se laisser apprivoiser sans s’exposer à un risque de dénaturation. La complexité du régime des retraites et de prévoyance français n’y est sans doute pas étrangère… Voilà peutêtre là l’unique occasion de s’en réjouir !

24Sara Godechot-Patris

25Cour de cassation (Civ. 1re) – 25 juin 2014

26Mariage – Conditions de validité du remariage – Conditions de fond – Article 3 du Code civil – Conditions de forme – Article 171-1 du Code civil – Empêchement de bigamie – Preuve de la bigamie – Charge de la preuve – Article 1315 du Code civil.

27Divorce – Divorce prononcé à l’étranger – Opposabilité – Publicité du divorce – Obligation de transcription du jugement étranger de divorce sur les registres de l’état civil – Qualification.

28Loi étrangère – Interprétation de la loi étrangère (loi mexicaine) – Interprétation souveraine par les juges du fond.

29Le jugement de divorce prononcé au Venezuela étant devenu définitif à la date du second mariage célébré au Mexique, la cour d’appel, interprétant souverainement le droit mexicain, a estimé, sans inverser la charge de la preuve, que les conditions de forme exigées par la loi mexicaine étaient satisfaites et que l’absence de transcription du jugement de divorce à l’état civil mexicain n’était pas de nature à priver de validité le mariage contracté, sur le fondement de la prohibition de la bigamie par les lois personnelles des époux.

30(Monsieur X. c. Madame Y.)

31La Cour : – Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches, ci-après annexé : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Amiens, 24 janv. 2013), que M. X., de nationalité française, a contracté mariage à Mexico, le 9 juillet 1999, avec Mme Y., de nationalité mexicaine ; que leur divorce a été prononcé par décision d’une juridiction française du 22 avril 2008 et le mari condamné à payer à l’épouse une prestation compensatoire ; que M. X. a assigné Mme Y. en annulation de leur mariage pour bigamie, aux motifs, selon lui, qu’il avait été contracté alors qu’elle était encore dans les liens d’un premier ;

32Attendu que M. X. fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande ;

33Attendu qu’ayant constaté que la bigamie était prohibée par les lois personnelles des deux époux et relevé que le divorce de Mme Y. et de son premier mari, prononcé par un juge vénézuélien le 2 juin 1999, était définitif avant le mariage célébré le 9 juillet 1999, c’est par une interprétation souveraine de la loi mexicaine que la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, estimé, sans avoir à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que les conditions de forme exigées par la loi mexicaine étaient satisfaites et que l’absence de transcription du jugement de divorce à l’état civil mexicain n’était pas de nature à priver de validité le mariage qu’elle avait contracté avec M. X., et en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que celui-ci n’établissait pas que Mme Y. était, lors de son second mariage, encore dans les liens d’un précédent ; d’où il suit que le moyen, qui en sa dernière branche n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi, ne peut être accueilli ;

34Par ces motifs : – Rejette le pourvoi ;

35Du 25 juin 2014 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 13-19.520 – M. Charruault, prés. – SCP Le Griel, SCP de Chaisemartin et Courjon, av.

361. L’affaire était relativement simple : Madame était bigame ; c’est du moins ce que prétendait son ex-mari. Le 15 octobre 1988, à Mexico, Mme Y., de nationalité mexicaine, se marie avec M. Z., de nationalité américaine. Quelques années plus tard, le 24 mai 1995, le tribunal de première instance des affaires familiales de Caracas (Venezuela) prononce la séparation de corps et de biens des époux Y.-Z. ; puis, le 2 juin 1999, ce même tribunal convertit la séparation de corps en divorce. Cinq semaines plus tard, Mme Y. épouse alors, le 9 juillet 1999, encore à Mexico, M. X., de nationalité française. Ce mariage, entre les époux Y.-X., cette fois, est lui aussi dissous, en France, par divorce prononcé par une juridiction française le 22 avril 2008. Le jugement de divorce condamne le mari français à verser à son ex-épouse une prestation compensatoire. Il conteste cette décision – uniquement sur le terrain du montant de la prestation et de ses modalités de versement – mais en vain (Amiens, 4 nov. 2009). Débouté, mais probablement pas abattu, le 16 avril 2010, il assigne son ex-épouse en vue de l’annulation du mariage sur la dissolution duquel reposait la prestation compensatoire. À l’appui de sa demande, M. X. faisait principalement état de la non-transcription du jugement de divorce vénézuélien sur les registres d’état civil mexicains, non-transcription entraînant l’inopposabilité de ce divorce aux autorités mexicaines et constituant, concomitamment, pour Mme Y., un empêchement à mariage, pour fait de bigamie.

