CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 Chaque État est original dans son architecture institutionnelle, spécifique dans ses structures et unique dans ses équilibres. Il en va ainsi des États unitaires, et a fortiori des États fédéraux : par définition, tout système fédéral est constitué de plusieurs ordres juridiques, dont l’articulation résulte d’une histoire et d’un contexte socio-politique qui lui sont propres.

2 En Belgique, beaucoup de citoyens ont le sentiment de vivre dans un pays bien singulier. Un pays qui se différencie de tous les autres par l’évolution constante de son organisation, par le nombre de ses niveaux de pouvoir, par l’enchevêtrement des domaines de compétence de ses composantes et par la complexité – voire l’opacité – de son fonctionnement. Un pays qui est secoué par des crises répétées, qui semblent parfois menacer jusqu’à son existence. Un pays qui présente de multiples caractéristiques qui ne se rencontrent pas ailleurs, et qui sont tout à la fois la cause et la conséquence d’un fédéralisme à nul autre pareil.

3 Depuis 1958, le Courrier hebdomadaire et, plus largement, les travaux du CRISP  [1] ont scruté les évolutions de la société belge qui ont pris place à différents niveaux et qui ont mené à ces multiples transformations institutionnelles et socio-politiques. Nombre de ces publications ont présenté et décortiqué les grandes lignes, les petits détails, les subtilités voire les curiosités et les incongruités de l’architecture institutionnelle belge ou des dynamiques à l’œuvre et leur résultat. Et cela tout au long d’un chantier jalonné déjà de six réformes institutionnelles et toujours en cours.

4 Jamais cependant, ni dans les travaux du CRISP ni, à notre connaissance, dans d’autres publications, une étude n’a cherché à mettre en rapport, de manière systématique, ces caractéristiques et spécificités du fédéralisme belge avec celles d’autres systèmes fédéraux à travers le monde, afin d’isoler précisément les traits qui sont communs au cas belge et à d’autres pays et ceux qui, au contraire, sont tout à fait propres à la Belgique. Cette démarche est au cœur de ce numéro 2500 du Courrier hebdomadaire. Pareille comparaison requiert nécessairement un examen approfondi des traits du fédéralisme belge, démarche que nous avons menée sous des angles multiples et complémentaires. En cela, cette recherche offre une lecture non seulement comparative, mais aussi renouvelée et minutieuse du système socio-politique belge.

5 Un État fédéral se caractérise par la coexistence de différents niveaux de pouvoir qui produisent leur propre droit et qui détiennent un certain nombre de compétences, qu’ils exercent en toute autonomie (ce qui n’exclut pas des formes de concertation). À cet égard, une distinction est établie entre une autorité fédérale, qui exerce son pouvoir au niveau central et sur l’ensemble du territoire national, et un certain nombre d’entités fédérées, au ressort territorial plus restreint et dont le nombre, la nature et les compétences varient d’un État fédéral à l’autre.

6 En ce qui concerne la Belgique, l’histoire sinueuse qui sera décrite dans le chapitre 1 a modelé un certain nombre d’institutions, qui relèvent de ces deux ordres principaux qu’il est habituel de rencontrer au cours de l’examen d’un État fédéral : des institutions fédérales, d’un côté, et des institutions fédérées, de l’autre. Les chapitres 2 et 3 se concentrent successivement sur les traits spécifiques de ces deux ordres.

7 Ces premiers chapitres font apparaître certaines des caractéristiques les plus déterminantes du fédéralisme belge tel qu’il s’est dessiné au cours des dernières décennies. D’une part, il s’agit d’un fédéralisme de dissociation et non d’association : d’un État unitaire, la Belgique est devenue un État fédéral. Elle n’est pas le seul exemple d’un tel processus, mais ce cas de figure n’est assurément pas le plus courant. Et cela d’autant plus que la mutation institutionnelle belge ne s’est pas opérée en une seule fois, mais au fil de réformes successives. D’autre part, il s’agit d’un fédéralisme de superposition : en tout point du territoire national s’exercent les compétences, non seulement du pouvoir fédéral, comme dans les autres États fédéraux, mais aussi de plusieurs entités fédérées (Communauté et Région, voire également Commissions communautaires). Cela constitue une situation qui ne se retrouve nulle part ailleurs à travers le monde.

8 Les conséquences de ces traits constitutifs du fédéralisme belge sont multiples, comme on le verra tout au long de cette étude. Elles sont aussi à mettre en relation avec des dynamiques socio-politiques qui constituent tout à la fois des causes et des conséquences de l’évolution du pays. Le chapitre 4 examine ainsi tour à tour les impacts sur celle-ci de la question linguistique, des dynamiques socio-économiques et des spécificités des acteurs et des structures socio-politiques, et met réciproquement en évidence les influences que l’évolution fédérale du pays a exercées sur ces aspects.

9 Au-delà des entités qui le constituent, un État fédéral forme aussi un tout. Les relations qui se nouent entre ses composantes font partie intégrante du profil de fédéralisme que présente un pays. Le chapitre 5 expose la manière dont les compétences sont réparties entre les différents niveaux de pouvoir, les mécanismes de collaboration et de gestion des conflits qui sont mis en place, ainsi que les règles qui président à la conduite des relations internationales par la Belgique fédérale.

10 Les cinq chapitres qui composent cette étude forment un ensemble qui permet d’appréhender le fédéralisme belge dans sa complexité et de manière dynamique. Certaines questions sont abordées dans plusieurs chapitres, sous des angles différents. Dans chaque chapitre, nous essayons autant que possible de présenter les caractéristiques de la situation belge et de les mettre en perspective avec ce qui peut être observé dans le même domaine dans d’autres États fédéraux. De la sorte, nous pouvons déterminer si la configuration belge sur un thème déterminé est courante ou si, au contraire, elle est originale, voire unique au monde. Une place particulière est réservée aux Courriers hebdomadaires – dont le chapitre 1 montre toute la richesse pour mener cet exercice –, aux livres ou aux dossiers que le CRISP a consacrés soit à la naissance soit à l’évolution du fédéralisme en Belgique.

Les États fédéraux dans le monde

Il n’existe pas de répertoire officiel des États fédéraux. Diverses listes circulent donc dans la littérature scientifique, qui diffèrent quelque peu d’une étude à une autre. Dans le cadre du présent Courrier hebdomadaire, nous avons considéré qu’il existe actuellement 29 États fédéraux dans le monde, à savoir 5 en Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine et Suisse), 7 en Amérique (Argentine, Brésil, Canada, États-Unis d’Amérique, Mexique, Saint-Christophe-et-Niévès et Venezuela), 6 en Asie (Émirats arabes unis, Inde, Irak, Malaisie, Népal et Pakistan), 7 en Afrique (Afrique du Sud, Comores, Éthiopie, Nigeria, Somalie, Soudan et Soudan du Sud) et 3 en Océanie (Australie, Micronésie et Palaos), auxquels s’ajoute la Russie, qui s’étend sur deux continents.
Il convient de noter que le caractère fédéral de certains de ces pays n’est pas unanimement admis. Primo et en particulier, il en est ainsi de l’Afrique du Sud. Si ce pays présente de nombreux traits du fédéralisme, les juristes ne s’accordent pas sur la nature des compétences de ses Provinces : simples collectivités décentralisées ou véritables entités fédérées  [2]. Le débat est d’autant plus vif que, ni dans sa Constitution ni dans le discours de ses dirigeants politiques, ce pays ne se définit comme un État fédéral  [3]. Secundo, il est trois pays qui sont officiellement des États fédéraux mais au sein desquels les compétences sont en réalité fortement concentrées entre les mains du niveau de pouvoir central : l’Autriche, le Pakistan et la Russie. Ainsi, le caractère fédéral de l’Autriche est peu développé, certains observateurs estimant même que le fédéralisme autrichien est plutôt une conception théorique qu’une réalité et que, à maints égards, le pays est dès lors un État décentralisé davantage qu’un véritable État fédéral  [4]. De même, depuis 1999, le système institutionnel de la Russie évolue dans le sens d’une centralisation accrue. À l’origine, cette politique a visé à lutter contre une tendance à la dislocation qui se manifestait alors et qui semblait susceptible de menacer l’intégrité du pays. « Toutefois, la poursuite de cette politique, assortie de restrictions apportées au pluralisme politique, a peu à peu atteint les bases mêmes du fédéralisme, au point que l’on peut se demander si la Russie présente encore les traits d’un État fédéral »  [5] ; peut-être cependant cette situation n’est-elle que temporaire  [6]. Tertio, il est à l’inverse un pays qui est généralement considéré comme un État fédéral – bien qu’il ne se proclame pas lui-même comme tel – mais qui s’apparente à de nombreux égards à une confédération : la Bosnie-Herzégovine  [7]. Et ce même si, durant le dernier quart de siècle, 142 lois ont opéré un renforcement progressif de l’État central, mouvement dans lequel il est permis de voir le passage d’une organisation confédérale à une logique fédérale  [8]. Quarto et enfin, il convient de relever que l’Irak n’est un État fédéral que dans la région du Kurdistan ; ailleurs dans le pays, le régime est actuellement celui d’une décentralisation administrative  [9].

11 Dans ce numéro spécial du Courrier hebdomadaire, certains aspects du fédéralisme belge sont mis en parallèle avec des réalités observées dans une grande partie des 28 autres États fédéraux de la planète. Cependant, dans la majeure partie des cas, les comparaisons sont principalement opérées entre la Belgique et les quatre autres États fédéraux occidentaux, démocratiques et de niveau de développement comparable que sont l’Allemagne, le Canada, les États-Unis d’Amérique et la Suisse.

12 En abordant la question de la singularité du fédéralisme belge, notamment dans une perspective comparée, on peut être confronté à deux sortes d’écueils. Le premier procède d’une simplification excessive du schéma institutionnel belge. Dans cette optique, la Belgique constitue, finalement, un État fédéral parmi d’autres. Son architecture repose sur une répartition des pouvoirs, dont celui de légiférer, entre une autorité fédérale et des entités fédérées, les autres principes directeurs du fédéralisme – que sont l’autonomie, l’égalité et la participation – y trouvant en outre, sous une forme ou l’autre, un certain nombre de consécrations. Le second écueil potentiel lorsque l’on interroge la spécificité du design institutionnel de la Belgique est celui d’une profusion de détails techniques qui risquent de noyer les singularités du fédéralisme belge dans un magma d’informations peu intelligibles. Car, dans le cours de l’exposé, il convient de rappeler, outre ce qui est parfois nommé la « préhistoire »  [10] du système fédéral belge, les différentes étapes d’une histoire complexe faite de compromis, de créations institutionnelles parfois alambiquées, de règles et d’exceptions à la règle  [11], de dispositions constitutionnelles en trompe-l’œil  [12], etc.

13 La volonté de ce Courrier hebdomadaire est de naviguer à une juste distance entre ces deux écueils en proposant un regard sur le fédéralisme belge qui soit non seulement compréhensible, mais qui soit également apte à mettre au jour les spécificités de cette architecture institutionnelle, de façon synthétique, sans céder pour autant à la tentation d’un excès de simplification. Peut ainsi être brossé le portrait d’un État fédéral qui, d’un côté, correspond à la définition classique du fédéralisme qui est proposée dans la science juridique et la théorie politique  [13] et qui, d’un autre côté, est doté de particularités qui s’avèrent être le fruit d’une histoire socio-politique singulière et qui se sont concrétisées dans diverses institutions et mécanismes juridiques tantôt courants, tantôt uniques au monde.

14 De l’examen des caractéristiques du fédéralisme belge et de leur comparaison à celles d’autres régimes fédéraux, il ressort nettement que la particularité des institutions fédérales en Belgique provient de la superposition, de la coexistence et même de l’entrelacement de deux logiques : l’une bipolaire et l’autre multipolaire. La première procède de la réalité sociologique d’un pays qui comprend deux grandes communautés linguistiques et culturelles, francophone d’une part et flamande d’autre part, qui ont à composer l’une avec l’autre. Cette ligne de fracture dite communautaire n’est certes pas la seule qui soit de mise en Belgique  [14], mais elle est celle qui a acquis, avec le temps, un caractère dominant. L’autre logique, plus habituelle dans le cadre d’un État fédéral, procède d’une réalité non dualiste, mais multipolaire : l’État fédéral belge est en effet formé, outre de l’Autorité fédérale, de différentes entités fédérées, compétentes chacune pour une partie du territoire ou pour un ensemble de personnes ou d’institutions défini sur une base linguistique. La plupart des observateurs du fédéralisme belge semblent d’accord sur un élément : ces deux logiques, bipolaire et multipolaire, sont constitutives de la vie politique en Belgique et, du point de vue analytique, il n’est pas opportun de privilégier l’une au détriment de l’autre  [15]. D’autant que ces deux sphères ne sont pas étanches l’une par rapport à l’autre, les entités fédérées participant – quoique de manière fort limitée – à la prise de décision au niveau fédéral, entre autres à travers leur représentation au Sénat et en raison de la prépondérance des partis politiques dans les processus de prise de décision.

15 La construction qui résulte aujourd’hui du processus de fédéralisation de l’État belge est souvent saluée comme le fruit d’un processus pacifique, là où l’histoire d’autres pays s’est avérée bien plus dramatique. Par ailleurs, si ses caractéristiques sont ici comparées à celles d’autres exemples nationaux, il faut relever que l’élaboration du fédéralisme belge s’est globalement opérée sans s’inspirer, en tout cas explicitement, de modèles étrangers. Maître d’œuvre important de ce processus, Jean-Luc Dehaene le décrivait ainsi : « Le processus [de transformation de l’État belge], pour délibéré qu’il fût, n’a pas poursuivi d’objectif préétabli ; au contraire, il fut pragmatique, et empreint d’une grande créativité. Il le fallait, si l’on voulait concilier les conceptions des parties concernées. Les Flamands partaient d’une préoccupation essentiellement culturelle, les Wallons mettant l’accent sur l’aspect économique. Si les Flamands envisageaient deux entités fédérées, les Wallons et les Bruxellois francophones en voyaient trois. Malgré cela, chaque pas franchi fut le résultat d’un accord politique approuvé au parlement par une majorité des deux tiers, et conforté au besoin par une majorité dans chacun des groupes linguistiques. On peut véritablement parler du “miracle (politique) belge”. Dans d’autres pays, les conflits de ce type ont parfois débouché sur des violences, des attentats et des victimes. Il n’est donc pas étonnant que beaucoup d’observateurs étrangers citent régulièrement en exemple l’approche belge quand il s’agit de maîtriser une situation conflictuelle ; même si, chez nous, des esprits railleurs se gaussent de ce “bricolage de plombier” »  [16].

16 Ce « bricolage » a aussi débouché sur deux autres réalités : l’asymétrie du fédéralisme belge et le fait que celui-ci est toujours marqué par l’instabilité politique ainsi que par le maintien voire l’accroissement des revendications à l’autonomie (essentiellement au nord du pays). La question du lien entre ces deux éléments – asymétrie et instabilité – reste ouverte. Comme l’affirmait Xavier Mabille au moment de clore sa Nouvelle histoire politique de la Belgique il y a dix ans, « les asymétries, observées de longtemps dans les faits et aujourd’hui également reflétées dans les institutions, font peut-être obstacle à la rupture, au point que la question se pose de savoir si ce n’est pas dans une certaine asymétrie que réside la clé de voûte d’une certaine unité »  [17].

17 L’étude sur le fédéralisme que l’on va découvrir ici entend approfondir la connaissance de l’« écosystème » belge tout en le situant dans la famille, assez riche et variée, des régimes fédéraux à travers le monde. Cette approche ne doit cependant pas faire naître l’illusion que la logique fédérale, qui caractérise peu ou prou la Belgique depuis un demi-siècle  [18], serait aujourd’hui pleinement assimilée par les dirigeants et la population du pays. Bien au contraire. « Le passage à l’État fédéral, clairement dénommé ainsi, s’est opéré après plus de deux décennies de réformes. On peut considérer qu’il ne s’est pas accompagné de la formation d’une véritable culture politique du fédéralisme. Il y a là un indéniable inconvénient pour le fonctionnement présent du nouveau régime et aussi une véritable hypothèque pour son fonctionnement futur »  [19].

18 Alors que se prépare une septième réforme de l’État, cette étude entend approfondir la connaissance des ressorts du fédéralisme belge et les comparer au fonctionnement d’autres États fédéraux afin d’en cerner les équilibres, d’en saisir les dynamiques et d’en identifier les singularités.

1. Un mode de constitution singulier

19 La Belgique n’est pas née État fédéral, elle l’est devenue. Le fait est connu, mais il se doit d’être rappelé et souligné. En particulier, parce qu’il est à l’origine directe de nombre des spécificités que présente aujourd’hui le fédéralisme belge.

20 En effet, même s’il ne s’agit pas là d’une situation unique au monde, la plus fondamentale des caractéristiques du modèle fédéral belge réside sans doute dans le fait que celui-ci procède et résulte d’une logique de dissociation. L’actuelle architecture institutionnelle de la Belgique est le fruit de la transformation – graduelle – d’un État autrefois unitaire en un État fédéral  [20]. De ce mode de constitution assez atypique découlent d’autres traits parmi les plus singuliers de l’ordre fédéral du pays, à savoir que le fédéralisme belge est fondé sur plusieurs types d’entités fédérées, est un fédéralisme de superposition, n’est pas purement territorial, est asymétrique, est empirique et est évolutif . Autant de singularités qui font l’objet d’explications dans ce premier chapitre, consacré au mode de constitution de l’État fédéral belge.

Les notions d’État fédéral et d’entités fédérées

Entre un État unitaire et un État fédéral, il n’existe pas une simple différence de degré, mais une réelle différence de nature. En effet, les concepts d’unitarisme et de fédéralisme sont en opposition l’un de l’autre.
Un État unitaire ne comprend qu’un seul pouvoir législatif et qu’un seul pouvoir exécutif. Ceux-ci sont pleinement compétents sur l’ensemble du territoire national. Tous les citoyens du pays sont soumis à la même et unique autorité, tant au plan juridique qu’au plan politique.
Dans un État fédéral en revanche, les prérogatives étatiques sont réparties entre un niveau fédéral et des collectivités autonomes que l’on appelle des entités fédérées. Il existe donc plusieurs pouvoirs législatifs et plusieurs pouvoirs exécutifs – ainsi que, éventuellement, plusieurs pouvoirs judiciaires. L’ordre juridique fédéral est unique et uniforme : il s’applique à tout le territoire national et à toute la population du pays. Les ordres juridiques fédérés sont multiples et hétérogènes : il en existe autant qu’il y a d’entités fédérées, et chacun d’eux est spécifique au territoire et à la population d’une entité fédérée .
Les entités fédérées sont parfois appelées « États fédérés » *. Cette expression provient du fait que les entités fédérées portent le nom d’« États » dans plusieurs pays fédéraux (Australie, Brésil, États-Unis, Inde, Malaisie, Mexique, Micronésie, Nigeria, Palaos, Soudan, Soudan du Sud et Venezuela). Toutefois, elle peut prêter à confusion ; en effet, si elles sont autonomes dans leurs sphères de compétence respectives, les collectivités fédérées ne sont nullement indépendantes, ce qui est le propre d’un État.
En Belgique, les entités fédérées sont les trois Communautés (française, flamande et germanophone) et les trois Régions (wallonne, flamande et bruxelloise), ainsi que, en région bruxelloise, la Commission communautaire commune (COCOM) et la Commission communautaire française (COCOF).
*   Dans de nombreuses langues, l’équivalent de l’expression française « entité fédérée » comporte aussi une référence au concept d’État : « Gliedstaat » ou « Teilstaat » en allemand, « federated state » en anglais, « estado federado » en espagnol (les expressions « entidad federativa » et « entidad federal » existant toutefois également), « stato federato » en italien, « deelstaat » en néerlandais, etc.

1.0. La Belgique, un cas unique de fédéralisme de dissociation ?

21 Il n’est guère aisé d’établir une typologie des États fédéraux selon leur mode de constitution. Toutefois, s’agissant de l’époque moderne, il est possible de distinguer schématiquement trois cas de figure, dont les deux premiers sont les plus fréquents (le premier étant même considéré comme la modalité « classique » de formation d’un État fédéral) et le dernier le plus rare.

22 Primo, certains États fédéraux résultent d’un mouvement centripète, c’est-à-dire qu’ils naissent de la réunion d’entités jusqu’alors distinctes (et, la plupart du temps, indépendantes) : celles-ci s’accordent pour former ensemble un nouvel État, auquel elles abandonnent une part des prérogatives inhérentes à la notion de puissance étatique (« souveraineté »)  [21] ainsi qu’une portion plus ou moins large des compétences étatiques, tout en jouissant d’une autonomie dans les domaines qui continuent à leur appartenir en propre. La logique à l’œuvre est celle d’un mécanisme d’association, dont rend bien compte la devise américaine « E Pluribus Unum » (« De plusieurs, un »). Dans cette première catégorie, figurent par exemple les États-Unis d’Amérique (1787), la Suisse (1848), l’Allemagne (1867), le Canada (1867), l’Australie (1901), l’Inde (1947) et les Émirats arabes unis (1971).

23 Secundo, l’autre cas de figure courant est celui des pays qui, dès leur fondation, prennent la forme d’un État fédéral parce que, en raison de leur passé commun ou spécifique, une ou plusieurs des régions qui les composent souhaitent jouir d’un important degré d’autonomie dans divers domaines. Tel est notamment le cas du Venezuela (1811), du Mexique (1824), de l’Autriche (1920), du Nigeria (1960), de la Bosnie-Herzégovine (1995) et du Soudan du Sud (2011)  [22].

24 Tertio, situation assez rare sans toutefois être exceptionnelle, des États fédéraux résultent d’une dynamique centrifuge ayant amené à transférer certains attributs de la souveraineté de l’État initialement unitaire à des collectivités – nouvellement créées ou préexistantes – élevées au rang d’entités fédérées. Dans cette configuration, c’est donc une logique de dissociation qui est à l’origine du choix posé en faveur d’une structure fédérale. À cet égard, et contrairement à une idée largement reçue, la Belgique n’est pas le seul cas d’État devenu fédéral après être originellement né unitaire. L’histoire des deux derniers siècles offre une dizaine d’autres exemples de tels processus  [23], qu’il est utile de brièvement exposer ici.

25 Sortie victorieuse de la lutte d’indépendance qu’elle menait contre l’Espagne (1816-1824), l’Argentine se dote de ses premières Constitutions en avril 1819 et en décembre 1826. Fortement centralisateurs, ces deux textes sont d’emblée rejetés par une partie des provinces, favorables au fédéralisme. Les luttes intestines se succèdent alors entre unitaristes et fédéralistes durant plusieurs décennies. À partir de 1835, se met en outre en place de facto un système presque féodal de domination du gouverneur de la province de Buenos Aires, Juan Manuel de Rosas, sur l’ensemble du pays. En mai 1853, un nouvel épisode de guerre civile se conclut par l’adoption d’une troisième Constitution, par laquelle l’Argentine devient un État fédéral. Ce régime est affermi en septembre 1860, dans le cadre de l’achèvement de l’unification du pays.

26 La première Constitution du Brésil est promulguée en mars 1824, alors que le pays est toujours en guerre contre le Portugal pour conquérir son indépendance (1821-1825). Le régime instauré est celui d’un État unitaire, tout d’abord fortement centralisé puis, à partir de l’Acte additionnel d’août 1834, accordant une certaine autonomie aux provinces. Au cours des décennies suivantes, la plupart des provinces connaissent des conflits et des soulèvements populaires en faveur d’un accroissement de leur autonomie. En novembre 1889, un coup d’État conduit à la proclamation d’une république oligarchique. Les nouveaux maîtres du pays profitent de leur accession au pouvoir pour mettre en application leurs idées fédéralistes. Cette évolution est consacrée par l’adoption d’une nouvelle Constitution en février 1891. Le pays porte le nom officiel d’États-Unis du Brésil jusqu’en janvier 1967, époque à laquelle il prend celui de République fédérative du Brésil.

27 En novembre 1945, une assemblée constituante met fin à l’État unitaire yougoslave en proclamant la République fédérative populaire (à partir d’avril 1963 : République fédérative socialiste) de Yougoslavie. En janvier 1946, une nouvelle Constitution établit six entités fédérées : les Républiques populaires (puis socialistes) de Bosnie-Herzégovine, de Croatie, de Macédoine, du Monténégro, de Serbie – qui comprend deux régions autonomes à partir de février 1974 : le Kosovo et la Voïvodine – et de Slovénie. Dans les faits, il s’agit toutefois plus d’une large décentralisation que d’un véritable fédéralisme, puisque les velléités autonomistes des entités sont muselées par le dirigeant du pays, Josip Broz (dit Tito), jusqu’à sa mort, survenue en mai 1980. Avec la disparition d’un pouvoir fort, les tensions s’accroissent quant à la gestion des structures étatiques fédérales, en lien notamment avec la montée des nationalismes croate et serbe. La fédération disparaît progressivement entre 1991 et 2006, en particulier à la suite des guerres de Yougoslavie (1991-2001).

28 En janvier 1969, face aux revendications autonomistes des Slovaques, la Tchécoslovaquie (de son nom officiel d’alors République socialiste tchécoslovaque) cesse de jure d’être un État unitaire pour devenir un État fédéral (composé de deux entités fédérées : la République socialiste tchèque et la République socialiste slovaque)  [24]. Mais cette réforme n’a aucun effet réel : qu’ils soient dévolus dans les textes au parlement fédéral ou aux deux parlements fédérés, les pouvoirs restent dans les faits entièrement concentrés entre les mains du Parti communiste tchécoslovaque. Après la Révolution de velours ayant mis fin au régime communiste, est proclamée en avril 1992 la République fédérale tchèque et slovaque (composée de la République tchèque et de la République slovaque). Tchèques et Slovaques ne parvenant pas à s’accorder sur le degré d’autonomie à attribuer aux entités fédérées – les premiers le souhaitant faible et les seconds fort –, le pays est scindé en deux États indépendants au 1er janvier 1993.

29 Avant la proclamation de l’indépendance de l’archipel des Comores vis-à-vis de la France, en juillet 1975, l’idée d’instaurer le fédéralisme avait été évoquée par d’aucuns comme un moyen de convaincre l’île de Mayotte de se joindre à cette sortie du giron français. Les futures autorités comoriennes s’étaient alors fermement opposées à cette option, dans laquelle elles voyaient un germe de séparatisme. Trois ans plus tard, en octobre 1978, le pays (qui est constitué des îles de Grande Comore, Mohéli et Anjouan et qui sort alors de trois années de troubles politiques) adopte une Constitution fédérale, toujours dans l’optique de voir se rallier à lui l’île de Mayotte. Toutefois, les habitants de cette dernière préfèrent rester Français, ainsi qu’ils l’ont déjà fait savoir par référendum en 1974 et en 1976. Les Comores n’en conservent pas moins leur organisation fédérale.

30 L’indépendance du Soudan vis-à-vis du Royaume-Uni et de l’Égypte est proclamée en janvier 1956. Rapidement, il s’avère que le gouvernement n’a nullement l’intention d’honorer la promesse de création d’un État fédéral qui avait été donnée aux provinces du Sud pour obtenir leur adhésion. Une guerre civile éclate, au terme de laquelle des accords sont conclus en mars 1972 avant d’être annexés à la Constitution, par lesquels les trois provinces du Sud sont unies au sein d’une même région dotée d’un statut d’autonomie. Des revendications autonomistes n’en persistent pas moins, notamment dans le Sud, où la guerre civile reprend en 1983. À partir de 1991, le pays s’engage dans la voie de l’instauration du fédéralisme. Ce processus mécontente toutefois les provinces du Sud, où la paix n’est rétablie qu’en janvier 2005, lorsqu’un accord octroie à la région une large autonomie pour une période de six ans. À l’issue de celle-ci, un référendum d’autodétermination aboutit à l’indépendance du Soudan du Sud, en juillet 2011.

31 Après l’abolition de la monarchie en septembre 1974, une junte militaire s’empare du pouvoir en Éthiopie. La Constitution de juillet 1931, telle que révisée en novembre 1955, est suspendue. Ce régime – qui s’est entre-temps doté d’une base constitutionnelle en février 1987 – est renversé en mai 1991, au terme d’une longue guerre civile. Un régime de transition est installé, chargé d’instaurer la démocratie dans le pays. En décembre 1994, une nouvelle Constitution est adoptée. L’Éthiopie abandonne alors l’organisation unitaire qui avait toujours été la sienne pour devenir un État fédéral. Le principe mis en œuvre est celui du fédéralisme ethnolinguistique, visant à contrer ou du moins à contenir les divers mouvements indépendantistes régionaux qui menacent le pays d’éclatement.

32 En octobre 2005, soit deux ans après la chute du gouvernement dictatorial de Saddam Hussein (1979-2003), l’Irak adopte une Constitution par référendum, en remplacement du texte constitutionnel provisoire datant de juillet 1970. En outre, une loi faisant du pays un État fédéral est promulguée en octobre 2006. Ainsi, l’Irak passe de l’unitarisme centralisé qu’il avait toujours connu à un régime fédéral. Il s’agit là de la concrétisation d’une revendication portée de longue date par les Kurdes, et soutenue par les chiites mais refrénée par les sunnites. Selon le prescrit constitutionnel, chaque province ou groupe de provinces du pays a le droit de s’organiser en une région autonome. Dans les faits toutefois, seul le Kurdistan a jusqu’à présent obtenu ce statut. Aux autres territoires souhaitant bénéficier d’une telle évolution institutionnelle, les autorités fédérales opposent le risque d’un déclenchement de conflits internes. Hormis au Kurdistan, le régime irakien est donc une décentralisation et non un fédéralisme.

33 Indépendante à dater de juillet 1960, la Somalie est d’emblée déchirée par des luttes claniques qui nuisent à l’instauration de la démocratie. Mise en veille sous la dictature de Mohamed Siad Barre (1969-1991), la rivalité entre les deux principaux clans embrase le pays à la chute de ce régime, conduisant à une guerre civile – toujours en cours à l’heure actuelle – qui oppose diverses factions et conduit à la sécession de plusieurs régions. En guise de tentative de conciliation, une Constitution provisoire est adoptée en août 2012, qui fait de la Somalie un État fédéral (sur la base d’un découpage territorial ne correspondant pas à la répartition géographique des clans). Débutée l’année suivante, la transition vers ce modèle fédéral – qui reste encore largement à définir – se heurte à de nombreuses difficultés.

34 Au Népal, l’abolition de la monarchie et la proclamation de la république en mai 2008 s’accompagnent bientôt d’un abandon de l’unitarisme au profit du fédéralisme. Cette mutation institutionnelle résulte de l’accord politique qui a été conclu quelque temps plus tôt entre le gouvernement et les ex-rebelles maoïstes et qui a mis fin à la guerre civile népalaise de 1996-2006. Visant notamment à contrer les visées sécessionnistes à l’œuvre dans certaines contrées de ce pays multiethnique, l’instauration du fédéralisme est consacrée par la Constitution adoptée en septembre 2015.

35 On le voit, la Belgique n’est donc nullement l’unique pays à être passé au cours de son existence d’un mode d’organisation unitaire à une structure fédérale. Toutefois, chaque trajectoire de ce type n’en reste pas moins singulière. Ainsi, le cas belge n’est similaire à aucun des dix exemples que nous venons de lister. Les raisons en sont multiples. Elles résident notamment dans le fait que la Belgique n’est pas une ancienne colonie (ce qui la distingue de l’Argentine, du Brésil, des Comores, de la Somalie et du Soudan) et n’est ni confrontée à de fortes poussées sécessionnistes armées (Éthiopie, Irak, Népal, Somalie, Soudan) ni traversée par des divisions de types claniques, ethniques ou religieuses (Éthiopie, Irak, Népal, Somalie, Soudan, Yougoslavie). De plus, l’instauration du fédéralisme belge n’a été le fait ni d’un régime autoritaire (Brésil, Soudan, Tchécoslovaquie, Yougoslavie) ni d’un pouvoir démocratique faiblement affirmé (Somalie). Elle n’a pas non plus été liée à une tentative de retour à un ordre démocratique stable après une période de graves troubles politiques ou de dictature (Comores, Éthiopie, Irak, Népal). Enfin, cette transformation institutionnelle n’a pas davantage résulté d’une satisfaction donnée à des volontés fédéralistes exprimées dès la fondation de l’État mais restées longtemps bridées (Argentine, Brésil, Soudan).

36 En particulier, puisque les cas tchécoslovaque et yougoslave sont ceux qui sont le plus souvent rapprochés du cas belge, aucune véritable comparaison n’est pertinente entre le processus à l’œuvre en Belgique depuis 1970 et ceux qu’ont connus respectivement la Yougoslavie en 1945 et la Tchécoslovaquie en 1969. D’une part, parce que ces deux derniers pays ne vivaient alors pas sous un régime démocratiquement élu, ce qui n’est nullement le cas de la Belgique. D’autre part et surtout, parce que la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie étaient nées du regroupement de peuples ou de territoires  [25] qui se percevaient de longue date comme distincts et qui avaient conservé leurs identités propres après leur réunion au sein d’un même État. Or en Belgique, les identités subnationales – qu’elles soient régionales (wallonne, flamande et bruxelloise) ou communautaires (francophone, néerlandophone et germanophone  [26]) – ne préexistaient pas à la formation du pays : elles ne sont apparues qu’au fil de l’histoire de celui-ci.

37 En conclusion de quoi, il peut être affirmé que la Belgique constitue la seule occurrence de passage d’un État unitaire à un État fédéral qui se soit opéré dans le respect de l’État de droit et de manière tout à la fois démocratique et pacifique, mais aussi tardive et progressive.

Les notions de fédéralisme et de décentralisation

Le fédéralisme, qui est le mode d’organisation d’un État, ne doit nullement être confondu avec la décentralisation, qui est simplement un mode d’organisation au sein d’un État.
La décentralisation est de mise dans tous les États du monde *, d’une manière plus ou moins poussée. Elle consiste à créer des administrations locales (également appelées pouvoirs locaux ou collectivités territoriales) auxquelles est dévolu l’exercice de certaines compétences par l’autorité hiérarchique supérieure. Selon les pays, ces niveaux de pouvoir portent le nom de départements, provinces, gouvernorats, comtés, arrondissements, cantons, districts, cercles, communes, municipalités, etc. La différence entre des entités fédérées (au sein d’un État fédéral) et les administrations locales est que les premières possèdent en propre une part du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, ce qui n’est pas le cas des secondes, dont le pouvoir n’est que réglementaire.
Certains États unitaires comme l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni connaissent une forme particulièrement poussée de décentralisation en faveur d’un type spécifique d’administrations locales : les régions (dénommées Communautés et Villes autonomes dans le premier pays, Régions dans le deuxième et Nations constitutives dans le troisième **). Toutefois, la structure du pays reste bien unitaire puisque, même dans ce cas, les régions ne détiennent pas le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif : ceux-ci sont l’apanage du niveau central. À tout moment dès lors, le pouvoir constituant ou le niveau central reste libre de restreindre les compétences régionales et même de dissoudre les régions (en théorie, du moins ; dans les faits, cela est souvent politiquement malaisé). L’État régional se situe à la charnière entre l’État unitaire (qu’il n’est plus totalement, puisque les régions exercent des compétences beaucoup plus importantes que les administrations locales dans le cadre d’une décentralisation classique) et l’État fédéral (qu’il n’est pas complètement, puisque l’autonomie concédée aux régions reste contrôlée par le niveau central).
En Espagne, la régionalisation a atteint un point tel que certains juristes considèrent qu’il s’agit là d’un État fédéral dans les faits, à défaut de l’être dans les lois. Cependant, on a vu récemment le pouvoir central reprendre le contrôle sur une partie de l’autonomie dont jouit la Catalogne.
*  À l’exception des plus petits d’entre eux : Monaco, l’île micronésienne de Nauru, l’archipel polynésien des Tuvalu et le Vatican.
** Seules trois des quatre Nations constitutives du Royaume-Uni bénéficient d’une telle autonomie : l’Écosse, l’Irlande du Nord et le Pays de Galles. Tel n’est pas le cas de l’Angleterre.

1.1. La Belgique unitaire (1831-1970)

38 À sa fondation en 1831, l’État belge est unitaire et centralisé. La chose peut paraître étonnante, voire paradoxale, s’agissant d’un pays dont la population est hétérogène à de nombreux égards. Notamment, les particularismes locaux imprègnent fortement les mentalités : les identités sont alors avant tout communales (dans la lignée directe du séculaire « esprit de clocher » régnant dans ces contrées) et provinciales (avec une volonté d’inscription dans une tradition issue des divers comtés, duchés et principautés ayant existé sous l’Ancien Régime – et ce même si, en réalité, les découpages territoriaux sont largement hérités de la période française). De même, la géographie linguistique est une véritable mosaïque : les dialectes gallo-romans en usage dans le Sud sont presque aussi multiples et fragmentés que le sont les parlers néerlandais usités dans le Nord. Dans le Luxembourg, existent aussi des idiomes moyen-allemands.

39 L’unicité et la centralisation de l’appareil d’État s’expliquent par divers facteurs. La pression internationale, faite d’une double menace (d’invasion militaire par le royaume des Pays-Bas et de refus de reconnaissance diplomatique par les grandes puissances), incite le Congrès national à rédiger la Constitution belge à marche forcée, à savoir en moins de trois mois. Tout en faisant œuvre originale, les congressistes adoptent dès lors de nombreuses dispositions issues de textes constitutionnels français et néerlandais  [27]. L’ensemble des structures étatiques sont largement héritées de la période napoléonienne, dont les apports à cet égard n’avaient guère été remis en cause par le régime hollandais. L’élite sociale et économique, qui s’est emparée des rênes du pouvoir, est largement convaincue de la pertinence et de l’efficacité du modèle centralisateur pour la gestion de la res publica. Il est également à noter que la Belgique n’est alors pas traversée par des clivages pouvant être territorialement circonscrits, par exemple sur le plan idéologique (la division entre cléricaux et anticléricaux – ou, dans le langage du temps, entre catholiques et libéraux – est présente dans l’ensemble du pays, et en particulier dans les villes) et sur le plan religieux (la quasi-totalité des Belges étant de confession catholique, le pays ne connaît pour ainsi dire pas de divisions internes à cet égard).

40 Au fil du XIXe siècle, la domination exercée par les classes sociales supérieures (aristocratie et grande bourgeoisie) reste non seulement de mise, mais elle va même en s’accroissant. Sa perpétuation et son renforcement sont favorisés par la hiérarchie ecclésiastique, qui est un fidèle soutien du régime. Couplée à la Révolution industrielle, la possession pécuniaire et foncière est particulièrement profitable à l’élite économique. Les impératifs industriels et commerciaux, qui s’accommodent mal de différences entre réglementations locales, accentuent la marche vers la centralisation et l’uniformisation du pays. Pour sa part, la population – qu’elle soit paysanne ou, de plus en plus, ouvrière – pâtit de conditions de vie pour le moins peu enviables.

41 Au fil des décennies, ce « rouleau compresseur » a largement raison des divisions qui avaient cours au début des années 1830. Cependant, et dans le même temps, il fait progressivement naître d’autres lignes de fracture, plus structurées mais aussi plus vives. Contrairement à nombre d’autres États unitaires qui, somme toute, connaissent la même histoire, la Belgique échoue à se constituer pleinement en un État-nation. Bien plus, sa marche donne naissance à des forces centrifuges qu’elle ne cesse ensuite d’attiser. Cela tient à une donnée fondamentale et spécifique au pays, qui prend divers noms selon les époques et les contextes : « question flamande », « conflit linguistique », « division Wallons-Flamands », « problèmes communautaires », « clivage centre / périphérie », etc. Cette dimension, qui se superpose au moins partiellement à d’autres tensions traversant la société belge (notamment sur les plans socio-économique et convictionnel), prend une importance politique à ce point marquée que, dans la seconde moitié du XXe siècle, elle mènera à la fin du caractère unitaire de l’État belge.

1.1.1. La naissance de l’État belge

42 La Belgique naît d’un mouvement réformiste qui, faute d’avoir été satisfait, s’est radicalisé au point de s’être mué en une volonté indépendantiste.

43 Lorsqu’éclatent les premiers feux de la Révolution belge, à Bruxelles le 25 août 1830, les émeutiers exigent des réformes aptes à répondre aux griefs qui, depuis une quinzaine d’années, sont formulés à l’encontre de divers aspects de la politique conduite par le royaume des Pays-Bas : monopole d’État dans le domaine de l’enseignement, restrictions à la liberté religieuse, et surreprésentation des Hollandais au gouvernement, au parlement (les États généraux), dans l’administration, dans la diplomatie et parmi les cadres de l’armée. À cette liste, s’est longtemps ajoutée l’imposition de la langue néerlandaise dans les contrées flamandes  [28]. Sur ce dernier point, le pouvoir a récemment jugé opportun de lâcher du lest : en juin 1830, il a rétabli la liberté en matière d’emploi des langues dans les provinces belges. Mais cette décision intervient trop tardivement pour calmer les esprits ; au contraire, elle encourage les revendications plus tranchées.

44 En quelques jours, ce qui n’était à l’origine qu’une révolte se mue en une véritable insurrection. La revendication n’est plus seulement celle de réformes visant à améliorer le fonctionnement de l’État par la satisfaction des aspirations des Belges. Elle devient celle d’une « séparation administrative » entre les provinces méridionales et les provinces septentrionales sous une union dynastique – c’est-à-dire, semble-t-il, la création de deux États distincts (Belgique et Pays-Bas) ayant pour seul lien le fait d’avoir tous deux à leur tête un membre de la famille d’Orange-Nassau (à savoir le roi Guillaume Ier lui-même ou, éventuellement dans le cas de la Belgique, l’un de ses fils). Mais cette position évolue elle-même rapidement, notamment parce que le pouvoir royal tarde à prendre en considération les demandes des Belges. Lorsque, le 29 septembre, les États généraux approuvent le principe d’une séparation administrative, cette concession arrive trop tard, étant déjà largement dépassée par l’évolution de la situation à Bruxelles. La volonté des révolutionnaires belges est dorénavant d’aboutir à une scission pure et simple.

45 Le 4 octobre 1830, un gouvernement provisoire de la Belgique proclame l’indépendance du pays. Un mois plus tard, le 3 novembre 1830, une assemblée monocamérale est élue au suffrage censitaire et capacitaire : le Congrès national  [29]. En quelques mois, celui-ci élabore la Constitution belge : adopté le 7 février 1831, promulgué quatre jours plus tard et entré en vigueur le 25 février  [30], ce texte comporte 139 articles. Le 21 juillet 1831, le prince allemand Léopold de Saxe-Cobourg et Gotha est intronisé roi des Belges.

46 Les fondateurs de l’ordre constitutionnel belge instaurent un État unitaire fortement centralisé. En cela, ils sont les héritiers directs des principaux régimes politiques qui se sont succédé sur le sol belge au cours du dernier demi-siècle : le régime français (1795-1814) et le régime hollandais (1815-1830), qui tous deux ont reposé sur le principe d’un nationalisme centralisateur. Une structure étatique fortement unifiée et hiérarchisée, qui voit une volonté unique partir du niveau central et être transmise et exécutée de façon homogène en tout point du pays, est perçue comme la garante de l’unité de l’État-nation à bâtir ou à consolider. Et ce d’autant que, dans l’esprit de nombre des congressistes belges, est encore bien vivace le souvenir des particularismes de l’Ancien Régime, qui nuisaient alors à toute action commune – ainsi que l’avait notamment prouvé l’échec de l’expérience confédéraliste de la Révolution belgique de 1789-1790 (dite aussi Révolution brabançonne, contre le régime autrichien).

47 Sur le plan politique et administratif, trois niveaux de pouvoir sont établis : l’État, les provinces et les communes. L’État dispose d’une réelle prééminence : il est l’autorité centrale, il détient l’ensemble des compétences (et c’est à lui de déterminer les matières dont il confie l’exécution aux provinces et aux communes ou dont il accepte que celles-ci s’emparent) et ses décisions s’appliquent à tout le pays. Les provinces et les communes lui sont strictement subordonnées.

48 Les provinces et les communes sont à la fois des administrations déconcentrées et des organes décentralisés : d’une part, elles exercent un certain nombre de tâches administratives que l’État leur a déléguées et, d’autre part, elles règlent et gèrent les affaires publiques locales. Ainsi, dans les communes, le bourgmestre est à la fois le représentant du pouvoir supérieur (il est chargé de l’exécution des lois, il remplit les fonctions d’officier d’état civil, etc.) et le chef politique local (il préside les séances du conseil communal et du collège, et il signe les actes de la commune), et le collège des bourgmestre et échevins est chargé à la fois d’appliquer les lois qui s’imposent aux communes et d’exécuter les résolutions communales (prises par le conseil communal, élu par la population). Dans les provinces, le gouverneur est uniquement un agent du gouvernement, tandis que la députation permanente est chargée d’appliquer les lois qui s’imposent aux provinces et d’exécuter les décisions provinciales (prises par elle-même ou par le conseil provincial, élu par la population).

49 Les compétences propres de ces deux niveaux de pouvoir sont cantonnées aux matières d’intérêt respectivement provincial ou communal  [31]. Mais même dans ce cadre précis, l’autonomie des provinces et des communes est limitée, puisque chacune de leurs actions est susceptible d’une intervention du pouvoir central. En effet, les arrêtés et règlements des provinces et des communes doivent respecter les normes hiérarchiquement supérieures ; en outre, ces actes sont toujours soumis à la tutelle administrative de l’autorité supérieure, qui peut intervenir soit à titre préventif (par le biais de la condition d’approbation, d’autorisation ou d’avis), soit de manière répressive (par le biais de la suspension, de l’annulation ou de la substitution).

50 Jusqu’en 1963, la législation provinciale évolue dans le sens d’une centralisation renforcée : les provinces ne possèdent aucune autonomie politique réelle et ne disposent que d’une autonomie administrative réduite  [32]. Pour sa part, la législation communale est davantage le résultat d’un équilibre entre l’exigence d’unité nationale et la défense des libertés locales. D’emblée, les communes se voient attribuer un rôle propre et une plénitude de compétence pour la gestion de la vie quotidienne des collectivités locales. Mais la notion d’intérêt communal n’étant définie ni par la Constitution ni par la loi, l’État central se réserve le droit de s’approprier à tout moment les matières qui viendraient à lui apparaître relever de l’intérêt national  [33].

1.1.2. Le Mouvement flamand et les premières lois linguistiques

51 En réaction contre les tentatives de néerlandisation menées par le régime hollandais, le jeune État belge proclame la liberté des langues afin d’éviter tout risque de décision arbitraire de l’exécutif en la matière. Ainsi, le gouvernement provisoire de la Belgique arrête le 16 novembre 1830 que « les citoyens, dans leurs rapports avec l’administration, sont autorisés à se servir indifféremment de la langue française, flamande ou allemande ». Quant à la Constitution belge du 7 février 1831, elle dispose en son article 23 (actuel article 30) : « L’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires judiciaires ».

52 Dans la pratique, l’application de l’arrêté du 16 novembre 1830 se heurte au fait que de nombreux fonctionnaires ne maîtrisent pas d’autre langue que le français. Quant à la possibilité de législation linguistique inscrite dans la Constitution, elle n’est pas activée. En l’absence de réglementation, la liberté se transforme dès lors en une prépondérance de facto du français dans tous les domaines : administration, justice, enseignement supérieur, armée, etc. La langue française bénéficie en effet de nombreux facteurs, dont son prestige culturel international, son identification à l’appartenance au monde des nantis (ce qui incite la petite et moyenne bourgeoisie à l’adopter en imitation des notables), le climat de réaction contre le « joug hollandais » (qui la fait apparaître comme un symbole de liberté) et l’accaparement du pouvoir politique par les classes fortunées francophones ou francisées (par le biais du suffrage censitaire). Interviennent en outre des considérations de rationalité bureaucratique et de cohésion politique : l’usage d’une seule langue apparaît comme le garant du fonctionnement efficace et économique des rouages administratifs et comme un élément d’union susceptible de renforcer le sentiment national belge. Enfin, entre autres éléments explicatifs, s’ajoute le fait que les dialectes flamands, encore composites à cette époque, ne peuvent concurrencer la langue française unifiée.

53 Ainsi, l’arrêté du 16 novembre 1830 lui-même dispose que le Bulletin officiel est publié uniquement en français, eu égard au fait « que les langues flamande et allemande en usage parmi les habitants de certaines localités varient de province à province, et quelquefois de district à district, de sorte qu’il serait impossible de publier un texte officiel des lois et arrêtés en langues flamande et allemande ». Des versions en néerlandais et en allemand des actes du Parlement et du gouvernement doivent certes paraître également, mais elles n’ont le statut que de traductions officieuses  [34]. De même, cet arrêté stipule que les citoyens peuvent user du français, du néerlandais ou de l’allemand « dans leurs rapports avec les tribunaux ou les officiers du parquet », mais il assortit l’exercice de ce droit de la condition « que la langue dont ils veulent faire usage soit comprise des juges et des avocats plaidants en matière civile et, en matière pénale, des juges, du ministère public et de leur défenseur ».

54 Né peu après l’indépendance du pays, même si ses racines remontent à la fin du XVIIIe siècle, le Mouvement flamand revendique la reconnaissance officielle de la langue flamande. Ses premières manifestations d’envergure sont l’organisation d’un pétitionnement en 1840 et l’adoption d’un manifeste sept ans plus tard. La création d’une commission chargée « de rechercher et de signaler au gouvernement les mesures les plus propres pour assurer le développement de la littérature flamande et pour régler l’usage de la langue flamande dans ses rapports avec les diverses parties de l’administration publique » (dite Commission des griefs flamands) par un arrêté royal du 27 juin 1856 constitue en quelque sorte l’acte de reconnaissance du problème linguistique par les autorités belges.

55 Les premières lois linguistiques sont adoptées à partir de 1873  [35]. Dans un premier temps, ces dispositions législatives visent à donner une certaine place au néerlandais dans la vie publique en Flandre (administration, justice, enseignement), sans porter atteinte à la suprématie du français ni au caractère francophone de l’appareil d’État. Dans un deuxième temps, la perspective de ces lois – dont la production va en s’accélérant et qui concernent des domaines aussi variés que les pièces de monnaie et les billets de banque, les timbres-poste, le Moniteur belge, etc. – change sensiblement : elle consiste désormais à instaurer le bilinguisme en Flandre et un début de bilinguisme étatique.

56 Cette inflexion s’explique par divers facteurs, dont un renforcement du Mouvement flamand au plan numérique (jusqu’alors, il ne touchait guère les milieux populaires), l’introduction du suffrage universel tempéré par le vote plural en 1893 (qui induit que les parlementaires élus en Flandre ne peuvent plus ignorer la question linguistique) et, élément à ne pas négliger, le mécontentement suscité par la manière dont l’État belge répond aux revendications linguistiques flamandes. Force est en effet de constater que celles-ci doivent souvent attendre longtemps avant d’être traitées, qu’elles ne sont que partiellement satisfaites et que la mise en application des lois linguistiques n’est opérée qu’avec lenteur.

57 Le 18 avril 1898, est promulguée la loi « relative à l’emploi de la langue flamande dans les publications officielles » (dite loi d’égalité ou gelijkheidswet), qui établit le principe de l’équivalence sur le plan juridique des textes français et néerlandais des lois et arrêtés ; cette date est donc celle de la reconnaissance du néerlandais comme langue nationale, au même titre que le français. Cependant, la version néerlandaise de la Constitution belge (telle qu’officiellement établie le 25 novembre 1925) ne recevra une force juridique égale à celle de la version française que le 10 avril 1967  [36] ; jusqu’à cette époque, elle sera dénuée de valeur authentique.

Les dialectes romans et néerlandais dans la Belgique du XIXe siècle

Dans la Belgique du XIXe siècle, l’élite sociale (à savoir la noblesse et la grande bourgeoisie, ainsi que de plus en plus la petite et moyenne bourgeoisie) parle le français. Il n’en va pas de même du reste de la population, au sein de laquelle prévalent une multitude de dialectes.
Les idiomes usités en Wallonie se divisent essentiellement en sept ensembles romans : le picard, le wallon occidental, le wallon central, le wallon oriental, le wallon méridional, le gaumais (ou lorrain) et le champenois. Pour sa part, la Flandre est subdivisée en quatre groupes dialectaux néerlandais : le flamand oriental, le flamand occidental, le limbourgeois et le brabançon (dont fait notamment partie l’anversois). À Bruxelles, est parlé le brusseleir, qui est une déclinaison du brabançon.
En Flandre, seules deux zones dialectales peuvent donc être qualifiées de flamandes (celles correspondant, grosso modo, aux provinces de Flandre occidentale et de Flandre orientale). L’habitude n’en a pas moins été rapidement prise de désigner l’ensemble des parlers néerlandais en usage dans la partie nord de la Belgique par « le flamand » ou « la langue flamande ». Toutefois, lorsque la législation emploie ces expressions, il faut comprendre qu’elle vise en réalité le néerlandais. En effet, les quelques tentatives d’élaborer une langue unifiée à l’échelle de la Flandre ont échoué. Eu égard à cette absence de « flamand standardisé », il a dès lors été opté pour le néerlandais. En l’occurrence, une orthographe néerlandaise uniformisée résultant des travaux de congrès linguistiques et littéraires (dont le premier a eu lieu à Gand en 1849) est appliquée en Belgique et aux Pays-Bas depuis respectivement 1864 et 1883. Une norme commune aux deux pays sera adoptée officieusement en 1927 : l’Algemeen beschaafd Nederlands (ABN), depuis lors renommée Algemeen Nederlands ou Standaardnederlands. Ce cheminement sera consacré officiellement par la signature de deux textes conclus par la Belgique et les Pays-Bas : un accord du 16 mai 1946 concernant les relations culturelles et intellectuelles et un traité du 9 septembre 1980 instituant une union linguistique néerlandaise.
Partout en Belgique, les dialectes reculeront progressivement au XXe siècle au profit soit du français soit du néerlandais, évolution à laquelle contribuera puissamment l’instauration de l’enseignement primaire obligatoire à partir de l’entre-deux-guerres. Aujourd’hui encore, une certaine diversité linguistique subsiste cependant en Flandre.

1.1.3. Le Mouvement wallon et le projet de « séparation administrative »

58 La naissance du Mouvement wallon constitue une réaction aux conquêtes législatives progressivement engrangées par le Mouvement flamand dans le champ linguistique au cours du dernier quart du XIXe siècle. Initialement, le combat des militants wallons vise à maintenir la prépondérance du français, gage selon eux de l’unité de la Belgique, et, plus largement, à conserver intactes les structures centralisées de l’État belge héritées de la Révolution de 1830.

59 La première association wallonne structurée apparaît en 1877 et le premier congrès wallon se tient en 1890. Le Mouvement wallon est alors composé non seulement d’habitants du sud du pays, mais également de « Wallons » – c’est-à-dire, dans le vocabulaire actuel, de francophones – habitant en région bruxelloise et en Flandre. C’est d’ailleurs en territoire bruxellois et sur les terres flamandes que naissent les premières Sociétés (ou Ligues) de défense wallonne. Cette situation s’explique aisément : les francophones unilingues du centre et du nord du pays sont les premiers menacés, dans leurs accès aux emplois et mandats publics puis dans leurs perspectives de carrière (et donc dans leur ascension sociale), par une évolution linguistique qui octroie une place croissante au néerlandais dans tous les domaines de la vie publique  [37].

60 Au début des années 1910, un tournant idéologique s’opère parmi les militants wallons. Inquiet des avancées du Mouvement flamand et convaincu que la Wallonie est de plus en plus négligée et défavorisée par un État belge dominé par le nord du pays (en particulier sur le plan économique)  [38], le Mouvement wallon cesse de porter un objectif unitariste. Désormais, il réclame une « séparation administrative » entre la Wallonie et la Flandre  [39]. Par là, il entend le fait de permettre à la Wallonie d’être reconnue comme une entité spécifique au sein de l’État belge, puis d’acquérir une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir central  [40].

61 Toutefois, lorsque, durant la Première Guerre mondiale, une « séparation administrative » entre la Wallonie et la Flandre (cette dernière comprenant l’arrondissement de Bruxelles) est décrétée par l’occupant allemand, l’entreprise se solde par un échec du côté wallon. En effet, le Mouvement wallon refuse de voir ses aspirations exaucées en temps de guerre (et donc en dehors du cadre belge) et, surtout, au prix d’une collaboration avec l’envahisseur. D’autant que la séparation administrative mise en place par les Allemands ne correspond guère aux revendications wallonnes d’avant-guerre. Dès lors, les ministères wallons théoriquement mis en place à Namur restent une fiction. En revanche, la manœuvre allemande est accueillie favorablement par certains membres du Mouvement flamand, dont elle a d’ailleurs pour but de flatter et d’encourager les aspirations autonomistes. Ces activistes flamingants collaborationnistes lui donnent une certaine concrétisation et, même, la radicalisent : le 22 décembre 1917, par la voix du Conseil de Flandre (Raad van Vlaanderen) qu’ils ont créé le 4 février de la même année, ils proclament l’indépendance de la Flandre (décision qui n’est toutefois pas reconnue par l’Allemagne).

62 Après la Grande Guerre, le projet d’une évolution institutionnelle de l’État belge selon une logique centrifuge reste bien vivace au sein du Mouvement wallon. En outre, il est désormais solidement ancré au sein du Mouvement flamand également. Mais l’expression « séparation administrative » est dorénavant connotée négativement, ayant été discréditée par l’expérience des années 1917-1918. Elle disparaît donc des discours pour y être remplacée par celles, plus neutres mais également plus exactes, d’« autonomie » puis, surtout, de « fédéralisme ».

1.1.4. La fixation des régions linguistiques

63 Après la Première Guerre mondiale, le Mouvement flamand approfondit ses revendications. Désormais, il s’agit de procéder à une néerlandisation complète et exclusive du domaine public en Flandre. Dans les années 1920, les lois linguistiques commencent à tendre vers l’unilinguisme régional intégral, même si elles s’efforcent encore de promouvoir un certain bilinguisme. En revanche, la décennie suivante est celle de l’instauration légale d’un unilinguisme régional pur et simple  [41].

64 En dépit de cette évolution législative, l’usage du français continue à se répandre en Flandre. Constaté recensement après recensement, ce phénomène marqué hérisse les militants flamands, en particulier s’agissant des communes qui environnent la ville de Bruxelles ou qui sont situées le long de la frontière linguistique légalement établie entre la Wallonie et la Flandre depuis le 22 mai 1878 (date de la promulgation de la première loi relative à l’emploi des langues en matière administrative). Dès l’entre-deux-guerres, il devient même un abcès de fixation du contentieux communautaire  [42].

65 Notamment, le Mouvement flamand s’offusque du principe d’une frontière linguistique mobile (dite aussi à géométrie variable) contenu dans les lois du 31 juillet 1921 puis du 28 juin 1932 relatives à l’emploi des langues dans l’administration, à savoir que les communes situées dans les régions linguistiques française et néerlandaise  [43] changent de régime linguistique – d’abord sur une base volontaire en 1921, puis de façon automatique à partir de 1932 – si la proportion de leurs habitants parlant l’autre langue nationale vient à dépasser les 50 % (évolution constatée par les recensements décennaux)  [44]. Selon les militants flamands, ce mécanisme joue essentiellement en faveur de la langue française.

66 En 1947, les résultats du recensement démographique indiquent que les francophones ont passé la barre des 50 % de la population dans les communes flamandes de Berchem-Sainte-Agathe, Evere et Ganshoren, ce qui implique que celles-ci doivent adopter le régime linguistique français . Sous la pression des Flamands, la publication de ces résultats est différée de plusieurs années et la mise en œuvre de leurs effets est adaptée. En vertu d’une loi du 2 juillet 1954, les trois communes quittent la région linguistique néerlandaise pour être intégrées à l’agglomération bilingue de Bruxelles. Craignant que le recensement de 1960 ne voie le pourcentage de francophones atteindre les 50 % dans d’autres communes de la périphérie bruxelloise, le Mouvement flamand se mobilise contre cette opération, qu’il parvient à retarder avant d’obtenir, en 1961, la suppression du volet linguistique des recensements.

67 Peu après, deux lois du 8 novembre 1962 et du 2 août 1963 divisent la Belgique en quatre régions linguistiques  [45] : la région de langue française, la région de langue néerlandaise  [46], la région bilingue de Bruxelles-Capitale (français-néerlandais) et la région de langue allemande. Par ailleurs, afin de renforcer l’homogénéité linguistique des provinces et arrondissements, il est procédé à divers transferts de communes ; en particulier, les six communes fouronnaises (par la suite fusionnées en la commune de Fourons) sont détachées de la province de Liège au bénéfice de celle de Limbourg – ce qui provoque de vives tensions communautaires  [47] –, tandis que les cinq communes cominoises et les quatre communes mouscronnoises (ensuite fusionnées en les communes de Comines-Warneton et de Mouscron) passent de la province de Flandre occidentale à celle de Hainaut.

68 L’adoption de ces deux lois linguistiques constitue une importante victoire pour le Mouvement flamand. En effet, il est acté que le mécanisme instauré en 1932 – et qui n’a jamais été réellement mis en application  [48] – est aboli : désormais, les délimitations des régions linguistiques ne feront plus l’objet d’une adaptation automatique (que ce soit sur la base d’un recensement ou autrement) mais ne pourront être modifiées qu’en vertu d’une loi. Or les Flamands – majoritaires au Parlement – font rapidement savoir aux francophones que jamais ils n’accepteront de voter en faveur d’une telle loi. Ainsi, en 1962-1963, la Flandre s’assure de facto que l’agglomération bilingue de Bruxelles cessera désormais de croître aux dépens du territoire flamand : celle-ci est fixée aux 19 communes qui la composent toujours de nos jours. C’est ce que l’on appellera bientôt le « clichage » (ou le « gel ») de la frontière linguistique. Plus tard, apparaîtra le slogan « Taalgrens is staatsgrens » (« La frontière linguistique est frontière d’État »).

69 L’adoption des lois de 1962-1963 a globalement été acquise par un vote de la majorité néerlandophone contre la minorité francophone  [49]. Il convient toutefois de noter que la première est apparue sensiblement plus unie que la seconde.

70 Initialement, la portée de la fixation des régions linguistiques – qui ne sont que des subdivisions administratives, et non des collectivités politiques – se limite à déterminer des territoires en vue de l’application de la législation relative à l’emploi des langues. Par la suite toutefois, les implications de cette opération s’avéreront bien plus importantes. D’une part, les ressorts des entités fédérées seront déterminés sur la base des régions linguistiques. D’autre part, un principe juridique de primauté de la langue de la région dans chacune des trois régions unilingues (et, en particulier, de primauté de la langue néerlandaise en Flandre) sera progressivement consacré  [50].

La langue allemande en Belgique

Au XIXe siècle, une petite partie de la population du sud de la Belgique parle une langue moyenne-allemande : il s’agit essentiellement du francique luxembourgeois, usité dans la région d’Arlon-Messancy *. Jusqu’en 1921, l’allemand y est autorisé dans les administrations communales et les écoles primaires. Ensuite, son usage disparaît légalement au profit de celui du français.
Lors de la Conférence de la paix organisée par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale, la Belgique obtient de s’agrandir quelque peu au détriment de l’Allemagne : elle reçoit, d’une part, l’ancien territoire contesté de Moresnet-neutre (dont l’annexion à la Belgique est effective dès le 10 janvier 1920, date d’entrée en vigueur du Traité de Versailles) et, d’autre part, les cercles d’Eupen et de Malmedy qu’elle redivise bientôt en cantons d’Eupen, de Malmedy et de Saint-Vith (et dont, en revanche, l’incorporation à l’État belge ne sera effective que le 20 septembre 1920 en droit international et le 7 mars 1925 en droit belge). Divers dialectes romans ou germaniques sont usités par la population de ces contrées nouvellement belges : ils sont de type wallon oriental pour les uns, et de types francique ripuaire, francique mosellan et francique luxembourgeois pour les autres. Par dérogation aux lois linguistiques générales, un arrêté royal du 4 octobre 1925 permet l’usage du français et de l’allemand (ainsi qu’éventuellement du néerlandais) dans les trois nouveaux cantons.
La région de langue allemande créée par la loi du 2 août 1963 est composée des diverses communes germanophones annexées après la Grande Guerre (les autres – dites communes malmédiennes – étant englobées dans la région de langue française). Prend alors fin la politique de francisation qui, dans les faits, avait jusqu’alors prévalu dans cette région.
La version allemande de la Constitution ne recevra le même statut juridique que les versions française et néerlandaise que le 23 octobre 1991  **. Cependant, de nos jours encore, les lois et arrêtés royaux ne sont pas systématiquement traduits en allemand, le Moniteur belge n’étant pas devenu trilingue.
* De sa proclamation d’indépendance jusqu’en 1839, année de la conclusion du Traité des XXIV Articles, la Belgique comprenait également de facto le territoire actuel du Grand-Duché de Luxembourg (à l’exception de la ville de Luxembourg, restée sous le contrôle de Guillaume Ier d’Orange-Nassau). À cette époque, la proportion d’habitants du sud du pays parlant une langue apparentée à l’allemand était donc sensiblement plus importante.
**  Date à laquelle l’article 140 (actuel article 189) de la Constitution est modifié pour disposer : « Le texte de la Constitution est établi en français, en néerlandais et en allemand ».

1.1.5. Vers la fin de la Belgique unitaire

71 Les diverses évolutions législatives que nous venons de retracer succinctement sont la traduction dans le droit des multiples tensions qui agitent la société belge selon une double ligne de fracture procédant du clivage centre-périphérie.

72 Sur le plan linguistique et culturel, les tensions opposent francophones et néerlandophones depuis la première moitié du XIXe siècle. Voyant leur langue et leur culture menacées par un État et des élites largement francisés, les néerlandophones œuvrent à les défendre et à les promouvoir, non seulement en Flandre et à Bruxelles – ville qu’ils estiment « historiquement flamande » – mais également au niveau national. Pour leur part, les francophones rechignent à cette évolution. Petit à petit, l’espace francophone se réduit à la Wallonie et à la région bruxelloise, la francisation reculant en Flandre (où, dès la fin du XIXe siècle, l’influence des « notables fransquillons »  [51] a commencé à décliner). Les autorités belges s’avèrent incapables de régler ce que l’on appelle alors la « question linguistique », qui apparaît de plus en plus prégnante.

73 Sur le plan social et économique, les tensions opposent Wallons et Flamands depuis le tournant des XIXe-XXe siècles. À son combat pour l’égalité linguistico-culturelle, le Mouvement flamand a alors ajouté celui pour l’égalité socio-économique. Dans le même temps, le Mouvement wallon a commencé à dénoncer les transferts financiers sud-nord et les discriminations infligées à la Wallonie en matière d’infrastructures et de transports. Cette question est exacerbée par le fait que les deux régions connaissent des évolutions économiques contraires : la Flandre profite d’un essor constant, alors que la Wallonie a amorcé une phase de déclin  [52]. En termes de production et d’investissements, le centre de gravité passe du sud au nord du pays au début des années 1960. Au milieu de la même décennie, le niveau de richesse de la Wallonie est rattrapé puis dépassé par celui de la Flandre  [53].

74 De multiples épisodes ponctuent, attisent ou incarnent ces tensions  [54]. Citons notamment la flamandisation graduelle de l’Université de l’État à Gand entre 1923 et 1930, la résiliation du pacte de défense militaire franco-belge en 1936 (dans le cadre d’un retour à une « politique de neutralité »), la répression de la collaboration au lendemain de la Seconde Guerre mondiale  [55], la Question royale de 1944-1950  [56], la création d’un Centre de recherches pour la solution nationale des problèmes sociaux, politiques et juridiques en régions wallonne et flamande (dit centre Harmel) en 1948  [57], la lutte scolaire des années 1950-1958  [58], la grève de l’hiver 1960-1961  [59], les marches flamandes sur Bruxelles de 1961-1962  [60], l’affaire de Louvain en 1967-1968 (épisode parfois également appelé le « Walen buiten », c’est-à-dire « Les Wallons dehors »)  [61], la naissance de mouvements militants (Action fouronnaise, Taal Aktie Komitee, etc.)  [62], le « splitsing » linguistique de nombreuses institutions nationales (telles que l’INR en BRT et RTB en 1960 ou le Ministère de l’Éducation nationale et de la Culture à partir de 1961)  [63] et la création de ministères et secrétariats d’État spécifiques (Relations communautaires et Économie régionale en 1968). S’y ajoutent la scission des principaux partis nationaux en l’espace d’une décennie (à commencer par le PSC-CVP en 1968)  [64] et l’apparition de formations politiques subnationales (Frontpartij en 1919, VNV en 1933, Volksunie en 1954, FDF en 1964, RW en 1968, etc.)  [65]. Ce dernier facteur n’est pas négligeable dans un pays où, progressivement depuis l’instauration du suffrage universel masculin pur et simple en 1919, les partis politiques sont devenus des détenteurs majeurs du pouvoir politique  [66].

75 Il est à souligner que, du côté flamand, prévaut de longue date déjà un véritable nationalisme politique et économique, alors que, de l’autre côté de la frontière linguistique, est tout au plus à l’œuvre une conscience régionale wallonne  [67]. En outre, la majorité des francophones continuent à s’identifier d’abord et avant tout, voire exclusivement, à la Belgique.

1.2. La Belgique communautaire (1970-1980)

76 Au fil des années, le fossé s’est donc accru entre le sud et le nord du pays. Chacune des deux grandes communautés linguistiques et culturelles du pays dénonce les atermoiements et blocages d’un État unitaire qu’elle perçoit comme dominé et dirigé par l’autre et qu’elle estime nuire à ses intérêts.

77 Le 18 février 1970, le Premier ministre Gaston Eyskens (CVP) déclare devant les Chambres : « De unitaire Staat, met zijn structuur en zijn werkwijze zoals die thans door de wetten nog geregeld zijn, is door de gebeurtenissen achterhaald. De Gemeenschappen en de Gewesten moeten hun plaats innemen in vernieuwde staatstructuren die beter aangepast moeten zijn aan de eigen toestanden van het land » (« L’État unitaire, tel que les lois le régissent encore dans ses structures et dans son fonctionnement, est dépassé par les faits. Les Communautés et les Régions doivent prendre leur place dans des structures rénovées de l’État, qui doivent être mieux adaptées aux situations spécifiques du pays »)  [68] – phrase qui passera à la postérité sous la forme « La Belgique de papa a vécu »  [69]. Le chef du gouvernement annonce alors la révision de la Constitution à laquelle le monde politique belge s’attelle depuis plusieurs années  [70] et qui a pour but de concilier deux tendances en partie contradictoires : l’aspiration flamande à une autonomie culturelle (position communautariste, qui concerne les personnes) et la revendication wallonne d’une décentralisation économique (orientation régionaliste, qui concerne les territoires). S’y joint en outre la volonté d’instaurer un équilibre entre les deux principales communautés du pays.

Les notions de révision de la Constitution et de réforme de l’État

La notion de « révision de la Constitution » et celle de « réforme de l’État » (dite aussi « réforme institutionnelle ») se doivent d’être distinguées.
Depuis 1831 (ou, pour être plus précis, entre 1893 et 2021), le texte de la Constitution belge a été modifié à 65 reprises *. Mais toutes ces révisions constitutionnelles ne sont pas liées à une réforme de l’État, c’est-à-dire à une modification de la structure de l’État belge par la communautarisation ou la régionalisation – ou, peut-être à l’avenir, par la refédéralisation – de certaines compétences.
Quant à elles, les réformes de l’État – au nombre de six actuellement – sont opérées par une ou plusieurs révisions de la Constitution et/ou par l’adoption de lois (spéciales ou ordinaires) de réformes institutionnelles. Par ailleurs et secondairement, il convient d’ajouter que certains juristes estiment qu’existe aussi une réforme de l’État continue et latente, qui s’opère par le biais entre autres de la mise en œuvre des règles constitutionnelles par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et la légisprudence résultant des avis de la section de législation du Conseil d’État.
Précisons encore que les concepts de révision de la Constitution et de réforme de l’État sont de natures différentes. Une révision de la Constitution est un acte juridique posé dans le respect de normes procédurales strictes et contraignantes (fixées notamment dans la Constitution elle-même, c’est-à-dire dans la règle suprême de l’État). Une réforme de l’État est un regard posé par les acteurs et observateurs de la vie politique sur un processus d’évolution institutionnelle. Ainsi, s’il est communément admis qu’il y a eu six réformes de l’État à ce jour, il n’existe pas de consensus quant à la datation précise de chacune d’elles. Par exemple, certains constitutionnalistes estiment que la première réforme de l’État a débuté en 1967, année de l’inscription d’un article proclamant « Le texte de la Constitution est établi en français et en néerlandais » dans la loi fondamentale belge.
* Sans compter la renumérotation opérée en 1994.

1.2.1. La première réforme de l’État (1970-1973)

78 La première réforme de l’État  [71] oscille entre une logique binaire, voyant francophones et néerlandophones se faire face, en particulier au sein du gouvernement et du Parlement au niveau national, et une logique doublement ternaire, puisque sont créées trois Communautés culturelles et, en principe du moins, trois Régions.

79 Au niveau national, la révision constitutionnelle du 24 décembre 1970 instaure divers mécanismes visant à garantir une protection politique de la minorité francophone : parité linguistique au Conseil des ministres  [72], principe des lois à majorité spéciale pour les matières touchant aux structures du pays  [73], sonnette d’alarme  [74]. Il s’agit d’éviter que, à l’instar de ce qui s’était produit lors du vote des lois linguistiques de 1962-1963, les néerlandophones jouent de la majorité dont ils disposent au sein des organes de l’État pour prendre des mesures nuisant aux intérêts des francophones. C’est également à cette occasion que les membres de la Chambre des représentants et du Sénat sont répartis en deux groupes linguistiques (français et néerlandais, les éventuels parlementaires germanophones étant versés dans le premier)  [75].

80 Pour leur part, les Flamands ont obtenu que les quatre régions linguistiques légalement fixées en 1962-1963 soient désormais consacrées dans la Constitution  [76] et que leurs limites territoriales ne puissent être modifiées que par une loi à majorité spéciale  [77] – ce que les parlementaires néerlandophones sont fermement décidés à ne jamais permettre (c’est ce que l’on appelle le « bétonnage de la frontière linguistique »).

81 Au niveau subnational, la même révision constitutionnelle ajoute six entités nouvelles à l’architecture institutionnelle de la Belgique : trois Communautés culturelles  [78] (pour répondre à la demande flamande) et trois Régions  [79] (pour répondre à la demande wallonne).

82 Sur le plan juridique, les diverses entités sont logées à trois enseignes fort différentes  [80]. La Communauté culturelle française et la Communauté culturelle néerlandaise existent d’emblée, via l’article 59bis de la Constitution qui les dote d’une assemblée et qui fixe les matières qui sont de leur compétence (à savoir principalement l’emploi des langues et les matières dites culturelles)  [81] ; l’installation effective de leur assemblée et la détermination précise des matières qui sont de leur compétence doivent être réglées par l’adoption d’une loi spéciale. Pour sa part, la Communauté culturelle allemande existe également d’emblée, via l’article 59ter de la Constitution qui la dote d’une assemblée mais qui ne fixe pas ses compétences  [82] ; l’installation effective de son assemblée et la fixation de ses compétences doivent être réglées par l’adoption d’une loi ordinaire. Quant à elles, les Régions ne sont nullement créées par la Constitution  [83] : elles y font simplement l’objet de l’article 107quater, qui se limite à énoncer qu’une loi spéciale pourra être adoptée  [84], qui procédera à cette création et qui déterminera les compétences de type régional  [85].

83 Les entités communautaires voient effectivement le jour dans les années qui suivent : dès 1971 pour la Communauté culturelle française et pour la Communauté culturelle néerlandaise  [86], et en 1973 pour la Communauté culturelle allemande  [87]. Ces trois entités sont chacune dotées d’une assemblée  [88], qui est respectivement installée le 7 décembre 1971 dans les cas de la Communauté culturelle française et de la Communauté culturelle néerlandaise, et le 23 octobre 1973 dans celui de la Communauté culturelle allemande. En revanche, les trois Communautés culturelles ne disposent pas du pouvoir exécutif : c’est le gouvernement national qui assure ce rôle (qui, en l’occurrence, consiste essentiellement à mettre en œuvre les décisions prises par les assemblées communautaires).

84 Il est à relever que la Communauté culturelle allemande, non seulement est installée avec quelque retard par rapport aux deux autres Communautés culturelles, mais n’est pas placée sur un pied d’égalité avec elles. D’une part, son pouvoir est fortement restreint : il est essentiellement circonscrit au financement des activités culturelles et à l’application de la législation en matière culturelle et d’enseignement (mais à la condition que la loi en confie expressément la prérogative à la Communauté culturelle allemande  [89]) et à la fixation du nombre d’heures de cours en français dans les écoles germanophones et de cours en allemand dans les écoles primaires francophones (les décisions prises en la matière requérant cependant d’être confirmées par le Parlement national). D’autre part, contrairement aux Communautés culturelles française et néerlandaise, elle ne dispose pas du pouvoir d’adopter des normes législatives sous la forme de décrets : elle ne peut exercer ses rares compétences que par le biais d’arrêtés réglementaires soumis à la tutelle du gouvernement national.

85 Une autre différence entre les trois Communautés culturelles réside dans le mode de composition de leurs assemblées. En effet, le Conseil culturel de la Communauté culturelle française et celui de la Communauté culturelle néerlandaise sont constitués de parlementaires nationaux (députés et sénateurs membres du groupe linguistique français ou du groupe linguistique néerlandais de la Chambre des représentants ou du Sénat), tandis que les membres du Conseil de la Communauté culturelle allemande sont directement élus par la population de la région de langue allemande (le premier scrutin se tenant le 10 mars 1974).

86 Le monde politique wallon a accepté de coupler la mise en place des Communautés culturelles, non avec la création effective des Régions, mais avec l’adoption d’une loi de planification et de décentralisation économique (censée permettre à la Wallonie de se redresser par la création d’un Conseil économique régional, d’une Société de développement régional et d’une section wallonne du Bureau du plan). Or la loi tant attendue s’avère bien vite ne pas produire les effets escomptés  [90]. Quant à la régionalisation permise par l’article 107quater de la Constitution, elle nécessite, comme on l’a vu, l’adoption d’une loi spéciale pour être précisée et concrétisée. Or cette loi spéciale tarde à venir, francophones et Flamands ne parvenant pas à s’entendre sur deux points. D’une part, quel doit être le statut de la Région bruxelloise ? Les francophones se sont majoritairement ralliés à l’idée d’une Belgique fondée sur trois Régions placées sur un pied d’égalité, alors que la plupart des Flamands prônent l’édification d’une Belgique articulée autour des deux grandes Communautés culturelles (la région bruxelloise étant soit cogérée par celles-ci, soit transformée en une sorte de district fédéral directement administré par l’État central). D’autre part, quel doit être le territoire de la Région bruxelloise ? Les Flamands entendent le circonscrire aux 19 communes de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, tandis que les francophones refusent de le limiter à cette seule région linguistique.

87 S’agissant de la région bruxelloise, il convient encore de noter que la révision constitutionnelle du 24 décembre 1970 donne naissance à un organisme public supracommunal : l’Agglomération bruxelloise  [91]. Disposant du pouvoir réglementaire – mais non du pouvoir législatif, étant un simple organe subordonné –, celle-ci est constituée d’un Conseil (assemblée délibérante) élu par la population des 19 communes bruxelloises  [92] et d’un collège (instance exécutive). En outre, l’Agglomération bruxelloise est dotée d’une Commission française de la culture et d’une Commission néerlandaise de la culture (composées de membres élus respectivement par le groupe linguistique français et par le groupe linguistique néerlandais du Conseil d’Agglomération). Celles-ci se réunissent en Commissions réunies pour les matières entrant dans leurs compétences et étant d’un intérêt commun, ainsi que pour « la promotion de la mission nationale et internationale » de la région bruxelloise.

1.2.2. Un fédéralisme unique en gestation

88 Lors de la réforme de l’État de 1970-1973 – qui, à l’époque de son adoption, est censée être la seule que connaîtra le pays –, il n’est pas question de l’instauration d’un fédéralisme, mais uniquement de la « construction d’une Belgique communautaire et régionale » (selon les mots du ministre des Relations communautaires, le socialiste francophone Freddy Terwagne)  [93]. Il n’empêche que, d’emblée, la future structure fédérale belge présente trois caractéristiques uniques.

89 Primo, il s’agit d’un fédéralisme fondé sur deux types d’entités fédérées . Dans leur quasi-totalité, les États fédéraux ne connaissent qu’un seul type d’entités fédérées (Cantons en Suisse, Émirats aux Émirats arabes unis, États aux États-Unis, Länder en Allemagne, etc.)  [94]. La Belgique est l’une des très rares exceptions à cet égard  [95]. Cette particularité belge s’explique par le fait que, comme on l’a vu, les Flamands revendiquaient une autonomie culturelle (et donc une division de la Belgique en Communautés), tandis que les Wallons réclamaient une décentralisation économique (et donc la création de Régions). Cependant, un élément a empêché de rencontrer ces deux desideratas par la création d’un unique type d’entités fédérées : l’absence d’une vision commune quant au sort de l’agglomération bruxelloise. Les néerlandophones ont refusé qu’une entité bruxelloise exerce à la fois les compétences régionales et communautaires, puisque ces dernières compétences, étroitement liées à la langue, auraient alors risqué d’être gérées selon les vœux de la majorité numérique francophone, rompant ainsi le lien entre les Flamands de Flandre et ceux de Bruxelles dans ces matières. Comme les Bruxellois ne voulaient pas être cogérés par de futures entités wallonne et flamande, il a été décidé de créer à la fois des Régions pour assurer l’autonomie bruxelloise dans les matières liées au territoire, et des Communautés pour permettre aux francophones et aux néerlandophones d’avoir leur propre politique culturelle à Bruxelles  [96].

90 Secundo, il s’agit d’un fédéralisme de superposition , c’est-à-dire d’un fédéralisme dans lequel les entités fédérées ne sont pas exclusives l’une de l’autre sur un même territoire. Dans les autres États fédéraux, en un point donné du territoire national, ne sont amenés à intervenir que le pouvoir fédéral et un seul et unique pouvoir fédéré  [97]. En Belgique, au contraire, les ressorts territoriaux des Communautés et des Régions se superposent, à telle enseigne qu’il n’existe pas un point du territoire national sur lequel ne serait compétent qu’un seul de ces pouvoirs fédérés. Pour ajouter à cette complexité, les Communautés et les Régions ne se recouvrent pas de manière exacte.

91 En l’occurrence, la Communauté culturelle française est compétente dans la région de langue française et dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale ; la Communauté culturelle néerlandaise est compétente dans la région de langue néerlandaise et dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale ; la Communauté culturelle allemande est compétente dans la région de langue allemande ; le territoire de la Région wallonne englobe à la fois la région de langue française et la région de langue allemande  [98] ; le territoire de la Région flamande correspond à la région de langue néerlandaise ; et le territoire de la Région bruxelloise coïncide avec la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Il convient en particulier de souligner que la Communauté culturelle française et la Communauté culturelle néerlandaise sont l’une et l’autre compétentes, et pour les mêmes matières, en région bilingue de Bruxelles-Capitale. En effet, pour éviter de devoir répartir les habitants de cette région linguistique en sous-nationalités qui identifieraient les individus à l’une ou l’autre Communauté de manière obligatoire, définitive et exclusive, la Constitution dispose que ces deux Communautés y sont compétentes, non pour les personnes physiques, mais pour les institutions qui s’adressent, respectivement, aux francophones ou aux néerlandophones  [99]. En région bruxelloise, les décisions des deux grandes Communautés ont donc un impact sur la vie des personnes par le biais indirect des institutions qui offrent des services, institutions que chaque citoyen choisit librement de solliciter ou non.

92 Tertio, le fédéralisme belge n’est pas bâti sur une logique strictement territoriale. Dans les autres États fédéraux, le territoire national est découpé en un certain nombre d’aires géographiques, et l’ensemble des habitants d’une aire donnée relèvent de la même entité fédérée. En Belgique, la situation est plus complexe puisque deux entités fédérées – et non des moindres, puisqu’il s’agit de la Communauté culturelle française et de la Communauté culturelle néerlandaise – n’ont pas de territoire au sens strict. Certes, elles ont une assise territoriale propre, à savoir la région linguistique correspondante. Cependant, elles ont aussi « une excroissance commune, où l’une ou l’autre sont compétentes pour les mêmes objets »  [100] : la région bilingue de Bruxelles-Capitale.

1.2.3. Vers une régionalisation effective

93 Par une loi du 1er août 1974, une « régionalisation préparatoire » est mise en place  [101]. Les trois futures Régions voient leurs limites géographiques définies de manière provisoire (correspondant toutefois à celles qui seront arrêtées in fine dans les années 1980) et sont dotées chacune de compétences, d’un budget, d’un conseil régional et d’un comité ministériel des affaires régionales. Le Conseil régional wallon et le Conseil régional flamand (Vlaamse Gewestraad) sont composés des sénateurs domiciliés en Wallonie ou en Flandre et membres du groupe linguistique français ou néerlandais de la haute assemblée, tandis que le Conseil régional bruxellois est composé de l’ensemble des sénateurs domiciliés en région bruxelloise et d’une partie des membres du Conseil d’Agglomération ; ces organes sont tous trois installés le 26 novembre 1974 (respectivement à Namur, à Malines et à Bruxelles). Quant à eux, les trois comités ministériels des affaires régionales sont constitués de membres du gouvernement national. Il ne s’agit pas là d’une réelle régionalisation, qui conférerait une réelle autonomie socio-économique aux Régions, mais simplement d’une tentative d’introduction d’une certaine logique régionale au sein de l’État central. En particulier, le rôle des conseils régionaux est purement consultatif.

94 Par une loi du 19 juillet 1977, il est mis fin à l’expérience de la régionalisation préparatoire  [102] : les trois conseils régionaux sont supprimés. Toutefois, les trois comités ministériels des affaires régionales sont maintenus, ainsi que les budgets.

95 Quelque temps plus tôt, le 24 mai 1977, cinq partis (CVP, PSB-BSP, PSC, FDF et VU) ont conclu un accord politique pour une seconde réforme de l’État : le « pacte d’Egmont ». Celui-ci est ensuite complété et partiellement modifié, après de nouvelles négociations tenues entre septembre 1977 et février 1978, par les « accords du Stuyvenberg ». La réforme projetée contient diverses mesures qui satisfont soit les francophones (dont la création de trois Régions de même statut et dotées du pouvoir décrétal) soit les néerlandophones (telle la limitation du territoire de la Région bruxelloise aux 19 communes de l’agglomération)  [103]. Toutefois, le pacte d’Egmont ne sera jamais mis en œuvre, en raison de la vive et croissante opposition qu’il rencontre en Flandre, notamment au sein du CVP et de la VU  [104].

96 L’année suivante, il est décidé d’élargir l’autonomie des comités ministériels des affaires régionales et de permettre aux Communautés culturelles française et néerlandaise de bénéficier également d’une première structuration du pouvoir exécutif. En conséquence de quoi, une loi du 5 juillet 1979 crée des institutions communautaires et régionales provisoires  [105]. Quatre comités ministériels sont institués au sein du gouvernement national : ils ont pour noms exécutif de la Communauté française, exécutif de la Communauté néerlandaise et de la Région flamande, exécutif de la Région wallonne et exécutif de la Région bruxelloise. En outre, ces organes sont dotés chacun d’une administration (« ministère ») placée sous leur seule autorité : elle est chargée de préparer les décisions politiques de l’exécutif et d’assurer leur exécution.

1.3. La Belgique communautaire et régionale (1980-1993)

97 La réforme de l’État opérée en 1970-1973 était censée apaiser les tensions communautaires. Mais elle n’a satisfait ni les francophones (dont les Wallons, qui ont été empêchés d’avancer dans leur projet institutionnel) ni les néerlandophones (qui n’ont pas obtenu gain de cause pour l’ensemble de leurs revendications). Bien plus, elle a aiguisé les appétits autonomistes. Rapidement, il s’avère que c’est une véritable dynamique de mutations successives qui a ainsi été amorcée.

