CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Quelque part, dans l’Océan Indien, subsiste l’un des derniers statuts personnels « coutumiers » ou « particuliers » du droit positif français, tels qu’ils sont admis par notre Constitution : « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé » (art. 75) [1]. Le « statut civil de droit local applicable à Mayotte », admettant l’application de droits propres à une catégorie de personnes, eu égard à leur appartenance ethnique et religieuse, offre alors, comme son cousin (éloigné) de Nouvelle-Calédonie [2], un terrain d’étude privilégié des conflits internes de lois. Délaissés, depuis la décolonisation, et peu traités en droit français contemporain [3], notre système juridique n’en offre pas moins plusieurs spécimens, que l’on peut tenter d’observer à travers le prisme traditionnel du droit international privé. Le statut personnel mahorais constitue alors un véritable matériel de laboratoire sur lequel les expériences se succèdent. À l’heure en effet où les publicistes, prenant acte des dernières réformes institutionnelles, s’interrogent toujours sur les qualifications exactes à donner à ce nouveau « Département » de Mayotte, le civiliste se penche sur son propre microscope afin d’étudier, au plus près, les différents maux qui pourraient affecter les règles de droit civil applicables. Ces règles ont toujours été la source d’une réflexion riche et originale, ainsi que d’un étonnement toujours renouvelé, et l’étude de leur dernière mouture réserve alors, une fois encore, bien des surprises, car il semblerait bien que le « statut civil de droit local applicable à Mayotte » soit devenu un fantôme…

2Voilà l’étrange destinée d’un statut personnel qui, dès l’origine, avait déjà été fort mal baptisé ! Ensemble de règles propres à une catégorie de personnes [4], le « statut personnel » est d’évidence entendu comme tout ce qui touche à l’état de la personne et à sa capacité, tout ce qui touche à son identité et à sa situation familiale, tout ce qui est intimement attaché à l’individu et à ses attributs. L’« état des personnes » est alors une addition d’éléments considérés comme constitutifs d’une personne et inhérents à chacune. Selon le droit commun, cet ensemble comprend alors les informations et les règles relatives aux noms et prénoms, au domicile, à l’âge, au sexe, à la capacité, à la nationalité, à la parenté (filiation) et à la situation matrimoniale… toutes ces informations étant elles-mêmes consignées dans les actes de l’état civil. L’expression désigne l’ensemble de ces éléments d’identification et d’individualisation de chaque personne dans la société, mais également l’ensemble des règles juridiques attachées à ces éléments [5].

3Le « statut personnel » se distingue alors certainement du « droit local » et le « statut civil de droit local applicable à Mayotte » porte alors bien mal son nom. Il y a « droit local » lorsqu’il existe, au sein d’un territoire donné, des spécificités locales et des règles spéciales en raison d’une survie de la « spécialité législative » ou bien en raison d’une « identité législative » incomplète. Ces deux principes se sont bien succédé à Mayotte, ce qui a effectivement donné naissance à un véritable droit local. Cela ne doit toutefois pas tromper : le « statut civil de droit local » est relatif à une personne, non à un territoire [6], et selon l’article 75 de la Constitution, toutes les questions qui ne sont pas soumises au « statut civil de droit local » sont alors soumises au « statut civil de droit commun ». C’est seulement dans ce cas qu’on peut parler de « droit local », car, à Mayotte, le « droit commun » ne correspond qu’imparfaitement au droit de l’hexagone [7].

4Depuis quelques années, cependant, le « droit local » n’est plus, lui aussi, qu’un fantôme, car on a glissé de la spécialité à l’identité législative. La loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001, transformant l’île en collectivité « départementale », rappelait que l’application du droit à Mayotte était régie par le principe de spécialité législative, mais que ce principe était désormais assorti d’un grand nombre d’exceptions afin de rapprocher Mayotte du droit commun [8]. De même, l’ordonnance n° 2002-1476 du 19 décembre 2002 avait étendu toutes les dispositions du Code civil à Mayotte [9]. Il y avait donc, depuis, identité législative en matière civile, à l’exclusion de quelques mesures d’adaptation. L’année 2011, enfin, a marqué l’entrée de Mayotte dans une nouvelle ère institutionnelle : la collectivité d’outre-mer de Mayotte, initialement régie par l’article 74 de la Constitution, est désormais soumise, en tant que département, aux dispositions de l’article 73 de la Constitution qui commandent un régime d’identité législative. La loi organique n° 2010-1486 et la loi ordinaire n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 déterminent les modalités de cette transformation et précisent, en particulier, l’organisation et le fonctionnement institutionnel du Département de Mayotte ainsi que les règles d’application du droit commun à Mayotte conformément au principe d’assimilation législative [10]. Le « droit local » est alors effectivement voué à disparaître.

5Mais si le droit local est voué à s’éteindre à Mayotte, le « statut civil de droit local » n’est pas encore mort, du moins en la forme ; sur le fond, toutefois, il semble être en fin de vie. L’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010, qui lui est relative, apparaît pourtant comme un énième texte consacrant le « statut civil de droit local applicable à Mayotte » [11]. Cependant cette consécration pourrait n’être qu’un leurre destiné à détourner l’attention. En effet, une suppression radicale du statut personnel coutumier à Mayotte eût été trop brutale pour les populations concernées. Plutôt que de mourir dans la dignité, c’est une fin, sinon plus douce, du moins plus lente qui a été choisie. Désireux de moderniser le statut personnel mahorais, notamment pour le rendre compatible avec certains principes et droits constitutionnellement protégés, le législateur a voulu modifier, dans son contenu, certains éléments du statut personnel sans, officiellement, remettre en cause son existence, ce qu’il nous faudra néanmoins vérifier. Parallèlement, ces dernières années, le législateur a, formellement, posé de véritables règles de conflit relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte. Mais jongler ainsi avec les conflits internes de lois est un exercice difficile ! Cette étude propose ainsi d’en faire la démonstration pour le statut personnel mahorais. Les premières difficultés sont liées à la détermination même du statut personnel applicable. Les secondes n’apparaissent que dans la mise en oeuvre du statut personnel désigné. Ces deux questions seront abordées successivement.

I. — La détermination du statut personnel applicable

6La détermination du statut personnel applicable est absolument essentielle. La capacité juridique de l’individu et, par là même, la validité des actes juridiques qu’il conclut, la nature de ses relations matrimoniales et familiales et, dans une conception élargie, les règles applicables à sa succession et aux libéralités qu’il consent, dépendront du statut personnel auquel il appartient. Il est alors important de ne pas se tromper dans son mode de désignation.

7Pour déterminer le corps de règles applicables au statut personnel lorsque le conflit est un conflit international de lois, on met en oeuvre le principe général posé à l’article 3, alinéa 3, du Code civil ; la loi « personnelle », entendue jusqu’à présent comme étant la loi nationale de la personne, s’applique alors. Pour procéder de même, lorsque le conflit est un conflit interne de lois, le principe général est posé à l’article 75 de la Constitution. Notre Constitution énonce ainsi clairement que : « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun […] conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé » ; si les conditions de cette règle sont réunies, un statut personnel particulier, entendu comme dérogeant au statut civil de droit commun, s’applique alors. On s’interroge alors sur les destinataires de cette règle à Mayotte, sur les modalités de désignation de la règle, puis sur le véritable contenu du statut civil de droit local.

A. — Les destinataires de l’article 75 de la Constitution à Mayotte

8À qui s’applique le « statut civil de droit local applicable à Mayotte » ? Pour relever du statut civil de droit local applicable à Mayotte, il faut : être Mahorais, de confession musulmane, de nationalité française, et ne pas avoir renoncé à son statut particulier [12]. Le « statut personnel de droit local » ne concerne en effet que le « Mahorais », c’est-à-dire une personne « originaire » de l’île de Mayotte, même si elle n’y est pas née [13]. Cette personne doit être de confession musulmane et être française. Ainsi, en principe, les Comoriens (ou Malgaches) vivant à Mayotte ne relèvent pas, au sens strict, du « statut civil de droit local », même si les statuts personnels comorien et mahorais sont proches sur le fond [14]. L’article 75 de la Constitution ne bénéficie qu’aux « citoyens de la République ». Or, depuis l’indépendance de Madagascar et de la République fédérale islamique des Comores [15], les Comoriens et les Malgaches qui n’ont pas fait les démarches nécessaires pour conserver la nationalité française [16] ne sont plus citoyens de la France. Sont alors exclus du statut personnel de droit local : les personnes de nationalité étrangère, même de confession musulmane ; les nationaux musulmans, mais non originaires de Mayotte ; les nationaux mahorais non musulmans.

9La détermination des personnes de statut civil de droit local dépend, ensuite, de l’état civil de chacun ce qui, à Mayotte, a posé ou pose encore, de considérables difficultés pratiques. À Mayotte, en effet, ni le Minhadj, ni les coutumes afro-malgaches ne traitent de l’état civil. On applique alors en principe le droit commun [17], qui fait cependant l’objet de règles propres à Mayotte, permettant de parler de véritable droit local [18] et tenant à l’existence de deux sortes de registres. En effet, les évènements affectant l’état civil font l’objet d’une inscription sur deux registres différents, l’un pour les personnes de statut civil particulier, l’autre pour les personnes de statut civil de droit commun, tous deux tenus par l’officier d’état civil, à qui les naissances doivent « en principe » être déclarées [19]. Cependant, il était malheureusement bien souvent constaté que toutes les naissances n’étaient pas déclarées, et que ni les mariages ni leur dissolution n’étaient toujours enregistrés [20]. Une Commission de révision de l’état civil (CREC) fut alors créée [21], institution originale « chargée d’établir les actes de naissance, de mariage ou de décès qui auraient dû être portés sur les registres de l’état civil de droit commun ou de droit local à Mayotte » [22]. Le travail effectué a pu être lourd de conséquences : la simple inscription sur l’un des deux registres, en fonction des différentes pièces portées à la connaissance de la Commission, a permis de déterminer et de fixer le statut (de droit commun ou de droit local) de la personne. Cependant, des « requalifications » ont pu s’opérer : des personnes que l’on croyait de statut de droit local se trouvèrent relever du statut de droit commun (cas le plus fréquent) ou inversement.

10Enfin, les textes donnent la possibilité de renoncer définitivement au statut civil de droit local pour être soumis au droit commun [23]. Cette renonciation doit être effectuée « en pleine connaissance de cause », ne peut en aucun cas être tacite et ne prend effet qu’à l’issue d’une procédure judiciaire [24]. Elle est strictement personnelle et ne peut avoir un effet collectif, notamment sur les enfants mineurs, du moins à Mayotte. La procédure de renonciation peut certes être effectuée au nom d’un enfant mineur par celui ou celle qui exerce sur lui l’autorité parentale, mais le changement de statut personnel d’un membre de la famille est en principe sans effet sur le statut personnel d’un autre [25]. La renonciation, enfin, est impossible si le candidat est dans une situation juridique qui fait obstacle à son accession au statut de droit commun. Un polygame, par exemple, doit d’abord faire dissoudre la ou les unions dans lesquelles il est engagé.

11Le champ d’application de l’article 75 de la Constitution étant ainsi mieux cerné, on doit pouvoir ensuite désigner le statut personnel applicable.

B. — La désignation du statut personnel applicable

12L’absence de renonciation à son statut personnel suffirait en principe à entraîner l’application du statut particulier dont relève l’individu. Mais la réalité est loin d’être aussi simple, car la règle de conflit posée à l’article 75 de la Constitution est complétée par un certain nombre de règles de conflits spéciales et spécifiques à chaque groupe de personnes, censées compléter ce que prévoit la Constitution et contenues dans des textes de nature différente. À Mayotte, les modalités de désignation du statut personnel applicable résulteront alors des dispositions de l’ordonnance du 3 juin 2010 et pourront soulever plusieurs difficultés : la nature mixte du rapport juridique, le pouvoir de la volonté individuelle sur la détermination du statut personnel applicable, ou encore l’hypothèse du conflit « mobile », conduisent en effet à s’interroger sur les règles ainsi posées.

1. La désignation du statut personnel dans les rapports juridiques mixtes

13Une première difficulté concerne l’étendue du statut personnel, à raison notamment des personnes impliquées dans un même rapport juridique. En cas de « vide juridique », il ne se présente guère de problème a priori : on applique alors le statut personnel de droit commun : « En cas de silence ou d’insuffisance du statut civil de droit local, il est fait application, à titre supplétif, du droit civil commun » (art. 1, al. 3, ord. du 3 juin 2010). Si, par ailleurs, le rapport juridique met en cause deux Mahorais ayant conservé tous deux leur statut personnel, on déterminera assez facilement, là encore, le régime juridique applicable : « Dans les rapports juridiques entre personnes relevant du statut civil de droit local, le droit local s’applique […] » (art. 5, al. 3, ord. du 3 juin 2010). Mais qu’en est-il en présence d’un rapport juridique « mixte » impliquant deux personnes (ou davantage) relevant de statuts personnels différents ? Deux hypothèses peuvent être envisagées :

  • Si, d’une part, l’une de ces personnes relève du statut civil de droit local et l’autre du statut civil de droit commun, on applique ce dernier : « Dans les rapports juridiques entre personnes dont l’une est de statut civil de droit commun et l’autre de statut civil de droit local, le droit commun s’applique » (art. 5, al. 1, ord. du 3 juin 2010). Le droit commun l’emporte ici sur le droit « spécial » coutumier. Specialia generalibus derogant ? Pas toujours… Si une Mahoraise épouse un métropolitain, le droit commun s’appliquera à l’union (tant à sa célébration qu’à ses effets), ainsi qu’à la filiation des enfants à naître, la relation impliquant une personne relevant du statut civil de droit commun.
  • Si, d’autre part, l’une de ces personnes relève du statut civil de droit local et l’autre de ces personnes ne relève ni du statut civil de droit commun, ni du « statut civil de droit local », quel statut personnel applique-t-on alors ? Déjà, la loi du 11 juillet 2001, dans son article 59, alinéa 3, envisageait que « Dans les rapports juridiques entre personnes qui ne sont pas de statut civil de droit commun, mais relèvent de statuts personnels différents, le droit commun s’applique sauf si les parties en disposent autrement par une clause expresse contraire ». La disposition a été reprise telle quelle par l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 (art. 5, al. 3). Dans ce cas de rapport « mixte », le statut civil de droit commun s’applique encore par défaut, sauf volonté contraire.

