Lorsqu’on relit, presque quarante ans après, les textes de René Thom, les articles rassemblés dans Modèles mathématiques de la morphogenèse notamment, l’ampleur de cette pensée apparaît en pleine lumière : sa perspective va bien au-delà de ce qu’on a pu nommer la « théorie des catastrophes ».
Le message de Thom était clairement celui d’une métaphysique mathématique, d’une théorie universelle mathématisée s’adressant à toute chose, à tout étant. Dans la tradition métaphysique, on peut distinguer trois couches ou strates : 1) la métaphysique catégoriale – théorie logico-ontologique des prédicats les plus généraux s’appliquant à tout étant et des lois qui les conjuguent dans une formule générale de la dicibilité de l’être ; 2) la métaphysique de la totalité – pensée conceptuelle pure de la façon dont l’être se totalise, pensée de l’infini, de l’univers, du continu et de l’espace ; 3) la métaphysique de l’individuation et du devenir – conception de la façon dont, universellement, toute chose se constitue, s’altère et s’identifie dans le temps.
Traitant de la morphogenèse, Thom a essentiellement proposé une métaphysique de l’individuation et du devenir. Ce qui ne l’a pas empêché de toucher aux deux autres aspects. Au fil de l’exposé de sa doctrine, on voit comment il retrouve des considérations qui relèvent de la métaphysique catégoriale : il suffit de penser à sa reprise d’Aristote, d’un côté ; à sa théorie de la structuration profonde du langage, de l’autre. Et l’on dispose de textes où il exprime des vues relevant de la métaphysique de la totalité…