98 Cette réalité ne s’impose pas immédiatement à l’esprit des responsables politiques francophones, qui pensent que la structure de l’État sera stabilisée une fois que les trois Régions auront été mises en place. Encore au lendemain de la quatrième réforme de l’État, adoptée en 1992-1993, ils demeureront largement dans cette perspective. En cela, le contraste est net avec les responsables politiques flamands, qui sont bien plus rapides à comprendre – ou à faire en sorte – que l’une des caractéristiques du fédéralisme belge sera d’être en perpétuelle évolution . En 1993, le Premier ministre Jean-Luc Dehaene (CVP) lui-même se dit convaincu que le processus de réforme de l’État belge ne sera jamais achevé, étant par nature évolutif. Et cela alors même que, en tant que chef du gouvernement, il travaille à l’élaboration d’une quatrième réforme institutionnelle qui proclame avoir pour visée d’« achever la structure fédérale de l’État »  [106]. Preuve s’il en est d’une ambiguïté – due à une absence d’accord – sur la dynamique à l’œuvre elle-même.

99 Généralement, la structure d’un État fédéral est fixée dès l’origine de cet État et elle est assez stable. Résultant des tractations entre les différentes entités précédemment indépendantes, elle est inscrite dans la Constitution qui fonde le nouvel État. Par la suite, des révisions peuvent avoir lieu (par exemple, à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau membre dans la fédération), mais elles se limitent le plus souvent à procéder à des aménagements. Ainsi, la Constitution élaborée en 1787 par les États-Unis (ou, plus précisément, par les treize États qui composaient alors la jeune république américaine) est d’application depuis le 4 mars 1789. Elle a certes connu 27 amendements additionnels depuis lors, mais sans qu’aucun d’eux ne modifie la structure fédérale du pays. La Suisse et le Canada, dont l’organisation fédérale date respectivement de 1848 et de 1867, figurent également parmi les régimes constitutionnels les plus stables (cette stabilité même étant par ailleurs source de tensions dans le cas canadien).

100 Rien de tout cela en Belgique, qui constitue l’un des rares cas de « fédéralisme par acheminement »  [107] : du fait des tendances centrifuges qui l’agitent, le pays est engagé dans un processus de transformation institutionnelle progressive. Tout se passe comme si chaque réforme de l’État était appelée à n’être qu’une étape provisoire et à susciter, de manière presque mécanique, son propre dépassement (à tel point que l’on a pu parler de « chantier institutionnel quasi permanent »  [108]). Cela est essentiellement dû au fait que chaque réforme institutionnelle est le fruit d’un compromis – voire parfois d’un donnant-donnant – entre plusieurs volontés différentes et souvent même contradictoires, dont aucune n’est jamais pleinement satisfaite de l’issue des négociations. Les concessions et, surtout, les renoncements alimentent donc la volonté d’une réforme ultérieure, d’autant qu’apparaissent bientôt des aspirations supplémentaires. Ces dernières naissent parfois des imperfections de la réforme précédente ; elles peuvent également être dues à des besoins nouveaux.

101 Cela nous amène à évoquer une autre caractéristique du fédéralisme belge. Non seulement celui-ci se construit par étapes successives, chacune semblant générer automatiquement la suivante, mais il est empirique, c’est-à-dire qu’il s’élabore sans qu’un plan global – ni même un projet commun ou un horizon – n’ait été préalablement convenu entre les acteurs politique s  [109]. En effet, la constante mutation institutionnelle à l’œuvre ne repose sur aucune feuille de route préconçue (ni d’ailleurs sur aucune méthode de négociation arrêtée)  [110]. Elle s’opère avec une certaine part d’improvisation, au fur et à mesure des difficultés rencontrées, des thèses et revendications en présence, et des règlements politiques dégagés sur la base des rapports de force existants. Et cela d’autant que chaque vague institutionnelle est négociée dans le contexte d’une crise politique aiguë qui l’a impulsée et qu’elle vise à résoudre  [111]. À chaque étape, sont prises des mesures et des orientations que le constituant de 1970 n’avait pas souhaitées, ni même envisagées. Ainsi, l’option du fédéralisme elle-même n’avait pas été d’emblée décidée : ce n’est qu’au fil des diverses réformes de l’État – dont, répétons-le, la multiplication n’avait nullement été prévue à l’origine – que la Belgique s’est peu à peu engagée sur cette voie.

1.3.1. La deuxième réforme de l’État (1980-1983)

102 Au début des années 1980, la réforme de l’État est portée tant par les partis francophones que par les partis néerlandophones (ce qui ne sera pas toujours le cas ultérieurement). Commençant à s’inquiéter des transferts financiers nord-sud, la Flandre perçoit désormais l’intérêt qu’elle trouverait dans une régionalisation économique. Mais pour obtenir la création de leur Région, les Wallons ne doivent pas moins en payer le prix, en consentant à diverses concessions. Cette deuxième réforme institutionnelle  [112] est opérée par trois révisions de la Constitution (17 et 29 juillet 1980 et 1er juin 1983) complétées par les loi spéciale et loi ordinaire des 8 et 9 août 1980  [113] ainsi que, s’agissant de la seule Communauté germanophone, par la loi du 31 décembre 1983  [114].

103 Les trois « Communautés culturelles » deviennent des « Communautés ». L’abandon de l’adjectif « culturelle » fait référence à un élargissement de la nature des compétences des trois entités communautaires, dont le champ d’action n’est désormais plus limité aux matières qualifiées de culturelles mais englobe également diverses matières dites personnalisables : aide aux personnes et soins de santé. Par ailleurs, les qualificatifs « française », « néerlandaise » et « allemande » lui étant apparus peu adéquats (car étant chacun susceptible d’être erronément interprété comme dénotant un lien institutionnel avec un État étranger voisin), le gouvernement a proposé de les remplacer par « francophone », « flamande » et « germanophone ». Finalement, les noms retenus sont Communauté française (et non « Communauté francophone »  [115]), Communauté flamande et Communauté germanophone  [116].

104 Les trois Communautés sont toutes dotées d’un organe exécutif  [117], mais à nouveau avec un décalage chronologique entre, d’une part, la Communauté française et la Communauté flamande et, d’autre part, la Communauté germanophone. Pour les deux premières, la décision est prise dès 1980 et l’installation a lieu le 22 décembre 1981, alors que la Communauté germanophone doit attendre 1983 pour bénéficier de la même disposition, avec installation effective de l’exécutif le 30 janvier 1984  [118].

105 De même, l’accroissement des compétences communautaires entre en vigueur dès octobre 1980 s’agissant de la Communauté française et de la Communauté flamande, contre janvier 1984 concernant la Communauté germanophone. Toutefois, la Communauté germanophone dispose désormais elle aussi du pouvoir décrétal et, à quelques exceptions près (qui concernent en particulier l’emploi des langues), détient les mêmes compétences que les deux autres Communautés, avec lesquelles elle est donc dorénavant presque placée sur un pied d’égalité.

106 La Région wallonne et la Région flamande voient effectivement le jour  [119]. Cependant, souhaitant affirmer le caractère un et indivisible de leur identité subnationale, les Flamands ont obtenu durant les négociations que leur Communauté et leur Région soient liées institutionnellement et, en l’occurrence, que les compétences de la seconde entité soient entièrement et d’emblée exercées par les organes de la première  [120]. Dès lors, sitôt portée sur les fonts baptismaux, la Région flamande devient une coquille vide : elle a certes une existence constitutionnelle et juridique mais, dans les faits, elle n’a ni organes, ni mandataires, ni moyens propres. Par ailleurs, on note l’absence de création d’une Région bruxelloise  [121] ; faute d’accord sur ce point, le dossier est « mis au frigo », selon l’expression consacrée.

107 Les deux Régions nouvellement créées sont dotées d’une assemblée parlementaire et d’un organe exécutif  [122]. Ceux-ci sont installés respectivement les 1er octobre 1980 et 23 décembre 1981 pour la Région wallonne  [123], mais restent donc purement théoriques pour la Région flamande  [124].

108 Le Conseil de la Communauté française demeure constitué des membres des groupes linguistiques français de la Chambre des représentants et du Sénat, et le Conseil flamand des membres des groupes linguistiques néerlandais de ces deux mêmes Chambres. Quant au Conseil régional wallon, il est composé de tous les députés et sénateurs élus en Wallonie.

109 Enfin, la deuxième réforme de l’État prévoit la création d’une Cour d’arbitrage, chargée de régler les conflits de compétence survenant entre l’État central et une Communauté ou Région ou entre deux entités fédérées  [125]. Cette juridiction – qui sera rebaptisée Cour constitutionnelle par une révision constitutionnelle opérée le 7 mai 2007 – est effectivement installée en octobre 1984.

1.3.2. La troisième réforme de l’État (1988-1990)

110 Les années 1980 sont loin d’être calmes sur le plan communautaire. Notamment, les discussions relatives à la future Région bruxelloise empoisonnent le climat politique et la Flandre lance le slogan « Plus un franc flamand pour l’acier wallon »  [126], tandis que le « carrousel fouronnais » tourne au point de faire tomber un gouvernement (à savoir le gouvernement Martens VI, dit deuxième gouvernement Martens-Gol, en 1987).

111 Une troisième réforme de l’État  [127] est opérée à la fin de la décennie ; elle prend la forme de trois révisions de la Constitution (7 et 15 juillet 1988 et 20 juin 1989) complétées par quatre lois spéciales d’août 1988 et de janvier 1989  [128]. À cela, s’ajoutent deux lois de juillet 1990 relatives à la Communauté germanophone  [129].

112 Les Flamands acceptent la création d’une Région bruxelloise  [130], mais moyennant plusieurs conditions. Le territoire de cette entité est limité aux 19 communes de l’agglomération bruxelloise et des mécanismes de protection de la minorité néerlandophone sont mis en place (notamment en termes de garantie de représentation dans l’exécutif régional). Surtout, la Région centrale n’est pas placée sur un pied d’égalité avec les deux autres, mais reçoit un statut particulier et inférieur. Ce statut moindre se marque jusque dans la dénomination de l’entité : « Région de Bruxelles-Capitale » (et non, par analogie avec les deux autres, « Région bruxelloise »)  [131]. Il se marque aussi par divers autres éléments, soit symboliques soit d’une réelle portée juridique : entre autres, les normes qu’adopte la Région de Bruxelles-Capitale portent le nom d’« ordonnances » (et non de « décrets » comme pour les autres Régions et pour les Communautés) et sont soumises à un contrôle juridictionnel spécifique. Par ailleurs, certaines d’entre elles – cependant rares – sont susceptibles de faire l’objet d’une forme de tutelle de la part du Conseil des ministres.

113 Les organes législatif et exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale sont tous deux installés le 12 juillet 1989  [132]. Contrairement à ses homologues wallonne et flamande, l’assemblée régionale bruxelloise est composée, non d’élus nationaux, mais de parlementaires désignés au suffrage direct (la première élection ayant lieu le 18 juin 1989).

114 Le paysage institutionnel bruxellois est également modifié sur deux autres plans.

115 Premièrement, la Région de Bruxelles-Capitale est chargée d’exercer les compétences de l’Agglomération bruxelloise  [133] ; il s’agit de la propreté publique (enlèvement et traitement des immondices), de l’aide médicale urgente, de la lutte contre l’incendie, de la réglementation sur les taxis et de la coordination des activités communales  [134]. Sans être formellement supprimée de jure, l’Agglomération bruxelloise cesse de facto d’exister : elle ne dispose plus d’organes politiques ni d’administration. Dans les matières d’Agglomération, la Région de Bruxelles-Capitale légifère par la voie de règlements et non d’ordonnances (et elle agit, non en tant qu’entité fédérée, mais en tant qu’organe supracommunal).

116 Deuxièmement, sont créées trois Commissions communautaires : la Commission communautaire française (COCOF), la Commission communautaire flamande (Vlaamse Gemeenschapscommissie, VGC) et la Commission communautaire commune (COCOM)  [135]. Les deux premières sont des administrations décentralisées, respectivement de la Communauté française et de la Communauté flamande ; dépourvues du pouvoir législatif, elles interviennent par la voie de « règlements ». La troisième naît de la nécessité d’une entité qui soit compétente pour deux domaines. D’une part, pour les institutions publiques ou privées qui sont actives dans les matières personnalisables et qui, du fait qu’elles sont organisées de manière bilingue, ne relèvent ni de la Communauté française ni de la Communauté flamande ; il s’agit donc soit d’institutions qui relèvent de pouvoirs publics bicommunautaires, soit d’organismes privés (sociaux ou de santé) qui n’ont pas opté pour un statut monocommunautaire (CPAS, hôpitaux publics, services sociaux privés, etc.). D’autre part, pour les matières personnalisables qui s’adressent directement (c’est-à-dire sans l’intermédiaire d’institutions) aux personnes physiques  [136], entraînant dans le chef de celles-ci des droits ou des obligations. Dans ses domaines de compétences  [137], la COCOM adopte ses propres normes législatives – appelées « ordonnances » – et dispose d’une entière autonomie à l’égard des Communauté française et Communauté flamande. D’emblée, elle a donc le statut d’une véritable entité fédérée au sein de l’État fédéral en devenir, à l’instar des Régions et des Communautés mais à la différence des deux autres Commissions communautaires.

117 Outre ces divers aspects bruxellois, la troisième réforme de l’État comprend essentiellement trois éléments. Primo, les compétences des Communautés et des Régions sont considérablement accrues. Notamment, l’enseignement devient une compétence communautaire (sous réserve de trois exceptions : la fixation du début et de la fin de l’obligation scolaire, les conditions minimales de délivrance des diplômes, le régime des pensions)  [138]. Secundo, les règles de financement des Communautés et Régions sont fixées dans une loi spéciale  [139] ; les mécanismes ainsi institués placent environ un tiers des budgets publics sous l’autorité des entités fédérées. Tertio, les missions de la Cour d’arbitrage sont étoffées  [140].

118 L’importance des compétences transférées aux Communautés et aux Régions et celle des moyens financiers y afférents amènent désormais nombre d’observateurs, voire d’acteurs politiques, à faire usage de l’adjectif « fédéral » pour qualifier la structure de l’État belge.

Un État fédéral qui ne dit pas son nom

Actuellement, il existe 29 États fédéraux dans le monde. La plupart d’entre eux comportent une référence à leur nature fédérale dans la forme longue de leur dénomination (Confédération suisse, Émirats arabes unis, États fédérés de Micronésie, États-Unis d’Amérique, États-Unis du Mexique, Fédération de Malaisie, Fédération de Russie, Fédération de Saint-Christophe-et-Niévès, République démocratique fédérale d’Éthiopie, République démocratique fédérale du Népal, République fédérale d’Allemagne, République fédérale de Somalie, République fédérale du Nigeria, République fédérative du Brésil, Union des Comores).
Tel n’est pas le cas de la Belgique, puisque ce pays a gardé la forme longue « Royaume de Belgique » (au lieu d’adopter une formule telle que « Royaume fédéral de Belgique »).
En cela, la Belgique ne constitue pas une exception. En effet, elle partage cette particularité avec pas moins de douze autres pays (Commonwealth d’Australie, République argentine, République bolivarienne du Venezuela, République d’Afrique du Sud, République d’Autriche, République de Bosnie-Herzégovine, République de l’Inde, République des Palaos, République d’Irak, République du Soudan, République du Soudan du Sud, République islamique du Pakistan). S’y ajoute le Canada, pays dont la dénomination ne connaît que la forme courte.

1.4. La Belgique fédérale (depuis 1993)

119 Le 5 mai 1993, la Belgique devient officiellement un État fédéral. Ce jour-là, une réforme constitutionnelle modifie l’article 1er, alinéa 1er de la loi fondamentale belge pour qu’il proclame désormais : « La Belgique est un État fédéral qui se compose des Communautés et des Régions »  [141].

120 Par cette même révision constitutionnelle, la Belgique devient pleinement un État fédéral aux yeux de la doctrine juridique classique. Selon celle-ci en effet, le fédéralisme repose sur quatre principes (qui constituent donc autant de critères permettant de distinguer un État fédéral d’un État unitaire). Primo, le principe de partage des attributs de la souveraineté : les entités fédérées possèdent des compétences étatiques (et non simplement des compétences sur des matières d’intérêt régional ou local)  [142], qu’elles exercent en toute autonomie (c’est-à-dire sans tutelle du niveau national  [143]). Secundo, le principe d’égalité : une égalité de traitement est garantie aux entités fédérées (il n’y a pas de distinction en fonction de leur ancienneté, de l’importance démographique de leur population, etc.). Tertio, le principe de coopération : des mécanismes permettent aux entités fédérées de coopérer entre elles et avec le niveau fédéral. Quarto, le principe de participation : les entités fédérées participent à la conduite du niveau fédéral par une représentation au parlement fédéral (intervenant ainsi dans les processus de révision de la Constitution et dans l’élaboration des lois fédérales). Or, dans le cas de la Belgique, s’il peut être considéré que les trois premiers principes étaient déjà globalement respectés avant 1993, tel n’était pas le cas du quatrième.

121 En règle générale, le principe de participation s’incarne dans un pouvoir législatif fédéral organisé de manière bicamérale : une chambre qui représente les citoyens et une autre qui représente les entités fédérées. À cet égard, chaque État fédéral a son système propre. En Allemagne, le Bundestag est élu au suffrage direct, tandis que le Bundesrat est composé de membres des gouvernements des Länder (à raison d’entre trois et six membres par Land selon l’importance démographique de celui-ci). Aux États-Unis, la représentation est basée sur les États : ceux-ci envoient à la Chambre des représentants (House of Representatives) un nombre de députés proportionnel à leur poids démographique, tandis que le Sénat (Senate) est constitué de deux mandataires par État, quels qu’en soient la superficie et le nombre d’habitants. En Suisse, le Conseil national est élu au suffrage direct, chaque Canton envoyant un nombre de députés proportionnel à sa population (avec un minimum d’un député), tandis que le Conseil des États est composé d’un ou deux représentants de chaque Canton.

122 En Belgique, le principe de participation a longtemps été absent : les Régions et les Communautés n’étaient pas représentées au Parlement fédéral  [144] et elles ne participaient donc nullement à la politique et aux prises de décision du niveau fédéral  [145]. En 1993, le principe de participation est introduit au Sénat. Certes, cela reste de manière très limitée : la représentation des entités fédérées dans cette assemblée est modeste, à savoir que les Communautés désignent au total 21 sénateurs (sur 71, compte non tenu des éventuels sénateurs de droit, qui sont les héritiers du Trône). Mais il n’en reste pas moins que, par cette instillation d’une dose de fédéralisme dans le bicaméralisme, le principe de participation trouve alors une forme d’incarnation  [146]. En outre, deux décennies plus tard, en 2014, à la suite de la mise en œuvre de la sixième réforme de l’État, le Sénat deviendra une « assemblée des entités fédérées », représentant désormais les Régions en plus des Communautés. Cependant, ces deux modifications de la composition de la chambre haute du Parlement fédéral sont chacune accompagnées d’une réduction significative des prérogatives de cette assemblée.

123 Il n’existe pas de consensus entre spécialistes du droit pour déterminer l’époque à laquelle la Belgique a cessé d’être un État unitaire pour devenir un État fédéral. Cependant, il est unanimement considéré que cette mutation s’était déjà produite avant qu’elle ne soit consacrée officiellement par la révision constitutionnelle du 5 mai 1993. Sans entrer dans ces débats, relevons simplement ici que certains constitutionnalistes font valoir que le trait fédéral par excellence, à savoir l’articulation de plusieurs ordres juridiques, a été présent dès 1970. En effet, dès cette époque, le pouvoir de légiférer dans certaines matières à l’abri de toute tutelle a été reconnu à des entités autres que l’État central (à savoir les Communautés culturelles française et néerlandaise)  [147]. Parmi les acteurs et observateurs de la vie politique, c’est avec la troisième réforme de l’État que s’est progressivement imposé le vocable de fédéralisme pour désigner la nouvelle architecture institutionnelle de la Belgique. Ainsi, le Premier ministre Wilfried Martens (CVP) a indiqué à plusieurs reprises lors des travaux parlementaires que, par cette réforme, le pays était appelé à « prendre place parmi les États qui, sur le plan de leur structure, sont qualifiés d’“États fédéraux” »  [148]. Dans son allocution pour la fête nationale du 21 juillet 1988, le roi Baudouin lui-même a déclaré que la réforme alors en cours d’adoption avait pour objet de « transformer les structures [du] pays en celles d’un État fédéral »  [149].

La notion d’Autorité fédérale

En Belgique, l’Autorité fédérale est le niveau de pouvoir fédéral, dont les décisions s’appliquent à l’ensemble du pays. Ses organes sont le Parlement fédéral, le Roi et le gouvernement fédéral.
Pour désigner ce niveau de pouvoir, le vocable « Autorité fédérale » n’est pas le seul usité, même officiellement. Il coexiste avec ceux – à vrai dire plus courants – d’« État fédéral », d’« État central », de « niveau fédéral » ou même de « Fédéral ». Ainsi, la Constitution elle-même emploie tant l’expression d’« Autorité fédérale » (en son article 35, alinéa 1er et disposition transitoire, en son article 195, disposition transitoire, et en son titre IX, point VI, § 3, alinéa 1er) que celle d’« État fédéral » (en ses articles 7bis et 143, § 1er et 4). Par exemple, elle dispose que « l’Autorité fédérale n’a de compétences que dans les matières que lui attribuent formellement la Constitution et les lois portées en vertu de la Constitution même » (article 35, alinéa 1er) et proclame que « dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les Communautés, les Régions et la Commission communautaire commune agissent dans le respect de la loyauté fédérale, en vue d’éviter des conflits d’intérêts » (article 143, § 1er). Toutefois, il y a là une ambiguïté puisque, ailleurs dans le texte constitutionnel, la même expression « État fédéral » est utilisée pour caractériser la structure institutionnelle du pays (article 1er).
Le vocable d’« Autorité fédérale » est propre à la Belgique. Dans les autres États fédéraux, le niveau de pouvoir central est constitutionnellement dénommé « Confédération », « Fédération » ou « Union », ou est désigné par des expressions telles que « gouvernement fédéral », « organes fédéraux » ou « pouvoir public national » .
Le fait que l’article 1er de la Constitution ne liste pas l’Autorité fédérale parmi les composantes * de l’État fédéral belge n’empêche nullement que celle-ci soit et demeure la principale d’entre elles  **. À ce jour en effet, elle possède non seulement les compétences qui lui sont expressément attribuées par les règles répartitrices de compétences (entre autres sous la forme d’exceptions au sein des matières dévolues aux Régions ou aux Communautés), mais également et surtout l’ensemble des compétences n’ayant pas été transférées aux entités fédérées. En outre, c’est le Parlement fédéral et le Roi (c’est-à-dire le gouvernement fédéral) qui fixent la répartition des compétences entre les différentes composantes de l’État, qui déterminent les principales règles de fonctionnement des différents niveaux de pouvoir et qui, en tant qu’organes constituants, sont chargés de réviser la Constitution.
L’absence de mention du niveau de pouvoir fédéral parmi les composantes de l’État est habituelle dans les Constitutions des pays fédéraux. Il existe toutefois quelques exceptions, dont la Constitution du Brésil, qui stipule que « l’organisation politico-administrative de la République fédérative du Brésil comprend l’Union, les États, le district fédéral et les municipalités » (article 18), et celle du Mexique, qui indique que la République fédérale est composée d’« États (…) unis autour d’une Fédération » (article 40) .
* De même, l’article 1er du texte constitutionnel ne mentionne pas la COCOM, pas plus qu’il n’a été ensuite modifié pour inclure la COCOF. Pourtant, ces deux composantes sont également d’authentiques entités fédérées : la première depuis 1989 (cf. supra) et la seconde à partir de 1994 (cf. infra).
**  Et ce même si, de jure, elle ne jouit pas d’une suprématie juridique sur les entités fédérées.

1.4.1. La quatrième réforme de l’État (1992-1993)

124 Les évolutions institutionnelles ayant pris place entre 1988 et 1990 n’ont réalisé que de façon incomplète la troisième réforme de l’État qui avait été originellement projetée pour la législature 1987-1991. Faute d’accord, de nombreux points en discussion n’ont pu aboutir. Les négociations se poursuivent donc et se prolongent durant la législature 1991-1995. Elles portent non seulement sur les sujets demeurés en suspens, mais également sur divers thèmes s’étant entre-temps ajoutés dans les débats. Notamment, les francophones sont confrontés au fait que le financement prévu pour la Communauté française s’avère insuffisant.

125 Parallèlement à l’adoption de réformes d’application générale, des accords politiques sont conclus pour procéder à des transferts d’exercice de compétences entre certaines entités fédérées.

1.4.1.1. Le contenu de la quatrième réforme de l’État

126 La quatrième réforme de l’État  [150] est opérée au moyen de trois révisions de la Constitution (30 décembre 1992, 5 mai 1993 et 9 décembre 1993) complétées par quatre lois (deux spéciales et deux ordinaires) des 5 mai et 16 juillet 1993  [151]. Les principaux éléments en sont les suivants.

127 Au niveau fédéral, une nouvelle répartition du travail parlementaire est instaurée entre la Chambre des représentants et le Sénat (le nombre de membres de ces deux assemblées étant par ailleurs sensiblement réduit  [152]). Les compétences des Régions et des Communautés sont à nouveau accrues. Le principe de l’élection directe, qui était déjà en vigueur pour le Conseil de la Communauté germanophone depuis 1974 et pour le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale depuis 1989, est élargi au Conseil régional wallon et au Conseil flamand  [153]. Une certaine dose d’autonomie constitutive est conférée à la Région wallonne, à la Communauté française et à la Communauté flamande : ces trois entités fédérées peuvent désormais régler certains aspects de l’élection, de la composition et du fonctionnement de leur parlement et de leur gouvernement. Le Brabant est scindé en deux nouvelles provinces : Brabant wallon et Brabant flamand  [154]. Pour sa part, l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, constitué des 19 communes bruxelloises, est extra-provincialisé ; en région bruxelloise, les compétences anciennement provinciales sont réparties entre la Région de Bruxelles-Capitale et les Commissions communautaires.

128 Le 17 février 1994, est promulgué un texte nouveau de la Constitution (dit version « coordonnée »), à la suite d’un travail de renumérotation des articles et subdivisions d’articles, de redivision en titres, chapitres et sections, et de mise en concordance des versions française, néerlandaise et allemande. Les réformes de l’État successives avaient en effet rendu difficilement lisible le texte de la loi fondamentale, rendant nécessaire cette remise en ordre.

129 Les organes exécutifs régionaux et communautaires portent le nom d’« exécutifs » jusqu’aux révisions constitutionnelles des 5 mai 1993 et 9 décembre 1993 (complétées sur ce point par la renumérotation du 17 février 1994), qui leur donnent celui de « gouvernement », tandis que les divers organes législatifs régionaux et communautaires porteront le nom de « Conseils » jusqu’à la révision constitutionnelle du 25 février 2005, qui leur donnera celui de « Parlements ».

1.4.1.2. Les transferts de l’exercice de compétences entre entités fédérées

130 Les lendemains de la quatrième réforme de l’État voient le renforcement de deux traits singuliers de l’architecture institutionnelle belge : ceux d’être un fédéralisme de superposition et d’être un fédéralisme asymétrique.

131 Depuis 1983, la Constitution dispose que la Région wallonne peut transférer, en tout ou en partie, l’exercice de ses compétences à la Communauté germanophone pour ce qui concerne la région de langue allemande  [155]. À la demande de la Communauté germanophone, désireuse d’exercer certaines compétences régionales sur son territoire, ce mécanisme est activé pour la première fois en 1993. À l’inverse, à la suite de la révision constitutionnelle de 1993, la Communauté française a désormais la faculté de transférer, en tout ou en partie, l’exercice de ses compétences à la Région wallonne en région de langue française et à la COCOF en région bilingue de Bruxelles-Capitale  [156]. À la demande de la Communauté française, confrontée à des difficultés financières aiguës, il est recouru à cette possibilité pour la première fois dès 1993 également  [157]. Cette dernière opération a notamment pour effet de dédoubler la nature de la COCOF : pour certains aspects, celle-ci demeure un simple organe subordonné de la Communauté française (et intervient par la voie de règlements) ; mais pour les compétences dont l’exercice lui a été transféré par la Communauté française, elle détient le pouvoir législatif (qu’elle exerce par la voie de décrets) et est donc, dans ces cas, une authentique entité fédérée.

132 Dès lors, c’est plus que jamais un fédéralisme de superposition qui est de mise en région bruxelloise. Sur ce territoire, sont compétentes pas moins de cinq entités fédérées : la Région de Bruxelles-Capitale, la Communauté française, la Communauté flamande, la COCOM et la COCOF.

133 Par ailleurs, le fédéralisme belge devient plus asymétrique encore. Habituellement, les États fédéraux pratiquent un fédéralisme symétrique : toutes les entités fédérées ont le même statut, sont investies des mêmes compétences et sont pourvues des mêmes institutions. Quelques exceptions existent à cette règle générale, comme au Canada (où le Québec a réclamé et obtenu un champ d’intervention plus large que celui des neuf autres Provinces). Cependant, la Belgique est, et de loin, l’État fédéral qui présente l’asymétrie la plus marquée pour ce qui a trait aux compétences. Cette asymétrie est telle qu’il n’est pas deux entités fédérées belges qui soient identiques. Tout d’abord, la Communauté germanophone dispose de compétences communautaires un peu moins étendues que les Communautés française et flamande et certaines décisions de la Région de Bruxelles-Capitale sont soumises – théoriquement du moins – à une forme de tutelle fédérale ; en outre, la Communauté germanophone et la Région de Bruxelles-Capitale ne jouissent alors d’aucune autonomie constitutive. Ensuite, la Communauté flamande exerce les compétences de la Région flamande. Enfin, des transferts d’exercice de compétences ont été opérés par la Région wallonne vers la Communauté germanophone et par la Communauté française vers la Région wallonne et la COCOF.

134 Par la suite, les mouvements de transfert d’exercice de compétences de la Région wallonne vers la Communauté germanophone  [158] et de la Communauté française vers la Région wallonne et la COCOF seront poursuivis et amplifiés. En revanche, les réformes de l’État successives réduiront à peu de chose les différences de statut s’appliquant à la Communauté germanophone et à la Région de Bruxelles-Capitale.

Les notions de fédéralisation, défédéralisation et refédéralisation

Lorsqu’il est appliqué à l’évolution institutionnelle de la Belgique, le mot « fédéralisation » reçoit une signification particulière. En règle générale, ce terme désigne le processus de construction ou de renforcement du niveau de pouvoir central dans un État fédéral (le terme « fédérer » désigne d’ailleurs le fait de réunir pour former une association sous une autorité commune). Dans le cadre belge, par contre, il désigne le processus institutionnel par lequel le niveau de pouvoir central abandonne des compétences à des entités fédérées. Dès lors, dans le cas de la Belgique, « accentuer le caractère fédéral de l’État » signifie restreindre le champ d’action de l’Autorité fédérale et accroître celui des entités fédérées, et non l’inverse.
Pour dissiper le fréquent malentendu qui entoure l’expression « fédéralisation d’une compétence » (doit-elle être entendue comme le fait d’attribuer cette compétence à l’Autorité fédérale ou au contraire de la retirer à celle-ci ?), deux néologismes belges ont été forgés. D’une part, « défédéralisation » : pour désigner le processus institutionnel par lequel une compétence est ôtée à l’Autorité fédérale pour être transférée à des entités fédérées. D’autre part, « refédéralisation » : pour désigner le processus institutionnel par lequel une compétence qui a précédemment été transférée de l’Autorité fédérale vers des entités fédérées est – ou, plus précisément, serait (puisqu’un tel mouvement ne s’est jamais produit à ce jour) – retransférée à l’Autorité fédérale.
En lieu et place de « défédéralisation », peut également être employé le terme, plus précis, de « régionalisation » si le transfert de la compétence est opéré au profit des Régions ou de « communautarisation » s’il est opéré au profit des Communautés *. Récemment, sont également apparus les néologismes « cocomisation » et «  cocofisation  » pour désigner l’attribution de compétences, en région bruxelloise, à la COCOM ou à la COCOF.
*  Le terme « régionalisation » s’emploie également dans les cas où une compétence précédemment confiée aux Communautés passe aux Régions. Tel a été le cas des monuments et sites en 1988 et du tourisme en 2014.

1.4.2. La cinquième réforme de l’État (2001)

135 En 1993, les partis francophones ont tendance à considérer que le stade ultime des réformes institutionnelles est atteint. Mais les responsables politiques flamands – dont le Premier ministre, J.-L. Dehaene – ne partagent nullement cette opinion, estimant quant à eux que la réforme de l’État belge est un processus toujours en cours et même destiné à être permanent, et non un mouvement désormais terminé.

136 Au fil des années, le monde politique flamand revendique de nouvelles avancées institutionnelles, qui débordent largement le cadre tracé en 1992-1993. Le 3 mars 1999, le Parlement flamand adopte à une large majorité cinq résolutions définissant les grandes orientations d’une nouvelle réforme de l’État. Y sont préconisés des changements profonds en matière d’architecture institutionnelle d’ensemble, de répartition des compétences entre composantes de l’État et de mode de financement des entités fédérées  [159]. Pour sa part, le monde politique francophone ressent l’impérieuse nécessité d’obtenir une modification des règles fédérales relatives au financement des Communautés et des Régions, afin de préserver la Communauté française du risque de faillite que ferait peser sur elle l’absence de nouveaux moyens.

137 Une fois de plus, les négociations opposent donc des aspirations différentes de part et d’autre de la frontière linguistique, incarnées dans des revendications non concordantes et partiellement contradictoires. Et à nouveau, l’accord dégagé consiste en un mélange de compromis et de donnant-donnant.

138 À la différence des précédentes, la cinquième réforme de l’État  [160] ne passe pas par une révision de la Constitution. Elle est opérée par deux lois spéciales du 13 juillet 2001  [161], auxquelles s’ajoute le même jour une loi relative aux institutions locales en région bruxelloise  [162].

139 De nouvelles compétences sont retirées à l’Autorité fédérale pour être confiées aux Régions et aux Communautés. Entre autres, est opérée une large régionalisation de la loi communale et de la loi provinciale ; désormais, les Régions sont compétentes non seulement pour exercer la tutelle sur les pouvoirs locaux mais également pour définir la législation organique des provinces et des communes. Les Régions bénéficient d’un début d’autonomie fiscale sous la forme d’augmentations, de réductions et de déductions d’impôts ; en outre, certaines taxes sont régionalisées. Le financement des Communautés est modifié : chacune d’elles se voit reconnaître le droit de disposer de moyens supplémentaires, dont le volume est lié à la croissance économique. Les mécanismes de protection de la minorité néerlandophone en région bruxelloise sont renforcés  [163].

1.4.3. La sixième réforme de l’État (2012-2014)

140 La cinquième réforme de l’État était censée constituer une garantie de « pacification communautaire ». Au lieu de cela, et dès 2003, la tension se fait de plus en plus vive entre francophones et néerlandophones sur diverses problématiques linguistiques et institutionnelles, telles que l’insistante demande flamande d’une scission de la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde et la question de la nomination des bourgmestres dans les six communes flamandes à statut linguistique spécial de la périphérie bruxelloise.

141 Une ligne de fracture nette sépare les partis néerlandophones, désireux d’une nouvelle réforme institutionnelle, et les partis francophones, qui selon une expression rapidement consacrée ne sont « demandeurs de rien ». À diverses reprises et selon des formes multiples, des négociations politiques sont entreprises pour tenter de résoudre cette divergence de vues ; toutes se soldent par un échec  [164]. En avril 2010, le blocage est tel qu’il provoque la chute du gouvernement fédéral et l’entame d’une longue crise politique (588 jours entre la démission du gouvernement fédéral et l’entrée en fonction de son successeur). Le 11 octobre 2011, au terme de plus d’un an de négociations, est conclu l’accord sur la sixième réforme de l’État.

142 Cette réforme de l’État  [165] est opérée en deux temps : le 19 juillet 2012 et le 6 janvier 2014. Chacune de ces deux dates est celle d’une révision de la Constitution et de plusieurs lois spéciales et lois ordinaires. Au total, ce sont pas moins de 46 articles de la Constitution qui sont modifiés et 34 lois, spéciales ou ordinaires, qui sont adoptées  [166]. Ces textes portent sur de multiples éléments, dont les suivants : réforme du système bicaméral en vigueur au niveau fédéral, avec transformation profonde de la composition et du rôle du Sénat ; scission de la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde (moyennant diverses compensations pour les francophones, tels qu’un nouveau mode de désignation des bourgmestres dans les six communes à facilités de la périphérie bruxelloise, un « juste financement » des institutions bruxelloises et la création d’une « communauté métropolitaine de Bruxelles » s’étendant à l’hinterland de la région bruxelloise  [167]) ; réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles ; divers transferts de compétences de l’Autorité fédérale aux entités fédérées (Régions, Communautés et COCOM), notamment en matière de prestations familiales  [168] ; élargissement de l’autonomie constitutive et octroi de cette capacité d’auto-organisation à la Communauté germanophone et, de manière restreinte, à la Région de Bruxelles-Capitale ; réforme de la loi de financement des Communautés et des Régions dans le sens d’un accroissement de l’autonomie financière des entités fédérées, notamment par une augmentation significative de leurs recettes propres.

143 Les transferts de compétences ainsi opérés sont d’une ampleur inédite. Selon l’expression plusieurs fois répétée par ses promoteurs, la sixième réforme de l’État opère un « déplacement du centre de gravité » de l’Autorité fédérale vers les entités fédérées, les secondes étant désormais réputées disposer de moyens financiers cumulés supérieurs à ceux de la première.

144 La sixième réforme de l’État est suivie d’un nouvel accord intra-francophone, par lequel, d’une part, la Communauté française transfère à la Région wallonne et à la COCOF l’exercice de la plupart de ses compétences nouvellement acquises  [169] et, d’autre part, la COCOF confie à la COCOM l’exercice de l’essentiel de ses compétences en matière de santé et d’aide aux personnes. De même, la Région wallonne et la Communauté germanophone conviennent d’un nouveau transfert d’exercice de certaines compétences de la première entité vers la seconde.

Le maintien du niveau de pouvoir provincial

De nos jours, la pyramide des niveaux de pouvoir héritée du centralisme napoléonien (État - provinces - communes) appartient résolument au passé. La structure de l’État fédéral belge a dorénavant les atours, selon les expressions imagées qui fleurissent parmi les acteurs et observateurs de la vie politique, d’une « dentelle » ou d’une « lasagne » institutionnelle. Il est toutefois possible de schématiser en indiquant qu’il existe désormais cinq niveaux de pouvoir en Belgique : l’Autorité fédérale, les entités fédérées régionales, les entités fédérées communautaires, les provinces et les communes. Il n’existe pas de lien de subordination entre les trois premiers niveaux, à l’inverse de ce qui s’applique aux deux derniers par rapport aux précédents.
Les deux derniers niveaux de pouvoir, les provinces et les communes, sont pour l’essentiel restés tels qu’ils étaient avant 1970. Quatre différences sont néanmoins à pointer. La province de Brabant a été scindée au 1er janvier 1995 et les 19 communes de la région bruxelloise ne font plus partie d’aucune province. La tutelle sur les provinces appartient désormais aux Régions wallonne et flamande, et celle sur les communes aux trois Régions ainsi qu’à la Communauté germanophone. Les provinces et les communes doivent dorénavant appliquer les décrets et les ordonnances des entités fédérées qui s’imposent à elles, et non plus seulement les lois fédérales. Les compétences des provinces ont été largement reprises par les Régions (ainsi que, en région bruxelloise, par les Commissions communautaires).
Depuis de nombreuses décennies, et tant en Wallonie qu’en Flandre, des projets circulent visant à une suppression du niveau de pouvoir provincial.

1.4.4. Vers la septième réforme de l’État

145 Dès l’automne 2012, alors même que seul le premier des deux volets de la sixième réforme de l’État a été adopté et que la mise en œuvre de celle-ci n’a pas encore débuté, des voix se font entendre en Flandre pour réclamer une septième réforme de l’État. Partisan de cette perspective, le ministre-président flamand, Kris Peeters (CD&V), explique un an plus tard son point de vue en ces termes : «La sixième réforme de l’État n’est pas parfaite. Elle ne rencontre certainement pas toutes les demandes que nous avions (…). [Elle] devrait dès lors être suivie d’une septième »  [170]. De leur côté, les francophones semblent avoir abandonné la position de « demandeurs de rien », dont il s’est d’ailleurs avéré qu’elle menait à une impasse voire qu’elle contribuait à durcir et à nourrir les revendications flamandes.

146 Bien plus, l’idée s’impose progressivement dans les rangs tant francophones que néerlandophones qu’une septième réforme institutionnelle sera nécessaire pour améliorer le fonctionnement de l’État belge ; il s’agit notamment de tenter de simplifier l’architecture institutionnelle (en particulier en région bruxelloise) et de limiter les situations qui voient plusieurs niveaux de pouvoir se partager la compétence sur une même matière (comme, par exemple, dans le domaine de la santé)  [171]. Cette idée est bientôt renforcée par les difficultés que connaît la gestion politique de la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 qui frappe la Belgique à partir de mars 2020.

147 Né le 1er octobre 2020, à l’issue de la plus longue crise politique qu’ait jamais connue le pays (662 jours sans gouvernement fédéral majoritaire)  [172], le gouvernement fédéral De Croo entend œuvrer à la préparation de la septième réforme de l’État. L’objectif affiché est celui d’« une nouvelle structure de l’État à partir de 2024 avec une répartition plus homogène et plus efficace des compétences », conduisant à « un renforcement des entités fédérées dans leur autonomie et du niveau fédéral dans son pouvoir »  [173].

148 La méthode annoncée diffère quelque peu de celle appliquée pour les six précédentes réformes institutionnelles. À ce jour en effet, le fédéralisme belge est de conception oligarchique : il a été élaboré par des groupes restreints d’acteurs politiques (responsables de partis politiques et membres du gouvernement central). Cette manière de procéder a été dictée par le pragmatisme : la nécessité de conclure des accords politiques, ainsi que la complexité et la technicité des dossiers, sont telles que les tractations préparatoires se déroulent dans des cénacles limités et à huis clos, sous peine de ne jamais pouvoir aboutir. Certes, les réformes institutionnelles découlent d’aspirations portées par la société civile, notamment le Mouvement flamand et le Mouvement wallon, et elles sont adoptées in fine par la Chambre des représentants et le Sénat, dont les membres sont les représentants élus de la nation. Mais il n’en demeure pas moins que, jusqu’à présent, la participation directe de la population au processus de mutation de l’État a été très limitée. D’une part, les citoyens n’ont guère été associés aux débats relatifs aux changements à apporter à la structure de leur pays et n’ont pas participé aux négociations. D’autre part, ils n’ont pas eu la possibilité de trancher, par le moyen d’un vote, entre différents scénarios institutionnels possibles  [174]. Or, indiquant vouloir s’inscrire dans un mode de fonctionnement de la démocratie davantage participatif, le gouvernement De Croo a déclaré souhaiter que le processus devant mener à la conclusion d’une septième réforme de l’État comporte « un large débat démocratique (…) impliquant notamment les citoyens, la société civile et les milieux académiques »  [175]. Pour l’instant, l’incarnation concrète de cette volonté exprimée et ses effets sur le résultat in fine des négociations politiques restent difficiles à saisir.

149 Précisons encore que, eu égard aux procédures de révision de la Constitution et des lois spéciales et au fait que le gouvernement De Croo ne peut pas s’appuyer sur une majorité parlementaire des deux tiers ni sur une majorité absolue dans le groupe linguistique néerlandais de la Chambre des représentants, la septième réforme de l’État projetée ne pourrait pas être adoptée sous l’actuelle législature fédérale.

2. Des institutions fédérales singulières

150 Après avoir rappelé l’histoire du fédéralisme en Belgique et décrit notamment les six réformes de l’État qui ont rythmé les mutations de l’État belge à ce jour, il est opportun de se pencher sur le premier ordre de pouvoir qui peut être identifié au sein d’une structure fédérale, à savoir celui où sont exercées les compétences fédérales. En Belgique, ce niveau de pouvoir porte constitutionnellement le nom d’« Autorité fédérale » ou d’« État fédéral ». Dans le cadre du présent Courrier hebdomadaire, ce sera la première de ces deux expressions qui sera employée – tandis que la seconde sera réservée à la désignation de l’ensemble qui, outre l’Autorité fédérale, comprend également les différentes entités fédérées (qui feront l’objet d’un examen approfondi dans le prochain chapitre).

151 Il est important d’observer que les notions d’« Autorité fédérale » et d’« institutions fédérales » ne renvoient pas à des réalités qui se recouvrent totalement. Au sein d’un État qui a adopté la forme fédérale, une distinction peut en effet être tracée entre, d’une part, les « fonctions fédératives », qui concernent l’État dans sa globalité  [176], et, d’autre part, les « fonctions fédérales », qui se rapportent quant à elles uniquement au niveau de pouvoir fédéral  [177]. Si, dans un État fédéral, les mêmes organes assument parfois diverses de ces fonctions, cela n’implique pas pour autant que celles-ci soient identiques. Un exemple permettra d’illustrer le propos. En Belgique, le Parlement fédéral et le Roi (c’est-à-dire, dans les faits, le gouvernement fédéral) assument à la fois la fonction législative sur le plan fédéral, dans les limites des compétences qui reviennent à l’Autorité fédérale, et la fonction constituante  [178], qui intéresse quant à elle l’ensemble des composantes de l’État (fédérale et fédérées)  [179]. Dans d’autres États fédéraux, la situation est différente, les entités fédérées étant par exemple impliquées en tant que telles dans la procédure de révision de la Constitution alors qu’elles n’interviennent pas, ou en tout cas pas directement  [180], dans le processus d’adoption des lois fédérales (c’est par exemple le cas aux États-Unis). De la même façon, et pour nous en tenir à ce stade à cet unique exemple supplémentaire, la Cour constitutionnelle assume au sein de l’État fédéral une fonction que l’on peut à bon droit qualifier de « fédérative » en ce sens qu’elle exerce ses attributions au titre de l’État global, c’est-à-dire non pour le compte de l’Autorité fédérale mais pour celui de l’ensemble des composantes de la Belgique : « Par son organisation comme par son action, la Cour [constitutionnelle] transcende le clivage fédéral-fédéré. Elle n’agit pour le compte ni de l’un, ni de l’autre. Elle a charge de faire respecter le pacte fédératif »  [181].

2.0. De l’État unitaire à l’État fédéral

152 L’une des premières questions qui surgit est celle de la répartition des compétences entre les différents ordres de pouvoir qui ont émergé lorsque l’État unitaire s’est transformé en un État fédéral à part entière. Le niveau de pouvoir fédéral mérite d’être d’abord considéré.

153 Quelles sont les compétences qui sont encore exercées au niveau central – celui de l’Autorité fédérale – dans le fédéralisme tel qu’il existe en Belgique ? À cet égard, l’article 35 de la Constitution s’apparente à une disposition en trompe-l’œil. Apparemment, cet article énonce le principe suivant lequel les compétences résiduelles sont dévolues aux entités fédérées (« L’Autorité fédérale n’a de compétences que dans les matières que lui attribuent formellement la Constitution et les lois portées en vertu de la Constitution même. Les Communautés ou les Régions, chacune pour ce qui la concerne, sont compétentes pour les autres matières, dans les conditions et selon les modalités fixées par la loi. Cette loi doit être adoptée à la majorité prévue à l’article 4, dernier alinéa  [182] »). Mais par l’effet d’une disposition transitoire qui vient clore cet article (« La loi visée à l’alinéa 2 détermine la date à laquelle le présent article entre en vigueur. Cette date ne peut pas être antérieure à la date d’entrée en vigueur du nouvel article à insérer au titre III de la Constitution, déterminant les compétences exclusives de l’Autorité fédérale »), la réalité est exactement inverse.

154 Dans les autres États fédéraux, on observe différentes configurations à cet égard. Les compétences résiduelles reviennent soit au pouvoir fédéral, soit aux entités fédérées. Elles appartiennent le plus souvent au niveau où elles étaient historiquement exercées, c’est-à-dire aux entités fédérées. En Belgique, l’Autorité fédérale exerce aujourd’hui deux types de compétences. D’une part, celles qui lui sont expressément attribuées par les règles répartitrices de compétences, sous la forme d’exceptions au sein des matières régionales ou communautaires. D’autre part et surtout, par défaut, l’ensemble des compétences qui n’ont pas été attribuées aux Régions ou aux Communautés (« compétences résiduelles ») : la justice, l’union économique et monétaire, la dette publique, la défense nationale et le maintien de l’ordre, la diplomatie et la politique étrangère (dont les responsabilités contractées à l’égard d’institutions internationales comme l’Union européenne ou l’OTAN), les communications, les règles régissant l’état civil et la nationalité, l’accès au territoire, le séjour et l’établissement des étrangers, la reconnaissance des cultes et des organisations laïques, etc.

155 Par ailleurs, en raison de la logique centrifuge qui a présidé à la naissance du fédéralisme en Belgique, des institutions et des juridictions qui existaient dans le cadre d’un État unitaire ont progressivement été amenées à évoluer dans un nouvel environnement fédéral. Ainsi, le Conseil d’État, la Cour des comptes et l’Inspection des finances – cette dernière étant d’ailleurs qualifiée, pour cette raison, de corps « interfédéral »  [183] – remplissent aujourd’hui, pour l’ensemble des composantes de l’État fédéral belge (Autorité fédérale, Régions, Communautés et Commissions communautaires), des fonctions qu’ils assumaient auparavant, dans le cadre de l’État unitaire, pour le compte du seul pouvoir central. Par voie de conséquence, ces institutions ont fait l’objet d’un certain nombre d’adaptations plus ou moins importantes. En outre, d’autres institutions relevant du niveau fédéral sont apparues postérieurement à la naissance du fédéralisme belge.

156 Plutôt que de passer en revue les différentes institutions fédérales d’un point de vue organique, nous nous intéressons ci-dessous à diverses innovations introduites au cours de l’édification du fédéralisme belge et qui permettent de caractériser ce dernier. En premier lieu, sont considérés divers procédés conçus comme autant d’outils de protection de la minorité francophone, à savoir la création, en 1970, des groupes linguistiques à la Chambre des représentants et au Sénat, qui constituent l’une des clés de voûte du système institutionnel en permettant la mise en œuvre des lois à majorité spéciale et du système de la sonnette d’alarme. Si l’on ajoute à cela la règle de la parité linguistique au sein du Conseil des ministres, mise en place à la même époque, on peut parler d’un « triptyque de protections »  [184]. Dans un deuxième temps, sont analysées les modifications plus tardives apportées au système bicaméral à la suite de la montée en puissance de la logique fédérale. Sont en particulier considérées les deux réformes du Sénat qui sont intervenues en 1993 et en 2012-2014. Dans un troisième temps, sont examinées un certain nombre d’institutions qui n’appartiennent formellement à aucun des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), et ce afin d’évaluer la place de ces diverses institutions au regard des logiques bipolaire ou fédérale qui imprègnent l’évolution institutionnelle de la Belgique : la Cour des comptes, le Conseil d’État, la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la justice. Dans un quatrième et dernier temps, est proposée une évaluation du rôle de la monarchie en tant qu’élément éventuellement stabilisateur au sein d’une Belgique fédérale animée par une logique centrifuge.

157 Ces évolutions sont le produit de l’histoire qui a conduit à la transformation de la Belgique en un État fédéral. La logique du fédéralisme est de réaliser une alliance entre le principe de l’autonomie (parfois qualifié de « self-rule ») et celui du pouvoir partagé (ou « shared rule »)  [185]. Si la création des Communautés et des Régions tend à consacrer le premier de ces principes, certains des procédés qui sont décrits ci-dessous permettent une consécration du principe de pouvoir partagé. Toutefois, l’objectif du pouvoir partagé étant posé, il n’est pas sans susciter certaines interprétations concurrentes, ce qui a par exemple été le cas dans le cadre des débats ayant entouré les diverses réformes du Sénat, qui ont opposé les tenants d’une logique bipolaire, centrée sur une distinction d’ordre linguistique et communautaire, à ceux d’une logique plus authentiquement fédérale, prônant une représentation de toutes les entités fédérées au sein de la chambre haute et même une surreprésentation des plus petites – et donc des plus vulnérables, sur le plan politique – d’entre elles.

158 Il convient en outre d’aborder cette transformation de l’État belge en ayant à l’esprit deux caractéristiques fondamentales du système socio-politique du pays. D’une part, la Belgique est une démocratie consociative. Les divisions, en particulier celles qui naissent des profonds clivages  [186] qui traversent la société belge et qui sont à l’origine de l’apparition des piliers  [187], sont gérées et surmontées de manière généralement pacifique et négociée, même si cela n’empêche pas des moments ou des sujets de vive tension. La recherche de compromis susceptibles de faire l’objet, au moins pour un temps, d’un consensus relativement large, caractérise tout particulièrement les évolutions institutionnelles que la Belgique a connues. Ce mode de gouvernement implique un partage du pouvoir entre différents acteurs, notamment entre francophones et néerlandophones.

159 D’autre part, si ces clivages mettent en présence des organisations variées de la société civile, qui jouent un rôle primordial  [188], les partis politiques (qui en sont issus) tiennent une place centrale dans cette gestion des tensions et dans l’élaboration et la mise en œuvre des compromis. L’emprise de ces organisations est même telle que la Belgique est classiquement qualifiée de particratie, à savoir « un système où la décision politique revient aux partis plutôt qu’aux institutions »  [189]. Ainsi, aujourd’hui encore, les réformes institutionnelles sont conclues non pas entre dirigeants des entités fédérées ou entre ceux-ci et des représentants de l’Autorité fédérale ès qualités, mais bien entre responsables de partis politiques, ces derniers étant quasiment tous organisés sur une base communautaire et linguistique, comme cela sera analysé dans le chapitre 4.

2.1. Des mécanismes visant à garantir l’équilibre entre francophones et néerlandophones

160 Il est clair que lorsque les divers mécanismes qui sont passés en revue ci-dessous – le principe des lois spéciales et le mécanisme de la sonnette d’alarme (qui reposent tous deux sur la division en groupes linguistiques), ainsi que la parité au sein du Conseil des ministres – ont été instaurés en 1970, c’était essentiellement dans l’optique de protéger la minorité francophone. Il s’agissait, à côté de certaines autres réformes revendiquées par la Flandre, d’offrir un certain nombre de contreparties aux francophones. Cependant, il y a lieu de penser que ces divers mécanismes, ou en tout cas certains d’entre eux, protègent en réalité tant la majorité néerlandophone que cette minorité. En outre, la division en groupes linguistiques, le mécanisme de la sonnette d’alarme et la parité au sein du Conseil des ministres ont été transposés ultérieurement au sein des institutions de la Région de Bruxelles-Capitale (cf. Chapitre 3), ce qui permet à certains observateurs d’apercevoir dans cette entité fédérée une « petite Belgique inversée »  [190]. L’une des singularités de l’État belge est que ces divers mécanismes introduits au niveau national (aujourd’hui dénommé fédéral) obéissent à une logique bipolaire, ce qui implique qu’ils ne s’insèrent pas dans une logique fédérale au sens strict du terme et peuvent même entrer en tension avec celle-ci. Le rappel des lignes de force des réformes successives du Sénat illustre une telle conciliation, parfois délicate, entre différentes dynamiques, bipolaire ou multipolaire et, en cela, plus classiquement fédérale.

2.1.1. Les groupes linguistiques au sein de la Chambre des représentants et du Sénat

161 D’un point de vue général, l’une des particularités des institutions fédérales de la Belgique est qu’elles sont traversées par deux dynamiques distinctes, l’une dualiste, l’autre multipolaire. La première dynamique, qualifiée de bipolaire et qui connaît une forme de montée en puissance depuis la naissance de l’État belge, reçoit un certain nombre de consécrations juridiques importantes lors de la première réforme institutionnelle, en 1970-1971. Cette dynamique marque aujourd’hui encore grandement les institutions fédérales.

162 Ainsi, à l’occasion de la première réforme de l’État, sont adoptées deux mesures visant à garantir une protection politique de la minorité francophone au sein des deux Chambres du Parlement national (aujourd’hui, fédéral). Lors du vote des lois linguistiques de 1962-1963, une logique opposant majorité néerlandophone et minorité francophone avait en effet joué, qui avait abouti à ce que la première impose son point de vue à la seconde sur un sujet d’importance pourtant majeure pour l’avenir du pays et de ses populations (cf. Chapitre 1).

163 À chaque fois, l’objectif est d’empêcher qu’un segment de la société, en l’occurrence une des deux grandes communautés linguistico-culturelles, impose sa volonté à l’autre  [191].

164 On observe donc que si ces mécanismes ont accompagné l’émergence de la logique fédérale en Belgique (qui n’a été consacrée officiellement dans la Constitution qu’en 1993), ils ont également partie liée avec la nature consociative de la démocratie belge, dans laquelle ont très tôt été intégrés des procédés favorisant le dialogue et le compromis plutôt que l’application d’une stricte logique majoritaire  [192]. Il convient en effet de rappeler que la dynamique fédérale, qui marque l’évolution institutionnelle de la Belgique, ne peut être conçue indépendamment d’une dynamique consociative. Cette logique voire cet esprit de compromis explique la physionomie de nombreux mécanismes institutionnels qui ne se limitent pas au clivage linguistique et culturel, mais qui touchent aussi à des équilibres d’ordre philosophique ou idéologique, par exemple.

165 La création des groupes linguistiques au niveau des Chambres nationales ne s’inscrit donc pas dans une logique fédérale au sens strict, mais plutôt dans une tradition consociative. Le bicaméralisme, qui existe depuis la naissance de l’État belge, ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune réforme d’ampleur au moment où les groupes linguistiques sont créés, et cette création intervient tant au sein de la Chambre des représentants que du Sénat  [193]. Il faudra attendre plusieurs années et plusieurs réformes institutionnelles pour que le Sénat, comme cela est la règle dans la majorité des États fédéraux, se voie confier un rôle de chambre des entités fédérées, et ce d’ailleurs très partiellement (cf. infra).

166 Il est à noter enfin – mais nous y reviendrons dans le chapitre 3 – qu’afin de protéger la minorité bruxelloise néerlandophone, des groupes linguistiques ont également été mis en place au sein du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et de l’Assemblée réunie de la COCOM.

2.1.2. La notion de « loi spéciale »

167 L’une des innovations de la révision constitutionnelle du 24 décembre 1970 est la création des lois dites spéciales, qui constituent en réalité des lois obéissant à des règles d’adoption particulières et qui portent sur un certain nombre de domaines eux aussi particuliers, touchant en un mot à la structure de l’État. Les lois spéciales se distinguent ainsi des lois dites ordinaires, auxquelles de telles règles de majorité renforcée ne s’appliquent pas  [194].

168 Afin de comprendre les enjeux inhérents à cette innovation institutionnelle, il convient de rappeler brièvement les règles auxquelles obéissent les modifications constitutionnelles en Belgique, et ce depuis les origines de l’État. C’est actuellement l’article 195 de la Constitution, bien souvent mis au centre des réflexions des constitutionnalistes  [195], qui régit la procédure en vertu de laquelle une disposition constitutionnelle peut être modifiée ou ajoutée.

169 En premier lieu, une procédure, particulièrement lourde, de déclaration de révision de la Constitution est organisée : elle implique l’intervention des trois branches du pouvoir préconstituant (qui sont les mêmes que celles qui composent le pouvoir législatif fédéral et le pouvoir constituant, à savoir la Chambre des représentants, le Sénat et le Roi, c’est-à-dire le gouvernement fédéral), aboutit à une liste de dispositions constitutionnelles ouvertes à révision ou destinées à être introduites dans la loi fondamentale  [196], et a pour effet de mettre fin à la législature en cours. Des élections fédérales doivent alors obligatoirement avoir lieu, les nouvelles Chambres élues étant habilitées – conjointement avec le Roi – à modifier les dispositions ouvertes à révision et à adopter celles projetées, et ce en respectant une majorité qualifiée : en ce qui concerne le quorum, tout d’abord, deux tiers au moins des membres qui composent chaque Chambre doivent être présents ; en ce qui concerne le vote lui-même, ensuite, une majorité des deux tiers au moins des suffrages exprimés est requise.

170 On relèvera que, si elle est considérée comme lourde – en particulier parce que l’obligation de déclaration préalable de révision suivie de la tenue d’élections législatives a pour effet de lier le Parlement nouvellement mis en place quant à l’ampleur de la révision constitutionnelle qu’il sera à même de réaliser –, cette procédure n’a toutefois pas empêché que la Constitution belge soit revue 60 fois depuis 1949. Sur la même période, la République fédérale d’Allemagne a modifié sa Loi fondamentale à 64 reprises. L’Autriche a également connu de nombreuses révisions. En revanche, la Constitution des États-Unis d’Amérique a vu seulement 6 amendements promulgués durant cette période.

171 Par contraste avec la procédure de révision de la Constitution, l’adoption ou la modification d’une loi spéciale présente certaines spécificités. Ainsi, elle ne nécessite pas de procédure de déclaration préalable et ne requiert pas de provoquer la dissolution des Chambres (ni, donc, la tenue d’élections fédérales). Par contre, elle suppose que soient atteintes diverses majorités : en vertu de l’article 4 de la Constitution, une loi à majorité spéciale est en effet une loi « adoptée à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de chacune des Chambres [la Chambre des représentants et le Sénat], à la condition que la majorité des membres de chaque groupe se trouve réunie et pour autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés ». Les mêmes règles s’appliquent bien entendu pour la modification d’une loi spéciale.

172 Une spécificité de la construction institutionnelle belge apparaît ici : les conditions énoncées par l’article 4 de la Constitution pour l’adoption ou la modification des lois spéciales sont en effet plus exigeantes que celles qu’énonce l’article 195 pour la révision de la Constitution (qui exige que la majorité des deux tiers soit atteinte dans chaque assemblée fédérale, mais pas la majorité simple dans chaque groupe linguistique). Le principe des lois spéciales est ainsi porteur d’un véritable droit de veto dont peut user l’une des deux grandes communautés linguistico-culturelles, et qui protège en particulier les francophones, qui sont minoritaires au sein de chacune des deux Chambres du Parlement fédéral  [197]. Ce droit de veto est d’autant plus crucial que les lois spéciales portent notamment sur la fixation des frontières internes ou sur les compétences et l’organisation des Communautés et des Régions, et visent en toute hypothèse des sujets essentiels pour l’organisation de l’État fédéral.

173 Le principe des lois spéciales vise ainsi clairement à prendre en compte la composition dualiste, sur le plan linguistique et culturel, de la société belge. D’un point de vue comparatiste, dans les autres États fédéraux, il n’existe pas d’équivalent pur des lois spéciales telles qu’elles existent en Belgique, et ce sans doute parce que la composition de la chambre haute y a, dans certains cas, pour effet de rendre un tel dispositif inutile. Dans un État fédéral « classique », la plupart des lois adoptées au niveau fédéral doivent en effet rencontrer l’assentiment d’une majorité des entités fédérées, par l’intermédiaire de leurs représentants au sein de la haute assemblée au niveau de la fédération. En Belgique, le rôle dévolu au Sénat s’avère différent (cf. infra). Quant à lui, le mécanisme des lois spéciales permet de recueillir l’assentiment des deux grandes communautés linguistico-culturelles qui composent le pays, telles qu’elles sont représentées au sein des deux Chambres fédérales (et ce, même si elles ne constituent pas, formellement, des émanations des deux principales Communautés que compte le pays). La Belgique se distingue ainsi par la logique bipolaire à l’œuvre dans le cadre de l’adoption des lois spéciales, puisque seuls deux ensembles linguistico-culturels sont considérés dans le processus de décision et disposent par conséquent d’un droit de veto.

2.1.3. Le mécanisme de la sonnette d’alarme

174 Les groupes linguistiques, qui se situent au cœur du mécanisme des lois adoptées selon une majorité spéciale, sont également impliqués dans la mise en œuvre du procédé dit de la sonnette d’alarme. Cela a été indiqué, le mécanisme des lois spéciales de réformes institutionnelles fait partie d’un « paquet » de dispositifs destinés à protéger la minorité francophone, ces dispositifs s’inscrivant eux-mêmes dans le cadre d’un compromis plus global entre communautés linguistiques et culturelles. La révision constitutionnelle du 24 décembre 1970 a ainsi instauré le système dit de la « sonnette d’alarme ». Celui-ci est réglé par l’article 54 de la Constitution (autrefois article 38bis). Il s’applique, dans les deux Chambres, pour toutes les lois autres que les lois spéciales et les lois relatives au budget. Si les membres d’un groupe linguistique estiment qu’un projet ou une proposition de loi risque de léser gravement leur communauté, ils peuvent suspendre la procédure parlementaire moyennant une motion motivée, signée par les trois quarts au moins des membres de ce groupe linguistique. La motion est alors déférée au Conseil des ministres qui, dans les 30 jours, doit trouver une solution en agissant comme organe d’arbitrage.

175 En principe, ce mécanisme est de nature uniquement suspensive : si le Conseil des ministres ne parvient pas à une solution, le projet ou la proposition de loi contesté est, théoriquement, censé revenir devant l’assemblée devant laquelle il a été déposé pour y être soumis au vote, bien qu’une telle éventualité s’avère peu probable en pratique  [198]. Si elle a partie liée avec l’existence des groupes linguistiques, la sonnette d’alarme se fonde en effet sur une autre règle protectrice des minorités, introduite également à l’occasion de la révision constitutionnelle du 24 décembre 1970 : la composition paritaire sur le plan linguistique du Conseil des ministres (cf. infra). L’obligation dans laquelle se trouve cet organe – composé des ministres du gouvernement national (aujourd’hui, fédéral) – de trouver de façon consensuelle une solution au problème soulevé par la communauté qui s’estime lésée a pour conséquence que le gouvernement fédéral, en cas de désaccord persistant, n’aura d’autre choix que de démissionner ou de provoquer des élections anticipées (ce qui entraînera de facto la caducité du projet ou de la proposition de loi litigieux).

176 La sonnette d’alarme est souvent présentée comme un dispositif aux effets avant tout dissuasifs. Il ne faut toutefois pas oublier qu’elle a effectivement été actionnée dans l’histoire politique de la Belgique. Une première fois en 1985, à l’égard d’un projet de loi relatif à la fusion de deux établissements d’enseignement supérieur du Limbourg  [199]. Une deuxième fois en 2010, à l’occasion d’un grave conflit communautaire autour du sort à réserver à la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde. Cet épisode a d’ailleurs conduit à la démission du gouvernement fédéral Leterme II (CD&V/MR/PS/Open VLD/CDH) et à la tenue d’élections législatives fédérales anticipées, le 13 juin 2010  [200].

177 Il semble difficile de trouver un équivalent dans d’autres États fédéraux, excepté en Bosnie-Herzégovine où la Constitution prévoit un mécanisme relativement semblable afin de protéger les intérêts de chacun des trois peuples constitutifs que sont les Bosniaques, les Croates et les Serbes (article 4, § 3). À nouveau, en Belgique, ce mécanisme repose seulement sur deux groupes, les francophones et les néerlandophones, et ne présente donc pas un caractère multipolaire.

178 Si le mécanisme de la sonnette d’alarme qui vient d’être décrit existe au niveau fédéral, un système similaire existe également au niveau de la Région de Bruxelles-Capitale, afin de protéger la minorité néerlandophone. Un projet ou une proposition d’ordonnance, dans les matières régionales, ou de règlement, en ce qui concerne les compétences d’Agglomération, portant gravement atteinte aux relations entre les communautés dans la région bruxelloise pourra alors faire l’objet d’une suspension selon des modalités comparables  [201]. Dans ce cas également, un seul niveau de pouvoir est concerné. Par ailleurs, à côté de la sonnette d’alarme qui existe au niveau fédéral (et de son équivalent en Région bruxelloise), a été créé, au sein des assemblées communautaires, un mécanisme analogue qualifié de sonnette d’alarme idéologique ou philosophique  [202].

179 D’un point de vue fonctionnel, le système de la sonnette d’alarme peut être comparé aux différentes procédures en conflit d’intérêts qui ont été instituées en droit public belge (cf. Chapitre 5). Toutefois, à la différence de celles-ci, qui impliquent nécessairement une institution fédérale et au moins une entité fédérée, le mécanisme de la sonnette d’alarme concerne un seul niveau de pouvoir. Les deux types de mécanismes peuvent néanmoins être employés dans un même cadre. Ainsi, lors du conflit relatif à la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde, diverses procédures en conflit d’intérêts avaient été actionnées avant que le mécanisme de la sonnette d’alarme ne soit à son tour activé  [203].

2.1.4. La règle de la parité au sein du Conseil des ministres

180 Ci-dessus, ont été envisagés des mécanismes qui prennent place au sein des assemblées parlementaires fédérales et qui ont été créés à l’occasion de la première réforme de l’État, c’est-à-dire à un moment où les modes de désignation à la Chambre des représentants et au Sénat étaient quasiment similaires, les deux assemblées disposant en outre alors de compétences globalement équivalentes. Par la suite, les réformes institutionnelles successives ont toutefois conduit à de profondes modifications, tant de la composition des Chambres fédérales que de leurs compétences, comme on le verra ci-après.

181 La composition linguistiquement paritaire du Conseil des ministres constitue un élément qui est apparu relativement tôt dans le processus de réforme de l’État. Comme cela a été indiqué, ce mécanisme ne peut être dissocié de certaines autres garanties qui ont été acquises par la minorité francophone au début des années 1970, et ce dans le cadre d’un accord plus global permettant de réaliser, à ce moment précis, un équilibre entre les revendications émanant du Mouvement flamand et du Mouvement wallon. Alors que les autres mécanismes analysés précédemment affectent le fonctionnement parlementaire (lois spéciales et sonnette d’alarme, reposant sur la création de groupes linguistiques au sein des Chambres fédérales), la règle de la parité concerne quant à elle le fonctionnement du Conseil des ministres (qui, lorsque l’on y ajoute les éventuels secrétaires d’État, forme le gouvernement fédéral), c’est-à-dire un organe qui joue un rôle clé dans le cadre de la fonction exécutive fédérale et qui participe en outre, comme on l’oublie parfois, à la fonction législative fédérale et à la fonction constituante.

182 Dans une particratie comme la Belgique, la règle de la parité au sein du Conseil des ministres prend tout son relief. En vertu de l’article 99 de la Constitution, le Conseil des ministres, qui se compose de quinze ministres au plus depuis la réforme institutionnelle de 1993, doit en effet compter un nombre égal de ministres francophones et de ministres néerlandophones (le texte constitutionnel parle de ministres d’« expression française » et d’« expression néerlandaise »), le Premier ministre éventuellement excepté du calcul. Cette exception éventuelle relative au chef du gouvernement s’explique par « le rôle de conciliateur et d’arbitre » qui est dévolu à celui-ci par rapport aux deux ailes linguistiques du Conseil des ministres  [204]. Cette règle a par ailleurs partie liée avec trois principes déduits de l’économie générale de la Constitution qui gouvernent l’action du Conseil des ministres : ceux de la collégialité, du consensus et de la solidarité  [205].

183 La règle de la parité au sein du Conseil des ministres, avant d’être consacrée juridiquement en 1970, a semblé constituer un outil de pacification préconisé par les acteurs politiques eux-mêmes. Comme le rappelle Min Reuchamps, après une longue période marquée par une forte domination francophone au sein de l’exécutif national, la parité au sein du gouvernement a connu, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1970, un début d’application dans les faits : « Parallèlement aux avancées acquises par le Mouvement flamand, la composition des gouvernements évolue. Si dans les 21 gouvernements de l’après-guerre (jusqu’en 1970), 175 ministres sont néerlandophones pour 223 francophones, un certain équilibre apparaît dès le début des années 1950 : quatre gouvernements sont majoritairement flamands, deux sont majoritairement francophones, et cinq sont paritaires. La tendance à la parité devient manifeste, sans pour autant faire l’objet d’une obligation légale »  [206].

184 Une fois coulée dans le texte constitutionnel, cette règle a une portée qui ne saurait être minimisée : en raison de l’existence de la règle du consensus qui a été rappelée plus haut, elle correspond à une sorte de droit de veto dont dispose chacune des communautés linguistico-culturelles, et en particulier la minorité francophone, au sein de l’organe exécutif fédéral. Le mécanisme de la sonnette d’alarme dont disposent les groupes linguistiques tant de la Chambre des représentants que du Sénat repose d’ailleurs, in fine, sur l’arbitrage du Conseil des ministres au niveau fédéral, qui n’aura d’autre choix que de trouver une solution au problème communautaire qui a surgi. Dans le cas contraire, une démission s’imposera qui conduira, éventuellement, à la tenue d’élections fédérales anticipées (cf. supra).

185 Pour rétablir une forme d’équilibre par rapport à la supériorité démographique de la Flandre, pendant plusieurs décennies, on a pu observer que, dans les faits, les partis composant la coalition au pouvoir au niveau central ont pris l’habitude d’exploiter la marge de manœuvre qui leur était laissée par le texte constitutionnel  [207]. Primo, si l’on excepte les brèves périodes durant lesquelles les francophones Edmond Leburton (PSB) et Paul Vanden Boeynants (PSC) ont été Premiers ministres (du 26 janvier 1973 au 25 avril 1974 pour le premier, du 20 octobre 1978 au 3 avril 1979 pour le second), la fonction de Premier ministre a été, à partir de l’instauration de la règle de la parité au Conseil des ministres et pendant une longue période, systématiquement confiée à une personnalité néerlandophone. Il a fallu attendre quatre décennies et la constitution du gouvernement dirigé par Elio Di Rupo (PS) en décembre 2011 pour qu’un Premier ministre francophone soit à nouveau désigné. Secundo, une autre façon de rééquilibrer les rapports de force entre communautés linguistiques a trait au nombre généralement plus important de secrétaires d’État néerlandophones au sein du gouvernement fédéral, ce qui est autorisé par le prescrit constitutionnel (des secrétaires d’État, membres du gouvernement – mais non du Conseil des ministres –, pouvant en effet être librement adjoints à un ministre)  [208].

186 La règle de la parité au sein du Conseil des ministres s’inscrit résolument dans la logique bipolaire qui marque également les trois autres caractéristiques mises en évidence supra. La présence d’un ministre habitant en région bilingue de Bruxelles-Capitale ou en région de langue allemande n’est en aucun cas assurée. Concernant la communauté linguistico-culturelle germanophone, le problème est d’ailleurs encore plus aigu, dès lors que la Constitution n’envisage même pas cette possibilité, en se limitant à exiger une parité entre ministres d’expression française et d’expression néerlandaise, le Premier ministre étant éventuellement excepté. Dans quel « cadre linguistique » un ministre d’expression germanophone devrait-il, le cas échéant, être placé ? Deux interprétations peuvent être défendues à ce sujet. Soit l’on considère qu’un éventuel ministre d’expression allemande, dès lors qu’il n’est ni d’expression française ni d’expression néerlandaise, devrait immanquablement être exclu du calcul de la parité linguistique. Soit l’on estime qu’il devrait obligatoirement être « comptabilis[é] au sein de l’un ou de l’autre contingent linguistique »  [209], francophone ou néerlandophone. Il est à noter que, depuis que le nombre de ministres fédéraux ne peut plus être supérieur à quinze, à la suite d’une révision constitutionnelle intervenue en 1993, l’hypothèse de la nomination d’un ministre germanophone est devenue particulièrement improbable, car soit les « francophones et [les] néerlandophones ne recevraient plus que quatorze ministres à se partager paritairement »  [210] – suivant la première interprétation –, soit l’une des deux grandes communautés linguistico-culturelles devrait « sacrifier » l’un de ses postes ministériels au profit d’un germanophone et accepter dès lors d’être, en quelque sorte, minoritaire au Conseil des ministres – si l’on réfléchit dans le cadre de la seconde hypothèse énoncée ci-avant. La nomination d’un secrétaire d’État germanophone est toutefois plus plausible que celle d’un ministre  [211]. Enfin, même si elle semble hautement improbable sur le plan politique, la nomination d’un Premier ministre germanophone considéré comme « neutre » sur le plan linguistique reste théoriquement possible. Si ces questions sont importantes au regard du principe d’égalité qui est censé régir le fonctionnement d’un État fédéral, il convient toutefois de rappeler qu’une « représentation au sein du pouvoir exécutif fédéral n’a (…) jamais fait l’objet de revendications de la part des responsables politiques germanophones »  [212].

187 Tout comme le mécanisme de la sonnette d’alarme possède un équivalent au sein du fonctionnement institutionnel de la Région de Bruxelles-Capitale, il est à noter qu’il existe également une règle de parité linguistique au sein du gouvernement régional bruxellois et du collège réuni de la COCOM (cf. Chapitre 3). La parité au sein du gouvernement fédéral ne se double toutefois pas, comme c’est le cas au niveau de la Région de Bruxelles-Capitale, d’une obligation de s’appuyer sur une double majorité, à la fois dans le groupe linguistique français et dans le groupe linguistique néerlandais au sein de la Chambre des représentants. Certains gouvernements fédéraux récents ont d’ailleurs eu pour particularité d’être minoritaires dans l’un des deux groupes linguistiques de la Chambre des représentants : soit au sein du groupe linguistique néerlandais – gouvernements Di Rupo (PS/MR/CD&V/SP.A/Open VLD/CDH) et De Croo (PS/MR/ Écolo/CD&V/Open VLD/SP.A/Groen) –, soit au sein du groupe linguistique français – gouvernements Michel I (N-VA/MR/CD&V/Open VLD), Michel II (MR/CD&V/ Open VLD), Wilmès I (même composition) et Wilmès II (même composition)  [213] –, ce qui a généré des débats ayant trait à la légitimité démocratique de tels exécutifs dans l’une ou l’autre grande communauté linguistique et culturelle que compte le pays  [214].

188 La règle de la parité au sein du Conseil des ministres résulte clairement du cheminement historique des institutions belges, de la longue domination des élites francophones, de la supériorité démographique flamande et du caractère consociatif du pays, tendant à rechercher des solutions de compromis et à institutionnaliser des mécanismes susceptibles de prévenir ou de résoudre des conflits entre les deux principales communautés linguistiques. De ce fait, la parité au sein de l’exécutif central semble également constituer une singularité du cas belge. Cela n’empêche bien sûr pas que puissent exister d’autres formes de protection des minorités dans les gouvernements centraux d’autres États fédéraux. En Bosnie-Herzégovine, par exemple, les ministres ne peuvent venir pour plus des deux tiers de la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (réservant ainsi au minimum un tiers des mandats à des personnes provenant de la République serbe) et des ministres d’un autre « peuple constitutif » leur sont adjoints. En Suisse, le Parlement doit veiller, sans plus de précision, à la représentation équitable des diverses régions du pays et des communautés linguistiques au moment de choisir les sept conseillers fédéraux. Une comparaison est enfin possible entre la situation de la Belgique et celle du Canada. Comme la Belgique, le Canada constitue un État fédéral qui est fortement imprégné par une logique bipolaire, et non uniquement multipolaire. Y est désigné en qualité de Premier ministre le chef du parti ayant obtenu le plus de sièges à la Chambre des communes (hypothèse la plus courante) ou celui qui est susceptible de former effectivement un gouvernement recevant la confiance du Parlement, qui n’est pas forcément issu du plus grand parti (hypothèse qui a surgi à diverses reprises dans l’histoire canadienne, lorsqu’aucun parti n’était parvenu à obtenir une majorité de sièges à la Chambre des communes  [215]). Sur la scène nationale canadienne, deux partis dominent le paysage politique, le parti conservateur et le parti libéral. Or une règle implicite veut que le président du parti libéral soit alternativement anglophone et francophone, ce qui explique la proportion importante de Premiers ministres francophones dans l’histoire du Canada. Il n’existe toutefois, dans le droit constitutionnel canadien, aucune règle imposant une présence minimale de francophones au sein du gouvernement fédéral.

2.2. Le bicaméralisme à l’épreuve du fédéralisme

189 Dans le cadre d’une réflexion sur les singularités du fédéralisme tel qu’il s’est bâti en Belgique à partir de 1970, en s’adossant à six réformes successives qui ont profondément modifié le visage de l’État, il n’est pas possible de passer sous silence les importantes modifications qui ont été apportées à la chambre haute du Parlement fédéral. En effet, le Sénat a été profondément affecté par la quatrième et ensuite par la sixième réforme de l’État, en ce qui concerne tant le mode de désignation des sénateurs que le périmètre des compétences dévolues à cette assemblée  [216]. Ces deux trains de réformes n’ont en réalité fait que creuser, en ce qui concerne le Sénat, un seul et même paradoxe : plus le Sénat est devenu « fédéral », c’est-à-dire plus il s’est vu confier la mission, comme dans la plupart des États fédéraux, de représenter les entités fédérées, plus ses pouvoirs se sont amenuisés, le Sénat s’apparentant au terme de ce processus à une institution quasiment impuissante  [217]. Une telle dynamique a eu pour effet d’affecter la nature du bicaméralisme, en donnant naissance à une chambre haute bien singulière, caractérisée par la multipolarité que l’on rencontre classiquement dans les autres systèmes fédéraux mais, comme on l’a relevé supra, imprégnée tout de même de la logique bipolaire à l’œuvre à d’autres égards au niveau des institutions fédérales.

2.2.1. La chambre haute et le principe de participation

190 Dans la plupart des États fédéraux, le bicaméralisme constitue une solution commode permettant de donner effet au principe de participation, qui suppose que les entités fédérées prennent part aux processus de prise de décision et à l’activité législative qui se déroulent au niveau de pouvoir fédéral, en particulier lorsque des décisions importantes sont prises qui touchent aux structures et aux équilibres de l’État fédéral ou qui sont relatives à la politique extérieure de celui-ci  [218]. Par exemple, l’article 50 de la Loi fondamentale allemande stipule : « Par l’intermédiaire du Bundesrat, les Länder participent à la législation et à l’administration de la Fédération et aux affaires de l’Union européenne », tandis que l’article 45 de la Constitution suisse prévoit que la collectivité fédérale informe les Cantons de ses projets, les consulte lorsque les intérêts de ces derniers sont concernés et organise, dans certains cas, la participation de ces entités fédérées « au processus de décision sur le plan fédéral, en particulier à l’élaboration de la législation ».

191 Parmi les États fédéraux qui peuvent actuellement être recensés, on observe ainsi qu’une large majorité connaît une chambre haute fortement marquée par le fait fédéral  [219]. Ainsi, 23 États fédéraux sur 29 ont fait le choix d’instituer « une seconde chambre qui représente et fait participer les entités fédérées »  [220]. Les quelques exceptions qui peuvent être identifiées sont dues à différents facteurs particuliers, comme un faible nombre d’habitants, l’absence d’un système politique démocratique ou un choix délibéré ayant conduit à l’abandon du bicaméralisme  [221]. Ces quelques singularités mises à part, « les pays fédéraux sont significativement des pays bicaméraux qui entendent faire participer leurs entités fédérées »  [222].

192 Schématiquement, il semble que trois systèmes soient envisageables. Primo, un État fédéral peut instaurer une composition paritaire de la chambre haute qui ne tient pas compte du nombre d’habitants au sein des entités fédérées. C’est par exemple le cas aux États-Unis, où le Sénat est composé de deux représentants par État, en Suisse, où le Conseil des États comprend deux conseillers par Canton (mais un seul pour les demi-Cantons), au Brésil, où le Sénat est composé de trois sénateurs par État, ou encore en Russie, où les entités fédérées sont représentées au sein du Conseil de la Fédération sur un pied d’égalité (à raison de deux représentants par Sujet). Secundo, une composition proportionnelle aux chiffres de la population peut être envisagée, comme c’est le cas en Inde  [223]. Tertio, il est possible de mettre en place un système intermédiaire ou pondéré, se situant « à mi-chemin entre les régimes proportionnels et égalitaires »  [224]. Un tel système pondéré est par exemple de mise en Allemagne, où « le nombre de sénateurs [par entité fédérée varie] entre 3 et 6 selon des seuils de population »  [225], et en Autriche, où le nombre de membres envoyés par les Länder au Conseil fédéral est proportionnel aux chiffres de la population, dans une fourchette déterminée par la Constitution (entre 3 et 12 représentants).

193 L’une des particularités de l’histoire politique de la Belgique, qui a été précédemment mise en lumière, est que le fédéralisme ne s’y est construit que tardivement, afin de prendre en compte – et également de tenter de limiter, ou du moins d’accompagner – une dynamique centrifuge à l’œuvre. Le bicaméralisme a été institué dès l’origine de l’État belge, non dans un but fédéral, auquel nul ne songeait alors, mais pour qu’un Sénat élitiste tempérât les ardeurs d’une Chambre des représentants davantage populaire qui apparaissait susceptible de s’avérer trop progressiste. Au fil du temps, l’existence même du Sénat a fait l’objet de critiques de plus en plus aiguës, celui-ci étant devenu superflu aux yeux de nombreux observateurs. Mais le bicaméralisme a retrouvé son intérêt plein et entier dès lors que le processus d’édification d’un État fédéral s’est affermi. C’est ainsi que, à partir du milieu des années 1970, des projets de réformes visant à faire du Sénat une assemblée des entités fédérées sont apparus, qui n’ont toutefois pas abouti avant le début des années 1990  [226]. Une telle évolution ne manque toutefois pas d’être paradoxale. Après des changements profonds opérés à l’occasion des quatrième et sixième réformes de l’État, le Sénat est certes devenu une chambre des entités fédérées, mais il a gardé des traits bipolaires incontestables et, de surcroît, a dans le même temps été privé de l’essentiel de ses prérogatives.

2.2.2. Les réformes du Sénat lors des quatrième et sixième réformes de l’État

194 En 1993, est opérée la quatrième réforme de l’État, qui transforme officiellement la Belgique en un État fédéral. Cette évolution de la structure institutionnelle du pays s’accompagne d’une réforme de la chambre haute.

195 Comme il a souvent été de mise dans l’histoire institutionnelle belge, cette réforme est le fruit d’un compromis et ne conduit pas à opérer un choix clair quant à la place de la chambre haute dans l’architecture institutionnelle du pays  [227]. Outre que le Sénat perd à cette occasion une très large partie de ses compétences législatives  [228], ainsi que les pouvoirs qui étaient les siens en matière budgétaire et de contrôle politique du gouvernement, il est loin de devenir une authentique assemblée des entités fédérées. Deux pierres d’achoppement principales peuvent être identifiées. D’une part, la question de savoir quelles sont les entités fédérées qui doivent faire l’objet d’une représentation au sein du Sénat réformé est controversée. D’autre part, un accord est loin d’être présent a priori concernant la façon d’y représenter les différentes composantes de l’État fédéral. Tant en ce qui concerne la composition du Sénat et le mode de désignation des sénateurs, d’une part, que la participation des entités fédérées, d’autre part, le constituant de 1993 semble s’arrêter au milieu du gué, sans qu’un choix clair entre différentes options ne soit opéré.

196 Tel est le cas, en premier lieu, concernant la composition du Sénat et le mode de désignation des sénateurs. Trois catégories de sénateurs sont conservées : celles des sénateurs élus directement, des sénateurs de droit et des sénateurs cooptés. Une autre est créée à l’occasion de la réforme, procédant directement de la structure fédérale de l’État : les sénateurs de Communauté. Au terme de la réforme de 1993, ceux-ci sont au nombre de 21 : 10 sont désignés par le Conseil de la Communauté française en son sein, 10 le sont par le Conseil flamand en son sein, et 1 l’est par le Conseil de la Communauté germanophone en son sein. Parmi les entités fédérées existant en Belgique, seules les Communautés sont donc officiellement représentées au Sénat. Si les règles de composition du Conseil de la Communauté française et du Conseil flamand et les précisions constitutionnelles relatives à la présence de sénateurs domiciliés en région bruxelloise impliquent la présence au sein de la haute assemblée de députés élus en région wallonne et de députés élus en région flamande, d’une part, et de sénateurs domiciliés en région bruxelloise  [229], d’autre part, l’absence explicite de référence à des sénateurs de Région ne peut être niée. On observe en outre qu’au terme de cette réforme, les sénateurs de Communauté ne représentent qu’une partie relativement limitée de l’hémicycle de la chambre haute (le Sénat compte, à partir de la réforme de 1993, 71 membres, hors sénateurs de droit). Ces 21 sénateurs de Communauté siègent en effet à côté de 40 sénateurs élus directement par les deux collèges électoraux  [230], de 10 sénateurs cooptés, choisis sur une base binaire et non ternaire  [231], et de sénateurs de droit  [232]. La catégorie des sénateurs provinciaux, qui existait depuis 1893, est quant à elle supprimée.