14Cette dernière hypothèse, posée par la règle de conflit, ne manque pas d’étonner : de quel statut personnel peut donc relever la personne, qui n’est pas de « statut civil de droit commun », tout en ayant un statut personnel différent du Mahorais ? Par ailleurs, quelle est la réelle portée de cette règle ? Comme il s’agit là d’une règle qui résout un conflit interne de lois et non un conflit international de lois, le « statut personnel » en cause est nécessairement l’un de ceux visés par l’article 75 de la Constitution. Les bénéficiaires de la protection constitutionnelle étant limités à des catégories de personnes bien définies, [26] on pense alors à l’hypothèse d’un rapport juridique entre un Mahorais et l’originaire d’une autre collectivité d’outre-mer (un Néo-Calédonien de statut kanak, par exemple). De fait, initialement, la disposition a été conçue, la première fois, pour les rapports entre les « autochtones » de Nouvelle-Calédonie et ceux de Walliset-Futuna [27]. Mais, transposé à la situation mahoraise, on ne peut manquer de trouver le cas très marginal, voire hypothétique. Le copiercoller opéré n’a pas, ici, beaucoup de pertinence [28]. Il présente en outre l’inconvénient majeur de créer et d’entretenir une confusion avec le statut personnel des personnes d’origine comorienne, très nombreuses à Mayotte [29]. Avant l’indépendance des Comores, on appliquait à tous le même statut personnel (le statut personnel « musulman » ou « coranique », expressions encore parfois reprises par la Cour de cassation) [30]. Depuis, les Comoriens sont des étrangers et le conflit de lois devient international, avec pour conséquence la compétence de l’article 3, alinéa 3, du Code civil (au lieu de l’art. 75 C). Techniquement, juridiquement, les Comoriens ne sont pas concernés par l’article 5, alinéa 3, de l’ordonnance du 3 juin 2010 et, pourtant, c’est bien dans les rapports entre Mahorais et Comoriens que l’option posée aurait pu être utile et offrir l’avantage de la continuité. Certes, par le biais des règles de conflit traditionnellement admises en droit international privé, on peut désigner des règles qui, substantiellement, en matière de statut personnel, dans la zone de l’archipel des Comores, sont très proches sur le fond. Cependant, l’intrusion croissante, voire galopante, du critère du domicile et de la résidence habituelle comme rattachement en matière de statut personnel, conduit parfois au contraire à voir appliqué le droit français et, substantiellement, ses dispositions du droit civil commun.

15Quelques exemples pratiques permettront d’illustrer la variété des problèmes posés.

16Si un mariage est conclu entre une Mahoraise et un Comorien, et que l’on s’interroge sur les effets de cette union, il faudra rechercher la règle internationale de conflit de lois correspondant à l’effet concerné : loi du domicile commun (à défaut de nationalité commune) pour les effets personnels, loi de la première résidence conjugale pour les relations patrimoniales, conventions et protocole de La Haye pour les obligations alimentaires, etc. C’est alors, matériellement, le droit commun qui trouvera à s’appliquer le plus souvent.

17Si, ensuite, le couple veut divorcer, c’est l’article 309 du Code civil qui doit désigner le droit applicable à la dissolution de l’union [31]. Par définition, dans cet exemple, ils n’ont pas tous deux la nationalité française, mais si le couple est domicilié en France, le droit français (commun) s’appliquera. Si l’un des époux n’est pas domicilié en France, on pourra interroger le droit comorien (ou un autre droit) pour savoir s’il se veut applicable ; sinon, on appliquera le droit (commun) français.

18S’il faut, enfin, établir la filiation d’un de leurs enfants, conçu et né après le divorce, l’article 311-14 du Code civil nous conduit à désigner la loi personnelle de la mère, c’est-à-dire la loi française, a priori dans ses dispositions de droit commun [32], ce qui permettrait par exemple une action en recherche de paternité naturelle, en dépit de ce que prévoit le statut coutumier comorien. L’enfant, s’il réside en France avec l’un de ses parents, pourra même bénéficier des conséquences d’une possession d’état en application des règles du droit français (art. 311-15 C. civ.). Paradoxalement, l’enfant naturel de deux Mahorais ayant conservé leur statut personnel ne pourra pas voir sa filiation établie de cette façon [33].

19Si, en revanche, en reprenant ces exemples, on remplace la personne de nationalité comorienne par une personne de nationalité française, mais de statut civil kanak, les règles de conflit indiquées ne s’appliqueront pas a priori, la relation n’étant plus internationale, mais purement interne. En présence de ce rapport mixte, on appliquerait alors directement le droit commun (à l’exclusion des règles de droit international privé)… sauf « si les parties en disposent autrement par une clause expresse contraire ».

20Déterminant ainsi le champ d’application du statut personnel de droit commun, la règle de conflit, contenu dans l’article 5 de l’ordonnance, est de nature unilatérale [34]. Mais la véritable particularité de cette règle de conflit interne réside dans le rôle qu’elle fait jouer à la volonté individuelle dans un domaine où elle est traditionnellement exclue. C’est là la seconde série de difficultés auxquelles nous nous heurtons dans la détermination du statut civil de droit local.

2. L’autonomie de la volonté dans la désignation du statut personnel

21Aussi curieux que cela puisse paraître, la détermination de l’ensemble du statut personnel peut dépendre directement de la volonté individuelle. L’étude traditionnelle du droit des personnes avait peu habitué à cette alternative [35]. Le pouvoir de la volonté peut, dans le cas du statut civil de droit local, s’exercer dans deux directions : celle de la renonciation à son statut personnel initial ou celle de l’option de lois.

22Le cas de la renonciation, abandon irrévocable du statut personnel, a déjà été évoqué et en tant qu’elle permet de choisir son statut personnel, la renonciation laisse entrer la volonté individuelle dans le domaine de l’état des personnes. La procédure est cependant définitive et permet aux Mahorais de participer d’eux-mêmes à la « marche vers le droit commun » [36] ; dans la mesure où c’est ce que souhaite la majorité de cette population, cette évolution peut être accueillie favorablement. Ce changement, on y reviendra, entraîne néanmoins certaines conséquences dont les difficultés pratiques ne sont pas forcément toutes résolues. Cette possible renonciation rend également « disponibles » certains éléments de l’état des personnes, du moins tant qu’ils relèvent du statut coutumier.

23Plus originale, mais aussi plus problématique, est l’hypothèse de l’option de lois. Deux dispositions de l’ordonnance du 3 juin 2010 peuvent être ici citées : l’article 1er, alinéa 4, énonçant que « les personnes relevant du statut civil de droit local peuvent soumettre au droit civil commun tout rapport juridique relevant du statut civil de droit local » et l’article 5, alinéa 3, déjà mentionné, et d’après lequel le droit commun s’empare des rapports entre personnes de statuts personnels différents, à moins que « les parties en disposent autrement par une clause expresse contraire ». Les personnes relevant d’un statut personnel particulier peuvent donc choisir, ponctuellement, les règles qui leur seront applicables. On constatera que cela remet plus directement en cause le principe de l’indisponibilité des droits en matière d’état des personnes. Le principe d’indisponibilité de la personne est alors nécessairement ébranlé, mais uniquement au bénéfice des Mahorais de « statut civil de droit local ». Cette entorse au principe peut ensuite ne jouer qu’en faveur du droit civil commun (art. 1, al. 4, ord. du 3 juin 2010) ou en faveur d’un autre groupe de règles choisi par les intéressés (art. 5, al. 3, ord. du 3 juin 2010) [37]. Si dans le second cas, le choix doit être exprès et faire l’objet d’une convention (cf. le terme « clause »), dans la première hypothèse, le législateur n’explique pas comment ce choix peut être exprimé : expressément, tacitement ? Comme, par ailleurs, la renonciation à son statut personnel doit être expresse et solennelle (elle est nécessairement judiciaire), on en déduit ici que l’option ne peut être exercée qu’au cas par cas et, également, qu’il ne s’agit en quelque sorte que d’une « renonciation » « temporaire » à son statut personnel.

24Mais qu’en serait-il de celui qui, systématiquement, soumettrait ses rapports juridiques au droit commun sans, officiellement, renoncer à son statut personnel ? D’un autre côté, toutes les relations juridiques se prêtent-elles à l’option de lois qui peut, logiquement, conduire au véritable « dépeçage » d’un rapport de droit ?

25Deux Mahorais pourraient-ils par exemple soumettre les effets personnels de leur mariage au droit commun et les effets patrimoniaux au droit coutumier ou inversement ? Pourraient-ils uniquement choisir leur régime matrimonial (pour adopter un régime de communauté, par exemple), tout en vivant sous l’empire d’un mariage traditionnel ? Devraient-ils, dans ce cas, conclure un contrat de mariage ? Un Mahorais (de « statut personnel ») pourrait-il reconnaître un enfant naturel en soumettant l’acte de reconnaissance au droit commun ? On pourrait, bien entendu, s’en féliciter, mais estce envisageable et quel effet cela aurait-il si le statut initial de l’enfant est le statut coutumier ? La renonciation au statut personnel étant clairement organisée, la reconnaissance ne peut pas en principe avoir pour conséquence de modifier le statut de l’enfant. Selon le droit commun, la reconnaissance serait valable, mais la filiation pourra-t-elle produire ses effets selon le statut local ? Cela paraît peu probable. Il faudrait procéder à une « adaptation » et faire régir la filiation par le droit commun. Mais cela ne reviendrait-il pas à modifier l’ensemble du statut personnel de l’enfant ? L’option de lois laissée ainsi à l’entière discrétion de son auteur revient à contourner les règles strictes relatives à la renonciation à son statut personnel. Il y a là une contradiction malchanceuse entre deux dispositions de l’ordonnance (art. 3 et 5) !

26Une autre catégorie de problèmes apparaît ensuite avec les cas de conflit mobile.

3. La désignation du statut personnel en présence d’un conflit mobile

27Le changement, définitif ou « temporaire », de statut personnel, entraîne un conflit mobile. Lorsque l’élément de rattachement retenu par la règle de conflit (celui de l’article 75 de la Constitution) a été modifié, une situation juridique en cours peut être successivement soumise à des lois différentes, mais sans abrogation de l’une par l’autre. Le changement a pu être volontaire (renonciation) ou involontaire (requalification de statut personnel par la CREC) [38]. Dans les deux cas, il est définitif [39]. Mais le changement peut être « temporaire » dans l’hypothèse de l’option de lois. Le tout n’est pas sans conséquence sur la détermination du statut personnel et sur celle de ses effets : que devient le mariage célébré avant le changement, quel est le régime matrimonial des époux, la filiation des enfants s’en trouve-t-elle modifiée, etc. ?

28La renonciation d’un seul époux à son statut personnel transformet-elle le mariage précédemment célébré en union de droit commun ? En principe non, la renonciation étant strictement personnelle, elle ne produit aucun effet « collectif ». L’autre époux conserve son statut personnel et le régime juridique applicable à leur union ne devrait pas s’en trouver modifié. L’époux non renonçant ne devrait pas avoir à subir les changements de vue de son conjoint. Cependant, les rapports juridiques entre les conjoints deviennent alors des rapports « mixtes ». Mais, appliquer le droit commun à cette union en se fondant sur la nature mixte du rapport de droit revient à imposer le statut civil de droit commun à une personne n’ayant pas renoncé à son statut personnel, ce qui contreviendrait à l’article 75 de la Constitution.

29Si les deux époux ont renoncé à leur statut personnel, la situation paraît moins ambiguë ; doit-on pour autant appliquer le droit commun à cette union ? La réponse, même si cela est moins évident, devrait également être négative [40]. Pour le comprendre, le problème du conflit mobile doit en fait s’analyser comme un problème de conflits de lois dans le temps. Deux statuts se trouvent successivement applicables à une même question. On fait alors généralement application des principes généraux du droit transitoire. La loi nouvelle s’applique alors immédiatement (sauf pour les situations contractuelles en cours), mais sans effet rétroactif [41]. Il faut alors mettre à part les questions relatives au régime matrimonial et celles relatives aux libéralités, car celles-ci peuvent être analysées comme étant de nature « contractuelle ». Les questions relatives, quant à elles, à la capacité ou à l’état des personnes, et aux successions, sont soumises uniquement, en principe, à la loi ; ce sont des situations « légales ».

30Si la situation juridique en cours est de nature « contractuelle », on doit continuer à appliquer la loi sous l’empire de laquelle le rapport juridique a été contracté. Cela devrait être le cas du régime matrimonial et des libéralités. Même en cas de renonciation par l’un des époux à son statut personnel coutumier, les règles coutumières régissant le régime matrimonial devraient continuer à s’appliquer. En tout cas, la détermination du régime matrimonial devrait dépendre du statut personnel initial, celui que les époux avaient au moment du mariage. Les effets à venir devraient également y être soumis, jusqu’à la dissolution et la liquidation du régime [42]. Ces solutions du droit transitoire devraient, pour des raisons de sécurité juridique, l’emporter sur l’article 5, alinéa 1, de l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010, prévoyant que le droit commun s’applique en cas de rapport mixte.

31Si la situation juridique en cours est de nature « légale », on appliquerait immédiatement la « loi » nouvelle, sans la faire rétroagir. Les effets personnels du mariage (tels que le droit d’usage du nom du conjoint), les effets de la filiation dépendent de la loi : les effets postérieurs au changement de statut personnel découleraient alors du statut civil de droit commun et non plus du statut civil de droit local… La solution, cependant, ne fonctionne réellement que si toutes les personnes impliquées renoncent en même temps à leur statut personnel ou si la question posée ne touche que le statut « individuel », au risque, sinon, de contrevenir au principe de l’article 75 de la Constitution.

32Les difficultés se présentent encore différemment lorsque le changement a été involontaire et résulte d’une requalification du statut personnel par la CREC. Un couple uni à Mayotte selon le rite musulman, sans contrat, apprend par exemple que seul l’un d’entre eux peut bénéficier du statut personnel de droit local. Par quelles dispositions est donc régie leur union ?

33Sur ce point, l’article 23 de l’Ordonnance du 8 mars 2000 énonce : « Les actes de l’état civil inscrits à tort sur les registres ne correspondant pas au statut de la personne qu’ils visent sont inscrits sur les registres correspondant à ce statut, avec tous effets de droit.