37Aucun des juges saisis de l’affaire n’a suivi M. X. Par décision du 25 novembre 2011, le tribunal de grande instance d’Amiens le déboute ; par décision du 24 janvier 2013, la cour d’appel d’Amiens le déboute (arrêt n° 54, RG 11/05125) ; par sa décision du 25 juin 2014, objet du présent commentaire, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi qui avait été formé contre la décision des juges du fond. Pour les juges, en effet, le jugement de divorce vénézuélien du 2 juin était devenu définitif à la date du second mariage célébré au Mexique le 9 juillet, et l’absence, à cette date, de transcription de celui-ci à l’état civil mexicain n’entraînait pas, selon la loi mexicaine applicable, la nullité du second mariage pour bigamie, laquelle bigamie est pourtant interdite, il est vrai, tant par la loi française que par la loi mexicaine, lois personnelles respectives des deux époux selon les articles 3 et 171-1 du Code civil [sic]. Il en a ensuite été déduit que M. X. n’apportait pas la preuve que, au moment du second mariage, Mme Y. était encore dans les liens d’une précédente union.

382. L’arrêt de la Cour, bien que de rejet, recèle quelques richesses. Il offre, déjà, l’occasion de rappeler quelques règles de droit international privé applicables en matière de mariage, à l’heure où celles-ci subissent de multiples transformations avec, en avant-dernier lieu, celles apportées par la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (on ne pourra pas, ici, citer tous les commentaires et articles que ce texte a suscités, avant, ou après sa promulgation, mais on lira quand même les récents développements de : P. Hammje, « Mariage pour tous » et droit international privé, Rev. crit. DIP 2014. 773 ; D. Bureau, Le mariage international pour tous à l’aune de la diversité, in Les relations privées internationales, Mélanges en l’honneur du professeur Bernard Audit, LGDJ, Lextensoéditions, 2014, p. 155 ; G. Khairallah, Le statut personnel à la recherche de son rattachement. Propos autour de la loi du 17 mai 2013 sur le mariage de couples de même sexe, ibid., p. 485). Une dernière retouche a même été apportée tout récemment par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, greffant l’alinéa 1er du nouvel article 201-1, du Code civil, désormais applicable aux conditions de fond du mariage (au lieu de l’art. 3, al. 3), d’une règle matérielle (« Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l’article 146 et du premier alinéa de l’article 180 »).

39L’arrêt du 25 juin 2014 illustre, encore, l’une des causes les plus fréquentes de nullité du mariage : la nullité pour cause de bigamie ou de polygamie, mais sous un angle plutôt inhabituel pour les spécialistes de conflits de lois (B. Bourdelois, Mariage polygamique et droit positif français, GLN Joly, 1993). L’espèce ne révélait en effet aucun « conflit de civilisations », tiré de points de vue « culturels » différents qui eussent pu heurter la conception française de l’ordre public international, et aucune atteinte aux droits et libertés fondamentaux de l’un des époux n’était en jeu (V., par ex., L. d’Avout, Des marges d’appréciation des États en matière de validité et de dissolution des unions matrimoniales, note sous CEDH, 4e sect., 6 juill. 2010, Green et Farhat c/ Malte, Rev. crit. DIP 2011. 665). Pas question non plus a priori de s’interroger sur les effets que peut produire en France un mariage polygamique valablement célébré à l’étranger (dans notre affaire, aucun des droits en conflit n’admet la polygamie), que ce soit au titre de l’acquisition de la nationalité française, de l’obtention d’un titre de séjour, ou encore d’un droit réservé au conjoint survivant (droit de succession, droit à une pension de réversion…). Il ne s’agissait pas non plus de « mariages en série » ou de « mariages compulsifs » et il n’était pas davantage question de poursuivre les époux, sur le terrain pénal, pour délit de bigamie. Non, rien de tout cela, mais un état de bigamie qui résulterait (ce qu’il faudra néanmoins vérifier en l’espèce) d’un simple concours de circonstances : l’absence de publication, au moment du remariage, d’un jugement prononçant la dissolution par divorce d’un premier mariage.