197 La répartition des sénateurs au sein de deux groupes linguistiques, introduite en 1970 (cf. supra), est conservée, mais elle est désormais entièrement prédéterminée  [233] : 29 sénateurs francophones (soit 40,85 % des membres de l’assemblée) siègent aux côtés de 41 sénateurs néerlandophones (soit 57,75 %). L’unique sénateur de la Communauté germanophone (soit 1,40 %) n’appartient à aucun de ces deux groupes linguistiques.

198 Si la réforme constitutionnelle de 1993 avait pour but d’adapter le Sénat à la nouvelle structure de l’État, le résultat se situe en deçà de la situation qui prévaut généralement dans les secondes chambres des États fédéraux. Deux modalités peuvent être pointées en particulier. D’une part, comme cela a été noté, toutes les entités fédérées ne sont pas explicitement représentées. Seules les trois Communautés disposent officiellement de sénateurs, et non les trois Régions. La logique qui prévaut n’est en effet pas celle d’une participation des diverses entités fédérées aux prises de décision du niveau fédéral, mais celle d’un « dialogue de communauté à communauté » dans lequel la logique bipolaire est à peine affectée par l’adjonction d’un seul et unique sénateur germanophone  [234]. D’autre part, les plus petites entités fédérées ne bénéficient d’aucune surreprésentation. Les proportions de sénateurs provenant des trois Communautés du pays correspondent grosso modo aux chiffres de la population de ces trois communautés linguistiques. Il est pourtant généralement admis, dans les États fédéraux, que les plus petites entités fédérées doivent bénéficier d’une représentation renforcée au sein de la chambre haute, et ce afin de protéger les intérêts qui leur sont propres  [235].

199 Du point de vue tant de la théorie que de la pratique du fédéralisme, la réforme du Sénat de 1993 s’avère un échec  [236]. Elle fait l’objet de nombreuses critiques. Est particulièrement pointé le fait que cette réforme est en retard par rapport à l’évolution du fédéralisme belge, puisque le Sénat n’a pas pleinement reçu les caractéristiques qui sont le plus souvent reconnues à la chambre haute dans un État fédéral  [237]. Le Sénat n’est en effet pas devenu une « chambre des entités fédérées » : seule une partie des entités fédérées y est représentée, les sénateurs de Communauté ne constituent que 21 membres sur 71 et l’assemblée n’est pas compétente pour l’ensemble des matières relatives à la marche de l’État fédéral. L’absence de sénateurs de Région fait par ailleurs l’objet de critiques, la situation de la Région de Bruxelles-Capitale étant en particulier épinglée.

200 Une nouvelle réforme du Sénat est opérée en 2014, dans le cadre de la sixième réforme de l’État. La transformation que la chambre haute connaît dans le cadre du nouvel approfondissement du fédéralisme représente un changement radical, le Sénat devenant davantage une assemblée des entités fédérées. Cependant, ce changement de statut s’accompagne d’une diminution supplémentaire et notable de ses pouvoirs.

201 Le nouveau système ne prévoit plus ni sénateurs de droit, ni sénateurs élus directement. La plupart des sénateurs sont désignés par les parlements communautaires et, désormais aussi, par les parlements régionaux ; les autres sont cooptés par les premiers. À partir des élections du 25 mai 2014, parmi les 60 membres que compte dorénavant le Sénat, 50 sont ainsi désignés par les assemblées parlementaires des entités fédérées sur la base des résultats électoraux dans ces assemblées : 29 le sont par le Parlement flamand, 10 par le Parlement de la Communauté française, 8 par le Parlement wallon, 2 par le groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale (équivalent à l’Assemblée de la COCOF) et un par le Parlement de la Communauté germanophone (ce sénateur est désigné sur la base d’un accord politique conclu au sein de l’assemblée). Dix autres sénateurs sont cooptés : 6 par les sénateurs issus du Parlement flamand ou du groupe linguistique néerlandais du Parlement bruxellois, 4 par les sénateurs issus du Parlement de la Communauté française, du Parlement wallon et du groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale. Relevons que, à l’encontre ici aussi d’une tendance à l’approfondissement du fédéralisme, la répartition politique de ces 10 sièges est désormais calculée sur le résultat de l’élection de la Chambre des représentants, donc du scrutin fédéral, et non des élections régionales et communautaires. In fine, le Sénat se compose de 35 membres néerlandophones, de 24 membres francophones et d’un membre germanophone. La représentation minimale des habitants de la région bruxelloise est renforcée par une règle complémentaire : au moins l’un des sénateurs désignés par le Parlement flamand et au moins trois des sénateurs désignés par le Parlement de la Communauté française doivent être domiciliés dans cette région linguistique.

202 Désormais, des mandataires provenant des différents parlements d’entités fédérées siègent donc au Sénat, et non plus seulement des représentants des trois Communautés. Toutefois, le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas représenté comme tel ; ce sont ses deux groupes linguistiques qui sont évoqués, séparément. Par ailleurs, la Constitution continue à proclamer, en son article 42, que « les membres des deux Chambres représentent la nation, et non uniquement ceux qui les ont élus ». Le fait fédéral n’est donc pas encore totalement intégré et il y a lieu de penser que les sénateurs, quand bien même ils seraient désignés par une assemblée communautaire ou régionale, ne représentent pas leur entité fédérée. « Bien sûr, les parlements fédérés dont (…) restent membres [les sénateurs] peuvent se préoccuper de leur attitude au Sénat. Mais ils ne peuvent pas leur donner un mandat impératif [contenant des instructions précises quant aux priorités et intérêts politiques à mettre en avant et à défendre], à la différence des Länder allemands qui, eux, peuvent lier de la sorte leurs représentants – nommés par les gouvernements des Länder en leur sein – au sein du Bundesrat »  [238]. Soulignons en outre qu’au-delà de l’organisation bipolaire (en deux groupes linguistiques) ou multipolaire (par la présence de représentants de cinq entités fédérées différentes) du Sénat, ce sont avant tout les divisions politiques (entre les groupes politiques) qui structurent cette assemblée.

203 Par ailleurs, deux éléments continuent d’éloigner le Sénat belge du modèle de chambre haute généralement instauré dans les États fédéraux. D’une part, la représentation des entités fédérées est grosso modo fonction de l’importance démographique de chacune d’entre elles ; il n’existe donc pas de représentation paritaire ou à tout le moins pondérée des entités fédérées ni de mécanisme de surreprésentation des plus petites d’entre elles. Il est à noter que la logique proportionnelle qui prévalait depuis 1993 est modifiée en ce qui concerne la répartition des mandats entre francophones, mais elle n’est pas altérée en ce qui concerne le rapport entre le nombre de membres de chacun des deux groupes linguistiques : les 35 sénateurs néerlandophones représentent désormais 58,3 % des effectifs du Sénat, les 24 sénateurs francophones 40,0 % et l’unique membre germanophone 1,7 %. D’autre part, les compétences de la seconde chambre sont nettement moindres que celles de la première. En outre, le Sénat devient une assemblée qui ne siège plus de façon continue, mais temporairement, ne se réunissant plus en séance plénière ordinaire que huit fois par an (ce nombre étant un maximum  [239]).

204 Après cette nouvelle réforme, le Sénat voit à nouveau ses compétences fortement restreintes. Désormais, l’essentiel du processus législatif appartient uniquement à la Chambre des représentants, qui conserve également les prérogatives exclusives qu’elle avait reçues, au moment de la quatrième réforme de l’État, en matière de budget et de contrôle politique du gouvernement fédéral.

205 Le Sénat n’est plus compétent sur un pied d’égalité avec la Chambre des représentants que pour la déclaration de révision de la Constitution ainsi que pour la révision et la coordination de la Constitution, pour les matières qui doivent être réglées par les deux Chambres fédérales en vertu de la Constitution elle-même, pour les lois spéciales, pour les lois qui concernent les institutions de la Communauté germanophone et son financement, pour les lois relatives au financement des partis politiques et au contrôle des dépenses électorales, et pour les lois qui concernent l’organisation du Sénat et le statut de sénateur (cf. l’article 77 de la Constitution). Comme lors de la quatrième réforme de l’État, le champ d’application des lois spéciales est cependant quelque peu étendu.

206 Pour certains projets législatifs, dans des matières visées par l’article 78 de la Constitution, le Sénat se voit transmettre tout texte adopté par la Chambre des représentants. Le Sénat dispose ainsi d’un droit d’évocation dans une série de matières pour lesquelles, avant la dernière réforme, il était compétent sur un pied d’égalité avec la Chambre  [240]. Si ce droit d’évocation est exercé, le Sénat peut amender le texte. Toutefois, la décision finale revient à la Chambre et le Sénat ne dispose plus d’un droit d’initiative. Toutes les autres matières relèvent exclusivement de la Chambre des représentants.

2.2.3. Le Sénat aujourd’hui : une construction bien singulière

207 En résumé, depuis la quatrième et plus encore la sixième réforme de l’État, le Sénat n’intervient guère dans la conduite au quotidien de la politique de l’Autorité fédérale. Sauf s’il souhaite mener une nouvelle réforme de l’État, un gouvernement fédéral ne doit plus disposer de la majorité au Sénat.

208 En revanche, les grandes lignes institutionnelles doivent encore être tracées par la Chambre des représentants et le Sénat agissant sur un pied d’égalité. Le contrôle politique du gouvernement fédéral – et donc une partie de l’activité des assemblées parlementaires qui est la plus exposée médiatiquement – revient quant à lui exclusivement à la Chambre. Symétriquement, cette dernière est devenue, au fur et à mesure que les réformes institutionnelles s’approfondissaient, l’organe clé au sein du Parlement fédéral. C’est à présent la Chambre des représentants qui élabore et vote la grande majorité des lois fédérales, sur la base de projets élaborés par le gouvernement ou, dans une proportion nettement moindre, de propositions déposées par les députés. Depuis les quatrième et sixième réformes institutionnelles, la Chambre occupe un rôle prépondérant dans le processus législatif, alors qu’auparavant elle agissait sur un pied d’égalité avec le Sénat.

209 Cette situation dénote avec celle qui est de mise dans les autres États fédéraux, où la chambre haute, par ailleurs marquée par le fait fédéral dans sa composition, joue souvent un rôle politique plus important. Deux situations peuvent être distinguées à cet égard. Un premier groupe d’États se caractérise par les larges compétences qui sont reconnues à la chambre haute. Aux États-Unis, par exemple, le système parlementaire – en tout cas au niveau fédéral – s’apparente à un bicaméralisme assez pur. Les deux chambres possèdent le droit d’initiative législative et chaque loi doit être adoptée par les deux chambres. Il en va de même pour le budget, qui doit toutefois être déposé d’abord à la Chambre des représentants. Le Sénat exerce en outre un certain nombre de compétences exclusives  [241]. Un bicaméralisme égalitaire règne dans les États fédéraux qui se sont inspirés du précédent états-unien, par exemple au Brésil, où la chambre haute (Senado Federal) est, au même titre que la Chambre des députés (Câmara dos Deputados), impliquée dans le vote de la législation fédérale. En Suisse, un bicaméralisme pur est également de mise : le Conseil national (chambre basse) et le Conseil des États (chambre haute, représentant les Cantons) y jouissent de compétences identiques  [242]. En Allemagne, la situation est la suivante : les lois fédérales sont adoptées par la chambre basse, le Bundestag. Après leur adoption, le président du Bundestag les transmet sans délai à la chambre haute, le Bundesrat, composée de représentants du gouvernement des Länder. L’approbation du Bundesrat n’est pas requise pour toutes les lois fédérales (mais même dans ce cas, il a la possibilité de faire opposition).

210 Un second groupe d’États se caractérise par le rôle prédominant qui est conféré à la chambre basse, sans toutefois que la chambre haute soit tout à fait exclue du processus d’adoption des lois ordinaires (c’est-à-dire celles qui ne concernent pas l’organisation et les structures de l’État, mais visent à mettre en œuvre les objectifs politiques poursuivis par la majorité en place). En Autriche, par exemple, le Conseil national (Nationalrat) dispose de plus de pouvoirs que le Conseil fédéral (Bundesrat). C’est le Conseil national qui investit le gouvernement ou provoque sa chute. Bien que toutes les lois votées par la chambre basse doivent normalement être sanctionnées par la chambre haute, il est possible à la première de contourner un veto de la seconde. À l’instar de ce qui est de mise en Belgique, la chambre haute autrichienne dispose de compétences concernant les dispositions constitutionnelles et les règles répartitrices de compétences au sein du système fédéral. Elle intervient également dans la ratification des traités internationaux, ce que le Sénat de Belgique n’est plus habilité à faire depuis la sixième réforme de l’État. Au Pakistan, la chambre haute (Aiwān-e-Bālā Pākistān) intervient dans le processus législatif au même titre que la chambre basse (Aiwān-e-Zairīñ) pour la plupart des matières. Toutefois, si les deux chambres ne peuvent s’accorder sur un texte, celui-ci est soumis au vote de l’ensemble des parlementaires ; or les sénateurs sont au nombre de 104, contre 342 députés, ce qui donne ipso facto l’avantage aux membres de la chambre basse pour atteindre la majorité absolue  [243]. Un mécanisme semblable d’arbitrage en cas de désaccord au cours du processus législatif entre la chambre basse et la chambre haute – celle-ci comptant deux fois moins de membres que celle-là – prévaut en Australie. La situation du Canada est encore plus particulière. En principe, les deux assemblées qui forment le Parlement du Canada – la Chambre des communes et le Sénat – sont dotées de compétences identiques. Toutefois, dans les faits, le Sénat ne s’oppose que très rarement aux choix législatifs qui ont été posés par la chambre basse et le gouvernement fédéral soumet la grande majorité de ses projets de loi à cette dernière de façon prioritaire. Il est à noter que le Sénat canadien ne constitue d’ailleurs pas, comme c’est généralement le cas au sein des États fédéraux, une véritable chambre des entités fédérées, ses membres étant nommés par le gouverneur général sur avis du Premier ministre, et ce même si on observe dans la pratique qu’« une représentation équilibrée des Provinces est recherchée »  [244]. Compte tenu du fait que le Sénat au Canada ne participe pas au contrôle politique du gouvernement fédéral, et que son assentiment aux réformes touchant aux structures de l’État peut être contourné, il est possible de conclure que son rôle politique est relativement faible, à l’instar de ce qui est de mise en Belgique, même s’il lui arrive de faire usage, dans des périodes politiques particulières, du droit d’initiative qui reste en principe le sien en matière de législation fédérale.

211 À l’aune de cette typologie, le Sénat tel qu’il existe en Belgique actuellement apparaît comme une construction bien singulière. La Belgique ne pourrait assurément pas être classée parmi le premier groupe d’États identifié ci-dessus, marqué par une forme pure de bicaméralisme et au sein duquel est rendue possible la mise en œuvre du principe de participation via la chambre haute. Mais la Belgique ne pourrait que difficilement être incluse au sein du second groupe d’États fédéraux que nous avons identifié. Le Sénat belge a en effet été progressivement placé à la marge de la vie politique ordinaire, même s’il conserve des attributions importantes dès lors qu’il s’agit de toucher aux structures de l’État (comme c’est le cas en Autriche également) ou à certains équilibres communautaires. Sa situation ressemble à cet égard à celle du Sénat canadien, bien que ce dernier conserve sur le papier la plénitude de ses compétences, ce qui lui permet de revenir dans le jeu politique lorsque les circonstances lui semblent le requérir. À défaut d’une nouvelle réforme d’envergure que certains appellent de leurs vœux, le Sénat belge risque de figurer à terme, de façon éminemment paradoxale, au rang des institutions surnuméraires du fédéralisme belge, l’hypothèse de sa disparition ne pouvant par ailleurs pas être exclue  [245].

2.3. D’autres institutions fédérales marquées par une logique bipolaire plutôt que multipolaire

212 Les développements qui précèdent se sont concentrés sur deux des pouvoirs constitués que sont le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif au niveau fédéral, la situation institutionnelle de la Belgique étant à plusieurs reprises éclairée par celle que l’on trouve dans d’autres États ayant adopté une organisation de type fédéral. Il a ainsi pu être souligné que, à cet échelon de pouvoir, les traits bipolaires dominent largement, ce qui constitue une singularité du fédéralisme belge et se marque à différents égards. Même quand on se penche sur la composition et sur l’organisation du Sénat, on relève que les quelques aspects multipolaires typiques du fédéralisme le disputent aux traits bipolaires persistants qui caractérisent le niveau de pouvoir fédéral.

213 Ce constat peut également être étendu à d’autres institutions majeures du système socio-politique de la Belgique. Il est en premier lieu pertinent d’interroger la place et le statut du pouvoir judiciaire. Sont ensuite examinés une série de pouvoirs constitués qui ne pourraient être strictement rattachés à l’un des trois pouvoirs que l’on a l’habitude de distinguer au sein des États modernes (législatif, exécutif et judiciaire) : la Cour des comptes, le Conseil d’État, la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la justice. Pareil examen conforte le constat posé plus haut selon lequel ce sont avant tout les traits bipolaires du système qui marquent les institutions du niveau fédéral.

2.3.1. Le pouvoir judiciaire

214 En Belgique, le pouvoir judiciaire a pour particularité de relever du niveau fédéral, sauf rares et récentes exceptions. Le pouvoir judiciaire se compose de cours et tribunaux dont les compétences sont établies sur une base territoriale et en fonction de la nature des affaires traitées. À cette organisation territoriale, il faut ajouter un élément personnel, qui concerne les justiciables eux-mêmes. La loi du 15 juin 1935 concernant l ’emploi des langues en matière judiciaire  [246], législation éminemment complexe et qui a fait l’objet au fil du temps d’un certain nombre d’adaptations, règle en effet la question de l’usage des langues dans le cadre des procédures judiciaires. En substance, cette loi consacre le principe d’une application territoriale de la langue, en fonction de la région linguistique concernée. Toutefois, elle énonce également un certain nombre de règles qui tiennent compte du caractère plurilingue de la Belgique  [247].

215 Comme cela vient d’être indiqué, le pouvoir judiciaire est organisé sur une base territoriale. Plusieurs niveaux peuvent être considérés : celui des cantons, celui des arrondissements judiciaires, celui des ressorts de cour d’appel et le niveau national, enfin, la Belgique comptant en effet une seule Cour de cassation, qui est la plus haute juridiction judiciaire. Il est à noter que depuis une importante réforme, le nombre d’arrondissements judiciaires a été ramené de 27 à 12, et ce à la suite de l’adoption d’une loi du 1er décembre 2013 qui poursuivait également deux autres objectifs : accentuer la mobilité des magistrats et renforcer la spécialisation des juridictions  [248]. Les frontières de ces arrondissements suivent, en principe, les délimitations provinciales. Une situation particulière est toutefois de mise à Bruxelles et à Eupen, dans ce dernier cas afin de préserver les droits des personnes germanophones  [249]. Il est cependant clair que le découpage territorial en matière judiciaire ne correspond pas à celui des Régions et des Communautés et que la justice, d’une part, et le fédéralisme, d’autre part, ont évolué suivant leurs rythmes propres.

216 L’un des volets du grand accord institutionnel négocié en 2011, et ayant mené à la sixième réforme de l’État, concernait la scission de la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde, qui correspondait à une revendication flamande et qui a donné lieu à un certain nombre de compensations obtenues par les francophones. Ces compensations ont trait à la question de la nomination des bourgmestres francophones de la périphérie, au refinancement de Bruxelles, à la création – à tout le moins sur le papier – de la communauté métropolitaine bruxelloise  [250] et à des réformes relatives à l’arrondissement judiciaire de Bruxelles  [251].

La justice : l’autre BHV

Durant des décennies, ce qui est au fil du temps devenu le dossier « BHV » (pour Bruxelles–Hal–Vilvorde) a constitué l’un des points nodaux du conflit opposant francophones et néerlandophones *. À partir de 2003, il est même devenu un problème politique central, dont la résolution est apparue indispensable, au risque sinon de mettre en péril l’unité du pays. La source du conflit résidait dans l’existence de deux entités ne répondant pas à la logique de la division du pays en régions linguistiques – la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde et l’arrondissement judiciaire de Bruxelles –, toutes deux étant à cheval sur la région bilingue bruxelloise et sur une partie de la région de langue néerlandaise. Les partis francophones y voyaient un moyen de sauvegarder les droits linguistiques des citoyens francophones habitant dans les communes flamandes de la périphérie bruxelloise (en ce compris ceux qui résident dans des communes dépourvues d’un régime de facilités linguistiques), la possibilité de voter pour des candidats francophones à certaines élections et d’utiliser le français en justice leur étant reconnue. Mais les partis néerlandophones y voyaient un vecteur de francisation du Brabant flamand. Ce conflit, tellement difficile à dénouer qu’un auteur, spécialiste du sujet, n’a pas hésité à se demander s’il n’était pas devenu la « couronne d’épines de l’État fédéral belge » **, a trouvé une solution à l’occasion de la sixième réforme de l’État.
La scission de la circonscription électorale litigieuse s’est en particulier accompagnée de diverses réformes affectant l’arrondissement judiciaire de Bruxelles. Celui-ci a été maintenu et conserve la particularité territoriale qui le caractérisait précédemment, « à savoir sa composition en décalage avec la subdivision du territoire en régions linguistiques ». Cette particularité est même depuis lors « bétonnée » de deux façons : « D’une part, sa légitimité est reconnue par le constituant et, d’autre part, en vertu du texte constitutionnel, une modification des limites de cette entité en vue de la rendre conforme au tracé de la frontière linguistique ne pourra s’opérer qu’au moyen d’une loi spéciale et donc moyennant l’accord d’une majorité des parlementaires du groupe linguistique français » de la Chambre des représentants et du Sénat ***. Concrètement, l’arrondissement judiciaire de Bruxelles s’étend sur le territoire de l’arrondissement administratif de Bruxelles et sur celui de l’arrondissement administratif de Hal–Vilvorde. Deux mesures principales ont été décidées dans le cadre de cette réforme : d’une part, suivant un principe de dédoublement, des tribunaux unilingues, francophones et néerlandophones, ont été créés à l’échelle de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles. Le parquet au sein de cet arrondissement judiciaire a quant à lui subi un autre sort : il a effectivement été scindé en un parquet bilingue de Bruxelles-Capitale, compétent sur le territoire des 19 communes bruxelloises (qui correspond à l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale), et un parquet néerlandophone de Hal–Vilvorde, compétent sur le territoire de l’arrondissement administratif de Hal–Vilvorde, et ce afin que des politiques criminelles différenciées puissent être menées. Au sein du parquet néerlandophone de Hal–Vilvorde, certaines garanties ont en outre été reconnues aux francophones afin de préserver leurs droits linguistiques ****.
* Cf. notamment le numéro de la revue Fédéralisme Régionalisme, « Fédéralisme et frontières internes : les enjeux de l’arrondissement de BHV (Bruxelles-Hal-Vilvorde/Brussel-Halle-Vilvoorde) », n° 8/1, 2008, https://popups.uliege.be.
** B. Blero, « Bruxelles-Hal-Vilvorde, couronne d’épines de l’État fédéral belge ?», Pouvoirs, n° 136, 2011, p. 97-123.
*** B. Blero, « La réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles », CH, n° 2282-2283, 2015, p. 12.
**** Ibidem, p. 39-44.

217 Cela a été indiqué, l’organisation des cours et tribunaux formant la pyramide judiciaire se fait à partir des cantons  [252], des arrondissements judiciaires  [253] et des ressorts de cour d’appel  [254]. Il existe également une Cour de cassation pour toute la Belgique, qui est chargée de veiller à l’unité de l’application et de l’interprétation du droit sur l’ensemble du territoire. Si la Cour de cassation constitue la plus haute instance judiciaire du pays et demeure organisée au niveau national, le fait communautaire marque toutefois sa composition, mais sur une base binaire et non ternaire. Au sein de la haute juridiction, chaque chambre est divisée en une section française et une section néerlandaise. En outre, les plus hauts magistrats au sein du siège et du parquet y sont nommés suivant une procédure particulière qui permet de respecter l’équilibre entre les deux principales communautés linguistiques du pays : « À la différence des autres chefs de corps, le premier président de la Cour de cassation est désigné par le Roi pour un mandat non renouvelable. Il partage cette restriction avec le procureur général près la Cour de cassation, équilibre linguistique oblige. En effet, l’objectif du législateur était d’assurer à la fois un équilibre et une alternance linguistique propre à nos contrées : si le premier président est francophone, le procureur général sera néerlandophone, et vice versa. Il convenait donc que leur mandat soit de même durée »  [255].

218 Du point de vue du droit et de la politique comparés, le fait que la justice soit demeurée en Belgique une compétence en grande partie fédérale, après six réformes institutionnelles, apparaît frappant. Dans la majorité des États fédéraux, à tout le moins dans ceux ayant adopté une forme démocratique, on constate à l’inverse que la justice fait l’objet d’une gestion au niveau des entités fédérées ou – hypothèse la plus fréquente – qu’elle constitue une compétence partagée entre l’ordre fédéral et les ordres fédérés  [256]. Les États-Unis et le Canada connaissent par exemple des systèmes judiciaires organisés au niveau des entités fédérées (États ou Provinces), un recours étant toutefois également possible à l’échelon fédéral dans certains cas (devant une Cour suprême). En Suisse, l’administration de la justice est principalement cantonale, notamment s’agissant de la création et de l’organisation des tribunaux. Les procédures civiles, pénales et administratives font cependant l’objet d’une harmonisation au niveau de la Confédération et il existe, en outre, des juridictions fédérales, avec à leur sommet le Tribunal fédéral. En Allemagne, la justice est organisée à la fois au niveau fédéral et au niveau des Länder. La procédure judiciaire et la détermination des types de juridictions à prévoir y sont presque complètement réglées par des lois fédérales, tandis que l’institution des tribunaux, la fixation de leurs ressorts et la désignation des juges appartiennent aux Länder ; seules les cours de dernière instance sont fédérales  [257].

219 En Belgique, le fait que l’organisation des cours et tribunaux soit réglée exclusivement à l’échelon fédéral résulte de la logique centrifuge qui a été à l’œuvre dans la naissance du fédéralisme. On ne peut pas exclure que la dimension symbolique de la justice, qui est souvent citée comme une compétence régalienne par excellence, ait exercé une influence en cette matière. Il reste toutefois frappant que six réformes institutionnelles aient à peine altéré l’organisation de la justice, malgré certaines pressions du Mouvement flamand.

220 Cela ne signifie toutefois pas que la justice n’a été en rien affectée par la fédéralisation  [258]. Dans le domaine de la justice administrative – et non judiciaire –, on signalera en premier lieu la possibilité pour les entités fédérées de créer des juridictions administratives, dans les limites de leurs domaines de compétence  [259]. Par ailleurs, le pouvoir législatif étant réparti entre différents niveaux de pouvoir, les peines en cas d’infraction sont également établies par ces différents niveaux, selon qu’il s’agit d’actes contrevenant à une loi, à un décret ou à une ordonnance. En outre, depuis la sixième réforme de l’État, les entités fédérées ont reçu un certain nombre de compétences supplémentaires. L’organisation et le fonctionnement des maisons de justice ont ainsi été communautarisés, leurs missions d’aide aux justiciables s’adressant directement aux personnes. Pour permettre que des politiques criminelles différenciées soient menées, les entités fédérées se sont par ailleurs vu octroyer une nouvelle prérogative : celle d’ordonner au parquet, dans les matières qui relèvent de leurs compétences, de mener des poursuites – sans toutefois qu’il soit porté atteinte à la compétence du ministre (fédéral) de la Justice d’ordonner des poursuites pour l’ensemble des infractions, qu’elles soient fédérales ou fédérées. Dans une telle hypothèse, les gouvernements des entités fédérées sont en outre tenus d’agir par l’entremise du ministre fédéral de la Justice. Ces mêmes entités peuvent également participer à l’élaboration des directives contraignantes de politique criminelle, à celle du plan national de sécurité et aux réunions du collège des procureurs généraux. On relèvera à cet égard que, lorsque le gouvernement flamand Jambon (N-VA/CD&V/Open VLD) a été mis sur pied, le 2 octobre 2019, la N-VA a souhaité que soit accordé à l’une de ses ministres, Zuhal Demir, le titre de ministre flamande de la Justice  [260]. A ainsi été acté le fait que les entités fédérées, et en particulier les Communautés, ont reçu au fil du temps, et en particulier au moment de la sixième réforme de l’État, un certain nombre de compétences qui touchent au domaine de la justice  [261].

2.3.2. La Cour des comptes, le Conseil d’État, la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la justice

221 Lorsqu’elle affirme l’existence de trois pouvoirs constitués (législatif, exécutif et judiciaire), la Constitution est quelque peu dépassée par une série d’évolutions institutionnelles – qui sont, pour certaines d’entre elles, organisées par le texte constitutionnel lui-même. « On affirme généralement qu’il existe, dans un État, trois pouvoirs à savoir le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Cette vision est cependant périmée. En effet, l’appellation “pouvoir judiciaire” vise en réalité les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, avec à leur faîte la Cour de cassation. À côté de ceux-ci, cependant, la Constitution consacre l’existence de la Cour constitutionnelle et du Conseil d’État »  [262]. À côté de ces deux juridictions, d’autres organes jouent un rôle majeur dans les équilibres institutionnels du pays et peuvent même être qualifiés à bon droit d’« institutions de régulation fédérale »  [263]. Ces juridictions et ces organes ont en commun d’être tous marqués, dans une certaine mesure, par le fait communautaire et la logique bipolaire à l’œuvre en Belgique, et ce quelle que soit la date de leur création.

222 Il est possible de poser une distinction entre deux catégories d’institutions  [264]. D’une part, celles qui, si elles n’appartiennent pas formellement à l’un des trois pouvoirs constitués, peuvent être rattachées à l’un d’entre eux sur le plan organique : la Cour des comptes et le Conseil d’État. D’autre part, deux institutions qui ne sauraient être rattachées à aucun des trois pouvoirs : la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la justice.

2.3.2.1. La Cour des comptes

223 La Cour des comptes est une juridiction administrative qui exerce, au nom des différentes assemblées législatives du pays, un contrôle sur tous les comptables du Trésor public  [265]. Bien qu’elle soit rattachée organiquement à la Chambre des représentants en vertu de l’article 180 de la Constitution, la Cour des comptes exerce ses différentes missions tant pour le compte de l’Autorité fédérale que pour celui des entités fédérées. Notamment, elle contrôle les dépenses et les recettes de l’Autorité fédérale, des Régions, des Communautés, de la Commission communautaire commune (COCOM), de la Commission communautaire française (COCOF), des provinces ainsi que de divers organismes d’intérêt public (mais pas celles des communes). Ses membres sont nommés par la Chambre des représentants pour une durée de six ans renouvelable. La Cour des comptes comporte une chambre française et une chambre néerlandaise.

2.3.2.2. Le Conseil d’État

224 La place exacte du Conseil d’État parmi les pouvoirs constitués n’est pas aisée à définir. Tandis que certains affirment que le Conseil d’État se situerait en marge des pouvoirs, à l’instar de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la justice, d’autres estiment qu’il fait partie du pouvoir exécutif. Le constitutionnaliste Yves Lejeune estime quant à lui que, bien qu’il ne fasse pas partie du pouvoir exécutif, « le Conseil d’État y est organiquement rattaché »  [266].

225 Le Conseil d’État est marqué par une organisation bicéphale, puisqu’il comprend deux sections : d’une part, une section du contentieux administratif, qui constitue la plus haute juridiction administrative en Belgique, et, d’autre part, une section de législation, qui est chargée de conseiller les parlements et gouvernements fédéraux et fédérés dans l’exercice de leurs fonctions législatives et réglementaires. Le Conseil d’État se compose de 44 membres sur une base paritaire (22 francophones et 22 néerlandophones). Cette logique bipolaire est toutefois tempérée de la façon suivante à l’égard de la population de langue allemande : un conseiller d’État au moins doit apporter la preuve d’une connaissance de l’allemand (sans pour autant devoir apporter la preuve d’un quelconque lien de rattachement à la région de langue allemande, seule la connaissance linguistique est ici impliquée)  [267]. Au-delà, la procédure de nomination au Conseil d’État ne semble pas obéir à une logique fédérale, mais plutôt partisane  [268].

226 La section du contentieux administratif du Conseil d’État peut être amenée à siéger en chambre unilingue, en chambre bilingue ou en assemblée générale (qui regroupe l’ensemble des chambres, et ce afin d’assurer l’unité de la jurisprudence au sein de la haute juridiction administrative ou, dans certains cas, lorsqu’une question sensible relative aux équilibres communautaires est impliquée). Quant à elle, la section de législation du Conseil d’État peut siéger en chambre unilingue (française ou néerlandaise), en chambres réunies (composées d’une chambre francophone et d’une autre néerlandophone) ou en assemblée générale (qui procède de la réunion de l’ensemble des chambres qui composent la section de législation).

227 Le rôle que joue la section de législation du Conseil d’État dans le système politique de la Belgique, en tant que conseiller juridique des différents parlements et gouvernements du pays, présente un certain nombre de caractéristiques sur lesquelles il convient de s’arrêter  [269]. En premier lieu, cette instance rend des avis juridiques, qui sont destinés à éclairer les choix politiques posés par les différents pouvoirs législatifs et réglementaires auxquels ils sont adressés, sans toutefois se substituer à ces derniers sur le plan de l’opportunité politique. Ils portent tant sur la dimension formelle des textes (qualité de la rédaction, cohérence interne, emploi d’un vocabulaire juridique adéquat, etc.) que sur leur dimension plus substantielle, en examinant en particulier que des règles qui occupent un rang supérieur dans la hiérarchie des normes n’ont pas été violées, et spécialement celles qui régissent la répartition des compétences  [270].

228 L’avis du Conseil d’État est obligatoire pour les avant-projets de loi, de décret ou d’ordonnance, ainsi que pour les avant-projets d’arrêté réglementaire (à savoir les arrêtés de portée générale, qui ont vocation à s’appliquer à un nombre indéterminé de situations). Il peut également être sollicité par les présidents des assemblées parlementaires concernant les textes en cours d’examen. Par ailleurs, les avis donnés par la section de législation sont, comme leur nom l’indique, dépourvus de force contraignante  [271] ; ils ne sont ainsi pas toujours suivis par les organes législatifs et exécutifs auxquels ils sont adressés. Ils n’en demeurent pas moins dotés d’une autorité certaine  [272]. En outre, les avis du Conseil d’État sont souvent épinglés par les partis de l’opposition ou des acteurs de la société civile afin d’étayer une argumentation visant à mettre en cause les choix posés par une majorité parlementaire ou un gouvernement (le cas échéant, dans le cadre d’une affaire portée devant la justice, qu’elle soit judiciaire, administrative ou constitutionnelle). Dans certains cas, un avis de la section de législation peut d’ailleurs être sollicité par l’opposition. En règle générale, celle-ci indiquera alors vouloir améliorer la qualité du texte en discussion, tandis que la majorité parlementaire dénoncera une manœuvre de flibuste uniquement destinée à retarder l’adoption d’une réforme  [273]. A contrario, l’intensité des attaques que les avis rendus par la section de législation sont susceptibles de susciter de la part de certains responsables politiques constitue la preuve de l’importance que ces avis revêtent sur le plan non seulement juridique, mais également symbolique et politique  [274]. De même, il est courant que les gouvernements tentent de contourner une éventuelle consultation obligatoire de la section de législation du Conseil d’État en invoquant l’urgence, que cette demande corresponde ou non à la réalité.

229 Bien que, comme cela a été indiqué, les avis donnés par la section de législation soient des avis juridiques, « l’appréciation de la légalité d’un texte fait parfois intervenir des éléments qui conduisent à poser des jugements relevant, en partie, d’une appréciation en opportunité »  [275]. Cela suscite parfois des critiques à l’encontre de la section de législation. Pour limiter celles-ci, il arrive que cette dernière fasse le choix de rendre son avis en assemblée générale, qui reprend l’ensemble des chambres francophones et néerlandophones. Un tel procédé est de nature à renforcer sa légitimité, en particulier lorsque des questions politiquement sensibles et qui intéressent les équilibres communautaires sont concernées  [276]. Il convient toutefois de noter que les avis du Conseil d’État « qui constituent des entraves à la mise en œuvre d’accords politiques sont généralement peu ou pas du tout suivis. En effet, lorsqu’un texte est le résultat d’un compromis qui repose sur un équilibre entre différents éléments, l’autorité sera peu encline à accepter de suivre une observation ayant pour effet de mettre à mal le compromis difficilement conclu »  [277].

230 D’un point de vue comparé, la structure bicéphale du Conseil d’État, à la fois haute juridiction administrative et conseiller des parlements et des gouvernements, est assez unique. Pour des raisons historiques, on la retrouve également en France – c’est-à-dire un État unitaire –, où le Conseil d’État exerce de la même manière ces deux missions de juge de l’administration et de conseiller des pouvoirs publics  [278]. En revanche, il est difficile de trouver un équivalent fonctionnel d’une telle institution dans d’autres États fédéraux.

231 Du point de vue de l’organisation fédérale de la Belgique, il est intéressant de pointer une particularité qui concerne la section de législation du Conseil d’État. Bien que le Conseil d’État demeure une institution organisée au niveau central, sa section de législation joue également le rôle de conseiller vis-à-vis des législateurs et exécutifs régionaux et communautaires, et ce alors que les règles qui régissent sa composition et son fonctionnement ne sont pas affectées par la logique fédérale, multipolaire, mais uniquement – et dans une certaine mesure uniquement – par une logique bipolaire.

232 Cette logique bipolaire affecte également le fonctionnement de deux autres institutions qui sont le plus souvent présentées comme étant tout à fait indépendantes vis-à-vis des trois pouvoirs : la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la justice.

2.3.2.3. La Cour constitutionnelle

233 La première de ces institutions est d’une importance cruciale dans le cadre d’un État fédéral. La Cour constitutionnelle (appelée de façon d’ailleurs assez caractéristique Cour d’arbitrage lors de sa création et jusqu’en 2007) agit à la fois comme gardienne des règles répartitrices des compétences au sein de l’État (entre l’Autorité fédérale et les entités fédérées et entre ces dernières) et comme instance chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois, des décrets et des ordonnances, mission qu’elle exerce soit en se prononçant sur des recours en annulation qui lui sont soumis, soit en répondant à des questions préjudicielles qui lui sont posées par d’autres juridictions. Sa compétence ne porte pas sur l’ensemble des règles constitutionnelles, mais sur une partie de celles-ci uniquement : la Cour constitutionnelle est chargée de s’assurer que les lois, décrets et ordonnances respectent bien les articles 8 à 32 (droits et libertés fondamentaux des citoyens belges), 143 § 1er (principe de loyauté fédérale), 170 (principe de légalité en matière fiscale), 172 (principe d’égalité en matière fiscale) et 191 (protection des étrangers) de la Constitution, ainsi que les règles répartitrices de compétences.

234 Siègent à la Cour constitutionnelle 12 juges selon une double parité, linguistique et professionnelle, ce qui constitue une autre spécificité du fédéralisme belge. En premier lieu, les juges à la Cour constitutionnelle sont répartis en deux groupes linguistiques, français et néerlandais, et ce de façon paritaire. En second lieu, ces juges sont pour moitié d’anciens parlementaires  [279] et, pour l’autre moitié, des personnalités ayant pu apporter la preuve de leurs compétences dans le domaine juridique. Tout comme au Conseil d’État, il est prévu qu’un des juges puisse justifier d’une connaissance suffisante de la langue allemande. L’appartenance au groupe français ou néerlandais au sein de la Cour constitutionnelle est déterminée en fonction du groupe ou régime linguistique auquel ils étaient rattachés en tant que parlementaires, pour les uns, et de la langue du diplôme, pour les autres.

235 Comme le note M. Uyttendaele, « un membre du Parlement de la Communauté germanophone n’a pas vocation à être juge à la Cour constitutionnelle, sauf s’il a également été parlementaire fédéral et, à ce titre, membre du groupe linguistique français de l’une des assemblées. En effet, si l’article 34 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 prévoit qu’un ancien parlementaire a vocation à être désigné en qualité de juge à la Cour constitutionnelle, l’article 31 réserve la désignation à cette fonction à d’anciens parlementaires francophones ou néerlandophones »  [280]. On voit ici que la logique bipolaire qui gouverne nombre des mécanismes qui ont été mis en place au niveau des institutions de l’État central n’est pas seulement indifférente à la logique multipolaire sur laquelle repose la construction fédérale, mais qu’elle va à l’encontre de celle-ci : un ancien parlementaire ayant été exclusivement membre du Parlement de la Communauté germanophone ne pourrait pas siéger en tant que juge au sein de la juridiction constitutionnelle censée être la garante des règles et des principes fondateurs du fédéralisme.

236 Si la juridiction constitutionnelle nouvellement créée a été baptisée, au départ, Cour d’arbitrage, c’est parce qu’il lui revenait alors principalement d’arbitrer les conflits de compétence susceptibles de survenir entre les différentes composantes de l’État (qui, à l’époque, n’était pas encore officiellement qualifié de fédéral). La Cour d’arbitrage a été créée sur le papier lors de la révision constitutionnelle de 1980  [281] : l’article 107ter (devenu par la suite article 142) de la Constitution en a instauré le principe. En 1983, le législateur (ordinaire) est intervenu pour organiser ses modalités de fonctionnement  [282]. La Cour a été installée en 1984 et a rendu ses premiers arrêts en 1985. Par la suite, elle s’est vu reconnaître d’autres prérogatives, et notamment le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des normes législatives à l’égard non seulement des règles répartitrices des compétences, mais également d’un certain nombre de droits fondamentaux et libertés  [283]. Le principe de loyauté fédérale, dont la Cour avait estimé qu’elle en était la gardienne, est également entré de façon explicite dans les normes de contrôle dévolues à la Cour à l’occasion de la sixième réforme de l’État.

237 Avant que la Cour d’arbitrage ne soit instituée, la constitutionnalité des lois ne faisait l’objet d’aucun contrôle juridictionnel, et ce en raison d’une forme de sacralité attachée à la loi en tant qu’expression de la volonté générale du peuple ou de la nation. Dans le cadre des discussions qui ont conduit à la deuxième réforme de l’État, le choix a été posé de créer une nouvelle juridiction investie d’un monopole dans le contrôle de la constitutionnalité des lois. La Belgique a ainsi opté pour le modèle concentré et non déconcentré de justice constitutionnelle. En effet, dans les États qui se sont dotés d’un système de contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, deux grands modèles peuvent être observés. Le premier d’entre eux, apparu pour la première fois aux États-Unis au début du XIXe siècle  [284], est dit déconcentré ou diffus : il suppose de confier le contrôle de la constitutionnalité des lois à l’ensemble des juridictions. Un tel système de contrôle déconcentré existe également dans d’autres États, et notamment au sein d’États qui, à l’instar des États-Unis, sont des États fédéraux, par exemple le Canada  [285]. En revanche, dans le second modèle, dit concentré, le contrôle de la constitutionnalité des lois est « réservé à une seule juridiction »  [286]. Il est d’application dans plusieurs États européens dont certains ont adopté la forme fédérale, comme l’Allemagne  [287].

238 Certaines configurations mixtes sont également envisageables. Par exemple, la Suisse a adopté un système déconcentré de justice constitutionnelle qui emprunte toutefois certaines de ses modalités au modèle concentré. En effet, il revient à l’ensemble des juridictions de vérifier la constitutionnalité des règles qu’elles sont chargées d’appliquer. Cependant, le Tribunal fédéral est également amené à jouer un rôle : cette juridiction peut être saisie « de recours introduits par des individus alléguant une violation de leurs droits constitutionnels, recours dits “de droit public”. Ces recours sont examinés par une “chambre de droit public” instituée au sein du Tribunal. Les décisions rendues sur ces recours ont un effet erga omnes. Le contrôle suisse de constitutionnalité des lois soumet toutefois le contrôle sur les lois fédérales, mais non sur les lois cantonales, à une importante limitation : l’article 190 de la Constitution est interprété, notamment par la jurisprudence, comme interdisant au Tribunal fédéral d’annuler ou de refuser d’appliquer une loi votée par l’Assemblée fédérale, ce qui ne l’empêche pas de constater une violation de la Constitution et, le cas échéant, d’inviter le législateur à la corriger »  [288]. L’Afrique du Sud connaît aussi un système intermédiaire, qui a pu être qualifié de « contrôle diffus concentré » en ce sens qu’« il peut être initié par toute juridiction supérieure ordinaire mais impose un contrôle ultérieur de la Cour constitutionnelle »  [289]. En résumé, dans un tel système, si une juridiction ordinaire conclut à l’inconstitutionnalité d’une norme, il est nécessaire que la Cour constitutionnelle intervienne dans un second temps afin soit de confirmer soit d’invalider une telle appréciation. Un système mêlant des traits empruntés aux modèles concentré et déconcentré se retrouve également au Brésil  [290].

239 La montée en puissance de la logique fédérale constitue assurément un élément important pour comprendre l’évolution ayant conduit à la création en Belgique, au début des années 1980, d’une cour constitutionnelle – qualifiée initialement de Cour d’arbitrage –, qui a ensuite évolué par étapes successives : « De toute évidence, le fédéralisme a été déterminant dans le choix, non seulement d’un contrôle de constitutionnalité des lois, mais également d’un contrôle organisé selon le modèle concentré de justice constitutionnelle »  [291]. En effet, lorsque plusieurs législateurs sont amenés à coexister sur une base égalitaire  [292] au sein d’une même structure étatique, ce qui est l’un des traits distinctifs du fédéralisme, il est inévitable que des « conflits de voisinage » surgissent, qui requièrent d’être tranchés, en dernier ressort, par un arbitre sur la base des règles de compétence applicables  [293]. En outre, la nature bipolaire du fédéralisme belge, « reposant sur la confrontation entre deux grandes communautés sociologiques, a convaincu les esprits de la nécessité d’opter pour le modèle concentré, en instaurant une juridiction spécifique, composée sur un mode linguistiquement paritaire »  [294].

240 D’autres facteurs ont également joué. Le pouvoir constituant a notamment pu craindre que le pouvoir judiciaire s’arroge la possibilité d’opérer un contrôle de la constitutionnalité des lois, un certain mouvement en ce sens ayant pu être esquissé par la Cour de cassation à l’occasion d’un arrêt rendu en 1974  [295]. En outre, trois ans auparavant déjà, la même Cour de cassation, dans un important arrêt  [296], avait reconnu aux cours et tribunaux appartenant au pouvoir judiciaire la compétence de contrôler la conformité des lois aux règles de droit international directement applicables, plaçant ainsi la question de la hiérarchie des normes au cœur de sa politique jurisprudentielle  [297]. À l’époque, certains responsables politiques ont pu craindre qu’un contrôle diffus de la constitutionnalité de lois s’instaure de façon prétorienne, notamment parce que ce contrôle était susceptible de s’opérer sans que soient pris en considération des éléments relevant de la paix communautaire et linguistique. La composition doublement paritaire de la Cour d’arbitrage (devenue par la suite Cour constitutionnelle), composée de francophones et de néerlandophones sur un pied d’égalité ainsi que d’autant d’anciens parlementaires que de juristes, constitue une garantie pour que de tels équilibres communautaires soient préservés.

241 Si l’on se tourne vers l’activité de la Cour constitutionnelle au cours des dernières décennies, on constate en tout cas que celle-ci fait preuve, en règle générale, de prudence, en particulier lorsque sont soumises à son appréciation les composantes de délicats compromis politiques destinés à construire, restaurer ou préserver la paix communautaire. Une telle prudence peut être observée quel que soit le type de compétences qu’assume la Cour constitutionnelle (à savoir – et schématiquement – la protection des droits et libertés fondamentaux, d’une part, et le règlement des conflits de compétence, d’autre part) : « Il est notoire (…) que la Cour a tendance à se montrer particulièrement prudente et respectueuse des choix politiques du législateur chaque fois qu’il est question d’une loi issue d’un accord politique important, sinon crucial, pour les équilibres de la “démocratie consociative” ou de “concordance” belge, même si les vices de constitutionnalité allégués sont très plausibles »  [298].

242 Un cas intéressant à cet égard concerne la problématique de l’immunisation de certains éléments de la paix communautaire qui, malgré le fait qu’ils sont repris dans de simples lois ordinaires, ne font pas l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle. On ne vise pas ici l’hypothèse, qui ne suscite pas de débat, dans laquelle le constituant a explicitement immunisé une règle qu’il édicte de tout contrôle de constitutionnalité. En Belgique – ce qui n’est d’ailleurs pas forcément le cas dans tous les États fédéraux  [299] –, la Constitution elle-même est en effet placée en dehors du champ d’action de la Cour constitutionnelle, de sorte que chaque disposition constitutionnelle est automatiquement affublée d’une sorte de « label de constitutionnalité » qui l’exempte de tout contrôle juridictionnel  [300] ; en d’autres termes, il n’appartient pas à la Cour constitutionnelle de contrôler la conformité interne de la Constitution. Est visée ici une autre situation, à savoir celle dans laquelle le constituant, dans les travaux préparatoires, indique qu’il estime que tel ou tel élément de paix communautaire, qui sera concrétisé à travers l’adoption d’une loi ordinaire ultérieure, ne devrait pas être soumis à la censure de la Cour. Du côté des responsables politiques, la pratique consistant à tenter d’immuniser les volets d’un accord politique global constitue le signe de leur « propension (…) à rechercher des astuces pour protéger le fruit de leurs compromis politiques sans directement les intégrer dans la Constitution »  [301], et ce notamment en raison de la lourdeur de la procédure de révision constitutionnelle (cf. supra). Par ailleurs, on peut apercevoir dans ce positionnement jurisprudentiel de la Cour constitutionnelle, encline durant un temps  [302] à accueillir ces tentatives d’« immunisation », le signe de la volonté des juges qui y siègent « de ne pas s’immiscer dans ces choix politiques hautement sensibles »  [303].

243 Si la Cour constitutionnelle semble, en règle générale, faire preuve de retenue sur le plan politique, et en particulier sur le terrain communautaire, certains auteurs estiment toutefois que cette prudence connaît quelques « exceptions notables », la Cour ayant mis en cause « des lois qui touchent aux équilibres de la démocratie consociative. Ainsi, dans le domaine des conflits communautaires, l’arrêt n° 73/2003 du 26 mai 2003 (…) relatif à la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde (BHV) a montré que la Cour peut parfois remettre en cause des compromis particulièrement délicats, quitte à provoquer des tensions politiques majeures »  [304]. Relevons néanmoins que la Cour n’indiquait pas dans quel sens devait être réglé le problème qu’elle reconnaissait dans cet arrêt.

244 Malgré ces éventuels épisodes d’« activisme juridictionnel » (judicial activism), le positionnement de la Cour est plutôt placé sous le signe de la « retenue juridictionnelle » (judicial restraint)  [305]. Cette prudence de la Cour constitutionnelle est sans doute due, en partie du moins, à sa composition singulière, et en particulier à la double parité, à la fois linguistique et professionnelle, qui la structure : « La composition de la Cour et l’organisation de son travail (…) contraignent nécessairement ses membres à mener un dialogue suffisamment approfondi pour conduire à des décisions qui, même adoptées à la majorité des voix, transcendent en quelque façon les clivages communautaires, socio-professionnels et idéologiques »  [306]. Un tel équilibre entre communautés linguistiques et culturelles se retrouve dans d’autres États fédéraux plurilingues, mais suivant d’autres modalités. Au Canada, « le droit impose que trois des neuf juges de la Cour suprême proviennent de la magistrature ou du barreau de la Province de Québec ; par-delà les considérations linguistiques, ce principe permet une représentation, au sommet de la hiérarchie judiciaire, des deux systèmes juridiques (common law et civil law) »  [307]. En Suisse, c’est « la pratique, plutôt que des règles juridiques explicites, qui amène l’Assemblée fédérale à choisir les juges fédéraux de telle sorte que les trois langues officielles de la Confédération soient représentées au sein du Tribunal fédéral »  [308].

245 Une telle prudence affichée par la Cour constitutionnelle belge dans la plupart de ses décisions n’implique pas que le travail de dialogue et d’ajustements réciproques qui doit être réalisé en son sein ne soit pas parfois délicat. Même si les délibérés sont secrets, ils semblent dans certains cas relativement complexes comme l’atteste « la tendance lourde au renvoi en formation plénière, dont la principale explication pourrait résider dans le clivage entre juges francophones et flamands, qui serait latent dans de nombreuses affaires »  [309]. La Cour constitutionnelle semble d’ailleurs prendre ses décisions de préférence à l’unanimité, alors que le principe du vote majoritaire est inscrit dans la loi spéciale de 1989 comme modalité ordinaire de prise de décision  [310].

246 Autre symptôme de cette modération : lorsqu’un vote doit intervenir, et en cas d’égalité des voix, la loi spéciale prévoit que la voix du président en exercice soit prépondérante  [311]. Or la présidence de la Cour constitutionnelle est bicéphale et donc marquée par la nature bipolaire du fédéralisme belge. Les deux présidents, d’expression française pour l’un et néerlandaise pour l’autre, exercent la fonction de président en exercice de façon alternée, un an sur deux. Ces modalités particulières ayant été rappelées, on peut comprendre le souci des juges de privilégier, autant que faire se peut, la recherche d’un consensus. Un usage intempestif du privilège présidentiel en cas d’égalité des voix risquerait en effet, en particulier dans les affaires sensibles sur le plan communautaire, « de troubler sérieusement l’entente au sein de la Cour, particulièrement en donnant naissance à une jurisprudence variant selon l’identité linguistique du président en exercice, ce qui ruinerait l’autorité d’une institution créée pour pacifier les querelles communautaires »  [312].

247 Il ne faut pas confondre, d’une part, cette attitude retenue de la Cour constitutionnelle dès lors qu’elle est confrontée à des équilibres communautaires et linguistiques et, d’autre part, l’importance de sa jurisprudence pour tracer les contours du fédéralisme belge et, en particulier, des règles qui permettent de définir la portée des compétences des différentes composantes de l’État fédéral (cf. Chapitre 5). En fait autant qu’en droit, un tel rôle est tout à fait crucial, à tel point que certains observateurs parlent d’une réforme de l’État « latente » qui se déroulerait au rythme des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle dans les affaires où il lui revient de trancher des conflits de compétence qui surviennent entre l’Autorité fédérale et les entités fédérées, ou entre ces dernières  [313]. Une telle réforme de l’État latente procéderait également de la légisprudence, évoquée plus haut, de la section de législation du Conseil d’État.

248 Enfin, il est à noter que depuis que la réforme du Sénat a transformé la chambre haute en assemblée des entités fédérées, les Régions et Communautés peuvent exercer, même si c’est indirectement et de façon partielle, une certaine influence sur la nomination des juges à la Cour constitutionnelle. Comme dans d’autres États fédéraux, ceux-ci sont en effet soumis à une procédure de nomination qui implique alternativement la Chambre des représentants et le Sénat : « Les juges sont nommés à vie par le Roi sur une liste double présentée alternativement par la Chambre des représentants et par le Sénat. Celle-ci est adoptée à la majorité des deux tiers des suffrages des membres présents », dispose la Constitution en son article 32, alinéa 1er. La situation belge se rapproche de celles d’autres États fédéraux dans lesquels « la participation des entités fédérées à la composition de la Cour [constitutionnelle] est notamment assurée par le fait que la chambre du Parlement fédéral qui a davantage vocation à représenter les entités fédérées (souvent la seconde chambre ou chambre haute) joue un rôle dans la désignation des juges », ce rôle pouvant varier selon les cas  [314].

2.3.2.4. Le Conseil supérieur de la justice

249 Dans l’histoire politique récente de la Belgique, un événement ayant eu un impact politique important s’est révélé relativement indépendant des querelles communautaires : l’affaire Dutroux. Parmi les réformes qui ont été initiées en raison du choc causé par cette affaire, à l’occasion de laquelle avaient pu être mis en évidence de graves dysfonctionnements de la justice et de la police, la création du Conseil supérieur de la justice, en 1999, a assurément constitué un événement particulièrement notable  [315]. Au moyen de cette création, le processus déjà amorcé de dépolitisation des nominations de magistrats a pu être fortement accentué.

250 Le Conseil supérieur de la justice ne saurait être rattaché à aucun des trois grands pouvoirs. Toutefois, « son existence [même] est intrinsèquement liée à celle du pouvoir judiciaire. En effet, outre le fait qu’il est composé pour moitié de magistrats, ses missions concernent exclusivement le fonctionnement de celui-ci »  [316]. La composition du Conseil supérieur de la justice, qui compte 44 membres, se caractérise par une double parité. Parité linguistique, en premier lieu, puisqu’il se compose d’autant de membres francophones que de membres néerlandophones, répartis respectivement au sein d’un collège francophone (22 membres) et d’un collège néerlandophone (22 membres). Il est à noter que la loi prévoit qu’au « moins un membre du collège francophone doit justifier de la connaissance de l’allemand »  [317]. En outre, seconde parité, le Conseil supérieur de la justice comprend 22 magistrats, qui sont élus, et 22 non-magistrats, qui sont quant à eux nommés par le Sénat à la majorité des deux tiers des suffrages émis et qui sont des avocats, des professeurs au sein d’une université ou d’une école supérieure ou des personnes possédant une expérience professionnelle pertinente dans le domaine juridique, économique, administratif, social ou scientifique. Chaque collège linguistique doit comprendre autant de membres magistrats que non magistrats, de sorte que l’on peut parler, dans le cas du Conseil supérieur de la justice, d’une composition et d’une double parité organisée « en carré »  [318].

251 Là non plus, et bien que cette institution soit apparue après la proclamation, en 1993, du caractère fédéral de l’État belge, la logique multipolaire qui caractérise classiquement le fédéralisme n’a pu triompher de la logique bipolaire qui marque à bien des égards les institutions de la Belgique.

2.4. La monarchie

252 Un élément institutionnel est souvent présenté, à côté d’autres réalités  [319], comme participant au maintien de l’unité de la Belgique : la monarchie. Il est vrai qu’il s’agit là d’« une structure qui échappe par nature au caractère bipolaire des autres institutions fédérales »  [320]. Si, en Belgique, les pouvoirs constitutionnels qui sont formellement dévolus au Roi sont en réalité exercés sous la responsabilité politique du gouvernement fédéral, cela implique-t-il que le Roi soit dépourvu de tout pouvoir ? La Belgique est-elle une monarchie purement protocolaire, à savoir « un système dans lequel le chef de l’État assume exclusivement une fonction de représentation et ne dispose d’aucune influence sur la vie politique nationale »  [321] ? Ces questions appellent assurément une réponse négative : « Bien que les pouvoirs du Roi soient depuis l’origine fort limités par la Constitution – tout acte politique, législatif, ou même à caractère officiel [du Roi] devant être contresigné par un ministre – le souverain conserve un rôle symbolique et politique au sein de la fédération »  [322].

253 Il faut rappeler ici la lecture combinée qui doit être faite de plusieurs dispositions constitutionnelles  [323]. La Constitution reconnaît au Roi le pouvoir de participer à la fonction législative fédérale (articles 36 et 74 actuels) et lui attribue, par ailleurs, le « pouvoir exécutif fédéral » (article 37 actuel). Toutefois, ces pouvoirs ne peuvent être exercés par le Roi de façon autonome. D’une part, l’article 88, en énonçant concomitamment le principe d’inviolabilité du Roi et de responsabilité des ministres, pose les bases d’un régime où le Roi, étant irresponsable, ne saurait exercer directement les pouvoirs constitutionnels qui lui sont formellement attribués. Cette irresponsabilité est confirmée d’autre part à l’article 106 de la Constitution, qui énonce qu’« aucun acte du Roi ne peut avoir d’effet, s’il n’est contresigné par un ministre, qui, par cela seul, s’en rend responsable » (le contrôle des actes politiques posés par le gouvernement fédéral étant exercé, depuis 1993, uniquement par la Chambre des représentants). L’action du Roi doit ainsi, dans tous les cas, être couverte par le contreseing ministériel  [324]. Un changement de gouvernement est par exemple acté par trois arrêtés royaux (ou deux si le Premier ministre ne change pas) qui font, à chaque fois, l’objet d’un contreseing : le premier désigne le nouveau Premier ministre et est contresigné par le Premier ministre sortant ; le deuxième accepte la démission des membres du gouvernement sortant (en ce compris le Premier ministre sortant) et est contresigné par le nouveau Premier ministre ; le dernier porte enfin désignation des nouveaux ministres et est lui aussi contresigné par le nouveau Premier ministre  [325].

254 En tant que membre du pouvoir législatif central, le Roi – en réalité, le gouvernement fédéral – dispose de deux fonctions au sein du processus législatif. D’une part, il prend un arrêté royal de présentation à la Chambre des projets de loi adoptés par le gouvernement et examinés par la section de législation du Conseil d’État, projets qui sont à la base de la majorité des textes de loi adoptés. D’autre part, il sanctionne les lois adoptées par le Parlement fédéral. En tant que membre du pouvoir exécutif central, le Roi – en réalité, le gouvernement fédéral – est tenu de promulguer les lois qu’il a précédemment sanctionnées en tant que branche du pouvoir législatif et de prendre les mesures nécessaires à leur exécution, notamment en adoptant des arrêtés royaux qui font l’objet d’une publication au Moniteur belge. Il est également doté d’importantes compétences dans le domaine des relations internationales (cf. Chapitre 5).

255 Qu’en est-il des pouvoirs que le Roi peut exercer en toute autonomie ou, en tout cas, en dehors du contrôle politique qu’exerce d’ordinaire le gouvernement fédéral à son égard ? En temps normal, le Roi ne dispose pas de véritables pouvoirs, au sens strict du terme, mais plutôt de prérogatives : « Celles d’être consulté, de stimuler et d’avertir »  [326], triptyque inspiré de ce qui est de mise dans le cadre de la monarchie constitutionnelle au Royaume-Uni  [327]. Il n’empêche qu’une décision personnelle du Roi peut altérer le fonctionnement régulier de l’État, comme l’a montré le refus de Baudouin de signer la loi dépénalisant partiellement l’interruption volontaire de grossesse en avril 1990  [328].

256 Le Roi – et plus généralement le « Palais », c’est-à-dire non seulement la personne du souverain régnant, mais aussi ses proches collaborateurs qui forment son cabinet – dispose également de certaines prérogatives plus importantes dans le cadre de la formation du gouvernement fédéral, le rôle du monarque étant d’ailleurs, durant de telles périodes, fortement mis en avant, y compris dans les médias, a fortiori lorsque les crises gouvernementales tendent à se prolonger dans le temps, comme ce fut le cas en 2010-2011  [329] et en 2018-2020  [330]. Lors de ces périodes dédiées à la formation d’un exécutif fédéral, le Roi exerce de véritables pouvoirs : « C’est à l’occasion des crises ministérielles que le Roi est amené à prendre des initiatives spécifiquement politiques. Lorsqu’un gouvernement est en fonction, il lui incombe en principe de ne prendre de décision qu’après avoir consulté, du moins prévenu le Roi. En période de gouvernement démissionnaire, limité à la gestion des affaires courantes, c’est le Roi qui consulte et doit prendre des décisions qui ne bénéficient pas de la couverture d’un gouvernement pleinement responsable »  [331]. Est ici impliqué le pouvoir constitutionnel accordé au Roi de nommer (et révoquer) ses ministres, qui confère surtout à ce dernier « un rôle central dans la formation des gouvernements. Il lui appartient, dans un dialogue étroit avec les responsables politiques les plus importants, de confier à des personnalités politiques des missions (information, médiation, formation, etc.) qui visent à dénouer la crise et à permettre la constitution du gouvernement fédéral. Les initiatives qui sont les siennes en pareille circonstance sont formellement couvertes par le contreseing de courtoisie qui intervient en fin de processus, et par lequel l’ancien Premier ministre contresigne la désignation de son successeur et par lequel ce dernier contresigne la démission de son prédécesseur. Cependant, dans la réalité politique, le Roi prend seul ses décisions »  [332].

257 La transformation de la Belgique d’un État unitaire en un État fédéral a-t-elle eu des implications concernant le rôle institutionnel joué par le Roi ? Celui-ci continue à nommer (formellement) les ministres et secrétaires d’État fédéraux  [333] et exerce un certain pouvoir d’influence qui a varié au fil du temps  [334]. La situation est sensiblement différente au niveau des entités fédérées (cf. Chapitre 3). Chaque gouvernement de Région ou de Communauté et chaque collège de Commission communautaire sanctionne et promulgue les décrets ou ordonnances adoptés par son assemblée parlementaire  [335]. C’est par les membres de chacune de ces assemblées que sont élus les membres de ces exécutifs. Certes, les ministres-présidents des Régions et Communautés prêtent serment devant le Roi, qui ratifie ainsi leur désignation  [336], mais ils n’en deviennent pas pour autant des représentants du Roi dans leur entité fédérée. En outre, une fois les ministres-présidents des entités fédérées installés, ils ne sont reçus en audience par le Roi que de manière très occasionnelle, alors que le Premier ministre rencontre le souverain en principe chaque semaine. L’agenda du Palais indique par ailleurs que le Roi a rencontré plusieurs ministres régionaux et communautaires depuis 2018, à chaque fois à une seule reprise  [337]. Enfin, on relèvera que des ministres des entités fédérées accompagnent en général les missions que le Roi ou d’autres membres de la famille royale mènent à l’étranger, en particulier dans un but économique.

258 En principe, le Roi est donc actif uniquement dans le processus de formation des gouvernements fédéraux et n’intervient en revanche pas dans les négociations visant à la formation des exécutifs des entités fédérées. Ces dernières années, néanmoins, l’imbrication de ces différents processus a conduit certaines interventions royales dans la formation du gouvernement fédéral à avoir un impact sur le fonctionnement des entités fédérées, ou inversement. En 2014, le roi Philippe a ainsi manifestement tenté, sans grand succès, de hâter la formation d’un gouvernement fédéral, en réaction sans doute aux déclarations du président de la N-VA, Bart De Wever, annonçant vouloir former d’abord le gouvernement flamand  [338]. En 2019, par contre, il a laissé les Régions et Communautés finaliser leurs négociations avant de tenter de faire avancer la formation d’un exécutif fédéral avec la désignation d’un duo de préformateurs  [339].

259 In fine, le processus de fédéralisation du pays a considérablement restreint l’étendue du pouvoir royal. En effet, alors que le souverain participait autrefois au pouvoir législatif en toute matière et dirigeait le seul pouvoir exécutif compétent dans le pays, le cantonnement de sa fonction au seul niveau fédéral a pour conséquence que le Roi ne participe plus au pouvoir législatif et exécutif dans les très nombreux domaines de compétence relevant aujourd’hui des entités fédérées. Par ailleurs, les enfants majeurs du Roi (ou, à défaut, ses descendants appelés à régner) ont perdu en 2014 le statut de sénateurs de droit hérité de 1831  [340].

260 Ce rapport distancié du chef de l’État vis-à-vis des entités fédérées rapproche la Belgique des nombreux États fédéraux constituant des républiques. Que le président ait un rôle avant tout protocolaire, comme en Allemagne, ou soit aussi le chef effectif du pouvoir exécutif, comme dans les régimes présidentiels argentin, brésilien, états-unien, mexicain et vénézuélien, son champ d’intervention se situe au niveau fédéral, et non à celui des entités fédérées. Signalons par ailleurs que le mode de sélection du président varie d’un pays à l’autre : si l’élection directe au suffrage universel est la règle dans les républiques fédérales du continent américain, par exemple, le chef de l’État allemand est élu par une assemblée composée des membres du Bundestag (chambre basse du Parlement fédéral) et des délégués des Länder. La présidence de la Confédération suisse est assurée collégialement par les sept membres du Conseil fédéral, dont l’un est élu primus inter pares pour un an, avec des devoirs de représentation spécifiques et la mission de soigner « tout particulièrement les relations avec les Cantons »  [341].

261 La monarchie belge n’est pas pour autant demeurée silencieuse face à l’évolution des structures institutionnelles du pays. Il est possible de revenir brièvement sur un événement qui a marqué le règne de Baudouin. À côté de l’épisode, retentissant, survenu en 1990, qui concernait plus le clivage confessionnel qu’institutionnel, d’autres, qui se sont moins inscrits dans la mémoire collective, ont davantage trait au processus de réformes institutionnelles. Ils n’en demeurent pas moins instructifs s’agissant de cette tension entre l’institution monarchique et la montée en puissance de la logique fédérale. Un exemple suffira à illustrer le propos : durant l’été 1988, le roi Baudouin écrit une lettre au Premier ministre, à l’époque Wilfried Martens (CVP), dans laquelle il met en cause, ou à tout le moins questionne, le processus en cours de réforme de l’État : « Sur le fond, je suis préoccupé parce que dans les textes actuels, nombre de questions essentielles me paraissent rester sans réponse. Durant les négociations, l’on a été d’accord pour renforcer le pouvoir national dans les matières qui restaient de sa compétence. Comment cela va-t-il se réaliser ? Il est beaucoup question, dans le projet de loi sur les compétences, de concertation et de coopération entre l’État, les Communautés, les Régions et de ces composantes entre elles. Comment s’appliqueront-elles si elles n’aboutissent pas à des accords, comment évite-t-on dans ce cas la paralysie et le blocage ? »  [342] Ce n’est pas la seule occasion où Baudouin est intervenu dans le processus politique devant mener à la transformation de l’État unitaire en État fédéral. Le 11 janvier 1993, il convoque par exemple au Palais Luc Van den Brande (CVP), alors ministre-président du gouvernement flamand (Van den Brande III, CVP/ SP/VU), après ses propos sur la nécessité d’une nouvelle réforme de l’État devant mener, à terme, à une autonomie poussée de la Flandre dans le cadre d’une structure confédérale. Cette démarche du Roi provoque une vague d’hostilité à son égard au nord du pays. Il y a lieu de noter que de telles initiatives ne se sont pas répétées dans des proportions identiques par la suite, des attitudes plus en retrait ayant marqué tant le règne d’Albert II que celui de Philippe. Néanmoins, dans leurs discours ou par leurs interventions, ceux-ci veillent à préserver l’unité du pays et tentent d’apaiser les tensions communautaires  [343].

262 Parmi les États fédéraux, peu sont des monarchies. En outre, la Belgique présente un profil très différent des deux groupes existants de monarchies fédératives.

263 D’une part, l’Australie, le Canada et le petit archipel antillais de Saint-Christophe-et-Niévès constituent des monarchies constitutionnelles fédératives dont la reine est Elizabeth II, par ailleurs reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord  [344] régnant également sur quatorze autres pays et diverses dépendances de la Couronne. Dans ces trois États fédéraux, un gouverneur général représente la reine et agit comme chef d’État avec, dans les faits, un pouvoir limité, le Parlement et le gouvernement exerçant l’essentiel du pouvoir. Dans les Provinces canadiennes et dans certains États australiens, la reine est aussi représentée localement par un lieutenant-gouverneur.

264 D’autre part, les Émirats arabes unis et la Malaisie constituent des fédérations de monarchies (émirats ou sultanats  [345]). Le chef de l’État est élu pour une durée de cinq ans, essentiellement par et parmi les familles royales des différentes entités fédérées  [346]. Dans la pratique, c’est l’émir qui est à la tête du principal émirat, à savoir celui d’Abou Dabi (dont la capitale, ville du même nom, est également la capitale du pays) qui est systématiquement élu pour présider les Émirats arabes unis, ce qui confère ipso facto un caractère héréditaire à la fonction. En Malaisie, une alternance prévaut. Aucun de ces deux pays n’est pleinement qualifié de démocratie.

265 Rappelons également que le Népal est devenu une république fédérale en 2008, abolissant alors la monarchie.

266 Parmi les rares États fédéraux de la planète qui ont le statut de monarchie, la Belgique tient donc une place à part. Elle est ainsi le seul pays à compter un seul Roi  [347], régnant sur un seul pays. Les entités fédérées ne sont pas dirigées par un souverain et il n’existe pas en Belgique d’équivalent de la fonction de lieutenant-gouverneur.

267 La question reste ouverte de savoir si la forme monarchique, dans un État fédéral vécu comme bipolaire comme l’est la Belgique, constitue réellement un facteur d’unité. Si le rôle de la monarchie a évolué avec le temps, notamment sous l’effet du processus de fédéralisation du pays, son existence même n’a guère été remise en cause. Au moment de la Question royale (1944-1950), qui constitue l’un des tournants de l’histoire belge, seuls les communistes ont mis en avant l’option républicaine. Il a ensuite fallu attendre plusieurs décennies pour que des partis politiques importants, idéologiquement à l’opposé des communistes cette fois, portent à nouveau cette option. Plus largement, l’appréciation de l’institution monarchique dans l’une et l’autre des deux grandes communautés linguistiques que compte le pays a connu des différences au fil du temps. La Question royale avait fortement divisé le pays, le retour du roi Léopold III étant majoritairement soutenu en Flandre, mais pas en Wallonie ni en région bruxelloise.

268 À la fin du siècle dernier et au début des années 2000, la situation est différente : c’est désormais « dans “la” Flandre, catholique, qui a voté massivement pour le retour sur le trône du roi Léopold III, que se manifeste un détachement voire un rejet de la monarchie »  [348]. On peut d’ailleurs relever une sorte de paradoxe du côté du parti dominant le paysage politique flamand depuis les élections de 2010. La N-VA est certes un parti nationaliste, qui appelle de ses vœux, à terme, l’indépendance de la Flandre. À ce titre, ses dirigeants ont eu l’occasion à diverses reprises d’exprimer leurs préférences républicaines. Mais la N-VA est également un parti conservateur, ce qui aurait pu le conduire, dans un autre contexte, à soutenir une institution – la monarchie – par définition ancrée dans la tradition  [349]. Cette position de principe n’empêche pas ce parti de privilégier à l’occasion une approche plus pragmatique. Prenant acte de l’absence d’un large consensus pour supprimer la monarchie, ce parti a par exemple avancé la proposition de réduire la monarchie en Belgique à sa dimension purement protocolaire, en s’inspirant en particulier du rôle qui est conféré au chef de l’État aux Pays-Bas  [350].

269 De nos jours, l’entité fédérée belge marquant le plus fort attachement à l’institution monarchique apparaît être la Communauté germanophone. Celle-ci a d’ailleurs choisi de calquer la date de sa fête sur celle du chef de l’État (le 15 novembre, qui est le jour de la fête du Roi) et est la seule à avoir inséré une couronne royale dans ses armoiries  [351].

3. Des entités fédérées singulières

270 Le chapitre 2 a montré comment des institutions nationales, conçues pour organiser la vie démocratique d’un État unitaire, ont été progressivement adaptées à la nouvelle structure fédérale de la Belgique. Il a également illustré les spécificités d’institutions fédérales qui sont davantage pensées pour prendre en compte l’opposition matricielle qui les a fait évoluer ou les a fait naître que pour assurer la représentation de toutes les entités fédérées du pays : le gouvernement fédéral et la Chambre des représentants, qui constituent les deux institutions fédérales les plus importantes, sont organisés selon un clivage linguistique entre francophones et néerlandophones – tout comme, par ailleurs, la grande majorité des partis politiques (cf. Chapitre 4).

271 On pourrait penser que si ce caractère bipolaire des institutions fédérales est le produit du lent processus de réforme de l’État, les institutions des entités fédérées, ayant été créées ex nihilo, auront en revanche été conçues d’emblée de façon plus cohérente et en s’inspirant de situations observées dans d’autres États fédéraux. Mais en réalité, les entités fédérées belges et leurs institutions sont également le produit d’une évolution graduelle (comme relaté au chapitre 1) et ont été très influencées par ce clivage originel entre francophones et néerlandophones (ou Flamands) qui s’exprime avec une force particulière dans l’organisation de l’une d’entre elles, la Région de Bruxelles-Capitale. Les entités fédérées de la Belgique se singularisent notamment par les importantes différences qu’il y a entre chacune d’elles et par le chevauchement de leurs compétences : sur chaque point du territoire, s’exercent les compétences de l’Autorité fédérale, d’une Région et d’une Communauté au moins. Ce troisième chapitre analyse les caractéristiques des Régions, des Communautés et des Commissions communautaires.

3.1. Des entités fédérées de trois types

272 L’État fédéral belge présente la particularité d’être composé – outre bien entendu de l’Autorité fédérale – d’entités fédérées de différents types. Celles-ci sont au nombre de huit : trois Communautés, trois Régions et deux Commissions communautaires. Il arrive parfois que l’on considère que la Belgique ne comprend que sept entités fédérées, en raison du fait que le Parlement et le gouvernement flamands exercent les compétences tant communautaires que régionales. Cependant, le fait que la Communauté flamande et la Région flamande aient « fusionné » leurs institutions ne met pas fin à l’existence de deux entités distinctes sur le plan juridique. Inversement, on compte parfois neuf entités, étant donné que trois Commissions communautaires existent en région bilingue de Bruxelles-Capitale. Mais il s’agit là d’une erreur, puisque seules deux d’entre elles disposent d’un pouvoir législatif : la Commission communautaire commune (COCOM), dès sa création, et la Commission communautaire française (COCOF), par suite du transfert de l’exercice de compétences par la Communauté française. Pour sa part, la Commission communautaire flamande (Vlaamse Gemeenschapscommissie, VGC) n’a pas bénéficié d’un tel transfert et ne peut pas être considérée comme une entité fédérée à part entière ; elle n’a que le statut de collectivité politique décentralisée placée sous la tutelle de la Communauté flamande.

273 À travers le monde, les États fédéraux qui comportent le plus petit nombre d’entités fédérées  [352] sont la Bosnie-Herzégovine (2 Entités : la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine  [353] et la République serbe ), Saint-Christophe-et-Niévès (2 îles : Saint-Christophe et Niévès), les Comores (3 îles : Grande Comore, Mohéli et Anjouan), la Micronésie (4 États : Chuuk, Kosrae, Pohnpei et Yap) et le Pakistan (4 Provinces : Baloutchistan, Khyber Pakhtunkhwa, Pendjab et Sind). Ceux qui en totalisent le plus sont les États-Unis (50 États) et, surtout, la Russie (85 Sujets  [354]). Les autres pays fédéraux en comptent 6 (Australie et Somalie  [355]), 7 (Émirats arabes unis et Népal), 9 (Afrique du Sud et Autriche), 10 (Canada et Soudan du Sud), 13 (Éthiopie et Malaisie), 16 (Allemagne et Palaos), 18 (Soudan), 23 (Argentine et Venezuela), 26 (Brésil et Suisse), 28 (Inde), 31 (Mexique) ou 36 (Nigeria).

274 Le tableau 1 récapitule les entités fédérées de Belgique et leurs organes, et précise les dénominations usuelles qui sont fréquemment employées pour les désigner.

275 La première matrice du fédéralisme belge étant un conflit linguistique, c’est tout naturellement que les premières entités installées en 1970-1973, les trois Communautés culturelles, ont été dénommées en référence à la langue : « Communauté culturelle française », « Communauté culturelle néerlandaise » et « Communauté culturelle allemande ». Lors de l’extension des compétences des Communautés en 1980, l’adjectif « culturelle » est tombé. Quant à eux, les qualificatifs « française », « néerlandaise » et « allemande » étant apparus susceptibles d’introduire une confusion avec des nationalités, il a été proposé de les remplacer. Toutefois, la Communauté « française » est demeurée, face aux Communautés désormais « flamande » et « germanophone ». Ces appellations constitutionnelles n’ont plus changé depuis lors.

276 La dénomination « Communauté flamande » est cependant peu usitée, les institutions de cette entité fédérée exerçant aussi les compétences de la Région flamande : le Parlement flamand et le gouvernement flamand gèrent les compétences de « la Flandre » (Vlaanderen), terme générique le plus fréquemment utilisé. Il est à noter qu’à l’origine, l’appellation « la Flandre » – ou plutôt « les Flandres » – désignait le comté de Flandre, dont le territoire s’étendait sous l’Ancien Régime aux provinces actuelles de Flandre occidentale et de Flandre orientale, à l’ouest de la province de Hainaut, à la partie de la province d’Anvers située à l’ouest de l’Escaut, à la Flandre zélandaise et à la Flandre française. C’est au XIXe siècle que, progressivement, le terme en est venu à désigner toute la partie de la Belgique où un dialecte néerlandais (flamand, brabançon ou limbourgeois) était en usage.

277 Au sud du pays, le gouvernement wallon utilise depuis 2010 la dénomination « Wallonie » en lieu et place de l’appellation constitutionnelle de « Région wallonne ». Le terme « Wallonie » ne saurait s’appliquer à la région bruxelloise, dont les habitants francophones ne sont pas ou plus considérés comme des « Wallons »  [356].

278 Pour sa part, la Communauté française a choisi en 2011 de se désigner désormais sous l’appellation « Fédération Wallonie-Bruxelles ». Il est vrai que le qualificatif « française », qui avait été préféré à « francophone » en 1980, n’est pas dépourvu d’ambiguïté  [357]. Dès 1999, l’expression « Communauté (française) Wallonie-Bruxelles » a été en usage officieux. Le 25 mai 2011, le Parlement de la Communauté française a adopté une résolution visant à ce que cette entité fédérée recoure usuellement (c’est-à-dire dans sa communication interne et externe) à l’appellation « Fédération Wallonie-Bruxelles », cela afin d’affirmer simultanément l’existence de deux Régions fortes et égales et le trait d’union qui les unit dans un espace francophone  [358]. D’un point de vue constitutionnel, l’appellation « Communauté française » demeure toutefois la seule valable. Il est à noter que, si le terme « Communauté française » n’était pas dépourvu d’ambiguïté, l’appellation « Fédération Wallonie-Bruxelles » ne l’est pas non plus : en effet, cette entité fédérée ne constitue pas une « fédération » de la Région wallonne et de la Région de Bruxelles-Capitale, elle n’est pas compétente sur l’ensemble du territoire wallon  [359] et elle ne dispose pas de l’ensemble des compétences communautaires en région bruxelloise  [360] (et, même, elle n’exerce pas l’ensemble des compétences communautaires en Wallonie francophone  [361]).

Tableau 1. Les entités fédérées de Belgique

Dénomination de l’entité Dénomination du parlement Dénomination du gouvernement Norme législative
officielleusuelleofficielleusuelleofficielleusuelle
Communautés la Communauté françaisela Fédération Wallonie-Bruxellesle Parlement de la Communauté françaisele Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxellesle gouvernement de la Communauté françaisele gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxellesle décret
la Communauté flamande
(de Vlaamse Gemeenschap)
la Flandre
(Vlaanderen)
le Parlement flamand
(het Vlaams Parlement)
le Parlement flamand
(het Vlaams Parlement)  a
le gouvernement de la Communauté flamande
(de Regering van de Vlaamse Gemeenschap) ;
le gouvernement flamand
(de Vlaamse Regering)
le gouvernement flamand
(de Vlaamse regering)  a
le décret
(het decreet)
la Communauté germanophone
(die Deutschsprachige Gemeinschaft)
Ostbelgien ;
die DG
le Parlement de la Communauté germanophone
(das Parlament der Deutschsprachigen Gemeinschaft)
das DG-Parlament le gouvernement de la Communauté germanophone
(die Regierung der Deutschsprachigen Gemeinschaft)
die DG-Regierung le décret
(das dekret)
Régions la Région wallonnela Walloniele Parlement wallonle Parlement de Wallonie le gouvernement de la Région wallonne ;
le gouvernement régional wallon ;
le gouvernement wallon
le gouvernement wallon ;
le gouvernement de Wallonie
le décret
la Région flamande
(het Vlaamse Gewest)
la Flandre
(Vlaanderen)
le Parlement flamand
(het Vlaams Parlement)
le Parlement flamand
(het Vlaams Parlement)  a
le gouvernement de la Communauté flamande
(de Regering van de Vlaamse Gemeenschap) ;
le gouvernement flamand
(de Vlaamse Regering)
le gouvernement flamand
(de Vlaamse Regering)  a
le décret
(het decreet)
la Région de Bruxelles-Capitale
(het Brussels Hoofdstedelijk Gewest) ;
la Région bruxelloise
(het Brusselse Gewest)  b
la Région bruxelloise
(het Brusselse Gewest) ;
Bruxelles
(Brussel)
le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale
(het Brussels Hoofdstedelijk Parlement)
le Parlement bruxellois
(het Brussels Parlement)
le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale
(de regering van het Brussels Hoofdstedelijk Gewest)
le gouvernement bruxellois
(de Brusselse Regering)
l’ordonnance
(de ordonnantie) ;
le règlement
(de verordening)  c

Tableau 1. Les entités fédérées de Belgique

a   L’ensemble formé par le Parlement, le gouvernement et le Ministère (administration) flamands est parfois désigné par l’expression « l’Autorité flamande » (« de Vlaamse Overheid »).
b   L’appellation « Région bruxelloise » est employée par la Constitution à l’article 3 ; quant à elles, les autres dispositions constitutionnelles et la loi spéciale du 12 janvier 1989 ne connaissent que la dénomination « Région de Bruxelles-Capitale ».
c   Sont visés ici les (rares) règlements adoptés par le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale lorsqu’il exerce les compétences de l’Agglomération de Bruxelles.
Pour les compétences dont l’exercice a été transféré à la COCOF par la Communauté française.
e   Pour les matières dans lesquelles la COCOF intervient en tant qu’organe décentralisé de la Communauté française.
Plus rarement : la COCOC (au début de l’existence de cette entité) ou la CCC.
g   Plus rarement : la COCON.
* La VGC est présentée dans ce tableau pour mémoire ; dépourvue de pouvoir législatif, elle n’est pas une entité fédérée.

279 Le cas de la Région de Bruxelles-Capitale est quelque peu différent. Celle-ci est fréquemment désignée comme la « Région bruxelloise » ou même simplement comme « Bruxelles », dans une vision simplifiée de l’architecture institutionnelle belge où se côtoieraient la Wallonie, la Flandre et Bruxelles. Il est à noter que, depuis 1970, la mention « Région bruxelloise » figure bel et bien dans la Constitution, mais à un seul endroit  [362]. En région bruxelloise toujours, les organes de la Commission communautaire française (COCOF) ont été officieusement rebaptisés « Parlement francophone bruxellois » et « gouvernement francophone bruxellois » en 2004.

280 Dernière entité fédérée en date à avoir opté pour une appellation courante autre que sa dénomination officielle, la Communauté germanophone a décidé le 15 mars 2017 de se désigner désormais par le terme « Ostbelgien », tout en créant une « marque régionale » du même nom. Les objectifs poursuivis par cette opération sont politiques mais également économiques : il s’agit d’accroître la visibilité et l’attractivité du territoire pour les touristes et les investisseurs  [363].

281 Les appellations usuelles prises par les différentes entités fédérées ne figurent pas dans la Constitution, pas plus qu’elles ne peuvent être utilisées par les documents officiels tels que ceux qui font l’objet d’une publication au Moniteur belge.

282 Comme exposé au chapitre 1, la dynamique de transformation de la Belgique en un État fédéral a été nourrie par deux aspirations différentes : la revendication flamande d’une autonomie culturelle, née dans la défense de la langue flamande puis néerlandaise, et la demande wallonne d’une autonomie régionale basée sur la situation économique spécifique de la Wallonie. Si ces deux courants différents n’ont pu se satisfaire de la construction d’un fédéralisme basé sur un seul type d’entités fédérées regroupant toutes les compétences que l’on ne souhaitait plus voir exercées par l’État central, c’est en raison de la situation particulière de la capitale du pays, Bruxelles, et des communes qui l’entourent et forment avec elle une continuité urbaine.

283 Capitale historique de l’ancien duché de Brabant, située dans la partie de ce territoire où est parlée une langue néerlandaise depuis plusieurs siècles, Bruxelles s’est progressivement francisée à partir de la fin du XVIIIe siècle, et le statut de la langue française pendant les premières décennies d’existence de l’État belge a fait de la capitale une ville majoritairement francophone. La métropole demeurait toutefois environnée d’une ceinture de villages flamands, où cependant l’usage du français progressait au fur et à mesure de l’installation de familles bruxelloises séduites par un idéal de vie suburbain. Bruxelles n’étant pas en Wallonie, mais Bruxelles n’étant plus non plus une ville néerlandophone, il fallut se résoudre à composer avec une situation que son statut de capitale rendait d’autant plus délicate.

284 Cette particularité est le principal facteur à l’origine de deux singularités des entités fédérées belges : elles sont de nature différente (Régions et Communautés, auxquelles s’ajouteront même des Commissions communautaires, dont deux sont des entités fédérées) et elles exercent leurs compétences au moins partiellement sur les mêmes territoires.