34Les actes passés antérieurement à cette inscription sont valables ».

35Pour des raisons de sécurité juridique, les droits acquis avant la requalification du statut personnel sont maintenus : la validité du mariage, par exemple, ne sera pas remise en cause (al. 2) ; il en sera de même de la validité de tout autre acte juridique. Mais, par ailleurs, la requalification joue de manière rétrospective [43] : la « réinscription » sur le registre correspondant à son statut véritable jouera « avec tous effets de droit ». Il s’agit d’une sorte de « réinitialisation » du statut personnel. On sait que l’article 2 du Code civil ne s’impose pas au législateur en matière civile et que la loi peut être expressément rétroactive. Il faut également comprendre que le changement opéré est ici déclaratif et non constitutif, comme dans l’hypothèse précédente de la renonciation volontaire à son statut personnel. Il paraît alors ici assez naturel d’attribuer au texte une portée rétroactive et de soumettre alors la relation (mixte) au droit commun. Mais, pour les situations « contractuelles » il paraîtrait tout aussi naturel de respecter la légitime prévision des parties [44]. Il faudrait donc considérer, selon nous, que les couples concernés, comme dans l’hypothèse précédente, restent soumis à un régime de séparation tel qu’il était prévu par le statut coutumier.

36Le statut personnel applicable étant ainsi désigné, il reste, ratione materiae, à en déterminer le contenu.

C. — La détermination du contenu du statut civil de droit local mahorais

37Le statut personnel est une catégorie vaste de rattachement. Limité, dans les systèmes juridiques occidentaux, aux attributs extrapatrimoniaux de la personne, dans sa constitution individuelle et/ou familiale, le statut personnel inclut, dans d’autres systèmes juridiques, des questions d’ordre patrimonial, comme celles relevant du droit des régimes matrimoniaux, des successions ou encore du régime des terres [45]. C’est cette conception large du statut « personnel » que l’on retient pour Mayotte : « Le statut civil de droit local régit l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités » (art. 1, ord. 3 juin 2010). Voilà, donc, le domaine d’application matériel du statut civil de droit local mahorais, du moins son étendue de principe. Mais, en réalité, ce statut personnel particulier a dû céder beaucoup de terrain au droit commun… principalement en matière de célébration et de dissolution du mariage. Le reste relève toujours des règles particulières du statut personnel.

38Le statut personnel mahorais prévoyait tout d’abord, en principe, que le mariage était célébré par un chef religieux, souvent le cadi en présence des époux, de deux témoins (de sexe masculin) et du tuteur matrimonial ou wali (en général le père de l’épouse) ; le mariage était ensuite jusqu’ici simplement enregistré dans les quinze jours par l’officier d’état civil du domicile [46]. L’article 26 de l’ordonnance n° 2000-219 du 8 mars 2000 relative à l’état civil modifia une première fois cette façon de faire, en faisant intervenir un officier d’état civil de la commune de résidence de l’un des futurs époux. L’officier assistait à la célébration du mariage par le cadi, dressait sur le champ l’acte de mariage et l’inscrivait « sur ses registres » d’état civil. Cette voie respectait ainsi le statut personnel des Mahorais (les règles de la cérémonie) tout en faisant intervenir un officier d’état civil [47]. L’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 va plus loin et écarte les règles du droit local relatives au mariage, en rendant applicables les dispositions du Code civil relatives aux formalités de célébration, aux oppositions et demandes de nullité, mais aussi aux actes de mariage, aux qualités et conditions requises pour se marier [48]. La polygamie est totalement interdite, quel que soit l’âge (art. 9, ord. 3 juin 2010), ainsi que toute célébration religieuse du mariage avant le mariage civil (art. 7, ord. 3 juin 2010). Le changement est de taille car polygamie et répudiation ont longtemps été les « marques de fabrique », les « marques spécifiques » du statut personnel mahorais, même si ces spécificités n’ont été finalement mises en avant qu’au moment même où on les supprimait. Elles étaient jusqu’alors plutôt ignorées du « grand public » et même de la communauté des juristes. Le statut civil local mahorais, puisant l’une de ses sources principales dans le droit musulman, a pourtant toujours permis la polygamie et la répudiation [49]. La célébration sur le territoire de Mayotte, sol français, d’unions polygamiques était donc possible [50] et le prononcé de répudiations « musulmanes », juridiquement valables, également. La loi de programme pour l’outre-mer du 21 juillet 2003 était certes déjà venue interdire la polygamie et la répudiation à Mayotte [51]. Mais, dans l’euphorie de l’annonce, on a souvent omis de souligner que ces suppressions ne jouaient que pour l’avenir puisque la loi du 21 juillet 2003 précisait que ces modifications du statut personnel ne s’appliquaient « qu’aux personnes accédant à l’âge requis pour se marier au 1er janvier 2005 ». Seules les personnes ayant moins de quinze ou dix-huit ans à cette date devaient avoir un statut nécessairement monogame. Toutes celles qui avaient déjà cet âge à la même date ont pu encore, après cette date, s’engager valablement dans une union polygamique ou dissoudre leur union par répudiation.

39Les dernières modifications législatives semblent toutefois plus radicales. Il résulte par exemple de l’article 9 de l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 que l’article 147 du Code civil devrait être ainsi rédigé : « On ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du ou des précédents mariages » (sans distinction de génération) [52]. De même, l’ordonnance prévoit de manière aussi limpide qu’en est capable le législateur du 21e siècle, dans son article 11, que « Les dispositions du titre VI du livre Ier du Code civil sont applicables aux personnes relevant du statut civil de droit local à l’exception de l’article 256, de la dernière phrase de l’article 257 et des articles 285-1 et 286 » ; c’est-à-dire : la dissolution du mariage ne peut désormais résulter que du décès ou du divorce pour lequel les dispositions du Code civil sont applicables. La répudiation, qui auparavant pouvait se faire devant les cadis, est interdite sans condition d’âge. Ce sont ainsi les conditions du mariage et de sa dissolution qui sont remises en cause de façon relativement spectaculaire à Mayotte.

40La « modernisation » du statut civil de droit local mahorais semble toutefois s’arrêter là [53].

41Au-delà de sa formation et de sa dissolution, le mariage reste sinon régi, dans ses effets, par le statut personnel de droit local, aussi bien dans sa dimension extrapatrimoniale que patrimoniale [54]. Cela signifie que les Mahorais relevant du statut civil de droit local ne sont pas soumis aux règles du droit commun imposant une obligation d’entretien des enfants (art. 203, C. civ.) et des ascendants (art. 205, C. civ.), ni à celles prévoyant, entre époux, un devoir mutuel de respect, fidélité, secours, assistance (art. 212, C. civ.), la direction morale et matérielle conjointe de la famille (art. 213, C. civ.), ni à aucune des règles du régime « primaire » (obligation aux charges du mariage – art. 214, C. civ. –, obligation de communauté de vie et gestion conjointe du logement familial – art. 215, C. civ. –, représentation entre époux, solidarité aux dettes ménagères…). Faut-il transposer ici les solutions du droit international privé sur la question du régime primaire [55] ? Certaines dispositions spéciales de l’ordonnance, notamment celles concernant la capacité de la femme mahoraise, permettent d’en douter.

42On en vient ainsi à s’interroger sur le régime matrimonial des couples mahorais, soumis au statut civil de droit local. Celui-ci, d’inspiration coranique, ne prévoit pas de régime des biens entre époux [56]. Seul le versement d’une dot est parfois prévu et les biens constitués ainsi en dot reviennent à la femme en cas de dissolution de l’union [57]. Ces règles du « régime matrimonial » mahorais se doublent d’une règle spécifique, inspirée des articles 223 et 225 du Code civil, créant une sorte de « régime primaire » au seul profit de la femme mahoraise (et non des deux époux !). La loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 a en effet tout d’abord essayé de transposer certaines règles du régime primaire en droit local : « Toute femme mariée ou majeure de dix-huit ans ayant le statut civil de droit local applicable à Mayotte peut librement exercer une profession, percevoir les gains et salaires en résultant et disposer de ceux-ci. Elle peut administrer, obliger et aliéner seule ses biens personnels » (art. 53). L’ordonnance du 3 juin 2010 (art. 10) reprend la même disposition… mais aucune autre qui serait inspirée du régime primaire du droit commun. De ce silence volontaire, on pourrait déduire que les autres règles du régime « impératif » ne s’appliquent pas aux Mahorais « de statut civil de droit local ».

43Enfin, la « modernisation » du statut civil de droit local n’a pas non plus affecté le droit de la filiation à Mayotte. Pourtant, le statut mahorais, fondé en très grande partie sur les préceptes du droit musulman, ne connaît de filiation que légitime. La reconnaissance d’un enfant naturel par son père est en principe impossible, car en contradiction avec l’interdiction de stupre posée par les règles du statut civil de droit local. L’adoption est également interdite et l’enfant adoptif n’est pas assimilé à un enfant légitime ; il ne peut porter le nom de l’adoptant ni venir à la succession de celui-ci [58]. Ces interdictions sont toutefois en partie contournées par le biais des dispositions sur le nom. L’article 3, alinéa 2, de l’ordonnance n° 2000-218 du 8 mars 2000, prévoit en effet que « avec l’accord de la mère, celui qui se présente comme le père peut, par une déclaration devant l’officier de l’état civil, conférer à l’enfant, par substitution, son propre nom ; cette substitution emporte reconnaissance et établissement de la filiation paternelle ». Le texte instaure alors un mécanisme original d’établissement de la filiation par « dation de nom ».

44Tout en souhaitant les faire évoluer, les relations familiales restent donc ainsi en grande partie encore régies par le statut civil de droit local. Celui-ci n’est pas, officiellement, totalement vidé de son contenu et les Mahorais peuvent espérer le voir encore longtemps appliqué. C’est alors justement la mise en application du statut personnel mahorais qui se présente comme un exercice périlleux.

II. — La mise en application du statut civil de droit local

45Le statut personnel mahorais a été désigné avec succès, mais d’autres obstacles peuvent surgir, remettant peut-être en cause son application concrète : les textes posant de véritables règles de conflit, quelle est l’autorité de celles-ci vis-à-vis du juge et du notaire ? Le juge peut-il ensuite écarter l’application du statut civil de droit local pour contrariété à l’ordre public ? Existe-t-il d’autres mécanismes conduisant à évincer le statut civil de droit local ? C’est l’examen de ces points qui nous conduira à un résultat surprenant.

A. — L’office du juge dans la mise en oeuvre du statut civil de droit local

46Les juridictions compétentes pour connaître du statut civil de droit local ne sont plus celles que l’on croyait. L’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 a en effet réalisé la « suppression aussi discrète que radicale » de la justice cadiale [59]. La disparition de la justice cadiale, la juridiction des cadis, véritable spécificité locale mahoraise [60], était, il est vrai, annoncée de longue date, mais cette organisation juridictionnelle particulière demeurait malgré tout en place en dépit des modifications législatives de ces dernières années. Les juridictions de droit local [61] étaient en effet initialement soumises au décret du 1er juin 1939 « portant organisation de la justice indigène dans l’archipel des Comores » ainsi qu’à la délibération n° 64-12 bis du 3 juin 1964 « de la chambre des députés du territoire des Comores portant réorganisation de la procédure en matière de justice musulmane » [62]. Le cadi exerçait alors les fonctions à la fois d’officier d’état civil [63], de notaire [64] et de juge [65]. La loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 relative à l’outre-mer, la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 (réformant le droit du divorce) étaient déjà venues modifier et retoucher l’organisation de cette justice. Ces textes avaient par exemple prévu une compétence exclusive du juge de droit commun (faisant disparaître la justice cadiale), puis une compétence partagée (la faisant réapparaître), entre le juge de droit commun et le cadi[66]. L’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 donne désormais compétence exclusive (sans plus d’option de juridictions possible) aux juridictions de droit commun pour connaître des litiges concernant des personnes « de statut personnel », la compétence des cadis étant limitée à un rôle de médiation sociale [67]. Cette suppression s’accompagne d’une (complète) réorganisation de la justice à Mayotte [68].

47Le juge de droit commun étant désormais seul compétent pour connaître du statut civil de droit local applicable à Mayotte, on peut s’interroger sur l’autorité de la règle de conflit qui désigne ce statut personnel comme applicable. L’autorité de la règle de conflit a toujours fait débat, le juge s’autorisant à ne pas appliquer le droit étranger désigné, notamment lorsque les droits litigieux revêtent un caractère disponible [69]. Le débat s’épuise lorsque la règle de conflit désigne le droit du for ; dans ce cas, le juge doit nécessairement l’appliquer. Il en est de même lorsque la règle prend sa source dans une convention internationale [70].

48L’hypothèse où la règle de conflit désigne le statut personnel particulier applicable semble bien différente : elle ne désigne pas un droit étranger, mais un ensemble de règles qui, bien que de nature coutumière et parfois d’origine étrangère, a été entièrement intégré dans l’ordre juridique interne. Ce sont des règles du for et la nature disponible ou indisponible des droits issus du statut personnel ne change rien ici, en principe, à l’affaire. On se trouverait alors dans l’obligation de mettre en oeuvre le statut civil de droit local, d’autant que la règle de conflit, de nature législative (L. du 11 juillet 2001 et ord. ratifiée du 3 juin 2010), puise en fait dans d’autres sources supralégislatives : dans le traité de cession du 25 avril 1841, mais aussi, et surtout, dans la Constitution. L’article 75 de la Constitution ne se contente pas d’affirmer et de protéger l’existence de statuts personnels particuliers dans la République française, mais fait office, semble-t-il, de véritable règle de conflit constitutionnelle entre le statut civil de droit commun et les autres statuts civils possibles [71]. Cette règle de conflit, hiérarchiquement « hors-norme », est ensuite complétée par d’autres règles de répartition, contenues dans d’autres sources, lois organiques, lois ordinaires ou textes règlementaires [72].

49Il ne fait alors pas de doute que, si la règle de conflit le désigne, le statut civil de droit local doit être appliqué, au besoin d’office. La chose vaut quel que soit le juge saisi, c’est-à-dire, quelle que soit sa compétence territoriale par ailleurs. Le statut personnel, attaché à la personne, voyage avec cette personne et se déplace donc avec elle ; c’est bien ainsi que l’on a interprété l’article 3, alinéa 3, de notre Code civil : régi par la loi « nationale », ou « personnelle », de la personne le statut personnel la suit « en quelque lieu qu’elle aille et se trouve » [73]… Le statut personnel doit, tout à fait logiquement, suivre l’individu partout, d’autant que l’article 75 de la Constitution ne fait aucune référence à un quelconque statut territorial [74].