40La question au cœur de l’affaire est alors celle de la validité du remariage de Mme Y. (I), laquelle dépendait du caractère définitif du divorce d’avec son premier mari, et non de l’absence de transcription de la mention du divorce sur les registres et actes d’état civil la concernant (II). Le tout reposait sur l’interprétation que l’on pouvait faire du droit étranger applicable.

41I – 3. À quelles conditions est soumise la validité du remariage d’une personne divorcée ? Celles-ci sont a priori les mêmes que pour un premier mariage. Dans un contexte international, les conditions de validité d’un mariage s’apprécient traditionnellement par application de la loi personnelle des époux, pour les conditions de fond, et au regard de la loi du lieu de célébration du mariage, pour les conditions de forme, comme le rappellent d’ailleurs les juges du fond dans notre affaire : l’article 3, alinéa 3, du Code civil, pour les conditions de fond et, pour les conditions de forme, l’article 171-1. Notons toutefois que ce dernier texte a été introduit dans notre Code civil, dans un nouveau chapitre II bis « Du mariage des Français à l’étranger », par la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages, entrée en vigueur le 1er mars 2007, et dont l’article 10 précise bien que « Les dispositions de la présente loi […] ne sont pas applicables aux mariages célébrés avant leur entrée en vigueur ». La même loi avait abrogé l’article 170, lui-même plusieurs fois modifié (par la loi n° 2003-1119 du 26 nov. 2003 et par la loi n° 2006-399 du 4 avr. 2006), et dont l’alinéa 1er (« Le mariage contracté en pays étranger entre français et entre français et étranger sera valable, s’il a été célébré dans les formes usitées dans le pays, pourvu qu’il ait été précédé de la publication prescrite par l’article 63, au titre des actes de l’état civil, et que le Français n’ait point contrevenu aux dispositions contenues au chapitre précédent »), reconnaissons-le, était pratiquement identique, sur le terrain des conditions de forme, au premier alinéa de l’actuel article 171-1, le renvoi à l’article 63 étant désormais effectué par l’article 171-2 du Code civil. Concrètement, cela revient toujours à désigner la loi du lieu de célébration pour régir les conditions de forme du mariage et ce, même depuis que le nouvel article 202-2 du Code civil a détrôné (en les rendant inutiles) ses prédécesseurs en proclamant que : « Le mariage est valablement célébré s’il l’a été conformément aux formalités prévues par la loi de l’État sur le territoire duquel la célébration a eu lieu ».

42La loi mexicaine était alors seule à régir les conditions de célébration du mariage (celles-ci ayant été qualifiées de conditions de forme par le célèbre arrêt Caraslanis : Civ. 22 juin 1955, Grands arrêts n° 27 ; Rev. crit. DIP 1955. 723, note H. Batiffol ; D. 1956. 73, note Chavrier ; JDI 1955. 682, note Sialelli ; JCP 1956. II. 9328, note Guiho ; Journal des juristes hellènes 1956. 217, note Francescakis), mais s’appliquait aussi à Mme Y., en tant que loi personnelle de celle-ci, le droit français régissant quant à lui les conditions de fond à respecter du côté de M. X. Les lois personnelles de chacun sont appliquées de manière distributive, chacun devant, sauf en cas d’empêchement « bilatéral », respecter les conditions posées par sa loi.

43À côté de ces conditions communes à tout mariage, il peut exister des conditions propres au remariage qui peuvent être considérées comme des conditions d’aptitude de l’ex-époux à se remarier, c’est-à-dire comme des conditions de fond. Certains empêchements à mariage ne s’envisagent en effet qu’en cas de remariage (A. N. Makarov, Le remariage du conjoint divorcé en droit international privé. Étude comparative, Rev. crit. DIP 1967. 643 ; A. E. von Overbeck, Die Wiederverheiratung des nach schweizerischen Rechte geschiedenen Angehörigen eines Staates der keine Ehescheidung anerkennt, Zeitschrift für Zivilstandeswesen, 1967. 346-358 ; Le remariage du conjoint divorcé selon le projet de convention de La Haye sur la reconnaissance des divorces et selon les droits allemand et suisse, Rev. crit. DIP 1970. 45). On peut citer ici l’interdiction pure et simple de se remarier du fait du caractère indissoluble du mariage religieux, ou même l’interdiction d’épouser une personne divorcée ; la condition de viduité ; ou encore, c’est ce qui nous intéresse ici, l’empêchement lié à l’existence d’un précédent mariage non dissous, autrement dit l’empêchement de bigamie.