285 Généralement, les entités fédérées des États fédéraux sont toutes de même nature ; exceptionnellement, il peut en aller autrement. C’est ainsi que la Russie comprend des entités de nature différente : les 85 « Sujets de la Fédération » se répartissent en 22 Républiques (dotées d’une Constitution propre), 9 Kraïs (ou Territoires administratifs), 46 Oblasts (ou Régions administratives), 4 Okrougs (ou Districts autonomes), 3 Villes d’importance fédérale (Moscou, Saint-Pétersbourg et Sébastopol) et un Oblast autonome (le Birobidjan, héritier de la région autonome juive fondée par Staline en 1934). Pour sa part, le Brésil comprend, outre 26 États (et un district fédéral au statut spécifique), un autre type d’« unités fédératives » : 5 568 municipalités. Le statut juridique de celles-ci fait débat. Depuis 1988, la Constitution a érigé les municipalités en parties intégrantes du système fédératif brésilien et, donc, en entités fédérées. Et il est vrai que, « en termes politiques et administratifs, les municipalités brésiliennes figurent parmi les gouvernements locaux les plus autonomes du monde entier ; elles sont des entités politiques, et non simplement des agences administratives ou de décentralisation. Elles disposent notamment des pouvoirs constitutionnels requis pour réglementer, en vertu de vastes pouvoirs qui leur sont conférés, mais aussi pour légiférer dans les matières qui sont sous leur juridiction (une loi municipale peut prévaloir sur une loi de l’État (…) ou une loi fédérale) »  [364]. Cependant, le statut des municipalités brésiliennes ne fait pas consensus, car celles-ci ne présentent pas l’ensemble des caractéristiques communément admises comme consubstantielles de la notion d’entité fédérée : nombre de juristes préfèrent donc les considérer comme des entités « de troisième degré »  [365].

286 Une situation proche est celle des États fédéraux dont seule une partie du territoire est divisée entre des entités fédérées (le reste du pays dépendant du pouvoir central, éventuellement via des administrations plus ou moins largement décentralisées). Ainsi, le Canada est un État fédéral qui comprend dix entités fédérées, dénommées Provinces, et trois Territoires. Les Territoires canadiens sont des entités qui bénéficient d’une autonomie moindre que les Provinces ; leurs compétences ne sont pas inscrites dans la Constitution, mais dévolues par le gouvernement fédéral, qui peut donc les modifier. Ce particularisme canadien s’explique par l’histoire et la géographie du pays : les Territoires du Nord-Ouest, du Nunavut et du Yukon comprennent les régions tardivement et faiblement peuplées du nord canadien, demeurées longtemps sous l’administration directe du gouvernement. Une situation similaire s’observe en Australie, un État fédéral composé de six entités fédérées, appelées États, et de dix Territoires. La plupart des Territoires sont directement administrés par le gouvernement fédéral, bien que certains d’entre eux, dont celui de la capitale australienne, Canberra, disposent d’une certaine autonomie. Dans ces derniers, toutefois, le Parlement australien conserve le pouvoir de légiférer, et peut annuler les lois adoptées par les institutions du Territoire.

287 Toutefois, les situations russe, canadienne et australienne ne sont pas comparables au modèle belge, dans lequel Régions et Communautés exercent leurs compétences simultanément sur les mêmes territoires (contrairement à la situation prévalant en Russie) et où, l’ensemble du territoire national étant fédéralisé  [366], aucune portion de celui-ci n’est administrée distinctement par le pouvoir central  [367] (contrairement aux modèles canadien et australien).

3.2. Des territoires qui se chevauchent

288 « La Belgique est un État fédéral qui se compose des Communautés et des Régions », énonce l’article 1er de la Constitution depuis 1993. Un lecteur néophyte pourrait imaginer que certaines portions de territoire constituent des Communautés et d’autres des Régions. Il n’en est rien : toute portion du territoire belge est incluse simultanément dans une Région et dans (au moins) une Communauté.

289 En vérité, seules les deux plus grandes Régions voient leur territoire défini dans la Constitution, à l’article 5 : « La Région wallonne comprend les provinces suivantes : le Brabant wallon, le Hainaut, Liège, le Luxembourg et Namur. La Région flamande comprend les provinces suivantes : Anvers, le Brabant flamand, la Flandre occidentale, la Flandre orientale et le Limbourg ». Quant à lui, le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas formellement défini dans la Constitution, qui pourtant évoque cette entité fédérée à 22 reprises. Il faut comprendre par défaut que le territoire de cette Région correspond à celui – déprovincialisé depuis 1995 – de la région bilingue de Bruxelles-Capitale évoquée avec les autres régions linguistiques à l’article 4  [368]. C’est la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises  [369] qui détermine formellement le territoire de la Région, en son article 2 : « Le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale comprend le territoire de l’arrondissement administratif de “Bruxelles-Capitale”, tel qu’il existe au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi ». La détermination du territoire des Régions fait percevoir cette spécificité de la Région de Bruxelles-Capitale, qui évoque d’autres statuts particuliers donnés au territoire de la capitale dans les États fédéraux, l’exemple le plus fréquemment invoqué étant celui du District of Columbia qui abrite Washington, la capitale des États-Unis, bien que son statut ne soit pas du tout comparable. On y reviendra.

290 La Constitution belge indique le champ d’application des compétences des Communautés en référence aux régions linguistiques (en ses articles 127 à 130) : les Communautés française et flamande exercent leurs compétences respectivement dans la région de langue française et dans la région de langue néerlandaise, ainsi qu’à l’égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leurs activités ou de leur organisation, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou à l’autre de ces Communautés. Ces champs d’application sont valables pour la grande majorité des compétences communautaires (matières culturelles, matières personnalisables et enseignement). Toutefois, ils ne valent pas pour les questions relatives à l’emploi des langues, où la compétence des Communautés française et flamande est bornée aux régions linguistiques correspondantes, à l’exception toutefois des communes à statut linguistique spécial  [370]. Pour sa part, la Communauté germanophone exerce ses compétences dans la région de langue allemande, mais elle n’est pas compétente en ce qui concerne l’emploi des langues en matière administrative ou de relations de travail, à la différence des deux autres Communautés.

291 La Belgique, et c’est une spécificité de son fédéralisme, voit donc se superposer l’exercice des compétences des différents types d’entités fédérées : en tout point du territoire national, une Région et au moins une Communauté sont compétentes (en plus de l’Autorité fédérale). En outre, le fédéralisme belge se caractérise par son asymétrie. Ainsi, en Wallonie, sont compétentes la Région wallonne et la Communauté française ou la Communauté germanophone. Sur le territoire des 19 communes bruxelloises, exercent leurs compétences la Région de Bruxelles-Capitale, les Communautés française et flamande (selon le régime linguistique des institutions considérées), ainsi que les Commissions communautaires commune et française (cf. infra). La Flandre a évité ce partage de pouvoirs en confiant l’exercice des compétences régionales à ses institutions communautaires mais, formellement, il existe bien une Région flamande, dont le rayon d’intervention se limite au territoire de la région de langue néerlandaise, et une Communauté flamande, celle-là même qui exerce ses compétences aussi sur le territoire bruxellois pour les institutions qui en relèvent.

La centralité de la question linguistique

Le champ d’application des compétences des entités fédérées est défini en Belgique par rapport à la matrice des régions linguistiques déterminées en 1962-1963. C’est dire le rôle fondamental joué par la question linguistique dans la transformation de l’État. Remarquons toutefois que par « question linguistique », on entend en vérité une série de problèmes et de contestations liées au statut du français et du néerlandais. La présence d’une troisième langue nationale, l’allemand, n’a pas représenté un facteur de changement institutionnel majeur mais a plutôt constitué un élément spécifique de dynamiques plus larges, décidées ailleurs. Du reste, la matrice linguistique du fédéralisme belge est clairement visible à travers l’organisation bipolaire des institutions fédérales analysée au chapitre précédent. Le chapitre suivant reviendra également sur la question des langues.

292 Le seul autre État fédéral où la question linguistique joue un rôle aussi central est le Canada. La Constitution canadienne donne le statut de langues officielles de la Fédération au français et à l’anglais et établit le caractère bilingue de la Province du Nouveau-Brunswick, qui est la seule Province bilingue du pays mais qui n’abrite pas sa capitale (qui est Ottawa, dans l’Ontario). Les autres entités fédérées canadiennes décident de leur langue officielle  [371] : c’est ainsi que le Québec a le français pour seule langue officielle. Toutefois, la loi fédérale sur les langues officielles, adoptée en 1969 et amendée en 1988, édicte le principe de la défense des minorités de langue anglaise au Québec et de langue française dans le reste du Canada. On observera que l’histoire linguistique du Canada est le récit de l’émancipation de la minorité francophone pour la reconnaissance de ses droits linguistiques, là où cette histoire est en Belgique celle de la conquête de ses droits par la majorité néerlandophone.

293 À côté de la Belgique et du Canada, d’autres États fédéraux sont multilingues. On reviendra plus en détail sur cette question dans le chapitre suivant. Cependant, il est à noter qu’en dehors des deux pays précités, la question linguistique ne joue pas un rôle prépondérant. La Suisse, qui connaît quatre langues officielles  [372], comprend trois Cantons bilingues et un Canton trilingue, et la frontière entre la Suisse alémanique (germanophone) et la Suisse romande (francophone), familièrement dénommée Röstigraben, soit « le fossé des Rösti »  [373], est davantage culturelle que territoriale. Épinglons toutefois une similitude avec la Belgique : les questions de rivalité linguistique concernent principalement les deux groupes les plus importants, les alémaniques et les romands. Les italophones, minoritaires avec 8,2 % de la population, ne pèsent pas d’un poids équivalent sur la scène politique ni dans les débats publics ; tel est a fortiori le cas des 0,5 % de personnes parlant le romanche. Les rapports entre communautés linguistiques ne se sont cependant pas réglés de la même manière en Suisse et en Belgique. D’une part, les caractéristiques bipolaires que l’on a pu relever dans le chapitre 2 à propos des institutions du niveau fédéral sont propres à la Belgique et ne connaissent pas d’équivalent en Suisse. D’autre part, les Cantons suisses déterminent librement leurs langues officielles, ce qui n’est pas du tout le cas des entités fédérées en Belgique, on y reviendra dans le chapitre suivant. Ainsi, au niveau local, les territoires des Régions et ceux sur lesquels les Communautés exercent leurs compétences sont fixés dans la Constitution belge. Il n’est pas permis à une commune de choisir à quelle Région elle souhaite se rattacher, ce qui peut créer des abcès de fixation autour de la question linguistique, comme dans la commune de Fourons ou dans les communes à statut spécial de la périphérie bruxelloise. D’autres États fédéraux reconnaissent le droit à l’autodétermination des communes en ce qui concerne l’entité fédérée à laquelle elles souhaitent appartenir, éventuellement en l’assortissant de conditions. En Suisse, la décision des citoyens de la commune de Moutier de quitter le Canton de Berne et de rejoindre le Canton du Jura lors de la votation du 26 mars 2021 fournit une illustration récente de ce principe.

3.3. Des entités fédérées de tailles différentes

294 Cette importance du facteur linguistique a conduit à définir les territoires et champs d’application des compétences des entités fédérées sur la base des régions linguistiques déterminées de façon définitive en 1962-1963. Or celles-ci sont de tailles très différentes. La région linguistique la plus étendue est celle de langue française (16 055 km2), suivie de celle de langue néerlandaise (13 626 km2) ; pour leur part, la région de langue allemande (846 km2) et celle, bilingue, de Bruxelles-Capitale (162 km2) sont de taille nettement plus réduite. En termes de population, le classement est sensiblement différent : la région de langue néerlandaise rassemble davantage de personnes (6 653 062 habitants) que la région de langue française (3 570 062 habitants), la région bilingue de Bruxelles-Capitale (1 219 970 habitants) et la région de langue allemande (78 144 habitants) réunies [374]. Il faut toutefois noter que le nombre d’habitants dans chaque région linguistique unilingue n’est pas équivalent au nombre de locuteurs principaux de la langue considérée : chacune comprend des minorités linguistiques qui parlent la langue officielle d’une autre région linguistique, ainsi que des habitants issus de l’immigration qui parlent une autre langue que le français, le néerlandais ou l’allemand.

295 Deux Régions correspondent aux limites d’une région linguistique : la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale. La troisième, la Région wallonne, cumule le territoire et la population des régions de langue française et de langue allemande, soit 16 901 km2 et 3 648 206 habitants, ce qui en fait l’entité fédérée belge la plus étendue (55,1 % du territoire national), mais pas la plus peuplée (31,7 % de la population recensée en Belgique au 1er janvier 2021). La Région de Bruxelles-Capitale et, avec elle, la COCOM sont les entités fédérées dont le territoire est le plus exigu (0,5 % de la superficie de la Belgique), mais leur population n’est pas la plus réduite (10,6 % de la population totale du pays). Inversement, la Communauté germanophone dispose d’un territoire un peu plus étendu (2,8 % du territoire belge), mais compte la population la moins fournie (0,7 % des habitants du pays).

296 Calculer ces données pour les trois entités fédérées restantes s’avère plus compliqué. Comme on l’a indiqué supra, la Communauté française et la Communauté flamande sont compétentes non seulement sur l’ensemble du territoire de la région linguistique correspondante mais également sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale ; dans cette dernière toutefois, cette compétence ne s’étend qu’aux institutions unilingues. Il ne saurait dès lors être question d’attribuer à proprement parler un territoire précisément défini à ces deux Communautés – pas plus, partant, qu’à la COCOF, même s’il est entendu que ses compétences ne dépassent pas les 162 km2 que compte le territoire bruxellois. En revanche, si un recensement linguistique n’est plus autorisé depuis 1961, différentes méthodes d’approximation de la répartition linguistique de la population vivant en région bruxelloise sont parfois utilisées. Précisons qu’ici encore, celles-ci répartissent bien souvent ces habitants de manière binaire, sans nécessairement tenir compte du fait que la population des 19 communes bruxelloises est particulièrement cosmopolite (quelque 180 nationalités y sont dénombrées  [375]).

297 Au chapitre III de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions  [376] (modifiée notamment par la loi spéciale du 6 janvier 2014 portant réforme du financement des Communautés et des Régions, élargissement de l’autonomie fiscale des Régions et financement des nouvelles compétences  [377]), il est prévu que l’adaptation de certains moyens octroyés à chaque Communauté soit calculée de la façon suivante : le nombre d’habitants âgés de moins de 18 ans relevant de la Communauté française est censé être égal au nombre d’habitants âgés de moins de 18 ans de la région de langue française, majoré de 80 % du nombre d’habitants âgés de moins de 18 ans de la région bilingue de Bruxelles-Capitale ; et le nombre d’habitants âgés de moins de 18 ans relevant de la Communauté flamande est censé être égal au nombre d’habitants âgés de moins de 18 ans de la région de langue néerlandaise, majoré de 20 % du nombre d’habitants âgés de moins de 18 ans de la région bilingue de Bruxelles-Capitale  [378]. Une proportion similaire a été appliquée lors de la réforme des institutions bruxelloises en 2001 (à la suite de l’accord dit du Lombard), la répartition des députés régionaux bruxellois ayant été fixée à 72 élus sur des listes francophones et 17 élus sur des listes néerlandophones, soit respectivement 80,9 % et 19,1 % des désormais 89 sièges à pourvoir. À l’époque, le Conseil d’État avait émis de sérieuses réserves et certains avaient dénoncé dans cette proportion prédéterminée une atteinte au principe d’égalité et à la démocratie  [379]. Jusqu’alors, en effet, la répartition des votes avait oscillé autour de 85 % en faveur des listes déposées du côté francophone. Depuis lors, même si le nombre de sièges est réparti d’avance entre listes francophones et listes néerlandophones, les votes ne suivent pas cette répartition ; les listes déposées dans le groupe linguistique français ont attiré entre 84,7 % des votes valables en 2019 et 88,8 % en 2009  [380]. Rappelons que les électeurs sont libres d’opter pour une liste francophone ou néerlandophone, quelle que soit la langue qu’ils pratiquent personnellement le plus usuellement. Les chiffres de fréquentation de l’enseignement obligatoire en région bruxelloise sont plus proches de la clé susmentionnée. Au cours de l’année 2019-2020, on dénombrait 80,5 % d’élèves scolarisés dans l’enseignement fondamental ou secondaire francophone, contre 19,5 % dans l’enseignement néerlandophone  [381]. Il est plus fréquent qu’une famille plutôt francophone scolarise ses enfants dans l’enseignement néerlandophone que l’inverse. Pour sa part, dans l’exercice de ses compétences communautaires, la Flandre retient une norme dite de Bruxelles (Brusselnorm) qui part du principe que 30 % de la population bruxelloise constitue son groupe cible. Dès lors, au moins 5 % de ses dépenses dans les politiques communautaires doivent être affectés en région bruxelloise  [382].

298 La proportion de Bruxellois qui utilisent de préférence le néerlandais plutôt que le français est toutefois très inférieure à ces chiffres. Périodiquement, des statistiques relatives à la langue utilisée pour les demandes d’immatriculation de véhicules, les déclarations d’impôt, les demandes de pensions ou encore les actes de naissance et de mariage montrent des proportions de demandes supérieures à 90 % en français et inférieures à 10 % en néerlandais  [383]. En 2019, près de 8 % des Bruxellois se déclaraient néerlandophones selon les données du SPF Finances  [384]. Il est à noter aussi que la réalité cosmopolite de la région bruxelloise fait qu’une proportion importante de Bruxellois utilisent d’autres langues. Depuis 2001, le « Baromètre des langues » documente notamment le recul des deux langues officielles dans les foyers de la région centrale, au profit principalement de l’anglais, de l’arabe, de l’espagnol, de l’italien, de l’allemand, du portugais et du turc  [385].

299 On le voit, il est particulièrement difficile – et réducteur – d’établir avec précision une répartition des Bruxellois entre francophones et néerlandophones. D’une part, parce que Bruxelles est une ville cosmopolite dont de nombreux habitants parlent de préférence une autre langue que le français ou le néerlandais. D’autre part, parce qu’en l’absence de recensement linguistique, il est nécessaire d’avoir recours à divers indicateurs relatifs à la proportion de l’usage de l’une ou de l’autre langue. S’il est établi que le français est largement plus usité que le néerlandais, la proportion de Bruxellois considérés comme usant plus volontiers de cette dernière langue varie ainsi entre 6,2 % et 30 % selon l’indicateur retenu. En utilisant ces valeurs extrêmes, on peut considérer que la Communauté française exerce ses compétences sur une population comprise entre 4 424 000 et 4 714 000 habitants (soit 38,4 % à 40,9 % des habitants de la Belgique), tandis que la Communauté flamande exerce ses compétences sur 6 729 000 à 7 019 000 personnes (soit 58,4 % à 60,9 % de la population du pays). Rappelons toutefois que, en région bruxelloise, les Communautés française et flamande sont compétentes à l’égard d’institutions et non de personnes physiques. Cette disposition a pour objectif principal d’éviter la création de « sous-nationalités » linguistiques en région bruxelloise, et de permettre à tous les citoyens d’avoir accès aux organismes reconnus et subventionnés tant par l’une que par l’autre Communauté  [386]. Quelle que soit l’estimation retenue, il est indéniable que la Communauté flamande est, de loin, l’entité fédérée dont les décisions politiques concernent la plus large partie de la population du pays, tandis que les mesures politiques de la Communauté française ou de la COCOF touchent une très large majorité de Bruxellois.

300 Sur la base de ces approximations, on peut tenter d’évaluer la proportion de Bruxellois parmi le total des habitants du pays concernés par les politiques menées par les Communautés française et flamande. Ainsi, on peut considérer qu’un cinquième à un quart des citoyens touchés par la Communauté française sont Bruxellois ; inversement, quatre cinquièmes à trois quarts d’entre eux vivent dans la partie francophone de la Wallonie. Au sein de la Communauté flamande, le rapport est très différent, les Bruxellois néerlandophones constituant moins de 5 % du total de la population concernée par les politiques de cette entité fédérée.

301 Globalement, on se situe donc en Belgique dans un rapport de 1 à 90 en termes de la Communauté la moins et la plus peuplée (respectivement la Communauté germanophone et la Communauté flamande) et de 1 à 104 entre la Région la moins étendue et la plus vaste (respectivement la Région de Bruxelles-Capitale et la Région wallonne).

302 Pareils écarts ne sont nullement propres à ce pays. Des entités fédérées de taille différente se rencontrent dans d’autres États fédéraux : aux États-Unis, l’État le plus vaste, l’Alaska, couvre 431 fois la superficie du plus petit, Rhode Island, tandis que l’État le plus peuplé, la Californie, comprend 68 fois plus d’habitants que le moins peuplé, le Wyoming. En Suisse, le Canton des Grisons est 192 fois plus grand que celui de Bâle-Ville, et le Canton de Zürich compte 95 fois plus d’habitants que celui d’Appenzell Rhodes-Intérieures.

303 Cependant, le petit nombre d’entités fédérées en Belgique rend la disproportion de leurs tailles plus visible et complique l’organisation d’une représentation identique de chaque entité dans une institution fédérale. Par exemple, l’État du Wyoming dispose de deux sénateurs au Congrès des États-Unis, sur pied d’égalité avec la Californie ; ils n’ont donc chacun que 2 % des membres de la chambre haute. Si l’on devait attribuer les mandats de sénateur de façon égale entre quatre entités fédérées en Belgique – par hypothèse, dans un fédéralisme simplifié : la Flandre, la Wallonie, Bruxelles et la Communauté germanophone  [387] – 25 % des sénateurs seraient germanophones (contre 1,7 % dans la situation actuelle).

304 Si les entités fédérées des États fédéraux sont généralement traitées de façon égale ou quasi égale au niveau de la prise de décision politique, en particulier au sein de la chambre haute dans les systèmes bicaméraux, il peut cependant y avoir des exceptions. C’est ainsi que, pour des raisons historiques, 6 des 26 entités fédérées que compte la Confédération suisse ne disposent que d’un siège au Conseil des États au lieu de deux, et d’une demi-voix lors des votations populaires. Il s’agit d’Obwald et Nidwald, d’Appenzell Rhodes-Intérieures et Appenzell Rhodes-Extérieures et de Bâle-Campagne et Bâle-Ville, considérés comme des demi-Cantons (appellation qui n’a toutefois plus cours officiellement depuis 1999). Cette particularité n’est toutefois pas imputable à leur petite taille mais bien à des raisons historiques, d’ailleurs différentes d’un cas à l’autre  [388].

3.4. Le statut particulier de l’entité fédérée abritant la capitale du pays

305 En termes de superficie, la plus petite entité fédérée belge est donc la Région de Bruxelles-Capitale (ainsi que la COCOM et la COCOF). Si son territoire est actuellement composé de celui de 19 communes, il n’en a pas toujours été ainsi.

306 Lors de la proclamation de l’indépendance de la Belgique en 1830, la ville de Bruxelles est naturellement considérée comme la capitale du nouveau pays  [389] ; elle reçoit ensuite officiellement ce statut en 1831  [390]. Dans cette commune brabançonne où prévaut l’usage d’un parler néerlandais, l’utilisation du français a déjà progressé au cours du XVIIIe siècle, phénomène qui s’est encore accru pendant la période française (1795-1814). Son statut de capitale d’un nouvel État gouverné et administré en langue française accélère le mouvement de francisation. La croissance démographique entraîne le développement puis l’urbanisation des villages autour de Bruxelles qui, à leur tour, deviennent majoritairement francophones.

307 Le territoire appelé dès le XIXe siècle l’« agglomération bruxelloise » a connu plusieurs définitions légales avec le temps  [391]. La première, qui date de la loi du 22 mai 1878 relative à l’emploi de la langue flamande en matière administrative, comprend 9 communes (à savoir la capitale et les communes situées autour d’elle dans lesquelles environ 10 % au moins de la population ont déclaré parler le français lors du recensement de 1866) : Anderlecht, Bruxelles, Etterbeek, Ixelles, Laeken (commune distincte de la ville de Bruxelles à cette date), Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode et Schaerbeek. Par la loi du 31 juillet 1921 concernant l’emploi des langues en matière administrative, ce nombre passe à 17 : Anderlecht, Auderghem, Bruxelles (qui inclut elle-même Laeken, Haeren et Neder-over-Hembeeck depuis la loi du 30 mars 1921), Etterbeek, Forest, Ixelles, Jette-Saint-Pierre (aujourd’hui Jette), Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Étienne, Woluwe-Saint-Lambert et Woluwe-Saint-Pierre. Peu après, un arrêté royal du 12 juillet 1923 ajoute à cette liste la commune de Ganshoren. À l’inverse, par la loi du 28 juin 1932 relative à l’emploi des langues en matière administrative, le nombre de communes est réduit à 16 (Ganshoren et Woluwe-Saint-Étienne devenant unilingues néerlandophones). Enfin, en vertu d’une loi du 2 juillet 1954, l’agglomération bruxelloise est augmentée de trois communes, pour un total de 19 : Berchem-Sainte-Agathe, Evere et, de nouveau, Ganshoren. Ces multiples modifications sont bien davantage le fruit de négociations politiques entre francophones et néerlandophones que la traduction légale des évolutions socio-linguistiques des communes environnant la capitale  [392].

308 Si l’extension de l’usage du français autour de l’agglomération bruxelloise se poursuit après 1954, les Flamands obtiennent en 1961 l’abandon du volet linguistique du recensement et l’arrêt des changements de statut linguistique des communes, lequel est définitivement fixé par les lois des 8 novembre 1962 et 2 août 1963 (cf. Chapitre 1). Après cette date, 18 communes bilingues se trouvent désormais autour de la capitale du pays et constituent avec elle l’agglomération bruxelloise.

309 En 1970, en même temps que sont créées (et dotées d’une assemblée propre) les trois Communautés culturelles, la possibilité d’instituer trois Régions est inscrite dans la Constitution. Toutefois, francophones et Flamands ne parviennent pas à s’accorder sur la création effective de ces trois Régions, rendant fameux cet article 107quater de la Constitution dont la mise en œuvre est au cœur des débats institutionnels en raison du désaccord persistant sur le statut à octroyer à la future Région bruxelloise et sur les limites de son territoire. En 1980, les Régions wallonne et flamande sont mises en place mais la Région bruxelloise « reste au frigo ». Entre-temps, un organe supracommunal portant le nom d’Agglomération bruxelloise est mis sur pied en 1970-1971 afin d’exercer certaines compétences communales au niveau de l’arrondissement administratif bruxellois, essentiellement en matière de propreté publique, d’aide médicale urgente et de lutte contre l’incendie  [393] ; l’Agglomération bruxelloise est en outre dotée de deux commissions, respectivement française et néerlandaise, de la culture  [394].

310 Il faut attendre 1989 et la troisième réforme de l’État pour que la Région de Bruxelles-Capitale soit créée, moyennant des garanties données à la représentation de la minorité néerlandophone et un statut légèrement différent pour cette troisième Région (par exemple, son Parlement adopte des normes appelées ordonnances et non décrets). La loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises met en place les organes législatif et exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale, et transfère à la Région l’exercice des compétences de l’Agglomération bruxelloise, le territoire des deux entités étant identique.

311 Pour organiser l’exercice des compétences communautaires en région bruxelloise, trois Commissions communautaires sont créées (qui prennent le relais des commissions de la culture et de leur association en commissions réunies pour certains sujets) : la Commission communautaire française (COCOF), la Commission communautaire flamande (Vlaamse Gemeenschapscommissie, VGC) et la Commission communautaire commune (COCOM). Les deux premières sont installées pour faciliter la gestion des compétences de la Communauté française et de la Communauté flamande, dont elles sont des organes subordonnés, et rendre cette gestion plus proche des réalités du terrain socio-culturel bruxellois. Quant à la troisième, elle naît de la nécessité de disposer d’une entité qui soit compétente dans les matières personnalisables, d’une part, pour conférer directement des droits ou des obligations aux personnes physiques (les Bruxellois étant dépourvus de toute sous-nationalité et n’étant donc les sujets de droit ni de la Communauté française ni de la Communauté flamande) et, d’autre part, pour avoir autorité sur les institutions bilingues, publiques ou privées, ne relevant pas exclusivement de la Communauté française ou de la Communauté flamande, tels les centres publics d’aide  [395] sociale (CPAS), les hôpitaux publics ou (la plupart) des maisons de repos. C’est en outre à la COCOM qu’ont été transférées les prestations familiales lors de la sixième réforme de l’État.

312 La COCOM est dotée du pouvoir législatif : elle adopte des ordonnances qui ont force de loi. Initialement, la COCOM est donc la seule des trois commissions communautaires à avoir le statut d’une véritable entité fédérée. Pour sa part, la COCOF dispose d’un simple pouvoir réglementaire lorsqu’elle agit comme organe décentralisé de la Communauté française, mais d’un pouvoir législatif lorsqu’elle adopte des normes relevant des compétences dont l’exercice lui a été transféré par la Communauté française. Enfin, la VCG n’est pourvue que d’un pouvoir réglementaire.

313 Au 1er janvier 1995, la disparition de la province de Brabant au profit des deux nouvelles provinces de Brabant wallon et de Brabant flamand a laissé la région bruxelloise en dehors de toute province  [396]. Les compétences provinciales ont alors été transférées principalement à la Région de Bruxelles-Capitale  [397] ; toutefois, les compétences provinciales en matière de culture et d’enseignement ont été reprises par la COCOF et la VGC.

314 La coexistence de deux communautés linguistiques au sein de la population bruxelloise, et plus encore le rôle de capitale de la ville de Bruxelles, ont conduit à l’adoption de mécanismes destinés à protéger la minorité néerlandophone de la région bruxelloise, en bonne partie calqués sur ceux protégeant les francophones au niveau national depuis la première réforme institutionnelle, en 1970-1971  [398] (cf. Chapitre 2) : répartition des parlementaires régionaux en deux groupes linguistiques, mécanisme de la sonnette d’alarme et parité linguistique au sein du Conseil des ministres. On ne sera dès lors guère étonné de constater le caractère ici aussi assez bipolaire des institutions régionales bruxelloises, même si cette logique binaire le dispute parfois à des dimensions ternaires, certaines institutions étant bilingues – ce qui justifie en particulier l’existence de trois Commissions communautaires. On l’a cependant relevé, la réalité sociologique bruxelloise est particulièrement riche et ne se résume pas aux catégories politiques « unilingue français », « unilingue néerlandais » et « bilingue français-néerlandais ».

315 On l’aura compris, ces mécanismes de protection concernent tant le Parlement que le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. Ainsi, ce dernier se compose d’un ministre-président, de deux ministres francophones et de deux ministres néerlandophones ; lui sont adjoints trois secrétaires d’État, dont un au moins appartient au groupe linguistique le moins nombreux du parlement régional bruxellois – en pratique, deux secrétaires d’État sont francophones et le troisième est néerlandophone. Ce gouvernement obéit donc à des règles similaires, mais encore plus formalisées, que celles s’appliquant au gouvernement fédéral. D’une part, le Conseil des ministres est paritaire  [399], le ministre-président n’étant pas pris en compte dans le calcul. D’autre part, le groupe linguistique minoritaire (ici, les néerlandophones, à l’inverse de la situation prévalant au niveau fédéral) dispose de plein droit d’au moins un poste de secrétaire d’État ; dans les faits, le groupe majoritaire (ici, les francophones) en détient deux.

316 Pour être installé, le gouvernement bruxellois doit jouir d’une majorité dans chacun des deux groupes linguistiques du parlement régional. Une procédure existe dans le cas où une telle situation ne pourrait être atteinte après le scrutin régional  [400]. Il est à noter qu’ici aussi, cette mesure de protection de la minorité est plus poussée au niveau bruxellois qu’au niveau fédéral, où la parité linguistique au Conseil des ministres ne nécessite pas que le gouvernement dispose d’une majorité dans les deux groupes linguistiques de la Chambre des représentants  [401].

317 Initialement, le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale comptait 75 membres, répartis en deux groupes linguistiques : la ventilation entre ces derniers dépendait des résultats de l’élection régionale, chaque liste étant déposée soit dans le groupe linguistique français, soit dans le groupe linguistique néerlandais mais les sièges leur étant attribués à la proportionnelle (selon la clé D’Hondt) au niveau de la région dans son ensemble  [402]. Ces résultats avaient aussi un impact sur d’autres institutions.

318 En effet, chaque Commission communautaire comprend une assemblée d’élus, qui porte le nom d’Assemblée (pour la COCOF et la VGC) ou d’Assemblée réunie (pour la COCOM). Chaque Commission communautaire comprend également un organe exécutif, appelé collège (pour la COCOF et la VGC) ou collège réuni (pour la COCOM). L’Assemblée de la COCOF, qui a pris pour nom usuel celui de Parlement francophone bruxellois en 2004, se compose des membres du groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, tandis que le collège est constitué des ministres et secrétaires d’État bruxellois francophones (en ce compris le ministre-président, soit cinq membres) – auxquels peut s’ajouter un membre bruxellois du gouvernement de la Communauté française, avec voix consultative. À la suite du transfert par la Communauté française de l’exercice de certaines de ses compétences à la COCOF, cette dernière est devenue une entité fédérée à part entière. L’Assemblée (Raad) de la VGC se compose des membres du groupe linguistique néerlandais du parlement régional bruxellois, tandis que le collège se compose des ministres et secrétaire d’État bruxellois néerlandophones (soit trois membres) – auxquels peut s’ajouter un membre bruxellois du gouvernement flamand, avec voix consultative. La VGC n’a pas bénéficié d’un transfert de compétences en provenance de la Communauté flamande et elle ne constitue dès lors pas une entité fédérée. L’Assemblée réunie de la COCOM se compose de tous les membres du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et le collège réuni des cinq ministres du gouvernement régional bruxellois ; toutefois, le ministre-président ne siège au collège réuni qu’avec une voix consultative (afin d’assurer la coordination de la politique de cet organe). Pour leur part, les secrétaires d’État ne font pas partie du collège réuni. Au total, chaque député régional bruxellois est donc également membre de l’Assemblée réunie de la COCOM et, selon qu’il a été élu dans le groupe linguistique français ou néerlandais, de l’Assemblée de la COCOF ou de l’Assemblée de la VGC. Les ministres aussi disposent d’une semblable triple casquette, selon l’expression consacrée, tandis que les secrétaires d’État régionaux sont uniquement, en outre, membres du collège de la COCOF ou membres du collège de la VGC.

319 Après la réforme institutionnelle découlant de l’accord dit du Lombard (2001), le nombre de députés du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale a été porté à 89, et la répartition des sièges entre listes francophones et listes néerlandophones a été prédéterminée. Depuis le scrutin du 13 juin 2004, 72 sièges sont attribués dans le groupe linguistique français et 17 dans le groupe linguistique néerlandais ; la composition de l’Assemblée réunie de la COCOM, de l’Assemblée de la COCOF et de l’Assemblée de la VGC s’en est trouvée modifiée en conséquence. La représentation garantie des listes néerlandophones à 17 députés régionaux répondait à un double objectif : d’une part, donner à l’assemblée de la VGC un nombre de membres suffisant pour mener ses travaux et, d’autre part, faire barrage au Vlaams Blok (le prédécesseur du Vlaams Belang) dont on redoutait que, grâce à un apport de voix francophones, il puisse obtenir une majorité de sièges au sein du groupe linguistique néerlandais du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et bloquer ainsi les institutions bruxelloises  [403].

320 Depuis lors, la répartition des sièges s’effectue donc séparément à l’intérieur de chaque groupe linguistique. Cette prédétermination a pour effet que les députés régionaux bruxellois francophones et néerlandophones sont élus avec un nombre de voix sensiblement différent. Le tableau 2 présente le rapport entre le nombre d’électeurs ayant émis un vote valable lors du scrutin régional du 26 mai 2019 et le nombre de parlementaires de chaque groupe linguistique et au total. Soulignons que, si les candidats doivent se présenter sur une liste introduite dans un groupe linguistique déterminé, les électeurs ont quant à eux la possibilité de choisir une liste indépendamment de leur appartenance linguistique.

Tableau 2. Ventilation des électeurs et élus régionaux bruxellois en fonction de leur groupe linguistique (élection régionale du 26 mai 2019)

Électeurs Élus Ratio
Groupe linguistique français387 278721 : 5 379
Groupe linguistique néerlandais69 996171 : 4 116
Total457 274891 : 5 138

Tableau 2. Ventilation des électeurs et élus régionaux bruxellois en fonction de leur groupe linguistique (élection régionale du 26 mai 2019)

321 Il est à noter que le scrutin du 26 mai 2019 a vu un nombre particulièrement élevé d’électeurs opter pour une liste néerlandophone. Le nombre d’électeurs représentés par un élu francophone a donc diminué, tandis que le nombre d’électeurs représentés par un élu néerlandophone a crû. Au scrutin précédent (25 mai 2014), un élu francophone représentait en moyenne 5 681 électeurs et un élu néerlandophone 3 140 électeurs  [404].

322 Si les particularités institutionnelles de la Région de Bruxelles-Capitale sont principalement imputables à la coexistence officiellement reconnue  [405] de deux communautés linguistiques sur son territoire, la dimension internationale et le statut de capitale de la ville de Bruxelles justifient également certaines dispositions particulières : dans quatre domaines (l’urbanisme, l’aménagement du territoire, les travaux publics et les transports), des procédures spéciales sont prévues, qui permettent au Conseil des ministres (constitué des ministres du gouvernement fédéral) d’intervenir dans le processus décisionnel bruxellois afin de préserver ou de promouvoir le rôle international ou la fonction de capitale de Bruxelles  [406]. La première procédure permet au Conseil des ministres de suspendre une ordonnance ou un arrêté bruxellois qui, selon lui, est de nature à porter atteinte au rôle international ou à la fonction de capitale de Bruxelles. Dans ce cas, le Comité de coopération, composé paritairement de membres du Conseil des ministres et du gouvernement régional bruxellois (cf. Chapitre 5), se saisit de la question. À défaut d’accord au sein de cet organe, la Chambre des représentants peut annuler l’ordonnance ou l’arrêté bruxellois à la majorité de ses deux groupes linguistiques. La seconde procédure permet, dans les quatre mêmes domaines, à l’Autorité fédérale de se substituer à la Région de Bruxelles-Capitale. Si le Conseil des ministres estime que la Région bruxelloise devrait adopter des mesures afin de développer le rôle international ou la fonction de capitale de Bruxelles, il saisit le Comité de coopération. Si un accord est dégagé au sein de ce dernier, les mesures sont adoptées au niveau de la Région. En l’absence d’un tel accord, le Conseil des ministres peut demander à la Chambre des représentants d’approuver ces mesures, une majorité devant également être atteinte dans chaque groupe linguistique. En pratique, ces deux formes de « tutelle » – dont la portée est d’ailleurs essentiellement préventive – n’ont jamais été activées.

323 L’adoption des ordonnances est également soumise à d’autres particularités. Ainsi, pour être adoptés au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, les propositions et projets d’ordonnance concernant les institutions communales et leur fonctionnement doivent recueillir la majorité absolue des voix des parlementaires présents ainsi que la majorité absolue dans chacun des deux groupes linguistiques de l’assemblée. Si une telle majorité ne peut être réunie, un second vote intervient, au plus tôt 30 jours après le premier. Dans ce cas, l’ordonnance est adoptée si elle recueille la majorité absolue des voix des parlementaires présents et un tiers au moins des votes dans chacun des deux groupes linguistiques  [407]. Cette double majorité prévaut aussi pour toutes les ordonnances adoptées par l’Assemblée réunie de la COCOM. Quant à elles, les ordonnances visant à mettre en œuvre l’autonomie constitutive de la Région de Bruxelles-Capitale doivent être adoptées à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés et à la majorité absolue dans chaque groupe linguistique. Par ailleurs, la procédure d’adoption d’une ordonnance régionale (ou d’un règlement, s’il s’agit de compétences de l’Agglomération bruxelloise) peut être suspendue par le mécanisme de la sonnette d’alarme, selon des modalités semblables à celles qui existent au niveau du Parlement fédéral (cf. Chapitre 2)  [408]. Enfin, le législateur spécial a prévu la possibilité pour un juge judiciaire ou administratif d’écarter une ordonnance qui serait jugée contraire à la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises ou à une disposition de la Constitution ne relevant pas de la compétence de la Cour constitutionnelle  [409]. Le Conseil d’État a occasionnellement usé de cette faculté.

324 Signalons encore que le mécanisme familièrement dénommé Beliris, qui est un accord de coopération entre l’Autorité fédérale et la Région de Bruxelles-Capitale relatif à certaines initiatives destinées à promouvoir le rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles, signé le 15 septembre 1993 et plusieurs fois modifié depuis lors, permet à l’Autorité fédérale de financer ou de co-financer un certain nombre de projets estimés d’importance nationale dans la capitale, en particulier en matière d’aménagement du territoire, de mobilité et de patrimoine  [410].

325 D’autres capitales d’États fédéraux sont également dotées d’un statut particulier. C’est le cas de Washington – de son nom officiel, District of Columbia – aux États-Unis ou encore de la ville de Vienne en Autriche. Washington D.C. est gouvernée par une loi fédérale adoptée en 1973, qui l’a dotée d’institutions propres : un Conseil de district composé de 13 membres élus qui exerce un pouvoir à caractère législatif et un maire, également élu par la population, qui exerce le pouvoir exécutif. Toutefois, le Congrès fédéral dispose d’un droit de regard sur toute la législation adoptée par le Conseil de district et en contrôle le budget. Washington D.C. n’est pas un État et ne dispose donc pas d’une représentation au Congrès ; les habitants du district élisent à la Chambre des représentants un délégué qui ne dispose pas du droit de vote en plénière. Ce n’est que depuis 1961 que, en application du 23e amendement à la Constitution, les habitants du district peuvent participer à l’élection du président et du vice-président des États-Unis. Quant à elle, Vienne est à la fois la capitale de l’État autrichien et l’une des neuf entités fédérées du pays. Le maire de la ville a le rang d’un gouverneur de Land, et le conseil municipal et le Parlement (Landtag) ont la même composition (formellement, ces deux assemblées se réunissent toutefois séparément).

326 Dans un État fédéral, la ville qui est la capitale du pays  [411] a généralement l’un des quatre statuts suivants  [412] :

  • une entité fédérée (Berlin en Allemagne ; Vienne en Autriche ; Addis-Abeba en Éthiopie ; Moscou en Russie) ;
  • un district fédéral, qui soit dépend directement du pouvoir central ( Washington aux États-Unis) soit a un statut spécifique s’apparentant à celui d’une entité fédérée sui generis (Buenos Aires en Argentine ; Brasilia au Brésil ; Mexico au Mexique ; Caracas au Venezuela) ;
  • un Territoire fédéral (Canberra en Australie ; New Delhi en Inde ; Kuala Lumpur et Putrajaya en Malaisie ; Abuja au Nigeria ; Islamabad au Pakistan ) ;
  • une municipalité située au sein d’une entité fédérée (Johannesbourg et Pretoria dans la Province du Gauteng et Le Cap dans la Province du Cap-Occidental en Afrique du Sud ; Sarajevo dans la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine en Bosnie-Herzégovine ; Ottawa dans la Province de l’Ontario au Canada ; Moroni sur l’île de Grande Comore aux Comores ; Abou Dabi dans l’Émirat homonyme aux Émirats arabes unis ; Palikir dans l’État de Pohnpei en Micronésie ; Katmandou dans la Province de Bagmati au Népal ; Melekeok dans l’État homonyme aux Palaos ; Basseterre sur l’île de Saint-Christophe au sein de Saint-Christophe-et-Niévès ; Khartoum dans l’État homonyme au Soudan ; Djouba dans l’État de l’Équatoria-Central au Soudan du Sud ; Berne dans le Canton homonyme en Suisse).

328 C’est au dernier de ces quatre cas de figure – qui est donc le plus fréquent – que se rattache la Belgique : la ville de Bruxelles, qui est la capitale du pays, fait partie du territoire d’une des entités fédérées, la Région de Bruxelles-Capitale, avec 18 autres communes  [413].

329 L’architecture institutionnelle mise en place en région bruxelloise est particulièrement complexe, et difficile à comprendre et à maîtriser par ses citoyens. Retenons à cet égard la formule d’Hugues Dumont pour expliquer cette particularité : « Le “drame” de la région bruxelloise, c’est qu’elle accueille la capitale d’un État dominé par une majorité flamande, tout en étant elle-même dominée par la minorité francophone de cet État »  [414]. L’originalité et la complexité des institutions présentées ci-dessus a conduit le modèle bruxellois à être exposé lors d’une mission parlementaire à Jérusalem comme susceptible de fournir une solution pour la gestion de la ville trois fois sainte  [415].

3.5. Une répartition des compétences complexe dans un paysage institutionnel compliqué

330 La répartition des compétences entre les différentes entités fédérées est extrêmement complexe en Belgique, essentiellement en raison de trois facteurs. Primo, le fédéralisme belge s’est construit progressivement de manière pragmatique pour apaiser des vagues successives de tensions communautaires sans obéir à un plan préconçu. La répartition des compétences est le fruit de dévolutions étalées dans le temps, opérées au profit des entités fédérées à la suite de négociations et d’accords plus soucieux de reposer sur des équilibres politiques que de construire un système cohérent et fonctionnel. Secundo, la distinction entre les matières régionales et les matières communautaires, qui s’explique par la situation particulière de la région bruxelloise, est la source d’une complexité difficile à réduire. Tertio, les compétences ont encore fait l’objet d’une nouvelle répartition entre les entités fédérées, via les transferts de l’exercice de certaines compétences : de la Communauté française à la Région wallonne et, dans la plupart des cas, à la COCOF  [416], et de la Région wallonne à la Communauté germanophone. Ajoutons encore que les compétences de la Région flamande sont exercées par les organes de la Communauté flamande (qui gèrent également le budget commun à ces deux entités) et que la Région de Bruxelles-Capitale a hérité des compétences de l’Agglomération bruxelloise, et nous aurons à l’esprit tous les éléments qui forment la complexité belge. Au bout du compte, en Belgique, aucune entité fédérée n’exerce exactement les mêmes compétences que les autres. Il résulte aussi de cette situation que la multipolarité que l’on peut observer au niveau des entités fédérées est à géométrie variable selon les matières.

3.5.1. La répartition des compétences dans les différentes matières

331 Le tableau 3 peint à grands traits la répartition des compétences entre l’Autorité fédérale et les entités fédérées  [417], sans distinguer parmi ces dernières à quelles entités la compétence est attribuée et par quelles entités elle est effectivement exercée (les différences entre ces deux situations étant nombreuses, on l’aura compris). Précisons qu’un tel tableau est nécessairement réducteur, dans la mesure où certaines compétences sont largement partagées par l’Autorité fédérale et des entités fédérées. Certaines matières figurent par conséquent dans les deux colonnes du tableau, tandis que d’autres sont marquées d’un astérisque pour signaler qu’elles relèvent principalement du niveau renseigné mais que le niveau de pouvoir concerné par l’autre colonne exerce certaines compétences en la matière.

Tableau 3. Aperçu de la répartition des compétences entre l’Autorité fédérale et les entités fédérées en Belgique

Autorité fédérale Entités fédérées
Toutes les compétences non (encore) attribuées aux entités fédérées
et
Les matières réservées au sein des compétences transférées par les lois répartitrices de compétences
Les matières attribuées par la Constitution ou par les lois répartitrices de compétences
Constitution et règles de répartition des compétences
Emploi des langues en région bruxelloise et dans les communes à statut linguistique spécial
Emploi des langues dans les matières judiciaires
Emploi des langues en matière administrative, d’enseignement et de relations de travail
JusticeMaisons de justice
Défense nationale et maintien de l’ordre Protection de la jeunesse
Aide à la jeunesse
Accès au territoire et séjour des étrangers
État civil et nationalité
Intégration des étrangers
Établissements scientifiques et culturels fédéraux Culture
Sport
Tourisme
Sécurité sociale (sauf notamment les prestations familiales)
Revenu d’intégration sociale (RIS)
Garantie de revenu aux personnes âgées (GRAPA)
Prestations familiales
Santé *
Aide sociale *
Politique des Seniors
Politique des handicapés *
Impôt des personnes physiques (IPP) * et impôt des sociétés (ISOC)
Droit commercial et droit des sociétés
Droit du travail
Impôts régionaux
Participation à l’Union économique et monétaire (UEM)
Entreprises publiques autonomes (SNCB, Proximus, etc.)
Politique économique régionale et commerce extérieur
Enseignement obligatoire *
Enseignement supérieur *
Formation professionnelle
Recherche scientifiqueRecherche scientifique
Énergie nucléairePolitique énergétique régionale
TélécommunicationsMédias et aide à la presse
Code de la route et sécurité routière * Transports (sauf la SNCB *)
Travaux publics
Logement
Urbanisme et aménagement du territoire
Sécurité de la chaîne alimentaire
Environnement
Agriculture *
Bien-être animal
Reconnaissance des cultes et organisations philosophiques non confessionnelles Pouvoirs locaux
Fabriques d’église et établissements assimilés
Politique étrangèreRelations internationales dans les matières ci-dessus

Tableau 3. Aperçu de la répartition des compétences entre l’Autorité fédérale et les entités fédérées en Belgique

* Matière relevant principalement, mais pas exclusivement, du niveau renseigné.

332 Le processus de dissociation qui sous-tend le fédéralisme belge pèse assurément sur les compétences dont disposent les entités fédérées, ces compétences leur ayant été progressivement dévolues au fil des réformes de l’État. Deux éléments de force du niveau fédéral sont ainsi à relever. Premièrement, le principe général demeure celui d’une compétence de l’Autorité fédérale par défaut, si la compétence n’a pas été expressément attribuée aux entités fédérées. Il est bien prévu depuis 1993, à l’article 35 de la Constitution, que le mécanisme soit, à terme, inversé, et que les compétences de l’Autorité fédérale soient déterminées de façon limitative, mais cet article n’a pas encore été mis en œuvre. Deuxièmement, la répartition des compétences et le fonctionnement général de l’État belge demeurent déterminés par la Constitution et la loi spéciale ou ordinaire, qui ne peuvent être modifiées que par des institutions fédérales – en ce compris le Sénat, au sein duquel siègent des représentants des parlements d’entités fédérées. Or les majorités spéciales requises pour ce faire sont déterminées sur la base des deux grandes communautés linguistiques du pays, mais elles ne garantissent pas l’approbation par la majorité – et encore moins par l’ensemble – des entités fédérées (cf. Chapitre 2).

333 Le principe de l’attribution par défaut des compétences au niveau central se rencontre peu fréquemment dans les autres États fédéraux. En Suisse, la Constitution prévoit que la Confédération (le niveau de pouvoir fédéral) n’assume que les tâches qui excèdent les possibilités des Cantons ou qui nécessitent une réglementation uniforme par la Confédération. En Allemagne, la Constitution indique que « les Länder ont le droit de légiférer dans les cas où la présente Loi fondamentale ne confère pas à la Fédération des pouvoirs de légiférer ». Les champs de compétence du pouvoir fédéral allemand sont précis et limités à 33 domaines, listés à l’article 73 de la Constitution. Il en va de même aux États-Unis, fondés à la fin du XVIIIe siècle par l’alliance de treize colonies dotées d’institutions propres qui ont décidé d’une délégation de prérogatives au niveau de pouvoir fédéral. La Constitution du pays énumère de façon limitée les compétences qui appartiennent au Congrès fédéral. D’une manière générale, la dynamique du fédéralisme états-unien est toutefois celle d’un renforcement du pouvoir fédéral, que ce soit par de nouvelles initiatives (par exemple, la création de l’impôt fédéral sur le revenu en 1913 et les programmes de sécurité sociale du New Deal dans les années 1930) ou par le développement de départements fédéraux (les Affaires étrangères et la Défense). Participant de la logique inverse, la dynamique du fédéralisme belge va dans le sens d’un affaiblissement de l’Autorité fédérale et d’un rétrécissement de ses compétences au profit des entités fédérées  [418], mais dans le cadre de négociations et de dispositions constitutionnelles et légales.

334 Certaines matières sont restées de compétence fédérale en Belgique en raison même du processus de réformes institutionnelles, ou par attachement à une conception déterminée de l’État. On a ainsi relevé que l’Autorité fédérale demeure seule compétente, en matière de justice, pour l’organisation des cours et tribunaux. Les entités fédérées peuvent toutefois ériger en infractions des manquements à leurs législations et, depuis la sixième réforme institutionnelle, intervenir dans l’établissement de la politique de poursuites du collège des procureurs généraux (cf. Chapitre 2). De même, l’armée et le maintien de l’ordre continuent de relever du niveau fédéral ; les fonctions régaliennes de l’État demeurent donc principalement aux mains de l’Autorité fédérale.

335 En Autriche également, l’intégralité de la justice demeure de compétence fédérale. Dans bien d’autres États fédéraux, en revanche, les entités fédérées disposent de compétences dans les matières régaliennes. Ainsi, tant la justice que la police font partie des compétences principalement exercées, par exemple, par les États américains  [419] ou par les Cantons suisses. Dans ces derniers, police fédérale et police cantonale coexistent, de même que tribunaux fédéraux et tribunaux cantonaux. L’organisation de la justice peut même différer d’un Canton à l’autre : on trouve une Cour de cassation dans ceux de Zurich et de Soleure mais pas ailleurs, et une Cour constitutionnelle seulement dans les Cantons de Bâle-Campagne, du Jura et de Nidwald. Les cours d’assises avec jury ont disparu dans beaucoup de Cantons, mais subsistent dans d’autres. En Allemagne, on trouve une Cour constitutionnelle dans chaque Land, excepté au Schleswig-Holstein.

336 Dans certains domaines, le maintien des compétences au niveau central fait l’enjeu d’âpres discussions en Belgique alors que, ailleurs, leur exercice par les entités fédérées fait figure d’évidence. Ainsi, le caractère fédéral de la sécurité sociale était considéré comme intouchable par beaucoup d’acteurs belges jusqu’au transfert des prestations familiales aux entités fédérées, à l’occasion de la sixième réforme institutionnelle (cf. Chapitre 4). En Suisse, les Cantons exercent des compétences importantes dans toutes les branches de la sécurité sociale, à l’exception de l’assurance-vieillesse. Le développement d’assurances fédérales y est relativement tardif et varie d’une branche à l’autre. Précisons également que le secteur privé y joue un rôle plus important qu’en Belgique. Ici aussi, l’histoire nationale et le caractère associatif ou dissociatif du fédéralisme constituent des clés d’explication importantes de la situation observée.

337 En matière de régime des cultes également, chaque situation nationale est spécifique et reflète l’histoire du pays. En Belgique, cette matière a subi des évolutions à la suite du processus de fédéralisation. L’Autorité fédérale a conservé la reconnaissance des cultes et des organisations philosophiques non confessionnelles et de leurs organes représentatifs, ainsi que la rémunération de leur personnel ; les entités fédérées sont devenues compétentes pour la reconnaissance des communautés locales des cultes reconnus et pour l’organisation de leur financement. En Autriche, les relations avec les cultes sont une prérogative du niveau de pouvoir fédéral. Aux États-Unis, la séparation de l’Église et de l’État est un principe constitutionnel auquel aucun État américain ne peut déroger. En revanche, le régime des cultes est laissé dans d’autres pays à l’appréciation des entités fédérées. En Suisse, la réglementation des rapports entre l’Église et l’État est du ressort des Cantons. C’est ainsi que ceux de Genève et de Neuchâtel connaissent un régime proche de la laïcité française, tandis que la grande majorité des autres Cantons connaît un système d’impôts d’église proche du système allemand. En Allemagne, précisément, le Kirchensteur est réglé par les Länder, qui déterminent notamment des taux d’imposition différents.

338 Certaines matières semblent être demeurées fédérales en Belgique simplement parce que personne ne songe à les évoquer, comme les poids et mesures et la monnaie (par ailleurs régis par des accords internationaux en ces matières), alors que cette nécessité aurait sauté aux yeux d’un constitutionnaliste du XIXe siècle. En 1848, la Constitution suisse a donné à la Confédération (le pouvoir fédéral) le monopole de l’émission de monnaie et le soin d’unifier les poids et mesures. Déjà, la Constitution des États-Unis (1787) avait confié au Congrès fédéral le pouvoir de battre monnaie et de fixer l’étalon des poids et mesures. Lors des réformes de l’État en Belgique, personne n’a non plus songé à préciser que la réglementation de l’heure demeurait une compétence fédérale. Pourtant, cette question peut se poser : ce n’est qu’en 1966 que la compétence d’unifier le passage à l’heure d’été pour tous les États-Unis a été reconnue au Congrès. Ces omissions sont évidemment imputables au fait que la Belgique est un État fédéral récent, construit par déconstruction d’un État unitaire, et non par la mise en commun de compétences dévolues à un État central à une époque où les questions relatives à la monnaie, aux poids et mesures ou à l’heure étaient encore en discussion.

339 Dans certains domaines, l’Autorité fédérale a cédé aux entités fédérées des compétences limitées ou a conservé des leviers d’action. Ainsi, outre la politique des cultes évoquée ci-avant, il est à noter que, lors de la communautarisation de l’enseignement décidée en 1988, la fixation de l’âge de la scolarité obligatoire a été maintenue dans le giron fédéral  [420]. C’est par conséquent une loi fédérale qui a abaissé l’âge du début de la scolarité obligatoire à 5 ans à l’occasion de la rentrée de septembre 2020  [421]. De même, les articles 4, 5, 6 et 7 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles  [422], qui précisent les domaines de compétence des entités fédérées, sont truffés d’exceptions et de précisions de compétences restant dévolues à l’Autorité fédérale.

340 En revanche, l’Autorité fédérale ne dispose plus de la possibilité de légiférer concernant une compétence une fois celle-ci transférée vers d’autres niveaux de pouvoir. Il n’y a ainsi pas en Belgique de disposition similaire à celle qui, dans la Constitution suisse, indique que « le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire » ou à celle qui, dans la Loi fondamentale allemande, précise que « le droit fédéral prime le droit du Land ». Dans le cas de l’Allemagne, il convient cependant de noter que si ce principe reste valable, la réforme constitutionnelle du 27 octobre 1994 a limité l’exercice de la compétence législative fédérale concurrente aux cas où elle est indispensable. Avant cette réforme, il suffisait que la législation fédérale apparaisse nécessaire. Depuis lors, le niveau de pouvoir fédéral ne peut plus exercer cette compétence concurrente dans 11 des 33 matières concurrentes que « lorsque et pour autant que l’établissement de conditions de vie équivalentes dans le territoire fédéral ou la sauvegarde de l’unité juridique ou économique rendent nécessaire une législation fédérale dans l’intérêt de l’ensemble de l’État »  [423]. En pratique, ces conditions sont aisément réunies, de sorte que la répartition des compétences s’avère favorable au pouvoir fédéral allemand.

341 Si les entités fédérées belges disposent de moins de compétences que celles d’autres États fédéraux dans certains domaines, l’inverse prévaut dans d’autres champs. Au fil des réformes institutionnelles successives, l’Autorité fédérale belge a ainsi abandonné des compétences aux entités fédérées dans des domaines où, dans d’autres pays fédéraux, le choix a été fait, par souci de cohérence ou d’efficacité, de maintenir ces politiques au niveau fédéral. Songeons par exemple à la mobilité. Si le réseau ferroviaire demeure de la compétence de l’Autorité fédérale, il n’en va pas de même du réseau routier. Les débats autour des changements à apporter aux voies d’accès routier à la région bruxelloise et au périphérique (« ring ») qui l’entoure illustrent la difficulté apportée par la régionalisation globale de la mobilité sur route, contrairement à ce qui s’observe dans la plupart des États fédéraux (système des autoroutes interstates aux États-Unis, infrastructures dépendant de l’Office fédéral des routes (OFROU) en Suisse, Bundesautobahnen en Allemagne). En Belgique, les tensions relatives à la périphérie de la capitale ont en outre compliqué la mise en œuvre d’une collaboration efficace, ainsi qu’en témoigne l’impossibilité de rendre opérationnelle la « communauté métropolitaine » prévue par la loi depuis 2012  [424].

342 De même, les tensions linguistiques étant l’un des facteurs prépondérants du cours fédéral qu’a pris l’État belge, l’emploi des langues et la culture, en ce compris les médias, ont fait partie des toutes premières compétences transférées de l’État central aux Communautés culturelles, dès 1970. En Belgique, l’Autorité fédérale demeure toutefois compétente pour des institutions biculturelles situées en région bruxelloise (le Palais des Beaux-Arts, le Théâtre royal de la Monnaie et l’Orchestre national de Belgique) et pour quatorze établissements scientifiques et culturels (tels les Archives générales du royaume, le Musée royal de l’Afrique centrale et les Musées royaux d’art et d’histoire)  [425].

343 Le fait qu’un État fédéral soit multilingue n’empêche pas le niveau de pouvoir fédéral d’exercer des compétences en matière de médias. C’est ainsi que la Radio-télévision suisse (RTS) est demeurée une entreprise publique unique qui émet dans toutes les langues nationales et est financée par une redevance prélevée sur tout le territoire du pays. La radio-télévision belge a au contraire été scindée assez tôt (dès 1960, l’INR a fait place à la RTB francophone, actuelle RTBF, et à la BRT néerlandophone, actuelle VRT ; pour sa part, la BRF germanophone a vu le jour en 1975-1977  [426]) et ne fait pas partie des institutions culturelles restées dans le giron fédéral. Par ailleurs, ces dernières, établies en région bruxelloise, connaissent un régime de bilinguisme qui laisse de côté la troisième langue nationale (l’allemand) dans leur fonctionnement quotidien.

344 Actuellement, les entités fédérées belges règlent un volume de matières très important. Elles disposent en outre de compétences relatives aux relations internationales dans les matières qui leur appartiennent (cf. Chapitre 5), ce qui a notamment pour conséquence d’imposer une ratification de nombreux traités internationaux par les parlements de toutes les entités fédérées. Il ne s’agit toutefois pas là d’une spécificité du fédéralisme belge. Par exemple, les Cantons suisses disposent également de la compétence de conclure des traités avec l’étranger dans les domaines relevant de leur compétence. Les entités fédérées belges sont libres de conclure de tels traités dans leurs domaines de compétence propres, sans devoir pour cela obtenir l’approbation du gouvernement fédéral, à la différence de ce qui prévaut par exemple pour les Länder allemands. Aux États-Unis, l’État du Texas ne pourrait tout simplement pas conclure un traité international avec son voisin, le Mexique, en vertu de la Constitution qui réserve cette compétence au Congrès, alors que la Communauté française, la Région wallonne et la COCOF ont pu par exemple signer un accord de coopération avec la République démocratique du Congo (le 9 décembre 2002).

3.5.2. Trois mécanismes particuliers de la prise de décisions

345 Si les entités fédérées belges exercent leurs compétences sans droit de regard de l’Autorité fédérale (à quelques exceptions près en ce qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, cf. supra), trois mécanismes particuliers sont toutefois à épingler, qui sont destinés à s’assurer que les mesures prises réunissent un certain consensus politique. Tous trois sont clairement inspirés de procédures forgées au niveau fédéral.

346 Le premier mécanisme est celui dit de la sonnette d’alarme tel qu’il existe au niveau du Parlement fédéral (cf. Chapitre 2). Ce mécanisme ayant pour but de protéger les intérêts de la minorité linguistique (francophone au niveau fédéral), il ne s’applique, au niveau des entités fédérées, qu’à une autre assemblée bilingue : le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale (en faveur cette fois de la minorité néerlandophone)  [427]. Une telle procédure n’est pas de mise à l’Assemblée réunie de la COCOM (dont la composition est, pour rappel, identique à celle du parlement régional bruxellois), tous les textes déposés devant obligatoirement, comme on l’a vu, y recueillir une majorité dans chacun des deux groupes linguistiques.

347 Le deuxième mécanisme s’applique uniquement aux Communautés. Il s’agit du système de la sonnette d’alarme idéologique  [428], qui permet à un quart des membres du Parlement de la Communauté française ou du Parlement flamand « d’introduire une motion motivée affirmant qu’un texte en passe d’être adopté au sein de cette assemblée contient une discrimination pour des raisons idéologiques ou philosophiques »  [429]. Si la motion est jugée recevable par un collège formé des présidents de ces deux assemblées, de la Chambre des représentants et du Sénat, « la procédure d’adoption du décret litigieux est suspendue, et celui-ci est transmis à la Chambre et au Sénat, qui sont alors chargés de se prononcer sur le bien-fondé de la motion. L’examen des dispositions désignées par la motion ne peut être repris par le parlement de Communauté concerné qu’après que chacune des Chambres fédérales a déclaré la motion non fondée »  [430]. Semblable mécanisme a été introduit ultérieurement pour le Parlement de la Communauté germanophone  [431]. Deux utilisations de ce système peuvent être mentionnées ici, qui se sont produites de part et d’autre de la frontière linguistique. La première date de 1996, lorsque le PRL, alors dans l’opposition, a actionné ce type de sonnette d’alarme après avoir utilisé divers moyens d’obstruction parlementaire, et ce afin de s’opposer à ce qui deviendra le décret du 9 septembre 1996 relatif au financement des hautes écoles organisées et subventionnées par la Communauté française  [432]. Une autre utilisation, plus récente, de la sonnette d’alarme dite idéologique s’est produite au début de l’année 2020 : trois partis siégeant dans les rangs de l’opposition au Parlement flamand (Groen, le SP.A et le PTB) ont en effet contesté, de cette façon, la décision prise par le gouvernement flamand de supprimer certains subsides accordés précédemment à des associations actives dans le secteur socio-culturel. On observera que si ce mécanisme s’inspire de celui de la sonnette d’alarme en vigueur au niveau du Parlement fédéral, le seuil requis pour l’activer est plus limité (un quart des membres de l’assemblée) et, surtout, la procédure prévue ne fait pas intervenir, en guise d’autorité externe sollicitée pour évaluer le conflit à la base de la motion introduite, le gouvernement du niveau de pouvoir concerné, comme c’est le cas au niveau fédéral, mais – outre les présidents des Parlements flamand et de la Communauté française – soit le Parlement fédéral, soit des assemblées parlementaires d’un autre niveau de pouvoir. La raison de cette différence paraît évidente. Tandis que le Conseil des ministres fédéral est constitué en vertu de la règle de la parité linguistique, tel n’est nullement le cas des gouvernements flamand et de la Communauté française ; en revanche, l’existence, à la Chambre et au Sénat, des groupes linguistiques introduit un élément de diversité et, vraisemblablement, de sensibilité au respect des droits des minorités (idéologiques et philosophiques, dans ce cas d’espèce) complétant la seule diversité partisane.

348 Le troisième mécanisme érige des majorités spéciales pour l’adoption de certains décrets ou ordonnances. Les Communautés et Régions sont peu à peu devenues compétentes, selon des modalités variables, dans des domaines touchant à l’organisation de leurs institutions (en particulier, la composition et le fonctionnement de leur parlement et de leur gouvernement) ; il s’agit de ce que l’on nomme leur autonomie constitutive  [433]. Dans ces domaines et dans quelques autres, les décrets doivent être « adoptés à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, à condition que la majorité des membres du parlement concerné soit présente »  [434]. Les ordonnances spéciales que peut adopter le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale obéissent à une condition supplémentaire, clairement calquée sur la majorité spéciale prévue, au niveau fédéral, pour l’adoption et la modification des lois spéciales : outre qu’elles doivent être adoptées par les deux tiers au moins des députés bruxellois, ces ordonnances doivent recueillir l’assentiment de la majorité de ces derniers dans chacun des deux groupes linguistiques  [435].

349 Il existe également des mécanismes destinés à prévenir ou résoudre les conflits d’intérêts. Lorsque l’une des composantes de l’État fédéral – l’Autorité fédérale ou une entité fédérée – s’estime gravement lésée par une décision ou par un projet de décision émanant d’une autre composante, ou encore par l’absence de décision d’une autre composante, elle peut recourir à des procédures de prévention et de règlement du conflit. Ce point fera l’objet d’un développement spécifique dans le chapitre 5.

Des entités fédérées dépourvues de Constitution

Les organes et les compétences des entités fédérées sont réglés par la Constitution et par des lois spéciales (et, exceptionnellement, des lois ordinaires *). Dans une mesure certes variable, les Régions et les Communautés disposent cependant de l’autonomie constitutive. L’exercice de celle-ci requiert des majorités qualifiées. Mais aucune entité fédérée belge ne dispose d’une Constitution, bien que la Flandre en ait proposé l’idée de longue date, ce qui avait choqué une partie de l’opinion francophone **.
Pourtant, dans les États fédéraux, les entités fédérées disposent généralement de leur Constitution propre ***. Tel est notamment le cas des États américains, des États australiens, des Länder allemands et des Cantons suisses. Dans ce dernier cas, la Constitution fédérale précise : « Chaque Canton se dote d’une Constitution démocratique. Celle-ci doit avoir été acceptée par le peuple et doit pouvoir être révisée si la majorité du corps électoral le demande. Les Constitutions cantonales doivent être garanties par la Confédération. Cette garantie est accordée si elles ne sont pas contraires au droit fédéral ». Les premiers mots de certaines Constitutions cantonales pourraient faire sursauter certains Belges soucieux de préserver l’intégrité du pays. Ainsi, « le Canton de Zurich est un État souverain, membre de la Confédération suisse », tandis que « le Canton de Neuchâtel est une république démocratique, laïque, sociale et garante des droits fondamentaux ». Bien que plusieurs d’entre elles aient subi une révision totale depuis les années 1960, ces chartes fondamentales existent au moins depuis la formation de la Confédération moderne, en 1848.
*    C’est le cas pour la Communauté germanophone, qui est organisée par la loi ordinaire du 31 décembre 1983.
**   Cf. J. Brassinne, « La Constitution flamande. Essai de Constitution pour la Flandre », CH, n° 1569-1570, 1997.
***  Tel n’est toutefois pas le cas, en particulier et outre en Belgique, en Inde et au Nigeria.

3.6. Des compétences différentes pour chaque entité fédérée

350 Comme on l’a relevé supra, l’exercice des compétences par les entités fédérées belges dépend non seulement de la répartition établie par la Constitution et par les lois (spéciales ou ordinaires) de réformes institutionnelles, mais aussi des transferts de compétences survenus au fil du temps entre deux ou trois entités différentes. Ce processus a conduit à une architecture institutionnelle asymétrique totalement unique et qui constitue assurément l’une des principales singularités du fédéralisme belge. En outre, ces phénomènes de transferts ont eu pour effet d’accentuer le caractère variable de la multipolarité de l’exercice de leurs compétences par les entités fédérées.

3.6.1. Des entités fédérées asymétriques

351 Dès 1980, lors de la deuxième réforme de l’État, il a été décidé que l’ensemble des compétences de la Région flamande seraient exercées par les institutions de la Communauté flamande  [436]. Il en résulte que le Parlement flamand et le gouvernement flamand exercent les compétences tant communautaires que régionales ; ils gèrent également un seul budget. Toutefois, le Parlement ne se prononce pas identiquement selon qu’il exerce les compétences de la Communauté ou celles en principe dévolues à la Région : dans le premier cas, ses 124 membres prennent part au vote ; dans le second, c’est-à-dire lorsque le Parlement flamand légifère sur des matières régionales, seuls les 118 membres élus dans la région de langue néerlandaise se prononcent, contrairement à leurs 6 collègues élus dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale (ces derniers pouvant toutefois s’exprimer lors de la discussion). Il en résulte également que les institutions – parlement et gouvernement, établis sur le territoire de la ville de Bruxelles – qui exercent les compétences dévolues à la Région flamande siègent en dehors du territoire de celle-ci ; il s’agit probablement d’un cas unique au monde d’entité fédérée dont la capitale est située en dehors de son territoire  [437].

352 L’article 137 de la Constitution prévoit également que le Parlement et le gouvernement de la Communauté française puissent exercer les compétences de la Région wallonne  [438]. Une telle procédure n’a jamais été mise en œuvre  [439]. On observera en outre que ce dispositif a été conçu alors même qu’une partie du territoire de la Région wallonne s’étend sur les 9 communes de langue allemande. Aussi, en 1983, la Constitution a été complétée par l’article 139  [440] permettant que certaines compétences de la Région wallonne soient exercées, en tout ou en partie, par la Communauté germanophone. Il a cependant fallu attendre dix ans pour que de tels transferts soient mis en œuvre. Aujourd’hui, de nombreuses compétences sont concernées par ce dispositif puisque la Région wallonne a transféré à la Communauté germanophone, en tout ou en partie, l’exercice de ses compétences en matière de monuments et sites, de fouilles, de tourisme, d’aspects régionaux de la politique de l’emploi, de tutelle sur les communes et les zones de police, de mise en œuvre des travaux subsidiés, de financement des communes, de fabriques d’église et autres établissements publics des cultes, de funérailles et de sépultures, d’aménagement du territoire, de logement et d’énergie  [441]. La Communauté germanophone souhaite bénéficier dans le futur de nouveaux transferts de compétences  [442].

353 Lors de la quatrième réforme de l’État, un autre type de transfert a été rendu possible par l’accord dit de la Saint-Michel  [443]. En vertu de l’article 138 de la Constitution  [444], et afin de soulager son budget, la Communauté française a transféré l’exercice de certaines compétences à la Région wallonne (pour la région de langue française) et à la COCOF (pour la région bilingue de Bruxelles-Capitale), sans toutefois transférer à celles-ci la totalité des moyens financiers correspondants. Des accords entre partis francophones ont établi la liste des matières visées par ces transferts  [445], puis ceux-ci ont été opérés par l’adoption de décrets par le Parlement de la Communauté française (à la majorité des deux tiers, la majorité des membres de l’assemblée étant présents) et par le Parlement wallon et l’Assemblée de la COCOF  [446]. Les compétences totalement ou partiellement transférées à la Région wallonne et à la COCOF concernent quelques matières culturelles (les infrastructures sportives, le tourisme  [447], la promotion sociale et la formation professionnelle), des matières personnalisables (une partie de la politique de santé, une partie de la politique familiale, une partie de la politique d’aide sociale, la politique d’accueil et d’intégration des immigrés, la politique des handicapés et la politique du troisième âge) et quelques éléments de la politique d’enseignement (en particulier le transport scolaire). Après l’adoption de la sixième réforme de l’État, la Communauté française a également transféré à la Région wallonne l’exercice de sa compétence en ce qui concerne les prestations familiales (allocations familiales, allocations de naissance et primes d’adoption) ; la COCOF n’a pas été concernée par ce transfert puisque, sur le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, c’est la COCOM qui est compétente étant donné qu’il s’agit là de droits à prestations. En recevant un pouvoir législatif par le transfert de 1993, la COCOF est devenue à partir du 1er janvier 1994 une entité fédérée à part entière, la dernière apparue d’un point de vue chronologique.

354 Il est à noter que, lorsque le Parlement wallon exerce des compétences communautaires, il ne le fait que pour la région de langue française et ses membres d’expression allemande ne participent pas au vote  [448]. Pour certains objets, le Parlement wallon doit adopter deux décrets : l’un au titre des compétences régionales (qu’il possède en propre) et l’autre au titre des compétences communautaires (dont il ne dispose que de la faculté d’exercice)  [449]. Tel a été le cas, par exemple, lorsque l’assemblée a confirmé les arrêtés de pouvoirs spéciaux que le gouvernement wallon Di Rupo III avait pris durant la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19  [450].

355 Le transfert de compétences horizontal, entre entités fédérées, constitue une vraie originalité du fédéralisme belge, qui découle de la superposition des territoires sur lesquels les entités fédérées sont compétentes. En l’absence d’une telle superposition  [451], les autres États fédéraux ne connaissent que des transferts de compétences verticaux, entre le niveau de pouvoir fédéral et les entités fédérées. En Belgique, une entité fédérée peut donc gagner des compétences, non par un changement de la Constitution ou des règles répartitrices de compétences, mais simplement par un accord passé avec une autre entité fédérée.

356 La « fusion » des institutions flamandes et les transferts de compétences depuis la Communauté française et vers la Communauté germanophone ont complexifié le paysage institutionnel et la répartition des compétences entre entités fédérées. Généralement, dans un même État fédéral, toutes les entités fédérées disposent des mêmes compétences. En Belgique, il n’est pas deux entités fédérées qui disposent des mêmes compétences.

357 Si l’on considère la Flandre comme une entité unique (bien que, juridiquement, la Communauté flamande et la Région flamande demeurent deux entités distinctes), c’est elle qui dispose des compétences les plus étendues, puisqu’elle gère les compétences tant communautaires que régionales ; dans ce second cas, elle ne les exerce qu’en région de langue néerlandaise. La Communauté germanophone est la deuxième entité « la plus puissante » puisqu’elle a ajouté à ses compétences communautaires (qui n’incluent pas celles qui, en matière d’emploi des langues, restent exercées par l’Autorité fédérale) les compétences dont l’exercice lui a été transféré par la Région wallonne. Ce sont donc la plus et la moins peuplées des entités fédérées qui disposent des compétences les plus nombreuses. Leurs budgets sont également sans commune mesure puisque le budget des dépenses de la Flandre (Communauté et Région) s’élève, pour 2021, à 50,3 milliards d’euros, tandis que celui de la Communauté germanophone se monte à 621 millions d’euros. Viennent ensuite la Région wallonne, qui a ajouté à ses compétences régionales (exercées sur tout son territoire ou, dans le cas des compétences dont l’exercice a été transféré à la Communauté germanophone, uniquement dans la région de langue française) les compétences communautaires dont l’exercice lui a été transféré par la Communauté française (et, pour celles-ci, uniquement dans la région de langue française), et dont le budget des dépenses se monte à 17,8 milliards d’euros ; la Communauté française, dont les compétences ont été réduites (11,8 milliards) ; la Région de Bruxelles-Capitale, qui ne dispose quasiment pas de compétences communautaires  [452] (7 milliards) ; et les Commissions communautaires (1,6 milliard pour la COCOM et 541 millions pour la COCOF).

358 Cette situation asymétrique peut également être résumée d’une autre manière.

359 La Communauté française exerce  [453] :

  • une partie des compétences communautaires en région de langue française (à savoir celles de l’exercice desquelles elle n’a pas renoncé au profit de la Région wallonne),
  • une partie des compétences communautaires en région bilingue de Bruxelles-Capitale (à savoir celles de l’exercice desquelles elle n’a pas renoncé au profit de la COCOF), à l’exclusion des matières bicommunautaires.

361 La Communauté flamande exerce :

  • l’ensemble des compétences communautaires et régionales en région de langue néerlandaise,
  • les compétences communautaires en région bilingue de Bruxelles-Capitale, à l’exclusion des matières bicommunautaires.

363 La Communauté germanophone exerce en région de langue allemande :

  • la quasi-totalité des compétences communautaires (c’est-à-dire l’ensemble des compétences communautaires hormis celles qui, dans le cas de cette région linguistique, restent exercées par l’Autorité fédérale),
  • une partie des compétences régionales (à savoir celles dont l’exercice lui a été transféré par la Région wallonne).

365 La Région wallonne exerce :

  • l’ensemble des compétences régionales en région de langue française,
  • une partie des compétences communautaires dans la même région linguistique (à savoir celles dont l’exercice lui a été transféré par la Communauté française),
  • une partie des compétences régionales en région de langue allemande (à savoir celles de l’exercice desquelles elle n’a pas renoncé au profit de la Communauté germanophone).

367 La Région flamande voit l’exercice de l’ensemble de ses compétences confié à la Communauté flamande (qui n’exerce ces compétences qu’en région de langue néerlandaise).

368 La Région de Bruxelles-Capitale exerce en région bilingue de Bruxelles-Capitale :

  • l’ensemble des compétences régionales  [454],
  • les compétences de l’Agglomération bruxelloise (aujourd’hui de facto abolie),
  • certaines compétences provinciales.

370 La COCOM exerce une partie des compétences communautaires en région bilingue de Bruxelles-Capitale  [455].

371 La COCOF, en région bilingue de Bruxelles-Capitale :

  • agit pour une partie des compétences communautaires en tant qu’organe subordonné de la Communauté française,
  • exerce en toute autonomie une autre partie des compétences communautaires (à savoir celles dont l’exercice lui a été transféré par la Communauté française).

373 La VGC – qui, elle, n’est nullement une entité fédérée – agit pour une partie des compétences communautaires en région bilingue de Bruxelles-Capitale en tant qu’organe subordonné de la Communauté flamande.

374 Une telle asymétrie des compétences exercées par les entités fédérées ne connaît guère d’équivalent dans d’autres États fédéraux. La notion même de deux types de compétences fédérées (dans le cas belge, communautaires et régionales) ne semble pas non plus exister ailleurs qu’en Belgique.

3.6.2. Des compétences exercées par un nombre variable d’entités fédérées

375 Ce découpage résultant à la fois de la distinction des entités fédérées et des compétences en fonction de leur nature et des transferts de compétences survenus entre ces entités depuis 1980 a produit une asymétrie non seulement entre les entités fédérées (il n’en est pas deux d’entre elles qui exercent les mêmes compétences), mais aussi entre les compétences (certaines compétences étant exercées tantôt par une Région et tantôt par une Communauté). On peut dès lors parler d’un exercice des compétences à géométrie variable par les entités fédérées.

376 Depuis 1995, le territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale ne relève plus d’aucune province. Dès lors, depuis la réforme institutionnelle de 2001, seules deux entités sont compétentes en matière d’organisation des provinces : la Région wallonne et la Région flamande.

377 De manière un peu différente, l’emploi des langues en matière administrative est aussi une compétence appartenant à seulement deux entités fédérées : la Communauté française et la Communauté flamande, et pour une partie seulement de leur territoire. Pour les communes bilingues ou à statut linguistique spécial, quelle que soit la région linguistique dans laquelle elles sont situées (y compris donc les 19 communes bruxelloises et les 9 communes germanophones), c’est l’Autorité fédérale qui est compétente en cette matière.

378 De nombreuses compétences sont exercées par trois entités fédérées, qu’il s’agisse des trois Communautés ou, dans le cas des matières régionales, de la Région wallonne, de la Région de Bruxelles-Capitale et, pour la région de langue néerlandaise et en vertu du mécanisme de l’article 137 de la Constitution, de la Communauté flamande.

379 À la suite de la mise en œuvre de l’article 139 de la Constitution (outre celle de l’article 137), certaines compétences sont exercées par quatre entités fédérées. Ainsi, le financement des fabriques d’églises et établissements assimilés ou la tutelle sur les communes sont des compétences régionales. Mais si c’est bien la Région de Bruxelles-Capitale qui est compétente en ces matières en ce qui concerne les 19 communes bruxelloises, la Région wallonne ne s’occupe de ces politiques que dans la région de langue française puisqu’elle a transféré l’exercice de ces compétences à la Communauté germanophone pour la région de langue allemande, tandis que c’est la Communauté flamande qui les exerce en région de langue néerlandaise.

380 D’autres cas de figure impliquant quatre entités fédérées sont possibles. Ainsi, la classification des films diffusés dans les salles de cinéma dépend en principe des trois Communautés, chacune pour le territoire d’une région unilingue, et de la COCOM pour celui de la région bilingue de Bruxelles-Capitale. La législation organique des centres publics d’action sociale (CPAS, présents dans chaque commune du pays) et le contrôle de ceux-ci sont du ressort de la Région wallonne pour les communes situées dans la région de langue française (en vertu du transfert opéré par la Communauté française), de la Communauté germanophone pour celles situées dans la région de langue allemande, de la Communauté flamande pour celles situées dans la région de langue néerlandaise, et de la COCOM pour les 19 communes bruxelloises.

381 Parfois, ce sont cinq entités fédérées qui peuvent agir dans un domaine. Ainsi, les infrastructures sportives dépendent en principe des Communautés. La Communauté germanophone et la Communauté flamande exercent cette compétence, la seconde y compris en région bilingue de Bruxelles-Capitale lorsqu’il s’agit d’installations dépendant d’organismes exclusivement néerlandophones. Les installations situées en région bruxelloise et liées à des organismes exclusivement francophones relèvent de la COCOF, à laquelle la Communauté française a transféré l’exercice de cette compétence ; il en va de même, en faveur cette fois de la Région wallonne, pour les installations situées dans la partie francophone de la Wallonie. Enfin, depuis la sixième réforme institutionnelle, la Région de Bruxelles-Capitale est compétente dans les communes qui composent son territoire pour les infrastructures qui se rapportent à des activités qui ne se rattachent pas exclusivement à l’une ou l’autre des Communautés, comme les piscines communales. Les services d’aide à domicile relèvent d’une semblable configuration, si ce n’est que c’est la COCOM, et non la Région de Bruxelles-Capitale, qui est compétente pour la reconnaissance des institutions bilingues actives sur le territoire bruxellois.

382 À la suite des transferts effectués en vertu de l’article 138 de la Constitution, des domaines de compétence relèvent de cinq entités fédérées. Tel est par exemple le cas de la formation professionnelle : cette compétence est exercée, en région de langue française, par la Région wallonne ; en région de langue allemande, par la Communauté germanophone ; en région de langue néerlandaise, par la Communauté flamande ; en région bilingue de Bruxelles-Capitale, par la COCOF pour les institutions francophones, par la Communauté flamande pour les institutions néerlandophones et par la Région de Bruxelles-Capitale pour les aspects liés à la politique de l’emploi. Chacune de ces entités fédérées dispose de son propre organisme, actif parfois sur le même espace géographique : l’Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi (FOREM), dépendant de la Région wallonne, est actif en région de langue française ; l’Arbeitsamt der Deutschsprachigen Gemeinschaft (ADG), organisme de la Communauté germanophone, couvre la région de langue allemande ; l’organisme flamand Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling en Beroepsopleiding (VDAB) propose des formations en néerlandais dans la région de langue néerlandaise et dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale ; dans cette dernière, les formations en français sont proposées par Bruxelles Formation, organisme institué par la COCOF ; ce à quoi il faut ajouter la compétence d’Actiris également en région bilingue de Bruxelles-Capitale.

383 Enfin, l’article 6bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles précise que les Communautés et les Régions sont chacune compétentes pour la recherche scientifique dans le cadre de leurs compétences respectives, en ce compris la dimension internationale de la recherche.

384 On le voit, l’exercice des compétences par les entités fédérées présente bien plusieurs types d’asymétrie, entre entités et entre compétences. On est bien ici face à une logique multipolaire, à géométrie variable.

3.7. Des institutions similaires

385 Si les compétences des différentes entités fédérées belges varient, leurs institutions parlementaires et gouvernementales sont globalement élaborées selon un modèle semblable. Toutes les assemblées parlementaires des entités fédérées sont monocamérales ; elles exercent les trois fonctions classiquement dévolues aux enceintes parlementaires : législative, budgétaire et de contrôle de l’exécutif. Les gouvernements sont composés de membres élus par leurs assemblées respectives ; en revanche, la composition du collège de la COCOF et du collège réuni de la COCOM découle automatiquement de celle du gouvernement régional bruxellois.

3.7.1. Les assemblées parlementaires des entités fédérées

386 En Belgique, chaque entité fédérée est dotée d’une assemblée parlementaire qui discute et vote les normes législatives. Toutes les entités fédérées connaissent des systèmes parlementaires monocaméraux. Il en va souvent de même dans les autres États fédéraux, mais pas systématiquement : aux États-Unis, les parlements des États sont calqués sur le même modèle que le Parlement fédéral et comptent une Chambre des représentants et un Sénat (à l’exception de l’État du Nevada qui connaît un système monocaméral). En Inde, environ trois quarts des États comptent une seule chambre, tandis que les 6 autres connaissent un système bicaméral. La Fédération de Bosnie-et-Herzégovine, l’une des entités fédérées de la Bosnie-Herzégovine, connaît également un système bicaméral : une Chambre des peuples composée de 58 membres (17 Bosniaques, 17 Croates, 17 Serbes et 7 « autres ») et une Chambre des représentants de 98 députés.

387 En Belgique, les assemblées parlementaires des entités fédérées sont pour la plupart composées d’élus directs. La Communauté germanophone a été la première à procéder à l’élection directe de son assemblée parlementaire, dès 1974 ; le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale a suivi quinze ans plus tard, en 1989, tandis que le Parlement wallon et le Parlement flamand ont connu leur première élection directe en 1995. Le Parlement de la Communauté germanophone se compose toujours actuellement d’élus directs, au nombre de 25. Ceux-ci sont rejoints par les personnes qui détiennent un mandat dans une autre assemblée (Parlement européen, Chambre des représentants, Parlement wallon ou conseil provincial de Liège) et qui résident en région de langue allemande et ont prêté le serment constitutionnel en allemand ; ces personnes ne jouissent toutefois que d’une voix consultative au Parlement de la Communauté germanophone.