50Le juge n’est ensuite pas la seule autorité à qui s’impose la règle de conflit. L’office du juge en la matière s’impose aussi au notaire. Les fonctions notariales étaient exercées jusqu’ici, elles aussi, par le cadi, pour les « citoyens musulmans » [75]. Cette compétence extrajudiciaire vient d’être remise en question, l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 abrogeant le décret du 1er juin 1939 sur l’organisation de la justice indigène dans l’archipel des Comores sur lequel reposaient les compétences du cadi. C’est alors le notaire de droit commun qui interviendra alors que, jusqu’ici, ce notaire ne s’intéressait pas aux actes concernant des personnes de droit local même s’il se trouvait de plus en plus sollicité, notamment depuis le 1er janvier 2008, depuis que des règles similaires à celles du droit commun de la publicité foncière sont applicables à Mayotte [76]. Le fait d’avoir recours à lui pouvait être interprété comme l’exercice de l’option de lois prévue par les textes. Mais désormais, les personnes relevant du statut personnel mahorais n’ont plus le choix de l’officier public : peuvent-elles alors, si elles le souhaitent, exiger du notaire de droit commun l’application des règles du statut civil de droit local ? Certainement, car l’autorité de l’article 75 de la Constitution s’impose aussi au notaire…

51La première question ainsi résolue, un autre sujet de discussion fait aussitôt son apparition : le statut civil de droit local peut-il être écarté pour contrariété à l’ordre public ?

B. — La contrariété du statut civil de droit local à l’ordre public

52La désignation du statut personnel applicable constitue, aujourd’hui encore plus qu’hier, du fait de la récente réorganisation juridictionnelle à Mayotte, un « saut dans l’inconnu ». L’ordre public peut-il alors intervenir ? Cela semblerait impossible, car le droit français des conflits internes de lois exclut le mécanisme de l’éviction pour contrariété à l’ordre public (international) d’un statut personnel coutumier : la « Cour de cassation ne contrôle pas l’application par les juges du fond des règles coutumières, au regard de l’ordre public » [77]. Cette exclusion est traditionnellement justifiée par l’existence d’un législateur unique, « centralisé » [78]. Pourtant, le statut personnel de droit local ne manque pas de règles qui peuvent paraître choquantes au regard du statut civil de droit commun. La permission de la polygamie et de la répudiation a bien entendu nourri les premières controverses, comme contraires au principe d’égalité entre époux, mais leur suppression devrait tarir les polémiques à leur sujet. Cependant, si le feu de la discorde paraît éteint, les flammes du contentieux peuvent rester vives : la suppression de la polygamie ne rend pas monogames ceux qui étaient polygames avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Comment alors, dans quelques années, régler la succession d’un homme laissant derrière lui plusieurs épouses et plusieurs enfants, dont certains peut-être naturels (naturels au regard du droit commun, mais inexistants au regard du droit coutumier) ? Si la première épouse avait renoncé à son statut personnel particulier, faut-il considérer la seconde union comme nulle, comme contraire à l’ordre public de « proximité » ? Les deux épouses sontelles, en même temps, les « conjoints survivants » du défunt et viennent-elles toutes les deux à sa succession ?

53Toutes les règles « déplaisantes » du statut personnel mahorais n’ont pas, quoi qu’on en dise, été nécessairement supprimées, même si elles se trouvent désormais en partie limitées, et elles pourront prolonger encore longtemps leurs effets. On peut donc toujours s’interroger sur l’éventuelle contrariété à l’ordre public du statut personnel mahorais, notamment en matière de successions et de libéralités.

54Dans ces domaines, les spécificités mahoraises sont en effet encore assez nombreuses. En droit commun, l’héritier succède à la personne du défunt, à l’actif et au passif ; en droit musulman, les héritiers sont déchargés de toutes les dettes et ne succèdent qu’à l’actif : on prélève les frais de funérailles, les dettes et les legs ; l’actif restant est ensuite partagé entre les successibles [79]. Du côté des libéralités, certaines sont inconnues du droit commun, comme le waqf, institution voisine de la fondation et de la donation : la nue-propriété est attribuée par un particulier à une oeuvre d’utilité publique, pieuse ou charitable et l’usufruit revient à une ou plusieurs personnes vivantes. Le bien donné en usufruit devient inaliénable jusqu’au décès du dernier dévolutaire [80].

55Mais une institution inconnue n’est pas fatalement contraire à l’ordre public. Ce sont alors surtout les règles relatives au partage qui posent problème. Celles-ci instaurent une inégalité du partage de la succession en décidant que la filiation naturelle ne peut créer de droits successoraux ni, a fortiori, la filiation adultérine ; par ailleurs, les filles du de cujus auront droit chacune à la moitié de ce qui revient à chacun de ses fils et on n’hérite pas de la ligne maternelle [81].

56La situation a certes changé il y a quelques années, notamment en vertu de l’article 52-4 de la loi du 11 juillet 2001 (introduit par la loi du 23 juillet 2003) précisant qu’est « […] interdite toute discrimination pour la dévolution des successions qui serait contraire aux dispositions d’ordre public de la loi. Le présent article est applicable aux enfants nés après la promulgation de la loi du 21 juillet 2003 ». La loi a donc une première fois endigué certaines conséquences discriminatoires entraînées par l’application du statut civil de droit local… tout en traitant les héritiers de façon inégalitaire puisqu’une distinction en fonction de la date de naissance était posée. Cette inégalité de traitement a été corrigée par l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 qui, dans son article 12, interdit « toute discrimination pour la dévolution des successions qui serait contraire aux dispositions d’ordre public », sans distinguer selon la date de naissance. Mais si l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 supprime les discriminations, elle ne le fait que pour la dévolution des successions. Cela ne changera rien, en amont, au fait qu’aucune filiation n’aura pu, peut-être, être établie pour certains enfants. Peut-on alors écarter les règles du statut civil de droit local et doit-on permettre alors d’établir au préalable le lien de filiation selon le droit commun, comme on le fait à l’encontre d’un droit étranger ne permettant pas l’établissement de la filiation d’un enfant de nationalité française ou résidant en France [82] ? Les dispositions de l’ordonnance ne le prévoient pas et ne permettent pas une interprétation en ce sens.

57Par ailleurs, la limite posée (la contrariété « aux dispositions d’ordre public ») est-elle suffisante ? Les dispositions d’ordre public sont en principe celles auxquelles on ne peut déroger par convention. En matière de successions, la dévolution successorale est fixée par la loi, mais en tant qu’on peut y déroger par testament, elle n’est pas impérative ; seule la réserve héréditaire l’est. En droit commun, les héritiers réservataires sont les enfants (quelle que soit leur filiation, légitime, naturelle, adoptive et sans distinction de sexe) et le conjoint survivant (en l’absence d’enfants). L’article 12 de l’ordonnance remet donc uniquement en cause les règles du statut civil local posant une inégalité, dans la répartition de la réserve héréditaire, entre enfants naturels et légitimes ainsi qu’une inégalité entre hommes et femmes (celles-ci ne recueillant que la moitié de la part d’un homme, selon le statut coutumier). L’ordre public dont il s’agit ici est un ordre public interne bien délimité et se distingue du mécanisme de l’éviction d’un droit étranger pour contrariété aux conceptions françaises de l’ordre public international.

58Peut-on alors envisager s’inspirer de ce mécanisme du droit international privé pour toutes les fois et tous les cas où la limite tenant à la présence de « dispositions d’ordre public » n’est pas prévue ? Certains auteurs y sont favorables, notamment lorsque les règles en conflit émanent d’une autorité locale (comme en Nouvelle-Calédonie). Cependant, lorsque la source des législations locales ou personnelles se trouve dans la dépendance du pouvoir central (comme à Mayotte où le Parlement peut modifier le contenu du statut personnel), il n’est pas certain, selon les mêmes auteurs, que l’ordre public puisse jouer de la même façon qu’en droit international privé [83]. Il est alors proposé un ordre public « de construction », « soit afin d’éliminer de l’ordonnancement juridique de l’État central les normes d’entités locales ou personnelles qui paraissent peu compatibles avec les principes fondamentaux dudit État, soit afin de faire évoluer les normes édictées par ces entités dans un sens plus conforme aux valeurs défendues par le droit dominant » ou encore un ordre public d’assimilation ou « de développement » [84]. C’est d’ailleurs ainsi, finalement, que l’on a procédé pour Mayotte depuis une dizaine d’années : on délimite le statut particulier, on établit une hiérarchie entre les statuts personnels au bénéfice du statut civil de droit commun, on prévoit des options de lois en faveur du droit commun, on supprime peu à peu les spécificités locales et les juridictions locales et tout ceci conduira infailliblement à une acculturation du statut civil de droit local vers un alignement sur le droit commun.

59Cette perspective d’évolution n’empêche pas de s’interroger, audelà sa compatibilité avec l’ordre public, sur la compatibilité conventionnelle et constitutionnelle du statut civil de droit local.

C. — La compatibilité du statut civil de droit local avec les normes internationales et constitutionnelles

60Le statut personnel mahorais, s’il ne peut être écarté pour contrariété à l’ordre public, peut-il l’être pour cause d’incompatibilité avec une source internationale, telle que la Convention européenne des droits de l’homme ? Peut-il faire l’objet d’un contrôle de conventionnalité ? Le statut personnel mahorais est-il compatible avec les droits et libertés garantis par la Constitution ? Peut-il faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité [85] ?

61La première interrogation se trouve dans la continuité de la réflexion relative à la conformité à l’ordre public, notamment lorsque le contrôle concerne la Convention européenne des droits de l’homme. On sait en effet que cette convention a bien souvent nourri notre conception de l’ordre public international [86]. Il n’est pas certain, cependant, que la Convention peut servir à écarter le statut coutumier au prétexte que certaines solutions y seraient contraires. La France en effet, lors de son adhésion, a formulé une réserve consistant à n’appliquer le texte outre-mer qu’en tenant compte des nécessités locales ( [87]. Ensuite, en matière civile, l’article 75 pose un principe d’égalité entre deux sortes de statuts personnels, l’un étant de droit commun et l’autre de droit spécial ; ces statuts ne sont pas hiérarchisés par le texte constitutionnel, mais chacun dispose de son domaine d’application. Cette égalité des statuts civil et coutumier a ainsi valeur constitutionnelle et « la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’appliqu[e] pas dans l’ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle » [88]. Cela a conduit certains auteurs à penser que les statuts personnels particuliers de la République ne pourraient pas faire l’objet d’un contrôle de conventionnalité : lorsqu’une convention internationale est en effet en cause, on est en présence d’une norme supralégislative, mais infraconstitutionnelle (la convention), mais aussi d’un ensemble de normes dont la Constitution impose le respect (le statut personnel). Faire prévaloir le traité sur le statut personnel viderait alors l’article 75 de la Constitution de son sens. Ainsi une règle de statut personnel ne pourrait être écartée en raison de sa contrariété avec un texte international ou européen [89].

62Séduisante, cette position est-elle tenable ? En supposant même qu’on ne puisse ni faire jouer l’ordre public, pour des raisons notamment techniques tenant à l’origine interne de la règle de statut personnel, ni a priori déclarer cette règle incompatible avec un engagement international liant la France, la discrimination entre les enfants dépendant du statut coutumier et ceux relevant du statut civil de droit commun étant pourtant flagrante, ne faut-il pas plutôt considérer que seule l’existence des statuts personnels est garantie constitutionnellement, à l’exclusion de leur contenu, comme l’a récemment affirmé le Conseil constitutionnel [90]. On devrait alors admettre qu’un contrôle de conventionnalité est possible, car les règles que contient le statut personnel, les sources de son contenu, ne sont pas de rang constitutionnel.

63Le législateur, par ailleurs, peut légitimement adopter des règles de nature à faire évoluer les règles du statut personnel « dans le but de les rendre compatibles avec les principes et droits constitutionnellement protégés ». Les objectifs sont clairement affichés et l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 a elle-même été prise sur le fondement de l’article 72 de la LODEOM [91] qui vise, pour Mayotte, à « actualiser et adapter l’organisation juridictionnelle et modifier le statut civil personnel de droit local, afin d’assurer le respect des principes constitutionnels et des droits fondamentaux ». La nouvelle organisation juridictionnelle a fait disparaître les spécificités juridictionnelles mahoraises, en raison notamment du manque d’indépendance [92] et d’impartialité des cadis[93]. Pour le reste du statut personnel, en revanche, il n’est pas sûr que les principes constitutionnels et les droits fondamentaux soient respectés. L’inégalité juridique entre hommes et femmes dans les domaines de la polygamie, de la répudiation, du droit successoral, de l’autorité parentale, ainsi que l’inégalité juridique entre enfants naturels, adoptifs et légitimes, sont de nature à heurter des principes tant conventionnels que constitutionnels. Polygamie et répudiation ont été supprimées, mais des inégalités subsistent, notamment en matière de capacité juridique.

64Dans ce domaine, le statut civil de droit local place la femme dans une situation d’infériorité juridique notoire, par rapport à son tuteur (wali) et par rapport à son mari [94]. La condition juridique de la femme mahoraise a toutefois déjà été améliorée ; rappelons que : « Toute femme mariée ou majeure de dix-huit ans peut librement exercer une profession, percevoir les gains et salaires en résultant et disposer de ceux-ci. Elle peut administrer, obliger et aliéner seule ses biens personnels » [95]. Est visée : toute femme soit mariée soit majeure de 18 ans. A contrario, la femme de moins de dix-huit ans reste soumise à son père ou à son tuteur (et non à ses « parents »). A contrario également, la disposition ne s’applique pas aux hommes dont la capacité reste entièrement soumise au statut civil de droit local. Ainsi, contrairement à ce que prévoit le statut coutumier, il n’y a pas (ou plus) d’incapacité juridique de la femme mariée, ni d’autorité « paternelle ». D’une manière générale, la majorité civile de la femme est également fixée à dix-huit ans.