44L’empêchement de bigamie, qui traduit une certaine conception du mariage et qui limite la capacité matrimoniale d’une personne, se traduit traditionnellement comme posant une condition de fond au mariage, soumise à la loi nationale du futur époux. Cette condition est posée de manière négative dans notre Code civil, à l’article 147 : « On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier ». L’existence d’un mariage non dissous empêche la conclusion d’une nouvelle union. Ce texte pose un empêchement à mariage qui s’applique à tout Français, quel que soit le lieu de célébration du mariage qu’il conclut, mais empêche également la cébération d’un mariage polygamique sur le territoire français, même entre personnes dont la loi personnelle autorise la polygamie. L’empêchement à mariage du fait de bigamie est même considéré comme « bilatéral », en ce sens qu’il empêche une personne dont la loi prohibe la polygamie d’en épouser une autre dont la loi l’autoriserait. Ladite loi se trouve alors évincée pour contrariété à l’ordre public international ou bien, si le mariage est célébré en France, par l’application « immédiate » de l’article 147 du Code civil français (B. Ancel, Nullité pour bigamie d’un mariage contracté entre les mêmes époux déjà mariés par mariage coutumier, note sous Civ. 1re, 3 févr. 2004, M. K. c. Mme T. épouse K, Rev. crit. DIP 2004. 395 ; D. 2004. 3171, note J. Mahinga et 2963, obs. L.-J. Lemouland ; RTD. civ. 2004. 267, obs. J. Hauser ; AJ fam. 2004. 144, obs. F. Bicheron). Le droit mexicain, quant à lui, comme le droit français, interdit aussi la bigamie : l’article 156 du Code civil mexicain, auquel renvoie l’article 235 du Code fédéral mexicain (énonçant les causes de nullité du mariage), prévoit que « les empêchements à la célébration du mariage sont (…) le mariage subsistant avec une personne différente de celle avec qui il est prétendu être contracté ».

454. C’est alors sur ce terrain de l’interdiction de bigamie que M. X. entendait faire annuler son mariage (invoquant même – assez curieusement – la contrariété à l’ordre public international). À titre liminaire, on pourrait toutefois s’interroger sur l’intérêt à agir de M. X. en nullité de son mariage, même si l’on devine déjà (ce n’est pas très difficile) ses motivations. Il est tout d’abord fréquent que, dans une procédure de divorce, à titre reconventionnel, la nullité de l’union soit soulevée, dans le but, le plus souvent, d’échapper aux conséquences pécuniaires d’un divorce. Mais, en l’occurrence, la rupture du mariage par divorce était définitivement acquise et c’est uniquement parce qu’il n’a pas obtenu gain de cause sur son recours concernant les effets de ce divorce que M. X. changea de tactique pour se placer sur le terrain de la nullité de son union. Le divorce, certes, n’empêche pas un ex-époux de demander la nullité du mariage dissous pour bigamie. Mais encore faut-il justifier d’un intérêt à agir (Civ. 1re, 12 avr. 2012, n° 11-11. 116, D. 2012. 1125 ; AJ fam. 2012. 412, obs. J. Antippas ; RTD civ. 2012. 511, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2012. comm. 115, note V. Larribau-Terneyre). Nul doute alors ici que ce sont les intérêts pécuniaires de M. X. qui étaient en cause : outre l’obtention de dommages-intérêts en réparation d’un soi-disant préjudice moral, il espérait voir l’obligation de verser une prestation compensatoire remise en cause. Un mariage nul étant censé n’avoir jamais existé ne peut en principe produire aucun effet. C’est du moins ce que prévoit la loi française et tout dépend, en fait, de la loi au nom de laquelle la nullité est prononcée, car c’est la loi de la condition violée qui détermine les effets de la nullité du mariage (Civ., 6 mars 1956, Veuve Moreau c/ Dame Bazbaz, Rev. crit. DIP 1956. 305, note Ph. Francescakis ; D. 1958. 709, note H. Batiffol ; Grands arrêts, n° 28 ; JCP 1956. II. 9549, note A. Weill). M. X. invoquait une violation du droit français (C. civ., art. 147) et on aurait donc pu se placer sur ce terrain. Mais on remarquera que les efforts de M. X. étaient alors certainement vains : en effet, en droit français, la nullité du mariage n’empêche pas le versement d’une prestation compensatoire lorsque le bénéfice du mariage putatif peut être accordé (C. civ., art. 201 et Civ. 1re, 23 oct. 1990, Bull. civ. I, n° 221 ; D. 1991. 214, note Mascala ; JCP 1991. II. 21774, note F. Monéger ; Gaz. Pal. 1991. 1. 256, note J. Massip ; RTD civ. 1991. 299, obs. J. Hauser). Or, il est pratiquement certain que ce bénéfice aurait été accordé à son ex-épouse : en effet, au moment du prononcé de leur divorce, Mme Y. et son mari américain étaient déjà séparés de corps depuis quatre ans et, en outre, comme on le verra plus loin, on ne reprochait pas aux formalités exigées par la loi mexicaine de ne pas avoir été accomplies, mais de ne pas l’avoir été à temps. Il eût alors été difficile de soutenir qu’elle était de mauvaise foi au moment de la célébration de sa seconde union.