388 Quelques assemblées ne sont pas composées de manière directe. Le Parlement de la Communauté française constitue une première exception : il se compose des membres francophones du Parlement wallon et des suppléants de leurs collègues germanophones  [456], ainsi que de 19 des 72 députés du groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale. Ces 19 députés sont élus à la proportionnelle des groupes politiques  [457]. C’est aussi ce groupe linguistique français qui constitue l’Assemblée de la COCOF, tandis que l’Assemblée réunie de la COCOM a pour membres les 89 députés régionaux bruxellois (72 francophones et 17 néerlandophones).

389 Le nombre de membres de chaque assemblée parlementaire est différent, et n’est pas proportionnel à la taille de la population dont ils sont les représentants. Le tableau 4 présente le rapport entre le nombre de parlementaires et la population des principales entités fédérées  [458].

Tableau 4. Rapport entre le nombre de membres de l’assemblée parlementaire des principales entités fédérées et la population représentée

Population (en nombre d’habitants) Nombre de parlementaires Ratio
Communauté germanophone78 144251 : 3 126
Région wallonne3 648 206751 : 48 643
Région de Bruxelles-Capitale1 219 970891 : 13 708
Communauté française~ 4 424 000 à 4 714 000941 : 47 064 à 50 149
Région flamande6 653 0621181 : 56 382
Communauté flamande~ 6 729 000 à 7 019 0001241 : 54 266 à 56 605

Tableau 4. Rapport entre le nombre de membres de l’assemblée parlementaire des principales entités fédérées et la population représentée

390 Indéniablement, les citoyens de la Communauté germanophone sont les « mieux » représentés par leur Parlement, avec un élu pour 3 126 habitants. Cette « surreprésentation » est habituelle dans les petites collectivités. Ainsi, dans l’État indien du Sikkim, on peut estimer qu’un membre du parlement monocaméral est élu par environ 19 000 habitants, tandis que, dans l’État d’Uttar Pradesh, un membre de la chambre basse en représente environ 500 000. De même, un membre de la Chambre des représentants de l’État américain du Wyoming représente moins de 10 000 habitants, tandis que son homologue de Californie en pèse également près de 500 000. Le cas de la Suisse est différent : le Conseil du Canton d’Obwald compte environ un membre pour 620 habitants, alors que celui du Canton de Zurich est plutôt dans un rapport de un pour 7 260. Hormis dans le cas suisse, un ratio d’un parlementaire pour quelque 3 000 habitants tel que l’on peut l’observer en Communauté germanophone est probablement l’un des plus faibles au monde. Cette très forte représentativité au niveau de l’entité fédérée compense-t-elle toutefois l’absence de représentation garantie des habitants de la région de langue allemande à la Chambre des représentants et au gouvernement fédéral, ainsi qu’au sein des institutions de la Région wallonne ?

391 Les parlements des Communautés et de la Région wallonne ainsi que, lorsqu’elle exerce des compétences ayant fait l’objet d’un transfert en provenance de la Communauté française, l’Assemblée de la COCOF adoptent des décrets. En revanche, le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et l’Assemblée réunie de la COCOM adoptent des ordonnances. Si toutes ces normes suivent un parcours assez similaire avant leur adoption et si toutes ont force de loi à l’égard de la population ou des institutions auxquelles elles s’appliquent, on a souligné le statut légèrement différent des ordonnances bruxelloises et la double majorité requise pour l’adoption de certaines d’entre elles.

392 Enfin, on a relevé supra que des mécanismes de protection d’une minorité existent dans la plupart des assemblées des entités fédérées, avec cependant des différences notables. Ainsi, la sonnette d’alarme en vigueur au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale a pour objectif de protéger la minorité néerlandophone contre un éventuel coup de force des députés francophones, bien plus nombreux. La sonnette d’alarme qui existe au niveau du Parlement de la Communauté française, du Parlement flamand et du Parlement de la Communauté germanophone a quant à elle pour vocation de protéger des minorités philosophiques ou idéologiques à l’intérieur d’assemblées unilingues. Seul le mécanisme prévalant en Région bruxelloise présuppose par conséquent la répartition des députés en deux groupes linguistiques distincts. Pareille répartition des élus selon leur langue afin de permettre des mécanismes de protection d’une minorité ne semble guère se rencontrer dans d’autres États fédéraux.

3.7.2. Les gouvernements des entités fédérées

393 Chaque entité fédérée belge est aussi dotée d’un exécutif responsable devant l’assemblée parlementaire correspondante. Il porte le nom de gouvernement pour les Communautés et les Régions, et de collège ou de collège réuni pour les Commissions communautaires. Chaque exécutif se compose d’un nombre maximum de membres : 11 ministres pour le gouvernement flamand, 9 pour le gouvernement wallon, 8 pour celui de la Communauté française, 5 pour la Communauté germanophone. La composition du gouvernement bruxellois est, pour sa part, fixe : 5 ministres, auxquels s’ajoutent 3 secrétaires d’État (composition à laquelle s’applique en outre une répartition linguistique contrainte). Tous ces exécutifs doivent être mixtes. En outre, le gouvernement flamand et celui de la Communauté française doivent compter au moins un membre domicilié en région bruxelloise. S’il n’est pas autorisé d’être membre de deux gouvernements régionaux simultanément, ou d’être simultanément membre du gouvernement fédéral et d’un gouvernement d’une entité fédérée, il est en revanche possible d’être à la fois membre des gouvernements wallon et de la Communauté française, des gouvernements bruxellois et de la Communauté française, ou des gouvernements bruxellois et flamand  [459].

394 Contrairement à ce qui s’observe au niveau fédéral, le processus de constitution des gouvernements des entité fédérées n’implique aucune intervention du chef de l’État (cf. Chapitre 2)  [460], si ce n’est symboliquement, le souverain recevant la prestation de serment du ministre-président une fois celui-ci élu par le parlement de son entité. C’est traditionnellement le président du parti qui détient le plus de sièges dans l’assemblée parlementaire de l’entité qui conduit les négociations. Il est à noter qu’en Région de Bruxelles-Capitale, il est de coutume que chaque aile linguistique du gouvernement se constitue en toute autonomie avant qu’un processus commun ne s’enclenche  [461]. Formellement, les membres des gouvernements des entités fédérées sont élus par les parlements des entités fédérées (pas nécessairement en leur sein). Rappelons que les membres du collège de la COCOF et ceux du collège réuni de la COCOM ne font pas l’objet d’une désignation spécifique mais que ces organes sont composés à la suite de la constitution du gouvernement régional bruxellois.

395 L’élection des membres du pouvoir exécutif par l’assemblée législative de l’entité fédérée est une façon de procéder que l’on retrouve fréquemment dans les États fédéraux. Quelques-uns connaissent toutefois une élection directe de tous les membres de leur exécutif ou de certains d’entre eux. Ainsi, en Suisse, le peuple élit directement les membres des gouvernements cantonaux, qui sont dès lors en place pour toute la durée d’une législature. Dans les États américains, le gouverneur est élu au suffrage universel ; il en va de même, la plupart du temps, du lieutenant-gouverneur qui le seconde. En revanche, le mode de désignation des autres membres de l’exécutif varie selon les États : élection directe, élection par l’assemblée législative ou désignation par le gouverneur.

3.7.3. L’autonomie constitutive des entités fédérées

396 La Belgique se caractérise donc par une grande similitude dans l’organisation des organes (parlements et gouvernements) de ses différentes entités fédérées. Celles-ci disposent pourtant de l’autonomie constitutive  [462], dont le principe est inscrit dans les articles 118 et 123 de la Constitution, et cela depuis 1993 en ce qui concerne la Région wallonne, la Communauté française et la Communauté flamande et, seulement depuis la sixième réforme de l’État, en ce qui concerne la Communauté germanophone et, dans une moindre mesure, la Région de Bruxelles-Capitale. Ce principe est toutefois borné par les dispositions constitutionnelles et les lois spéciales et ordinaires qui organisent les institutions des entités fédérées. Ces entités peuvent modifier les règles de fonctionnement de leur parlement (élection et rôle des membres du bureau, caractère public ou secret des séances, etc.), l’organisation des élections (mais non leur date, dans l’état actuel de la législation  [463]), la composition du gouvernement et les règles de fonctionnement de celui-ci.

397 Dans le cas de la Région de Bruxelles-Capitale, des limitations supplémentaires sont de mise en matière d’autonomie constitutive (même si celles-ci ont tendance à se réduire au fil du temps). Afin de « bétonner » les garanties dont bénéficie la minorité néerlandophone, les règles régissant la composition du Parlement et du gouvernement bruxellois demeurent de la compétence du législateur spécial fédéral. En application de ce principe, la section de législation du Conseil d’État a ainsi rejeté les propositions d’ordonnance spéciale visant à assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein du gouvernement bruxellois, au motif que le législateur bruxellois outrepasserait ainsi ses compétences  [464]. On peut remarquer avec M. Uyttendaele que, vu que la mise en œuvre de l’autonomie constitutive impliquerait nécessairement de trouver une majorité dans le groupe linguistique néerlandais, « ces limitations témoignent en réalité de la méfiance des Flamands de Flandre à l’égard de leurs homologues bruxellois »  [465].

398 Pour sa part, la Communauté germanophone bénéficie également d’une autonomie moindre que celle des Communautés française et flamande et de la Région wallonne, mais d’une façon fort peu marquée  [466].

399 Sans être exceptionnelles, les limites posées à l’autonomie constitutive des entités fédérées belges sont plus fortes que ce qui est habituellement rencontré dans les États fédéraux. Dans ces derniers, le plus souvent, chaque entité fédérée est dotée d’une Constitution propre (cf. supra) et des pouvoirs nécessaires pour régler seule son organisation institutionnelle, et notamment la date des élections. En Suisse, les élections cantonales se déroulent quasiment toutes à des dates différentes. En Allemagne, chaque Land choisit la date d’élection de son assemblée, mais il arrive que des élections régionales se tiennent dans deux Länder le même jour ; si quasiment tous renouvellent leurs élus pour cinq ans  [467], les modes de scrutin varient, dans le cadre de la représentation proportionnelle. L’existence d’un principe d’autonomie n’empêche pas que les entités fédérées optent pour la simultanéité des scrutins avec le niveau fédéral : aux États-Unis, la majorité des États organisent leurs élections en même temps que des élections fédérales.

400 Force est en tout cas de constater que la tendance rencontrée en Belgique à utiliser l’autonomie constitutive avec parcimonie est loin d’être exceptionnelle : « Si ces exemples mettent en lumière les particularismes des Constitutions fédérées, les entités fédérées disposent d’institutions globalement similaires. L’uniformité reste donc, en fait, la tendance dominante alors que, en droit, l’autonomie reste le principe encadré par certaines limites »  [468].

3.8. Des pouvoirs locaux passés sous la tutelle des entités fédérées

401 La Belgique de 1831 connaissait deux types de pouvoirs décentralisés : les provinces et les communes. Ces institutions, rapidement organisées par des lois matricielles, seront parmi les plus stables de la Belgique. Depuis le 1er janvier 2002, ces pouvoirs locaux relèvent essentiellement de la compétence des Régions  [469], et, en ce qui concerne les communes situées dans la région de langue allemande, de la Communauté germanophone  [470]. Par ailleurs, la région bruxelloise n’est plus incluse dans une province depuis la scission de la province de Brabant en 1995.

3.8.1. Les provinces

402 En 1831, le territoire de la Belgique a été divisé en neuf provinces, correspondant plus ou moins aux neuf départements qui avaient été créés sous le régime français. Les provinces ont été dotées d’une assemblée d’élus (le conseil provincial) et d’un organe exécutif (la députation permanente), tandis que le gouverneur était nommé par le Roi.

403 La Belgique unitaire a mis l’accent sur certaines spécificités provinciales, qui rappelaient les duchés, comtés et principautés d’Ancien Régime. Elle a mis à l’honneur les provinces dans l’espace public, notamment à travers les statues des arcades du Cinquantenaire à Bruxelles, qui célèbre le premier jubilé du royaume, et les sphères de l’Atomium, construit à l’occasion de l’Exposition internationale de 1958. Toutefois, le projet d’une large décentralisation ou d’une fédéralisation de la Belgique sur la base des provinces (celle de Brabant étant éventuellement scindée en trois dans ce cadre) n’a guère eu de partisans, ni en 1970 ni par la suite ; notamment, les particularismes provinciaux ne correspondaient nullement aux aspirations identitaires wallonne et flamande, pas plus qu’ils ne permettaient de résoudre la question linguistique.

404 Les provinces belges ont subi nettement les effets de la fédéralisation du pays. Si la question de leur suppression s’est posée assez tôt dans l’histoire du pays et est revenue plusieurs fois à l’agenda (notamment lors des discussions ayant conduit au pacte d’Egmont et aux accords du Stuyvenberg en 1977-1978), elles ont finalement survécu au processus de fédéralisation, incarnant à certains égards une forme de survivance du modèle unitaire et des formes de décentralisation ou de déconcentration qu’il connaissait. Elles ont néanmoins vécu deux transformations majeures.

405 D’une part, la province de Brabant a été scindée en trois au 1er janvier 1995, donnant naissance à deux nouvelles provinces (de Brabant wallon et de Brabant flamand  [471]), tandis que le territoire de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale n’appartient plus depuis lors à aucune province ; en région bruxelloise, les compétences auparavant provinciales ont été dévolues à la Région de Bruxelles-Capitale et aux Commissions communautaires.

406 D’autre part, les cinq provinces wallonnes (Brabant wallon, Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur) et les cinq provinces flamandes (Anvers, Brabant flamand, Flandre occidentale, Flandre orientale et Limbourg) sont passées, pour l’essentiel, sous la compétence des Régions, wallonne et flamande respectivement, au 1er janvier 2002. Ce sont désormais ces deux entités fédérées qui sont responsables de l’organisation des institutions provinciales et de la subsistance même des provinces sur leur territoire.

407 En termes de relations au sein de l’État fédéral, cette évolution substantielle du statut des provinces appelle plusieurs réflexions.

408 Primo, les provinces demeurent des pouvoirs subordonnés. Elles n’exercent pas de pouvoir législatif (à l’instar des communes, mais à la différence de l’Autorité fédérale, des Communautés, des Régions, de la COCOM et de la COCOF), mais un pouvoir réglementaire. Leurs actes occupent une place inférieure aux lois et aux décrets dans la hiérarchie des normes.

409 Secundo, si ce niveau de pouvoir relève désormais de deux Régions, les compétences qui sont exercées par les provinces sont de nature diverse : culture, enseignement, financement des cultes et de la laïcité, formation, santé, sport, tourisme, etc. Autant de domaines qui sont par ailleurs régis par des normes de l’Autorité fédérale, des Régions ou des Communautés selon le cas. Si cela a un impact plus limité dans le cas flamand – l’Autorité flamande exerçant tant les compétences communautaires que les compétences régionales –, il en va différemment pour les provinces wallonnes  [472]. Ces dernières relèvent certes de la tutelle régionale, mais elles doivent également tenir compte non seulement des règles édictées par l’Autorité fédérale (tout comme leurs homologues flamandes), mais également des décrets de la Communauté française et, en ce qui concerne la province de Liège pour une portion de son territoire, de la Communauté germanophone. Cette situation n’est pas sans incidences sur les réflexions institutionnelles portant sur l’évolution, voire la disparition, des provinces, de même que sur celles portant sur l’avenir de la Communauté française.

410 Tertio, la région de langue allemande est intégralement située en province de Liège. Depuis plusieurs années, la Communauté germanophone réclame que les compétences provinciales lui soient transférées. Elle étendrait ainsi encore ses services et ses ressources, et la région de langue allemande serait « extra-provincialisée » (à l’image de ce qui est advenu de la région bruxelloise en 1995).

411 Quarto, le statut du gouverneur de province a évolué. Alors qu’il représentait autrefois le seul gouvernement national, il dépend désormais non seulement du gouvernement régional, qui le nomme, mais aussi du gouvernement fédéral (qui doit formellement approuver la nomination posée par le gouvernement régional). Plus largement, si les Régions wallonne et flamande sont désormais libres de supprimer les provinces  [473], elles devraient, si elles posaient un tel choix, prévoir la manière dont les interventions du gouvernement fédéral pourraient continuer à s’exercer. Le rôle non négligeable que les gouverneurs de province ont joué dans le cadre de la gestion de la pandémie de Covid-19 a mis en évidence cette double allégeance et leur rôle de coordination de certaines politiques.

412 Si les provinces belges apparaissent comme une survivance de l’État unitaire et s’il a globalement été souhaité de préserver non seulement leur existence mais aussi leur rôle, l’organisation fédérale d’un État n’empêche pas la présence de subdivisions administratives entre le niveau des entités fédérées et celui des municipalités. Aux États-Unis, par exemple, les comtés ont été hérités de l’administration coloniale britannique et existent partout, sauf en Louisiane (on parle de paroisses) et en Alaska (on parle de boroughs ou d’arrondissements). De plus, chaque État est libre de maintenir ou non leur existence ; ainsi, Rhode Island, le plus petit des 50 États, ainsi que le Connecticut, son voisin, ont transformé leurs comtés en simples divisions territoriales.

3.8.2. Les communes

413 La commune est le niveau de pouvoir le plus proche du citoyen. Elle consiste à la fois en une collectivité politique autonome, qui fait ses propres choix dans les matières d’intérêt communal, et en un pouvoir subordonné, qui est chargé de l’application de règles décidées à un échelon supérieur (province, Communauté, Région ou Autorité fédérale)  [474].

414 Le nombre de communes a varié. À sa création, la Belgique compte 2 492 communes. Ce nombre croît régulièrement, pour atteindre son apogée en 1928, avec 2 675 communes (dont 31 anciennement allemandes et devenues belges au lendemain de la Première Guerre mondiale, à la suite de l’annexion des cantons de l’Est en application des dispositions du Traité de Versailles). Après 1961, se dessine un mouvement de regroupement sur une base volontaire, avant que, au 1er janvier 1977, la fusion des communes soit rendue obligatoire et réduise le nombre de celles-ci à 596. En 1983, la ville d’Anvers fusionne avec les sept communes de son périmètre urbain, réduisant le nombre de communes à 589. Abondamment discuté, un tel mouvement de fusion n’a jamais été décidé à ce jour pour les communes de l’agglomération bruxelloise. Depuis la régionalisation de la loi communale au 1er janvier 2002, la question de la fusion des communes a été transférée aux Régions. En Région flamande, le décret du 24 juin 2016 encourage de nouvelles fusions  [475]. Sept opérations de ce type ont déjà eu lieu le 1er janvier 2019. D’autres sont à l’étude. En Région wallonne, le décret du 2 mai 2019 organise la procédure de fusion pour les communes de la région de langue française  [476]. À la suite de l’adoption de ce texte, plusieurs communes wallonnes ont entamé un processus de réflexion pouvant conduire à une fusion.

415 À l’instar de la loi provinciale, la loi communale a fait l’objet d’une large régionalisation au 1er janvier 2002 et la tutelle sur les communes est également passée dans le giron régional. En outre, la Région wallonne a transféré à la Communauté germanophone l’exercice de la compétence en matière de tutelle sur les communes en ce qui concerne les 9 communes de la région de langue allemande. Quatre entités fédérées sont donc compétentes pour l’organisation et le fonctionnement des communes : la Région wallonne, la Région flamande, la Région de Bruxelles-Capitale et la Communauté germanophone. Chacune d’elles a adopté sa propre législation.

416 Remarquons que, si les institutions communales ont été maintenues dans la région centrale, la répartition des compétences entre les 19 communes bruxelloises et les autorités régionales a toutefois connu certaines évolutions. Et cela d’autant qu’a été créé dans les années 1970 un organe supracommunal dénommé Agglomération bruxelloise, dont les compétences sont exercées depuis 1989 par la Région de Bruxelles-Capitale. Par ailleurs, l’éventualité de fusionner tout ou partie des communes bruxelloises, voire de les supprimer et de transférer au niveau régional la totalité des services qu’elles rendent et des décisions qu’elles prennent revient assez régulièrement à l’agenda politique  [477].

417 Un lien étroit entre l’Autorité fédérale et les communes a été maintenu, qui s’exprime en particulier de deux manières. D’une part, une série de règles s’appliquent aux communes à statut linguistique spécial, pour lesquelles l’intervention du Parlement ou du gouvernement fédéral est requise. D’autre part, une série de missions qui incombent aux communes relèvent de l’Autorité fédérale, mettant de ce fait ces deux niveaux institutionnels en étroite relation, qu’il s’agisse de questions liées à l’état civil ou au séjour des étrangers, ou encore de l’intervention des centres publics d’action sociale (CPAS). Ce lien entre l’Autorité fédérale et les communes constitue une caractéristique remarquable du fédéralisme belge, qui s’explique par le processus de dissociation graduel qui a conduit à ce modèle fédéral. Habituellement, les communes relèvent intégralement du niveau de pouvoir qui leur est immédiatement supérieur, à savoir les entités fédérées.

4. Des dynamiques singulières

418 Créée en tant qu’État unitaire comprenant des provinces et des communes, et initialement unilingue francophone, la Belgique est devenue un État fédéral composé d’entités fédérées de différents types, et qui compte aujourd’hui officiellement trois langues nationales. En outre, le pays s’est inscrit dans la construction européenne dès les prémices de celle-ci.

419 Pas plus qu’un système unitaire, un système fédéral n’est composé uniquement d’un ensemble d’institutions étatiques en relation les unes avec les autres. La prise de décision fait intervenir d’autres acteurs, le pouvoir s’exerce dans différentes sphères, les contacts entre protagonistes passent par de multiples canaux. Lors de la mutation institutionnelle qu’elle a connue, la Belgique a naturellement vu son système socio-politique se transformer en profondeur également.

420 Ce quatrième chapitre examine certaines dynamiques qui caractérisent la Belgique et se trouvent en relation étroite avec le système fédéral actuel et les processus qui y ont conduit, les unes ayant affecté les autres et réciproquement. Il examine tour à tour l’importance de la question linguistique – élément crucial des tensions internes et des dynamiques centrifuges dès l’origine du pays – et les régimes prévalant actuellement en matière d’emploi des langues, les dynamiques socio-économiques et leurs évolutions – elles aussi sources de profondes mutations –, ainsi que les spécificités des acteurs et des structures socio-politiques belges.

4.1. L’emploi des langues

421 L’emploi des langues dans la sphère publique s’est très tôt avéré délicat et conflictuel (cf. Chapitre 1). Il est au cœur de la « question linguistique » qui, dès le XIXe siècle, a opposé le Mouvement flamand aux élites francophones puis au Mouvement wallon. Le Mouvement flamand s’est d’ailleurs constitué précisément contre l’hégémonie du français qui, en tant que « langue de la classe dominante, [était devenu] la langue dominante dans l’État »  [478]. L’usage – dans un premier temps limité – du néerlandais dans la justice, dans l’administration et dans l’enseignement, rendu obligatoire respectivement à partir de 1873, 1878 et 1883, puis la « loi d’égalité » de 1898, qui a consacré l’égale valeur juridique des textes officiels paraissant en français et en néerlandais, ont été les fruits d’un long combat. Il a même fallu attendre 1925 pour que soit établie une version officielle du texte de la Constitution en néerlandais, et 1967 pour qu’elle reçoive une valeur juridique égale à celle de la version française. Plus récemment, les habitants germanophones de l’est du pays, intégrés de gré ou de force à la Belgique après la Première Guerre mondiale, ont fait l’objet d’une politique de francisation qui n’a pris fin que dans les années 1960. Et la version en allemand de la Constitution belge a acquis un statut juridique égal aux deux autres versions en 1991 seulement.

422 S’il n’est pas resté l’unique moteur de la transformation du pays, celle-ci étant aussi alimentée par des considérations économiques et territoriales, l’enjeu linguistique traverse toute l’histoire de la Belgique et de ses rapports de force internes, de l’établissement de lois linguistiques (entre autres à la fin du XIXe siècle, en 1921, en 1932 et en 1962-1963) aux réformes institutionnelles successives, en ce compris la dernière en date (2012-2014). La question de l’emploi des langues dans certaines communes particulièrement sensibles, telles que celle de Fourons ou celles de la périphérie bruxelloise (dont les habitants francophones bénéficient de « facilités »), a eu des répercussions sur la vie politique nationale  [479], au point de faire tomber un gouvernement le 15 octobre 1987 (Martens VI ou deuxième gouvernement Martens-Gol, social-chrétien/libéral) et de constituer un aspect, souvent important, de toutes les réformes de l’État. Des tensions linguistiques sont occasionnellement alimentées, aujourd’hui encore, par des éléments tels que le manque de bilinguisme de certains fonctionnaires ou services tenus de l’être, la proportion de francophones et de néerlandophones fixée par certaines dispositions au cadre d’une administration, et la sévérité de certains examens linguistiques jugée disproportionnée au vu des besoins d’une fonction.

4.1.1. Un État trilingue

423 L’État belge est aujourd’hui trilingue : français, néerlandais et allemand  [480]. Toutefois, le régime d’emploi des langues dans le domaine public combine essentiellement unilinguisme et bilinguisme, plus rarement trilinguisme.

424 Les autres États fédéraux sont loin d’être tous plurilingues. Sur une petite trentaine actuellement, seuls douze connaissent plus d’une langue nationale  [481]. Sans compter d’éventuelles langues reconnues au niveau régional, sept pays en reconnaissent deux au niveau central (le Canada, l’Inde, l’Irak, le Pakistan, les Palaos, la Somalie et le Soudan), trois en reconnaissent trois (la Belgique, la Bosnie-Herzégovine et les Comores), tandis que les deux derniers en reconnaissent respectivement quatre (la Suisse) et onze (l’Afrique du Sud). Peuvent également être ajoutés à cette liste l’Éthiopie (dont la Constitution reconnaît un même statut à la centaine de langues parlées dans le pays, même si elle érige l’amharique au rang de langue de travail du gouvernement fédéral) et le Mexique (où la loi reconnaît comme langues officielles, outre l’espagnol, 68 langues autochtones et la langue des signes mexicaine)  [482]. Enfin, au Brésil, la Constitution érige le portugais en seule langue officielle mais reconnaît aux peuples autochtones le droit d’utiliser leurs langues.

425 Si bon nombre de ces États stipulent explicitement dans leur Constitution quelles sont leurs langues officielles, la Constitution belge ne le fait que de manière indirecte  [483], et seulement depuis 1967, son actuel article 189 posant : « Le texte de la Constitution est établi en français et en néerlandais » (puis, à partir de 1991 : « Le texte de la Constitution est établi en français, en néerlandais et en allemand »)  [484]. Mieux : l’article 30, présent dès 1831  [485] et jamais modifié, dispose : « L’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires judiciaires ». On est donc loin des précisions apportées sur ce point par des Constitutions telles que celles de l’Afrique du Sud  [486], des Comores  [487], de l’Inde  [488], du Pakistan  [489] et de la Suisse  [490].

4.1.2. Une Autorité fédérale essentiellement bilingue

426 Au niveau fédéral belge, le bilinguisme français-néerlandais est de mise, tandis que l’allemand occupe une place subalterne. Ainsi, le règlement de la Chambre des représentants et celui du Sénat ne mentionnent ni l’un ni l’autre la possibilité pour les membres de ces assemblées de s’exprimer ou de recevoir les documents en allemand. Aucune disposition n’assure d’ailleurs la présence à la Chambre d’un député résidant en région de langue allemande au moment de son élection ni, a fortiori, d’un germanophone au sein du gouvernement fédéral. Pour sa part, la présence de l’unique sénateur désigné par le Parlement de la Communauté germanophone n’a pas engendré la création d’un groupe linguistique spécifique (allemand) à côté des deux groupes linguistiques (français et néerlandais) de la haute assemblée  [491]. Quant à l’accès des citoyens à l’administration fédérale, il ne se fait en allemand que de manière plus difficile et limitée qu’en français ou en néerlandais : le nombre d’agents maîtrisant cette langue est réduit et un grand nombre de sources d’information pourtant officielles ne sont pas disponibles en allemand.

427 À cet égard, la Belgique ne fait pas non plus figure de cas isolé. En Suisse, le romanche a un statut différent des trois autres langues, même si le contact entre les autorités fédérales et les personnes parlant cette langue est garanti par la Constitution  [492]. En Afrique du Sud, seules deux des onze langues nationales (à savoir l’anglais et l’afrikaans) sont utilisées par les institutions du niveau de pouvoir central. Aux Comores, les lois ne sont rédigées et promulguées que dans une seule des trois langues nationales, à savoir le français  [493].

428 À cet égard, l’évolution de la Belgique a conduit à un affinement des pratiques en termes de publication des textes officiels. Depuis 1845, le journal officiel national est le Moniteur belge (dénommé Belgisch Staatsblad en néerlandais et Belgisches Staatsblatt en allemand). D’abord unilingue français, il a ensuite comporté la traduction néerlandaise (alors non officielle) des lois et arrêtés royaux à partir de 1888  [494]. Enfin, il est devenu bilingue à la suite de la promulgation de la loi d’égalité de 1898 ; depuis lors, le texte français et le texte néerlandais des actes du pouvoir central font indistinctement foi, ayant tous deux le statut de version authentique. Au Canada, la loi constitutionnelle de 1982 pose une telle égalité entre le français et l’anglais  [495]. Il en va de même en Suisse où, depuis 1848, le français, l’allemand et l’italien sont égaux en droit en vertu de la Constitution. Tel n’est par contre pas le cas en Afrique du Sud, dont la Constitution dispose qu’« en cas d’incompatibilité entre les différents textes de la Constitution, le texte anglais prévaut »  [496].

429 À nouveau, l’allemand a un statut différent par rapport au français et au néerlandais en Belgique. Depuis 1961, il est établi que « les lois sont votées, sanctionnées, promulguées et publiées en langue française et en langue néerlandaise »  [497]. Et depuis 2007 seulement, il est en outre prévu que « le Service central de traduction allemande du Service public fédéral Intérieur assure la traduction des lois en langue allemande. Sur la proposition du Service central (…) et après avis du gouvernement de la Communauté germanophone, le ministre de la Justice arrête tous les trois mois la liste des lois à traduire en langue allemande en fonction de l’intérêt qu’elles présentent pour les habitants de la région de langue allemande et en accordant la priorité aux textes principaux ainsi qu’à l’établissement de coordinations officieuses en langue allemande. (…) La traduction allemande des lois est publiée au Moniteur belge dans un délai raisonnable après leur publication en français et en néerlandais »  [498]. Les normes fédérales (et anciennement nationales) sont donc bien loin d’être toutes disponibles en langue allemande  [499].

430 Les actes de l’Autorité fédérale (lois, arrêtés royaux, etc.) paraissent au Moniteur belge en deux colonnes, l’une française et l’autre néerlandaise (l’ordre de ces colonnes étant permuté chaque année). Seules les révisions d’articles de la Constitution font l’objet d’une publication en trois colonnes, l’allemand s’ajoutant aux deux autres langues. On notera à cet égard que chaque version de la Constitution donne, pour quelques articles clés, la préséance à la langue concernée. Ainsi, l’article 189 susmentionné est libellé comme suit en néerlandais : « De tekst van de Grondwet is in het Nederlands, in het Frans en in het Duits gesteld » ; sa version allemande mentionne : « Der Text der Verfassung ist in Deutsch, in Französisch und in Niederländisch festgelegt »  [500]. Une telle particularité sur le plan de l’usage linguistique ne se retrouve pas dans la Constitution suisse, mais elle peut par contre être observée dans la Loi constitutionnelle canadienne de 1982  [501].

4.1.3. Des Régions et des Communautés unilingues ou bilingues

431 Les trois Communautés, la Région wallonne et la Région flamande s’adressent chacune dans une seule langue aux citoyens (hormis dans les communes à facilités)  [502] ainsi qu’aux institutions pour lesquelles elles sont compétentes  [503]. Il en va de même, en région bruxelloise, des Commissions communautaires française (COCOF) et flamande (VGC). La Région de Bruxelles-Capitale et la Commission communautaire commune (COCOM) sont bilingues – même si l’effectivité de ce bilinguisme soulève régulièrement des questions et des tensions. Remarquons que, bien que son territoire s’étende sur deux régions linguistiques, la Région wallonne n’est nullement bilingue ; dès lors, les possibilités pour les citoyens germanophones de s’adresser dans leur langue à l’administration régionale wallonne sont bien moindres que celles dont bénéficient francophones et néerlandophones en région bruxelloise. De même, si le Parlement et le gouvernement bruxellois ainsi que l’Assemblée réunie et le collège réuni de la COCOM fonctionnent et communiquent dans les deux langues, en revanche, le règlement du Parlement wallon prévoit que l’usage du français est la règle et que celui de l’allemand est facultatif  [504]. Par ailleurs, alors que les institutions bruxelloises garantissent l’élection de députés, de ministres et d’un secrétaire d’État néerlandophones, aucune disposition n’assure la présence au Parlement wallon d’un député résidant en région de langue allemande au moment de son élection ni, a fortiori, d’un germanophone au sein du gouvernement wallon.

432 Malgré l’évolution fédérale du pays, le Moniteur belge est demeuré l’unique journal officiel de l’État belge, en ce compris de ses entités fédérées (à la différence, par exemple, de ce qui prévaut en Australie, au Canada, aux États-Unis et en Suisse, où le journal officiel fédéral ne publie que les normes du niveau de pouvoir fédéral). Outre les arrêtés de leur pouvoir exécutif, les textes législatifs de ces dernières y paraissent, éventuellement assortis d’une traduction dans l’une ou les deux autres langues nationales. Ainsi, les ordonnances bruxelloises sont publiées en français et en néerlandais ; les décrets de la Communauté française sont publiés en français, suivis d’une traduction néerlandaise, tandis que l’inverse s’applique pour les décrets flamands ; les décrets wallons sont publiés en français, suivis de traductions allemande et néerlandaise ; les décrets de la Communauté germanophone sont publiés en allemand, suivis de traductions française et néerlandaise. Les diverses traductions sont officielles mais n’ont pas le statut de version authentique (c’est-à-dire de version faisant autorité)  [505].

433 En Suisse, la Constitution stipule que « les Cantons déterminent leurs langues officielles. Afin de préserver l’harmonie entre les communautés linguistiques, ils veillent à la répartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en considération les minorités linguistiques autochtones. La Confédération et les Cantons encouragent la compréhension et les échanges entre les communautés linguistiques. La Confédération soutient les Cantons plurilingues dans l’exécution de leurs tâches particulières »  [506]. En l’occurrence, trois Cantons sont officiellement bilingues (allemand-français : ceux de Berne, de Fribourg et du Valais) et un seul est trilingue (allemand-italien-romanche : celui des Grisons) ; les autres sont unilingues (allemand, français ou, pour le seul Tessin, italien). Au Canada, seule la Province du Nouveau-Brunswick est bilingue (anglais-français), les autres Provinces étant anglophones ou, dans le cas du Québec, francophone  [507]. En Bosnie-Herzégovine, bien que les langues bosniaque, croate et serbe soient semblables à l’origine, chaque communauté s’est employée de longue date à les faire évoluer de manière divergente  [508]. Tout comme l’État central, l’une des deux entités fédérées est trilingue  [509], à savoir la République serbe (Republika Srpska) ; dans ce dernier cas, le serbe est toutefois prépondérant. La seconde entité fédérée, la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (Federacija Bosne i Hercegovine), est bilingue croate-bosniaque, mais le serbe peut être utilisé en matière pénale. En Afrique du Sud, chaque Province utilise trois ou quatre des onze langues officielles et aucune d’entre elles n’a ce statut dans toutes les Provinces  [510]. En Inde, les États ont entre une et quatre langues officielles (parmi lesquelles ne figure pas nécessairement l’une des deux langues de l’État central – hindi et anglais – ni même l’une des langues reconnues par l’annexe 8 de la Constitution)  [511].

434 On le voit, le régime linguistique des entités fédérées belges peut difficilement être comparé terme à terme à un seul de ces cinq autres États fédéraux : certaines entités fédérées sont unilingues (contrairement à la situation en Afrique du Sud et en Bosnie-Herzégovine), aucune entité fédérée n’emploie plus de deux langues (contrairement à la situation dans ces deux mêmes pays ainsi qu’en Inde et dans les Grisons en Suisse), toutes les entités fédérées ont pour langue(s) officielle(s) une ou plusieurs langues qui sont également des langues nationales (contrairement à la situation de l’Inde), et aucune entité fédérée n’emploie toutes les langues officielles du pays (contrairement à la République serbe en Bosnie-Herzégovine et au Nouveau-Brunswick au Canada).

435 Précisons encore que le fait qu’un État fédéral soit unilingue au niveau de ses institutions centrales n’empêche pas nécessairement ses entités fédérées d’avoir le droit d’être bilingues ou même plurilingues. Ainsi, aux États-Unis, l’État de Hawaï a une seconde langue officielle outre l’anglais (l’hawaïen), et l’Alaska et le Dakota du Sud ont reconnu des langues indigènes. De même, en Russie, les Sujets disposent de la possibilité de se doter d’une ou plusieurs secondes langues officielles (dites langues d’État) outre le russe ; par exemple, le Birobidjan a opté pour le yiddish, la Crimée pour l’ukrainien et le tatar de Crimée, et la Tchétchénie pour le tchétchène.

4.1.4. Neuf provinces unilingues et une province bilingue

436 Depuis la scission de la province de Brabant au 1er janvier 1995, les autorités provinciales belges sont quasiment toutes unilingues  [512]. Seule la province de Liège, dont le territoire s’étend sur deux régions linguistiques, propose ses services en français et partiellement en allemand ; il est cependant à noter que la Communauté germanophone, dont le territoire fait partie intégrante de la province de Liège, souhaite sortir de celle-ci et en récupérer les compétences  [513].

4.1.5. Des communes unilingues, bilingues ou « à facilités linguistiques »

437 En ce qui concerne l’emploi des langues en matière administrative au niveau communal, la Belgique est divisée en quatre régions linguistiques depuis l’adoption des lois du 8 novembre 1962 et du 2 août 1963. Il s’agit là de l’aboutissement d’un cheminement long et conflictuel débuté au XIXe siècle (et marqué en particulier par les lois du 22 mai 1878, du 31 juillet 1921 et du 28 juin 1932). Cette division en régions linguistiques a été inscrite dans la Constitution à l’occasion de la révision du 24 décembre 1970  [514].

438 Trois de ces régions linguistiques sont unilingues : les régions de langue française, de langue néerlandaise et de langue allemande. Seule la quatrième est bilingue (français-néerlandais), ainsi que le précise d’ailleurs dûment son appellation officielle : la région bilingue de Bruxelles-Capitale.

439 Depuis la première réforme institutionnelle, chaque commune belge fait partie d’une de ces quatre régions linguistiques et seule une loi spéciale peut modifier ce rattachement  [515]. Dès lors, une éventuelle modification dépend uniquement du législateur spécial fédéral, composé du Parlement fédéral et du gouvernement fédéral ; les communes n’ont aucune autonomie de décision en la matière. Tel n’est pas le cas dans tous les États fédéraux. Par exemple, en Suisse, les habitants d’une commune ont la possibilité de demander par référendum que celle-ci change de régime linguistique. Ainsi, la sécession de communes francophones du Canton de Berne pour créer le Canton du Jura en 1979 a été décidée par la voie référendaire par la population concernée ; cette décision a toutefois engendré une modification de la Constitution, soumise à une votation de l’ensemble de la population suisse. De même, les habitants de la commune de Moutier ont voté en 2021 leur rattachement au Canton du Jura ; cette décision devra toutefois être validée lors d’une votation populaire dans chacun des deux Cantons  [516].

440 Si, jusque dans les années 1950, la langue pratiquée par la majorité des habitants d’une commune belge avait une incidence directe sur le régime linguistique de cette entité, l’abandon du volet linguistique pour le recensement de 1961  [517] a ipso facto rendu cela impossible. Dans un État démocratique, pareille absence de recensement linguistique peut sembler assez inhabituelle  [518]. Elle est précisément apparue nécessaire pour éviter que les évolutions des usages linguistiques de la population n’aient de nouvelles incidences sur le régime linguistique de certaines communes. Plus largement, elle illustre le caractère particulièrement sensible de ces usages dans les rapports politiques et institutionnels, essentiellement entre francophones et néerlandophones.

441 De nos jours, la situation des communes belges se présente comme suit. Seules les 19 communes bruxelloises sont bilingues (français-néerlandais). Toutes les autres communes du pays sont unilingues (français, néerlandais ou allemand). Toutefois, des régimes particuliers  [519] dits de facilités – que la législation linguistique distingue très clairement d’un régime de bilinguisme – permettent aux habitants de certaines communes de communiquer avec les autorités dans une autre langue nationale. Tel est le cas de 6 communes de la région de langue française (4 en faveur des néerlandophones  [520] et 2 en faveur des germanophones  [521]), des 9 communes de la région de langue allemande (toutes en faveur des francophones)  [522] et de 12 communes de la région de langue néerlandaise (toutes en faveur des francophones)  [523], soit un total de 27.

442 Parmi les dispositifs mis en œuvre pour veiller à assurer les droits linguistiques des habitants du royaume et, en particulier, de ceux des 46 communes bilingues ou à facilités, épinglons-en deux. Ils sont antérieurs à la transformation du pays en un État fédéral, mais ils ont été adaptés (le second plus substantiellement) à la suite de celle-ci.

443 Créée en 1963, la Commission permanente de contrôle linguistique (CPCL) est chargée de la « surveillance générale » de l’application des lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l’emploi des langues en matière administrative  [524]. En lien avec ses compétences, elle agit en remettant des avis à la demande d’un ministre, enquête sur la base des plaintes qu’elle reçoit ou de sa propre initiative, peut introduire des recours en annulation contre certains actes administratifs et contrôle les examens linguistiques organisés par le Bureau de sélection de l’administration fédérale (Selor) et par les communes de la frontière linguistique  [525]. La CPCL est composée d’un même nombre de membres francophones et néerlandophones ainsi que d’un membre germanophone (aujourd’hui nommés chacun par le parlement de leur Communauté). Cette institution s’inscrit essentiellement dans une logique bipolaire : divisée en une section française et une section néerlandaise, elle traite en sections réunies les affaires qui concernent les communes de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, les communes à facilités et le respect des droits linguistiques des minorités. Le membre germanophone n’est consulté que pour les affaires qui concernent les communes de la région de langue allemande ou les communes de Malmedy et Waimes (communes francophones à facilités pour leurs habitants germanophones)  [526]. Les avis remis par la CPCL ne sont pas juridiquement contraignants ; ils « jouissent néanmoins d’une grande autorité morale », car ils contribuent « dans une grande mesure à clarifier la législation linguistique »  [527].

444 Par ailleurs, en 1963 également, a été créée la fonction de « vice-gouverneur de la province de Brabant, commissaire du gouvernement pour la capitale du Royaume », dans le but notamment de « veiller à l’application des lois et règlements relatifs à l’emploi des langues en matière administrative et en matière scolaire [sur le territoire de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale] »  [528]. Depuis le 1er janvier 1995, date de la scission du Brabant (en Brabant wallon et Brabant flamand) et de l’extra-provincialisation des communes de l’arrondissement de Bruxelles-Capitale, un gouverneur adjoint est actif en province de Brabant flamand et un vice-gouverneur en région bruxelloise  [529]. Indépendants des autorités provinciales pour le premier et régionales pour le second, ces fonctionnaires sont désignés, depuis le transfert de diverses compétences aux Régions et Communautés en vertu de la loi spéciale du 13 juillet 2001, par le gouvernement flamand pour le gouverneur adjoint et par le gouvernement bruxellois pour le vice-gouverneur, après avis conforme du gouvernement fédéral. Ils sont chargés de veiller au respect des droits linguistiques en matière administrative et en matière scolaire de la minorité, francophone dans les communes à facilités de la périphérie bruxelloise pour le premier, néerlandophone dans les communes bruxelloises pour le second. En outre, également depuis le début des années 1960, le commissaire d’arrondissement à Mouscron est, en province de Hainaut, l’une des autorités publiques chargées de s’assurer de la bonne application des lois linguistiques coordonnées en 1966 établissant les régimes dits de facilités (pour les communes de Mouscron et de Comines-Warneton, qui composent cet arrondissement) ; il en va de même, en province de Limbourg, du commissaire d’arrondissement adjoint à Tongres (pour la commune de Fourons).

445 Si la Belgique est un pays trilingue, tel n’est donc le cas d’aucune de ses communes : celles-ci sont unilingues dans leur grande majorité, et tout au plus quelques-unes sont bilingues. En cela, le pays ne se distingue pas des autres États fédéraux auxquels il peut être comparé. Ainsi, la quasi-totalité des communes suisses sont unilingues, les villes bilingues (allemand-français) de Bienne et de Fribourg constituant de notables exceptions  [530]. Au Canada, les municipalités bilingues sont plus nombreuses mais elles n’en sont pas moins rares (ainsi, dans la Province de Québec, on en dénombre un peu plus de 80  [531] sur 1 108).

4.1.6. Une capitale bilingue

446 Dans leur grande majorité, les capitales fédérales sont unilingues au niveau de leur administration locale, en ce compris celles qui sont le chef-lieu d’un État fédéral plurilingue. Par exemple, l’administration de la ville de Berne est unilingue allemande  [532].

447 La ville de Bruxelles est l’une des rares capitales d’État fédéral dont l’administration est bilingue. Surtout, il s’agit de la seule dont le statut de bilinguisme est réglé par le niveau de pouvoir central.

448 Au Canada, la municipalité d’Ottawa est bilingue anglais-français. Ce statut lui est imposé, non par une loi fédérale, mais par une loi de la Province de l’Ontario  [533] datant du 15 décembre 2017 ; celle-ci dispose que « le caractère bilingue de la cité est reconnu » et oblige la municipalité d’Ottawa à adopter une politique bilingue (en l’occurrence, par un règlement sur le bilinguisme)  [534]. Cette loi ne s’applique pas à l’ensemble des secteurs publics. Surtout, la Province n’a pas de droit de regard sur la politique adoptée par la municipalité d’Ottawa (en ce compris lorsqu’il s’agit de modifier le règlement sur le bilinguisme dans un sens qui serait moins favorable au français). Mécontents de la place que la municipalité d’Ottawa accorde au français, des francophones essaient actuellement de faire modifier la loi ontarienne de 2017 dans un sens qui permettrait de contraindre davantage la municipalité à être bilingue. En Inde, l’hindi écrit en devanagari est la langue officielle de New Delhi en vertu d’une loi adoptée par l’assemblée législative du Territoire de la Capitale nationale de Delhi le 2 juillet 2003. Mais, en vertu du principe contenu dans la loi fédérale sur les langues officielles, l’anglais peut, comme dans l’ensemble du pays, « continuer d’être utilis[é] à des fins administratives et législatives ». En Bosnie-Herzégovine, la ville de Sarajevo détermine elle-même, à l’instar de toutes les municipalités, son régime linguistique dans le respect de la loi fédérale du 6 mai 2003 sur la protection des droits des minorités nationales. En Afrique du Sud, les trois capitales – administrative pour Pretoria, législative pour Le Cap et judiciaire pour Johannesbourg – sont soumises aux mêmes dispositions nationales que toutes les autres municipalités du pays pour ce qui a trait à l’emploi des langues en matière administrative : chacune d’elles choisit ses langues officielles de manière autonome, en prenant en considération les préférences linguistiques de ses citoyens ainsi que l’exigent la Constitution (en son article 6, § 3) et la loi sur les systèmes municipaux.

449 Bref, le statut officiel de bilinguisme qui s’applique à la ville de Bruxelles n’est comparable à aucun autre  [535].

4.1.7. La répartition des compétences en matière d’emploi des langues

450 La Constitution belge répartit la compétence législative en matière d’emploi des langues entre quatre composantes de l’État : l’Autorité fédérale et les trois Communautés  [536].

451 L’Autorité fédérale est compétente en matière d’emploi des langues dans les institutions fédérales. Elle l’est également, à l’échelle de l’ensemble du territoire national, pour tous les domaines autres que ceux confiés aux trois Communautés ; cela comprend notamment la justice. Quant à elle, une modification du découpage en régions linguistiques ne peut s’opérer que moyennant une révision de la Constitution (s’il s’agit de modifier leur nombre ou leur appellation) ou l’adoption d’une loi spéciale au niveau fédéral  [537] (s’il s’agit de modifier leurs ressorts territoriaux respectifs).

452 Pour ce qui a trait à l’emploi des langues, la Communauté française et la Communauté flamande sont compétentes en ce qui concerne les matières administratives, l’enseignement (dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics) et les relations sociales entre les employeurs et leur personnel. Cette compétence est limitée à la région de langue française pour l’une et à celle de langue néerlandaise pour l’autre. En outre, elle ne s’applique pas aux 18 communes à facilités, qu’elles soient situées le long de la frontière linguistique entre la Wallonie et la Flandre, en périphérie bruxelloise ou en bordure de la région de langue allemande (cf. supra). Pour celles-ci, ainsi que pour les 19 communes de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, c’est le législateur spécial fédéral qui est compétent.

453 Enfin, la Communauté germanophone est compétente en région de langue allemande en matière d’emploi des langues uniquement pour ce qui a trait à l’enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics. Dans tous les autres domaines liés à l’emploi des langues dans cette région linguistique (en ce compris donc les matières administratives et les relations sociales entre les employeurs et leur personnel), c’est l’Autorité fédérale qui est compétente.

454 En d’autres termes, les deux principales Communautés sont en principe compétentes en matière d’emploi des langues pour ce qui ne pose a priori guère de problème, tandis que les questions plus sensibles relèvent du législateur spécial fédéral, dans une perspective bipolaire de conciliation des intérêts francophones et néerlandophones. L’emploi des langues en Communauté germanophone est quant à lui, et sauf exception, réglé par une loi ordinaire.

455 Pour leur part, les Régions n’ont pas de compétences en matière d’emploi des langues. Il en va de même de la COCOM et de la COCOF.

456 Cependant, à plusieurs reprises, la Flandre a mené, dans le cadre de l’exercice de ses compétences régionales, des politiques tentant d’influer d’une façon plus ou moins directe sur les pratiques ayant cours sur son territoire en matière d’emploi des langues. Ainsi, le 6 décembre 2006, le Parlement flamand a adopté un décret relatif au Code flamand du logement (Vlaamse Wooncode)  [538], conditionnant la conservation ou l’obtention d’un logement social à la volonté du locataire ou du candidat locataire d’apprendre le néerlandais. L’objectif affiché par la Flandre était d’améliorer les relations de voisinage et les contacts avec les sociétés de logement  [539]. Aux yeux des francophones cependant, il s’agissait là d’une manœuvre linguistique dirigée contre eux. In fine, saisie notamment par le gouvernement de la Communauté française (soutenu dans cette action par le gouvernement wallon), la Cour constitutionnelle a annulé l’obligation « d’avoir la volonté d’apprendre le néerlandais » et les sanctions qui s’y attachaient s’agissant des (candidats) locataires de logements sociaux situés dans les communes à facilités (cf. Chapitre 5).

457 Surtout, à la fin des années 1990, le gouvernement flamand a explicitement agi dans le domaine de l’emploi des langues au titre des compétences régionales qu’il exerce en région de langue néerlandaise. En effet, il a estimé que la Région flamande avait le pouvoir, en qualité d’autorité investie de la tutelle ordinaire (et en l’absence d’une tutelle spécifique mise en place par l’Autorité fédérale), d’interpréter les lois fédérales et, le cas échéant, de sanctionner les actes des pouvoirs locaux contraires aux lois fédérales. Plus précisément, il a considéré qu’il était compétent pour régler les modalités pratiques d’application des régimes de « facilités linguistiques » légalement institués dans les 12 communes flamandes concernées et pour sanctionner les autorités communales qui ne se conformeraient pas à ses instructions en la matière.

458 En l’occurrence, entre 1997 et 2010, le gouvernement flamand a adopté plusieurs circulaires ministérielles qui ont fait couler beaucoup d’encre et ont provoqué de nombreux recours devant les juridictions. Ces circulaires ont pour effet de limiter l’usage du français dans les communes à facilités situées en région de langue néerlandaise. Deux visions s’opposent à cet égard. Tandis que les francophones considèrent que les régimes linguistiques spéciaux mis en place en 1962-1963 (lors de la fixation du tracé de la frontière linguistique, des limites de l’agglomération bruxelloise et du statut de la périphérie  [540]) sont censés être pérennes, de nombreux responsables politiques flamands estiment que ces « facilités » étaient destinées à favoriser l’intégration des francophones établis en Flandre au moment de leur introduction et sont donc appelées à « s’éteindre ». Dès 1998, diverses actions ont été intentées devant des juridictions belges (dont le Conseil d’État) dans le but de faire annuler les circulaires ministérielles flamandes restreignant la possibilité de faire usage du français dans les communes à facilités. Ces initiatives ont émané tant d’institutions publiques (la Communauté française, la Région wallonne et les six communes de la périphérie bruxelloise) que de particuliers et, surtout, de personnes qui étaient proposées par les conseils communaux de Kraainem, Linkebeek et Wezembeek-Oppem pour devenir bourgmestre mais que le gouvernement flamand refusait de nommer à ce poste pour cause de non-respect de ses circulaires lors des opérations électorales.

459 Dans son arrêt du 20 juin 2014, la section du contentieux administratif du Conseil d’État, réunie en assemblée générale, s’est prononcée dans le cadre de ce dossier épineux. En l’occurrence, la haute juridiction a opté pour une voie médiane, située entre la thèse francophone et la thèse flamande : les habitants francophones des six communes périphériques ont le droit de voir leurs affaires être traitées systématiquement dans leur langue par les services publics communaux, mais ils doivent pour cela en introduire régulièrement la demande (à savoir tous les quatre ans). En outre, à l’appui de la position francophone, le Conseil d’État n’a pas fixé de limite dans le temps au système des facilités linguistiques, ce qui revient donc à souligner le caractère définitif et non transitoire de celui-ci. Mais dans le même mouvement, en soutien du point de vue flamand, il a reconnu que les droits linguistiques de la minorité francophone des communes périphériques ne sont que des dérogations à l’unilinguisme (et non des droits individuels) et a avalisé le droit d’une entité fédérée à revoir dans un sens restrictif l’interprétation qui avait toujours eu cours précédemment d’une loi fédérale  [541].

460 Cet arrêt du Conseil d’État est intervenu dans un dossier particulier. À la suite de la régionalisation, au début des années 2000, des compétences liées aux pouvoirs locaux (provinces et communes, essentiellement) dans le cadre de la cinquième réforme de l’État, un contentieux spécifique est apparu dans certaines des communes à facilités de la périphérie bruxelloise. Plusieurs élus se sont vu refuser une nomination au poste de bourgmestre par le gouvernement flamand, devenu compétent pour ce faire, au motif qu’ils n’observaient pas ses circulaires linguistiques ; ceux-ci contestaient en effet la légalité de ces textes et n’entendaient dès lors pas s’y conformer, en particulier au moment d’envoyer les convocations électorales à leurs administrés. La sixième réforme de l’État a prévu une procédure visant à mettre fin à ce conflit, à savoir que c’est à l’assemblée générale de la section du contentieux administratif du Conseil d’État qu’est revenue la charge de concevoir un système visant à pacifier la question de la « non-nomination des bourgmestres »  [542].

461 Enfin, les provinces et les communes ne sont nullement compétentes en matière d’emploi des langues. En Flandre cependant (et spécialement dans le Brabant flamand), certaines d’entre elles tentent d’inciter leur population à n’user que du néerlandais dans leur vie sociale (par exemple, via un affichage unilingue dans les commerces et les clubs sportifs privés).

462 On le voit, si le conflit linguistique a été l’un des principaux moteurs de la transformation de la Belgique en un État fédéral, cette même transformation n’a pas complètement permis l’apaisement de ces tensions, qui contribuent à conférer au fédéralisme belge son caractère instable. À cet égard, la situation belge est parfois comparée à celle du Canada, en ce sens que le combat autonomiste voire indépendantiste mené au Québec est notamment motivé par le sentiment de domination des francophones dans un univers majoritairement anglophone et que « l’enjeu linguistique [y] suscite toujours des inquiétudes quant à la précarité du français comme langue publique »  [543]. Le parallèle a toutefois ses limites puisque, d’une part, le Mouvement flamand s’est précisément érigé contre le français, perçu comme langue de domination, et que, d’autre part, les Flamands ne constituent pas une minorité mais bien la majorité de la population de la Belgique, à la différence des Québécois au Canada. Relevons qu’en Suisse, par contre, la question linguistique n’est pas source de tensions particulières.

4.2. Les transformations socio-économiques

463 Si les questions linguistiques et, plus largement, la volonté d’autonomie culturelle ont constitué le moteur du Mouvement flamand et la raison d’être des Communautés, les Régions sont plutôt le fruit des revendications à caractère économique du Mouvement wallon. Les rapports de force économiques au sein du pays ont cependant connu de profondes transformations et ils ont également servi, de manière croissante, de substrat aux revendications flamandes, notamment en matière de répartition des moyens entre les composantes de l’État et en matière de sécurité sociale.

4.2.1. Les rapports de force régionaux

464 Au XIXe siècle, la Belgique est le premier pays du continent, après la Grande-Bretagne, à s’engager dans la révolution industrielle. Outre que la richesse est répartie de manière socialement très inégale  [544], l’industrialisation fait l’objet d’une distribution géographiquement contrastée : tandis qu’elle marque une partie importante de la Wallonie le long du sillon Haine-Sambre-Meuse-Vesdre, elle est davantage cantonnée en Flandre à des poches telles qu’Alost, Anvers, Courtrai et Gand, ainsi qu’à Bruxelles et à certains de ses faubourgs. Jusque dans les années 1930, de nombreux paysans fuient la misère des campagnes flamandes en s’exilant en Wallonie  [545], en France ou au-delà. Si la Wallonie est marquée par l’importance de la présence et de la concentration ouvrières, de nombreuses organisations ouvrières (coopératives, mutualités et syndicats) de différentes tendances (socialiste, catholique et libérale) puisent néanmoins leurs racines à Gand. Outre son caractère industriel, Bruxelles revêt le statut de centre financier du pays, à partir duquel de nombreux holdings investissent dans les industries lourdes en plein essor.

465 L’industrialisation de la Flandre se renforce significativement durant l’entre-deux-guerres et s’accompagne du développement d’un secteur financier local. Une élite économique proprement flamande se structure, dont les composantes variées défendent toutefois des intérêts divergents et présentent un rapport variable à l’État belge  [546]. Si cette région compte à peu près autant d’ouvriers que la Wallonie en 1937, elle reste toutefois plus agraire. Elle est aussi davantage touchée par le chômage : en 1946, 82,6 % des chômeurs vivent en Flandre, principalement dans les provinces d’Anvers, de Flandre occidentale et de Flandre orientale ; en 1954, tel est encore le cas à hauteur de 71,6 %  [547] – le taux régional de chômage est alors de 13,2 % en Flandre, tandis qu’il dépasse à peine 5 % dans les deux autres régions.

466 Après-guerre, « les équilibres économiques interrégionaux, longtemps favorables à la Wallonie, s’inversent (…) en faveur de la Flandre. La crise charbonnière, touchant un bassin wallon après l’autre, et la contagion de cette crise atteignant d’autres secteurs (…) sont de premiers révélateurs du vieillissement des structures industrielles de la Wallonie. Simultanément, la Flandre voit ses handicaps se transformer en atouts : alors qu’elle avait été un réservoir de recrutement d’ouvriers peu qualifiés disposés à émigrer en Wallonie ou à faire de longs déplacements quotidiens, ce qui était chômage structurel dans un contexte de sous-développement, notamment dans de petites entreprises agricoles non rentables, devient main-d’œuvre disponible dans un contexte d’industrialisation dans des secteurs nouveaux »  [548], portés notamment par des investissements étrangers, singulièrement américains  [549], en forte hausse, par l’ouverture du Marché commun européen, ainsi que par des facteurs intérieurs. Assemblage automobile, pétrochimie, sidérurgie et autres industries bénéficiant de la position maritime de la région s’implantent durablement en Flandre.

467 Au moment même où le Mouvement wallon milite en faveur d’une autonomie régionale afin que la Wallonie puisse prendre son sort économique et industriel en main, les rapports entre régions s’inversent : « En 1958, la Wallonie est encore la première région industrielle du pays. En 1961, les conditions sont désormais réunies pour permettre à la Flandre de la supplanter »  [550]. Quand sont créées les institutions de la Région wallonne, une vingtaine d’années plus tard, l’écart entre les deux grandes régions du pays s’est sensiblement creusé, en raison notamment de la fermeture des charbonnages (le dernier puits wallon ferme en 1984, le dernier flamand en 1992) ainsi que de la crise de la sidérurgie wallonne et d’autres industries lourdes. Alors que le taux régional de chômage s’élevait à 3,7 % en Wallonie, à 2,8 % en Flandre et à 1,7 % en région bruxelloise en 1966, ces proportions sont respectivement de 14,4 %, 11,7 % et 11,8 % en 1980 ; elles sont de 19,3 %, 10,2 % et 17,2 % en 1989, quand naissent les institutions de la Région de Bruxelles-Capitale. Intervenant dans un contexte très différent et beaucoup moins porteur que celui rencontré par la Flandre dans les années 1950 et 1960, le chômage qui touche la Wallonie et la région bruxelloise devient structurel.

468 La région bruxelloise figure, aujourd’hui encore, parmi les régions les plus riches d’Europe : en 2017, son produit intérieur brut (PIB) par habitant la positionnait en cinquième position du classement réalisé par Eurostat à l’échelle des 28 pays alors membres de l’Union européenne (UE). Tandis que le PIB par habitant de la Belgique était de 116 (contre une moyenne de 100 pour l’UE), il était de 196 pour la région bruxelloise, de 120 pour la Flandre et de 84 pour la Wallonie  [551] ; tandis que quatre des cinq provinces flamandes se situaient au-dessus de la moyenne européenne (seul le Limbourg étant à 96), le Brabant wallon (131) était la seule province wallonne dans ce cas (le Luxembourg affichant le niveau le plus faible : 73).

469 Les chiffres de l’économie bruxelloise sont toutefois influencés par la présence du siège de nombreuses sociétés dans cette région et ne reflètent qu’imparfaitement l’activité économique locale. De plus, outre que le PIB est un indicateur de production et non, à proprement parler, de richesse, le flux important de navetteurs résidant dans les deux autres régions biaise les conclusions que l’on pourrait tirer de ces chiffres quant à la prospérité de la population bruxelloise. Les données relatives aux ménages renvoient en effet une image différente, attestant d’une paupérisation moyenne croissante de cette population. Alors qu’en 1989, le produit de l’impôt des personnes physiques (IPP) par habitant en région bruxelloise était supérieur de 13,75 % à la moyenne nationale, il n’a cessé de décrocher par rapport à cette moyenne, devenant inférieur à celle-ci en 1997 (– 0,22 %) et tombant à – 22,63 % en 2018  [552]. Sur la même période, l’écart entre le produit de l’IPP collecté en Wallonie et la moyenne nationale a oscillé entre – 8,46 % en 1989 et – 14,92 % en 2006 ; il s’établissait à – 12,55 % en 2018. Alors que la Flandre dépassait la moyenne nationale de seulement 2,42 % en 1989, elle est devenue en 1997 la seule des trois régions à se situer au-dessus de cette moyenne (6,28 %) et l’écart n’a cessé de se creuser, culminant à 11,47 % en 2017  [553].

470 Ces transformations profondes des rapports de force économiques internes ont pesé à différentes époques sur les relations institutionnelles. Dès les années 1970, quelques secteurs industriels majeurs de l’économie du pays et de ses deux régions principales reçoivent une attention spécifique : la sidérurgie, la construction et la réparation navales, et le textile. Il est alors entendu que ces « secteurs nationaux » devront faire l’objet d’un « traitement analogue et parallèle »  [554]. Les charbonnages et l’industrie du verre creux d’emballage rejoignent cette liste peu après. Vu la répartition géographique des entreprises concernées et l’importance des investissements publics requis pour les restructurer, la question de ces secteurs devient un sujet de tension, retardant la répartition d’aides publiques et différant « des décisions dont l’urgence était seule à faire l’unanimité. Le problème avait en effet pris ce qu’il est devenu courant en Belgique d’appeler une “dimension communautaire”, les divergences entre Flamands et francophones apparaissant plus d’une fois comme insurmontables »  [555]. À la logique de solidarité nationale qui sous-tend certaines positions (essentiellement francophones), s’oppose le raisonnement « Plus un franc flamand pour l’acier wallon » largement partagé en Flandre  [556]. Aussi, un compromis est négocié en juillet 1983 au sein du gouvernement Martens V (ou premier gouvernement Martens-Gol, social-chrétien/libéral), « globalisant le problème du financement des secteurs nationaux (au premier rang desquels la sidérurgie wallonne) et le problème des soldes et charges du passé des Communautés et des Régions (au premier rang desquelles la Communauté flamande, qui présente le déficit le plus important et où le secteur du logement social doit être assaini) »  [557]. La régionalisation des « secteurs nationaux », réclamée ou envisagée par plusieurs acteurs socio-politiques wallons et flamands de premier plan depuis le début des années 1980  [558], intervient finalement en 1988. Davantage qu’un partage équilibré entre Wallons et Flamands ou une remise à zéro des compteurs, cette régionalisation s’avère constituer une opération lourde pour les finances publiques wallonnes  [559] : « Ceci montre, il importe de le noter, combien les concepts de “secteur national” et de “solidarité nationale” conservent une ambiguïté fondamentale. Il apparaît en effet que la désignation des secteurs nationaux reposait moins sur des critères objectifs que sur la volonté d’établir un équilibre des bénéfices retirés par la Flandre et la Wallonie du maintien d’un financement national. La “solidarité nationale” ne vaut donc qu’à l’intérieur d’un secteur industriel précis : elle n’a guère de signification pour l’ensemble des secteurs »  [560]. À ce propos, un membre de la Chambre des représentants remarque en 1980 : « Lorsque s’est posé le problème du financement de la sidérurgie, la négociation a immédiatement été orientée dans le sens suivant : il n’est tout de même pas pensable que l’on envisage le financement sans compensation pour la Flandre (…). Il faut que l’on introduise dans le secteur national les chantiers navals et le textile. Ceci prouve que c’est la théorie du juste retour qui dès ce moment l’emportait sur celle de la solidarité »  [561].

471 Plus largement, il est devenu fréquent que les investissements consentis par l’Autorité fédérale (dans le rail, dans des équipements collectifs tels que des prisons et des casernes, etc.) soient répartis en fonction d’équilibres régionaux, parfois âprement négociés, et non en fonction des besoins identifiés. D’autant que prévaut, dans une partie de l’opinion publique flamande, l’idée que le développement économique de la Flandre est retardé par les faibles performances – voire par la mauvaise volonté et la piètre gestion – des deux autres régions, et que celles-ci vivent « aux crochets » de la première et de ses habitants. Tandis que, du côté francophone, domine parfois l’impression que la Flandre et son personnel politique font preuve d’égoïsme et cherchent à limiter autant que possible la solidarité à l’intérieur de l’État belge tout en attirant à eux les principaux investissements.

472 Il n’est pas rare que des considérations économiques et des différences de niveau de vie ou de développement internes marquent un État fédéral et attisent certaines tensions au sein de celui-ci. Cependant, les équilibres entre les entités fédérées sont généralement complexes et les flux économiques intérieurs multiples.

473 Ainsi, en Suisse, les différences socio-économiques ne paraissent pas obéir à une logique « linguistique » : parmi les quatre Cantons contribuant le plus au PIB national, figurent deux alémaniques (ceux de Zürich et de Berne) et deux romands (ceux de Vaud et de Genève), tandis que le Canton italophone du Tessin ne figure pas parmi les moins prospères du pays  [562].

474 Aux États-Unis, la répartition des États en fonction de leur PIB par habitant place dans le haut du classement des États aussi éloignés les uns des autres que la Californie, l’État de Washington et même l’Alaska, sur la côte ouest, et ceux de New York, du Connecticut et du Massachusetts, sur la côte est  [563].

475 En Allemagne, les cinq Länder formant le territoire de l’ancienne République démocratique d’Allemagne (RDA)  [564] voient certes toujours, trente ans après la réunification avec la République fédérale d’Allemagne (RFA), leur PIB par habitant être inférieur à celui des onze autres Länder [565] : en 2019, celui-ci était de 31 453 euros en Saxe (12e Land à cet égard) et de 28 880 euros en Saxe-Anhalt (16e et dernier Land), pour une moyenne nationale de quelque 41 500 euros. Cependant, l’inégale prospérité entre l’Est et l’Ouest était une donnée de départ de la réunification opérée en 1990, acceptée comme telle par la majeure partie du monde politique, et non le produit d’une évolution inattendue ou difficile à assumer politiquement. En outre, des écarts significatifs existent également entre Länder de l’ancienne Allemagne de l’Ouest : si le PIB par habitant s’y élevait en 2019 à 66 878 euros dans le Land de Hambourg, il était de 33 712 euros dans celui du Schleswig-Holstein, deux Länder pourtant voisins.

476 Au Canada, enfin, la Province où s’expriment le plus les velléités indépendantistes n’est pas la plus prospère puisque le Québec est passé entre 1950 et 2016 du cinquième au septième rang (sur dix Provinces) en termes de PIB par habitant (cet indicateur y étant inférieur à la moyenne nationale en début comme en fin de période)  [566].

477 En matière socio-économique comme dans d’autres domaines, la singularité du cas belge est que la perception bipolaire qui domine a pour effet de renforcer le sentiment d’un affrontement entre, de nos jours, un bloc francophone désargenté et une Flandre prospère. Cette conception élude très largement les différences et inégalités intrarégionales (entre provinces ou entre communes, sans même parler de celles entre ménages), pourtant bien réelles tant d’un côté que de l’autre. Par ailleurs, elle renforce l’idée d’une relation à deux là où de nombreux flux internes plus complexes pourraient être observés, à l’instar de ce qui prévaut dans d’autres États.

478 L’évolution qui vient d’être esquissée à grands traits a eu des retombées sur la dynamique même du fédéralisme belge et des revendications qui ont conduit à son évolution. Si la création de Communautés et de Régions répondait à des logiques différentes du Mouvement flamand et du Mouvement wallon – l’une culturelle, l’autre économique – mais articulées comme complémentaires, ces dernières années ont davantage fait apparaître que les forces réclamant plus d’autonomie pour la Flandre combinaient ces deux logiques, tandis que les francophones apparaissaient soit comme « demandeurs de rien », soit comme quémandeurs du refinancement de la Communauté française (lors de la cinquième réforme de l’État) ou de la Région de Bruxelles-Capitale (lors de la sixième réforme). En soi, l’allocation des ressources budgétaires au sein de l’État belge est d’ailleurs devenue un enjeu majeur.

4.2.2. La répartition des moyens

479 La transformation de la Belgique en un État fédéral a rendu nécessaire la définition de principes budgétaires et la détermination de clés de répartition des moyens financiers entre le niveau central et celui des entités fédérées, ainsi qu’entre ces dernières  [567]. Les mécanismes élaborés et revus au fil du temps et des réformes institutionnelles ont toujours fait l’objet d’âpres négociations, présentant ici encore un caractère essentiellement bipolaire opposant francophones et néerlandophones. L’impression laissée au fil des réformes est celle de négociations avant tout communautaires davantage que déterminées par un clivage gauche-droite. L’évolution économique qui vient d’être rappelée a en outre eu des répercussions directes sur la répartition des masses budgétaires entre composantes de l’État belge. Enfin, le système de financement actuel est le produit de plusieurs modifications. Celles-ci ont été rendues nécessaires par les transformations de la structure institutionnelle elle-même et par les modifications de la répartition des compétences au fil des six réformes institutionnelles, tout en provoquant parfois à leur tour de telles évolutions. Elles ont de surcroît été façonnées par les revendications et rapports de force politiques, eux aussi en mutation.

480 Après la première réforme institutionnelle, en 1970, un système de dotations à charge du budget global de l’État est mis en place en faveur des Communautés culturelles puis des Régions ; seules les premières disposent alors d’un organe législatif à même de décider de l’affectation de leurs moyens, le Parlement (national) reste maître de la décision pour les secondes. À partir des années 1970, le gouvernement (national) prend l’habitude d’utiliser des critères pour répartir les moyens, dont celui des « trois tiers » en ce qui concerne les Régions, alliant les facteurs suivants : population (plutôt favorable à la Flandre), superficie (plutôt favorable à la Wallonie) et rendement de l’impôt des personnes physiques (IPP, alors plutôt favorable à la région bruxelloise). Le choix de recourir à des dotations et non à une fiscalité régionale et communautaire propre est principalement dû à deux facteurs  [568]. D’une part, seules les Communautés culturelles disposent d’un organe législatif propre, et ni elles ni les Régions n’ont encore d’organe exécutif. D’autre part, les Communautés culturelles française et néerlandaise étant toutes deux compétentes en région bruxelloise et des sous-nationalités ne pouvant pas être imposées dans la région bilingue, il est difficilement concevable pour ces deux entités de lever un impôt ; aujourd’hui encore, les deux principales Communautés du pays sont toujours confrontées à cet écueil  [569].

481 Au début de la décennie suivante, la mise en place des Régions wallonne et flamande nécessite d’aménager le dispositif, ce que fait principalement la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles. Une asymétrie de taille est à souligner : les compétences de la Région flamande sont exercées par les organes de la Communauté flamande et leur budget est commun, tandis que Région wallonne et Communauté française connaissent une réalité budgétaire distincte et dont le cours évoluera différemment. L’essentiel des recettes communautaires et régionales reste constitué de dotations et, pour les secondes, la règle des trois tiers est inscrite dans la loi. Giuseppe Pagano souligne qu’à cette époque, l’inclusion d’un critère d’ordre fiscal (le rendement de l’IPP) « ne reflète pas, a priori, la volonté de responsabiliser les Régions, mais plutôt celle de fournir à chacune d’entre elles des moyens d’action suffisants. (…) Le critère fiscal relève davantage de la solidarité que de la responsabilité, même s’il introduit implicitement un élément non négligeable de responsabilité puisqu’il représente, mathématiquement, un tiers du total »  [570]. À côté des dotations, les Communautés et Régions reçoivent pour la première fois des moyens d’un type différent. En particulier, la ristourne aux Régions et aux Communautés d’impôts prélevés par l’État central ainsi que l’introduction d’une fiscalité propre aux Communautés et aux Régions (à laquelle il n’est alors quasiment pas recouru) rompent avec le principe de solidarité, même si l’autonomie financière reste limitée.

482 Au cours des années suivantes, la question de la régionalisation des secteurs nationaux, lourdement affectés par la crise économique (cf. supra), et les réformes du financement des Régions que celle-ci engendre entre 1984  [571] et 1987 font « sentir le besoin de couler les mécanismes de financement régional et communautaire dans une loi à majorité spéciale »  [572]. À la fin de la même décennie, interviennent la création des institutions bruxelloises et un accroissement sans précédent des compétences des Régions et des Communautés, ces dernières devenant en particulier compétentes en matière d’enseignement. Les règles de financement des Communautés et Régions sont alors fixées dans la loi spéciale du 16 janvier 1989  [573] ; les mécanismes ainsi institués placent environ un tiers des budgets publics sous l’autorité des entités fédérées  [574].

483 À la différence des réformes précédentes, la troisième réforme institutionnelle met les Régions et plus encore les Communautés à contribution pour réduire l’endettement public, devenu entre-temps un problème politique central  [575]. De plus, le monde politique flamand souhaite responsabiliser les Régions en faisant dépendre davantage les recettes régionales du rendement de l’IPP, mais ce souhait nuit essentiellement à la Wallonie. Il est par conséquent décidé de remplacer les dotations régionales par une ristourne partielle de l’IPP aux Régions. Cependant, les pertes qu’un tel système engendrerait pour la Région wallonne sont compensées par une transition d’une décennie et par la mise en place d’un mécanisme de solidarité nationale (cf. infra). La Région de Bruxelles-Capitale reçoit pour sa part deux dotations complémentaires, justifiées par des spécificités qui réduisent certains de ses moyens et pèsent sur ses dépenses : le fait qu’elle abrite la capitale de la Belgique et le manque à gagner lié à la présence de nombreux bâtiments publics exonérés de précompte immobilier (la mainmorte).

484 Les moyens alloués aux Communautés sont également réformés. Pour différentes raisons  [576], la négociation débouche sur la mise au point de nouveaux mécanismes qui s’avèrent rapidement défavorables à la Communauté française et qui, conjugués à l’impossibilité de mettre en œuvre le pouvoir fiscal des Communautés flamande et française  [577], empêchent cette dernière de maintenir simplement ses politiques sans procéder à des restrictions budgétaires. Un très long mouvement de grève des enseignants francophones mené en front commun syndical réclame dès 1990-1991 la révision de la loi spéciale de financement du 16 janvier 1989. Des réductions d’emploi sont opérées au cours des années suivantes. Pareille politique ne suffit toutefois pas à redresser les finances de la Communauté française. Celles de la Communauté flamande ne souffrent pas de la même manière, l’apport des moyens régionaux au budget commun, notamment, venant tempérer l’impact des facteurs qui provoquent la disette francophone.

485 Jusqu’alors, les évolutions du financement des composantes de l’État ont été provoquées par les réformes institutionnelles. En 1992-1993, l’inverse s’opère : le financement devient le mobile d’une partie majeure d’une réforme de la structure institutionnelle. La décision concernant celle-ci s’opère principalement en deux temps. L’Accord de la Saint-Michel, conclu le 28 septembre 1992 entre partis sociaux-chrétiens et socialistes francophones et flamands puis élargi aux deux partis écologistes et à la Volksunie (VU), ouvre la voie à une modification de la Constitution  [578] qui autorise la Communauté française à transférer l’exercice de certaines compétences, d’une part à la Région wallonne, pour le territoire de la région de langue française, et d’autre part à la Commission communautaire française (COCOF), pour les institutions francophones actives en région bruxelloise. Le 31 octobre de la même année, l’Accord de la Saint-Quentin, conclu entre les partis francophones socialiste, social-chrétien et écologiste, établit la liste des compétences qui feront, à partir de 1994 de manière effective, l’objet de ce transfert  [579]. Des décrets identiques (mais requérant la majorité des deux tiers au Conseil de la Communauté française) sont ensuite approuvés par les trois assemblées concernées. Si l’opération réjouit les tenants wallons d’une régionalisation accrue et transforme ipso facto la COCOF en entité fédérée, elle permet surtout, en ne transférant à cette dernière et à la Région wallonne qu’une partie seulement des moyens financiers attachés à ces compétences, de soulager quelque peu le budget de la Communauté française, et ce en limitant la nécessité d’obtenir pour ce faire le consentement des partis flamands  [580]. L’Accord de la Saint-Michel prévoit en outre d’améliorer quelque peu le financement des Communautés, opération dont les francophones ont particulièrement besoin, et des Régions par divers moyens (dont la liaison du montant de l’IPP rétrocédé aux Communautés à l’évolution du produit national brut). En échange, est satisfaite dans une certaine mesure la demande, principalement flamande, de défédéraliser de nouvelles compétences ; ce transfert intervient en particulier en faveur des Régions  [581].

486 Au fil des ans, le monde politique flamand revendique de nouvelles avancées institutionnelles, qui débordent largement le cadre tracé en 1993. Le 3 mars 1999, le Parlement flamand adopte à une large majorité cinq résolutions définissant les grandes orientations d’une nouvelle réforme de l’État  [582]. Y sont préconisés des changements profonds en matière d’architecture institutionnelle d’ensemble, de répartition des compétences entre composantes de l’État et de mode de financement des entités fédérées. Du côté francophone, de nouvelles réformes de l’enseignement et des suppressions de postes supplémentaires provoquent à nouveau d’importants mouvements de grève au milieu des années 1990, cette fois du côté tant des enseignants que des étudiants  [583]. Le monde politique francophone ressent l’impérieuse nécessité d’obtenir une modification des règles fédérales relatives au financement des Communautés et des Régions afin de préserver la Communauté française du risque de faillite que ferait peser sur elle l’absence de nouveaux moyens.

487 Le 1er décembre 1999, l’accord conclu au sein du Comité de concertation le jour de la Saint-Éloi assure un certain refinancement des Communautés, tout en ouvrant la voie à un allègement de l’impôt régional tel que le souhaitaient les partis flamands  [584]. Les Accords du Lambermont, conclus les 16 octobre 2000 (jour de la Sainte-Thérèse) et 23 janvier 2001 (jour de la Saint-Polycarpe) et complétés par l’Accord de la Saint-Boniface du 5 juin 2001  [585], sont mis en œuvre par les lois spéciales du 13 juillet 2001 portant, l’une, « transfert de diverses compétences aux Régions et Communautés » et, l’autre, « refinancement des Communautés et extension des compétences fiscales des Régions »  [586]. Les demandes francophones de refinancement des Communautés (qui vont en fait bénéficier davantage à la Communauté flamande « en dissociant les crédits alloués des besoins réels »  [587]) et la volonté de la Flandre de pouvoir consacrer ses surplus budgétaires à la réduction de la fiscalité de ses concitoyens sont donc une fois de plus couplées au transfert de nouvelles compétences au profit des Régions et des Communautés, parmi lesquelles figure une large régionalisation de la loi communale et de la loi provinciale. La cinquième réforme institutionnelle prévoit également le renforcement de mécanismes de protection de la minorité néerlandophone en région bruxelloise  [588].

488 Parallèlement à l’état de la Communauté française, un autre élément important du financement des entités fédérées devient source de tensions et moteur de réforme institutionnelle. La troisième réforme de l’État a mis en place un mécanisme de solidarité nationale afin de soutenir la Région wallonne, qui est la Région la plus touchée par la crise des industries lourdes, par la paupérisation de sa population et par les conséquences fiscales de ces phénomènes. Ce mécanisme prévoit le versement par l’autorité centrale d’une allocation à la ou aux Régions dont le produit de l’IPP par habitant est inférieur à la moyenne nationale. Initialement, seule la Région wallonne est concernée. Mais la Région de Bruxelles-Capitale voit sa population s’appauvrir année après année (cf. supra). Jusqu’en 1996, elle subit une baisse de ses moyens financiers sans avoir accès au mécanisme de solidarité nationale, le rendement de l’IPP y demeurant supérieur à la moyenne nationale. À partir de 1997, cette situation budgétairement difficile est quelque peu atténuée par le bénéfice de ce mécanisme dont, désormais, seule la Région flamande est privée  [589]. Cette situation, couplée à la suspicion de constituer un incitant à ne pas mener une politique susceptible d’améliorer la situation économique régionale  [590], alimente les critiques de certains partis politiques flamands, qu’illustre tout particulièrement l’opération de communication menée le 6 janvier 2005 par la jeune N-VA acheminant douze camions remplis de faux billets au pied de l’ascenseur à bateaux de Strépy-Thieu pour figurer les transferts supposés de la Flandre vers la Wallonie  [591]. Contestant vouloir supprimer les mécanismes de solidarité, la N-VA réclame une plus grande responsabilisation des Régions. D’autres partis flamands la rejoignent dans cette revendication. Au scrutin fédéral anticipé du 13 juin 2010, la N-VA devient le premier parti de Flandre et du pays. Face à un front uni des partis flamands qui réclament une nouvelle réforme de l’État, les partis francophones, jusqu’alors « demandeurs de rien », doivent accepter de procéder à une sixième réforme institutionnelle. Leur principale revendication devient le refinancement de la Région de Bruxelles-Capitale. L’accord institutionnel présenté à la presse le 11 octobre 2011 après des mois de négociation est conclu par les partis francophones et flamands socialistes, libéraux, de tradition sociale-chrétienne et écologistes. La N-VA a quitté les négociations trois mois plus tôt et critiquera vivement l’accord, jugeant notamment qu’il appauvrit la Flandre ; le Vlaams Belang fait de même  [592]. La réforme de la loi de financement des Communautés et des Régions est promulguée le 6 janvier 2014  [593]. Par ailleurs, les transferts de compétences opérés sont particulièrement importants, faisant dire aux négociateurs que la sixième réforme de l’État opère un « déplacement du centre de gravité » de l’Autorité fédérale vers les entités fédérées, ces dernières étant dorénavant réputées disposer de moyens financiers cumulés supérieurs à ceux de la première. Il est à noter que, pour la première fois, ce processus affecte la sécurité sociale (cf. infra).

489 Les mécanismes de financement modifiés alors, et toujours en vigueur aujourd’hui, présentent les caractéristiques suivantes. Les moyens propres des entités fédérées augmentent de plus de 40 %, le nouveau transfert de compétences représentant quelque 20,5 milliards d’euros au 1er janvier 2015  [594]. L’autonomie fiscale des Régions se trouve significativement accrue. Leur dotation basée sur l’IPP est remplacée par un système de centimes additionnels à l’IPP  [595], que chaque Région peut faire varier, cependant dans certaines limites et en veillant à respecter la progressivité de l’impôt, à éviter toute concurrence fiscale déloyale, à éviter une double imposition et à respecter les quatre libertés de circulation (des personnes, des biens, des services et des capitaux) définies au niveau de l’Union européenne. C’est l’Autorité fédérale qui demeure seule compétente pour percevoir l’IPP, pour en fixer la base imposable, pour déterminer le précompte professionnel et le précompte mobilier, ainsi que pour régler les modalités de la déclaration d’impôts. Le financement des Communautés et de la COCOM demeure essentiellement fondé sur des dotations versées par l’Autorité fédérale. Cependant, les sources de celles-ci (en particulier, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)  [596] et les recettes de l’IPP) et les clés de répartition des moyens entre entités fédérées sont en partie revues, de même que les dotations dont bénéficient les Régions et les clés de répartition entre celles-ci. « Les dotations aux Régions sont, pour la plupart, réparties entre elles sur la base d’une clé fiscale, tandis que les dotations aux Communautés le sont sur des clés tenant compte des besoins  [597]. Toutefois, (…) les montants des dotations ne correspondent pas toujours aux besoins auxquels elles sont censées être destinées. Il en va de même pour les clés de répartition entre Communautés »  [598]. De plus, au moment de mettre l’accord du 11 octobre 2011 en forme sur le plan juridique, certaines dotations ont été complétées par des montants spécifiques et non basés sur des clés afin de respecter les principes de cet accord  [599], ce qui atteste du caractère sensible de ces répartitions de moyens et de l’âpreté des négociations qui les entourent.

490 Outre l’accroissement de l’autonomie des entités fédérées (particulièrement des Régions) que ces modifications entendent réaliser, la sixième réforme de l’État vise aussi à accentuer la responsabilisation de celles-ci. « Ce principe s’est traduit pour les Régions par la responsabilisation fiscale, complété par un mécanisme de responsabilisation climat, lequel encouragera les Régions à agir davantage pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et mieux isoler l’ensemble des bâtiments sur leur territoire. D’autres mécanismes de responsabilisation (l’entité réalisant des efforts est récompensée) ont été imaginés. C’est le cas en matière d’emploi, en vertu de la clé IPP, puisque cette clé favorise les entités les plus prospères. Il en résulte qu’à l’avenir, les Régions devront davantage compter sur leurs propres recettes, lesquelles seront déterminées directement par le revenu moyen de la Région. Une responsabilisation renforcée est également introduite, tant pour les Communautés que pour les Régions, pour le financement des pensions de leurs fonctionnaires ». Et Philippe Quertainmont d’ajouter qu’à partir de cette réforme, et en ce qui concerne les Régions, « la philosophie de base du système de financement a été radicalement modifiée, puisqu’au principe “à chacun selon ses besoins” a été substitué le principe “à chacun selon ses moyens”. Le remplacement des dotations par la fiscalité suppose dès lors la capacité des entités fédérées à générer leurs propres ressources et à recueillir à travers elles les fruits des politiques qu’elles ont mises en œuvre »  [600].

491 Par ailleurs, le mécanisme de solidarité nationale est revu afin de tenir compte de l’un des douze principes établis par les négociateurs de la sixième réforme institutionnelle : « Maintenir une solidarité entre entités, exonérée d’effets pervers »  [601]. Un mécanisme de transition est prévu de manière à ce que, de 2015 à 2024, le niveau de financement lié à la solidarité nationale reste constant (ce qui implique qu’il n’est pas indexé) ; à partir de 2025, ce mécanisme s’éteindra en étant amputé chaque année d’un dixième supplémentaire de son montant tel que calculé en 2015. Commentant ce mécanisme de transition (ou « socles de financement »), G. Pagano précise que, « quel que soit le regroupement, la Flandre, Région, groupe linguistique ou territoire, gagne entre 156,1 et 321,6 millions d’euros [par an], les pertes de la Communauté flamande étant largement compensées par les gains des autres entités flamandes ou à participation flamande. On ne peut donc soutenir, comme certains l’avaient fait, en Flandre, en 2011, que la sixième réforme de l’État appauvrit la Flandre. Si la Communauté française gagne 155,3 millions, tous les regroupements wallon, bruxellois ou francophone sont perdants, et cèdent entre 498,3 et 620,5 millions d’euros à terme »  [602].