65Cependant, même ainsi affirmée, la capacité juridique de la femme mahoraise reste limitée. Elle ne s’applique qu’au libre exercice d’une profession, à la libre perception et disposition des gains et salaires, à la libre administration des biens personnels. Pour le reste, faut-il comprendre que la Mahoraise de statut civil de droit local ne dispose pas d’une capacité juridique aussi étendue que la Mahoraise de statut civil de droit commun ? Peut-elle agir seule en justice (sans être représentée) ? Peut-elle renoncer seule à son statut personnel ou doit-elle être représentée comme le sont les mineurs ? Peut-elle conclure tout acte juridique, même grave, ayant un autre objet que la profession ou la gestion des biens personnels, sans que la validité de cet acte puisse être remise en cause ? Peut-on, le cas échéant, faire jouer l’apparence ? D’une incapacité générale d’exercer seule ses droits, la femme mahoraise n’est finalement promue qu’à une capacité spéciale ! Elle n’a obtenu de liberté que pour l’exercice de certains droits et en dehors du bénéfice de cette disposition spéciale qui déroge au statut civil de droit local, toutes les autres questions relatives à la capacité juridique devraient être soumises aux règles « traditionnelles » de son statut personnel.

66Le champ limité de l’article 10 de l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010, fait craindre évidemment un traitement juridique par trop inégalitaire de la femme mahoraise. Cette disposition pourrait alors être lue à la lumière d’une autre : « La collectivité départementale et l’État mettent en oeuvre conjointement les actions destinées à assurer l’égalité des femmes et des hommes » (art. 2 ord. n° 2010-590 du 3 juin 2010). Ainsi, toute règle limitant la capacité juridique de la femme pourrait être écartée. Malgré cette perspective optimiste, la lecture de cet article 2 conduit à la prudence : le texte fixe un objectif et non une règle : la disposition a-t-elle alors un véritable caractère normatif ? Les règles du statut mahorais faisant apparaître une discrimination fondée sur le sexe ne s’en trouvent donc pas éliminées d’un coup pour autant… Certaines dispositions du statut personnel mahorais heurtent alors encore de front le principe d’égalité.

67Le principe d’égalité n’est pas présent en tant que tel dans la Convention européenne des droits de l’homme [96], mais il est reconnu dans d’autres textes internationaux [97] et encore, et surtout, par l’article 1er de notre Constitution [98] qui renvoie elle-même à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et son fameux article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits […] ». Ainsi, même si aucune convention internationale n’est applicable, poser la question de constitutionnalité reste possible [99]. Une disposition du statut personnel mahorais peut-elle alors faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité [100] ?

68Plusieurs conditions de recevabilité sont posées. L’article 61-1 de la Constitution précise que seule « une disposition législative [qui] porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit » [101] pourra être déférée au Conseil constitutionnel. La disposition contestée doit ensuite être applicable au litige, à la procédure ou constituer le fondement des poursuites ; elle ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances (cf. autorité de chose jugée des décisions du Conseil) [102] ; la question, enfin, ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux.

69De ces conditions les trois dernières ne soulèvent pas de difficulté particulière. Il n’en va pas de même de la première : seules les dispositions législatives peuvent faire l’objet d’une QPC. Quelle est alors la nature exacte des règles du statut personnel mahorais ?

70Le « statut civil de droit local applicable à Mayotte » puise à la fois à des sources formelles et des sources informelles. Seules les sources formelles peuvent prétendre, strictement, s’élever au rang des dispositions « relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte ».

71Parmi les sources formelles, outre la Constitution elle-même, on peut citer le Traité de cession du 25 avril 1841 par lequel la France s’est engagée à respecter le statut mahorais. Ce sont ensuite des textes d’origine réglementaire et « territoriale » qui, en partie, organisent ou organisaient le statut personnel local : le décret du 1er juin 1939 portant organisation de la justice indigène dans l’archipel des Comores [103] ; la délibération n° 61-16 du 17 mai 1961 de l’assemblée territoriale des Comores relative à l’état civil à Mayotte [104], modifié par l’acte n° 71-13 du 30 septembre 1971 de la chambre des députés des Comores ; la délibération n° 64-12 bis du 3 juin 1964 de la chambre des députés du territoire des Comores portant réorganisation de la procédure en matière de justice musulmane [105]. Enfin, ces dernières années, ordonnances, lois et décrets se disputent la vedette pour à la fois affirmer et faire évoluer le statut civil de droit local, parallèlement aux velléités statutaires des citoyens mahorais vers la création d’un 101e département français et 5e département d’outre-mer.

72Mais ces sources formelles ne fixent que le cadre du statut personnel sans en déterminer le contenu. Les textes règlementaires cités renvoient alors à d’autres sources spécifiques au statut mahorais. Le statut civil de droit local mahorais puise en effet ses véritables sources, originelles, essentielles, fondamentales, à la fois dans la religion (règles de droit musulman) et dans certaines coutumes locales. Les règles issues du droit musulman sont exprimées dans un recueil intitulé Minhadj at Twalibine ou Guide des zélés croyants, écrit au 13e siècle, inspiré du rite chaféite (l’un des quatre rites sunnites) [106]. Ce texte, reconnu comme source officielle du droit musulman dans l’archipel par le décret précité du 1er juin 1939, est complété par d’autres traités de rite chaféite : le fath al quarib, le kétab el tambin, le fath el moeni, tous trois rendus applicables par la délibération n° 64-12 bis du 3 juin 1964. Les coutumes, quant à elles, viennent des populations d’origine africaine, malgache ou arabe arrivées dans l’île au fil des siècles, et sont souvent dérogatoires aux dispositions écrites du Minhadj, qu’elles viennent adoucir. Elles n’ont jamais été codifiées, mais ont été érigées en sources du droit local, par les mêmes textes réglementaires que précédemment et au même titre que le droit musulman [107].

73Comment, dès lors, articuler l’ensemble de ces sources ?

74L’interprétation de l’article 75 de notre Constitution conduit à placer le statut civil de droit commun (« seul visé à l’article 34 ») dans le domaine de la loi et le statut personnel particulier dans celui du règlement [108]. Concernant Mayotte, d’origine religieuse et coutumière, les règles du statut personnel ont été consacrées par des textes de nature réglementaire, ce qui exclurait la possibilité d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori par le Conseil constitutionnel. Mais il faut admettre l’existence d’une compétence concurrente au profit de la loi. Aussi, depuis la loi du 11 juillet 2001, c’est le législateur qui réglemente principalement le statut civil mahorais, ainsi que le pouvoir réglementaire, par voie d’ordonnances qui sont ensuite ratifiées pour accéder au rang de lois. On en revient cependant au problème initial : le contenu même du statut personnel n’est pas posé dans la loi, mais dans la coutume ou le droit musulman tel qu’il a été reçu dans l’archipel des Comores. On ne pourrait donc directement déférer devant le Conseil l’examen d’une règle inégalitaire du Minhadj. Seules des « dispositions » législatives, par exemple celles de l’ordonnance ratifiée du 3 juin 2010 pourraient être contrôlées, en ce que, négativement, elles laissent subsister des inégalités : l’article 10 est incomplet au sujet de l’émancipation des femmes et les inégalités successorales demeurent, puisqu’aucune disposition n’impose réellement l’égalité des filiations ou n’aboutit à celle-ci, faute, condition préalable, de lien de filiation établi [109]. Ceci pose encore le problème de l’incompétence négative du législateur, garant pourtant des droits et libertés. Ainsi, un défaut d’intervention dans la garantie d’un droit ou d’une liberté peut-il être invoqué à l’appui d’une QPC si un lien avec l’atteinte à un droit fondamental est démontré : « la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit » [110].

75D’être ainsi levé [111], l’obstacle ouvre la voie à une ultime question, tout à fait nouvelle : si l’on peut abroger la disposition législative déclarée inconstitutionnelle, peut-on abroger les sources du statut personnel mahorais ? Certainement pas. Les sources du statut personnel n’ont peut-être pas en elles-mêmes valeur constitutionnelle, mais elles bénéficient d’une protection constitutionnelle qui se traduit par l’interdiction de remettre en cause l’existence du statut personnel. Cela conduit, finalement à l’interdiction d’abroger les sources du droit du statut personnel [112].

76C’est pourtant ce que vient de faire le législateur : l’article 16 de l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010, ratifiée par la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010, dans son article 16, a tout simplement, mais sans réserve et définitivement, abrogé la délibération n° 12 bis du 3 juin 1964 de la chambre des députés des Comores portant organisation de la procédure en matière de justice musulmane, ainsi que le décret du 1er juin 1939 portant organisation de la justice indigène dans l’archipel des Comores, dont l’article 6 prévoyait que : « Les cadis jugent d’après le droit musulman et les coutumes indigènes. Le code musulman Minihadji el Talihir est seul officiel et applicable dans l’archipel ». L’idée était initialement, il est vrai, de faire disparaître les attributions juridictionnelles et notariales des cadis, mais n’a-t-on pas, du même coup, fait disparaître l’ensemble des règles que les cadis appliquaient jusque-là ? Les coutumes indigènes et le Minihadj ne sont alors plus officiellement applicables à Mayotte ! Voilà le résultat inattendu auquel conduisent les dernières retouches du législateur et qui, en le vidant ainsi de ses sources, transforment le statut civil de droit local en spectre…

77La conservation et l’application de son statut personnel par le citoyen qui n’y a pas renoncé est un droit que l’article 75 de la Constitution garantit ; la disposition d’une ordonnance ratifiée est bien une disposition de nature législative ; l’article 16 de l’ordonnance n° 2010-590, en ce qu’il fait disparaître les sources essentielles du statut personnel mahorais, est contraire à un droit que la Constitution garantit, et pourrait faire l’objet d’une QPC.

78Cette dernière « question » s’ajoute alors à toutes les autres questions que nous avons posées dans notre étude, plus nombreuses que les réponses apportées, ce que nous pouvons, bien sûr, regretter. Elles témoignent, cependant, de la difficile et complexe coexistence, au sein de la République, de statuts personnels dont les inspirations et les fondements sont bien différents. L’opération peut bien être tentée, et elle l’a été, mais la greffe ne prend pas toujours et les effets secondaires sont nombreux. Toutes ces anomalies révèlent également l’embarras du législateur : dans le même temps, il pose une chose et son contraire, ce qui ne peut qu’aboutir à de mauvaises et malheureuses formules et soumet ainsi le « matériel de laboratoire » et le « laboratoire » lui-même au risque d’explosion. Espérons alors que les praticiens du droit, à commencer par les juges, se révèlent être de bons médecins, car les problèmes pratiques ne s’évanouissent pas d’un simple trait de plume et restent bien réels : même si le statut personnel mahorais devient une ombre, son fantôme risque de hanter les prétoires… pour encore un moment…