46II. – 5. Quoi qu’il en soit, il restait à prouver la bigamie (preuve à la charge de M. X.). On prouve la bigamie par la preuve de l’existence d’un premier mariage non dissous. En l’espèce, il n’était pas contesté qu’il existait un premier mariage, puis que celui-ci avait été dissous avant la conclusion du second : il y avait bien un jugement de divorce prononçant la dissolution du premier mariage et dont la date (2 juin 1999) précédait celle du remariage (9 juill. 1999). L’absence de bigamie paraissait alors flagrante. Pourtant, le demandeur au pourvoi prétendait que ce jugement de divorce ne lui était pas opposable à la date du second mariage, car il n’avait pas été publié. Il soutenait que, selon le droit mexicain, loi personnelle de Mme Y., le jugement de divorce vénézuélien ne pouvait produire d’effet sur le territoire mexicain s’il n’avait pas été publié par le juge du registre civil. Cette condition n’étant pas remplie au moment du second mariage, Mme Y. aurait dû être considérée comme encore mariée. À le suivre dans son interprétation du droit mexicain, la transcription d’un jugement de divorce sur les registres d’état civil, autrement dit la publicité du jugement de divorce, serait alors une obligation (et non une simple faculté) érigée en véritable condition de fond à la validité du remariage d’un ressortissant mexicain. Pour démontrer que cette condition n’avait pas été remplie en l’espèce, le mari précisait que la décision de divorce n’avait été signée par le juge vénézuélien, pour légalisation, que le 12 juillet 1999, et apostillée seulement le 14 juillet 1999, ce qui d’après lui suffisait à la considérer comme inopposable aux autorités mexicaines à la date du 9 juillet 1999. Cette chronologie avait pour conséquence « évidente » (toujours selon le demandeur au pourvoi) que, au moment de son second mariage, les formalités requises à peine de nullité – selon lui – par l’article 97 du Code civil mexicain n’étaient pas remplies (4e et 5e branches du moyen) et, ainsi, Mme Y. était toujours liée par son premier mariage, évidence qu’il était dispensé de démontrer (2e et 3e branches du moyen). Il y aurait donc bigamie.

47Cependant, selon la cour d’appel, désignant et appliquant le droit mexicain (art. 235 et 97 C. fédéral mexicain), en tant que loi personnelle de l’épouse, aucune nullité n’était encourue de ce chef. Interprétant la loi étrangère, les juges du fond relèvent que l’obligation de transcription, non visée par l’article 235 du Code fédéral mexicain (énonçant les causes de nullité du mariage), n’est pas sanctionnée par la nullité du mariage. En effet, le Code fédéral mexicain, renvoie à certaines dispositions du Code civil mexicain, dont l’article 97 qui prévoit, parmi les formalités préalables au mariage, la présentation d’un écrit présentant l’identité des fiancés et celle de leurs parents et, en cas de précédent mariage, « la cause de sa dissolution et la date de celle-ci ». Le droit mexicain n’exige donc pas la transcription ni même la production d’une copie du jugement de divorce. Il suffit finalement de fournir aux autorités mexicaines des informations sur la disparition du premier mariage, mais le formalisme exigé semble très allégé. Il y aurait là un empêchement prohibitif, peut-être, mais certainement pas dirimant.