492 La révision du financement – complexe, on l’aura compris – des entités fédérées intervenue dans le cadre de la sixième réforme institutionnelle inclut également un refinancement de la Région de Bruxelles-Capitale, des trois Commissions communautaires, de la ville de Bruxelles et des communes qui comptent un échevin néerlandophone. Certains mécanismes préexistants sont consolidés, d’autres voient leur financement augmenté et d’autres encore sont créés en complément. Leurs objets sont notamment liés à la présence de fonctionnaires internationaux et de navetteurs, dont les revenus n’entrent pas en ligne de compte dans le calcul de l’IPP prélevé en région bruxelloise, à la mainmorte, à la politique de mobilité, aux dépenses en matière de sécurité et à celles relatives aux primes linguistiques versées à certains agents. « Si cette opération de “refinancement” constitue le rééquilibrage le plus important depuis la création de la Région [de Bruxelles-Capitale], elle ne permet pas, tant s’en faut, de lever toute hypothèque sur l’équilibre de ses finances ». En particulier, « ces mécanismes sont censés combler partiellement certains manques à gagner spécifiques de la Région, mais ne mettent pas un terme à l’inadéquation structurelle de son mode de financement. (…) [En outre,] les nouvelles compétences ont été transférées sans moyens budgétaires équivalents »  [603].

493 Pour les compétences dont l’exercice leur a été transféré par une autre entité fédérée, la Communauté germanophone reçoit toujours des dotations de la Région wallonne, tandis que cette dernière et la COCOF reçoivent chacune une dotation de la Communauté française  [604]. Par ailleurs, les entités fédérées disposent toujours de quelques autres moyens de financement ou ont la possibilité d’ajuster certaines politiques par le biais de la fiscalité, comme les Régions en matière de logement ou de titres-services.

494 Enfin, en ce qui concerne le budget de l’Autorité fédérale, il est important de souligner que la révision des lois de financement opérée en 2014 prévoit que les entités fédérées contribuent de différentes manières à l’assainissement des finances publiques (et ne reçoivent par exemple pas l’équivalent des moyens dont l’Autorité fédérale disposait lorsqu’elle exerçait certaines des compétences nouvellement transférées) ainsi qu’au coût du vieillissement de la population.

495 La répartition des moyens entre les composantes de l’État fédéral belge présente donc plusieurs caractéristiques. Son évolution est étroitement liée aux soubresauts de l’histoire institutionnelle du pays. Le bras de fer que se livrent les parties en présence paraît souvent bipolaire, mettant francophones et néerlandophones face à face, mais les sensibilités internes aux premiers – en particulier, les revendications des régionalistes wallons ou l’attention portée à la situation bruxelloise – influencent aussi la manière dont les négociations financières se déroulent et aboutissent. Celles-ci sont menées lors des réformes de l’État et ont des conséquences à long voire à très long terme, prévoyant souvent des périodes transitoires afin d’amortir le choc (essentiellement pour les finances publiques wallonnes) attendu du changement de règles. Les Régions sont habilitées à lever des impôts mais l’essentiel de leurs recettes fiscales, prélevées sur l’IPP, demeure collecté par l’Autorité fédérale. Tandis que la Communauté germanophone ne fait pas usage de son pouvoir fiscal, les Communautés française et flamande n’en disposent pas, en raison de leur coexistence en région bruxelloise (cf. supra). Cependant, la situation institutionnelle spécifique de la Flandre et l’unité du budget communautaire et régional compensent cette lacune alors que tel n’est pas le cas de la Communauté française : si les recettes régionales permettent d’alimenter les politiques communautaires du côté flamand, c’est un transfert de l’exercice de certaines compétences vers la Région wallonne et la COCOF sans transférer la totalité des moyens afférents qui a permis de soulager quelque peu les difficultés budgétaires de la Communauté française, tout en accentuant toutefois les questionnements relatifs au rôle de cette entité fédérée voire à son existence même. Enfin, les évolutions successives des règles de financement ont eu tendance à réduire la solidarité entre composantes de l’État fédéral belge. À cet égard, la décision prise au niveau fédéral de consentir un prêt à la Région wallonne pour faire face aux conséquences des inondations qui l’ont durement frappée durant l’été 2021 paraît symptomatique, traduisant notamment l’impossibilité juridique pour l’Autorité fédérale d’aider une entité fédérée sous la forme d’un don  [605] – tandis que, dans l’État fédéral voisin, l’Allemagne, le coût de la reconstruction a rapidement été considéré comme une cause requérant une solidarité nationale se traduisant par un financement partagé entre le niveau fédéral et les seize  [606].

496 Comparer les modes de répartition des moyens financiers propres à chaque État fédéral n’est pas aisé. On peut cependant souligner que, dans cette matière comme dans d’autres, la Belgique se singularise en particulier par la complexité de son modèle financier, étroitement liée à la complexité de son modèle institutionnel : des règles différentes ont été adoptées pour financer les Communautés et pour financer les Régions, l’asymétrie institutionnelle engendre des effets financiers différents, et l’intervention de deux Communautés en région bruxelloise conjuguée à l’interdiction de recensement linguistique ont des implications dans le mode de financement de ces entités fédérées et des Commissions communautaires. Enfin, la perception bipolaire des relations entre francophones et néerlandophones, d’une part, et, d’autre part, la situation voyant depuis 1997 deux des trois Régions émarger au mécanisme de solidarité nationale donnent à certains acteurs flamands un argument supplémentaire pour dénoncer des transferts financiers à leurs yeux inadmissibles. Cet écart et ce discours coïncident qui plus est avec une fracture idéologique profonde et ancienne : la Flandre est dominée politiquement par des partis de centre, de droite ou d’extrême droite dont le discours socio-économique ne fait pas de la solidarité (entre classes sociales ou entre Régions ou Communautés) une valeur cardinale, à la différence des formations de gauche qui dominent traditionnellement le paysage wallon, et depuis un certain nombre d’années bruxellois. Sous l’influence du courant renardiste, le Mouvement wallon a même en partie véhiculé un discours anticapitaliste (autour de la notion de réformes de structure), peu voire pas du tout présent dans le Mouvement flamand, où séparatisme et discours marqué à droite se rejoignent pour une bonne part.

497 Dans la plupart des autres États fédéraux, la répartition des moyens budgétaires se fait entre un nombre plus (voire très) élevé d’entités fédérées. Les discours pointant des « bénéficiaires » voire des « profiteurs » des mécanismes de redistribution interne peuvent moins aisément se focaliser toujours sur les mêmes entités. Les mécanismes de redistribution interne sont parfois mieux assumés. En Allemagne, on sait par exemple que la Bavière est un Land prospère et que les Länder de l’ancienne Allemagne de l’Est continuent à nécessiter des interventions financières plus importantes (cf. supra), mais ces données étaient bien connues au moment de la réunification de 1990. Ces mécanismes donnent aussi parfois lieu à des calculs plus fréquents. Ainsi, en Suisse, la Confédération légifère sur une péréquation financière et une compensation des charges appropriées entre la Confédération et les Cantons, d’une part, et entre les Cantons eux-mêmes, d’autre part. Ce système comprend un mécanisme de péréquation conduisant à un calcul annuel, assorti d’ajustements quant aux sommes à débourser ou à récupérer par les Cantons.

498 L’analyse des mécanismes internes de répartition des moyens financiers implique aussi de cerner quel niveau de pouvoir peut actionner le « robinet » fiscal. En Belgique, la sixième réforme de l’État a maintenu la détermination de la base imposable et le prélèvement de l’IPP au niveau de l’Autorité fédérale, qui se charge ensuite de rétrocéder les moyens aux entités fédérées, y compris aux Régions, habilitées à déterminer une partie du montant de cet impôt. L’impôt sur les sociétés (ISOC) reste quant à lui du ressort fédéral. Toutefois, les Régions et la Communauté germanophone sont également habilitées à percevoir directement certaines taxes qui entrent dans leurs compétences. En Suisse, la taxation des revenus et de la fortune des personnes privées, celle des bénéfices et du capital des personnes morales ainsi que l’impôt sur la possession et la dépense relèvent principalement des Cantons, qui se chargent également de leur perception, avant d’en transférer une part à la Confédération. Chaque Canton dispose de sa propre loi fiscale et il existe donc 26 façons de taxer les revenus, les fortunes, les successions, les véhicules et d’autres objets fiscaux. Pour sa part, la Confédération perçoit une TVA comprise entre 2,5 % et 7,7 %, des accises sur l’alcool, le tabac et les carburants, ainsi qu’une vignette autoroutière.

499 On distingue classiquement deux modèles de partage des ressources financières dans les États fédéraux : « les systèmes de concurrence et de stricte délimitation des sources de recettes, caractérisés par le partage des pouvoirs fiscaux ; les systèmes de communauté de recettes et de subventions, caractérisés par l’unité du pouvoir fiscal au niveau fédéral et l’attribution aux collectivités fédérées de parts ou de recettes additionnelles aux recettes fédérales »  [607]. De ce point de vue, le fédéralisme financier belge, « caractérisé par une rare complexité bien à la mesure de l’architecture institutionnelle du pays, apparaît comme un modèle mixte original, puisqu’il conjugue à la fois des dotations fédérales aux Communautés, des parties attribuées aux Communautés et aux Régions du produit d’impôts perçus par [l’Autorité fédérale] (technique des impôts “partagés” et “conjoints”), des recettes non fiscales propres aux entités fédérées, un mécanisme de solidarité nationale, et un financement par l’emprunt. S’y ajoute pour les Régions une autonomie fiscale, encore élargie par la réforme de 2014, puisqu’elles percevront directement une part (24,957 %) de l’impôt des personnes physiques, par le biais d’additionnels élargis »  [608].

500 Enfin, on peut examiner l’ampleur des masses budgétaires gérées par les entités fédérées et comparer la situation de la Belgique parmi les huit États fédéraux membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)  [609]. En Belgique, les recettes totales de ces entités représentaient 19,3 % du PIB en 2019, ce qui situe celle-ci entre l’Australie et les États-Unis (respectivement 15,9 % et 17,0 %) et le Canada (22,7 %) ; c’est par contre largement supérieur à ce qui prévaut dans les autres pays (entre 9,2 % en Autriche et 13,9 % en Allemagne). Rapportées aux recettes totales des administrations publiques du pays, celles des entités fédérées en Belgique étaient de 38,6 % en 2019, contre 49,2 % pour l’Autorité fédérale. En Suisse, ces proportions sont respectivement de 39,3 % et de 32,4 %, tandis qu’elles sont de 53,6 % et de 36,4 % au Canada, où les Provinces gèrent donc des sommes nettement supérieures à celles aux mains des autorités fédérales ; inversement, les Länder autrichiens disposent de 18,7 % du total des recettes des administrations publiques alors que celles du pouvoir central s’élèvent à 64,2 %  [610].

4.2.3. La sécurité sociale

501 À côté du financement des différentes composantes de l’État fédéral belge, l’affectation des ressources à travers le mécanisme de solidarité interpersonnelle que représente la sécurité sociale s’est également trouvée affectée par les dynamiques autonomistes à l’œuvre.

502 Depuis la création de l’Office national de sécurité sociale (ONSS) en 1944 et le regroupement des différentes assurances sociales en « branches » de la sécurité sociale, celle-ci est longtemps restée en dehors du champ des réformes institutionnelles – même si, dès les années 1980, les Communautés et les Régions ont reçu des compétences connexes au champ d’intervention de la sécurité sociale  [611]. Cependant, des projets de défédéralisation de toute la sécurité sociale ou de certaines de ses branches en particulier (soins de santé, chômage et allocations familiales, par exemple) ont fleuri dans les programmes de la quasi-totalité des partis politiques flamands dès les années 1990, dictés par des volontés autonomistes, par du ressentiment à l’égard des transferts financiers opérés par la sécurité sociale interprétés en termes Nord-Sud plutôt qu’interpersonnels, ou simplement par le souci d’ajuster les politiques à des situations de terrain jugées sensiblement différentes de part et d’autre de la frontière linguistique  [612]. Les principaux responsables politiques francophones ont longtemps rejeté pareilles revendications, estimant notamment que la solidarité interpersonnelle mise en œuvre à travers la sécurité sociale devait être préservée et que les projets flamands poseraient de sérieux problèmes pour les habitants de la région bruxelloise (et de Wallonie).

503 La Communauté flamande a alors développé, seule, une assurance dépendance (« zorgverzekering »), suscitant bon nombre d’interrogations, de critiques et de craintes du côté francophone  [613]. Ensuite, avec la sixième réforme de l’État, des pans de la sécurité sociale ont été défédéralisés.

504 D’une part, une branche entière de la sécurité sociale a été défédéralisée puisque les prestations familiales (allocations familiales, allocations de naissance et primes d’adoption) sont désormais de la compétence de la Communauté flamande (uniquement pour la région de langue néerlandaise), de la Région wallonne (uniquement pour la région de langue française ; l’exercice de cette compétence lui a été transféré par la Communauté française), de la COCOM (pour la région bilingue de Bruxelles-Capitale) et de la Communauté germanophone (pour la région de langue allemande). Il est à noter que la répartition des moyens entre les quatre entités fédérées qui gèrent désormais les prestations familiales ne prend guère en compte les spécificités des besoins (proportion d’enfants handicapés ou de familles en situation de pauvreté, par exemple), si ce n’est à travers les « socles de financement » (cf. supra), mais donc de manière transitoire ; cela représente un tournant majeur par rapport à la logique de solidarité interpersonnelle prévalant traditionnellement dans la sécurité sociale  [614] et, certainement, pèsera significativement sur les prestations de certaines entités ou les contraindra à compenser ces dépenses en réduisant d’autres postes de leur budget. Actuellement, les quatre entités fédérées concernées dépensent ensemble quelque 7 milliards d’euros par an pour couvrir les prestations familiales (soit environ 1,5 % du PIB). Rapporté au nombre d’habitants, cela représente un poste oscillant entre quelque 468 euros par habitant germanophone et 713 euros par Bruxellois. Ces 7 milliards peuvent aussi être comparés avec les 53,2 milliards d’euros consacrés aux différents régimes de pension (salariés, indépendants et secteur public), avec les 30,5 milliards d’euros affectés par la sécurité sociale (fédérale) aux soins de santé, avec les 10,6 milliards d’euros d’indemnités versés à des personnes (salariées ou indépendantes) en situation de maladie ou d’invalidité et avec les 7,6 milliards d’euros versés, en particulier sous la forme d’indemnités de chômage, par l’Office national de l’emploi (ONEM)  [615].

505 D’autre part, d’autres branches de la sécurité sociale ont été affectées par une forme de défédéralisation. Certains dispositifs de réduction de cotisations de sécurité sociale (concernant notamment les groupes cibles  [616] ou les réductions structurelles relatives à certains secteurs), l’activation des allocations de chômage  [617] et les titres-services  [618] ont été régionalisés, dans le cadre des décisions prises dans le domaine des politiques de l’emploi. Le contrôle des chômeurs (qui a des implications directes sur le droit à une indemnité) a connu la même destinée. Pour leur part, des parties de l’assurance maladie (concernant, par exemple, les maisons de repos et organismes assimilés et les établissements de rééducation fonctionnelle) ont été transférées aux mêmes entités fédérées que celles en charge des prestations familiales.

506 Dans les États fédéraux du monde occidental, la sécurité sociale représente bien souvent une institution très importante, notamment d’un point de vue financier. Il est rare que les différentes assurances sociales relèvent exclusivement du niveau fédéral (comme cela a longtemps été le cas en Belgique) ou uniquement du niveau des entités fédérées. Si chaque configuration nationale présente des spécificités de ce point de vue, la situation la plus fréquente est celle d’un régime mixte impliquant différents niveaux de pouvoir. Ainsi, en Suisse, les branches de la sécurité sociale sont surtout cantonales et le secteur privé y tient une place importante ; le développement d’assurances au niveau fédéral s’est avéré tardif et est variable selon les branches, mais la tendance récente a été de renforcer les compétences du pouvoir fédéral dans ce domaine. En Allemagne, le système de sécurité sociale, hérité d’Otto von Bismarck, est essentiellement fédéral, impliquant tout particulièrement les organisations patronales et syndicales dans sa gestion ; toutefois, les Länder sont compétents pour certains aspects. Aux États-Unis, la sécurité sociale fédérale a été créée sous l’administration de Franklin D. Roosevelt en 1935 et comprend plusieurs programmes, dont les trois plus importants financièrement sont les pensions, l’assurance santé des personnes âgées et handicapées et l’assurance santé des personnes à faibles revenus. Sous l’administration de Barack Obama, une couverture soins de santé est devenue obligatoire  [619] ; la plupart des actifs sont assurés dans le privé. En revanche, l’assurance chômage est gérée au niveau des entités fédérées, dans le respect de certaines règles fédérales ; le montant et la durée des prestations varient d’un État à l’autre. Les États-Unis sont le seul pays membre de l’OCDE à ne pas connaître de système d’allocations familiales.

507 On le voit, l’évolution de la sécurité sociale belge va plutôt à rebours de ces trois exemples, connaissant ces dernières années une tendance à la défédéralisation, et donc à la réduction de la solidarité nationale, là où ces trois autres États fédéraux ont plutôt vu un socle fédéral de protection sociale se développer ou se renforcer. Il est vrai que le cas belge est le seul de ces quatre exemples où la sécurité sociale préexistait au fédéralisme et non l’inverse. De même, la Belgique représente le seul cas de fédéralisme de dissociation parmi ces quatre États.

508 En dehors de la sécurité sociale existent aussi en Belgique des formes d’aide sociale, en particulier le revenu d’intégration sociale (RIS). Celui-ci est octroyé au niveau communal, par les centres publics d’action sociale (CPAS), avec une participation financière de l’Autorité fédérale mais une prise en charge principalement du CPAS, donc des finances communales. Les montants versés restent déterminés par l’Autorité fédérale et les entités fédérées n’interviennent pas dans cette législation. En Suisse, par contre, l’aide sociale relève uniquement du niveau cantonal. Il en va globalement de même pour les Provinces au Canada et pour les États aux États-Unis. À l’inverse, en Allemagne, cette aide sociale dépend du niveau de pouvoir fédéral.

509 Enfin, il est à noter que les niveaux de protection sociale varient considérablement d’un pays à l’autre, même parmi les États fédéraux occidentaux.

4.3. Les acteurs et les structures socio-politiques

510 Outre les dynamiques linguistiques et socio-économiques, certaines spécificités des acteurs socio-politiques et des structures au sein desquelles ils agissent et qu’ils façonnent eux-mêmes en retour produisent des dynamiques présentant certaines singularités. Les clivages qui traversent la Belgique, la gestion pilarisée de ceux-ci, l’importance des partis politiques et d’autres organisations dans cette gestion et la manière dont les représentants politiques articulent leurs responsabilités au sein de l’Autorité fédérale et des entités fédérées sont à examiner de ce point de vue.

4.3.1. Clivages et piliers

511 La question linguistique a fortement influencé l’État belge et ses transformations. Elle est un élément essentiel du clivage qui oppose les tenants de la périphérie (flamande ou wallonne, selon les cas) à ceux du centre, si l’on se réfère à la grille classique élaborée par Seymour Martin Lipset et Stein Rokkan  [620]. La tension entre partisans d’une autonomie plus poussée (voire d’une indépendance) de certaines composantes de l’État belge et tenants du maintien voire d’un renforcement de l’unité de ce dernier n’est pas la seule à traverser la société et à produire des répercussions dans la sphère socio-politique au sens large. En particulier, le clivage « Église / État » et le clivage « possédants / travailleurs » ont donné naissance, dès le XIXe siècle, à de très nombreuses organisations, qui sont elles-mêmes à l’origine de la création des principaux partis politiques entre 1846 et 1885 : le Parti libéral, le Parti catholique et le Parti ouvrier belge (socialiste)  [621].

512 Les relations privilégiées entre organisations d’une même sensibilité ont vu le développement, en lien avec ces partis principaux, de « piliers » encadrant les individus « du berceau au tombeau » au sein d’un même « monde idéologique ». On retrouve dans celui-ci des maternités, des crèches, des écoles, des mouvements de jeunesse, des établissements d’enseignement supérieur (dont des universités), des mutualités, des hôpitaux, des syndicats, des coopératives, des organisations féminines, des associations culturelles ou philosophiques, des clubs sportifs, des organes de presse, des maisons de retraite, etc.

513 Si la physionomie et l’influence de ces piliers ont évolué avec le temps et se présentent de manière différente de part et d’autre de la frontière linguistique, en raison notamment de la prégnance inégale de l’Église catholique ou de l’idéologie socialiste, la pilarisation a marqué l’ensemble du pays et elle demeure une réalité aux implications diverses  [622].

514 La fédéralisation du pays, ainsi que les causes et le processus qui y ont conduit, ont néanmoins affecté les piliers et les manifestations de l’existence de la pilarisation. Peu à peu, les entités fédérées ont développé des politiques et mis en place des organismes ou des enceintes réservant une place différente, d’une entité à l’autre, aux acteurs composant traditionnellement ces piliers  [623]. Ces acteurs ont eux-mêmes été particulièrement affectés par la question linguistique et la fédéralisation du pays. On reviendra dans la section suivante sur le cas spécifique des partis politiques. Les autres acteurs de la pilarisation ne sont pas en reste. De la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), syndicat socialiste, créant en son sein des structures régionales dans la foulée des tensions qui l’ont animée à l’occasion de la grève de l’hiver 1960-1961  [624], à l’épiscopat catholique se divisant sur une base linguistique autour de la question de l’université de Louvain en 1968  [625], en passant par l’organisation de la laïcité distinctement du côté francophone et du côté néerlandophone  [626], des acteurs majeurs des piliers ont vu leurs structures internes évoluer avant même que la Belgique ne devienne un État fédéral. Et cette transformation institutionnelle a eu à son tour de nombreuses conséquences sur ces acteurs et sur les autres, affectant notamment leur organisation, leur fonctionnement, leurs centres d’intérêt et leur financement  [627]. Au sein même des piliers, les relations entre les différentes composantes varient aujourd’hui bien souvent selon que l’on s’intéresse aux organisations et structures francophones ou néerlandophones  [628].

515 Pour autant, et à la différence de la plupart des partis politiques ou d’organisations actives notamment dans le monde sportif ou de la jeunesse, cela ne signifie pas que toutes les grandes organisations de la société civile relevant des « mondes » sociologiques et idéologiques formés par les piliers se soient scindées sur une base linguistique. En particulier, les mutualités et les trois syndicats interprofessionnels demeurent des organisations unitaires, même si leur fonctionnement interne s’est largement adapté à des réalités régionales et communautaires sans cesse plus divergentes, et même si ces structures sont elles-mêmes en proie à des visions très différentes voire conflictuelles entre des sensibilités régionalistes ou communautaristes et des tendances valorisant la solidarité nationale.

516 Le cas des fédérations patronales est quelque peu différent, celles-ci ayant une base régionale (Union wallonne des entreprises - UWE, Brussels Enterprises Commerce & Industry - BECI et Vlaams Netwerk van Ondernemingen - VOKA) ou linguistique (Union des classes moyennes - UCM et Unie van Zelfstandige Ondernemers - UNIZO) pour les unes, demeurant nationales pour d’autres (la Fédération des entreprises de Belgique - FEB et la plupart des fédérations sectorielles), et ayant pris une certaine distance, pour la plupart de celles qui en relevaient, avec l’organisation pilarisée du pays – l’organisation agricole chrétienne flamande Boerenbond faisant à cet égard figure de principale exception  [629]. Mais, à l’instar des autres acteurs précités, ces fédérations ont également joué, pour certaines d’entre elles, un rôle dans l’évolution institutionnelle du pays. Le VOKA, en particulier, et son prédécesseur, le Vlaams Economisch Verbond (VEV), sont connus pour leurs prises de position en faveur de l’autonomie flamande  [630].

517 La question linguistique puis l’histoire institutionnelle belge ont donc eu une incidence indéniable sur la physionomie des piliers. Mais elles se sont aussi écrites sur la toile de fond de l’organisation pilarisée du pays et du caractère consociatif de la Belgique. Ce dernier est marqué, à partir de la Première Guerre mondiale, par une gestion relativement consensuelle, s’appuyant sur des coalitions larges (politiquement puis linguistiquement parlant), des nombreuses divisions affectant la société belge. Les grands accords qui ont présidé aux réformes institutionnelles successives (de même que des accords tels que le Pacte scolaire en 1958 ou le Pacte culturel en 1972) ont été négociés, pacifiquement, au plus haut niveau des représentants politiques des piliers que constituent les partis, sociaux-chrétiens et socialistes en particulier. De plus, certaines revendications ayant conduit à des aménagements institutionnels ou à des transferts de compétences (notamment en matière de « secteurs nationaux » à caractère économique lors de la réforme de 1988-1989, cf. supra) ont été portées par des acteurs dépassant les seuls partis politiques, singulièrement dans le monde syndical (en particulier chrétien ou socialiste, du côté flamand comme du côté wallon), les liens au sein d’un même pilier jouant à cet égard un rôle important dans la lutte menée.

518 Si cette gestion consociative et désormais « fédéralisée » des divisions de la société belge (dont la pilarisation) a favorisé le consensus et a permis une évolution globalement pacifique des conflits internes, il est intéressant de relever aussi qu’elle n’a pas éteint ou annihilé ces tensions, conflits ou divisions. Au contraire, en permettant à bon nombre d’acteurs d’acquérir davantage d’autonomie, les réformes successives ont également eu pour effet de renforcer les aspirations à davantage d’autonomie encore dans une dynamique centrifuge. Ce facteur contribue à alimenter l’une des tendances manifestement consubstantielles du fédéralisme belge : chaque réforme institutionnelle pose les germes des suivantes  [631].

519 Parmi les autres démocraties européennes généralement identifiées comme consociatives  [632], l’Autriche et la Suisse sont également des États fédéraux. Le caractère discutable du fédéralisme dans la première et ancien et profondément marqué dans la seconde rendent relativement difficile une comparaison avec la Belgique quant aux interactions entre fédéralisme et consociativisme. Il est toutefois à noter qu’en Suisse, la gestion pacifique des tensions repose aussi en bonne partie sur les processus de démocratie directe (à travers les fréquentes votations, qui peuvent être suscitées par des citoyens ou des groupes organisés, et auxquelles recourent parfois les syndicats). Alors que, en Belgique, de tels processus sont très peu développés et n’ont jamais force contraignante pour le monde politique  [633].

4.3.2. Particratie, quasi-absence de partis nationaux et inexistence de circonscription électorale nationale

520 Outre qu’elles sont marquées par la prégnance de la question linguistique et s’inscrivent dans le contexte d’une démocratie consociative, les dynamiques qui marquent l’État fédéral belge sont aussi fortement influencées par l’importance des partis politiques dans le système socio-politique belge et par les évolutions de ceux-ci.

521 Depuis la mise en œuvre du suffrage universel masculin pur et simple, en 1919, quasiment tous les gouvernements nationaux et, à leur suite, tous les gouvernements fédéraux, communautaires et régionaux ont associé plusieurs partis politiques  [634]. Au sein de ces coalitions, associant tendanciellement un nombre croissant de partis différents, le rôle de ceux-ci, auxquels la participation à la coalition confère un droit de vie et de mort sur celle-ci et sur ses projets, s’est largement accru, tandis que l’autorité interne des organes dirigeants des partis se renforçait par la mise sous contrôle, plus ou moins poussée selon les formations, des groupes parlementaires, par le biais notamment de la discipline de parti imposée aux élus  [635].

522 Au fil du temps, le paysage politique s’est morcelé et les partis traditionnels constituant les familles libérale, sociale-chrétienne et socialiste apparues au XIXe siècle ont vu leur puissance électorale s’amoindrir significativement  [636]. Ces partis et ceux auxquels ils s’associent au sein de majorités gouvernementales demeurent néanmoins des détenteurs incontestables de pouvoir, par les programmes qu’ils élaborent, négocient et mettent en œuvre par le biais de leurs élus et mandataires à différents niveaux, par le processus de sélection de ces derniers qu’ils assurent, par les réformes systémiques (institutionnelles ou autres) qu’ils négocient, par leur influence sur les administrations publiques voire dans le champ privé, par leur influence sur l’opinion publique, etc.

523 Cette importance des partis politiques, et singulièrement de leurs présidents  [637], dans les processus de décision  [638] justifie l’emploi de l’expression « particratie » pour définir le régime politique belge. Les autres États fédéraux ne sont guère réputés présenter un tel visage. Dans de nombreux cas, les partis politiques y constituent des organisations relativement souples ou lâches, dont la cohésion interne est tout simplement insuffisante pour leur assurer une forte prégnance sur l’exercice du pouvoir par les institutions.

524 Ce qui distingue en outre le système partisan belge est la quasi-absence de parti national. Les principaux partis politiques, longtemps nationaux, se sont scindés de manière concomitante avec les débuts de la réforme de l’État, mais indépendamment de celle-ci. C’est en effet dans le contexte d’une forte montée en puissance des tensions linguistiques que les trois partis qui ont le plus imprégné la vie politique du pays se sont divisés : les sociaux-chrétiens en 1968, les libéraux au début des années 1970 et les socialistes en 1978  [639]. Aujourd’hui, on peut donc dénombrer non plus trois mais bien six partis souvent qualifiés de traditionnels : Les Engagés (LE ; ex-Centre démocrate humaniste, CDH) et le Christen-Democratisch en Vlaams (CD&V) comme héritiers francophone et néerlandophone du Parti social-chrétien (PSC) d’autrefois, le Mouvement réformateur (MR) et l’Open Vlaamse Liberalen en Democraten (Open VLD) du côté libéral, et le Parti socialiste (PS) et Vooruit (ex-Socialistische Partij Anders, SP.A) en ce qui concerne la tendance socialiste.

525 Bien avant ce mouvement de dédoublement linguistique de la vie partisane, des partis unilingues ont fait leur apparition. Dès la fin du XIXe siècle, l’abbé Adolf Daens a fondé en Flandre le Christene Volkspartij, présent à la Chambre des représentants jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale  [640]. Dans l’entre-deux-guerres, se sont succédé des partis flamands (Frontpartij puis Vlaamsch Nationaal Verbond - VNV) et sont également apparus des partis germanophones  [641]. Après la Seconde Guerre mondiale, différentes formations politiques unilingues ont vu le jour, dont certaines voient leurs héritiers directs jouer aujourd’hui encore un rôle de premier plan. Créée en 2001, la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), devenue le premier parti de Flandre et du pays en 2010, s’inscrit dans la filiation de la Christelijke Vlaamse Volksunie apparue en 1954  [642] et rapidement devenue la Volksunie (VU). Défi (Démocrate fédéraliste indépendant) est le nom qu’a choisi en 2015 le FDF, né en 1964 sous l’appellation Front démocratique des Bruxellois de langue française (et devenu rapidement Front démocratique des francophones, puis Fédéralistes démocrates francophones en 2010). Pro Deutschsprachige Gemeinschaft (ProDG), première force politique de la Communauté germanophone depuis le scrutin communautaire de 2019 et pilier de son gouvernement, plonge en partie ses racines dans une formation politique apparue au début des années 1970  [643]. Fondé en 1979 dans la foulée de la contestation du pacte d’Egmont et des accords du Stuyvenberg, le Vlaams Blok (VB) a pris en 2004 le nom de Vlaams Belang à la suite de la condamnation pour racisme de trois asbl liées au parti ; en 2019, le parti flamingant et d’extrême droite est redevenu la deuxième formation sur le plan électoral. Du côté francophone, l’extrême droite a connu une multitude de partis, parfois éphémères, parmi lesquels le Front national (FN), qui a été créé en 1985 sur le modèle du parti éponyme français et a aujourd’hui disparu, a enregistré les meilleures performances électorales  [644]. Les années 1980 ont aussi vu la fondation de deux partis nés de mouvements actifs au sein de la société civile durant la décennie précédente : Écolo  [645] en 1980 et Anders Gaan Leven (Agalev) en 1982 ; ce dernier est devenu Groen! en 2003 (puis Groen en 2012).

526 La situation qui en résulte est à peu près unique : à l’exception du Parti du travail de Belgique (PTB, fondé en 1979 à la suite de Tout le pouvoir aux ouvriers - TPO) et de quelques partis sans représentation parlementaire, unitaristes ou de gauche radicale, il n’existe plus de partis politiques nationaux ou fédéraux. Mais il n’existe pas davantage (ou plus guère, après le déclin du Rassemblement wallon - RW) de partis politiques régionaux, hormis quelques listes déposées en région bruxelloise (où l’expérience de ProBruxsel a tourné court). Les partis politiques sont en effet francophones ou néerlandophones (voire germanophones, comme ProDG ou Vivant, dernière branche encore active d’un parti autrefois national  [646]), correspondant en cela à la répartition des membres du Parlement fédéral en deux groupes linguistiques.

527 S’ils sont organisés sur une base communautaire, certains partis forment toutefois ce que l’on appelle des familles politiques  [647], qui sont au nombre de quatre en Belgique. Trois de ces familles résultent des mouvements de scission internes mentionnés supra : les familles socialiste, libérale et de tradition sociale-chrétienne. À l’inverse, la famille écologiste s’est développée à la suite d’un rapprochement opéré entre deux formations politiques qui se sont créées et déployées de façon indépendante des deux côtés de la frontière linguistique ; ces partis ont d’emblée entretenu des contacts assez étroits, formant dès qu’ils en avaient la possibilité un groupe commun à la Chambre des représentants et, plus tard, au Sénat.

528 Si ces familles politiques présentent un potentiel fédérateur, les éléments de convergence que l’on peut observer au sein de chacune d’entre elles fluctuent au fil du temps et en fonction des thématiques. Dans le même temps, on observe que les familles politiques sont « tendanciellement mises à mal par la distanciation croissante des deux sous-systèmes politiques qu’abrite la Belgique »  [648]. Et certains partis importants – à commencer par la N-VA et le VB – n’appartiennent pas à des familles politiques.

529 En outre, il faut tenir compte de la situation particulière qui est de mise en Communauté germanophone. Les trois partis dits traditionnels s’y présentent sous une appellation spécifique : Christlich Soziale Partei (CSP) pour le CDH (désormais, pour Les Engagés), Partei für Freiheit und Fortschritt (PFF) pour le MR et Sozialistische Partei (SP) pour le PS. Écolo y est également présent. Et les deux formations politiques propres à la région de langue allemande, ProDG et Vivant, y ont pris une place croissante.

530 En région bruxelloise, le système des partis politiques se profile de manière un peu différente. Si les sections bruxelloises des partis francophones et néerlandophones y ont pris une autonomie parfois non négligeable à l’égard de leurs états-majors, perceptible notamment au moment de la formation du gouvernement régional  [649], cette autonomie est toutefois moindre que ce qui peut être observé du côté germanophone. Surtout, le système partisan bruxellois reste profondément marqué par la division linguistique, les deux ailes du gouvernement régional étant formées de manière distincte entre partis francophones, d’une part, et néerlandophones, d’autre part, avant que les négociations se poursuivent sur une base régionale et bilingue.

531 Seul un parti unitaire, le PTB, dispose d’élus dans plusieurs parlements du pays  [650]. Toutefois, la formation de gauche radicale n’a à ce jour pas participé à des coalitions formées au niveau fédéral ou d’une entité fédérée. Les signaux envoyés jusqu’ici par ses instances dirigeantes ne semblent d’ailleurs pas témoigner leur volonté d’exercer le pouvoir, excepté peut-être au niveau local  [651]

532 Hormis le PTB, les autres partis politiques représentés dans les assemblées parlementaires belges sont organisés sur une base linguistique et ne s’adressent qu’à une seule communauté  [652]. Tous ne sont pas pour autant des partis régionalistes ou communautaristes. Le fait que certains partis ne présentent des listes que dans certaines régions et s’adressent à une communauté linguistique et culturelle uniquement, qu’elle soit francophone, néerlandophone ou germanophone, ne signifie pas nécessairement qu’ils défendent un programme marqué par une volonté d’autonomie croissante devant profiter aux entités fédérées, pouvant dans certains cas s’identifier à une forme de nationalisme voire de sécessionnisme.

533 Dans les autres États fédéraux, les partis politiques sont le plus souvent organisés sur une double base, au niveau des entités fédérées puis au niveau fédéral, un système encouragé par le fait que les élections ne sont généralement pas organisées simultanément aux deux niveaux. Un exemple classique est l’Allemagne, où l’on met volontiers en comparaison la Christlich Demokratische Union Deutschlands (CDU) au niveau fédéral et ses branches régionales, au niveau des Länder, ainsi que son alliée, la puissante Christlich-Soziale Union in Bayern (CSU) bavaroise. Un système similaire existe en Suisse, où les grands partis représentés au niveau fédéral disposent de sections cantonales, et où certaines formations politiques mineures ne sont actives qu’au niveau d’un ou plusieurs Cantons. Aux États-Unis, les partis démocrate et républicain sont également actifs aux deux niveaux, mais ils jouent essentiellement le rôle de machines électorales.

534 En Belgique, à la situation des partis politiques s’ajoute un système électoral qui, fruit d’évolutions successives largement influencées par les querelles linguistiques  [653], prévoit, pour le scrutin fédéral, des circonscriptions correspondant aux provinces ou à la région bruxelloise  [654]. Pour le scrutin européen, les listes sont déposées dans des collèges formés sur une base linguistique : français, néerlandais et germanophone – les électeurs bruxellois  [655] ont la faculté de choisir une liste déposée dans le premier ou le deuxième de ces collèges. Jusqu’en 2010 inclus, une partie des sénateurs étaient élus de manière directe au sein de deux collèges, l’un français (incluant les communes germanophones), l’autre néerlandais. Bien qu’elle ait fait l’objet de réflexions  [656], l’idée d’instaurer une circonscription fédérale, correspondant aux frontières nationales, n’a pas été concrétisée.

535 Ces caractéristiques du système partisan, d’une part, et du système électoral, d’autre part, ont façonné ce cas de figure très singulier où les candidats à des fonctions électives ne s’adressent jamais qu’à une partie de l’électorat et n’ont donc guère à se soucier des intérêts de l’autre partie au moment de leur campagne électorale. On ne trouve guère de situation similaire dans les autres États fédéraux, à l’exception peut-être de la Bosnie-Herzégovine, pays où il n’y a pas non plus de partis « nationaux », les formations politiques y étant organisées sur une base ethnique. C’est ainsi que les dernières élections fédérales, tenues le 7 octobre 2018, ont vu la victoire des nationalistes dans chaque groupe : le Parti (bosniaque) de l’action démocratique, l’Alliance (serbe) des sociaux-démocrates indépendants et une alliance de quatre partis croates.

536 La situation à peu près unique qui prévaut en Belgique constitue à n’en pas douter l’une des manifestations de la logique centrifuge qui est à l’œuvre depuis plusieurs décennies et que le processus de réforme de l’État ne parvient pas – voire ne cherche pas – à enrayer. Réciproquement, la logique bipolaire et de confrontation qui imprègne le paysage politique et se traduit par cette absence quasi complète de partis nationaux influe sur cette logique centrifuge, tantôt en l’accentuant, tantôt en l’atténuant.

537 La place des partis politiques dans un régime fédéral est d’autant plus importante qu’ils permettent d’articuler les deux règles qui gouvernent le fonctionnement d’un État fédéral, celles de self-rule et de shared rule : si l’« autonomie des entités territoriales » doit être respectée, il convient en effet d’assurer une « gestion commune des intérêts nationaux »  [657]. Plus particulièrement, trois fonctions principales peuvent être assignées aux partis politiques nationaux dans les États fédéraux : ils participent à la formation d’une opinion politique nationale ; ils opèrent comme des agences de socialisation permettant aux élites politiques de partager des expériences, des valeurs et, éventuellement, une vision commune quant à l’organisation de l’État ; et ils sont nécessaires au bon fonctionnement des mécanismes formels de coordination entre les entités fédérées  [658]. En Belgique, ces aspects sont mis à mal par la quasi-absence de partis nationaux.

538 Président d’un parti séparatiste, déposant des listes uniquement dans les circonscriptions flamandes et bruxelloise mais néanmoins premier parti à la Chambre des représentants depuis 2010, Bart De Wever (N-VA) a affirmé à de nombreuses reprises que la Belgique est habitée par deux démocraties, les espaces partisans, médiatiques, scolaires et plus largement culturels francophone et néerlandophone étant différents l’un de l’autre et assez étanches l’un par rapport à l’autre. Cette assertion est certes critiquable, notamment parce que l’on peut sans doute identifier plus de deux démocraties selon cette conception – que l’on songe notamment à l’espace partisan, médiatique et culturel germanophone, voire bruxellois. Il n’en demeure pas moins vrai qu’elle traduit de manière assez frappante l’une des conséquences de la quasi-absence de partis nationaux. Inversement, le PTB s’emploie à tenter de former « une opinion politique nationale » à travers ses discours sur la nécessaire unité du pays – et singulièrement, au sein de celui-ci, des travailleurs.

539 L’établissement d’une vision commune au niveau des élites politiques nationales ne va pas non plus de soi. Et cela en raison tant des caractéristiques du système partisan que de règles qui ont été exposées précédemment. On songe ici en particulier à celles qui président à des révisions constitutionnelles ou à l’adoption de lois spéciales : elles nécessitent, lorsque des réformes institutionnelles sont envisagées, la mise en place, au niveau fédéral, d’un « gouvernement nécessairement de large coalition »  [659], incluant des protagonistes des (sous-)systèmes partisans francophone et néerlandophone – l’assentiment des germanophones est largement ignoré. De la même façon, l’activation du mécanisme protecteur des minorités qu’est la sonnette d’alarme (cf. Chapitre 2), qui repose elle-même sur la règle de la parité linguistique au sein du Conseil des ministres au niveau fédéral, rend nécessaire un accord entre les deux grandes communautés linguistiques, et ce même lorsqu’est en jeu une « simple » loi ordinaire. Une tension est ainsi perceptible entre, d’une part, une évolution sociologique, suivant laquelle l’inscription des partis politiques au sein de leur communauté est de plus en plus marquée, et, d’autre part, une série de mécanismes consociatifs qui régissent le fonctionnement de l’État fédéral et qui impliquent d’atteindre des compromis entre communautés. D’autant que ces compromis sont de plus en plus difficiles à dégager, en raison notamment de l’éloignement de plus en plus profond entre communautés – qu’accentuent notamment des existences partisanes, médiatiques et culturelles cloisonnées ainsi que l’absence de ponts suffisamment solides jetés entre des systèmes éducatifs séparés  [660].

540 Ces considérations axées sur le niveau fédéral soulignent le rôle clé que les partis politiques jouent en Belgique afin d’huiler les rouages du fédéralisme et, partant, les difficultés que peut engendrer la quasi-absence de partis nationaux. Ce rôle transparaît également de l’examen des relations entre composantes au sein de l’État fédéral.

541 Lorsqu’ils sont amenés à former des coalitions gouvernementales, les partis politiques tentent le plus souvent de mettre sur pied des majorités similaires à plusieurs niveaux de pouvoir. L’exemple le plus évident, et sans doute aussi le plus simple à mettre en œuvre vu la composition de leurs parlements respectifs  [661], concerne les gouvernements wallon et de la Communauté française, dont la couleur politique a été la même de 1985 à 2017, ainsi que depuis 2019. De 1991 à 2003, le même type d’alliance politique (associant sociaux-chrétiens et socialistes d’abord, libéraux, socialistes et écologistes ensuite) se retrouvait au sein de ces deux gouvernements, du gouvernement national puis fédéral, ainsi que du gouvernement flamand (la VU et ses successeurs s’y ajoutant parfois) ; le gouvernement de la Communauté germanophone s’est ajouté à cette liste à partir de 1995  [662]. Si un tel alignement n’empêche nullement les tensions entre les différents gouvernements du pays, il permet néanmoins des collaborations (s’exprimant en particulier par la présence de certains ministres dans deux gouvernements à la fois, singulièrement au sein des exécutifs wallon et de la Communauté française  [663]) et favorise les concertations, les instances dirigeantes des partis politiques jouant alors un rôle crucial de coordination de l’action de leur formation aux différents niveaux de pouvoir concernés. L’idée de « coalition miroir » entre le niveau fédéral, la Flandre et la Wallonie ou la Communauté française fait d’ailleurs périodiquement l’objet de réflexions  [664], alors qu’une telle éventualité semble hors de propos dans les autres États fédéraux.

542 A contrario, l’exclusion réciproque qui a caractérisé les relations entre partis francophones de 2014 à 2017 – le MR était représenté au gouvernement fédéral mais pas dans ceux de la Région wallonne et de la Communauté française ; le PS et le CDH connaissaient la situation inverse – a illustré plus d’une fois les tensions, crispations voire blocages que peut engendrer une situation d’asymétrie politique aux différents niveaux de pouvoir, s’agissant pourtant de partis politiques du même rôle linguistique  [665]. Pareille situation mettant en présence des partis de différents rôles linguistiques suscite a fortiori des craintes de blocage, comme l’ont illustré les négociations en vue de la formation de ce qui est devenu le gouvernement fédéral De Croo (PS/MR/Écolo/CD&V/Open VLD/SP.A  [666]/ Groen), auquel n’est pas associée la N-VA, qui dirige pourtant le gouvernement flamand Jambon (N-VA/CD&V/Open VLD)  [667]. La situation de gestion de la pandémie de Covid-19 explique probablement que ces craintes ne se soient guère concrétisées de manière trop marquée un an après la mise en place de cette configuration. Enfin, la très large autonomie du (sous‑)système partisan germanophone explique sans doute pour partie que les revendications d’autonomie supplémentaire émanant de cette Communauté trouvent peu d’écho au sein du monde politique francophone  [668] – et a fortiori néerlandophone.

543 La Belgique présente donc la singularité de ne connaître aucun parti national parmi les formations qui jouent un rôle politique de premier plan. Cette situation constitue à la fois le produit et, à certains égards, un accélérateur des tendances centrifuges que connaît le pays, a fortiori dans un système où l’influence des partis politiques est à ce point notable. Le système électoral, s’il n’empêche pas l’existence de quelques partis nationaux, ne l’encourage pas, étant passé au fil du temps, pour l’élection de la Chambre des représentants, d’un découpage centré sur les arrondissements (éventuellement regroupés) à un modèle à base provinciale observant presque strictement les frontières des régions linguistiques  [669] – l’élection européenne étant précisément organisée, depuis 1994, dans quatre circonscriptions (mais trois collèges) observant ces limites, et celle du Sénat ayant été organisée de 1995 à 2010 dans deux collèges, l’un francophone (incluant les germanophones) et l’autre néerlandophone. Dans le même temps, et précisément en raison de leur rôle primordial dans le système socio-politique belge, les partis politiques, bien qu’ils soient organisés essentiellement sur une base linguistique, demeurent des facteurs importants de la collaboration entre composantes de l’État fédéral belge, que ce soit au sein d’un même espace linguistique ou par-delà la frontière linguistique. C’est probablement dans le cadre des réformes de l’État que ce rôle déterminant apparaît avec le plus de force. Les accords qui modifient l’architecture institutionnelle ou la répartition des compétences entre niveaux de pouvoir ne sont pas noués au sein de l’une ou l’autre enceinte parlementaire mais bien entre présidents de parti, avant d’être mis en forme et adoptés par ces assemblées.

4.3.3. Circulation des élites politiques entre les niveaux de pouvoir et articulation des scrutins

544 Dans les États fédéraux, les élections nationales et celles des entités fédérées peuvent être organisées simultanément (comme c’est en bonne partie le cas aux États-Unis) ou à des dates différentes (comme en Allemagne et en Suisse). En outre, les entités fédérées sont généralement libres d’organiser l’élection de leur parlement à la fréquence et au moment qui leur convient, et toutes ne le font dès lors pas à la même période. Par ailleurs, on peut observer différents types de rapports entre les vies politiques nationale et des entités fédérées : les parlementaires sont généralement actifs soit au niveau fédéral, soit au niveau fédéré, et quand ils quittent un niveau pour l’autre, c’est rarement pour revenir en arrière.

545 À cet égard, la Belgique présente la particularité que, davantage qu’ailleurs, on trouve les deux situations : soit qu’un parlementaire présent à la Chambre des représentants ait une expérience préalable dans une assemblée régionale ou communautaire, soit qu’il ait effectué le chemin inverse  [670]. Certains opèrent même des allers-retours entre les deux niveaux de pouvoir.

546 Cette situation tient notamment à l’histoire du fédéralisme belge. Quand les Régions et Communautés ont été dotées d’assemblées parlementaires propres, la désignation de leurs membres a pris deux voies. D’une part, de 1971 à 1995, les Conseils culturels des Communautés culturelles française et néerlandaise (puis les Conseil de la Communauté française et Conseil flamand) ont rassemblé les membres de la Chambre et du Sénat selon leur rôle linguistique ; semblablement, le Conseil régional wallon a été constitué de 1980 à 1995 des parlementaires nationaux élus en Wallonie. D’autre part, dès 1974 pour l’un et 1989 pour l’autre, le Conseil de la Communauté culturelle allemande (puis le Conseil de la Communauté germanophone) et le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale ont fait l’objet d’une élection au scrutin direct des habitants concernés. Lorsque, à partir de 1995, les membres du Conseil régional wallon et du Conseil flamand ont également fait l’objet d’une élection directe par leurs concitoyens, les députés wallons et flamands ayant déjà accompli un mandat parlementaire disposaient ipso facto d’une expérience de parlementaire national ; inversement, les députés et sénateurs  [671] confirmés dans leurs fonctions avaient, excepté pour les Bruxellois, exercé aussi le mandat de parlementaires wallons ou flamands. Par la suite, s’il a cessé d’être le produit des règles institutionnelles, pareil passage d’un niveau à l’autre a ralenti mais n’a pas disparu  [672]. D’autant qu’il subsiste une situation où mandat fédéral et mandat dans une assemblée fédérée se cumulent : 21 des 71 sénateurs (hormis les princes héritiers) de 1995 à 2014 et 50 des 60 sénateurs depuis lors sont choisis au sein d’une assemblée communautaire ou, désormais, communautaire ou régionale.

547 Jusqu’en 2014, il était même admis de se présenter tant à l’élection fédérale qu’à une élection régionale ou communautaire  [673] lorsqu’elles se tenaient simultanément. La sixième réforme de l’État a mis un terme à cette pratique jugée trompeuse pour l’électeur (celui-ci ne pouvant, au moment du vote, savoir dans quelle assemblée l’élu choisira de siéger en cas de succès à plusieurs niveaux).

548 De même, nombreuses sont les personnalités qui ont siégé successivement, dans un ordre ou dans l’autre voire en faisant des allers-retours, au gouvernement national/fédéral et dans un gouvernement de Région ou de Communauté  [674]. Plus largement, à l’exception de l’actuel ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale (Rudi Vervoort, PS), tous les ministres-présidents wallons, flamands, bruxellois et de la Communauté française ont également exercé des fonctions parlementaires ou ministérielles au niveau national ou fédéral. Inversement, depuis 1995 et à l’exception des deux derniers titulaires de la fonction (Sophie Wilmès  [675], MR, et Alexander De Croo, Open VLD), tous les Premiers ministres ont exercé un mandat parlementaire ou gouvernemental en Wallonie, en Flandre ou en Communauté française.

549 Du côté des présidents de parti – dont on a souligné le poids dans la vie politique belge et notamment dans les relations informelles qui se nouent entre les différents niveaux de pouvoir – en poste à l’heure d’écrire ces lignes, plusieurs connaissent également un parcours personnel mêlant niveau fédéral et régional ou communautaire : Meyrem Almaci (Groen), Georges-Louis Bouchez (MR), Bart De Wever (N-VA), Egbert Lachaert (Open VLD), Paul Magnette (PS), Jean-Marc Nollet (Écolo), Maxime Prévot (CDH) et Tom Van Grieken (VB). Par contre, d’autres disposent d’une expérience parlementaire uniquement fédérale – François De Smet (Défi) et Raoul Hedebouw (PTB) – ou régionale ou communautaire – Joachim Coens (CD&V), Rajae Maouane (Écolo) et Conner Rousseau (Vooruit).

550 Par ailleurs, la Belgique a éprouvé tant la simultanéité du scrutin fédéral et des élections régionales et communautaires que leur découplage. La première, mise en pratique en 1995 et en 1999, a cédé la place au second de 2003 à 2010. Alors que ce choix a été dicté par la volonté de mieux faire intégrer aux électeurs les différences d’enjeux entre les niveaux de pouvoir concernés, le constat a été posé que la succession relativement rapide de scrutins de type différent (2003, 2007 et 2010 au niveau fédéral, 2004 et 2009 pour les Régions et Communautés)  [676] et leur entremêlement en raison de la circulation des élites parlementaires et ministérielles susmentionnée nuisait à l’action politique plus qu’elle ne la clarifiait. À l’occasion de la sixième réforme de l’État, il a été décidé de coupler à nouveau ces différents scrutins (en allongeant la législature fédérale de quatre à cinq ans et en faisant coïncider le scrutin fédéral et l’élection européenne, à laquelle étaient déjà rattachées les élections régionales et communautaires). Il ne s’agit cependant là que d’une décision pratique, mise en œuvre en 2014 et en 2019, et non juridique, la dissolution anticipée de la Chambre par le Roi demeurant possible et susceptible d’entraîner un nouveau découplage des scrutins  [677]. Il est toutefois à noter que si le choix de faire coïncider les scrutins pouvait autrefois être justifié par le désir d’obtenir des évolutions électorales similaires et donc de faciliter la constitution de majorités politiques identiques à tous les niveaux de pouvoir  [678], l’évolution très différente du comportement de l’électorat francophone et de l’électorat néerlandophone a largement annihilé cet effet.

Dissolution d’une assemblée et scrutin anticipé

Les assemblées parlementaires des Régions et des Communautés sont élues pour un terme de cinq ans et ne peuvent être dissoutes anticipativement. Toutefois, des changements de gouvernement peuvent intervenir au cours d’une législature *.
Au niveau fédéral, en revanche, subsiste la possibilité pour le Roi de dissoudre la Chambre des représentants avant le terme prévu de cinq ans et de convoquer un scrutin anticipé. Il ne peut toutefois le faire que dans trois cas **. Si le gouvernement fédéral est démissionnaire et qu’une majorité d’au moins 76 députés approuve la dissolution. Si la Chambre adopte à la même majorité absolue de ses membres une motion de méfiance à l’égard du gouvernement fédéral sans proposer au Roi le nom d’un successeur au Premier ministre. Si la Chambre rejette pareillement une motion de confiance et ne propose pas un tel successeur dans les trois jours. Comme dans les entités fédérées, un changement de gouvernement fédéral peut aussi intervenir sans dissolution de l’assemblée parlementaire (en l’occurrence, la Chambre).
Il est à noter toutefois qu’au niveau national/fédéral, toutes les législatures depuis 1978, excepté en 1985, se sont formellement achevées par l’adoption et la publication d’une liste d’articles de la Constitution ouverts à révision, ce qui entraîne automatiquement la dissolution du Parlement national/fédéral et la convocation des électeurs pour renouveler la Chambre. Depuis 2014, l’assemblée nouvellement installée l’est pour cinq ans (anciennement, quatre ans), sauf dissolution anticipée.
* J. Faniel, C. Istasse, « Les démissions ministérielles dans les entités fédérées (1981-2017) », CH, n° 2330-2331-2332, 2017.
** Prévus par l’article 46 de la Constitution.

551 En Belgique, le renouvellement de tous les parlements de Région et de Communauté se déroule le même jour, à la différence de ce qui prévaut dans d’autres États fédéraux. Changer cette situation nécessiterait de modifier la Constitution et soulèverait des questions pratiques. Un renouvellement à des moments différents du Parlement wallon et du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale aurait pour incidence un renouvellement partiel et désynchronisé du Parlement de la Communauté française. Si elle ne causerait probablement pas de souci majeur, une telle option bousculerait les habitudes. Plus problématique pourrait être le découplage du scrutin régional bruxellois et de l’élection du Parlement flamand. En effet, les six membres bruxellois de ce dernier sont élus par les électeurs qui, participant au scrutin régional bruxellois, ont opté pour une liste déposée dans le collège néerlandais. Sans pouvoir compter sur ce geste préalable, il faudrait élaborer un autre mécanisme permettant de sélectionner la fraction du corps électoral bruxellois invitée à émettre un vote dans le cadre du scrutin renouvelant le Parlement flamand. À moins d’accepter, là aussi, que les membres bruxellois de ce dernier soient désignés un autre jour que ceux élus en région flamande ou qu’ils le soient par l’ensemble du corps électoral bruxellois.

552 Alors que différentes formules ont été testées depuis la première réforme de l’État, on observe donc une imbrication assez forte des scrutins fédéraux et des élections régionales et communautaires, ainsi qu’une circulation des mandataires politiques, en particulier des plus médiatiques d’entre eux, entre ces différents niveaux de pouvoir. Cela a notamment pour effet que les campagnes électorales portent sur tous les types d’enjeux à la fois, ce qui n’aide pas les électeurs – voire parfois les candidats – à distinguer précisément les compétences revenant à chaque niveau de pouvoir. Ce sentiment est renforcé par le rôle de premier plan que jouent en ces périodes des partis politiques agissant tant à l’échelon fédéral que régional ou communautaire (même si c’est, pour l’essentiel d’entre eux, d’un seul côté de la frontière linguistique).

553 Dans ce tableau, la Communauté germanophone semble faire exception, et ce à plus d’un titre. Tandis qu’il n’est plus possible, depuis 1995, d’être membre de la Chambre des représentants et de prendre simultanément part aux travaux du Parlement wallon, bruxellois, flamand ou de la Communauté française, il demeure possible de participer, avec voix consultative, aux délibérations du Parlement de la Communauté germanophone  [679]. Par ailleurs, le personnel politique provenant de cette Communauté semble, bien plus que le reste du monde politique belge, demeurer fidèle à un niveau de pouvoir et ne pas pratiquer la circulation évoquée ci-dessus. Ainsi, le socialiste Edmund Stoffels a été membre du Parlement wallon de 1999 à 2019 (après avoir siégé comme élu direct au Parlement de la Communauté germanophone dès 1990) mais n’a jamais siégé à la Chambre ; à l’inverse, la libérale Kattrin Jadin est députée fédérale depuis 2007 mais n’a jamais été membre du Parlement wallon. En revanche, tous deux ont fait usage de leur droit de siéger avec voix consultative au Parlement de la Communauté germanophone.

554 Enfin, on relèvera que la circulation entre les niveaux de pouvoir semble également peu inclure le niveau provincial, qui préexistait au fédéralisme (et qui ne dispose pas plus que les communes d’un pouvoir législatif, mais uniquement d’un pouvoir réglementaire). Ces dernières années, cependant, plusieurs députés provinciaux ont rejoint le gouvernement fédéral ou wallon, tels que Christophe Lacroix (PS), Pierre-Yves Dermagne (PS) et Mathieu Michel (MR). À l’inverse, longtemps parlementaires, Ludwig Caluwé et Tom Dehaene (tous deux CD&V) ainsi que Richard Fournaux (PSC, puis MR) sont devenus députés provinciaux, respectivement en 2012 en province d’Anvers, en 2013 en province de Brabant flamand et en 2018 en province de Namur. Et plusieurs ministres sont devenus gouverneurs, tels que, dans un passé récent, Michel Foret et Hervé Jamar (tous deux MR) en province de Liège ou Steve Stevaert (SP.A) en province de Limbourg.

5. Des relations singulières entre composantes de l’État

555 Fruit d’une histoire singulière, l’État fédéral belge se distingue par les spécificités de ses institutions fédérales, de ses entités fédérées et de ses dynamiques. Il est un dernier aspect par lequel il se différencie, au moins à certains égards, d’autres systèmes fédéraux : il s’agit de la manière dont les relations entre ses composantes sont organisées et se structurent. Et cela que l’on considère les rapports entre le niveau de pouvoir fédéral et les entités fédérées ou que l’on examine les rapports de ces dernières entre elles.

556 Les relations entre composantes prennent des formes variées au sein des États fédéraux ; de plus, elles « évoluent avec le temps et en fonction des domaines politiques. Elles constituent néanmoins le “lubrifiant” essentiel de tout système fédéral et, de ce fait, elles sont omniprésentes »  [680]. En particulier, l’existence d’organes et de mécanismes de concertation et de coopération apparaît en général comme un besoin absolu pour la bonne marche des interventions des autorités fédérales et fédérées, et même parfois pour le bon fonctionnement de l’État dans son ensemble. En effet, dans la plupart des pays fédéraux, « l’élaboration de toutes les politiques publiques un tant soit peu significatives requiert une forme ou une autre de collaboration entre les différents ordres de gouvernement »  [681]. Cela ne signifie toutefois pas que les relations entre les composantes d’un État fédéral soient marquées du seul sceau de l’intelligence et de l’entente sur des projets communs. Au contraire, elles sont ponctuées également d’épisodes de tension voire de conflit, portant spécialement sur des questions de compétences respectives ou d’intérêts divergents.

557 Ce dernier chapitre commence par cerner les principes qui président à la répartition des compétences au sein de l’État fédéral belge ; ce système implique des relations multiples, plurielles, intenses et étroites – soit qu’il les instaure, soit qu’il les rende nécessaires – et il influe plus ou moins directement sur la façon dont celles-ci se nouent, se développent et se déploient ou pas (notamment, en instituant une égalité en droit entre les différentes composantes de l’État). Ensuite, ce chapitre analyse successivement les organes et mécanismes établis en vue soit de permettre des rapports de concertation et de coopération entre l’Autorité fédérale et les entités fédérées, soit de tenter de régler les conflits de compétence ou d’intérêts qui surviennent entre elles. Enfin, il indique la manière dont les composantes de l’État articulent leurs prérogatives et leurs actions pour ce qui a trait aux relations internationales. Comme dans les autres chapitres de ce Courrier hebdomadaire, les éléments abordés ici sont mis autant que possible en relation avec des exemples étrangers.

5.1. Les principes de répartition des compétences entre les composantes de l’État fédéral

558 La répartition des compétences entre les différentes composantes de l’État fédéral belge repose avant tout sur des accords conclus entre les principales formations politiques. Ceux-ci, qui prennent place dans des contextes de grande tension politique, sont négociés par les présidents de parti et leurs conseillers lors de réunions qui, fréquemment, se tiennent toutes portes fermées et ne trouvent leur aboutissement que fort tard dans la nuit. Lors de ces négociations, il n’est pas rare que le souci d’assurer la cohérence et l’efficacité s’efface devant le désir d’obtenir une apparente victoire politique. En outre, il arrive parfois que les tractations politiques soient guidées par la volonté d’évacuer du niveau national des sujets récurrents de tension entre francophones et néerlandophones  [682] ou par celle de « faire du chiffre », c’est-à-dire d’aboutir au transfert d’importants moyens budgétaires de l’Autorité fédérale vers les entités fédérées  [683]. Les compromis politiques dégagés doivent ensuite, pour devenir effectifs, être coulés dans des dispositions constitutionnelles ou des lois institutionnelles soumises au préalable à la section de législation du Conseil d’État.

559 Il n’en demeure pas moins que la répartition des compétences obéit à certains principes. Avant tout, ceux-ci ont trait aux objets sur lesquels portent les compétences  [684]. En l’occurrence, les Régions détiennent des compétences principalement liées au territoire (économie, aménagement du territoire, environnement, logement, travaux publics, emploi, transports, pouvoirs locaux, etc.), tandis que les Communautés et les Commissions communautaires disposent de compétences essentiellement liées aux personnes (emploi des langues, culture, enseignement, santé, aide aux personnes, etc.) – les champs d’action des entités communautaires étant par ailleurs conçus de manière à ne pas créer un système de « sous-nationalités » en région bruxelloise.

560 Mais au-delà de cet élément bien connu, les principes de répartition ont également trait à la source juridique des compétences et à la nature de celles-ci, ainsi qu’aux types de relations induites ou non entre les différentes composantes de l’État. En l’occurrence – et sauf exceptions –, le fédéralisme belge procède par attribution de compétences aux entités fédérées, ne connaît formellement que des compétences exclusives (et non des compétences concurrentes), est basé sur le principe d’équivalence des normes législatives fédérales et fédérées (dit « principe d’équipollence »), et n’accorde pas de suprématie au pouvoir fédéral sur les entités fédérées.

5.1.1. Un fédéralisme par attribution de compétences aux entités fédérées

561 Selon le schéma le plus classique, le champ d’action du pouvoir central d’un État fédéral se compose des diverses matières qui ont été soustraites à la compétence des collectivités qui préexistaient à cet État et qui, à la suite de la fondation de celui-ci, ont désormais le statut d’entités fédérées en son sein. Ainsi, lorsqu’ils se sont associés pour créer les États-Unis d’Amérique en 1787, les treize États de la côte est de l’Amérique du Nord ont renoncé à un certain nombre de leurs prérogatives au profit d’un pouvoir central nouvellement institué. Il en a été notamment de même lors de la constitution de deux autres États fédéraux : lorsque les différents Cantons helvétiques se sont unis pour former la Confédération suisse en 1848, et lorsque divers royaumes, duchés, principautés et villes libres allemands se sont réunis pour donner naissance à la Confédération de l’Allemagne du Nord (dont l’actuelle Allemagne est l’héritière) en 1867.

562 Étant mue par un phénomène de dissociation, et non d’association, la Belgique a procédé par le mécanisme inverse : elle a progressivement amputé le pouvoir central de certaines de ses compétences pour les confier à des collectivités nouvellement créées et élevées au rang d’entités fédérées. L’article 35 de la Constitution belge entend passer d’une logique à l’autre mais il n’est pas entré en vigueur à ce jour.

563 En Belgique, les compétences demeurées fédérales proviennent schématiquement de deux sources.

564 Primo, les règles répartitrices attribuent expressément certaines compétences à l’Autorité fédérale. Cela peut se faire de deux manières. Soit la Constitution réserve un certain nombre de compétences à l’Autorité fédérale ; cette attribution de compétences « se marque le plus souvent par la réservation de cette matière à “la loi”, par opposition au décret ou à l’ordonnance »  [685]. Soit la Constitution ou une loi spéciale  [686] confère à l’Autorité fédérale des compétences à titre d’exceptions aux domaines de compétence des entités fédérées. Ces exceptions sont nombreuses et portent sur toutes les matières ayant été concernées par un processus de défédéralisation au fil des réformes de l’État successives (sachant que, à ce jour, aucun domaine de l’action publique n’a été entièrement soustrait à l’Autorité fédérale). Citons trois exemples parmi tant d’autres. Les Régions sont compétentes en matière de politique agricole (politique des produits, politique des prix, aides aux entreprises agricoles, promotion, application des mesures européennes, etc.), mais l’Autorité fédérale reste en charge notamment de la sécurité de la chaîne alimentaire  [687]. L’enseignement est une compétence des Communautés, à trois éléments près : l’Autorité fédérale continue à fixer le début et la fin de l’obligation scolaire, les conditions minimales de délivrance des diplômes et le régime de pension des enseignants  [688]. La politique de l’environnement est une matière régionale (gestion de l’eau, normes de nuisances sonores, politique des déchets, chasse et pêche, reconnaissance d’un phénomène naturel comme calamité publique, etc.), mais l’Autorité fédérale conserve des compétences pour ce qui a trait aux normes des produits, à la protection contre les radiations ionisantes et au commerce des espèces non indigènes  [689].

565 Secundo, toutes les compétences que les règles répartitrices n’attribuent à aucune composante de l’État reviennent à l’Autorité fédérale. Il s’agit de ce que l’on appelle les « compétences résiduelles » ou « compétences résiduaires ». À cet égard, il convient de signaler à nouveau ici que, lors de la révision constitutionnelle du 5 mai 1993, a été introduit dans la Constitution un article 25ter (actuel article 35) disposant que l’Autorité fédérale ne possède que les compétences qui lui sont explicitement dévolues par les règles répartitrices, tandis que l’ensemble des autres compétences appartiennent aux Régions ou aux Communautés ; par défaut, toute intervention publique dans un domaine non dévolu formellement au pouvoir fédéral devrait donc revenir aux entités fédérées. Cependant, la mise en application de cet article est suspendue à la réalisation des deux conditions prévues par la disposition transitoire qu’il contient, à savoir l’adoption, d’une part, d’une norme constitutionnelle identifiant toutes les compétences confiées exclusivement à l’Autorité fédérale et, d’autre part, d’une loi spéciale déterminant les conditions et modalités de l’exercice des compétences résiduelles par les Régions et les Communautés. Tant qu’une telle norme constitutionnelle et une telle loi spéciale n’auront pas vu le jour, les compétences résiduelles resteront confiées à l’Autorité fédérale  [690]. Actuellement, telle est la situation qui prévaut encore. Contrairement à ce que leur nom semble indiquer, les compétences résiduelles ont une portée majeure, notamment en termes budgétaires.

566 Il convient d’observer qu’un domaine peut relever de ces deux catégories, et donc impliquer à la fois des compétences explicitement attribuées à l’Autorité fédérale (éventuellement sous la forme d’exceptions au champ de compétence des entités fédérées) et des prérogatives ressortissant aux compétences résiduelles de cette même Autorité. Ainsi en va-t-il dans le domaine de la sécurité sociale, où ces deux mécanismes sont en jeu. D’une part, lorsque des entités fédérées ont reçu un certain nombre de compétences dans un domaine donné, des exceptions sont parfois prévues en faveur de l’Autorité fédérale. Tel est notamment le cas dans le secteur de la santé : la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles inclut dans les matières personnalisables – qui sont en principe dévolues aux Communautés – un certain nombre de compétences liées à la politique de santé, mais elle instaure une exception au profit de l’Autorité fédérale s’agissant de l’assurance maladie-invalidité  [691]. D’autre part, en vertu de sa compétence résiduelle, l’Autorité fédérale est la seule composante de l’État qui soit habilitée à intervenir dans les domaines qui n’ont pas été confiés aux entités fédérées par les règles répartitrices de compétences (par exemple, en matière de pensions  [692]).

567 Pour leur part, les entités fédérées belges – à savoir les trois Régions, les trois Communautés, la COCOM et, lorsqu’elle agit dans le cadre des compétences dont l’exercice lui a été transféré par la Communauté française, la COCOF – ne possèdent que les compétences qui leur sont explicitement attribuées par les règles répartitrices de compétences, c’est-à-dire donc par la Constitution et les lois adoptées en vertu de celles-ci (en l’occurrence, il s’agit de lois spéciales ou, dans le cas de la Communauté germanophone, de lois ordinaires). Les plus importantes de ces lois sont la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles  [693], la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone  [694] et la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises  [695], qui toutes trois ont été modifiées à de multiples reprises.

568 Ajoutons encore que, afin de pouvoir exercer pleinement ses compétences, chaque composante de l’État fédéral belge dispose de deux types de compétences complémentaires : les « compétences auxiliaires » (dites aussi « compétences dérivées » ou « compétences accessoires ») et les « compétences implicites » (dites aussi « compétences non explicites » ou « compétences sous-entendues »). Les premières sont attribuées explicitement et dans le détail par la Constitution ou par la loi, à la différence des secondes. Les compétences auxiliaires sont notamment le droit de créer des services, établissements et entreprises, le droit de prendre les mesures nécessaires en matière d’infrastructures, le droit de préemption (droit préférentiel pour l’achat d’un bien), le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique, le droit de prendre des participations en capital, le droit d’organiser une tutelle spécifique sur les pouvoirs locaux  [696], et le droit d’ériger en infractions les manquements à sa législation propre et d’établir des peines pour ces manquements  [697]. Les compétences implicites consistent en la possibilité pour une composante de l’État de prendre des dispositions dans des domaines qui ne font pas partie de ses compétences attribuées (et des compétences résiduelles, dans le cas de l’Autorité fédérale) mais sur lesquels il lui faut impérativement légiférer pour pouvoir exercer ses compétences attribuées  [698] ; par exemple, les entités fédérées disposent, à l’instar de l’Autorité fédérale, de la faculté de prévoir la compétence d’un juge dans l’exercice d’une de leurs attributions (comme instaurer un droit de recours contre une redevance régionale) et de celle de prendre des dispositions complémentaires en matière de marchés publics.

Les prérogatives de l’« État global »

En Belgique, les institutions de l’Autorité fédérale – c’est-à-dire le Parlement fédéral et le Roi (comprendre : le gouvernement fédéral) – sont également chargées d’exercer les prérogatives qui relèvent de ce que Hans Kelsen nomme l’« État global » * (ou, selon d’autres terminologies juridiques, l’« État intégral » ou l’« ordre total »), c’est-à-dire les prérogatives qui concernent l’ensemble des composantes de l’État fédéral (et qui sont parfois qualifiées de « fonctions fédératives »).
En effet, dans le système institutionnel belge, par un « phénomène de dédoublement fonctionnel » **, les organes qui composent le pouvoir législatif au niveau central – à savoir le Parlement et le gouvernement fédéraux – sont aussi, pour l’essentiel, ceux qui sont investis de la mission d’agir au titre de l’État global. En particulier, ils sont chargés dans ce cadre d’énoncer et le cas échéant de modifier les règles répartitrices de compétences entre les différentes composantes de l’État, que ces règles figurent dans la Constitution (dans ce cas, ils agissent en qualité de pouvoir constituant) ou dans des lois qui, si elles ne font pas partie de la Constitution au sens formel du terme, sont de nature constitutionnelle au sens matériel (à savoir, dans la plupart des cas, des lois adoptées à la majorité spéciale). Tel n’est pas le cas dans l’ensemble des États fédéraux.
En Belgique, lorsqu’il est question de l’action qui se déploie au niveau fédéral, il convient donc de distinguer clairement deux choses sur le plan théorique. D’une part, les compétences fédérales, c’est-à-dire les compétences qui appartiennent à l’Autorité fédérale en tant que telle, en sa qualité de composante de l’État fédéral belge et en vertu des règles répartitrices de compétences (Constitution et lois de nature constitutionnelle). D’autre part, les fonctions fédératives, c’est-à-dire les prérogatives qui appartiennent à l’État global (réviser la Constitution, modifier les limites des régions linguistiques, réformer les règles répartitrices de compétences entre les composantes de l’État, fixer le système de financement des entités fédérées, etc.). Dans le second cas, la Chambre des représentants, le Sénat et le gouvernement fédéral n’agissent pas en tant qu’institutions de l’Autorité fédérale (qui se préoccupent de l’intérêt fédéral) mais comme agents de l’ordre total (qui veillent aux intérêts de l’État dans sa globalité, c’est-à-dire aux intérêts tant du niveau de pouvoir fédéral que des entités fédérées).
Relèvent aussi de cet « État global » l’ensemble des règles qui président aux relations entre composantes de l’État fédéral.
*  H. Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, suivi de La doctrine du droit naturel et le positivisme juridique (édité par S. L. Paulson), Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2010.
**  F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles / Paris, Bruylant / Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2000, p. 59.

569 Lorsqu’il fixe la répartition des compétences entre le pouvoir central et les entités fédérées, chaque État fédéral détermine un équilibre entre les impératifs de cohérence et d’autonomie. Sur la base de ses réalités socio-politiques, de ses dynamiques historiques et de ses rapports de force internes, il décide des domaines de l’action publique dont il estime opportun qu’ils relèvent d’une autorité unique (afin de garantir l’unité nationale et d’assurer l’égalité des citoyens) ou qu’ils puissent être adaptés à la diversité des situations régionales (afin de satisfaire les aspirations propres de certaines collectivités et de contrer les effets négatifs d’une toute-puissance du niveau central). Cette décision est inscrite dans les textes constitutionnels et dans les lois définissant et agençant les compétences des composantes de l’État.

570 Il est malaisé d’établir des comparaisons en la matière, tant chaque État fédéral présente une articulation unique des différents ordres juridiques qui le composent. Cependant, il est un élément révélateur qu’il est relativement simple d’observer : la dévolution des compétences résiduelles. Selon les pays, celles-ci appartiennent soit au pouvoir fédéral soit – cas de figure qui semble être le plus fréquent – aux entités fédérées. Tout comme en Belgique, les compétences résiduelles reviennent constitutionnellement au pouvoir fédéral au Canada  [699] et en Inde  [700]. La situation inverse prévaut en Allemagne  [701], aux États-Unis  [702] et en Suisse  [703] : dans ces pays, elles sont dévolues par défaut aux entités fédérées, c’est-à-dire aux composantes par lesquelles elles étaient historiquement exercées, s’agissant d’un fédéralisme d’association. Mais tel est également le cas au Brésil  [704], État devenu fédéral à la suite d’un mouvement de dissociation. Citons aussi les cas de l’Autriche  [705], de la Bosnie-Herzégovine  [706], du Mexique  [707] et de la Russie  [708].

5.1.2. Un fédéralisme de compétences exclusives

571 Dans un État fédéral, on distingue généralement deux types de compétences : les « compétences exclusives » et les « compétences concurrentes » (les secondes étant aussi dites « compétences partagées »). Les compétences exclusives appartiennent intégralement soit au niveau de pouvoir fédéral soit aux entités fédérées (ou, dans le cas de la Belgique, à certaines des entités fédérées). Les compétences concurrentes appartiennent à la fois au pouvoir fédéral et aux entités fédérées. Dans ce second cas de figure, le dispositif est le suivant : « Un niveau de pouvoir peut librement régler tel domaine d’activités relevant de ses compétences tant qu’un autre niveau de pouvoir, également compétent pour régler ce domaine mais aux normes de laquelle le système reconnaît une forme de préséance, n’est pas intervenu. Là où celui-ci est intervenu, il n’est plus possible pour le premier d’intervenir »  [709].

572 À l’exception de la Belgique, tous les États fédéraux connaissent à la fois des compétences exclusives et des compétences concurrentes. Toutefois, dans plusieurs d’entre eux, la grande majorité des champs de responsabilités sont attribués de manière exclusive à l’un ou l’autre niveau de pouvoir. Tel est par exemple le cas du Canada  [710], même si la répartition exclusive n’y est en réalité que théorique (dans les faits, par le biais de dispositions budgétaires octroyant des subventions sous condition, le pouvoir fédéral empiète sur les champs de compétence des Provinces). En Allemagne, les différents domaines de compétence sont soit partagés entre le pouvoir fédéral (le Bund : la Fédération) et les Länder, soit réservés au premier (affaires étrangères, défense, monnaie, transports, etc.), soit réservés aux seconds (éducation, culture, etc.)  [711]. En Suisse, les compétences sont réparties entre le pouvoir fédéral (la Confédération) et les Cantons dans presque tous les secteurs d’activité de l’État  [712].

573 La Belgique présente la singularité d’être le seul État fédéral dans lequel il n’existe – formellement, du moins – que des compétences exclusives. En effet, selon les règles répartitrices de compétences, chaque composante de l’État (qu’il s’agisse de l’Autorité fédérale, d’une Région, d’une Communauté ou d’une Commission communautaire) est compétente à titre exclusif dans ses attributions. Autrement dit, lorsqu’une composante de l’État est compétente dans une matière donnée – c’est-à-dire pour un aspect déterminé de l’action publique à l’intérieur d’un certain ressort territorial –, aucune des autres ne peut intervenir dans ladite matière. Et inversement, chaque matière donnée relève de la compétence exclusive d’une seule et unique composante de l’État. Dès lors, l’Autorité fédérale n’a aucun droit d’intervention dans les compétences des entités fédérées, pas plus d’ailleurs que celles-ci n’en ont entre elles ou par rapport à l’Autorité fédérale. Bref, dans le champ d’application de ses compétences, chacune des composantes de l’État fédéral belge mène librement sa propre politique. Et cela non seulement pour ses fonctions législatives et ses fonctions exécutives, mais également pour ses fonctions budgétaires (quoique moyennant certaines limites dans ce cas  [713]) ainsi que pour les relations internationales  [714] (ce en quoi, comme nous le verrons plus loin, la Belgique constitue un cas rare, peu d’États fédéraux accordant à leurs entités fédérées de telles prérogatives sur le plan international).

574 La particularité du fédéralisme belge de ne connaître en principe que des compétences exclusives est à mettre en relation avec la crainte que l’existence de compétences concurrentes soit une source de tension au sein du gouvernement fédéral. En effet, toute compétence concurrente implique le choix délicat de décider de l’exercer ou non au niveau fédéral (au détriment, donc, de l’autonomie des entités fédérées). Dès lors, le fait de procéder par compétences exclusives permet d’éviter que le Conseil des ministres, constitué paritairement de francophones et de néerlandophones, se déchire autour de la question de l’opportunité d’adopter une mesure qui irait contre une norme, par exemple, de la Région wallonne ou de la Communauté flamande. Par ailleurs, du côté néerlandophone, on a vu dans l’absence de compétences concurrentes la possibilité de poursuivre ses propres intérêts sans être lié, comme par le passé, par un cadre belge accusé de perpétuer la domination historique des francophones. Du côté francophone, on y a vu également la possibilité de défendre ses priorités propres : face à une Flandre plus peuplée, plus prospère et politiquement plus unie, les responsables politiques francophones, et en particulier les Wallons, sont demandeurs d’une pleine autonomie de chaque entité fédérée dans ses domaines de compétence, de crainte que toute intervention du niveau fédéral s’exerce sous l’influence de la majorité flamande et donc au détriment des intérêts francophones.

575 Comme on le sait, le principe d’exclusivité n’empêche pas le morcellement et l’enchâssement des domaines de compétence entre les différentes composantes de l’État fédéral belge. En effet, lors d’une réforme de l’État, lorsque les négociateurs francophones et néerlandophones conviennent des matières qui ne seront désormais plus gérées au niveau national, ils n’amputent jamais l’Autorité fédérale de l’ensemble d’un domaine de compétence donné : ils ne lui en retirent que certains pans, plus ou moins larges, plus ou moins homogènes et plus ou moins clairement délimités  [715]. Et ce sont ces blocs de compétence – et non, donc, des domaines de compétence entiers – qui sont alors gérés, de manière strictement exclusive, par les entités fédérées. Dès lors, il existe de multiples domaines de compétence dans lesquels interviennent plusieurs composantes de l’État, chacune pour les aspects et le territoire qui relèvent de ses attributions. Par exemple, ainsi que l’a rappelé la gestion de la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, les compétences en matière de santé publique sont fragmentées entre l’Autorité fédérale et l’ensemble des entités fédérées  [716]. En cas de doute ou de contestation quant à l’attribution d’une compétence donnée, certains organes peuvent être amenés à intervenir, à titre soit préventif soit curatif (cf. infra).

576 De même, le principe d’exclusivité n’implique pas que les différentes composantes de l’État fédéral belge jouissent d’une totale liberté dans leurs champs de compétence respectifs. Au contraire, elles doivent composer avec des restrictions de trois types. Tout d’abord, les entités fédérées sont limitées dans leur action par les moyens financiers qui leur sont attribués, et qui sont fixés par des lois de financement adoptées au niveau fédéral. Ensuite, en vertu du principe de « loyauté fédérale » tel qu’il est interprété par la Cour constitutionnelle, chaque composante de l’État fédéral doit exercer ses compétences de manière à ne pas rendre impossible ou exagérément difficile l’exercice de leurs compétences par les autres composantes  [717]. Enfin, comme dans tous les pays fédéraux, des organes et des mécanismes de coopération sont institués entre les différentes composantes de l’État : soit entre entités fédérées, pour coordonner la gestion des matières qui ont été ôtées à l’Autorité fédérale ; soit entre l’Autorité fédérale et une ou plusieurs entités fédérées, pour coordonner la gestion des domaines de compétence qui ont été fractionnés entre ces niveaux de pouvoir (cf. infra).

577 Il convient aussi de préciser que, même dans le cas du fédéralisme belge, le principe d’exclusivité n’est pas absolu. Dans divers cas, les règles répartitrices de compétences – ainsi que, dans d’autres cas, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle – modèrent ce principe voire y dérogent  [718]. En outre, chacune des composantes de l’État fédéral belge est compétente pour ce qui la concerne dans quelques matières telles que la recherche scientifique, la coopération au développement et la protection des droits fondamentaux (on parle alors de « compétences parallèles »). Enfin, l’Autorité fédérale dispose parfois du pouvoir d’établir le cadre à l’intérieur duquel les entités fédérées doivent opérer (« compétences-cadre ») ; tel est le cas dans des matières telles que le droit au respect de la vie privée et familiale, les règles de base de la politique hospitalière et les plafonds d’aides aux entreprises en matière d’expansion économique.

578 Il est à relever aussi que certaines singularités du fédéralisme belge ont un impact non négligeable sur l’exclusivité des compétences aux niveaux fédérés. Tel est en particulier le cas de la superposition de l’action de plusieurs entités fédérées en un point donné du territoire (phénomène qui est par définition absent d’autres États fédéraux, chaque entité fédérée y disposant de son territoire propre et exclusif) et de l’asymétrie entre les entités fédérées (due notamment aux transferts d’exercice de compétences entre certaines d’entre elles). Ainsi, en région bruxelloise, un citoyen tombe sous la législation de la Communauté française ou de la Communauté flamande en fonction de l’institution qu’il choisit pour scolariser son enfant, sous celle de la COCOM ou de la Communauté flamande selon la maison de repos qu’il décide d’intégrer  [719], ou encore sous celle de la Région de Bruxelles-Capitale, de la COCOF ou de la Communauté flamande lorsqu’il suit une formation professionnelle. De même, bien que le sport soit une compétence communautaire, la Communauté française est limitée dans ses possibilités d’établir sa propre politique sportive par le fait qu’elle a transféré la compétence en matière de subsidiation des infrastructures sportives à la Région wallonne et la COCOF et que, en région bruxelloise, la Région de Bruxelles-Capitale est compétente depuis la sixième réforme de l’État pour financer et subsidier des infrastructures sportives communales  [720].

5.1.3. Un fédéralisme de normes législatives fédérales et fédérées équipollentes

579 Les normes législatives adoptées par l’Autorité fédérale sont appelées « lois ». Celles adoptées par les entités fédérées sont dénommées « décrets » si elles émanent de la Communauté française, de la Communauté flamande, de la Communauté germanophone, de la COCOF, de la Région wallonne ou de la Région flamande, et « ordonnances » si elles sont le fait de la Région de Bruxelles-Capitale ou de la COCOM. Toutefois, dans la Constitution, le terme « décret » est presque exclusivement réservé aux normes législatives adoptées par les Communautés. Pour leur part, celles adoptées par les Régions y sont quasiment toujours désignées par l’expression « règle visée à l’article 134 »  [721]. Quant au mot « ordonnance », il n’apparaît que dans la disposition transitoire – adoptée le 29 mars 2012 – de l’actuel article 195 de la Constitution, et encore est-ce à propos d’une ordonnance spéciale. Enfin, il n’est pour ainsi dire pas question dans la charte fondamentale des normes adoptées par la COCOM et par la COCOF. Dès lors, ce sont essentiellement les lois spéciales du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises qui consacrent, l’une, l’usage du terme « décret » pour les Régions wallonne et flamande et, l’autre, celui du mot « ordonnance » pour la Région de Bruxelles-Capitale et la COCOM.

580 Les décrets des trois Communautés – et, par extension, de la COCOF – et des Régions wallonne et flamande ont « force de loi », c’est-à-dire qu’ils ont une force juridique strictement égale aux lois de l’Autorité fédérale. Ce statut est conféré aux décrets des trois Communautés par la Constitution elle-même  [722]. Dans le cas des décrets des Régions wallonne et flamande, la source juridique est la loi spéciale du 8 août 1980 (qui dispose à ce sujet : « Le décret a force de loi. Il peut abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions légales en vigueur »)  [723]. Pour leur part, les ordonnances de la Région de Bruxelles-Capitale – et, par extension, de la COCOM – n’ont pas formellement reçu « force de loi ». Cependant, la loi spéciale du 12 janvier 1989 dispose que « l’ordonnance peut abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions législatives en vigueur »  [724]. Pour ce qui a trait à la répartition des compétences, les ordonnances doivent donc également être tenues comme ayant force de loi  [725]. Le statut particulier des ordonnances bruxelloises dans la hiérarchie des normes s’explique par les réticences du monde politique flamand à l’égard de la création d’une Région bruxelloise placée sur le même plan que les Régions wallonne et flamande  [726].