79Saint-Denis de La Réunion, le 27 juin 2012

Notes

  • [1]
    C’était auparavant l’article 82 de la Constitution du 27 octobre 1946 qui protégeait l’existence des statuts personnels particuliers : « Les citoyens qui n’ont pas le statut civil français conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé » (§ 1) ; « Ce statut ne peut en aucun cas constituer un motif pour refuser ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français » (§ 2).
  • [2]
    Les dénominations peuvent varier : « statut personnel particulier » ou « statut civil particulier », « statut civil de droit coutumier et propriété coutumière ». Cette dernière expression désigne le statut personnel particulier propre à la Nouvelle-Calédonie, la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie faisant expressément référence au statut civil coutumier kanak. Le statut civil coutumier kanak englobe tout le droit civil ; cf. Cass., avis n° 005-0011 du 16 mars 2005, RJPENC, n° 7, 2006, note P. Frezet ; RTD civ. 2006. 516, obs. P. Deumier ; Cass., avis n° 007-0001 du 15 janvier 2007, RJPENC, n° 9, 2007, note L. Sermet ; Droit et Cultures, n° 54, 2007, note P. Frezet : « Les personnes de statut civil coutumier kanak sont régies, pour l’ensemble du droit civil, par leur coutume ».
  • [3]
    Pour une récente étude française véritablement complète, v. V. Parisot, Les conflits internes de lois, th. Paris I, 2009 (à paraître aux éditions de l’Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne, IRJS), et son imposante bibliographie.
  • [4]
    Ou encore un « ensemble de qualités juridiques de la personne pour lequel il s’agit de déterminer la loi applicable » : Ph. Francescakis, « Statut personnel », in Rép. dr. internat. Dalloz, 1969, n° 1, p. 871 ; H. Batiffol, « Une évolution possible de la conception du statut personnel dans l’Europe occidentale », in Choix d’articles rassemblés par ses amis, LGDJ, 1976, p. 213 ; F. Boulanger, « Essai comparatif sur la notion de statut personnel dans les relations internationales des pays d’Afrique noire », cette Revue, 1982. 647 ; A. Boyer, « Les autochtones français : populations, peuples ? Les données constitutionnelles », in Les autochtones de l’outre-mer français, Droit et Cultures, 1999/1. 115 ; M. Hunter-Henin, Pour une redéfinition du statut personnel, PUAM, 2004.
  • [5]
    Déterminer le statut personnel dont relève une personne, c’est rechercher la communauté à laquelle elle appartient afin de définir les règles auxquelles elle est soumise. V. A. Lainé, « Le Droit international privé en France considéré dans ses rapports avec la théorie des statuts », JDI 1885, spéc. p. 134-143 ; G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Puf ; A.-M. Leroyer, « La notion d’état des personnes », in Ruptures, mouvements et continuité du droit : autour de Michelle Gobert, Mélanges, Economica, 2004, n° 9 s., p. 254 ; J. Rochfeld, « Regroupement familial. Loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile (JO 21 novembre 2007, p. 18993) », RTD civ. 2008. 169.
  • [6]
    O. Guillaumont, « Statuts personnels et Constitution », RRJ 2001. 1453 et 1549 ; « Le statut civil de droit local applicable à Mayotte », RJP 2002/2. 213 ; P. Schultz, « Le statut personnel à Mayotte », Les autochtones de loutre-mer français, op. cit., p. 95.
  • [7]
    P. Brossier, « L’état civil à Mayotte », in O. Gohin et Pierre Maurice (dir.), Mayotte, Université de La Réunion, LGDJ, 2e éd., 1996, p. 275 s. ; J.-B. Seube, « L’application de la loi à Mayotte », J.-Cl. Civil, app. art. 3, fasc. 5, 2005, n° 22 ; G. Kalfleche, sous TA Mamoudzou, 9 février 2006, aff. n° 0500197, et sous TA Mamoudzou, 20 mars 2006, aff. n° 0400218, RJOI 7/2007. 210-211.
  • [8]
    Art. 3 L. n° 2001-616 du 11 juillet 2001 ; J.-Ph. Thiellay, « La perspective 20042010 pour la collectivité départementale de Mayotte », in Mayotte dans la République, actes du colloque de Mamoudzou, 14, 15 et 16 septembre 2002, Montchrestien, coll. Grands colloques, 2004, p. 117. Pour un ensemble de l’évolution, v. Mayotte 2009 : Questions sur l’avenir du 101e Département, RJOI, n° spécial 2009 et not. : O. Gohin, « Mayotte : la longue marche vers le droit commun », p. 5 ; M. Kamardine, « La marche mahoraise vers le droit commun… ou de la difficulté de demeurer français », p. 19 ; C. Mouriapregassin, « La révision de l’état civil à Mayotte », p. 99 ; J.-B. Seube, « Questions de droit privé à Mayotte », p. 133 ; « Les dispositions de la loi “immigration et intégration” touchant au statut civil de droit local de Mayotte », p. 139 ; O.-S. Benard, « La protection sociale à Mayotte à l’ère de la départementalisation », p. 203. V. aussi La mise en œuvre de la départementalisation à Mayotte, actes (extraits) du colloque Conseil général de Mayotte et de l’Institut de droit d’outre-mer (IDOM) (Mamoudzou, 9-11 décembre 2009), RJOI 13/2011. 5 s. ; L. Baghestani, « À propos des lois organique et ordinaire du 7 décembre 2010 relatives au Département de Mayotte », LPA 12 janvier 2011, n° 8, p. 3.
  • [9]
    Ord. n° 2002-1476 du 19 décembre 2002, ratifiée par la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003, entrée en vigueur le 1er juin 2004. Pour une condamnation du procédé : R. Cabrillac et J.-B. Seube, « Pitié pour le Code civil (à propos de l’ordonnance n° 20021476 du 19 décembre 2002) », D. 2003. 1058 ; J.-B. Seube, « Les articles 2284 à 2302 du Code civil : Mayotte honorée, le Code civil défiguré », RJOI 2002-2003, n° 3, p. 153 ; « Les techniques de codification : l’expérience mahoraise », RJOI 2003-2004, n° 4, p. 85 ; « Les causes et les techniques de codification a Mayotte », in Le code civil dans l’Océan Indien : 1804-2004, actes du colloque des 6 et 7 décembre 2004 à Antananarivo (Madagascar), RJOI 2006, n° spécial, p. 20.
  • [10]
    La loi ordinaire du 7 décembre 2010 renvoie cependant à des ordonnances l’extension de l’application de nombreuses législations et leur adaptation aux caractéristiques et contraintes de l’archipel. Ainsi il y a toujours un Code des douanes de Mayotte, un Code du travail applicable à Mayotte. Par exemple, le Code du travail applicable à Mayotte (art. L. 011-1 s.) contient de véritables règles de conflit internes de lois. Par ailleurs, si les jours fériés du calendrier correspondent pour la plupart aux fêtes catholiques, à Mayotte, les fêtes musulmanes de Miradji, Idi-el-Fitri, Idi-el-Kabir et Maoulid sont des jours fériés supplémentaires (art. L. 222-I C. trav. applicable à Mayotte).
  • [11]
    Ord. n° 2010-590 du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître, JO 4 juin 2010.
  • [12]
    F. Perron, « La commission de révision de l’état civil à Mayotte », in Mayotte dans la République, op. cit., p. 345 ; P. Brossier, op. cit., spéc. p. 278.
  • [13]
    J.-R. Binet, « Le croissant et la balance. De quelques spécificités du droit applicable à Mayotte au crépuscule de la justice cadiale », RlD comp. 2002. 787, spéc. 801. V. aussi : Réflexions sur Favenir institutionnel de Mayotte, Doc. fr., coll. Rapports officiels, 1998.
  • [14]
    Le droit comorien, depuis l’indépendance, a fait son chemin. C’est le Code comorien de la famille, adopté le 3 juin 2005, qui contient actuellement les règles applicables, celles-ci faisant une synthèse entre droit coutumier et religieux, droit d’inspiration française, et droit international : L. Sermet, Une anthropologie juridique des droits de lhomme. Les chemins de lOcéan Indien, éd. des Archives contemporaines, 2009, p. 47 ; D. Abdou, Le droit comorien, entre tradition et modernité, Mamoudzou, éd. du Baobab, 2008 ; A. Ali Abdallah, Le statut juridique de Mayotte : concilier droit interne et droit international, réconcilier la France et les Comores, th. Université de La Réunion, 2011. Pour le passé, v. le Recueil des textes législatifs et réglementaires (de la République islamique des Comores), PUAM, 1996 ; I. Ali Mzimba, « La codification : l’expérience comorienne », RJOI 2003-2004 (n° 4), p. 115.
  • [15]
    L. n° 75-560 du 3 juillet 1975 relative à l’indépendance du territoire des Comores, JO 4juillet 1975 ; L. n° 75-1337 du 31 décembre 1975 relative aux conséquences de l’auto-détermination des îles des Comores, JO 4 janvier 1976. Madagascar accéda à l’indépendance le 26 juin 1960.
  • [16]
    P. Lagarde, La nationalité française, Paris, Dalloz, 4e éd., 2011, n° 63.101 s.
  • [17]
    Art. 1er, al. 3, ord. n° 2010-590 du 3 juin 2010.
  • [18]
    C’est le pouvoir réglementaire qui l’organisa pour la première fois par l’arrêté du 8 décembre 1926 relatif à l’état civil dans l’archipel des Comores, modifié ensuite par la délibération du 26 avril 1947 du Conseil général des Comores, puis l’arrêté du 12 octobre 1950 de l’administrateur supérieur des Comores. La matière était entièrement régie il y a peu par la délibération n° 61-16 du 17 mai 1961 de l’assemblée territoriale des Comores relative à l’état civil des Comoriens musulmans, Journal officiel des Comores (JOC) 1961. 258. Cette délibération a été modifiée par l’acte n° 71-13 du 30 septembre 1971 de la chambre des députés des Comores et par l’ordonnance n° 2000-219 du 8 mars 2000 relative à l’état civil à Mayotte, afin de moderniser cet état civil. Aux difficultés pratiques liées à l’organisation de l’état civil à Mayotte, s’ajoute la difficulté d’identifier les personnes par leur nom de famille. D’origine coutumière, les règles du statut personnel local ne connaissent pas la notion de nom de famille transmissible : v. M. Lamarche, « État civil et statut personnel à Mayotte (de l’ordonnance de Villers-Cotterêts à la recherche d’une identité pour les Mahorais du 101e département français) », Dr. fam. 2009/4. 3. L’organisation et la preuve de l’état civil étant rendues difficiles dans ces conditions, l’ordonnance n° 2000-218 du 8 mars 2000 (ratifiée par la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003) a fixé les règles de détermination des noms et prénoms des personnes de statut civil de droit local applicable à Mayotte. Les Mahorais ont dès lors été invités à choisir un nom et un prénom parmi les différents vocables qui permettaient de les identifier.
  • [19]
    « Lorsqu’une naissance n’aura pas été déclarée dans le délai légal, l’officier d’état civil ne pourra la relater sur ses registres qu’en vertu d’un jugement supplétif d’état civil rendu par le tribunal de cadi du lieu de naissance » : art. 16 et 17 de la délibération n° 61-16 du 17 mai 1961, op. cit. ; J. Massip, « Règles applicables à Mayotte », Defrénois, 30 octobre 2010, n° 18, art. 39163-1, p. 2019.
  • [20]
    Ord. du 3 juin 2010, art. 8 : « Lorsqu’un mariage célébré antérieurement à la publication de l’ordonnance du 8 mars 2000 fixant les règles de détermination des nom et prénoms des personnes de statut civil de droit local applicable à Mayotte n’aura pas été déclaré à l’officier de l’état civil, celui-ci ne pourra le relater sur ses registres qu’en vertu d’un jugement supplétif de mariage rendu par le tribunal de première instance à la requête des époux ou de l’un d’entre eux ou du procureur de la République ».
  • [21]
    Le décret n° 2000-1261 du 26 décembre 2000 portant application de l’Ordonnance du 8 mars 2000 et relatif à la Commission de révision de l’état civil à Mayotte organise cette institution originale.
  • [22]
    Art. 18 ord. du 8 mars 2000. La CREC a achevé à la fin de l’année 2011 le traitement des dossiers qui lui avaient été soumis.
  • [23]
    Ord. du 3 juin 2010, art. 3 (art. 57, anc., L. n° 2001-616 du 11 juillet 2001) : « Toute personne de statut civil de droit local peut renoncer à ce statut au profit du statut civil de droit commun. La demande en renonciation doit émaner d’une personne majeure de dix-huit ans, capable, agissant en pleine connaissance de cause et se trouvant dans une situation juridique qui ne fasse pas obstacle à son accession au statut demandé. Elle est portée devant la juridiction civile de droit commun. La demande en renonciation au bénéfice d’un mineur est faite par toute personne exerçant dans les faits l’autorité parentale. Le mineur capable de discernement est entendu par le juge. L’audition du mineur ne peut être écartée que par une décision spécialement motivée. La procédure suivie en matière de renonciation au statut civil de droit local est déterminée par décret en Conseil d’Etat. Cette renonciation est irrévocable après que la décision la constatant est passée en force de chose jugée ».
  • [24]
    Décr. n° 2002-1168 du 11 septembre 2002 portant application de l’article 57 de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte et organisant la procédure de renonciation au statut civil de droit local.
  • [25]
    Pour les enfants mineurs la demande peut être formulée par « toute personne exerçant dans les faits l’autorité parentale ». Dans le statut civil de droit local, la notion d’autorité parentale n’existe pas juridiquement mais, dans les faits, elle est exercée par les parents mais aussi par d’autres membres de la famille, comme les oncles ou les grands- oncles. Cf. V. Parisot, op. cit., n° 851 et 853.
  • [26]
    L’absence de consécration textuelle interdit de considérer les Amérindiens de Guyane, malgré la spécificité de leurs coutumes, comme titulaires d’un statut personnel au sens de l’article 75 de la Constitution. De même, il n’existe pas de statut personnel polynésien. Plus précisément, celui-ci a été supprimé. Une ordonnance du 24 mars 1945 décida l’unification du statut des personnes dans l’ensemble de la Polynésie : O. Guillaumont, « Le statut civil de droit local applicable à Mayotte », op. cit. On peut néanmoins avoir encore à prendre en considération le statut personnel particulier des Algériens ou celui des citoyens des anciens Établissements français de l’Inde, tels qu’ils existaient avant l’indépendance des territoires concernés.
  • [27]
    Cf. L. Organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (art. 9).
  • [28]
    Les deux statuts personnels, mahorais et kanak, étant très différents l’un de l’autre, on voit mal à quoi peut conduire l’option. Le plus cohérent aurait été de viser les Comoriens. En effet, du point de vue du droit international privé (conflit international de lois), ils sont, abstraitement, de statut personnel différent. Mais substantiellement, ces deux statuts personnels sont très proches. Cependant, depuis l’indépendance des Comores, le conflit de lois est devenu international. Ainsi, l’article 5, alinéa 3, de l’ordonnance du 3 juin 2010 ne peut s’appliquer aux Comoriens : si l’on peut, certes, leur appliquer des règles proches du statut civil de droit local, ils ne peuvent relever du « statut civil de droit commun ».
  • [29]
    A Mayotte, une personne sur trois est Comorienne. En 2007, on comptait 72 039 Comoriens et 3 168 Malgaches pour 110 579 Français ; v. INSEE, Recensement de la population de Mayotte — 2007.
  • [30]
    Par ex. : Cass. civ. 1re, 23 mai 2006 (n° 05-16.809), décidant que c’était à bon droit que les juges du fond avaient appliqué le « droit coranique » aux rapports personnels d’époux relevant du statut personnel mahorais.
  • [31]
    Pour une espèce où, de façon discutable, la règle internationale de conflit de lois n’a pas été mise en œuvre, v. Cass. civ. 1re, 5 avril 2005, Bull. civ. I, n° 170 ; E. Ralser, « Conflits de familles et conflits internes de lois à Mayotte », in Familles, Liber amicorum Françoise Ringel, PUAM, 2007, p. 249. A compter du 21 juin 2012, les dispositions de l’article 309 du Code civil sont remplacées par celles du règlement « Rome III », sur la loi applicable au divorce et à la séparation de corps. Cela permettrait a priori à ce couple de choisir le droit comorien comme applicable à leur désunion.
  • [32]
    Cependant lorsque la règle de conflit de lois désigne un système juridique non unifié (comme le droit libanais, par exemple), on recherche ensuite dans ce système quel est le corps de règles applicable, ce qui conduirait ici à appliquer le statut civil de droit local de la mère (sauf si elle y a renoncé).
  • [33]
    Cass. civ. 1re, 25 février 1997, Abdallah, JCP 1997. IV. 863 ; cette Revue, 1998. 603, note G. Droz ; Dr. fam. mai 1998, n° 70, obs. Murat ; D. 1997. 463, note H. Fulchiron ; JCP 1997. II. 22968, note L.-A. Barrière et Th. Garé. Cet arrêt censure les juges du fond qui avaient fait application des règles du Code civil relatives à la possession d’état d’enfant légitime.
  • [34]
    On pourrait rédiger la règle de la façon suivante : « Le droit civil commun s’applique : 1/ si il y a une lacune du statut personnel particulier ; 2/ si l’une des personnes impliquées est de statut civil de droit commun ; 3/ si personne n’a opté pour l’un des statuts personnels en cause ».
  • [35]
    Le droit des désunions, devra toutefois être désormais lu à la « lumière » du règlement « Rome III ». V., not., P. Hamrnje, « Le nouveau règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps », cette Revue, 2011. 291.
  • [36]
    O. Gohin, « Mayotte : la longue marche vers le droit commun », op. cit.
  • [37]
    Aussi choquante qu’elle puisse paraître, la consécration d une option de lois en matière d’état des personnes n’est pas isolée. Le règlement « Rome III » de l’Union européenne en est un exemple aussi flagrant que discutable. Ce règlement CE n° 1259/2010 du 20 décembre 2010 est relatif à la loi applicable au divorce et à la séparation de corps. L’article 5 prévoit que les époux pourront choisir, par convention, la loi applicable à leur divorce, au sein cependant d un éventail de lois en apparence limité : loi de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention ; loi de la dernière résidence habituelle des époux si l un d eux y réside encore ; loi de la nationalité de l un des époux, loi du for. Ce dernier rattachement possible (loi du for) élargit cependant considérablement le champ des possibilités : en effet, comme la compétence juridictionnelle continue à être déterminée par application du règlement Bruxelles
  • [38]
    Il s agit toujours de conflit mobile, distinct du « simple » conflit de lois dans le temps où une règle est remplacée par une autre, par abrogation. Dans notre cas, il n y a pas d’abrogation d’un statut personnel par l’autre. Les deux restent en vigueur dans notre système juridique.
  • [39]
    Comp. avec les art. 13 à 16 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : la renonciation peut ne pas être définitive et un « retour » au statut coutumier est envisageable : CA Nouméa, 29 septembre 2011, n° 11/00046, Ministère public c/ César M. S., D. 2011. 2904, note P. Gourdon.
  • [40]
    Pour une étude détaillée, v. V. Parisot, op. cit., n° 829 s. et, sur le principe du maintien du régime matrimonial initial, v. n° 838 et la jurisprudence citée. Pour d autres propositions, v. C. Kuhn et Ch. Popineau, « La dualité droit commun — droit local : une difficile coexistence », RJOI 13/2011. 49.
  • [41]
    Ainsi, en matière de capacité, le changement de nationalité entraîne l’application de la loi nationale nouvelle, pour l’avenir, mais s’il s’agit d’apprécier la validité d’un acte juridique passé par l’intéressé, on se placera sous l’empire de la loi de l’ancienne nationalité, celle qui lui était applicable au moment de la conclusion de l’acte : Cass. civ. 15 mai 1963, Patino, cette Revue, 1964. 532 (1er arrêt), 506 (2e arrêt), note P. Lagarde ; JDI 1963. 1016 (1er arrêt), 996 (2e arrêt), note Malaurie ; JCP 1963. II. 13365 (1er arrêt), 13366 (2e arrêt), note Motulsky ; Gr. arrêts, n° 38-39.
  • [42]
    Comp. Cass. civ. 1re, 26 octobre 2011, n° 10-23.298, Dr. fam. 2012. comm. 17, obs. M. Farge : des époux, mariés en 1952 devant le cadi, avaient fixé leur premier domicile conjugal en Algérie ; dix ans après, ils s’étaient installés en France et avaient opté pour la nationalité française. Pour déterminer le droit applicable à leur régime matrimonial, la Cour de cassation conclut à l’application du droit musulman local.
  • [43]
    J. Héron, Principes du droit transitoire, Dalloz, 1996, n° 117 s.
  • [44]
    Certes, les règles internationales de conflit de lois, notamment en matière de régime matrimonial, ne s embarrassent pas toujours de cette légitime prévision, la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable au régime matrimonial prévoyant des cas de changement « automatique » de droit applicable. Mais nous savons également qu’il s agit là de l’un des gros points faibles de la convention, expliquant le très faible nombre de ratifications. La proposition de règlement de la Commission de l’Union européenne (COM(2011) 126 du 16 mars 2011) sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux ne prévoit pas de changement automatique.
  • [45]
    Comme en Nouvelle-Calédonie. À Mayotte seules certaines règles particulières du droit de propriété sont d’origine coutumière, comme la pratique du magnahoulé ou bien les règles de transmission successorale. Pour le reste, le droit commun s’applique mais, du fait de la spécialité législative, il a pu y avoir du droit local (mais non coutumier).
  • [46]
    F. Bonnelle (dir.), Réflexions sur l’avenir institutionnel de Mayotte, op. cit.
  • [47]
    L’ordonnance n° 2000-219 du 8 mars 2000 avait ainsi modifié les articles 26 et 27 de la délibération n° 61-16 du 17 mai 1961 de l assemblée territoriale des Comores relative à l état civil comorien. Ces articles relatifs au mariage ont de nouveau été modifiés par la loi n° 2006-911 du 24 février 2006, supprimant le mariage « de droit local » (c est-à-dire dans les formes traditionnelles).
  • [48]
    Parmi ces questions figure par exemple, en théorie, l âge auquel on peut se marier. Le statut civil de droit local permet, dans le principe et en pratique, le mariage de très jeunes filles. Cependant, l ordonnance n° 2000-219 du 8 mars 2000 relative à l état civil à Mayotte avait fixé l âge requis pour se marier à quinze ans pour la femme et dix-huit ans pour l’homme (art. 16). Le seuil a ensuite été relevé à dix-huit ans pour la femme (art. 144 C. civ., modifié par L. n° 2006-399 du 4 avril 2006) et l’ordonnance n° 2010590 du 3 juin 2010 (art. 9) étend ce seuil aux personnes relevant du statut civil de droit local. La femme mahoraise ne peut donc théoriquement se marier avant l’âge de dix-huit ans, même si le statut coutumier prévoit une règle différente. En relevant à dix-huit ans l âge légal du mariage des femmes, le texte permet l adhésion de la France à la convention sur le consentement au mariage, l âge minimum du mariage et l enregistrement des mariages, adoptée à New York le 7 novembre 1962, adhésion jusqu’ici différée en raison de la spécificité des règles applicables à Mayotte.