48Cependant, même en laissant de côté l’argumentation suivie par le demandeur, la réponse des juges du fond ne laisse pas indifférent. La formulation employée semble faire de l’obligation de transcription (d’une décision de divorce) sur les registres d’état civil de l’État dont une personne est ressortissante une condition de fond (soumise à la loi personnelle) à la validité d’un second mariage conclu par ce ressortissant. Pour la Cour de cassation, en revanche, les conditions de forme exigées par la loi mexicaine avaient été respectées et le pourvoi est alors rejeté, voire même pratiquement « expédié » (cf. « sans avoir à suivre les parties dans le détail de leur argumentation »), tant la démonstration du demandeur paraissait fragile et tant l’issue de l’affaire semblait, en dépit de quelques petites incertitudes, prévisible. Mais, surtout, si la Cour de cassation ne censure pas les juges du fond, il nous semble néanmoins qu’elle en profite pour corriger, discrètement (trop discrètement ?) la qualification donnée à la question. Il est vrai que, en l’espèce, cela revenait au même et il était inutile de repousser plus loin la fin du litige : tant la lex loci celebrationis que la loi personnelle de celle qu’on accusait de bigamie conduisaient à désigner la loi mexicaine. Toutefois, toutes les espèces ne conduisant pas à une telle convergence, il convient d’être plus précis et il n’est pas certain qu’il fallait convoquer le droit mexicain en tant que loi personnelle de l’épouse, même si l’on admet le caractère parfois artificiel des qualifications retenues (ce que nous avions déjà soutenu il y a quelque temps : V. La célébration du mariage en droit international privé, th. dacty., dir. J. Foyer, Paris 2, 1998, n° 280 s., p. 207 s.), et on peut établir ici un parallèle avec les conditions de transcription des mariages. La distinction entre le fond et la forme semble en effet s’être diluée « à la faveur » (si tant est qu’on puisse y voir un bénéfice) de la nouvelle rédaction des articles 171-1 et suivants issus de la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 (JO, 15 nov. 2006), et imposant au Français (et seulement à lui) qui se marie à l’étranger, de respecter certaines conditions de forme exigées par la loi française (publication des bans et audition préalable des futurs époux ; cf. C. civ., art. 171-2 et 171-3). On s’interroge souvent sur l’interprétation à donner de cette exigence : loi de police, applicable à tous les Français domiciliés ou résidant en France, ou bien condition posée par la loi personnelle, et donc condition de fond (V., not., M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, LGDJ, Lextensoéditions, n° 52 ; Y. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, Dalloz, précis, n° 294) ? Outre que l’on se permettra de douter de l’efficacité de tout ce dispositif liberticide destiné à « prévenir » la conclusion, à l’étranger, de mariages entachés de nullité, il a aussi la fâcheuse conséquence de rendre la qualification de ces exigences peu limpide. Il est en effet tentant d’y voir des conditions de fond, comme on l’a fait de la condition posée à l’article 146-1 du Code civil, exigeant la présence du Français à son mariage (Civ. 1re, 15 juill. 1999, Proc. Gén. C. cass., Bull. civ. I, n° 244 ; Rev. crit. DIP 2000. 207, note Léna Gannagé). Pourtant, l’obligation de transmettre à l’officier d’état civil, en vue du mariage projeté, un certain nombre de documents, relève habituellement des conditions de forme, même si, il est vrai, ces formalités sont censées permettre à l’autorité célébrante de vérifier que les conditions de fond, que chacun des époux doit remplir selon sa loi personnelle, sont respectées.