581 Le principe selon lequel les décrets et ordonnances des entités fédérées ont la même force juridique que les lois de l’Autorité fédérale – ou, pour le dire autrement, les lois n’ont pas de primauté sur les décrets et ordonnances – est dénommé « équipollence des normes ».

582 Ce principe a été consacré dès 1970 s’agissant des actuelles Communauté française et Communauté flamande, puis en 1980 pour les Région wallonne et Région flamande, en 1983 pour la Communauté germanophone et en 1989 pour la Région de Bruxelles-Capitale et la COCOM. À l’origine, il répond à une demande des francophones, soucieux de « se prémunir contre le risque de voir les décrets de la Communauté française modifiés ou neutralisés par le vote de lois au niveau national, lois en sens divergent ou opposé, étant donné que le législateur national est majoritairement composé de parlementaires néerlandophones »  [727]. Par ailleurs, l’équipollence des normes fait partie des éléments qui assurent l’autonomie des entités fédérées au même titre notamment que le fait de ne pas être soumis à un pouvoir de tutelle et celui de disposer d’institutions dont les membres sont désignés sans intervention de l’Autorité fédérale.

583 Le principe d’équipollence des normes ne connaît que trois exceptions, qui toutes concernent les ordonnances de la Région de Bruxelles-Capitale  [728]. Primo, les juridictions de l’ordre judiciaire (ainsi que le Conseil d’État) peuvent et doivent refuser d’appliquer une ordonnance bruxelloise aux affaires qui leur sont soumises si elles estiment que celle-ci n’est pas conforme aux dispositions de la Constitution ou de la loi spéciale du 12 janvier 1989 autres que celles placées sous le contrôle de la Cour constitutionnelle  [729]. Un tel contrôle incident exercé par les juridictions dans le cadre de leurs missions juridictionnelles n’existe pas en ce qui concerne les lois et les décrets, ceux-ci étant uniquement soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle. Secundo, un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres (organe composé des ministres du gouvernement fédéral) peut suspendre une ordonnance bruxelloise en matière d’urbanisme, d’aménagement du territoire, de travaux publics ou de transport « en vue de préserver le rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles »  [730]. Dans un tel cas, la tâche de trouver une solution revient au Comité de coopération, qui est un organe composé paritairement de ministres fédéraux et de ministres régionaux bruxellois (cf. infra). Si cette négociation se solde par un échec, la Chambre des représentants peut décider, à la majorité dans chacun de ses groupes linguistiques, d’annuler l’ordonnance. Si aucune solution consensuelle ne peut être trouvée et s’il n’y a pas eu de décision d’annulation, l’ordonnance n’est plus suspendue. Cependant, ce mécanisme n’a jamais été appliqué à ce jour. Tertio, lorsque le Conseil des ministres estime, dans les quatre mêmes matières, que des mesures doivent être prises par la Région de Bruxelles-Capitale « en vue de développer le rôle international ou la fonction de capitale de Bruxelles »  [731], il peut saisir le Comité de coopération. Si celui-ci ne parvient pas à un accord, la Chambre des représentants peut être amenée à intervenir afin d’adopter, à la majorité dans ses deux groupes linguistiques, les mesures préconisées par le Conseil des ministres  [732]. Cette procédure de substitution n’a, elle non plus, jamais été actionnée.

584 Hormis ces trois exceptions – qui, comme on l’aura compris, sont fortement circonscrites –, le principe d’équipollence des normes fédérales et des normes fédérées est donc absolu en Belgique. Cela constitue une réelle singularité de l’ordonnancement institutionnel belge. En effet, il n’est de mise dans aucun autre État fédéral que la Belgique. Cela s’explique par le fait que le système fédéral belge est le seul à ne connaître formellement que des compétences exclusives. En effet, chaque composante de l’État étant compétente de manière exclusive pour régler les matières que lui attribuent les règles répartitrices de compétences, il n’y a pas lieu qu’une autre composante (en ce compris l’Autorité fédérale) s’immisce dans lesdites matières.

585 Précisons encore, s’il en est besoin, que les normes adoptées au titre de l’État global – à commencer par la Constitution et les lois spéciales (ou les lois équivalentes pour la Communauté germanophone) – ne sont pas concernées par le principe d’équipollence : leur force juridique est supérieure tant aux normes fédérales qu’aux normes fédérées et elles s’imposent donc à celles-ci.

586 À vrai dire, la question de savoir si les normes des entités fédérées sont ou non équipollentes entre elles ne se pose qu’en Belgique. Une fois encore, celle-ci est en effet le seul État fédéral où les entités fédérées se superposent géographiquement ; ailleurs, chaque entité fédérée dispose d’un territoire propre, sur lequel elle possède la totalité des compétences n’appartenant pas au niveau de pouvoir central. Dès lors, il n’y a qu’en Belgique  [733] que plusieurs entités fédérées sont susceptibles d’intervenir en un même lieu et dans un même champ de l’action publique (et, qui plus est, de façons potentiellement différentes). Quant à la question de savoir si les normes des entités fédérées sont ou non placées sur un pied d’égalité avec celles du pouvoir fédéral, elle ne se pose par définition qu’au sujet des compétences concurrentes. En l’occurrence, s’agissant de ces dernières, la plupart des États fédéraux instaurent une hiérarchie des normes en faveur du pouvoir fédéral. Par exemple, en Allemagne, l’autonomie des Länder est toujours limitée par le principe de la primauté du droit fédéral (on parle de force dérogatoire du droit fédéral)  [734] : « Bundesrecht bricht Landesrecht » (« Le droit fédéral prime le droit de Land ») dispose l’article 31 de la Loi fondamentale allemande. Pareillement, en Suisse, l’article 49 de la Constitution stipule que « le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire »  [735]. Il en va de même en Australie, en Inde et, quoique de manière plus restreinte, aux États-Unis.

5.1.4. Un fédéralisme dépourvu de suprématie du pouvoir fédéral sur les entités fédérées

587 En Belgique, le niveau de pouvoir fédéral ne peut pas être considéré comme un primus inter pares au sein des composantes de l’État fédéral. En effet, dans l’ordre interne, l’Autorité fédérale ne jouit pas d’un statut juridique supérieur à celui des entités fédérées. Outre le fait que, comme on vient de le voir, la loi fédérale ne prime pas les normes fédérées, trois éléments majeurs sont à pointer ici.

588 Primo, l’Autorité fédérale ne dispose pas de la prérogative de résoudre les conflits qui interviennent entre elle et une entité fédérée ou entre deux entités fédérées. Ces tâches sont réservées à divers organes tels que le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle  [736] ou encore le Comité de concertation (le Sénat intervenant également dans certains cas). On distingue à cet égard le conflit de compétence (lorsqu’une composante estime qu’un acte juridique émanant d’une autre composante excède la compétence de celle-ci, soit que la matière concernée ne fait pas partie des attributions de cette autre composante soit que cette norme s’applique sur un territoire ou à des institutions qui ne relèvent pas de la compétence de cette autre composante) et le conflit d’intérêts (lorsqu’une composante de l’État fédéral belge s’estime gravement lésée par une décision ou par un projet de décision émanant d’une autre composante, ou encore par l’absence de décision d’une autre composante), deux notions sur lesquelles nous reviendrons en détail plus loin. A fortiori, l’Autorité fédérale n’a pas le droit de sanctionner une entité fédérée qui ne respecterait pas les règles répartitrices de compétences ou dont l’action nuirait aux intérêts d’une autre composante de l’État.

589 Secundo, l’Autorité fédérale n’a pas de droit de tutelle sur les entités fédérées. Certes, en raison du rôle international et de la fonction de capitale de Bruxelles, l’Autorité fédérale dispose d’un pouvoir de contrôle sur l’exercice de certaines compétences par la Région de Bruxelles-Capitale : le Conseil des ministres peut soit suspendre une ordonnance bruxelloise prise en matière d’urbanisme, d’aménagement du territoire, de travaux publics et de transport, soit proposer l’adoption d’une ordonnance dans ces mêmes matières, voire se substituer à la Région bruxelloise à défaut d’accord entre les deux composantes de l’État (cf. supra). Dans les faits cependant, ces deux procédures – qui sont particulièrement sensibles sur le plan politique – n’ont jamais été mises en œuvre.

590 Tertio, l’Autorité fédérale n’a pas de droit de contrainte sur les entités fédérées. Cela signifie, par exemple, qu’elle ne peut pas s’assurer que les Communautés et les Régions respectent bien la Constitution belge et les règles répartitrices de compétence et, a fortiori, qu’elle n’a pas les moyens de sanctionner une entité fédérée en cas de non-respect de ces dispositions. C’est à la Cour constitutionnelle qu’il appartient de vérifier que le législateur fédéral et les différents législateurs fédérés n’ont pas violé la Constitution (plus précisément, les articles 8 à 32, 143 § 1er, 170, 172 et 191 de celle-ci) et les règles répartitrices de compétences et, le cas échéant, de suspendre voire d’annuler les textes litigieux (cf. Chapitre 2). De même, l’absence de droit de contrainte implique que l’Autorité fédérale est dénuée du moyen de forcer les entités fédérées à respecter les engagements internationaux pris par la Belgique, même si ce non-respect est de nature à engager la responsabilité du pays (par exemple, devant la Cour de justice de l’Union européenne). Certes, comme on le verra plus loin, l’Autorité fédérale peut se substituer temporairement à une entité fédérée pour garantir le respect des obligations internationales ou supranationales (en particulier, en matière de lutte contre les changements climatiques)  [737]. Cependant, ce mécanisme n’a jamais été activé à ce jour : non seulement ses modalités d’application sont très rigoureuses, mais en outre une mise en œuvre de cette substitution serait sans doute vécue comme une agression par l’entité fédérée concernée.

591 Précisons encore que le fait que, en Belgique, la plupart des prérogatives qui relèvent de l’État global soient exercées par des organes de l’Autorité fédérale ne signifie nullement que celle-ci jouirait d’une quelconque prééminence par rapport aux entités fédérées. En effet, lorsque, par exemple, ils procèdent à une révision de la Constitution, la Chambre des représentants, le Sénat  [738] et le Roi n’interviennent pas en leur qualité d’organes de l’Autorité fédérale mais en tant que corps chargés d’agir au titre de l’État global. Bien entendu, dans la pratique, la concentration des fonctions fédérales et des fonctions fédératives au sein des mêmes institutions est susceptible de créer une confusion, y compris dans le chef des responsables politiques qui les assument – en particulier lorsque divers volets d’un large accord politique, éventuellement porteur d’un nouvel équilibre communautaire, se rapportent à plusieurs d’entre elles, ce qui est souvent le cas. Il n’en demeure pas moins que, sur le plan des principes, ces fonctions ne sauraient être confondues.

592 Les trois éléments que nous avons listés et en vertu desquels le pouvoir fédéral ne jouit pas d’une suprématie sur les entités fédérées en Belgique sont loin de se retrouver dans tous les systèmes fédéraux. Par exemple, l’article 257, § 1er de la Constitution indienne confère au pouvoir central un certain droit de contrôle sur les entités fédérées. Pour sa part, l’article 37, § 1er de la Loi fondamentale allemande octroie au niveau de pouvoir fédéral le droit de forcer les Länder à se conformer au droit interne : « Si un Land ne remplit pas les obligations de caractère fédéral qui lui incombent en vertu de la Loi fondamentale ou d’une autre loi fédérale, le gouvernement fédéral peut, avec l’approbation du Bundesrat, prendre les mesures nécessaires pour obliger ce Land, par la voie de la contrainte fédérale, à remplir ses obligations ». De même, l’article 49, § 2 de la Constitution suisse dispose que « la Confédération veille à ce que les Cantons respectent le droit fédéral ». Pour sa part, l’article 16, § 4 de la Constitution autrichienne dispose que le pouvoir central se substitue au Land qui ne remplirait pas une obligation relevant du droit international : « Les Länder sont tenus de prendre, dans leur domaine d’action autonome, les mesures que requiert l’application des traités internationaux ; si un Land ne remplit pas cette obligation en temps voulu, la compétence quant à ces mesures passe à la Fédération (…) ».

593 L’absence de prépondérance de l’Autorité fédérale au sein des composantes de l’État fédéral belge s’explique, au moins partiellement, par le fait que la Belgique ne connaît en principe que des compétences exclusives et non des compétences concurrentes. Elle est également due en partie au fait que, à de très rares exceptions près, l’Autorité fédérale ne dispose pas de la possibilité de faire appliquer ses normes par les entités fédérées. À ce dernier égard, le système belge diffère de celui en vigueur dans la plupart des autres États fédéraux, où le pouvoir fédéral n’exécute pas lui-même l’ensemble de la législation fédérale au moyen d’une administration propre mais délègue partiellement cette tâche aux entités fédérées (notamment, afin de permettre à celles-ci de tenir compte de leurs spécificités propres)  [739]. Dans ces pays dits de « fédéralisme d’exécution », les entités fédérées ont donc également le rôle d’administrations décentralisées. Tel est par exemple le cas en Allemagne  [740], en Autriche  [741] et en Suisse  [742].

5.2. Les relations constructives entre composantes de l’État fédéral : l’organisation de la concertation et de la coopération

594 Dans un État fédéral, la coexistence entre différentes composantes, l’une fédérale et les autres fédérées, implique inévitablement que des rapports se nouent entre elles. Il est à cet égard habituel de poser une distinction entre les relations constructives, qui procèdent – ou sont censées procéder – d’un esprit de concertation et de coopération, et les relations défensives, qui relèvent principalement d’une logique d’affrontement voire de conflit. Les relations constructives sont traitées dans ce point, tandis que les relations défensives le seront dans le suivant.

595 Ainsi que l’on vient de le voir, le système fédéral belge se caractérise notamment par la complexité de la répartition des compétences entre les différentes entités fédérées et avec l’Autorité fédérale. Afin de gérer les matières où les compétences des unes et des autres se rencontrent voire se chevauchent, et de coordonner l’action des différentes composantes dans d’autres matières, des organes et des mécanismes de concertation et de coopération ont été instaurés. Ceux-ci ne sont nullement incompatibles avec le principe d’autonomie des diverses composantes de l’État fédéral, même s’ils lui imposent incontestablement des limites.

596 Il est à noter que si la collaboration entre les différentes composantes d’un État fédéral est « le gage de l’équilibre et de la viabilité » de celui-ci [743], on constate dans le cas belge que les organes et mécanismes mis en place pour organiser cette collaboration le sont essentiellement au niveau des gouvernements, quand bien même celle-ci porte sur des matières dont l’organisation relève habituellement des parlements. Il est donc possible d’avancer l’hypothèse que le renforcement de la collaboration au sein de l’État fédéral conduit à un affaiblissement de son caractère démocratique.

5.2.1. Les organes

597 En Belgique, les principes de loyauté fédérale et de fédéralisme coopératif s’appliquent de façon transversale au-delà des procédures explicitement prévues dans la législation. Ainsi, la portée du concept de concertation a été définie par la Cour d’arbitrage (actuelle Cour constitutionnelle) en 1992 comme le fait « d’obliger l’autorité investie du pouvoir de décision à prendre en considération l’opinion d’une autre autorité (…), sans toutefois que l’autorité compétente pour décider perde sa liberté d’agir »  [744].

598 Toutefois, le concept même de loyauté fédérale connaît un certain flou dans sa définition. Principe politique davantage que juridique, il est constitutionnalisé par la quatrième réforme de l’État, qui l’intègre à l’article 143, § 1er de la loi fondamentale sans en préciser les contours : « Dans l’exercice de leurs compétences respectives, [l’Autorité fédérale], les Communautés, les Régions et la Commission communautaire commune agissent dans le respect de la loyauté fédérale, en vue d’éviter des conflits d’intérêts ». Depuis la sixième réforme de l’État, ce principe de loyauté fédérale fait partie des normes de contrôle de la Cour constitutionnelle (précédemment, celle-ci y faisait toutefois déjà référence via le principe de proportionnalité dans l’exercice des compétences)  [745]. Désormais, les contours de la loyauté fédérale s’établissent donc également via la jurisprudence de la Cour.

599 Il est communément admis que ce principe doit être compris, non comme une forme de loyauté à l’égard de l’Autorité fédérale comme on l’imagine parfois, mais comme la « nécessité de rechercher avec constance, au sein de [l’État fédéral], un équilibre viable entre l’autonomie des entités fédérées et l’intégrité de la communauté de destins que représente l’ensemble fédéral »  [746]. En vérité, il s’agit là de l’expression de l’essence même du fédéralisme, et d’une idée que l’on retrouve donc sous une forme ou une autre dans tous les États fédéraux  [747]. La portée de cette norme est cependant sujette à débat. Dans une version minimaliste, la loyauté fédérale impose de ne prendre aucune initiative qui entraverait l’exercice des compétences d’une autre composante. Dans une version maximaliste, elle impose à tous les acteurs de prendre en compte en permanence les intérêts de l’ensemble fédéral en même temps que les leurs.

600 Le principe de fédéralisme coopératif paraît initialement être plus positif et impliquer non seulement une loyauté dans les comportements mais également une démarche active de collaboration. « Le fédéralisme est-il ontologiquement coopératif ? », demandent Johanne Poirier et Nicolas Levrat  [748]. Il apparaît que le degré de coopération varie fortement, en fonction principalement de l’enchevêtrement, plus ou moins développé, des compétences. Dans les pays où le fédéralisme est né avant le développement de l’État et la multiplication des politiques publiques, les sphères de compétences entre le niveau de pouvoir fédéral et les entités fédérées sont généralement nettement délimitées, comme au Canada et aux États-Unis. La Belgique présente la particularité d’être un État fédéral non seulement jeune mais aussi issu d’un processus de dissociation progressive : l’enchevêtrement des compétences y est particulièrement complexe et nécessite une coopération renforcée, qui a d’ailleurs été précocement institutionnalisée.

601 En effet, dès la première réforme de l’État, la question de la coopération entre les Communautés culturelles s’est posée. La loi spéciale du 21 juillet 1971 a instauré une commission chargée de promouvoir la coopération entre la Communauté culturelle française et la Communauté culturelle néerlandaise au sein de chaque Conseil culturel (assemblée parlementaire)  [749]. Composées chacune de 15 membres désignés proportionnellement aux groupes politiques, ces commissions constituaient ensemble les « commissions réunies de coopération ». Toutefois, elles n’ont pas déployé une grande activité. Ce n’est qu’avec les deuxième et troisième réformes de l’État que la coopération entre les entités fédérées et avec l’Autorité fédérale a été pensée et instaurée, via des organes et des mécanismes spécifiques.

5.2.1.1. Le Comité de concertation

602 Le principal organe chargé de la coopération entre les différentes composantes de l’État fédéral belge est le Comité de concertation, dont le grand public ne connaissait guère l’existence avant que le gouvernement fédéral De Croo, mis en place le 1er octobre 2020, décide de lui confier un rôle prépondérant dans la gestion de la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19. Les citoyens ont été rendus attentifs à la succession de réunions du « Codeco » suivies d’une conférence de presse diffusée en direct par les principaux médias et abondamment commentée. Auparavant, le gouvernement Wilmès II avait choisi d’organiser la gestion de la crise sanitaire et de ses conséquences au sein du Conseil national de sécurité (CNS) : initialement créé au sein du gouvernement fédéral pour gérer et coordonner la politique de sécurité et de renseignements, le CNS avait alors été élargi de facto aux ministres-présidents des différentes Régions et Communautés du pays  [750]. Le gouvernement De Croo a décidé d’en revenir à l’organe logiquement désigné pour organiser la coopération : le Comité de concertation.

603 Le Comité de concertation est un organe mis en place lors de la deuxième réforme de l’État  [751]. Il compte douze membres :

  • le Premier ministre et cinq autres membres du gouvernement fédéral ;
  • le ministre-président du gouvernement wallon ;
  • le ministre-président du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et un membre de ce gouvernement appartenant à l’autre groupe linguistique ;
  • le ministre-président du gouvernement de la Communauté française ;
  • le ministre-président du gouvernement flamand et un autre membre de ce gouvernement.

605 Six membres du Comité de concertation représentent donc le gouvernement fédéral et six autres les gouvernements des entités fédérées. Il s’agit là d’une autre forme de parité, à côté de la parité linguistique qui lui est également imposée. Afin de respecter cette dernière, d’une part, le gouvernement fédéral doit désigner trois membres francophones et trois membres néerlandophones et, d’autre part, chacune des deux ailes linguistiques du gouvernement bruxellois doit être représentée. Il est à noter donc que, dans le cadre du Comité de concertation, le Premier ministre est nécessairement inclus dans le calcul linguistique, contrairement à ce qui est éventuellement le cas pour ce qui concerne l’application de la règle de parité au sein du Conseil des ministres au niveau fédéral.

606 Pour sa part, la Communauté germanophone ne dispose pas d’une représentation permanente au sein du Comité de concertation. En effet, son ministre-président ne siège dans cet organe que lorsque celui-ci traite d’un conflit d’intérêts qui implique soit le Parlement soit le gouvernement de la Communauté germanophone ; il a alors voix délibérative. Dans tous les autres cas, la loi ne prévoit pas que le ministre-président germanophone assiste aux réunions du Comité de concertation, pas même avec voix simplement consultative  [752]. Dans les faits cependant, il semble que le ministre-président de la Communauté germanophone est à chaque fois invité aux réunions du Comité (tout en n’y disposant effectivement que d’un droit de vote clairement circonscrit), quels que soient les sujets abordés. La différence entre la composition théorique et la pratique habituelle du Comité de concertation illustre sans doute une volonté de ne pas déséquilibrer la structure doublement paritaire de l’organe  [753]. Par ailleurs, la presse rapporte la présence d’autres ministres en fonction des questions traitées. Des experts assistent également aux réunions du Comité de concertation.

607 Les membres fédéraux du Comité de concertation sont désignés par arrêté royal, et sont généralement les membres du Comité ministériel restreint (« kern »). Il est à noter que le gouvernement dirigé par Alexander De Croo étant composé de sept partis et comptant autant de vice-Premiers ministres, il n’a pas été possible de les faire tous siéger au Comité de concertation  [754].

608 Réunissant, outre six ministres fédéraux qui, théoriquement, représentent tous les partis membres de la coalition gouvernementale fédérale, les ministres-présidents des entités fédérées et deux représentants complémentaires des gouvernements bruxellois et flamand, le Comité de concertation présente une composition politique large et originale. En 2021, la famille socialiste est ainsi la mieux représentée au Comité de concertation, avec quatre représentants, devant la famille libérale (trois membres)  [755].

609 Le Comité de concertation décide par consensus. Il n’y a pas de vote de ses membres ni de possibilité de voir une décision prise par une majorité d’entre eux contre l’avis d’une minorité. Toutefois, la loi prévoit des dispositions plus contraignantes en ce qui concerne les représentants de la Région de Bruxelles-Capitale : pour que cette entité fédérée puisse valablement s’opposer à une proposition soumise au Comité de concertation, il faut que ses deux représentants la rejettent. Surtout, il est à noter que derrière le terme de consensus, se dissimule en réalité une forme d’unanimité obligatoire. Comme l’explique Marc Uyttendaele, « le Comité de concertation délibère, en principe, dans le respect de la procédure du consensus. Toutefois, celle-ci ne peut être comparée à celle qui régit les délibérations des différents organes exécutifs du pays. En effet, le consensus, dans son acception traditionnelle, apparaît comme le corollaire du principe de la solidarité gouvernementale. Chaque membre du collège apprécie, au moment de la décision, s’il peut se rallier à celle-ci. Si tel n’est pas le cas, il se démet. La procédure du consensus n’a donc guère de sens dans un organe dont la composition est immuable et qui n’est pas constitué de membres animés par une volonté commune de gouverner ensemble. Dès lors, malgré les termes utilisés par la loi, le Comité de concertation délibère en réalité dans le respect de la règle de l’unanimité. Chaque membre du Comité dispose d’un droit de veto sur les décisions de cet organe »  [756].

610 En 2014, le législateur spécial est venu préciser : « Le Comité de concertation est le point central de concertation, de coopération et de coordination entre [l’Autorité fédérale], les Communautés et les Régions pour réaliser des objectifs communs ou individuels, dans le respect des compétences de chacun »  [757]. Le Comité de concertation est donc l’organe chargé d’harmoniser les décisions politiques des différentes composantes de l’État lorsqu’une action commune est requise. C’est ainsi qu’il a été chargé par le gouvernement De Croo d’examiner et de s’accorder sur les mesures à adopter pour gérer la pandémie de Covid-19 et ses conséquences – et ce même si, d’une part, le contexte était celui d’une coordination de la gestion de crise par l’Autorité fédérale (cf. infra) et, d’autre part, les décisions prises en Comité de concertation ne constituaient qu’un socle minimum auquel les entités fédérées pouvaient, dans la limite de leurs compétences, ajouter des mesures supplémentaires.

611 En outre, le Comité de concertation dispose d’un certain nombre de fonctions définies par la loi, dans le cadre des règlements de conflits de compétence ou d’intérêts (cf. infra). Dans le cas où la section de législation du Conseil d’État estime qu’une composante de l’État outrepasse ses compétences dans un avant-projet de loi, de décret ou d’ordonnance qui lui est soumis, elle le renvoie au Comité de concertation pour qu’il tranche. Cette procédure est étonnante, dans la mesure où un organe politique est amené à trancher un point à caractère juridique. Cependant, s’agissant en fait d’obtenir l’assurance des autres composantes de l’État qu’elles ne contestent pas la compétence de celle qui est à l’initiative du texte, elle n’est pas dénuée de logique sur le plan politique. Il n’en demeure pas moins que cette procédure fait l’objet de critiques (cf. infra) et que la validation par le Comité de concertation n’empêchera pas une éventuelle invalidation ultérieure par la Cour constitutionnelle. Dans le cas où une assemblée législative estime qu’elle pourrait être lésée par un texte en discussion dans une autre assemblée, la procédure de règlement de la question appelle le Comité de concertation à décider sur la base d’un avis rendu par le Sénat. Le Comité peut également être saisi directement par un gouvernement ou un ministre qui s’estime lésé par une décision d’un autre organe exécutif. Précisons bien que le Comité de concertation est un organe de coopération intergouvernemental : les parlements n’y tiennent aucune place.

612 Il est à souligner que, quelle que soit la situation envisagée, lorsque le Comité de concertation parvient à un consensus, la décision ainsi prise n’a pas de pouvoir contraignant. Ainsi, dans le cadre d’un conflit de compétence ou d’intérêts, il peut conseiller une solution aux gouvernements et assemblées parlementaires, mais il ne peut pas la leur imposer. Dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, le Comité de concertation est resté un lieu d’échange à caractère politique ; les décisions entérinées au Codeco ont ensuite dû être traduites en normes juridiques par les gouvernements concernés afin de pouvoir entrer en vigueur.

613 Si les États fédéraux ne disposent généralement pas d’un organe de concertation entre le pouvoir fédéral et les entités fédérées aussi formalisé, c’est notamment parce que la représentation des entités fédérées est le plus souvent déjà organisée au sein de la chambre haute du parlement fédéral. Épinglons néanmoins la Conférence des gouvernements cantonaux, établie en 1993 par la Suisse. Le gouvernement de chaque Canton délègue l’un de ses membres à l’assemblée plénière de la Conférence. Les dossiers sont préparés par un bureau de neuf membres, composé dans le respect des équilibres linguistiques et régionaux. Par le biais de la Conférence, les 26 gouvernements cantonaux parlent d’une même voix à l’échelon fédéral : il s’agit donc d’un moyen de renforcer l’influence des entités fédérées sur la prise de décision du niveau de pouvoir fédéral, et non d’un organe de décision politique associant l’échelon fédéral et les entités fédérées  [758]. Son rôle se déploie particulièrement en matière de politique étrangère. Aux États-Unis, où il existe parfois un fossé entre la politique fédérale décidée à Washington et les scènes politiques des États, l’administration Biden a annoncé la mise en place d’un nouveau partenariat entre le niveau fédéral et les gouvernements des États dans le cadre de la stratégie post-Covid « Build back better ». Le développement d’une forme de désaffection voire de méfiance à l’égard du niveau fédéral est en effet un écueil fréquemment rencontré dans les États fédéraux, et l’existence de telles structures de concertation peut contribuer à l’atténuer.

5.2.1.2. Les conférences interministérielles (CIM)

614 En 1989, le législateur a donné au Comité de concertation, « en vue de promouvoir la concertation et la coopération entre [l’Autorité fédérale], les Communautés et les Régions », le pouvoir de « constituer des comités spécialisés dénommés “conférences interministérielles” composés de membres du gouvernement [fédéral] et des exécutifs des Communautés et des Régions »  [759]. La liste des conférences interministérielles est en principe établie pour la durée d’une législature fédérale. Bien que la création d’une conférence interministérielle soit une prérogative du Comité de concertation, c’est le gouvernement fédéral qui prend la main. En pratique, le nombre et la dénomination des conférences interministérielles varient peu.

615 Le nombre de conférences interministérielles a toutefois tendance à augmenter. Actuellement, elles sont au nombre de 23. En voici la liste élaborée par le Comité de concertation en août 2021  [760] : Affaires intérieures ; Bien-être, Sport et Famille ; Commerce extérieur ; Développement durable ; Droits des femmes ; Économie, PME, Travailleurs indépendants et Énergie ; Environnement ; Finances et Budget ; Fonction publique et Modernisation des services publics ; Investissements stratégiques ; Lutte contre le racisme ; Maisons de justice ; Migration et intégration ; Mobilité, Infrastructure et Télécommunications ; Politique agricole ; Politique étrangère  [761] ; Politique des grandes villes, Intégration et Logement ; Politique de maintien et de gestion de la sécurité ; Politique du marché du travail, Intégration socio-professionnelle et sociale ; Politique scientifique et Culture ; Réformes institutionnelles ; Santé publique ; Statistiques.

616 Les conférences interministérielles réunissent les ministres compétents, assistés de leur chef de cabinet et/ou d’autres conseillers, et invitent fréquemment des experts. Dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, la conférence interministérielle Santé publique s’est réunie à un rythme soutenu, parfois plusieurs fois par semaine.

617 En raison de la répartition des compétences, tous les gouvernements ne participent pas à toutes les conférences interministérielles. Le gouvernement fédéral, le gouvernement flamand et le gouvernement de la Communauté germanophone participent à toutes les conférences interministérielles. Le gouvernement wallon participe à toutes les conférences interministérielles, sauf à celle des Maisons de Justice. Le gouvernement de la Communauté française participe également à toutes les conférences interministérielles, hormis celle de la Politique agricole. Le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale participe à toutes les conférences interministérielles à l’exception de deux d’entre elles (Santé publique et Maisons de justice). Le collège de la COCOF et le collège réuni de la COCOM participent à un nombre plus réduit de conférences ministérielles. La composition variable des CIM fournit une bonne illustration du caractère asymétrique du fédéralisme belge.

618 Même si elles ne bénéficient généralement que d’une faible visibilité et, surtout, n’ont en principe aucun pouvoir de décision contraignant, les conférences interministérielles permettent d’élaborer une coordination efficace des politiques. Cette coordination peut même revêtir un caractère contraignant lorsqu’elle débouche sur la conclusion d’un accord de coopération (cf. infra).

5.2.1.3. Le Comité de coopération

619 Organisé par la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, le Comité de coopération est spécifiquement chargé de favoriser la concertation entre l’Autorité fédérale et la Région de Bruxelles-Capitale. Sa composition est régie par une double parité : d’une part, il comprend autant de ministres fédéraux que de ministres régionaux bruxellois et, d’autre part, chacune des délégations qui le composent comprend autant de membres francophones que de membres néerlandophones  [762]. Les décisions prises en son sein le sont selon la procédure du consensus  [763].

620 Le législateur spécial a confié au Comité de coopération, en premier lieu, une mission générale : celle de délibérer sur les initiatives communes pouvant être prises entre l’Autorité fédérale et la Région de Bruxelles-Capitale « en vue de favoriser et de promouvoir le rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles »  [764]. Cette tâche consiste, entre autres, en la mise en œuvre du mécanisme communément dénommé Beliris (cf. Chapitre 3) ; d’ailleurs, le Comité de coopération est présidé par le ministre fédéral ayant Beliris dans ses attributions.

621 Le Comité de coopération joue également un rôle dans le cadre de deux procédures organisées au profit de l’Autorité fédérale  [765], procédures qui ont déjà été évoquées lorsqu’a été explicité le statut quelque peu particulier des ordonnances bruxelloises dans la hiérarchie des normes.

622 En vertu de l’article 45 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, le Roi (c’est-à-dire le gouvernement fédéral) peut, « en vue de préserver le rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles », suspendre une ordonnance ou un arrêté bruxellois touchant aux domaines de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire, des travaux publics ou des transports. L’adoption d’un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres est dans ce cas requise. Le Comité de coopération est alors amené à intervenir afin de trouver une solution négociée, dans un délai de 60 jours prorogeable une fois. Si aucun accord n’a pu être dégagé au sein du Comité de coopération au terme de cette négociation, la Chambre des représentants peut, si la majorité est atteinte au sein de ses deux groupes linguistiques, adopter une résolution qui annule l’ordonnance ou l’arrêté bruxellois litigieux. Si la Chambre ne se prononce pas, la suspension est définitivement levée.

623 En vertu de l’article 46 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, une procédure analogue est possible si le Conseil des ministres estime, dans les quatre mêmes domaines, que la Région bruxelloise devrait adopter des mesures « en vue de développer le rôle international ou la fonction de capitale de Bruxelles ». Le Comité de coopération est alors saisi à l’initiative du Conseil des ministres. Deux cas de figure sont envisageables : soit le Comité de coopération parvient à un accord, soit, en l’absence d’un tel accord, le Conseil des ministres peut demander à la Chambre des représentants d’approuver ces mesures, à la majorité dans les groupes linguistiques.

624 Sans doute en raison de leur caractère hautement sensible sur le plan politique, ni l’une ni l’autre de ces deux procédures n’a à ce jour été activée.

5.2.1.4. Autres

625 Outre le Comité de concertation (Codeco), les conférences interministérielles (CIM) et le Comité de coopération, sont prévues d’autres structures visant à organiser la concertation et la coopération entre des composantes de l’État fédéral belge.

626 Ainsi, la loi spéciale du 21 juillet 1971 et la loi du 31 décembre 1983 organisent au sein de chaque parlement de Communauté une commission chargée de promouvoir la coopération entre les Communautés  [766]. Ensemble, ces commissions constituent les commissions réunies de coopération. Toutefois, en pratique, elles ne se réunissent pas  [767]. En revanche, la Commission de coopération entre les gouvernements de la Communauté française et de la Communauté germanophone, instituée également par la loi du 31 décembre 1983  [768], fonctionne. Elle est composée de huit membres, nommés pour moitié par chacun des deux gouvernements. Cette commission accorde des subventions aux activités culturelles de la minorité de langue française dans les neuf communes de la région de langue allemande et de la minorité de langue allemande dans les communes de Baelen, Malmedy, Plombières, Waimes et Welkenraedt. Il est à noter que les décisions de la commission doivent recueillir la majorité des voix et au moins deux voix de membres d’expression allemande et deux voix de membres d’expression française.

627 Une autre structure qui est prévue par la législation mais qui, à ce jour, n’a pas été mise en place est la « communauté métropolitaine de Bruxelles »  [769]. La création de cet organe a été décidée lors de la sixième réforme de l’État afin de permettre une concertation dans les matières d’importance transrégionale (en particulier, la mobilité)  [770]. La communauté métropolitaine de Bruxelles est censée réunir l’Autorité fédérale, les trois Régions, les communes bruxelloises et celles des provinces de Brabant wallon et de Brabant flamand (en outre, les deux provinces brabançonnes peuvent choisir d’y adhérer ou non). Son installation effective doit être organisée par un accord de coopération entre les trois Régions qui, à ce jour, n’a pas été conclu.

5.2.2. Les mécanismes

628 L’imbrication des compétences ou la volonté d’adopter des dispositions uniformes sur l’ensemble du territoire de la Belgique dans des matières qui relèvent de différentes composantes de l’État fédéral voire de toutes dicte la nécessité de disposer d’instruments qui permettent une coordination efficace. Les accords de coopération et les décrets et/ou ordonnances conjoints répondent à cette nécessité, de même que les mécanismes de gestion de crise.

5.2.2.1. Les accords de coopération

629 Dans un système fédéral qui est le produit d’une dissociation, il n’est pas spontanément évident que les différentes composantes de l’État puissent conclure entre elles des accords, alors que cela paraît plus naturel dans les autres pays fédéraux. En Belgique, il a fallu attendre la troisième réforme de l’État pour que cette possibilité soit expressément prévue par la loi spéciale du 8 août 1980. Celle-ci postule que l’Autorité fédérale, les Communautés et les Régions « peuvent conclure des accords de coopération qui portent notamment sur la création et la gestion conjointes de services et institutions communs, sur l’exercice conjoint de compétences propres, ou sur le développement d’initiatives en commun »  [771].

630 Les accords de coopération servent à articuler l’exercice de compétences proches, parfois également à créer des structures communes  [772] ou à organiser le co-financement de projets communs  [773].

631 On distingue les accords de coopération obligatoires des accords de coopération facultatifs. Les premiers sont expressément prévus par la loi spéciale du 8 août 1980 et modalisent donc un transfert de compétences. Par exemple, un accord de coopération est obligatoire pour régler la question de l’octroi des permis de travail et de séjour aux travailleurs étrangers. Les accords facultatifs peuvent être conclus par les différentes composantes de l’État dans n’importe quelle matière relevant de leur compétence. Bien que facultatifs, ils sont souvent nécessaires. Ainsi, dès le 24 novembre 1989, un accord de coopération a été conclu entre la Région wallonne et la Communauté française pour instituer les comités subrégionaux de l’emploi  [774]. Autre exemple, les accords de coopération des 27 mai 2004 et 2 juillet 2008 entre l’Autorité fédérale, la Région wallonne, la Région de Bruxelles-Capitale, la Région flamande et la Communauté germanophone en ce qui concerne la reconnaissance des cultes, les traitements et pensions des ministres des cultes, les fabriques d’église et les établissements chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus n’étaient pas prévus mais se sont révélés indispensables à l’articulation des compétences de chacune de ces composantes de l’État. En revanche, l’accord de coopération entre la Région wallonne, la Région de Bruxelles-Capitale, la Région flamande et la Communauté germanophone relatif aux communautés religieuses locales reconnues de cultes reconnus dont le ressort territorial s’étend sur le territoire de plus d’une entité fédérée était obligatoire après la régionalisation de la loi communale opérée le 1er janvier 2002, mais il n’a été conclu que tardivement, le 17 juillet 2017.

632 Les accords de coopération qui traitent de matières normalement réservées à des normes législatives ou qui lient individuellement des Belges ou encore qui sont susceptibles d’avoir des conséquences budgétaires – c’est-à-dire la grande majorité d’entre eux – doivent être approuvés par les assemblées parlementaires des composantes de l’État concernées. Ces accords n’entrent donc en vigueur qu’après avoir fait l’objet d’un assentiment donné par les différentes assemblées parlementaires des composantes concernées, qui ne disposent pas du pouvoir d’amender les textes proposés : elles ne peuvent que les approuver ou les rejeter (ce dernier cas étant cependant fort rare). Une fois cet assentiment parlementaire recueilli, les accords de coopération sont susceptibles d’être examinés par la section de législation du Conseil d’État et d’être contestés devant la Cour constitutionnelle, ce qui n’est pas le cas lorsque les accords de coopération n’ont pas fait l’objet de normes d’assentiment par les différentes assemblées législatives. Nombreux sont les accords qui devraient être soumis à l’assentiment parlementaire et qui ne le sont pas ou ne le sont que tardivement  [775].

633 L’accord de coopération, conclu entre différentes composantes de l’État, rappelle dans ses formes le traité international, conclu entre différents États. Ce parallélisme conduit les observateurs à estimer qu’un accord de coopération intra-étatique doit primer le droit interne des diverses composantes, au même titre que les dispositions de droit international priment les dispositions en droit interne. Ainsi, dans la hiérarchie des normes, l’accord de coopération ayant reçu un assentiment législatif se situe au-dessus des lois ordinaires, des décrets et des ordonnances (mais en dessous de la loi spéciale).

634 La sixième réforme de l’État a instauré la possibilité de voir un accord de coopération appliqué via un accord de coopération d’exécution  [776]. Cette possibilité a été mise en œuvre à différentes reprises dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire engendrée par le Covid-19  [777]. Les accords de coopération obligatoires doivent – et les accords de coopération facultatifs peuvent – instaurer une juridiction de coopération pour trancher d’éventuels litiges nés de l’application de l’accord. Il semble toutefois que nombre d’accords de coopération obligatoires aient négligé d’instaurer de telles juridictions  [778].

635 Certains observateurs ont vu dans le recours de plus en plus fréquent aux accords de coopération un indice d’évolution vers une forme de confédéralisme. Ils ont même émis l’hypothèse que des négociateurs flamands avaient exigé lors de la cinquième réforme de l’État que soient prévus un certain nombre d’accords de coopération, en raison de la charge symbolique de ce dispositif  [779]. Toutefois, le contenu des accords de coopération est généralement cohérent avec la répartition des compétences au sein de l’État fédéral belge, qui impose le recours à ce mécanisme : « Le nombre de domaines dans lesquels la coopération est rendue obligatoire continue de s’accroître, en raison du morcellement croissant des compétences et de la formulation parfois trop détaillée ou incohérente des attributions de compétences »  [780].

636 Semblables mécanismes sont répandus dans les États fédéraux, même s’ils sont habituellement moins formalisés : l’autonomie des entités fédérées, dotées chacune d’une personnalité juridique distincte, emporte d’évidence la capacité de conclure des accords entre elles. En outre, des mécanismes institutionnels peuvent prévoir, comme en Belgique, la conclusion d’accords avec le niveau de pouvoir fédéral. La complexification des politiques publiques donne aux mécanismes de coopération au sein des États fédéraux contemporains une place importante. La Russie recourt intensivement à la pratique des accords inter-gouvernementaux ; ils s’y comptent par milliers. Toutefois, la montée en puissance du niveau fédéral y a conduit à une évolution qui limite la portée de tels accords au profit de la loi fédérale  [781]. Aux États-Unis, la pratique est bien moins répandue. Les États concluent des « interstate compacts ». Initialement plutôt dévolus à la résolution de conflits de frontières, ces accords entre États ont pris au XXe siècle une dimension coopérative, notamment en matière de gestion des transports et des infrastructures. Le niveau de pouvoir fédéral n’est pas partie prenante aux compacts ; toutefois, le Congrès fédéral est amené à valider certains d’entre eux, leur conférant alors le statut de loi fédérale. Au Canada, la pratique des ententes intergouvernementales est très importante ; elle n’est toutefois balisée par aucune disposition constitutionnelle ou législation-cadre. Dans la fédération canadienne, il est courant que le pouvoir fédéral conclue des ententes bilatérales séparément avec chaque Province, là où le modèle belge repose davantage sur un accord de coopération global conclu par l’Autorité fédérale avec toutes les entités fédérées concernées  [782]. En 1999, la Constitution suisse a validé le mécanisme des « conventions intercantonales », qui autrefois s’appelaient plus volontiers traités, accords et concordats. Bien que la Confédération (le pouvoir fédéral) puisse y participer, il s’agit fréquemment d’ententes entre des Cantons proches géographiquement afin de créer une forme de coopération régionale dans une matière donnée, par exemple en ce qui concerne les transports ou l’enseignement, pour faciliter la mobilité intercantonale.

637 Les accords entre entités fédérées sont donc très fréquents au sein des États fédéraux. En revanche, il est plus rare qu’ils soient conclus avec le niveau de pouvoir fédéral. Instruments d’une importance grandissante au sein des États fédéraux, de tels accords se développent à partir d’une nécessité et n’ont généralement pas été formalisés dans le détail par la loi  [783]. En Belgique, les accords de coopération semblent relever d’une plus grande nécessité encore, principalement en raison du partage de compétences parfois très compliqué et du chevauchement territorial des compétences. Il n’en demeure pas moins que la tendance, qui va s’accentuant de réforme en réforme, à compenser le morcellement des compétences par l’imposition de divers accords de coopération pose question. Hugues Dumont souligne ainsi « la fragilité d’un espace politique où l’on prétend remplacer sans perte une solidarité institutionnelle par une solidarité conventionnelle. Une faculté de contracter est marquée du sceau de la précarité. Elle est exercée ou non, souvent selon le bon plaisir des parties contractantes. Elle est à la merci de l’intérêt ou du désintérêt mutuel, comme du droit de veto de chacune d’elles. Son exercice suppose une négociation entre des partenaires qui ne sont pas nécessairement sur pied d’égalité. Et quand l’accord est conclu, il ne se modifie en principe qu’à l’unanimité. De fait, nombreux sont les accords de coopération en Belgique dont la conclusion est obligatoire ou jugés souhaitables dans un monde idéal, mais qui n’ont pas été conclus, ou conclus trop tardivement, ou conclus mais non appliqués, ou encore conclus, mais contenant des irrégularités jamais sanctionnées ou nécessitant des modifications sur lesquelles on ne se met jamais d’accord »  [784].

5.2.2.2. Les décrets et/ou ordonnances conjoints

638 La sixième réforme de l’État a instauré un nouveau mécanisme de coopération : les Régions et les Communautés ont la possibilité d’adopter des « décrets conjoints », portant notamment sur la création et la gestion conjointe de services et institutions communs, sur l’exercice conjoint de compétences propres ou sur le développement d’initiatives en commun  [785]. Ces décrets conjoints constituent une alternative aux accords de coopération, qu’ils peuvent d’ailleurs modifier  [786]. Il est à noter que ce mécanisme ne concerne pas l’Autorité fédérale.

639 Existent en outre « le décret et l’ordonnance conjoints », qui découlent de la coopération entre, d’une part, une Communauté ou une Région et, d’autre part, la Région de Bruxelles-Capitale ou la COCOM, et « les ordonnances conjointes », qui découlent de la coopération entre la Région de Bruxelles-Capitale et la COCOM. Cette deuxième variante frappe évidemment les esprits, dans la mesure où la composition des deux assemblées parlementaires qui doivent adopter le texte est strictement identique.

640 La technique instaurée prévoit que les assemblées législatives concernées adoptent chacune séparément un décret ou une ordonnance au contenu identique. Préalablement à leur adoption, ces propositions ou projets de décrets et/ou d’ordonnances conjoints sont adoptés par une commission interparlementaire, composée d’un nombre égal de représentants de chacun des parlements concernés. Lorsque le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale est l’un d’entre eux, au moins un tiers de sa délégation appartient au groupe linguistique néerlandais avec un minimum de trois membres.

641 Contrairement aux accords de coopération, les décrets et/ou ordonnances conjoints peuvent être d’initiative parlementaire. Même lorsqu’il est d’initiative gouvernementale, un décret conjoint ou une ordonnance conjointe est discuté dans l’enceinte parlementaire avant son adoption. Il s’agit donc d’un instrument plus démocratique que l’accord de coopération. Toutefois, son utilisation reste assez marginale à ce jour. Trois exemples sont les décrets conjoints de la Région wallonne et de la Communauté française des 12 et 19 juillet 2017 relatifs à la réutilisation des informations du secteur public et visant à l’établissement d’une politique de données ouvertes  [787] (acte qui résulte de la volonté de ces deux entités fédérées de mettre en œuvre une stratégie harmonisée d’ouverture des données publiques) ; les ordonnances et décret conjoints de la Région de Bruxelles-Capitale, de la COCOM et de la COCOF du 16 mai 2019 relatifs à la publicité de l’administration dans les institutions bruxelloises  [788] ; les ordonnances conjointes de la Région de Bruxelles-Capitale et de la COCOM du 10 février 2022 relatives au traitement de données à caractère personnel dans le cadre de la constitution par le Parlement ou l’Assemblée réunie de commissions délibératives entre députés et citoyens tirés au sort  [789]. On peut penser que ce mécanisme sera principalement utilisé pour renforcer la coopération intra-francophone ou intra-bruxelloise.

5.2.2.3. La gestion de crise

642 La gestion d’une situation de crise réclame une coordination efficace. Dans un État où les compétences sont aussi partagées que la Belgique, la concertation est indispensable. Comme mentionné supra, elle se déroule de façon préférentielle au sein du Comité de concertation.

643 Durant la première phase de la pandémie de Covid-19, le gouvernement fédéral (minoritaire) Wilmès II a fait le choix de confier la gestion de la crise plutôt au Conseil national de sécurité (CNS), élargi de facto pour la circonstance aux ministres-présidents des différentes Régions et Communautés du pays. Après l’installation du gouvernement fédéral De Croo, en octobre 2020, le Comité de concertation a été chargé de coordonner l’action des différents niveaux de pouvoir (Autorité fédérale, Régions et Communautés) et d’adopter puis annoncer les principales décisions de confinement et de déconfinement de la population destinées à enrayer la propagation de la maladie.

644 Toutefois, dans un cas comme dans l’autre (CNS ou Comité de concertation), la direction de la gestion de crise a appartenu au gouvernement fédéral en vertu d’un arrêté du ministre fédéral de l’Intérieur portant le déclenchement de la « phase fédérale » concernant la coordination et la gestion de la crise  [790]. Cet arrêté ministériel a été adopté sur la base du dispositif prévu par un arrêté royal du 31 janvier 2003 et fixant le plan d’urgence pour les événements et situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national  [791]. Il s’agit d’un plan d’urgence pour tous les types de risques autres que nucléaires, adopté sur la base de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile. La phase fédérale de gestion de la crise est restée en vigueur jusqu’au 11 mars 2022  [792], nonobstant la phase d’entrée en vigueur de la loi du 14 août 2021 dite loi pandémie  [793].

645 Ce dispositif permet donc de confier à l’Autorité fédérale la direction des opérations en temps de crise. Cependant, dans la communication des décisions prises par le CNS puis par le Comité de concertation en 2020-2022, il n’y a guère été fait allusion, l’accent ayant été plutôt mis sur la concertation et le consensus entre les différents gouvernements.

5.2.2.4. Autres

646 À côté des accords de coopération et des décrets et/ou ordonnances conjoints, il existe des mécanismes spécifiques d’information, de concertation ou de coopération, prévus par le législateur spécial en fonction des besoins.

647 Par exemple, les gouvernements communautaires doivent informer l’Autorité fédérale de leurs décisions en matière d’agréation, de fermeture ou d’investissements prises dans la politique de dispensation de soins et de gestion des infrastructures hospitalières  [794], et les gouvernements régionaux doivent informer le ministre fédéral de l’Énergie de la gestion des associations de communes de distribution de gaz et d’électricité  [795]. Les gouvernements des entités fédérées doivent également informer le gouvernement fédéral de leur intention d’entamer des négociations en vue de la conclusion d’un traité international  [796]. La loi spéciale du 8 août 1980 impose une concertation entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des entités fédérées compétentes dans une série de matières, telles que les grands axes de la politique énergétique nationale, les travaux à réaliser en faveur des institutions européennes et internationales, la politique agricole et le trafic aérien  [797]. Elle impose également une concertation entre les gouvernements régionaux, notamment à propos des forêts et des nappes d’eau situées sur le territoire de plus d’une Région, de la réglementation du transport de marchandises dangereuses, et de l’ouverture et la fermeture de la saison de la chasse  [798]. Il est difficile de savoir si l’ensemble de ces dispositions sont systématiquement observées.

648 Une concertation peut également être prévue par une loi ordinaire. C’est le cas de celle entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des entités fédérées découlant de la loi du 14 août 2021 dite loi pandémie  [799].

649 Enfin, bien qu’il y ait équipollence des normes fédérales et fédérées en Belgique, il arrive qu’une composante de l’État dispose d’un « droit de veto » sur les décisions prises par une autre composante. Par exemple, l’avis conforme du gouvernement fédéral est requis pour tout avant-projet de décret ou d’ordonnance instituant une nouvelle infraction non encore prévue au Code pénal ou une nouvelle peine  [800]. Inversement, l’avis conforme des gouvernements régionaux et communautaires est requis pour toute modification de l’arrêté royal fixant les établissements scientifiques et culturels fédéraux  [801].

5.3. Les relations défensives entre composantes de l’État fédéral : conflits de compétence et conflits d’intérêts

650 Concernant les relations défensives entre les composantes de l’État fédéral belge, une distinction peut être posée entre les conflits de compétence et les conflits d’intérêts. Les premiers sont de nature juridique et les seconds de nature politique, bien que la frontière entre ces deux dimensions soit, le plus souvent, difficile à tracer de façon étanche : « Contrairement aux conflits de compétenc[e], considérés comme des conflits de type juridique et confiés à ce titre à des organes juridictionnels, les conflits d’intérêts sont, à l’origine, pensés comme des conflits de nature politique et, à ce titre, laissés à des organes politiques »  [802]. À première vue, la distinction est nette : les premiers portent sur la validité des normes et décisions adoptées au regard des règles répartitrices de compétences, tandis que les seconds portent sur leur opportunité.

651 Actuellement, les notions de conflit de compétence et de conflit d’intérêts trouvent leur source dans la Constitution ainsi que dans divers textes législatifs (en particulier, la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles  [803]). Il est à noter que tant les conflits de compétence que les conflits d’intérêts sont, au moins en droit, marqués par la dimension multipolaire inhérente au fédéralisme belge, et ce au contraire de certains mécanismes qui ont été institués à l’occasion de la première réforme de l’État, qui procèdent quant à eux d’une logique bipolaire. Ces divers mécanismes, qui abordent également sur un mode défensif les relations entre les deux grandes communautés linguistiques et culturelles qui existent en Belgique, sont la division en groupes linguistiques, la sonnette d’alarme et la règle de la parité au sein du Conseil des ministres (cf. Chapitre 2). Ils ont été instaurés au sein d’institutions fédérales, sans implication, à tout le moins directe, des différentes entités fédérées.

5.3.1. Les conflits de compétence

652 La notion de conflit de compétence a été introduite pour la première fois en 1971, à l’occasion de la première réforme de l’État  [804]. De façon élémentaire – et si l’on excepte le cas particulier d’un conflit de compétence surgissant entre la Chambre des représentants et le Sénat, qui concerne uniquement le niveau de l’Autorité fédérale  [805] –, on peut dire qu’il y a conflit de compétence lorsque l’une des composantes de l’État fédéral (l’Autorité fédérale ou une entité fédérée) estime qu’une norme législative ou réglementaire émanant d’une autre composante excède la compétence de celle-ci. Soit la première composante est d’avis que la matière concernée ne fait pas partie des attributions de cette autre composante (le conflit de compétence se décline alors sur un plan matériel). Soit elle juge que la norme en question s’applique sur un territoire ou à des institutions qui ne relèvent pas de la compétence de cette autre composante (le conflit de compétence est alors de nature territoriale).

653 Cette définition posée, il est nécessaire de tracer une distinction complémentaire. En effet, les conflits de compétence font l’objet tant de mécanismes de prévention, qui interviennent avant que l’acte juridique contesté soit adopté, que de mécanismes de règlement, qui sont activés après l’adoption de cet acte. Ces deux missions – préventive et curative – sont dévolues respectivement à la section de législation du Conseil d’État (qui peut, le cas échéant, renvoyer le conflit de compétence qu’elle a identifié à l’arbitrage du Comité de concertation ; cf. supra) et à la Cour constitutionnelle.

5.3.1.1. Volet préventif

654 Le rôle joué par le Conseil d’État dans le système politique de la Belgique a déjà été abordé dans le chapitre 2, lorsque les spécificités des institutions fédérales ont été évoquées. L’organisation bicéphale du Conseil d’État a notamment été exposée, ce dernier étant à la fois une haute juridiction administrative, par l’entremise de sa section du contentieux administratif, et un conseiller juridique des différents législateurs que compte le pays, à travers sa section de législation. Celle-ci est chargée de fournir, dans certains cas, un avis aux assemblées parlementaires et aux gouvernements à propos de textes de loi, de décret, d’ordonnance ou d’arrêté en cours d’élaboration.

655 La section de législation du Conseil d’État joue un rôle important dans le cadre de la prévention des conflits de compétence, dès lors qu’il lui revient de déterminer notamment, lorsqu’elle rend un avis sur un projet d’acte législatif ou réglementaire qui lui est soumis, si la composante de l’État qui s’apprête à légiférer n’excède pas ses compétences au regard des règles répartitrices inscrites dans la Constitution et dans les lois institutionnelles  [806]. Il est ainsi possible d’affirmer que cet organe assume une « fonction de consultation constitutionnelle », à côté de la fonction constituante qu’endosse le pouvoir constituant et de la fonction de justice constitutionnelle qui est confiée à la Cour constitutionnelle  [807]. Même lorsque l’urgence est invoquée, la section de législation du Conseil d’État doit être consultée et se prononcer sur la question de savoir si le projet d’acte législatif ou réglementaire qui lui est soumis n’est pas porteur d’un excès de compétence, ce qui démontre l’importance que le législateur a souhaité conférer à une telle vérification  [808]. Lorsqu’une demande d’avis soulève une question de compétence et afin d’asseoir l’autorité du Conseil d’État, la demande est examinée par les chambres réunies de la section de législation, qui comportent un nombre égal de conseillers francophones et de conseillers néerlandophones  [809].

656 Si elle est d’avis qu’un avant-projet de loi, de décret, d’ordonnance ou d’arrêté ou une proposition de loi, de décret ou d’ordonnance (ou un amendement ou un projet d’amendement) qui lui est soumis excède la compétence de la composante de l’État fédéral dont il émane, la section de législation du Conseil d’État renvoie ce texte au Comité de concertation. Celui-ci dispose d’un délai de 40 jours pour donner un avis. Si un consensus est atteint en son sein quant à l’existence d’un excès de compétence, le Comité de concertation demande au gouvernement concerné de revoir son avant-projet ou de déposer devant l’assemblée parlementaire saisie de l’avant-projet ou de la proposition des amendements visant à faire cesser l’excès de compétence  [810]. Cette demande n’a toutefois aucune force contraignante. À défaut de consensus, la procédure législative peut être poursuivie.

657 Cette intervention préventive de la section de législation du Conseil d’État dans le domaine des conflits de compétence est particulièrement remarquable. En effet, il s’agit là d’un des rares cas de figure où un effet contraignant est attaché à un avis rendu par cet organe  [811]. En règle générale, les avis de la section de législation se caractérisent par leur caractère facultatif pour l’autorité à laquelle ils s’adressent (ce qui ne les empêche pas d’être dotés d’un grand poids sur le plan politique ; cf. supra). Dans ce cas, la section de législation du Conseil d’État est au contraire en mesure de « paralyser, du moins momentanément, le processus d’élaboration d’une norme législative qui paraît entachée d’excès de compétence »  [812].

658 Par ailleurs, dès lors qu’un conflit de compétence appelle une réponse juridique plutôt que politique, le choix posé par le législateur de confier en dernière instance le pouvoir décisionnel au Comité de concertation fait l’objet de critiques de la part de la doctrine juridique  [813]. D’autant que, même si ce dernier organe estime que le cas qui lui est soumis est exempt d’un conflit de compétence, il sera toujours loisible à la Cour constitutionnelle, éventuellement saisie d’un recours à ce sujet, d’annuler la disposition contestée si elle estime que les règles répartitrices de compétences ont été violées (cf. infra).

659 Sur le plan pratique, il convient de souligner le caractère relativement ineffectif d’un tel mécanisme préventif. Lorsque la section de législation conclut à une atteinte à la répartition des compétences, le Comité de concertation n’est que rarement saisi dans les faits. Aucune sanction ne s’attache d’ailleurs à une absence de saisine de cet organe, ce qui constitue assurément un élément explicatif de cette situation. Et lorsque, en de rares occasions, il en est fait usage, le Comité de concertation ne suit pas systématiquement l’avis donné par le Conseil d’État  [814].

5.3.1.2. Volet curatif

660 Certaines caractéristiques de la Cour constitutionnelle ont déjà été mises en évidence dans le chapitre 2. Ici, nous nous intéressons principalement au rôle que joue cette juridiction dans le cadre du règlement des conflits de compétence entre les diverses composantes de l’État fédéral.

661 Lorsqu’un excès de compétence est allégué devant la Cour constitutionnelle, la procédure ordinaire en vigueur devant celle-ci est applicable (à savoir une procédure identique à celle qui régit les recours en annulation qui se fondent sur la violation de règles constitutionnelles étrangères à la question de la répartition des compétences, et touchant notamment au domaine des droits fondamentaux). Lorsqu’une norme législative qui émane d’une composante de l’État fédéral est contestée par une autre composante, la Cour constitutionnelle statue par voie d’arrêt, par lequel elle peut annuler en tout ou en partie la norme contestée  [815]. Le recours en annulation dont est saisie la Cour constitutionnelle peut être introduit soit par un gouvernement, soit par le président d’une assemblée parlementaire (à la demande des deux tiers des membres de celle-ci). Une norme législative peut également faire l’objet d’un recours par toute personne (physique ou morale) justifiant d’un intérêt au recours  [816]. Ces recours, qui doivent être introduits dans les six mois de la publication de la norme attaquée, peuvent demander la suspension de la norme incriminée durant le temps de la procédure  [817]. Si la Cour constitutionnelle annule la norme attaquée, cette décision a une autorité absolue de chose jugée, qui vaut à l’égard de tous et de façon rétroactive (la norme annulée est censée n’avoir jamais existé)  [818].

662 La Cour constitutionnelle peut aussi être saisie d’une question préjudicielle lorsque, à l’occasion d’un litige en cours devant une juridiction, se pose la question de l’éventuelle existence d’un conflit de compétence prenant sa source dans un acte législatif. Autrement dit, si, à l’occasion d’une affaire traitée par une juridiction, celle-ci constate qu’une des composantes de l’État fédéral pourrait avoir excédé sa compétence, la juridiction saisie de l’affaire peut et parfois doit (en principe, lorsqu’elle agit en dernier ressort) interroger la Cour constitutionnelle pour régler le conflit. La procédure devant cette juridiction est suspendue en attendant l’arrêt de la Cour constitutionnelle. La juridiction qui a posé la question est ensuite liée par la réponse de la Cour constitutionnelle  [819].

663 Lorsque le rôle de la Cour constitutionnelle par rapport aux grands équilibres communautaires a été évoqué dans le chapitre 2, la prudence de la haute juridiction a été soulignée. Il a été rappelé que cette dernière s’abstient, la plupart du temps, de s’immiscer dans des compromis politiques négociés, parfois âprement, entre les deux grandes communautés culturelles et linguistiques du pays. Cela ne signifie pas que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle – et ce, qu’elle concerne le champ des droits fondamentaux ou celui (qui nous intéresse ici) des règles répartitrices de compétences – se caractérise par son caractère timoré : au contraire, « les juges constitutionnels se sont montrés très créatifs, dès lors qu’en dégageant certains principes interprétatifs, ils ont comblé le silence de la Constitution et des lois spéciales sur l’interprétation des règles de répartition des compétences »  [820]. C’est à l’occasion de recours en annulation pour excès de compétence portés devant elle que la Cour constitutionnelle a été amenée à forger cette jurisprudence et ces principes directeurs, qui se distinguent en outre par leur caractère dynamique – plutôt que statique –, la Cour ayant modifié au fil du temps ces principes afin qu’ils s’adaptent aux évolutions du fédéralisme et de la société belges  [821].

664 Si l’on adopte une perspective comparée, on observe que la procédure de prévention des conflits de compétence organisée en Belgique est assez exceptionnelle. En revanche, il est habituel que, dans un État fédéral, les juridictions – et, le cas échéant, une juridiction constitutionnelle unique – soient chargées de trancher les conflits de compétence qui surviennent entre les différentes composantes de l’État. En effet, le contrôle de la constitutionnalité des normes de rang législatif implique de vérifier le respect, par les différents législateurs, des règles répartitrices de compétences entre les composantes de l’État fédéral. Lorsque ces règles ne sont pas fixées avec suffisamment de précision dans la Constitution ou les lois institutionnelles, il revient par ailleurs à la juridiction constitutionnelle (ou aux cours et tribunaux qui assument cette fonction) d’interpréter ces règles, voire de dégager des principes permettant de tracer les frontières entre les compétences des différentes composantes de l’État. À cet égard, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle belge s’est révélée particulièrement dynamique, en particulier si on la compare à la jurisprudence observable dans d’autres États fédéraux  [822]. Une autre particularité de la Belgique est que la transformation qui s’est opérée de l’État unitaire vers l’État fédéral a été déterminante et a conduit les responsables politiques à s’accorder, au début des années 1980, sur la création d’une Cour d’arbitrage qui « ne veillait initialement qu’au respect des règles répartitrices de compétences »  [823]. Par contraste, dans la plupart des autres États fédéraux, la Cour constitutionnelle n’a pas été instituée principalement pour des raisons tenant à la structure fédérale de l’État, mais afin d’organiser un contrôle effectif de la suprématie du texte constitutionnel dans l’ordre juridique interne. Aujourd’hui, même si les affaires portées devant la Cour constitutionnelle belge qui concernent la répartition des compétences sont moins nombreuses que celles qui ont trait aux droits fondamentaux, elles n’en restent pas moins particulièrement importantes : « Le contentieux de la répartition des compétences (…) demeure un aspect essentiel du rôle de la Cour, qui peut être considérée comme un arbitre des règles du jeu fédéral »  [824].

5.3.2. Les conflits d’intérêts

665 Si le conflit de compétence se caractérise par sa dimension juridique, ce qui implique qu’un organe juridictionnel puisse en être saisi et le trancher au regard de règles et de principes de nature juridique, il convient de se pencher à présent sur un autre type de conflit susceptible de survenir entre différentes composantes de l’État fédéral belge, qui est quant à lui marqué par sa dimension politique plutôt que juridique : le conflit d’intérêts.

666 Le mécanisme de règlement du conflit d’intérêts a été institué en 1980, à l’occasion de la deuxième réforme de l’État. Le cadre de la matière se trouve dans la Constitution et dans la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles. Il n’est pas aisé de donner une définition de cette notion qui ne soit pas excessivement descriptive et procédurale. En effet, ni le constituant ni le législateur (ordinaire ou spécial) n’a défini ce qu’est un « intérêt », de telle sorte que l’on peut estimer qu’il s’agit là d’« un des concepts les plus flous du droit constitutionnel belge »  [825].

667 On peut noter, tout d’abord, le lien qu’a explicitement établi le constituant entre le conflit d’intérêts et la notion de loyauté fédérale. En effet, l’article 143, § 1er de la Constitution stipule que les composantes de l’État sont tenues d’exercer leurs compétences dans le respect de la loyauté fédérale en vue d’éviter des conflits d’intérêts. Ensuite, il convient de rappeler que les deux notions qui sont examinées ici sont intimement liées : un conflit d’intérêts peut être porteur d’un conflit de compétence ou se changer en un conflit de ce type et, inversement, un conflit de compétence repose la plupart du temps sur des intérêts divergents entre diverses composantes de l’État  [826]. Cela a déjà été indiqué, il n’existe pas de frontière étanche entre ces deux types de conflits, la distinction opérée par le constituant et le législateur se fondant d’ailleurs moins sur leur nature intrinsèque (juridique dans le cas des conflits de compétence, politique s’agissant des conflits d’intérêts) que sur l’organisation des procédures visant à les prévenir et à les régler.

668 Il n’en demeure pas moins que « la loi organise une certaine hiérarchie entre le conflit d’intérêts et le conflit de compétence : quand le second est constaté, le premier doit lui céder la place afin de laisser les organes juridictionnels trancher »  [827]. En effet, l’article 32, § 5 de la loi du 9 août 1980 prévoit que, lorsqu’une « procédure relative à un conflit de compétence a été ou est engagée, toute procédure de règlement d’un conflit d’intérêts sur la même matière est suspendue ». Dans le même ordre d’idées, à la demande du Comité de concertation, du gouvernement fédéral, d’un gouvernement régional ou communautaire ou encore du collège réuni de la COCOM, les chambres réunies de la section de législation du Conseil d’État peuvent être saisies afin de donner « un avis motivé sur le point de savoir si [un conflit d’intérêts] est ou non exempt d’un conflit de compétence »  [828]. Cette saisine a pour effet de suspendre la procédure en conflit d’intérêts mise en œuvre devant le Comité de concertation. Si la section de législation du Conseil d’État conclut à l’existence d’un conflit de compétence, il est mis fin de plein droit à la procédure enclenchée devant le Comité de concertation. À l’inverse, si aucun conflit de compétence n’est identifié, la procédure devant le Comité de concertation peut reprendre. Sur le plan pratique toutefois, « il n’est (…) que très rarement fait usage de cette procédure de “déminage” »  [829].

669 Si, malgré les difficultés signalées plus haut, on tente malgré tout de proposer une définition de la notion de conflit d’intérêts, il est possible d’indiquer que celui-ci survient lorsque l’une des composantes de l’État fédéral belge s’estime gravement lésée par une décision ou par un projet de décision émanant d’une autre composante, ou encore par l’absence de décision d’une autre composante. La composante qui s’estime ainsi lésée peut recourir à des procédures de prévention et de règlement du conflit, qui diffèrent selon que le conflit d’intérêts oppose des gouvernements ou des assemblées parlementaires.

670 Il convient de remarquer que ce n’est qu’au niveau des gouvernements que l’absence de décision d’une autre composante permet d’enclencher une procédure en conflit d’intérêts. En outre, contrairement à ce qui est de mise lorsque des assemblées parlementaires sont impliquées, une décision déjà prise par un gouvernement ou l’un de ses membres, et non uniquement un projet de décision, peut faire l’objet d’une procédure en conflit d’intérêts. On peut souligner, par ailleurs, qu’aucun critère ne doit être rencontré a priori pour qu’une procédure en conflit d’intérêts puisse être mise en œuvre : il suffit à cet égard que la composante de l’État concernée énonce, en quelque sorte souverainement, qu’elle est susceptible d’être « gravement lésée » par une décision ou une initiative législative émanant d’une autre composante  [830]. Il est à noter enfin que, au stade préventif, un certain nombre de conflits d’intérêts sont évités au moyen de concertations et d’accords entre les composantes de l’État fédéral, qui prennent notamment la forme de conférences interministérielles et d’accords de coopération (cf. supra).

671 Lorsqu’un gouvernement estime qu’il y a conflit d’intérêts avec un autre gouvernement, il saisit le Comité de concertation. Celui-ci dispose de 60 jours pour prendre une décision. Si un consensus est atteint en son sein quant à l’existence d’un conflit d’intérêts, le Comité de concertation demande au gouvernement mis en cause de revoir sa décision. Cette demande n’a toutefois aucune force contraignante. À défaut de consensus, aucun recours n’est prévu : le gouvernement concerné peut poursuivre la politique qui était contestée  [831].

672 Si le conflit d’intérêts concerne des assemblées parlementaires, c’est-à-dire si une assemblée législative s’estime gravement lésée par un projet ou une proposition de loi, de décret ou d’ordonnance déposée devant une autre assemblée législative, elle peut, par une motion adoptée à une majorité renforcée  [832], demander la suspension de la procédure législative entamée dans cette autre assemblée. Les deux assemblées ont alors un délai de 60 jours pour essayer de s’entendre. Si cette concertation n’aboutit pas durant ce délai – qui est suspensif –, le Comité de concertation rend une décision après avoir, en principe, reçu un avis motivé du Sénat (dont, pour rappel, la composition est marquée – depuis la quatrième réforme institutionnelle, et davantage encore depuis la sixième – par le caractère fédéral de l’État). Le Sénat dispose de 30 jours pour remettre un avis motivé au Comité de concertation, qui doit ensuite rendre à son tour une décision dans les 30 jours. Si, toutefois, c’est la Chambre des représentants ou le Sénat qui a mis en œuvre la procédure de conflit d’intérêts, le Sénat ne rend pas d’avis et le Comité de concertation dispose de 60 jours pour rendre sa décision. Dans un cas comme dans l’autre, la décision du Comité de concertation n’est pas contraignante  [833]. Il est à souligner que le Sénat n’a, lui non plus, aucunement le pouvoir d’imposer une décision aux assemblées concernées et peut uniquement jouer un rôle de conciliation.

673 Sur quoi portent, plus concrètement, les procédures en conflit d’intérêts qui ont été initiées par l’une ou l’autre des composantes de l’État fédéral belge depuis l’apparition de ce mécanisme ? Les procédures les plus marquantes se sont rapportées à des questions qui touchent à des équilibres communautaires.

Deux exemples de procédure en conflit d’intérêts

En avril 2006, le gouvernement flamand Leterme (CD&V/VLD/SP.A/Spirit/N-VA) a déposé devant le Parlement flamand un projet de décret modifiant le Code flamand du logement (Vlaamse Wooncode). L’une des dispositions de ce texte visait à conditionner la conservation ou l’obtention d’un logement social à la volonté du locataire ou du candidat locataire d’apprendre le néerlandais, ce qui a suscité de nombreuses critiques, en particulier de la part des responsables politiques francophones. Par voie de conséquence, les quatre partis démocratiques alors représentés au Parlement de la Communauté française et au Parlement wallon (à savoir le PS, le MR, le CDH et Écolo) ont déclenché une procédure en conflit d’intérêts dans chacune de ces deux assemblées *. Ces procédures n’ont toutefois pas permis d’aboutir à une solution susceptible de satisfaire les deux grandes communautés linguistiques. L’affaire a finalement été portée devant la Cour constitutionnelle, qui a été saisie, le 25 avril 2007, par le gouvernement de la Communauté française (soutenu dans son action par le gouvernement wallon) et, le 14 août 2007, par la Liga voor Mensenrechten et le Vlaams Overleg Bewonersbelangen, deux associations flamandes actives, respectivement, dans la défense des droits humains et dans celle des intérêts des locataires. Le 10 juillet 2008, la Cour constitutionnelle a annulé l’obligation « d’avoir la volonté d’apprendre le néerlandais » et les sanctions qui s’y attachent s’agissant des (candidats) locataires de logements sociaux situés dans les communes à facilités linguistiques **.
Un autre exemple de dossier communautaire dans le cadre duquel des procédures en conflit d’intérêts ont été initiées a déjà été évoqué précédemment : il s’agit du dossier dit BHV, relatif à la question du maintien ou de la scission de la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde. Les propositions de loi litigieuses qui étaient alors examinées devant la Chambre des représentants, dont certaines avaient été adoptées en commission par la majorité (néerlandophone) contre la minorité (francophone), ont été suspendues à la suite de différentes procédures en conflit d’intérêts initiées, successivement, par le Parlement de la Communauté française, par l’Assemblée de la COCOF, par le Parlement wallon et, enfin, par le Parlement de la Communauté germanophone. Toutefois, ces suspensions successives n’ont pas permis de résoudre ce différend communautaire particulièrement aigu. Au contraire, ce dernier a conduit à la chute du gouvernement fédéral Leterme II et à l’emploi de la procédure de la sonnette d’alarme par les francophones à la Chambre des représentants, le 29 avril 2010. Après les élections fédérales anticipées du 13 juin 2010, et la longue crise politique qui s’en est suivie, ce dossier a finalement été résolu dans le cadre global des négociations ayant conduit à la sixième réforme de l’État et à la formation du gouvernement fédéral Di Rupo.
*  Le vote de la motion en conflit d’intérêts est intervenu le 2 mai 2006 au Parlement de la Communauté française et le 10 mai 2006 au Parlement wallon.
**  Cour constitutionnelle, Arrêt n° 101/2008, 10 juillet 2008. À ce sujet, cf. N. Bernard, « L’arrêt “Wooncode” de la Cour constitutionnelle du 10 juillet 2008 : quand l’arbre (linguistique) cache la forêt », Journal des tribunaux, n° 6330, 2008, p. 689-698.

674 Dans une série de procédures, et notamment dans les deux dossiers qui viennent d’être évoqués, a été à l’œuvre une logique de confrontation entre francophones et néerlandophones. À cet égard, la mise en route de la procédure en conflit d’intérêts par telle ou telle assemblée semble s’inscrire, le plus souvent, dans une stratégie élaborée sur une base « communautaire » (au sens sociologique et non institutionnel du terme). Le dossier BHV constitue une illustration particulièrement parlante de cette tendance  [834]. Toutefois, il démontre également que certaines entités peuvent échapper à ce clivage bipolaire. C’est ainsi que la Communauté germanophone, qui a également initié une procédure en conflit d’intérêts dans le cadre du dossier BHV, s’est prononcée à ce sujet en toute autonomie. Notamment, la discussion qui s’est tenue au Parlement de la Communauté germanophone ne s’est pas déroulée dans un climat d’unanimité, comme cela avait été le cas dans les assemblées francophones et wallonne, mais a suscité des discussions mettant en lumière des différences d’approche entre parlementaires.

675 Toujours sur le plan communautaire, la façon dont la procédure en conflit d’intérêts a été instituée implique que les francophones sont, dans une certaine mesure, avantagés par rapport aux néerlandophones. En effet, chaque entité fédérée étant susceptible d’enclencher cette procédure, les francophones peuvent, le cas échéant, agir à travers les assemblées parlementaires ou les gouvernements de la Région wallonne, de la Communauté française et de la COCOF. De leur côté, les Flamands, même si les entités fédérées qu’ils contrôlent s’avèrent moins nombreuses, peuvent compter sur le fait que la Communauté flamande et la Région flamande sont dotées chacune d’une personnalité juridique distincte, ce qui les autorise à enclencher, si les majorités requises sont atteintes, deux procédures au lieu d’une seule  [835].

676 Les motions en conflit d’intérêts ne se cantonnent pas, toutefois, à des questions d’ordre communautaire. On observe en effet que de nombreuses procédures actionnées ces dernières années ou décennies renvoient à des enjeux de nature financière, juridique, sociale, économique, etc. En outre, les composantes de l’État fédéral visées par de telles procédures ou ayant initié celles-ci s’avèrent particulièrement variées. Si, dans les deux dossiers évoqués plus haut, des motions ont été signées à l’initiative d’entités fédérées francophones, on observe que des procédures en conflit d’intérêts ont également été mises en œuvre par la Communauté flamande ou la Région flamande. Enfin, si ce mécanisme est souvent perçu comme un moyen d’action s’inscrivant uniquement dans une logique de confrontation – contrairement à sa raison d’être, qui est de renforcer la loyauté fédérale entre les composantes de l’État –, l’analyse des procédures qui ont été menées à travers le temps montre que celles-ci peuvent déboucher, dans quelques rares cas, sur un accord entre partenaires  [836]. Un tel dénouement est plus fréquent lorsque la composante visée est l’Autorité fédérale, sans doute en raison du mode de fonctionnement des institutions fédérales – et en particulier du Parlement fédéral et du Conseil des ministres –, qui tient compte des équilibres communautaires et linguistiques. En d’autres mots, les procédures en conflit d’intérêts ne s’inscrivent pas toujours dans une dynamique de confrontation, mais peuvent donner lieu à un dialogue fructueux, même s’il faut reconnaître que les accords ainsi dégagés, outre qu’ils sont particulièrement rares, s’avèrent également fragiles, les composantes de l’État concernées restant libres de faire volte-face si elles l’estiment opportun sur le plan politique.

677 Du point de vue du droit et de la politique comparés, il est difficile de trouver un équivalent de la procédure en conflit d’intérêts telle qu’elle existe en Belgique (notamment, on cherchera en vain une telle expression dans le droit constitutionnel d’un autre État fédéral). Moyennant les quelques nuances qui ont été apportées plus haut, ce mécanisme reste sans doute marqué par la nature centrifuge du fédéralisme belge et par les tensions, voire les conflits ouverts, qui ne manquent pas de survenir entre les deux grandes communautés linguistiques et culturelles du pays, francophone et néerlandophone. La dimension fortement procédurale de ce mode de résolution des conflits peut également être mise en lien avec la dimension centrifuge du fédéralisme en Belgique : la méfiance entre partenaires a sans doute conduit ceux-ci à encadrer fortement les relations susceptibles de se nouer entre les composantes de l’État. Dans d’autres États fédéraux qui comprennent plusieurs communautés linguistiques, culturelles, religieuses ou autres, il semble que les modalités de gestion des relations entre les diverses composantes de l’État s’inscrivent, au contraire, dans une logique plus informelle (tel est en particulier le cas au Canada  [837]), et ce que l’on considère le domaine des relations défensives ou celui des relations constructives.

5.4. Les relations internationales : entre autonomie et collaboration

678 Dans le domaine des relations internationales, l’équilibre qui a été trouvé en Belgique concernant les compétences respectives de l’Autorité fédérale et des entités fédérées est assez particulier. Les entités fédérées se sont en effet vu reconnaître d’importantes compétences, plus étendues que celles conférées dans certains États fédéraux dits classiques comme l’Allemagne – où les traités internationaux conclus par les Länder doivent être approuvés par le gouvernement fédéral  [838] – et les États-Unis – où le jus tractatum des États est relativement limité même s’il n’y a pas d’obligation d’assentiment par le pouvoir central. Les Communautés et les Régions de Belgique ont notamment reçu le droit de conclure des traités dans les domaines qui relèvent exclusivement de leurs compétences. D’un autre côté, un rôle prépondérant est reconnu au gouvernement fédéral lorsque sont négociés des traités mixtes, c’est-à-dire des traités qui touchent à la fois à des compétences fédérales et à des compétences relevant des entités fédérées.

679 Cette répartition des compétences sur le plan des relations internationales entre l’Autorité fédérale, d’une part, et les entités fédérées, d’autre part, s’avère en réalité assez complexe. Tandis que certaines prérogatives demeurent de la compétence exclusive du niveau fédéral (par exemple, les questions liées à la sécurité extérieure et au commandement de l’armée), d’autres font l’objet d’une répartition entre les diverses composantes de l’État fédéral.

680 La Constitution indique, en son article 167 : « Le Roi dirige les relations internationales, sans préjudice de la compétence des Communautés et des Régions de régler la coopération internationale, y compris la conclusion de traités, pour les matières qui relèvent de leurs compétences ». Comme le note Christian Behrendt, « la Belgique connaît une application extrêmement étendue de l’adage in foro interno, in foro externo, qui octroie aux entités fédérées du pays (…) des prérogatives (presque) aussi étendues que l’Autorité fédérale en matière de relations internationales, pour autant qu’elles se déroulent dans le cadre de leurs compétences propres »  [839]. Il ne faut pas oublier que ce principe, énoncé sur le plan interne, se trouve en tension avec une autre règle qui est de mise dans l’ordre international : « [Cet] adage in foro interno, in foro externo n’est jamais qu’un précepte de droit interne de l’État qui l’émet, en l’occurrence le Royaume de Belgique : il est donc en tant que tel inopposable aux autres États du monde, ceux-ci étant fondés à invoquer le principe de base qui gouverne les relations internationales – en ce compris des pays à structure fédérale – ; et ce principe est que les États sont uns et indivisibles aux yeux du droit des gens »  [840].

681 Le principe général est ainsi que le Roi – c’est-à-dire le gouvernement fédéral – dirige les relations internationales, sans toutefois pouvoir porter préjudice au droit des Communautés et des Régions de « régler la coopération internationale, y compris la conclusion de traités », dans le cadre de leurs compétences. « Cette formule ésotérique doit être entendue en ce sens que les Communautés et les Régions peuvent utiliser toutes les modalités d’exercice des compétences dans le domaine des relations internationales, pourvu que celles-ci concernent les matières communautaires ou régionales »  [841]. Il n’en demeure pas moins que c’est l’Autorité fédérale qui dirige, au premier chef, les relations internationales, certes sans pouvoir s’immiscer dans les compétences des entités fédérées en la matière, mais en exerçant des pouvoirs qui peuvent avoir une incidence sur les politiques menées par ces dernières  [842].

682 Concernant les traités internationaux, il convient plus précisément d’en distinguer trois types  [843] : ceux qui concernent uniquement des compétences de l’Autorité fédérale, ceux qui ont trait exclusivement à des compétences des entités fédérées et, enfin, les traités mixtes – qui, il ne faudrait pas s’y tromper, sont loin d’être rares. Afin de régler le processus de négociation et la signature de ces traités mixtes, la Constitution renvoie à la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, qui elle-même renvoie à un accord de coopération effectivement conclu le 8 mars 1994 entre l’Autorité fédérale, les Communautés et les Régions  [844]. Cet accord de coopération organise différentes phases dans le cadre de la négociation de tels traités mixtes et fixe les modalités de leur signature et de leur ratification. « Ce système complexe garantit l’autonomie des Régions et des Communautés tout en autorisant le Roi à ratifier, au nom de l’État fédéral mais avec le consentement de ses collectivités constitutives, des traités portant sur des matières relevant de la compétence interne exclusive de ces collectivités »  [845].

683 La nécessité pour tous les traités mixtes de recueillir l’assentiment des assemblées représentatives de toutes les composantes de l’État fédéral concernées induit une procédure assez lourde. Et cela d’autant plus qu’un traité est considéré comme relevant de la compétence d’une autorité dès que la matière pour laquelle celle-ci est compétente « concerne un élément seulement accessoire, plutôt hypothétique ou même seulement insignifiant dans le traité »  [846] : comme l’écrivent joliment Dries Van Eeckhoutte et Tim Corthaut, « de la même manière qu’une petite goutte de [pastis] suffit pour troubler la couleur de l’eau, une gouttelette de compétence relevant d’une autre autorité suffit pour qualifier le traité de mixte »  [847]. Pour sa part, H. Dumont observe : « On est là à la fois devant une manifestation exacerbée du principe d’autonomie, puisque chaque entité dispose d’un droit de veto, et devant une limite à ce même principe en raison de la soumission au droit de veto de toutes les autres entités compétentes. L’accord politique du 11 octobre 2011 qui est à la source de la sixième réforme de l’État avait envisagé de remédier à la lourdeur de cette procédure en confiant au Sénat, entre autres missions, “l’assentiment à certains traités mixtes avec le droit d’évocation des entités fédérées”  [848]. Cette idée n’a pas prospéré »  [849].

684 Sur la scène internationale, l’État belge est, sauf exception, considéré comme un tout au regard des droits et des engagements internationaux qui sont les siens, que ceux-ci touchent à des compétences de l’Autorité fédérale ou à celles d’une ou plusieurs entités fédérées. C’est ainsi que, par exemple, l’Autorité fédérale est amenée à représenter la Belgique devant certaines juridictions internationales ou supranationales, même lorsque ce sont des normes législatives ou des politiques publiques élaborées au niveau d’une entité fédérée qui sont en cause.

685 Par ailleurs, certains mécanismes visent à permettre une intervention de l’Autorité fédérale dans des compétences qui relèvent en principe d’entités fédérées, afin que les obligations internationales contractées par la Belgique puissent être respectées. Ainsi, moyennant le respect de certaines conditions, qui impliquent en particulier l’existence d’une condamnation prononcée « par une juridiction “internationale ou supranationale” du fait de la violation d’une obligation internationale imputable au manquement d’une Région ou d’une Communauté »  [850], un pouvoir de substitution en faveur de l’Autorité fédérale est organisé depuis la quatrième réforme institutionnelle afin de garantir le respect, par les entités fédérées, des obligations internationales de l’État belge  [851]. Ce mécanisme de substitution est à mettre en rapport avec le fait que, dans le fédéralisme belge, prévaut une absence de hiérarchie entre les normes législatives de l’Autorité fédérale et celles des entités fédérées. Dans un domaine particulier, et depuis la sixième réforme de l’État, ce pouvoir de substitution existe même en l’absence de toute condamnation prononcée par une juridiction internationale ou supranationale : à savoir lorsque l’Autorité fédérale est tenue d’assurer le respect des obligations découlant de certains instruments internationaux et européens visant à réduire le niveau d’émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de la lutte contre le changement climatique  [852].

686 Ces procédés de substitution, qui sont donc censés permettre à l’Autorité fédérale de pallier l’inaction problématique de ses entités fédérées, n’ont pas été mobilisés à ce jour. Politiquement, il paraît délicat que l’Autorité fédérale, marquée par son caractère bipolaire déjà relevé, prenne de telles mesures aux allures de sanction. Par ailleurs, sans doute l’existence même de tels mécanismes incite-t-elle, dans une certaine mesure, les entités fédérées concernées à respecter les engagements internationaux ou supranationaux qui sont les leurs  [853].

687 En vertu des principes présentés ci-dessus, les entités fédérées ont développé leurs propres canaux et réseaux de relations internationales, en particulier à partir de 1993  [854], parfois en collaboration. Ainsi, Wallonie-Bruxelles International (WBI) est l’organisme chargé des relations internationales de la Région wallonne, de la Communauté française et de la COCOF, sur la base d’un accord de coopération conclu à cet effet entre ces trois entités  [855]. Une délégation générale de WBI « ayant statut diplomatique » est établie dans une quinzaine de villes, principalement francophones, et auprès de l’Union européenne  [856]. Actuellement, les relations internationales de la Flandre et de la Communauté germanophone dépendent directement du ministre-président ; il n’en a pas toujours été ainsi  [857]. La diplomatie flamande dispose de treize représentations dans des pays étrangers.