  • [49]
    Art. 30 de la délibération n° 61-16 du 17 mai 1961 de l assemblée territoriale des Comores relative à l’état civil des Comoriens musulmans, JOC 1961, p. 258 ; annexe à P. Brossier, op. cit.
  • [50]
    La disposition de l’article 433-20, C. pén., sur le délit de bigamie, n’étant applicable qu’aux personnes ayant le statut civil de droit commun (art. 725-5, C. pén.). V. Ord. n° 96-267 du 28 mars 1996, relative à l entrée en vigueur du nouveau code pénal dans les territoires d’outre-mer et dans la collectivité départementale de Mayotte. L’exclusion visait aussi l article 433-21 du Code pénal, punissant le ministre du culte ayant procédé à une célébration religieuse du mariage avant toute célébration civile.
  • [51]
    Loi de programme pour l’outre-mer n° 2003-660 du 21 juillet 2003 est venue modifier la loi statutaire du 11 juillet 2001 : « Nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du ou des précédents » (art. 52-2, al. 1, L. du 11 juillet 2001) ; « Les dispositions du Code civil relatives au divorce et à la séparation de corps sont applicables à Mayotte aux personnes relevant du statut civil de droit local [.] » (art. 52-3 L. du 11 juillet 2001) ; O. Guillaumont, « La réforme du statut civil de droit local et l’abandon de la polygamie à Mayotte », JCP 2003. 1553. Actualité 417. On notera aussi que, dans la matière du divorce, et sous réserve des dispositions de droit transitoire, le droit commun (cf. art. 32 L. n° 2004-439 du 26 mai 2004) remplace entièrement les règles du statut civil de droit local (V. Parisot, op. cit., n° 331).
  • [52]
    L’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 a été ratifiée par la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010, mais l’article 147 du Code civil n’a toujours pas subi la modification que l’ordonnance prévoit. Par sa ratification, l’ordonnance acquiert cependant valeur de loi et prime, du fait de sa date, sur la disposition du code.
  • [53]
    Le titre XIII du Livre Ier du Code civil n’étant pas étendu aux personnes relevant du statut civil de droit local, celles-ci ne peuvent a priori conclure un pacte civil de solidarité. À moins de soumettre celui-ci au droit commun ?… V. supra, la question de l option de lois.
  • [54]
    L’ordonnance actualise les règles de droit local relatives au mariage, en rendant applicables les dispositions du code civil relatives aux actes de mariage, aux qualités et conditions requises pour se marier, aux formalités relatives à la célébration, aux oppositions et aux demandes de nullité. Mais les chapitres V et VI du titre V du Livre Ier du Code civil, relatifs respectivement aux « obligations qui naissent du mariage » et aux « devoirs et droits respectifs des époux » ne sont pas visés par l article 9 de l ordonnance.
  • [55]
    Le régime primaire est considéré comme d’application « territoriale » en droit international privé : Cass. civ. 1re, 20 octobre 1987, Cressot, cette Revue, 1988. 540, note Y. Lequette ; JDI, 1988. 447, note A. Huet. Cependant, les dispositions de nature « alimentaire » sont régies par la loi applicable à l obligation alimentaire (Cass. civ. 6 novembre 1990) et d autres relèvent davantage de la loi des effets du mariage.
  • [56]
    L’idée de conclure un contrat de mariage ne traversera donc même pas l’esprit des futurs époux.
  • [57]
    C est l épouse qui a qualité pour recevoir la dot, à moins qu’elle ne soit sous tutelle, auquel cas c’est le wali, son représentant légal, qui en reçoit le montant et en rend compte. Cette dot doit être déterminée, sérieuse et réelle. En pratique, la dot n’est pas systématique et est rarement très élevée. V. Réflexions sur l’avenir institutionnel de Mayotte, op. cit. ; D. Annoussamy, note sous Cass. civ. 1re, 7 avril 1998, cette Revue, 1998. 644.
  • [58]
    La filiation adoptive est pourtant connue de la coutume malgache mais cette coutume n’a pas été reprise à Mayotte, par les cadis :v. Réflexions sur l’avenir institutionnel de Mayotte, op. cit.
  • [59]
    J.-B. Falduto et J.-Cl. Escarras, « La disparition du particularisme mahorais en matière juridictionnelle : la fin de la justice cadiale ? », Procédures n° 8, août 2010. alerte 35.
  • [60]
    Selon le décret du 1er juin 1939 relatif à l’organisation de la justice indigène dans l archipel des Comores, le cadi n était compétent que du fait du domicile du défendeur à Mayotte et ne jugeait que selon le droit musulman et les coutumes indigènes (art. 5 et 6 du décret). La loi du 11 juillet 2001 (art. 61) prévoyait de même que le cadi était, dans certaines conditions, « la juridiction compétente à Mayotte ».
  • [61]
    J.-B. Flori, « La justice musulmane à Mayotte », in Mayotte, op. cit., p. 257 ; O. Guillaumont, « Le statut civil de droit local applicable à Mayotte », op. cit., spéc. p. 228 ; L. Sermet, « Regards sur la justice musulmane à Mayotte », in Les autochtones de l’outremer français, op. cit., p. 185.
  • [62]
    Décr. du 1er juin 1939 portant organisation de la justice indigène dans l’archipel des Comores ; délibération n° 64-12 bis du 3 juin 1964 de la chambre des députés du territoire des Comores portant réorganisation de la procédure en matière de justice musulmane, rendue exécutoire par l’arrêté n° 64-1223 du 30 novembre 1964, JOC 16 décembre 1964, p. 476. Ces textes ont été maintenus en vigueur par l’ordonnance n° 81295 du 1er avril 1981 relative à l’organisation de la justice à Mayotte, JO 3 avril 1981, n° 79, p. 931.
  • [63]
    Notons que l’ordonnance n° 2000-219 du 8 mars 2000 relative à l’état civil à Mayotte a modifié le titre de la délibération n° 61-16 du 17 mai 1961 de l’assemblée territoriale des Comores relative à l’état civil « des Comoriens musulmans » pour remplacer cette dernière expression par « des personnes de statut civil de droit local applicable à Mayotte » (art. 4).
  • [64]
    Art. 20 de la délibération du 3 juin 1964 (en matière de successions, régimes matrimoniaux, administration de biens waqf : « indépendamment de leurs attributions judiciaires, les qâdis exercent les fonctions de notaire entre musulmans comoriens concurremment avec les greffiers-notaires » (al. 1).
  • [65]
    La justice cadiale était organisée sur trois niveaux. Les tribunaux de cadis étaient des juridictions de premier degré et statuaient en premier ressort, à charge d’appel devant le Tribunal du Grand cadi, qui constituait la juridiction d’appel (et statuait aussi en premier ressort pour les litiges échappant à la compétence des cadis en raison de leur montant). Enfin, le Tribunal supérieur d’appel, juridiction d’appel de droit commun, statuait en qualité de chambre d’annulation musulmane. Il était composé du président du tribunal assisté de deux cadis. La décision demeurait susceptible d’un pourvoi en cassation.
  • [66]
    Art. 61 L. n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte (version modifiée par L. n° 2004-439 du 26 mai 2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005) : « La juridiction compétente à Mayotte pour connaître des instances auxquelles sont parties des personnes relevant du statut civil de droit local applicable à Mayotte et ayant entre elles des rapports juridiques relatifs à l’état et à la capacité des personnes, aux régimes matrimoniaux, aux successions et aux libéralités est, selon la volonté de la partie la plus diligente, soit le tribunal de première instance, soit le cadi ». Pour une illustration de l’option de lois et de juridictions conférée par le statut civil de droit local mahorais, v. not.
  • [67]
    Art. 62 L. n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte (version d’origine) : « Outre les fonctions juridictionnelles mentionnées à l article précédent, les cadis peuvent assurer des fonctions de médiation ou de conciliation ». Il est seulement prévu que, si l application du droit local soulève des difficultés, les juges peuvent avoir recours à eux en qualité d’experts ; v. rapp. Didier Quentin, fait au nom de la commission des lois de l Assemblée nationale.
  • [68]
    Ord. n° 2011-337 du 29 mars 2011 modifiant l organisation judiciaire dans le Département de Mayotte, JO n° 0075 du 30 mars 2011 ; décr. n° 2011-338 du 29 mars 2011 portant modification de l organisation judiciaire dans le département de Mayotte, JO n° 0075 du 30 mars 2011. L’ancien tribunal de première instance (TPI) et le tribunal supérieur d appel (TSA) sont remplacés par un tribunal d instance (TI) et un tribunal de grande instance (TGI). Un pôle de l instruction et un poste de juge d application des peines sont également créés. Des juridictions spécialisées seront progressivement mises en place : un tribunal mixte de commerce, un conseil de prud hommes, un tribunal paritaire des baux ruraux, un tribunal de sécurité sociale.
  • [69]
    Cass. civ. 1re, 26 mai 1999, Société Mutuelle du Mans assurances, cette Revue, 1997. 707, note H. Muir Watt ; Gr. arrêts, n° 77-78 ; Gaz. Pal. 2000, n° 61 et 62, p. 39, obs. M.-L. Niboyet ; Cass. civ. 1re, 26 mai 1999, Belaid, cette Revue, 1997. 707, note H. Muir Watt ; Gr. arrêts, n° 77-78 ; JCP 1999. II. 10192, note F. Mélin ; Defré-nois, 1999. 1261, obs. Massip.
  • [70]
    Cass. civ. 1re, 4 décembre 1990 ; Cass. civ. 1re, 31 mai 2005, n° 03-11.136 ; Cass. civ. 1re, 6 février 2008, n° 07-12.672.
  • [71]
    Le caractère unilatéral de la règle aurait même une incidence particulière sur l’office du juge : Cass. civ. 1re, 4 juin 2009, n° 08-11872, JDI 2010. comm. 7, note E. Fohrer-Dedeurwaerder.
  • [72]
    V. infra, les sources du statut civil de droit local.
  • [73]
    CA Paris, 13 juin 1814, Busqueta, S. 1814. 2. 393 ; Gr. arrêts, n° 1. Leterme « statut de droit local » a été interprété à tort « comme limitant le domaine d’application ratione loci des statuts personnels. En réalité, la notion doit être comprise comme un statut dont les différentes règles sont définies par rapport aux conceptions propres à un territoire donné. Il convient donc d’admettre qu’il existe autant de droits musulmans différents qu’il y a d’Etats musulmans et autant de droits coutumiers différents que de territoires où ces droits sont reconnus » ; cf. V. Parisot, op. cit., n° 419 s. spéc. n° 422.
  • [74]
    C’est aussi pourquoi la départementalisation de Mayotte n’empêche pas la conservation par les Mahorais de leur statut personnel : s’agissant d’un élément de l’état des personnes, il reste indifférent à l’assise territoriale. Contra V. Parisot, op. cit., n° 540. Applicable d’office, il reste que le statut personnel coutumier n’est pas un ensemble de règles comme les autres : leur nature coutumière oblige à en rechercher la teneur. Mais comment apporter cette preuve et comment interpréter les règles du statut personnel ? Contrairement à ce qui est prévu en Nouvelle-Calédonie, les juges de Mayotte ne sont pas assistés d’assesseurs coutumiers dont le rôle consiste entre autres à expliquer la coutume. Ils pourront néanmoins s’adjoindre les conseils d’un expert.
  • [75]
    Art. 16 décr. du 1er juin 1939.
  • [76]
    Ord. n° 2005-870 du 28 juillet 2005 ratifiée par L. n° 2007-224 du 21 février 2007. Ainsi, toutes les opérations réalisant un transfert de propriété immobilière, voire la constitution de droits réels immobiliers pour être publiées doivent être constatées dans un acte authentique.
  • [77]
    Cass. civ. 1re, 1er décembre 2010, JDI 2011. 12, note S. Sana-Chaillé de Néré ; cette Revue, 2011. 610, note V. Parisot.
  • [78]
    V. Parisot, op. cit., n° 1023. Sur l’ordre public, v. aussi n° 932, n° 946, n° 957, n° 981.
  • [79]
    V. J.-B. Seube, « Réflexions d’un juriste français sur le droit successoral comorien », RJOI 2006, n° 6 spécial, p. 100.
  • [80]
    Cass. civ. 1re, 25 février 1997, Abdallah, préc.
  • [81]
    Coran, IV, 12 : «Dieu vous ordonne d’attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles » ; A. Carboneill, « Spécificité du droit successoral en Grande Comore : droit musulman chaféite et succession coutumière magnahoulé », RJOI n° 2, 2001/2002. 74.
  • [82]
    Comp. : CEDH 16 juin 2011, n° 19535/08, Pascaud c/France, D. 2011. 1758 ; AJ fam. 2011. 429, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2011. 526, obs. J. Hauser et Cass. civ. 1re, 26 octobre 2011, n° 09-71.369, D. 2011. 2728 ; AJ fam. 2012. 50, obs. E. Viga-notti ; JDI 2012. 176, note J. Guillaumé. Une loi étrangère qui interdirait, en toutes circonstances, l’établissement de la filiation, devrait être considérée comme contraire à l’ordre public international français.
  • [83]
    En France, l’exclusion de l’ordre public a paru s’imposer en raison de l’existence d’un seul législateur. Ce raisonnement n’est pourtant pas compatible avec le fonctionnement de l’exception de l’ordre public en général. De plus, dans l’espace colonial français, le fait que les coutumes indigènes aient été maintenues par le législateur français n’a pas été un obstacle au jeu de l’ordre public. Autrement dit l’ordre public pourrait jouer dans les conflits internes. Cela ne veut cependant pas dire qu’il doive jouer en toute hypothèse : V. Parisot, op. cit., n° 1010, n° 1044, n° 1474.
  • [84]
    V. Parisot, op. cit., not. n° 1647.
  • [85]
    C. Robaczewski, « Jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation en matière de régulation du droit local à Mayotte », RJOI 7/2007. 151 .
  • [86]
    S. Sana-Chaillé de Néré, sous Cass. civ. 1re, 1er décembre 2010, n° 08-20843, JDI 2011. 12.
  • [87]
    Conv. EDH, art. 56, § 3. Cette réserve a déjà été mise en œuvre par la Cour de cassation pour écarter l’argument tiré du principe de non-discrimination de l’article 14 : Cass. crim. 30 juin 2009, JCP 2009. 384, obs. E. Cornut. La loi organique 99-209 du 19 mars 1999 exclut que le tribunal correctionnel puisse connaître des intérêts civils lorsque toutes les parties relèvent du statut civil coutumier kanak ; seules les juridictions civiles sont compétentes et les juges du fond n’ont pas violé la Convention EDH.
  • [88]
    Cass., ass. plén., 2 juin 2000, Mlle Fraisse, Bull. civ. AP, n° 4; JCP 2001. 73, note A.-C. de Foucauld ; D. 2000, 95, note B. Mathieu et M. Verpeaux, Gr. arrêts, n° 86, p. 743.
  • [89]
    O. Guillaumont, « Le statut civil de droit local applicable à Mayotte », op. cit.
  • [90]
    Décis. n° 2003-474 DC du 17 juillet 2003, Loi de programme pour l’outre-mer. Les députés et sénateurs qui avaient saisi le Conseil constitutionnel voulaient voir censurée la loi comme contraire à l’article 75 de la Constitution, notamment en ce qu’elle prévoyait que « l’exercice des droits, individuels ou collectifs, afférents au statut civil de droit local ne peut, en aucun cas, contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français ». En supprimant la polygamie et la répudiation la loi aurait également vidé de sa substance la notion de statut civil. Ce à quoi le Conseil répond : « considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que les citoyens de la République qui conservent leur statut personnel jouissent des droits et libertés de valeur constitutionnelle attachés à la qualité de citoyen français et sont soumis aux mêmes obligations ; qu’en rappelant ce principe par la disposition critiquée, le législateur n’a pas méconnu l’article 75 de la Constitution ; que, dès lors qu’il ne remettait pas en cause l’existence même du statut civil de droit local, il pouvait adopter des dispositions de nature à en faire évoluer les règles dans le but de les rendre compatibles avec les principes et droits constitutionnellement protégés » (cons. n° 29).
  • [91]
    L. n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outremer.
  • [92]
    Les cadis étaient des fonctionnaires territoriaux nommés par le préfet sur proposition du Grand cadi. Ils étaient nommés par une autorité administrative elle-même nommée par le pouvoir politique.
  • [93]
    En raison de la pluralité de fonctions dévolues aux cadis : mission juridictionnelle, fonctions administratives (dites de conciliation) et, surtout, des fonctions religieuses. L’article 20 de la délibération de 1964 leur conférait des fonctions de notaires, de tuteurs légaux des incapables et des absents, administrateurs de waqf et représentants légaux du défunt en cas de succession non réglée. Ils étaient également chargés d’une fonction de conciliation dans tous les autres domaines. Quant aux fonctions religieuses, la fonction d imam est souvent celle du cadi.
  • [94]
    Les femmes sont incapables partiellement mais perpétuellement (elles ne peuvent, par exemple, témoigner en justice « qu’à raison de deux femmes pour un homme »).
  • [95]
    Art. 10, Ord. 3 juin 2010 (art. 53, anc., L. du 11 juillet 2001).
  • [96]
    La convention pose surtout un principe de non-discrimination dans son article 14. Cependant, l’article 5 du protocole additionnel n° 7 pose bien un principe d’égalité entre hommes et femmes dans le mariage.
  • [97]
    Comme le Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques.
  • [98]
    « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ». V. aussi : F. Mélin-Soucramanien, « Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Nouveaux cahiers Cons. const. 2010. 89. Pour la question de la coordination des sources et des méthodes en droit international privé : L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé. Etude de droit international privé de la famille, LGDL, 2001.
  • [99]
    E. K. Bidi, « Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de convention-nalité : concurrence ou complémentarité ? », RJOI 12/2011. 5. De toute manière, combinée au contrôle de conventionnalité, la question de constitutionnalité permet de faire avancer la protection des droits fondamentaux. Même quand une convention internationale est inapplicable, le citoyen peut poser une QPC. Et inversement. En matière de droits fondamentaux, la Constitution est concurrencée depuis longtemps par les conventions internationales. Il est presque toujours possible de trouver l’équivalent conventionnel d’une norme constitutionnelle garantissant les droits et libertés. La CEDH, la Charte des droits fondamentaux de l’UE contiennent à elles seules la quasi-totalité des droits et libertés constitutionnels français.
  • [100]
    Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, introduisant un nouvel article 611 dans notre Constitution, et la loi organique du 10 décembre 2009, la « question prioritaire de constitutionnalité » a fait son entrée en scène et il est possible de la poser devant les tribunaux depuis le 1er mars 2010.
  • [101]
    Outre les principes d’égalité (art. 1) et de liberté (art. 66), l’essentiel des droits et libertés se trouve dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et dans la Charte de l’environnement.
  • [102]
    Le changement de circonstances peut concerner des changements « dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée » (Cons. const. 3 décembre 2009, n° 2009-595 DC, § 13).
  • [103]
    Décr. du 1er juin 1939 portant organisation de la justice indigène dans l’archipel des Comores, art. 6 : « Les cadis jugent d’après le droit musulman et les coutumes indigènes. Le code musulman Minihadji el Talihir est seul officiel et applicable dans l’archipel ».
  • [104]
    Délibération n° 61-16 du 17 mai 1961 de l’assemblée territoriale des Comores relative à l’état civil à Mayotte, JOC 1961, p. 258. Le texte d’origine, dans sa version initiale était relatif à l’état civil « des Comoriens musulmans ».
  • [105]
    Presque tous ces textes viennent d’être abrogés par l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 (art. 16) et la loi n° 2010 n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 ; seule la délibération n° 61-16 du 17 mai 1961 reste en vigueur (mais le 2° de l’article 1er, le chapitre IV et l’article 35 ont été abrogés).
  • [106]
    Ce recueil de textes (applicables aux Comores, à Madagascar, en Afrique orientale, en Syrie et en Indonésie) a été traduit et commenté par Paul Guy, sous le titre Minhâdj at-tâlibîn.
  • [107]
    Décr. du 1er juin 1939. V. aussi : E. Cadou, « Le statut de l’enfant dans l’océan indien : l’enfant mahorais », RID comp. 2/2005. 291, qui ajoute que « le droit mahorais apparaît donc comme un droit singulier, qui ne peut être parfaitement réduit au seul droit musulman ». La délibération n° 64-12 bis du 3 juin 1964 (art. 7) prévoit que les cadis peuvent « invoquer aussi les coutumes locales propres à chaque île » ; les traditions orales acquièrent ainsi qualité de source à part entière et se trouvent au même rang que les sources écrites du statut civil de droit local.
  • [108]
    V.L.Sermet, Une anthropologie juridique des droits de l’homme…, op. cit., p. 71 s. ; R. Lafargue, « Les contraintes posées par l’article 75 de la Constitution : entre clause coloniale et facteur d’émancipation », Droit et Cultures, 46, 2003/2. 29.
  • [109]
    On pourrait certes objecter que la femme mahoraise peut toujours renoncer à son statut personnel pour recouvrer sa pleine capacité juridique mais il n’en est pas de même de l’enfant.
  • [110]
    Cons. const. 18 juin 2010, n° 2010-5, QPC, D. Actualités, 23 juin 2010, obs. S. Brondel.
  • [111]
    La conformité des lois organiques est évidemment vérifiée avant toute promulgation. La conformité de la loi de programme pour l’outre-mer avait également fait l’objet d’un contrôle : Cons. const. 17 juillet 2003, n° 2003-474 DC, Loi de programme pour l’outremer, JO 22 juillet 2003, p. 12336.
  • [112]
    Cela interdirait aussi de porter atteinte au droit subjectif constitutionnel à un point tel que l’essence même du statut personnel serait en cause. Cf. L. Sermet, Une anthropologie juridique des droits de l’homme…, op. cit., p. 72.
Français