496. Nous nous rallions alors à la position de la Cour de cassation : si on avait dû apprécier la validité du remariage de M. X., de nationalité française (au lieu de celui de son épouse, de nationalité mexicaine), nul doute que l’autorité célébrante mexicaine aurait, par application de l’article 97 du Code civil mexicain, exigé de M. X. la production d’un écrit exposant la cause et la date de la dissolution de son premier mariage. En revanche, aucune transcription du jugement de divorce n’eut pu être exigée. En effet, les mesures de publicité (d’un jugement de divorce, d’un mariage, etc.) relèvent de l’organisation de l’état civil d’un État (S. Clavel, Droit international privé, Dalloz, n° 596 s. ; Ch. Bidaud-Garon, La force probante des actes de l’état civil étranger après la loi du 26 novembre 2003, Rev. crit. DIP 2006. 49). En tant que telles, ces mesures sont donc imposées à titre de lois de police. Mais si l’événement créant ou modifiant l’état d’une personne survient à l’étranger, celui-ci échappe en grande partie aux règles de police de l’État dont cette personne est ressortissante (P. Lagarde, Publication des jugements de divorce lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, Rev. crit. DIP 1997. 852). Les juges du fond avaient d’ailleurs bien relevé que si l’article 291 du Code fédéral mexicain prévoit que le juge de première instance remettra une copie de la décision de divorce au juge du registre civil pour publication, cette procédure ne concernait que les jugements de divorce rendus au Mexique. Les registres et les actes de l’état civil ont ensuite, de toute façon, pour principale fonction de permettre de faire la preuve de son état, de son statut, et les formalités de transcription ne sont requises que ad probationem, pour faire la preuve des évènements d’état civil, et non ad validitatem. Même s’il s’agissait ici d’interpréter le droit étranger, on sait qu’en droit français, en vertu de l’article 47 du Code civil, les actes d’état civil dressés à l’étranger conformément à la loi locale font foi en France, mais sans préjuger de la validité de l’acte ou du lien qu’ils relatent.

507. Enfin, et surtout, au-delà de ces délicates questions de qualification, si la condition principale de validité du remariage est la dissolution préalable du premier mariage, il paraît plus exact d’y voir une question d’effet et de reconnaissance de la décision de divorce. En principe, du point de vue de notre droit, un jugement étranger de divorce est reconnu de plano, pour son effet substantiel et son autorité de chose jugée, à la condition d’être définitif, c’est-à-dire passé en force de chose jugée ou insusceptible de recours (Civ., 28 févr. 1860, Bulkley, Grands arrêts, n° 4 ; CEDH 13 oct. 2009, n° 39523/03, Selin Asli Östürk c/ Turquie, Rev. crit. DIP 2010. 498, note F. Marchadier ; H. Muir Watt, sous Civ. 1re, 19 oct. 1999, M. Agnelet c/Mme Lausseure, Rev. crit. DIP 2000. 49 ; dans les rapports entre les parties et les tiers, la « vertu normative » de la décision se manifeste sous la forme de l’opposabilité : B. Ancel, sous Civ. 1re, 17 juin 1997, Mme F. Benadbdesslam c/ Ministère public, Rev crit. DIP 1998. 314). Le jugement étranger peut ainsi produire tous ses effets, notamment extrapatrimoniaux, ce qui a pour conséquence d’offrir à chacun des ex-époux la possibilité de se remarier, chacun étant de nouveau considéré comme célibataire. Il s’agit là d’un effet du divorce (son effet principal), mais il serait sans doute hâtif de soumettre cet effet du divorce à la loi de sa cause. Outre que cette « loi du divorce » n’a plus aujourd’hui qu’un domaine très résiduel, il apparaît que la question de la dissolution du premier mariage doit plutôt être regardée comme un effet du jugement de divorce, effet acquis au moment où celui-ci devient définitif. Or, dans notre affaire, le jugement vénézuélien de divorce était sur le point d’être légalisé au moment du remariage. La légalisation ne doit toutefois pas être confondue avec l’exercice d’une voie de recours ; la légalisation n’est qu’une formalité spécifique touchant les actes publics destinés à être produits à l’étranger et qui a pour principale fonction d’attester l’origine et/ou le caractère authentique de cet acte. Ainsi, si le jugement de divorce a été légalisé 12 juillet 1999 (un lundi, dans le calendrier), c’est qu’il était probablement définitif avant cette date. De toute manière, l’article 131 du Code fédéral mexicain prévoyait que « les situations juridiques valablement créées dans un État étranger et conformes au droit mexicain, devront être reconnues ». Les juges du fond ont alors interprété ce texte, et ceux précédemment cités, comme ne conduisant pas à la nullité du second mariage de Mme Y. Comme il est acquis, désormais, que c’est au juge qui applique un droit étranger d’en rapporter la preuve et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger (Civ. 1re, 28 juin 2005, Aubin, et Com. 28 juin 2005, Itraco, Rev. crit. DIP 2005. 645, note H. Muir Watt et B. Ancel ; D. 2006. Pan. 1495, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke), on ne peut que constater qu’il s’agit là d’une charge dont ils se sont largement acquittés.

51Élise Ralser

Sara Godechot-Patris
Élise Ralser
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.151.0126
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Dalloz © Dalloz. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...