L’existence de statuts personnels coutumiers est consacrée et protégée par la Constitution du 4 octobre 1958, ce qui donne naissance, au sein même du système juridique français, à des conflits de lois pour le moins singuliers. Distincts des conflits internationaux de lois, les conflits internes de lois peuvent néanmoins emprunter les mêmes méthodes, même s’ils ne rencontrent pas toujours les mêmes limites. S’il s’agit bien, dans les deux cas, d’effectuer une répartition entre différents corps de règles, la nature constitutionnelle de la règle de conflit de principe conduit à une approche nécessairement différente du conflit interne de lois. Prenant le statut personnel mahorais comme exemple, notre étude portera sur les difficultés soulevées, tant dans la détermination que dans la mise en œuvre du statut personnel applicable, allant parfois jusqu’à le remettre en cause.

English

The existence of customary personal status is protected by the Constitution of 4 October 1958, giving rise, within the French legal system, to a somewhat singular form of conflicts of laws. Distinct from international conflicts, internal conflicts of laws can still borrow the same methods, even if they do not always encounter the same limits. Both cases are a distributive exercise as between different rules, but the constitutional nature of internal conflicts of laws induces a different approach. Taking the personal status of Mayotte as an example, our study will describe the difficulties raised, both in the determination and in the implementation of applicable personal status in this context.

Élise Ralser
Maître de conférences à l’Université de La Réunion
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.124.0733
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