688 Dans le domaine économique, la Région wallonne a institué l’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers (AWEX)  [858], qui joue un rôle important dans les relations extérieures de la Région en matière économique. Son rôle s’étend à la région de langue allemande. Sur le territoire de celle-ci, la Wirtschaftsförderungsgesellschaft (WFG) est chargée d’appuyer le développement économique de la Communauté germanophone sur le plan interne. Ces deux organismes travaillent en partenariat et la WFG abrite deux services de l’AWEX : d’une part, celui qui se concentre sur les exportations vers l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse (service qui s’adresse à toutes les sociétés de Wallonie) ; d’autre part, celui qui conseille les investisseurs des pays germanophones qui souhaitent s’installer en Communauté germanophone ou ailleurs en Wallonie. L’équivalent flamand de l’AWEX est Flanders Investment and Trade (FIT), tandis que la Région de Bruxelles-Capitale a intégré ce type d’activités dans l’Agence bruxelloise pour l’accompagnement de l’entreprise (hub.brussels).

689 Les entités fédérées peuvent participer à des organisations internationales. Ainsi, la Communauté française est membre de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) depuis 1980. Les assemblées parlementaires des Régions et Communautés nouent également leurs propres relations, en particulier avec d’autres assemblées, nationales ou d’entités fédérées. Comme on l’a relevé dans le chapitre 2, Régions et Communautés accompagnent aussi parfois des missions royales ou princières à l’étranger, à l’occasion desquelles elles peuvent renforcer ou étendre leurs relations extérieures.

690 En matière internationale, un champ spécifique et particulièrement important est celui relatif à la représentation de la Belgique au sein des institutions de l’Union européenne. Un accord de coopération du 8 mars 1994 s’applique ici  [859]. Si c’est certes le Premier ministre belge qui participe au Conseil européen, c’est à la demande même de la Belgique que le Traité de Maastricht a introduit la possibilité pour un État d’être représenté au Conseil de l’Union européenne par des ministres d’entités fédérées  [860]. La représentation belge au Conseil peut s’opérer selon six modalités différentes : (1) par un ministre fédéral seul (par exemple, pour les Conseils Affaires générales, Écofin, Budget, Justice) ; (2) par un ministre fédéral assisté d’un « assesseur » des entités fédérées (par exemple, pour les Conseils Marché intérieur, Santé, Énergie) ; (3) par un ministre régional ou communautaire seul (par exemple, pour les Conseils Culture, Éducation, Logement, Aménagement du territoire) ; (4) par un ministre régional ou communautaire assisté d’un « assesseur » fédéral (par exemple, pour les Conseils Recherche, Environnement) ; (5) par le ministre fédéral de l’Agriculture assisté par les ministres wallon et flamand de l’Agriculture (pour le Conseil Agriculture) ; (6) par un ministre du gouvernement flamand seul (pour le Conseil Pêche). Dans les cas n° 2 à 4, un système de rotation établit quelle entité fédérée exerce le rôle de « ministre-assesseur » (cas n° 2) ou de « ministre-siégeant » (cas n° 3 et 4) ; ce système ne prévaut pas dans les autres cas.

691 L’étude de ces relations entre exécutifs belges met en évidence l’importance de la coopération entre ceux-ci dans bien des domaines, notamment dans le cadre de la conférence interministérielle Politique étrangère  [861], le rôle de coordination de la direction générale Affaires européennes (DGE) du Service public fédéral (SPF) Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement, ainsi que l’importance du consensus dans la définition des positions qui sont portées au niveau européen par les représentants belges, quelle que soit l’entité – fédérale ou fédérée – dont ils sont issus  [862]. Certains domaines dans lesquels seule l’Autorité fédérale intervient, et des dynamiques telles que le renforcement de la discipline budgétaire à la suite de la crise économique et financière déclenchée en 2008, ont eu tendance à renforcer la centralisation au niveau du SPF Affaires étrangères  [863].

692 En revanche, indique François Randour, la coopération et la centralisation semblent nettement moins être de mise au niveau des assemblées parlementaires  [864]. Lorsqu’un traité mixte doit être ratifié par la Belgique, la ratification doit être précédée d’un assentiment par la Chambre des représentants et les assemblées de chacune des entités fédérées  [865]. Chacune de ces assemblées dispose dès lors en quelque sorte d’un droit de veto  [866], ce qui permet à chacune de mener le processus sans se préoccuper de la position des autres et ne contraint pas les parlements de Région ou de Communauté à laisser la primauté à la Chambre. Si pareil veto n’a jamais été activé, l’épisode des fortes réticences du Parlement wallon à l’égard du traité de libre-échange conclu entre l’Union européenne et le Canada (CETA)  [867] a montré que chaque assemblée parlementaire belge est susceptible de jouer un rôle crucial dans la détermination de la politique européenne du pays, voire d’influencer le sort de l’Union européenne elle-même.

Conclusion

693 Ce numéro 2500 du Courrier hebdomadaire s’est donné pour ambition de répondre à une question apparemment simple : en quoi le fédéralisme belge est-il singulier ? Pour ce faire, c’est l’ensemble de l’écosystème institutionnel belge qui a été examiné, parfois sous des angles inhabituels. Et ce fédéralisme a été comparé aux autres systèmes fédéraux que compte la planète, en particulier à ceux de démocraties occidentales de niveau de développement comparable.

La « maison Belgique »

694 Pour évoquer le fédéralisme belge, il est souvent fait référence à l’« architecture institutionnelle ». À bien y regarder, la métaphore architecturale s’avère particulièrement parlante pour tenter de saisir la question de la singularité du système institutionnel de la Belgique.

695 Prenons l’exemple d’une maison. Il est possible d’établir un idéal type de la maison, à savoir un modèle abstrait pourvu d’un certain nombre de caractéristiques qui constituent ce concept. Parmi ces caractéristiques, on retiendra alors les plus élémentaires : le fait qu’une maison soit dotée d’une porte, permettant d’y entrer ou d’en sortir, et de murs et d’un toit, à même de protéger ses occupants des regards ou des intempéries. De même, il est possible de dresser, sur le plan théorique, le portrait-robot d’un État fédéral. Et de déterminer qu’un État fédéral a pour caractéristiques élémentaires d’organiser le pouvoir de faire la loi (et celui de donner exécution à la loi) entre diverses collectivités placées sur un pied d’égalité ou de quasi-égalité. Cependant, toute maison, même la plus standardisée, présente des singularités ; dans la réalité, il n’y a pas de « maison pure ». En outre, certaines bâtisses présentent davantage de particularités que d’autres, qui sont plus ordinaires. De la même façon, chaque État fédéral est singulier car il est doté de caractéristiques qui lui sont propres, plus ou moins nombreuses ; dans la pratique, il n’y a pas d’« État fédéral pur ». Il n’en demeure pas moins que certaines architectures fédérales s’avèrent plus complexes – voire plus alambiquées – que d’autres. Et il faut admettre qu’à ce titre, la « maison Belgique » semble parfois avoir été dessinée par Numérobis, l’architecte de Cléopâtre qui fait appel aux services d’Astérix et ses amis.

696 Ensuite, une maison peut évoluer dans le temps, et cela tant dans les éléments qui la composent que dans ceux qui l’entourent et qui forment son environnement. En Belgique, pays dont les habitants ont « une brique dans le ventre », comme on a coutume de le dire, ce fait est bien connu : un immeuble peut connaître une « rénovation » (dans le champ politique, on parle plus volontiers de « réforme » des institutions), ce qui implique qu’il soit, temporairement ou plus durablement, en chantier (comme on parle de « chantier institutionnel »). Certes, il est possible de construire une maison sur un terrain vierge. Au commencement de l’État, on trouve une Constitution – le plus souvent écrite – qui jette les « fondations » du nouvel édifice institutionnel et en constitue également la clé de voûte. Mais un moment de refondation peut également advenir par la suite qui, le cas échéant, conduira à revoir en profondeur les principes sur lesquels repose la construction étatique. Dans le champ tant architectural qu’institutionnel, il est même courant que des travaux de rénovation se répètent dans le temps. Dans le domaine architectural, on peut songer aux immeubles d’habitation ou à d’autres bâtiments, comme le Louvre, qui a été forteresse militaire puis résidence royale avant de devenir musée, et qui a connu de nombreuses évolutions au fil des vicissitudes de l’histoire politique française. Que des transformations institutionnelles se déploient dans le temps, c’est particulièrement vrai s’agissant de la mutation de la Belgique d’État unitaire en État fédéral, et ce au fil de six réformes qui se sont étalées sur plus de quatre décennies – une septième étant annoncée et faisant l’objet de réflexions et de consultations au moment où ces lignes sont écrites. Cette dernière circonstance est d’ailleurs assez inédite : si elle voit le jour, cette septième réforme de l’État belge serait la première à ne pas avoir été décidée et élaborée pour réagir à une crise communautaire ou à tout le moins dans le cadre d’une période de grandes tensions politiques. Actuellement, il est impossible de savoir si ce processus aboutira et, a fortiori, quels seront ses résultats : les métamorphoses successives de la structure institutionnelle belge se déroulent sans suivre un plan (d’architecte ?) qui aurait été conçu à l’avance. On a ainsi pu parler parfois de « bricolage institutionnel », tandis que sa connaissance d’une « tuyauterie institutionnelle » de plus en plus complexe a valu le surnom de « plombier » à un Premier ministre, le social-chrétien flamand Jean-Luc Dehaene.

697 Comme cela arrive dans certaines maisons, un observateur pourrait s’étonner des diverses bizarreries de l’édifice étatique belge : de ces compétences qui s’enchevêtrent les unes dans les autres, de ces agencements institutionnels asymétriques, de ces entités fédérées dont aucune n’est identique à une autre, de ces couches de papier peint (Constitution, lois spéciales et ordinaires de réformes institutionnelles, jurisprudence des hautes juridictions, etc.) qui s’accumulent les unes au-dessus des autres et dans lesquelles on repère çà et là des motifs en trompe-l’œil, de ces problèmes communautaires mis « au frigo » ou placés sous le tapis, etc. Cet observateur pourrait aussi aboutir à la conclusion que certaines des lourdes rénovations qui ont été réalisées par le passé se sont en réalité révélées être des « grands travaux inutiles », en écho aux institutions mort-nées ou particulièrement éphémères dont l’histoire des six réformes de l’État offre plusieurs exemples. Il pourrait aussi se demander si des travaux supplémentaires ne s’imposent pas dans la bâtisse qu’il visite, si pas des réaménagements plus ambitieux. Le risque étant que l’immeuble, à force d’être mal entretenu et restauré à la hussarde, se délabre, voire s’effondre, donnant ainsi du grain à moudre à ceux qui voudraient diviser en plusieurs lots (mais en combien exactement ? et de quelle nature ?) une demeure jusqu’ici commune.

698 Filant encore la métaphore architecturale, on notera que c’est en comparant une maison à d’autres que sa singularité peut apparaître. Qui ne pense pas, ne serait-ce que fugacement, à son propre lieu d’habitation quand il en découvre un autre ? En comparant la « maison Belgique » à d’autres édifices étatiques du même type, il est ainsi possible de jauger ses particularités. Et, dans le même mouvement, de questionner tant de fausses évidences – certaines caractéristiques du fédéralisme belge étant présentées comme des spécificités dans le discours de certains acteurs politiques, alors qu’en réalité elles se retrouvent fréquemment dans d’autres États fédéraux – que des thématiques érigées au rang de tabous – comme ces compétences auxquelles il ne pourrait être touché sans mettre en péril l’équilibre de l’ouvrage tout entier.

699 Enfin, ce recours à des images issues de l’architecture, dans le cadre d’une réflexion sur le fédéralisme, invite à se rappeler que ni une maison ni un État ne renvoient à des édifices qui trouveraient en eux-mêmes leur propre fin. Ils sont au contraire des constructions humaines dont la finalité est d’être habitées (pensons à l’autre sens du mot « maison », entendu comme « foyer ») par des occupantes et des occupants, ou par des citoyennes et des citoyens dans le cas d’un État, qui en déterminent l’esprit et auxquels toute décision prise dans l’intérêt général doit être ultimement rapportée. En d’autres termes, dans un État fédéral démocratique, chaque composante de l’État, chaque collectivité, chaque citoyen doit être en mesure d’apporter sa « pierre à l’édifice ».

Un État fédéral, indubitablement

700 Outre qu’elle a permis de « faire le tour du propriétaire » de la maison Belgique, la visite guidée proposée dans ce Courrier hebdomadaire a veillé à restituer les processus historiques et les dynamiques politiques, linguistiques, sociales et économiques qui expliquent les spécificités institutionnelles que présente cet édifice. Les comparaisons opérées avec les autres architectures fédérales qui parsèment la planète conduisent au constat que peu d’éléments sont communs à l’ensemble des États fédéraux. Par exemple, tous ne sont pas dotés d’une assemblée fédérale bicamérale dont une des deux chambres représenterait les entités fédérées, d’une Cour constitutionnelle, de Constitutions des entités fédérées, ni même d’entités fédérées se partageant l’ensemble du territoire national (voire simplement sa majeure partie, comme en atteste le cas de l’Irak). In fine, hormis l’existence d’un niveau de pouvoir fédéral et d’entités fédérées dotées d’une certaine autonomie sur les plans législatif et exécutif, peu de caractéristiques semblent se retrouver dans la totalité des 29 États fédéraux. Néanmoins, la mécanique du fédéralisme distingue ces pays des autres régimes que l’on trouve sur le globe.

701 De ce point de vue, la Belgique a fait siens tous les grands principes inhérents au fédéralisme. Les compétences et les responsabilités sont partagées entre un niveau de pouvoir fédéral et des entités fédérées. Plusieurs volontés politiques s’expriment, chacune se déployant dans sa sphère d’attribution propre. La législation n’émane pas d’une source unique et ne s’applique pas à chaque citoyen sur la totalité du territoire national. Les entités fédérées sont strictement autonomes, chacune dans ses domaines de compétences et sur son territoire  [868], aussi bien entre elles qu’à l’égard de l’Autorité fédérale  [869]. Chaque entité fédérée est dotée de ses organes législatifs et exécutifs, et dispose d’une faculté de s’auto-organiser. Chaque entité fédérée a une personnalité juridique propre, dispose d’un patrimoine, possède des moyens financiers, est dotée d’un budget  [870] et peut avoir recours à l’emprunt  [871]. En outre, elle est représentée au Parlement fédéral (via le Sénat).

702 La Belgique étant un État de droit, différents contrôles sont exercés sur les activités de ses différentes composantes. Notamment, une Cour constitutionnelle est chargée de vérifier que les normes législatives qu’adoptent celles-ci ne violent pas certaines dispositions constitutionnelles ainsi que les règles répartitrices de compétences. Un tel contrôle garantit la bonne application des règles du jeu fédéral, qui supposent que l’Autorité fédérale et les entités fédérées sont des partenaires égaux en droit et en légitimité. L’existence et les attributions de ces partenaires sont fixées dans la Constitution et les lois institutionnelles, et ne peuvent être modifiées unilatéralement par l’une des composantes de l’État fédéral.

703 En matière d’autonomie des entités fédérées, le modèle belge va plus loin, sur certains points, que la plupart des autres systèmes fédéraux. Ainsi, toutes les Régions et Communautés possèdent de très larges compétences auxiliaires, ainsi que des compétences internationales fort étendues (négociation et signature de traités internationaux ; participation à la définition de la position belge dans des négociations internationales). Surtout, la hiérarchie des normes en vigueur en Belgique érige en règle majeure le principe d’équipollence des normes, c’est-à-dire le fait que les législations des entités fédérées (décrets et, à quelques aspects près, ordonnances) ont la même force juridique que les lois fédérales.

704 À d’autres égards en revanche, le fédéralisme belge est moins développé qu’ailleurs. Notamment, l’Autorité fédérale conserve le monopole de l’organisation de la justice  [872], de la police et des pans principaux de la sécurité sociale  [873]. De même, les entités fédérées ne peuvent participer directement aux prises de décision au niveau fédéral, y compris en ce qui concerne la révision de la Constitution et le processus de fédéralisation du pays  [874]. En outre, les Régions et les Communautés ne disposent que d’une faculté d’auto-organisation restreinte et sont dépourvues de charte fondamentale. Sans oublier que leur autonomie financière reste limitée (même si les moyens dont elles disposent sont considérables). Tout cela n’empêche pas que la Belgique d’aujourd’hui est un État authentiquement fédéral.

La querelle linguistique, source d’un cas rare de fédéralisme de dissociation

705 On l’aura compris au fil de ces pages, chaque État fédéral est singulier. Mais quelles sont alors les singularités de la Belgique ? Et par quels aspects le fédéralisme belge constitue-t-il un cas unique ?

706 Une première caractéristique, dont bien d’autres découlent, est qu’il s’agit d’un fédéralisme de dissociation et non d’association : d’un État unitaire, la Belgique est devenue un État fédéral. Certes, une dizaine d’autres cas relèvent d’un tel processus. Mais parmi ceux-ci, la Belgique se distingue : elle n’est pas une ancienne colonie, elle n’est ni confrontée à des poussées sécessionnistes armées ni traversée de divisions claniques, ethniques ou religieuses, elle n’a pas connu de régime autoritaire, et son cheminement vers le fédéralisme est intervenu longtemps après l’indépendance et de manière graduelle. Il peut donc être affirmé que la Belgique constitue le seul cas de passage d’un État unitaire à un État fédéral qui se soit opéré dans le respect de l’État de droit et de manière tout à la fois démocratique et pacifique, mais aussi tardive et progressive.

707 Cette tendance à la dissociation se poursuit – toujours de manière négociée. On peut à ce titre parler de fédéralisme évolutif ou de « fédéralisme par acheminement », selon l’expression de Marc Verdussen. En effet, du fait des forces centrifuges qui l’agitent, la Belgique est engagée dans un processus de transformation institutionnelle presque continuelle ou du moins assez régulière. En l’occurrence, à chaque nouvelle réforme de l’État, l’Autorité fédérale perd des compétences et des moyens au profit des entités fédérées. Il convient de relever que cette tendance s’inscrit plutôt à contre-courant de ce qui est observé actuellement dans beaucoup d’autres États fédéraux, où ce sont plutôt des mouvements de renforcement du niveau fédéral qui sont à l’œuvre.

708 Sans que cela soit tout à fait unique, le fédéralisme belge a aussi pour spécificité qu’il trouve sa source et sa raison d’être d’abord dans des différences linguistiques. Les pays plurilingues ne représentent pas la totalité des États fédéraux, tant s’en faut. Mais même dans ceux qui présentent un tel profil, la question linguistique ne renvoie généralement pas à un problème de premier plan (à la notable exception du Canada). En Belgique, au contraire, elle constitue le moteur même du processus qui a conduit au fédéralisme et à son approfondissement. Mais alors qu’elle y revêt une importance centrale, cela n’apparaît pas tel quel dans la Constitution, qui stipule que « l’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif »  [875]. Les régions linguistiques – qui figurent certes en bonne place dans la loi fondamentale – n’ont pas été instituées comme des entités fédérées mais comme de simples divisions administratives définies par la loi, alors que le découpage territorial qu’elles consacrent est lui-même le fruit de vives confrontations et a des effets aussi multiples que sensibles. Plus encore, l’abandon du volet linguistique des recensements démographiques a marqué la volonté, toujours bien ancrée aujourd’hui, de ne pas pouvoir déterminer avec précision la répartition linguistique de la population, en raison des implications potentielles d’une telle donnée. Paradoxalement donc, la Belgique est un des rares États fédéraux où la question linguistique est centrale et est puissamment centrifuge, mais cette centralité semble y être éludée à certains égards.

709 Il n’en demeure pas moins que l’emploi des langues fait l’objet de règles nombreuses et importantes. À cet égard, il faut relever que le régime linguistique des Régions et Communautés belges peut difficilement être comparé terme à terme à celui des entités fédérées d’un autre État fédéral. Si on considère, par exemple, les cas de l’Afrique du Sud, de la Bosnie-Herzégovine, du Canada, de l’Inde et de la Suisse, on constate qu’en Belgique, certaines entités fédérées sont unilingues, aucune entité fédérée n’emploie plus de deux langues, toutes les entités fédérées ont pour langue(s) officielle(s) une ou plusieurs langues qui sont également des langues nationales et aucune entité fédérée n’emploie toutes les langues officielles du pays. Par contre, pas plus qu’ailleurs, on ne rencontre en Belgique de commune trilingue. Le statut linguistique des communes belges est régi au niveau fédéral ; une commune ne peut pas choisir à quelle entité fédérée elle se rattache, contrairement à ce qui prévaut par exemple en Suisse. L’emploi des langues est toutefois réglé à certains égards au niveau des Communautés, qui sont précisément nées des querelles linguistiques  [876]. On note par ailleurs que le statut de l’allemand et son usage en matière administrative diffèrent quelque peu de ceux réservés au français et au néerlandais (à l’instar de ce qui s’applique, en Suisse, au romanche vis-à-vis de l’allemand, du français et de l’italien).

710 Cette situation est l’une des nombreuses illustrations d’un constat qui traverse cette étude. Une série d’institutions, de dispositions légales ou réglementaires et de pratiques confèrent au fédéralisme belge un caractère multipolaire – ce qui est somme toute classique dans la galaxie des États fédéraux. Mais de nombreuses autres (notamment, l’organisation de la quasi-totalité des partis politiques) et, plus largement, l’esprit qui imprègne les relations internes au système fédéral belge présentent un caractère bipolaire prononcé, ce qui est tout à fait unique. À nouveau, le contentieux communautaire, qui oppose les acteurs politiques francophones et néerlandophones sans réellement impliquer les germanophones, explique dans une large mesure cette organisation et cette perception principalement bipolaires, que l’on ne rencontre pas en Suisse, par exemple, et qui se déclinent différemment même au Canada.

Un fédéralisme asymétrique et de superposition

711 Pour déterminante qu’elle soit, la question linguistique ou communautaire n’est toutefois pas le seul axe d’organisation du fédéralisme belge. Une autre particularité de celui-ci, sans être complètement unique, est qu’il compte plus d’un type d’entités fédérées : non seulement les Communautés, nées en 1971 et 1973, mais également les Régions, instaurées en 1980 et 1989 et dont la base – le territoire – est un élément bien plus courant dans les systèmes fédéraux. On le sait, ces deux découpages en entités fédérées ne coïncident pas. En particulier, en région bruxelloise, une Région et deux Communautés sont compétentes. Et la distinction juridique entre compétences régionales et compétences communautaires, d’une part, et la rencontre sur le territoire bruxellois des deux principales communautés linguistiques et culturelles du pays, d’autre part, expliquent même l’existence des Commissions communautaires en région bruxelloise, soit un troisième type d’entités fédérées – en tout cas en ce qui concerne la Commission communautaire commune (COCOM) et la Commission communautaire française (COCOF)  [877].

712 C’est aussi la réalité bruxelloise qui explique une autre singularité essentielle du cas belge : celui-ci est l’unique exemple au monde de fédéralisme de superposition. En effet, même dans l’autre pays fédéral qui compte des entités fédérées de différentes natures (la Russie) – et dans ceux qui ne sont pas entièrement composés de collectivités de type entité fédérée  [878] (l’Australie, le Canada et l’Inde, par exemple) –, un seul pouvoir autre que le législateur fédéral exerce ses compétences sur un point donné du territoire. En revanche, en tout point du territoire belge, sont compétents, outre le législateur fédéral, au moins un législateur régional et un législateur communautaire.

713 Ce sont bien, avant tout, son processus de construction – sans plan préalable, accord global ni inspiration par un autre modèle – et son organisation – selon un agencement à la fois bipolaire et multipolaire – qui expliquent la physionomie de la « maison Belgique » et sa singularité dans le paysage des États fédéraux. Ce sont aussi ces facteurs qui ont ouvert la voie au caractère asymétrique du fédéralisme belge. Pour des raisons pragmatiques, financières ou liées à un désir accru d’autonomie, quasiment chacune des huit entités fédérées belges exerce soit moins soit plus de compétences que celles qui lui sont en principe attribuées en vertu des grands principes de répartition. On touche ici à une autre singularité très forte du fédéralisme belge : alors qu’en général, dans un État fédéral, toutes les entités fédérées disposent des mêmes prérogatives, en Belgique, il n’en est pas deux qui exercent les mêmes compétences. Et, inversement, de nombreuses configurations apparaissent lorsque l’on cherche à cerner quelles sont les différentes entités fédérées qui sont compétentes dans une matière donnée. La raison de cette singularité est évidente quand on saisit les ressorts du fédéralisme belge, mais pareille situation paraît inconcevable ailleurs. C’est en effet la superposition de l’action de différentes entités fédérées sur un même territoire qui rend possible un transfert horizontal de compétences entre celles-ci. Il ne viendrait sans doute à l’idée de personne de vouloir faire exercer certaines des compétences du Dakota du Nord par le Dakota du Sud, de la Thuringe par la Hesse ou du Tessin par les Grisons. Dans les pays fédéraux autres que la Belgique, la question d’un éventuel transfert de compétences ne se pose que sur un plan vertical (c’est-à-dire entre le pouvoir fédéral et une ou plusieurs entités fédérées).

714 On l’a indiqué, la région bruxelloise est un élément clé de la construction institutionnelle belge – et elle en a longtemps été la principale pierre d’achoppement (de même qu’elle est toujours celle de nombreuses velléités de réforme). Il n’est pas rare que la capitale d’un État fédéral constitue à elle seule une entité fédérée, comme Berlin ou Vienne, ou qu’elle reçoive un statut particulier dans l’architecture institutionnelle du pays, comme Caracas ou Washington. La situation belge se distingue de ce point de vue par le fait que le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale englobe 18 communes outre la ville de Bruxelles, ce qui rapproche celle-ci, entre autres, de Berne ou d’Ottawa. En outre, Bruxelles est la seule capitale fédérale disposant d’un statut bilingue instauré par le pouvoir central (tel n’est le cas, par exemple, ni d’Ottawa ni de Sarajevo). Enfin, Bruxelles présente la caractéristique assez unique d’être non seulement la capitale du pays mais également celle de plusieurs entités fédérées, à savoir celles qui exercent leurs pouvoirs sur son territoire  [879] – et même une dont les compétences ne s’exercent pas sur celui-ci (la Région flamande)  [880].

Des compétences exclusives mais imbriquées

715 Une autre singularité de la Belgique est d’être le seul État fédéral qui ne connaît formellement que des compétences exclusives (et non des compétences concurrentes  [881]) : dans le champ d’application de ses compétences, chacune des composantes de l’État fédéral belge mène librement sa propre politique, y compris sur le plan international (et ce bien plus largement qu’ailleurs). Cette situation est le produit du processus ayant conduit au fédéralisme. Elle résulte essentiellement, d’une part, de la crainte de voir des tensions survenir entre francophones et néerlandophones au sein du gouvernement fédéral quant à l’opportunité de voir cet organe prendre une décision qui irait à l’encontre d’une norme d’une entité fédérée et, d’autre part, de la volonté d’assurer aux Régions et Communautés une complète autonomie vis-à-vis du pouvoir central dans leurs domaines de compétences. Ce principe d’exclusivité n’empêche cependant ni le morcellement ni l’enchâssement des compétences. Si bien qu’il existe de multiples domaines de compétence dans lesquels interviennent plusieurs composantes de l’État fédéral belge, au point que le tableau concret ressemble bien plus à un entrelacs qu’à un alignement de silos comme le principe de l’exclusivité pourrait le laisser penser.

716 Il faut aussi souligner que, en Belgique, le niveau de pouvoir fédéral continue d’exercer les – nombreuses – compétences résiduelles. En effet, comme c’est le cas au Canada et en Inde, toutes les compétences qui ne sont pas transférées aux entités fédérées restent entre les mains de l’Autorité fédérale. L’article 35 de la Constitution belge, introduit voici trois décennies, prévoit pourtant que les compétences résiduelles soient confiées aux entités fédérées, cas de figure qui se rencontre plus fréquemment, comme en Allemagne, en Autriche, en Bosnie-Herzégovine, au Brésil, aux États-Unis, au Mexique, en Russie ou en Suisse. Mais cet article n’a pas été activé à ce jour. Plus largement, même si les révisions constitutionnelles et les lois institutionnelles – qui sont tant les produits que les témoins de la logique de dissociation – attribuent des compétences sans cesse plus larges aux Régions et aux Communautés, elles n’en instaurent pas moins, au sein de ces compétences, de nombreuses exceptions qu’elles réservent à l’Autorité fédérale.

717 L’exclusivité des compétences est à mettre en rapport direct avec une autre singularité de l’ordonnancement fédéral belge. À quelques exceptions près (relatives aux ordonnances bruxelloises), une équipollence prévaut entre les normes fédérales et fédérées : il n’y a pas de hiérarchie entre les lois fédérales et les décrets et ordonnances. Cette configuration n’existe pas ailleurs. Dans les autres pays fédéraux, l’existence de compétences concurrentes, que l’on ne rencontre pas en Belgique, rend nécessaire une hiérarchie entre normes législatives fédérales et fédérées. La Belgique n’est pas non plus marquée par un fédéralisme d’exécution puisque les Régions et Communautés ne sont pas chargées de mettre en œuvre des décisions du pouvoir fédéral, comme cela est le cas dans d’autres États fédéraux. En Belgique, l’exécution de décisions prises à un niveau de pouvoir supérieur est plutôt confiée aux provinces et aux communes, pouvoirs locaux qui existaient déjà dans le cadre de l’État unitaire mais dont le rôle a évolué à la suite de la fédéralisation de l’État.

718 Pas plus que ses normes n’ont la primauté sur celles des Régions, des Communautés, de la COCOM et de la COCOF, et à la différence de ce que l’on peut observer, par exemple, en Allemagne ou en Suisse, l’Autorité fédérale n’a pas de pouvoir de contrainte ou de tutelle sur les entités fédérées (à nouveau, à quelques exceptions près – cependant jamais mises en application à ce jour – concernant les institutions bruxelloises). Tout au plus dispose-t-elle d’un pouvoir de substitution dans des conditions bien précises (à savoir, essentiellement pour garantir le respect des obligations internationales de l’État belge), mais auquel il n’a encore jamais été recouru.

Des modes spécifiques de gestion des conflits entre composantes

719 En dépit du principe d’exclusivité des compétences, de l’équipollence des normes et de la non-utilisation à ce jour du pouvoir de substitution fédéral, les relations entre composantes de l’État fédéral belge peuvent être l’occasion de conflits. Dès lors, divers facteurs visent à mettre de l’huile dans les rouages – ou ont pour effet de le faire même si telle n’est pas leur fonction première.

720 Les composantes de l’État fédéral belge ont le devoir d’agir en respectant le principe de loyauté fédérale, inscrit dans la Constitution depuis 1993. Cela n’a rien de propre à la Belgique, cette idée se rencontrant couramment dans les États fédéraux. Au départ conçue par certains responsables politiques comme un simple précepte politique, cette notion s’est rapidement vu reconnaître une véritable portée juridique et, depuis 2014, la Cour constitutionnelle est explicitement chargée de veiller au respect de ce principe  [882].

721 Pour favoriser leur collaboration ou du moins leur concertation, les composantes de l’État fédéral belge disposent de plusieurs instruments. Les accords de coopération sont l’un des principaux d’entre eux. En Belgique, ces accords peuvent être conclus non seulement par des entités fédérées entre elles, mais aussi impliquer l’Autorité fédérale, ce qui semble être peu fréquent dans les mécanismes équivalents existant au sein des autres pays fédéraux.

722 De même, le système de prévention des conflits de compétence tel qu’il s’est construit en Belgique paraît atypique, dans la mesure où il fait intervenir le Conseil d’État et le Comité de concertation. En revanche, la procédure de règlement de ce type de différend est plus commune, puisqu’elle fait intervenir une juridiction. Selon les pays, il s’agit soit des juridictions ordinaires soit d’une juridiction spécifique. En Belgique, ce rôle revient à la Cour Constitutionnelle. Créée sous le nom de Cour d’arbitrage en 1980 et installée en 1984, celle-ci a dû attendre 2007, soit quasiment un quart de siècle, pour recevoir l’appellation plus convenue (et plus large) qu’elle a actuellement. Cette histoire souligne que la raison d’être de cette institution se distingue de ce que l’on rencontre ailleurs : dans la plupart des autres États fédéraux, la Cour constitutionnelle n’a pas été instituée principalement pour des raisons tenant à la structure fédérale de l’État, mais afin d’organiser un contrôle effectif de la suprématie du texte constitutionnel dans l’ordre juridique interne. Au règlement des conflits de compétence, dont la Cour constitutionnelle belge a été investie dès le départ, sont toutefois venues s’ajouter d’autres prérogatives, faisant notamment de cette juridiction la gardienne des libertés et droits fondamentaux. La Cour se caractérise également par sa composition originale, paritaire non seulement sur le plan linguistique mais également s’agissant du parcours professionnel des juges qui la composent (ceux-ci étant pour moitié d’anciens parlementaires et pour moitié des juristes versés dans les questions constitutionnelles).

723 Un second type de différends fait l’objet en Belgique de procédures de règlement spécifiques : les conflits d’intérêts, notion qui ne présente pas vraiment d’équivalent dans les autres États fédéraux. Et cela paraît logique dans la mesure où elle est marquée par la nature centrifuge du fédéralisme belge et par les tensions, voire les conflits ouverts, qui ne manquent pas de survenir entre les deux grandes communautés linguistiques et culturelles du pays, francophone et néerlandophone.

Une particratie consociative sans partis nationaux

724 Ces procédures de prévention et de règlement des conflits sont indissociables du fait que la Belgique est une démocratie consociative. On y rencontre dès lors des mécanismes favorisant le dialogue et le compromis plutôt que l’application d’une logique strictement majoritaire. Ainsi, les scrutins s’y déroulent à la proportionnelle depuis la fin du XIXe siècle, ce qui n’est pas le cas au Canada ou aux États-Unis. Mais le système électoral belge n’est toutefois pas exempt de tendances centrifuges, loin de là. Ainsi, même lors des élections des membres du Parlement fédéral, les candidats ne s’adressent jamais qu’à une partie de l’électorat et n’ont donc guère à se soucier des intérêts de l’autre partie au moment de leur campagne électorale – notamment en raison de l’absence de circonscription fédérale. Cette situation n’est guère comparable qu’à celle de la Bosnie-Herzégovine, où tant les partis politiques que les électorats sont structurés sur une base ethnique (Bosniaques, Serbes, Croates).

725 La Belgique est aussi une particratie. Les partis politiques sont des acteurs centraux du système politique belge, en ce compris de son caractère fédéral. En outre, la quasi-absence de partis nationaux constitue une singularité forte. Dans les autres démocraties fédérales, les partis politiques s’organisent au niveau national – où ils constituent tantôt des acteurs assez soudés, tantôt des coalitions plus lâches et à la discipline interne faible – en plus d’avoir des structures au niveau des entités fédérées. Pour leur part, les partis belges sont assez puissants (à tout le moins ceux de gouvernement), mais ils agissent sur un segment du territoire – et, partant, de l’électorat – nettement plus circonscrit. En matière institutionnelle, l’effet de la particratie peut certes s’avérer centrifuge (par les revendications émises et des discours adressés seulement à une partie de la population sans se préoccuper de l’autre grande communauté linguistique et culturelle, par exemple), mais il est aussi parfois et par ailleurs lubrifiant pour les relations entre composantes de l’État fédéral belge (par le lien opéré entre différents niveaux de pouvoir via les ministres et les parlementaires).

726 Le système électoral belge présente lui aussi cette dimension ambivalente. Centrifuge à certains égards, comme on vient de le rappeler, il est aussi marqué, ces derniers temps, par la simultanéité des élections fédérales, régionales et communautaires, ce qui n’est pas du tout la règle dans les systèmes fédéraux. Cette situation favorise en outre la circulation des élus entre niveaux de pouvoir, tendance qui est particulièrement développée en Belgique.

Bipolarité et multipolarité jusque dans les questions économiques et fiscales

727 Le présent Courrier hebdomadaire a souligné à souhait que l’une des singularités de la Belgique est la tension permanente qui existe entre des relations tantôt bipolaires et tantôt multipolaires – et une perception de celles-ci pareillement ambivalente. Il n’en va pas autrement en matière économique et fiscale. Dans les États fédéraux, les équilibres financiers entre les entités fédérées sont généralement complexes et les flux économiques intérieurs multiples. Dans ce domaine comme dans d’autres, la singularité du cas belge est que la perception bipolaire qui domine a pour effet de renforcer le sentiment d’un affrontement entre, de nos jours, une Flandre prospère et un bloc francophone désargenté. Cette conception élude largement les différences et inégalités intrarégionales – sans même parler des inégalités sociales. Par ailleurs, elle renforce l’idée d’une relation à deux là où prévalent en réalité des flux internes nombreux et bien plus complexes.

728 Cette question est d’autant plus importante que l’allocation des ressources budgétaires au sein de la Belgique est devenue un enjeu majeur, sans lien apparent avec les questions linguistiques, aussi importantes ces dernières soient-elles. De plus, elle recoupe d’autres particularités du fédéralisme belge. Ainsi, la complexité du volet financier de celui-ci est étroitement liée à celle du modèle institutionnel du pays. L’existence de plusieurs types d’entités fédérées a conduit à l’élaboration et à la négociation de règles de financement différenciées pour les Communautés française et flamande, pour la Communauté germanophone, pour les Régions wallonne et flamande, pour la Région de Bruxelles-Capitale, pour la COCOM et pour la COCOF. L’asymétrie de l’architecture institutionnelle a pour effet que la Flandre gère un budget unique, alimenté par des ressources qui lui sont dévolues en sa qualité soit de Communauté soit de Région. Illustrant le fédéralisme de superposition, ce budget permet aux autorités flamandes d’effectuer des dépenses sur un territoire – celui de la région bruxelloise – où d’autres entités fédérées exercent également leurs compétences. Participant du fédéralisme de dissociation, la répartition des moyens a elle-même provoqué des tensions qui ont conduit à la défédéralisation de nombreux secteurs de l’action publique et ont engendré la révision des lois de financement. Le résultat obtenu a également contraint les francophones à revoir la répartition des compétences par le transfert de l’exercice de certaines d’entre elles de la Communauté française à la Région wallonne et à la COCOF pour soulager les finances de la première de ces entités. Enfin, questions linguistiques, territoriales et politiques se superposent dans ce domaine, générant des représentations caricaturales de Flamands riches mais peu enclins au partage et de francophones prônant la solidarité mais impécunieux. Dans la plupart des autres États fédéraux, la répartition des moyens budgétaires s’opère entre un nombre plus (voire très) important d’entités fédérées – outre que, comme on l’a déjà dit, ne prévaut pas une perception bipolaire des flux. Les discours pointant des « bénéficiaires » voire des « profiteurs » des mécanismes de redistribution interne peuvent dès lors moins aisément se focaliser toujours sur les mêmes entités fédérées. Et parfois, comme en Allemagne à l’égard des Länder de l’Est, les mécanismes de redistribution interne sont mieux assumés. Ou bien ils sont plus fréquemment réajustés, comme l’illustre le système suisse de péréquation basé sur un calcul annuel.

729 L’entrelacement des logiques bipolaire et multipolaire à l’œuvre en Belgique s’observe aussi dans d’autres domaines. Ainsi, la Chambre des représentants et le Sénat sont ensemble compétents pour modifier la Constitution et pour adopter et réviser les lois spéciales. Certes, la chambre haute est devenue l’assemblée des entités fédérées. Mais elle a aussi perdu du pouvoir à mesure que s’est accru son caractère fédéral. Et les entités fédérées n’y sont pas représentées sur un pied d’égalité, contrairement à ce que l’on observe souvent dans les sénats d’États fédéraux. Surtout, en requérant une majorité dans chacun des deux groupes linguistiques des deux hémicycles du Parlement fédéral, la procédure d’adoption des lois spéciales confère un droit de veto aux deux grandes communautés linguistiques et culturelles (mais pas aux germanophones) sur certaines évolutions institutionnelles majeures. Cette configuration bipolaire n’a pas d’équivalent dans d’autres pays fédéraux. On n’y trouve pas davantage de dispositif comparable à la parité linguistique qui est de mise au sein du Conseil des ministres. Ni par ailleurs aux règles linguistiques qui façonnent la composition de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’État, de la Cour des comptes et du Conseil supérieur de la justice, quatre institutions belges elles aussi très marquées par la bipolarité.

730 La dialectique entre bipolarité et multipolarité contribue au caractère singulier du fédéralisme belge. Elle est également un facteur de la dimension évolutive voire instable de celui-ci, que reflète le grand nombre de modifications apportées à la Constitution du pays depuis 1970. Plus largement, la sensation prévaut en Belgique que chaque réforme institutionnelle porte en elle les germes de la suivante et que la gestion concertée et pacifique des tensions n’a pas éradiqué les souhaits d’autonomie accrue, bien au contraire. À cet égard, les aspirations des uns et des autres ne sont pas identiques. Depuis plusieurs décennies, le monde politique flamand prépare puis défend périodiquement de nouvelles réformes, tandis que les francophones semblent davantage subir le processus voire tenter de le freiner. En somme, tandis que les responsables politiques francophones apparaissent à certains égards en deçà du fédéralisme, leurs homologues flamands semblent parfois déjà au-delà du fédéralisme. Dans cette configuration, on relèvera que si la société civile a été à la base du processus de fédéralisation du pays de diverses manières (à travers des prises de position de certaines de ses composantes, de mobilisations, etc.), la population est demeurée peu impliquée, n’a guère été consultée et n’a jamais dû ou pu choisir entre plusieurs scénarios institutionnels possibles, par exemple par le biais d’un référendum.

D’autres institutions moins touchées par la fédéralisation du pays

731 Si les transformations successives qui ont façonné le fédéralisme belge ont conduit à la défédéralisation de nombreuses compétences et à une autonomie des Régions et Communautés parfois bien plus large qu’ailleurs, cette étude a aussi montré que des institutions qui relèvent en général largement des entités fédérées dans d’autres pays fédéraux sont demeurées essentiellement sous le contrôle du pouvoir fédéral en Belgique. Il en va ainsi de la sécurité sociale, de la police et de la justice, même si à cet égard la sixième réforme de l’État a marqué une rupture pour la première et a amorcé un possible changement pour la dernière. Peut-être s’agit-il simplement là de signes que la logique de dissociation qui caractérise le fédéralisme belge n’affecte ces secteurs que de manière plus tardive. Mais de nombreuses déclarations peuvent aussi laisser penser qu’existe une volonté d’immuniser ces secteurs du processus de fédéralisation. Quoi qu’il en soit, les transformations survenues au cours de la dernière décennie en matière de sécurité sociale en Belgique se différencient doublement de la situation que l’on rencontre dans d’autres démocraties fédérales au niveau de développement socio-économique comparable. Alors que la sécurité sociale reste très majoritairement fédérale en Belgique, elle relève du pouvoir fédéral et des entités fédérées en Allemagne, aux États-Unis et en Suisse. Et alors qu’elle a été en partie atténuée en Belgique en 2014, l’organisation de la solidarité au niveau national a au contraire plutôt suivi une tendance au renforcement dans ces trois pays.

732 Dans un autre domaine, on peut relever qu’en Belgique, les entités fédérées ne disposent pas de leur propre Constitution, ce qui range ce pays aux côtés de l’Inde ou du Nigeria comme exceptions au cas le plus courant. Sans être insolites, les limites posées à l’autonomie constitutive des entités fédérées belges sont aussi plus fortes que ce qui est habituellement rencontré dans les États fédéraux ; surtout, l’utilisation de cette faculté d’auto-organisation demeure assez parcimonieuse. Si cette situation est sans doute une conséquence du fédéralisme de dissociation – qui distingue nécessairement le cas belge de pays fédéraux nés de l’association d’entités qui disposaient déjà préalablement de leur propre loi fondamentale et de leurs règles spécifiques –, elle découle probablement aussi d’une crainte francophone de voir la Flandre se distinguer plus nettement encore, voire faire sécession.

733 Il est enfin une dernière institution qui singularise la Belgique par rapport aux autres États fédéraux : la monarchie. À peine 6 des 29 pays fédéraux actuels ne sont pas des républiques. Et parmi ceux-ci, la Belgique occupe un statut à part puisqu’elle est la seule à ne compter qu’un seul roi (à la différence des Émirats arabes unis et de la Malaisie) et que son souverain règne sur un seul pays (contrairement à l’Australie, au Canada et à Saint-Christophe-et-Niévès, qui partagent le monarque britannique avec une dizaine d’autres États). Si la royauté est largement antérieure au développement du fédéralisme en Belgique, le processus de fédéralisation n’en a pas moins affecté les prérogatives du souverain, ce dernier exerçant un rôle essentiellement au niveau fédéral et ses contacts avec les entités fédérées étant moins poussés, moins fréquents et moins institutionnalisés. Mais, à la différence de ce qui s’est produit au Népal, le processus de fédéralisation n’a pas été de pair avec la transformation du pays en une république.

La Belgique, un État fédéral singulier

734 Le tableau dressé dans cette étude permet donc de comparer le système fédéral belge aux autres ordonnancements fédéraux afin de cerner ses singularités. Pour ce faire, c’est tant l’architecture générale de la « maison Belgique » qui a été examinée que certains des recoins de celle-ci. Cette analyse a été menée dans une perspective historique et en veillant à souligner les traits actuels du fédéralisme belge. Ou du moins ceux qui prévalaient avant que la pandémie de Covid-19 n’affecte la Belgique, à partir de mars 2020. Or la gestion de cette crise sanitaire inédite a illustré certaines caractéristiques du fédéralisme belge, en a contredit d’autres ou en a remis en cause d’autres encore, et a eu des répercussions institutionnelles parfois surprenantes  [883]. Ainsi, elle a vu l’Autorité fédérale endosser un rôle de chef d’orchestre que les textes de loi ne lui réservaient pas nécessairement, tout en amenant les Régions et les Communautés, volontairement ou de manière contrainte, à se concerter avec elle dans bien des domaines. Alors que la participation des entités fédérées à la direction des affaires au niveau national est particulièrement faible en Belgique, la fréquence des échanges et des rencontres entre les responsables fédéraux et ceux des entités fédérées a quelque peu modifié ce trait du fédéralisme belge, ou à tout le moins sa perception. Néanmoins, à diverses reprises, ce qui aurait logiquement pu être considéré comme un exercice de leur autonomie par les entités fédérées a été ressenti par beaucoup comme une incohérence, voire comme un refus d’affronter l’adversité de manière soudée. Il en a ainsi été des aides financières apportées par les Régions aux entreprises, des règles concernant la fermeture ou la réouverture des écoles, et des décisions concernant l’administration de doses vaccinales de rappel aux adolescents. Les épisodes liés à ces prises de décision ont mis en lumière le fait que le fédéralisme et l’autonomie qu’il implique ne sont à ce jour pas encore complètement assimilés – et a fortiori admis – par la population, par les médias et même par une partie des responsables politiques. Ces circonstances amènent aussi à avancer l’hypothèse que le renforcement de la collaboration au sein de l’État fédéral belge – tel qu’il s’est opéré depuis deux ans en particulier à travers le Conseil national de sécurité puis le Comité de concertation – conduit à un affaiblissement du caractère démocratique de cette collaboration puisque celle-ci s’est cantonnée aux seuls gouvernements et a largement laissé les assemblées parlementaires sur la touche.

735 Au terme de cet examen approfondi de l’architecture institutionnelle de la Belgique et de sa comparaison avec celle des autres pays fédéraux, force est de constater que les traits de l’État belge sont ceux d’une construction singulière à bien des égards, et même parfois étrange, poussant loin la logique fédérale dans certains cas, l’affaiblissant voire l’escamotant dans d’autres. Cette architecture tout à fait particulière peut sembler bancale par bien des aspects. Au point que son effondrement a été maintes fois annoncé. À ce jour pourtant, l’édifice tient toujours debout. À l’heure où se prépare une éventuelle septième réforme de l’État, on peut se demander si celle-ci consistera en un simple ripolinage de la façade ou en une rénovation plus lourde des structures. Quelle que soit la voie qui sera suivie, le plus probable reste que la « maison Belgique » conservera nombre de ses singularités. Peut-être même de nouvelles seront-elles ajoutées à une liste déjà longue.

Notes

  • [1]
    Dans le présent numéro, les études du CRISP publiées dans le Courrier hebdomadaire sont identifiées par le sigle « CH ».
  • [2]
    Cf. M.-K. Kasongo, « Fédéralismes africains : l’idée fédérale dans l’Afrique des turbulences politico-ethniques », Revue internationale de politique comparée, volume 10, n° 1, 2003, p. 29-32.
  • [3]
    Cf. N. Steytler, « La République d’Afrique du Sud », in Forum des fédérations, Un dialogue mondial sur le fédéralisme, tome 1 : Origines, structures et changements constitutionnels dans les pays fédéraux, Ottawa, 2005, www.forumfed.org, p. [2].
  • [4]
    Notamment eu égard au fait que le pouvoir législatif appartient essentiellement au niveau fédéral, qui délègue aux Länder le soin d’appliquer ses normes. Cf. C.-S. Douin, Le fédéralisme autrichien, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1977 ; G. Bischof, F. Karlhofer (dir.), Austrian Federalism in Comparative Perspective, La Nouvelle-Orléans, University of New Orleans, 2015.
  • [5]
    A. Gazier, « Fédéralisme et démocratie dans la Russie post-soviétique », Revue française de droit constitutionnel, volume 118, n° 2, 2019, p. 325. Pointons en particulier les prérogatives que s’est arrogées le pouvoir central à partir des années 2000, qui lui permettent d’exercer une contrainte ou une influence déterminante sur les entités fédérées, en principe autonomes. Sont particulièrement remarquables à cet égard la suppression de l’élection directe des chefs des exécutifs fédérés et le pouvoir du président russe de démettre un exécutif ou un parlement « régional » qui violerait de manière flagrante les lois fédérales (cf. J. Kahn, A. Trochev, N. Balayan, « How Federal Is the Russian Federation? », in D. Halberstam, M. Reimann (dir.), Federalism and Legal Unification. A Comparative Empirical Investigation of Twenty Systems, Dordrecht, Springer, 2014, p. 379-380).
  • [6]
    Ibidem, p. 386-387.
  • [7]
    Cf. A. Zdeb, « Une fédération unique en son genre : le cas de la Bosnie-Herzégovine », Université du Québec à Montréal (UQAM), Centre d’analyse politique - Constitution Fédéralisme (CAP-CF), 14 août 2019, https://capcf.uqam.ca.
  • [8]
    Cette évolution institutionnelle est désormais fortement contestée par les dirigeants de l’une des deux entités fédérées du pays, la République serbe (Republika Srpska), au point de paraître remettre en cause l’existence du pays. Cf. A. Cateux, L. Trégourès, « Bosnie-Herzégovine : vers un éclatement du pays ? », Fondation Jean Jaurès, 13 janvier 2022, www.jean-jaures.org .
  • [9]
    Cf. K. Alhamidawi, « Le développement local en Irak : entre la décentralisation et la fédéralisation », in J.-C. Froment, M. Mathieu (dir.), Droit et politique. La circulation internationale des modèles en question, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2014, p. 101-122.
  • [10]
    M. Uyttendaele, Les institutions de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 57-62.
  • [11]
    Voire d’exceptions aux exceptions, comme l’illustre le point 1.I.1°.a de l’article 5 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles tel que revu en 2014 : « Les matières personnalisables visées à l’article 128, § 1er, de la Constitution, sont : En ce qui concerne la politique de santé : sans préjudice de l’alinéa 1er, 2°, 3°, 4°, 5° et 6°, la politique de dispensation de soins dans et au-dehors des institutions de soins, à l’exception : de la législation organique, à l’exception du coût des investissements de l’infrastructure et des services médicotechniques » (nous soulignons).
  • [12]
    Cf. l’article 35 de la Constitution, qui énonce le principe suivant lequel les compétences résiduelles appartiennent aux entités fédérées, tout en contenant une disposition transitoire qui conduit à l’application du principe exactement inverse (à savoir l’exercice par l’Autorité fédérale desdites compétences résiduelles).
  • [13]
    Cf. É. Arcq, V. de Coorebyter, C. Istasse, Fédéralisme et confédéralisme, Bruxelles, CRISP (Dossier, n° 79), 2012, p. 18-21.
  • [14]
    Cf. V. de Coorebyter, « Clivages et partis en Belgique », CH, n° 2000, 2008.
  • [15]
    Cf., par exemple, M. Verdussen, « La Belgique appartient-elle à l’avenir ou au passé ? », in J. Sautois, M. Uyttendaele (dir.), La sixième réforme de l’État (2012-2013) : tournant historique ou soubresaut ordinaire ?, Limal, Anthemis, 2014, p. 575.
  • [16]
    J.-L. Dehaene, « Préface », in G. Pagano, Le financement des Régions et des Communautés, 1970-2002. Solidarité, responsabilité, autonomie et concurrence fiscale, Bruxelles, CRISP, 2002, p. 5.
  • [17]
    X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, Bruxelles, CRISP, 2011, p. 436.
  • [18]
    C. Istasse, « La Belgique fédérale a cinquante ans. Vraiment ? », Les @nalyses du CRISP en ligne, 7 décembre 2021.
  • [19]
    X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, op. cit., p. 434.
  • [20]
    Sur ce processus, cf. notamment J. Beaufays, G. Matagne (dir.), La Belgique en mutation. Systèmes politiques et politiques publiques (1968-2008), Bruxelles, Bruylant, 2009 ; M. Beyen, P. Destatte, Nouvelle histoire de Belgique. Un autre pays (1970-2000), Bruxelles, Le Cri, 2009 ; M. Reynebeau, Een geschiedenis van België, Tielt, Lannoo, 2009 ; X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, Bruxelles, CRISP, 2011 ; M. Van den Wijngaert (dir.), D’une Belgique unitaire à une Belgique fédérale. 40 ans d’évolution politique des Communautés et des Régions (1971-2011), Bruxelles, Vlaams Parlement / Academic and Scientific Publishers, 2011 ; E. Witte, H. Van Velthoven, Les querelles linguistiques en Belgique : le point de vue historique, Bruxelles, Le Cri, 2011 ; P. Delwit, La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours, 3e édition, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2012 ; E. Witte, A. Meynen, D. Luyten, Politieke geschiedenis van België: van 1830 tot heden, Anvers, Manteau, 2016 ; C. Xhardez, M. Counet, F. Randour, C. Niessen (dir.), 50 ans de fédéralisation de l’État belge. Institutions, acteurs, politiques publiques et particularités du fédéralisme belge, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2020 .
  • [21]
    Sur le concept de souveraineté et ses diverses dimensions, en particulier dans le cadre d’un État fédéral (et spécialement en Belgique), cf. J. Pieret, « La Belgique fédérale est-elle un État souverain ? », Revue belge de droit constitutionnel, [14e année], n° 1, 2007, p. 3-18 ; C. Behrendt, F. Bouhon, Introduction à la Théorie générale de l’État. Manuel, 4e édition, Bruxelles, Larcier, 2020, p. 97-115 et 127-145 ; H. Dumont, M. El Berhoumi, Droit constitutionnel. Approche critique et interdisciplinaire, tome 1 : L’État, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 70-120.
  • [22]
    Pour sa part, l’actuelle Fédération de Russie (1991) est l’héritière de la République socialiste fédérative soviétique de Russie qui, ainsi constituée en 1918, fut la principale composante de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) de 1922 à 1991.
  • [23]
    Actuellement, certains autres États semblent également peu ou prou engagés dans la voie de l’instauration du fédéralisme, tels que la Birmanie (Myanmar), les Philippines, le Sri Lanka et le Yémen.
  • [24]
    La Tchécoslovaquie avait déjà été brièvement un État fédéral entre octobre 1938 et mars 1939.
  • [25]
    Pour rappel, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie sont toutes deux nées de la recomposition de l’Europe centrale après la Première Guerre mondiale, respectivement en octobre et en décembre 1918.
  • [26]
    Étant entendu que ce n’est que depuis les lendemains de la Première Guerre mondiale que le pays comprend les actuels cantons d’Eupen et de Saint-Vith, et non depuis son indépendance.
  • [27]
    Constitution française du 3 septembre 1791, Chartes constitutionnelles françaises du 4 juin 1814 et du 14 août 1830, et Loi fondamentale néerlandaise du 24 août 1815.
  • [28]
    Un arrêté royal du 15 septembre 1819 avait fait du néerlandais l’unique langue officielle des provinces d’Anvers, de Flandre occidentale, de Flandre orientale et de Limbourg à dater du 1er janvier 1823. Par un arrêté royal du 26 octobre 1822, cette disposition avait ensuite été élargie aux arrondissements administratifs de Bruxelles et de Louvain dans la province de Brabant (seul y faisant donc encore exception l’arrondissement de Nivelles). En outre, le régime avait d’emblée annoncé qu’il envisageait de prendre ultérieurement des mesures similaires pour les contrées wallonnes. Cette politique avait été vivement critiquée, non seulement en Wallonie, mais également dans toute la Flandre par les notables francisés (qui voyaient leur carrière dans l’administration et dans la justice menacée par cette législation linguistique), par les classes populaires (qui étaient attachées à leurs dialectes locaux) et par l’Église catholique (qui percevait la langue néerlandaise comme un vecteur potentiel de diffusion du protestantisme).
  • [29]
    Le Congrès national est une assemblée constituante jusqu’à la promulgation de la Constitution ; il poursuit ensuite ses travaux en tant que pouvoir législatif jusqu’en septembre 1831.
  • [30]
    Cf. C. Regnier, La Constitution au fil de ses versions, 2e édition, Bruxelles, CRISP, 2022, p. 10-11.
  • [31]
    Articles 31 et 108, alinéa 2 (actuels articles 41, alinéa 1er et 162, alinéa 2 à la suite de la coordination du 17 février 1994) de la Constitution. Cf. aussi la loi communale du 30 mars 1836 et la loi provinciale du 30 avril 1836.
  • [32]
    M. Collinge, La province, Bruxelles, CRISP (Dossier, n° 66), 2006, p. 13-16.
  • [33]
    M. Collinge, La commune, Bruxelles, CRISP (Dossier, n° 65), 2006, p. 13-14.
  • [34]
    Ces dispositions sont ensuite confirmées par une loi du 19 septembre 1831 stipulant : « Les lois seront insérées au Bulletin officiel (…) avec une traduction flamande ou allemande pour les communes où l’on parle ces langues ; le texte français demeurant néanmoins le texte officiel ». Lorsque, le 1er mars 1845 (en vertu d’une loi adoptée la veille), le Moniteur belge succède au Bulletin officiel dans la fonction de publier les lois et les arrêtés royaux, il paraît exclusivement en français. Plus aucune traduction en allemand n’est prévue. Quant à la traduction officieuse en néerlandais, elle est imprimée séparément (dans un « recueil spécial », à savoir le Recueil des lois et arrêtés royaux de la Belgique) ; à partir du 1er juillet 1888, elle sera reproduite dans le Moniteur belge.
  • [35]
    Il est classiquement considéré que la première loi linguistique est celle du 17 août 1873 « sur l’emploi de la langue flamande en matière répressive » (qui instaure l’usage du néerlandais dans la procédure pénale en Flandre, sauf si l’inculpé demande l’usage du français). Cependant, un autre point de départ possible est la loi du 1er juin 1850 sur l’enseignement moyen, qui a imposé « l’étude (…) de la langue française et, en outre, de la langue flamande ou allemande, pour les parties du pays où ces langues sont en usage ».
  • [36]
    Date de l’introduction de l’article 140 (actuel article 189) de la Constitution, disposant alors : « Le texte de la Constitution est établi en français et en néerlandais ».
  • [37]
    Ajoutons encore que, aux yeux de nombre de militants wallons, la langue française constitue un rempart contre l’« obscurantisme clérical » qu’ils perçoivent en Flandre.
  • [38]
    À cet égard, les élections législatives du 2 juin 1912 constituent un moment clé. Alors que les partis libéral et socialiste ont largement remporté le scrutin en Wallonie (ils totalisent 44 des 72 sièges qui étaient à pourvoir dans cette région), la Chambre des représentants est dominée par le parti catholique (101 sièges sur 186) en raison des voix que celui-ci a récoltées en Flandre. Dès le lendemain, des manifestations éclatent en divers lieux de Wallonie, qui sont réprimées dans le sang par la gendarmerie.
  • [39]
    Cf. en particulier la célèbre « Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre » que le militant wallon Jules Destrée publie dans la Revue de Belgique du 15 août 1912.
  • [40]
    En revanche, la volonté d’une autonomie administrative de la Flandre est à l’époque fort marginale au sein du Mouvement flamand, celui-ci étant alors préoccupé essentiellement par les questions d’ordre linguistique et culturel.
  • [41]
    De nos jours encore, circule une idée reçue selon laquelle les néerlandophones auraient proposé aux francophones, jusqu’encore au début des années 1930, de généraliser le bilinguisme à l’échelle du pays entier ; en réalité, il ne s’agit là que d’un mythe (cf. S. Rillaerts, « La frontière linguistique, 1878-1963 », CH, n° 2069-2070, 2e édition, 2010, p. 40-41).
  • [42]
    En néerlandais, le phénomène de progressive francisation du territoire flamand est désigné de manière imagée par l’expression péjorative de « Franstalige olievlek » (c’est-à-dire de « tache d’huile francophone »).
  • [43]
    La Belgique est alors divisée en trois régions administratives distinctes sur le plan linguistique. La première est unilingue française ; elle est composée des quatre provinces du Sud (Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur) et de l’arrondissement de Nivelles (dans la province de Brabant). La deuxième région – dénommée agglomération bruxelloise – est bilingue ; elle est constituée de seize communes dûment identifiées (Anderlecht, Auderghem, Bruxelles, Etterbeek, Forest, Ixelles, Jette, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert et Woluwe-Saint-Pierre). La troisième région est unilingue néerlandaise ; elle comporte les quatre provinces du Nord (Anvers, Flandre occidentale, Flandre orientale et Limbourg) et l’arrondissement de Louvain (dans la province de Brabant) ainsi que l’arrondissement de Bruxelles (hormis, bien sûr, les communes de l’agglomération bruxelloise).
  • [44]
    44 Dans les faits, ce mécanisme ne trouve à s’appliquer que dans les communes situées en périphérie de l’agglomération bruxelloise ou le long de la frontière linguistique .
  • [45]
    Loi du 8 novembre 1962 modifiant les limites de provinces, arrondissements et communes et modifiant la loi du 28 juin 1932 sur l’emploi des langues en matière administrative et la loi du 14 juillet 1932 concernant le régime linguistique de l’enseignement primaire et de l’enseignement moyen (Moniteur belge, 22 novembre 1962) ; loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en matière administrative (Moniteur belge, 22 août 1963). Dans les collections du CRISP, cf. « Les arrêtés d’exécution des lois linguistiques », CH, n° 347-348, 1967 ; P.-M. Herremans, « La Commission permanente de contrôle linguistique (CPCL) », CH, n° 374, 1967 ; « L’évolution linguistique et politique du Brabant », CH, n° 466-467, 472 et 473, 1970 ; « Les six communes “à facilités” de la périphérie bruxelloise (situation 1970-1971) », CH, n° 535, 1971 ; M. Uyttendaele, « Les obligations linguistiques des mandataires politique », CH, n° 1150, 1987 ; S. Rillaerts, « La frontière linguistique, 1878-1963 », op. cit. ; C. Istasse, « Les circulaires flamandes relatives à l’emploi des langues en matière administrative », CH, n° 2286-2287, 2016. Cf. aussi C. Behrendt, « Un peu d’histoire constitutionnelle : la notion de “région linguistique” et sa mise en place entre 1870 et 1970 », in R. Leysen, K. Muylle, J. Theunis, W. Verrijdt (dir.), Semper perseverans. Liber amicorum André Alen, Anvers et al., Intersentia, 2020, p. 3-28.
  • [46]
    À cette époque, les six communes flamandes à facilités linguistiques de la périphérie bruxelloise (Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem) n’appartiennent à aucune région linguistique. C’est à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1970 modificative de la loi du 2 août 1963 (Moniteur belge, 1er janvier 1971) qu’elles sont rattachées à la région de langue néerlandaise (ce qui a pour conséquence d’enclaver l’agglomération bruxelloise dans cette région linguistique). Cf. aussi l’article 3bis, alinéa 2 (actuel article 4, alinéa 2) de la Constitution, inséré le lendemain, qui dispose : « Chaque commune du Royaume fait partie d’une de[s] régions linguistiques ».
  • [47]
    Dans les collections du CRISP, cf. « Le problème des Fourons de 1962 à nos jours », CH, n° 859, 1979 ; P. Verjans, M. Hermans, « Les origines de la querelle fouronnaise », CH, n° 1019, 1983.
  • [48]
    La loi du 28 juin 1932 s’était basée sur le recensement de 1930. Aucune loi n’avait été adoptée en la matière à la suite du recensement de 1940. Le recensement de 1947 n’avait donné lieu à aucune adaptation automatique ; ses effets ne s’étaient fait sentir que par le vote de la loi du 2 juillet 1954 qui, comme on l’a vu, ne respectait pas le principe instauré en 1932.
  • [49]
    S. Rillaerts, « La frontière linguistique, 1878-1963 », op. cit., p. 56-81.
  • [50]
    Cf. H. Dumont, M. El Berhoumi, Droit constitutionnel, op. cit., p. 489-514.
  • [51]
    Le terme « fransquillons » désigne, avec une connotation péjorative, les personnes habitant en Flandre qui ont adopté l’usage du français.
  • [52]
    V. de Coorebyter, « Des disparités régionales aux évolutions institutionnelles », in F. Morin, G. Kurgan, D. Luyten, V. de Coorebyter, « Les groupes d’entreprises et la décision économique. Éléments du colloque du 50e anniversaire », CH, n° 2011, 2009, p. 35-43.
  • [53]
    H. Capron, « Croissance et développement spatial inégal des Régions », in B. Bayenet, H. Capron, P. Liégeois (dir.), L’espace Wallonie-Bruxelles. Voyage au bout de la Belgique, Bruxelles, De Boeck, 2007, p. 203-211.
  • [54]
    Dans les collections du CRISP, cf. M.-P. Herremans, « Quelques aspects de l’actuel contentieux “Flamands-Wallons” », CH, n° 48, 1960 ; M.-P. Herremans, « Esquisse d’une étude sur les groupes de pression linguistique à Bruxelles », CH, n° 52 et 56, 1960 ; J. Meynaud, J. Ladrière, F. Perin (dir.), La décision politique en Belgique. Le pouvoir et les groupes, Paris / Bruxelles, Armand Colin / CRISP, 1965, p. 89-149 ; V. R. Lorwin, « Conflits et compromis dans la politique belge », CH, n° 323, 1966.
  • [55]
    Dans les collections du CRISP, cf. L. Huyse, S. Dhondt, La répression des collaborations, 1942-1952. Un passé toujours présent, Bruxelles, CRISP, 1993 ; L. Huyse, S. Dhondt, B. De Wever, K. Aerts, P. Lagrou, « La répression des collaborations, 1942-1952. Nouveaux regards sur un passé toujours présent », CH, n° 2469-2470, 2020.
  • [56]
    Dans les collections du CRISP, cf. « Dossier “Question royale” », CH, n° 646, 1974 ; J. Duvieusart, La Question royale. Crise et dénouement, juin, juillet, août 1950, Bruxelles, CRISP, 1975 ; J. Gérard-Libois, J. Gotovitch, « Léopold III : le non-retour », CH, n° 1010 et 1020-1021, 1983 ; M. Conway, Les chagrins de la Belgique. Libération et reconstruction politique, 1944-1947, Bruxelles, CRISP, 2015.
  • [57]
    Créé par une loi du 3 mai 1948, cet organe – qui voit les derniers mots de sa dénomination française être modifiés par une loi du 8 décembre 1949 en « régions wallonnes et flamandes » (la question du singulier ou du pluriel ne se posant en revanche pas dans la dénomination néerlandaise : « Vlaamse en Waalse gewesten ») – rend son rapport final le 24 avril 1958. Dans les collections du CRISP, cf. M.-P. Herremans, « Centre Harmel (Centre de recherche pour la solution nationale des problèmes sociaux, politiques et juridiques dans les diverses régions du pays) », CH, n° 131, 1961.
  • [58]
    Dans les collections du CRISP, cf. M. Claeys-Van Haegendoren, « L’Église et l’État au XXe siècle », CH, n° 542-543, 1971 ; P. Wynants, M. Paret, « École et clivages aux XIXe et XXe siècles », in D. Grootaers (dir.), Histoire de l’enseignement en Belgique, Bruxelles, CRISP, 1998, p. 13-84.
  • [59]
    Dans les collections du CRISP, cf. « La grève générale en Belgique (décembre 1960 - janvier 1961) », CH, n° 113, 1961 ; « Les grèves contre la loi unique », CH, n° 91 et 92, 1961.
  • [60]
    Dans les collections du CRISP, cf. « La situation politique en Belgique : positions respectives et situation interne des partis et des groupes », CH, n° 212, 1963 ; M.-P. Herremans, « Le fait bruxellois », CH, n° 224 et 226-227, 1964.
  • [61]
    Dans les collections du CRISP, cf. « L’Université de Louvain et la question linguistique », CH, n° 173 et 178, 1962 ; « L’affaire de Louvain », CH, n° 333-334, 1966 ; « Évolution et implications de l’affaire de Louvain », CH, n° 358 et 364-365, 1967 ; « Les derniers développements de l’affaire de Louvain », CH, n° 394 et 398, 1968 ; « Le déroulement de la crise politique de février 1968 », CH, n° 399, 1968. Cf. aussi « Le mouvement de contestation à l’Université libre de Bruxelles », CH, n° 419-420, 1968 ; « Le dédoublement linguistique de l’Université libre de Bruxelles », CH, n° 458 et 463, 1969.
  • [62]
    Dans les collections du CRISP, cf. « Le Vlaams Aktie Komitee (VAK) », CH, n° 248, 1965 ; « La coordination entre les mouvements wallons », CH, n° 319, 1966 ; « Les fondations culturelles flamandes », CH, n° 342, 1966 ; « Le mouvement Wallonie libre », CH, n° 413, 1968.
  • [63]
    Dans les collections du CRISP, cf. « L’Éducation nationale », CH, n° 663, 1974 ; C. Simon, « La communautarisation de l’enseignement », CH, n° 1121, 1986, p. 4-9 ; P. Wynants, M. Paret, « École et clivages aux XIXe et XXe siècles », op. cit. ; P. Caufriez, Histoire de la radio francophone en Belgique, Bruxelles, CRISP, 2015, p. 193-200.
  • [64]
    Dans les collections du CRISP, cf. « Le PLP : situation interne et perspectives politiques », CH, n° 160, 1962 ; « Facteurs de changements dans le monde catholique, socialiste et libéral, à la veille des élections communales d’octobre 1964 », CH, n° 253, 254, 255-256 et 257, 1964 ; « Les projets de réorganisation du Parti social-chrétien », CH, n° 291, 1965 ; « Le congrès du Parti socialiste belge des 11 et 12 décembre 1965 », CH, n° 308, 1966 ; « Les problèmes d’organisation interne soumis au congrès du PSC des 18 et 19 décembre 1965 », CH, n° 312, 1966 ; « Le congrès du PLP des 22 et 23 janvier 1966 », CH, n° 313, 1966 ; « Structures et évolution du “monde catholique” en Belgique », CH, n° 352-353-354, 1967, p. 43-46 ; « Bilan d’une présidence au PLP : Omer Vanaudenhove (1961-1969) », CH, n° 430 et 434-435, 1969 ; « L’évolution récente des structures du CVP-PSC », CH, n° 484, 1970 ; « L’élection des nouveaux présidents du CVP et du PSC (mars 1972) », CH, n° 565, 1972 ; X. Mabille, « Le système des partis dans la Belgique post-unitaire (1971-1979) », CH, n° 864, 1979 ; V. de Coorebyter, « Clivages et partis en Belgique », CH, n° 2000, 2008 ; B. Biard, « Les partis frères en Belgique : les relations entre le CDH et le CD&V », CH, n° 2467-2468, 2020, p. 7-12.
  • [65]
    Dans les collections du CRISP, cf. « Les partis politiques non traditionnels », CH, n° 101, 1961, p. 7-9 ; M.-P. Herremans, « La Volksunie (VU) », CH, n° 148 et 169, 1962 ; « Le congrès de Malines de la Volksunie (14 et 15 décembre 1963) », CH, n° 230, 1964 ; « Le “phénomène” FDF », CH, n° 299, 1965 ; « Le Parti wallon (PW) », CH, n° 367, 1967 ; « La Volksunie », CH, n° 336 et 345, 1966 ; « Le FDF-RW », CH, n° 516 et 517, 1971 ; « L’évolution récente de la Volksunie », CH, n° 604 et 606, 1973 ; « L’évolution du Rassemblement wallon d’avril 1974 à mars 1977 », CH, n° 768, 1978 ; V. de Coorebyter, « Clivages et partis en Belgique », op. cit. Cf. aussi S. Govaert, « La Volksunie », CH, n° 1416-1417, 1993 ; S. Govaert, « La Volksunie. Du déclin à la disparition », CH, n° 1748, 2002 ; P. Wynants, « L’implantation du FDF dans les communes bruxelloises », CH, n° 2248-2249 et 2250-2251, 2015 ; C. Lanneau, « L’action du FDF dans les Régions et Communautés (1971-2014) », CH, n° 2258-2259 et 2260-2261, 2015 ; S. Govaert, « La montée des nationalistes flamands au pouvoir dans les gouvernements fédéraux, 1977-2014 », CH, n° 2313, 2016, p. 6-33 ; S. Govaert, « La participation des nationalistes flamands au pouvoir dans les gouvernements fédéraux, 1977-2016 », CH, n° 2314-2315, 2016, p. 6-34.
  • [66]
    Dans les collections du CRISP, cf. en particulier C. H. Höjer, Le régime parlementaire belge de 1918 à 1940, Bruxelles / Upssala, CRISP / Statsvetenskapliga föreningen, 1969 ; F. Verleden, Aux sources de la particratie. Les relations entre les partis politiques belges et leurs parlementaires (1918-1970), Bruxelles, CRISP, 2019.
  • [67]
    Dans les collections du CRISP, cf. C. Kesteloot, « Mouvement wallon et identité nationale », CH, n° 1392, 1993 ; V. Vagman, « Le Mouvement wallon et la question bruxelloise », CH, n° 1434-1435, 1994 ; D. Luyten, « Pouvoir politique et pouvoir économique en Flandre », in F. Morin, G. Kurgan, D. Luyten, V. de Coorebyter, « Les groupes d’entreprises et la décision économique », op. cit., p. 25-34 ; D. Luyten, « L’économie et le Mouvement flamand », CH, n° 2076, 2010 ; B. De Wever, F.-J. Verdoodt, A. Vrints, « Les patriotes flamands et la construction de la nation », CH, n° 2316, 2016 ; C. Istasse, « Histoire, mémoire et identité : les fêtes nationales, régionales et communautaires en Belgique », CH, n° 2412-2413, 2019.
  • [68]
    Chambre des représentants, Annales parlementaires, n° 41, 18 février 1970, p. 3 ; Sénat, Annales parlementaires, n° 26, 18 février 1970, p. 777 (à ce propos, cf. G. Eyskens, Mémoires, Bruxelles, CRISP, 2012, p. 1032-1038).
  • [69]
    Cette formule patriarcale constitue l’occasion de signaler que l’agencement d’un État fédéral peut être analysé sous l’angle du genre : cf. P. Meier (dir.), « Étudier les systèmes fédéraux à travers le prisme du genre : un état des lieux », Fédéralisme Régionalisme, n° 14, 2014, https://popups.uliege.be .
  • [70]
    Dans les collections du CRISP, cf. « Tableau synthétique des projets de fédéralisme de 1931 à nos jours », CH, n° 129, 1961 ; « Historique des tentatives de réforme du régime unitaire », CH, n° 135, 1962 ; « Les réactions de l’opinion devant le rapport Sauvy », CH, n° 156, 1962 ; « Le bilan du gouvernement Lefèvre après 18 mois d’existence », CH, n° 174-175, 1962 ; « Positions et mouvements en faveur de l’unité belge », CH, n° 191, 1963 ; « Le groupe de travail préparatoire à la révision de la Constitution », CH, n° 207, 1963 ; « Le déroulement de la crise gouvernementale de juillet 1963 et les enseignements qui s’en dégagent », CH, n° 213 et 214, 1963 ; « La révision de la Constitution 1964-1965 », CH, n° 280, 281 et 296-297, 1965 (cf. aussi « Le contexte politique de la rentrée parlementaire », CH, n° 300, 1965, p. 5-7) ; « Les projets de statut de Bruxelles », CH, n° 343-344, 1966 ; « La Commission Meyers (Commission permanente pour l’amélioration des relations entre les communautés linguistiques belges ou CPARCLB) », CH, n° 381, 1967 ; « La crise gouvernementale en Belgique (avril-juin 1968) », CH, n° 414-415, 1968 ; « Le “Manifeste des 29” et ses répercussions sur les structures politiques de la région bruxelloise », CH, n° 444-445, 448-449 et 450, 1969 ; « Les projets communautaires du gouvernement Eyskens-Merlot (1968) - Eyskens-Cools (1969) », CH, n° 451, 1969 ; J. Grootaers, « La révision de la Constitution : l’évolution des idées et des textes jusqu’en juillet 1970 », CH, n° 518-519, 1971 ; A. Stenmans, « Le groupe de travail politique (24 octobre 1962 - 24 octobre 1963). Jalons d’une évolution institutionnelle », CH, n° 1818-1819-1820, 2003. Sur l’évolution des positions des partis politiques, cf. aussi « Le Parti social chrétien et le Parti socialiste belge devant les problèmes de la prochaine législature », CH, n° 107, 1961 ; « La réforme du parti libéral : naissance du Parti de la liberté et du progrès - PLP », CH, n° 125, 1961 ; « La situation politique en Belgique : positions respectives et situation interne des partis et des groupes », op. cit. ; « Comparaison des programmes de réformes institutionnelles », CH, n° 217, 1963 ; « Le congrès socialiste extraordinaire des 15 et 16 novembre 1963 et la situation actuelle du PSB », CH, n° 223, 1963 ; « La situation dans le Parti social chrétien. Préparation, déroulement et lendemains du XIXe congrès », CH, n° 235-236 et 237, 1964 ; « Autour du congrès de Klemskerke : quelques facteurs de changement au PSB flamand », CH, n° 387, 1967 ; « Les congrès socialistes wallons de 1967 », CH, n° 391, 1968 ; J. Brassinne, « Les libéraux et les problèmes bruxellois, 1945-1962 », CH, n° 1219, 1988 ; P. Wynants, « André Oleffe et le fédéralisme : du rejet à l’acceptation résignée (1961-1972) », CH, n° 1954, 2007.
  • [71]
    Dans les collections du CRISP, cf. J. Grootaers, « La révision constitutionnelle de décembre 1970 », CH, n° 555-556, 1972 ; « Bruxelles et la réforme des institutions », CH, n° 613, 1973 ; J. Brassinne, H. Van Impe, « Les Conseils culturels », CH, n° 624 et 625, 1973 ; J. Brassinne, S. Govaert, « Conseil culturel et Cultuurraad : trois ans après, une loi, deux évolutions », CH, n° 685 et 686, 1975.
  • [72]
    Article 86bis (actuel article 99, alinéa 2) de la Constitution : « Le Premier ministre éventuellement excepté, le Conseil des ministres compte autant de ministres d’expression française que d’expression néerlandaise ».
  • [73]
    Cf. en particulier l’article 1er, dernier alinéa (actuel article 5, alinéa 2) et l’article 3bis, alinéa 3 (actuel article 4, dernier alinéa) de la Constitution. Il s’agit de lois qui, afin de garantir qu’elles soient approuvées par chacune des deux grandes communautés linguistiques et culturelles du pays, doivent être adoptées à une majorité renforcée.
  • [74]
    Article 38bis (actuel article 54) de la Constitution. Ce mécanisme permet de suspendre l’adoption d’une législation portant atteinte aux intérêts d’une des deux grandes communautés du pays.
  • [75]
    Article 32bis (actuel article 43, § 1er) de la Constitution.
  • [76]
    Article 3bis, alinéa 1er (actuel article 4, alinéa 1er) de la Constitution : « La Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande ».
  • [77]
    Article 3bis, alinéa 3 (actuel article 4, alinéa 3) de la Constitution.
  • [78]
    Article 3ter, alinéa 1er de la Constitution : « La Belgique comprend trois Communautés culturelles : française, néerlandaise et allemande » (actuel article 2 : « La Belgique comprend trois Communautés : la Communauté française, la Communauté flamande et la Communauté germanophone »).
  • [79]
    Article 107quater, alinéa 1er (actuel article 3) de la Constitution : « La Belgique comprend trois Régions : la Région wallonne, la Région flamande et la Région bruxelloise ».
  • [80]
    On notera également que – et cela est significatif – les Communautés culturelles apparaissent alors dans la Constitution dès l’article 3ter tandis que tel n’est le cas pour les Régions que sensiblement plus loin dans le texte constitutionnel, à savoir dans l’article 107quater.
  • [81]
    En outre, le ressort territorial de ces deux entités est fixé constitutionnellement dès 1970. Cf. l’article 59bis, § 4, alinéas 1er et 2 (actuels articles 127, § 2 et 129, § 2) de la Constitution – ainsi que l’article 59bis, § 4bis (actuel article 128, § 2) qui sera ajouté par la révision constitutionnelle du 17 juillet 1980.
  • [82]
    Tel ne sera le cas qu’à partir de la révision constitutionnelle du 1er juin 1983, adoptée dans le cadre de la deuxième réforme de l’État. C’est également à dater de cette même révision constitutionnelle que le ressort territorial de cette entité sera fixé dans la loi fondamentale : cf. l’article 59ter, § 2, alinéa 2 (actuel article 130, § 2) de la Constitution.
  • [83]
    Même le ressort territorial des Régions n’est alors pas précisé dans la Constitution. En l’occurrence, le territoire de la Région wallonne et de la Région flamande sera déterminé par l’article 2 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (tout d’abord à titre transitoire, puis de façon permanente par l’article 2, § 2 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises), puis par la modification apportée le 5 mai 1993 à l’article 1er, alinéa 2 (actuel article 5, alinéa 1er) de la Constitution. Quant au territoire de la Région bruxelloise, il sera fixé par l’article 2, § 1er de la loi spéciale du 12 janvier 1989 précitée mais n’est pas défini constitutionnellement – si ce n’est « par soustraction » (F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles / Paris, Bruylant / Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2000, p. 319). Par souci de complétude, précisons encore que, contrairement à ceux des Communautés, les territoires des Régions ne seront pas définis par rapport aux régions linguistiques, mais par rapport aux provinces et aux arrondissements administratifs.
  • [84]
    Le même article interdit par ailleurs de confier des compétences communautaires aux Régions, interdiction qui sera contournée à plusieurs reprises par la suite (cf. « Trois Communautés-trois Régions : le nœud gordien ou la résistance d’une distinction largement dépassée », in H. Dumont, M. El Berhoumi, I. Hachez (dir.), La sixième réforme de l’État : l’art de ne pas choisir ou l’art du compromis ?, Bruxelles, Larcier, 2015 , p. 139-158).
  • [85]
    De nos jours encore, un déséquilibre subsiste entre les Communautés et les Régions, puisque les premières tirent leurs compétences de la Constitution elle-même ou de lois spéciales ou ordinaires prises en vertu de la Constitution (cf. notamment l’actuel article 38 (introduit le 24 décembre 1970 en tant qu’article 3ter, alinéa 2) de la Constitution), alors que les secondes ne tirent les leurs que de lois spéciales. Cf. C. Behrendt, M. Vrancken, Principes de droit constitutionnel belge, 2e édition, Bruxelles, La Charte, 2021, p. 90.
  • [86]
    Loi [spéciale] du 21 juillet 1971 relative à la compétence et au fonctionnement des Conseils culturels pour la Communauté culturelle française et pour la Communauté culturelle néerlandaise (Moniteur belge, 23 juillet 1971). Cf. aussi la loi du 3 juillet 1971 relative à la répartition des membres des Chambres législatives en groupes linguistiques et portant diverses dispositions relatives aux Conseils culturels pour la Communauté culturelle française et pour la Communauté culturelle néerlandaise (Moniteur belge, 6 juillet 1971) et la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques (Moniteur belge, 16 octobre 1973).
  • [87]
    Loi du 10 juillet 1973 relative au Conseil de la Communauté culturelle allemande (Moniteur belge, 14 juillet 1973).
  • [88]
    Cf. les articles 59bis, § 1er, alinéa 1er (actuel article 115, § 1er, alinéa 1er) et 59ter, alinéa 1er (actuel article 115, § 1er, alinéa 2) de la Constitution. Ces organes sont alors dénommés « Conseil culturel de la Communauté culturelle française », « Conseil culturel de la Communauté culturelle néerlandaise » et « Conseil de la Communauté culturelle allemande » (ce dernier étant donc le seul des trois à être appelé « Conseil » et non « Conseil culturel »).
  • [89]
    Ce qui, en l’occurrence, ne se produira qu’à une seule reprise : lorsqu’une loi du 18 février 1977 lui confiera des compétences en matière de radiodiffusion et de télévision (Moniteur belge, 2 mars 1977).
  • [90]
    Loi-cadre du 15 juillet 1970 portant organisation de la planification et de la décentralisation économique (Moniteur belge, 21 juillet 1970), dite loi Terwagne. Dans les collections du CRISP, cf. « Le Bureau du plan et le Plan 1971-1975 », CH, n° 520-521, 1971 ; « Le Plan 1971-1975 : processus d’élaboration », CH, n° 528, 1971 ; « Les Conseils économiques régionaux (CER) », CH, n° 584, 1972 et n° 587, 1973 ; « Les sociétés de développement régional (SDR) », CH, n° 616-617, 1973 et n° 632-633, 1974.
  • [91]
    Cf. aussi la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes (Moniteur belge, 24 août 1971). Sur cette instance, cf. J.-P. Nassaux, « Le FDF et l’Agglomération de Bruxelles », in V. Dujardin, V. Delcorps (dir.), FDF. 50 ans d’engagement politique, Bruxelles, Racine, 2014, p. 331-368.
  • [92]
    Un seul scrutin sera organisé, le 21 novembre 1971.
  • [93]
    Sénat, Annales parlementaires, n° 75, 18 juin 1970, p. 2012.
  • [94]
    Cette situation ne doit pas être confondue avec le fait que, dans de nombreux États fédéraux, certaines zones géographiques sont placées sous l’autorité directe du pouvoir fédéral. L’exemple le plus connu est celui du District of Columbia aux États-Unis, qui est la capitale du pays (Washington, D.C.) et, à ce titre, le siège des principales institutions états-uniennes comme la Maison-Blanche, le Capitole et la Cour suprême. Ce district est né de la volonté que la capitale du pays soit située sur un site neutre, ne favorisant aucun des États. Le principe du district fédéral existe également dans plusieurs autres pays fédéraux : l’Argentine, le Brésil, le Mexique et le Venezuela. Un autre cas de figure possible est celui des territoires fédéraux, qui sont des divisions administratives directement soumises au pouvoir fédéral. Par exemple, l’Australie est à la fois un État fédéral vis-à-vis de certaines zones (les six États, qui sont des entités fédérées) et un État unitaire vis-à-vis d’autres (les Territoires). L’organisation du Canada est similaire : elle est faite de dix Provinces qui sont des entités fédérées et de trois Territoires qui sont placés sous la responsabilité directe du pouvoir fédéral. Citons également l’Inde et le Pakistan.
  • [95]
    De 1918 à 1922, la République socialiste fédérative soviétique de Russie était un État fédéral composé de la République socialiste soviétique de Russie, de plusieurs Républiques socialistes soviétiques autonomes, de Régions autonomes et de Districts autonomes, ces différentes entités fédérées jouissant de compétences et de degrés d’autonomie variés. Depuis 1993, la Fédération de Russie est un État fédéral composé de « Sujets » se répartissant en six types (correspondant à des statuts distincts, notamment quant au degré d’autonomie dont ils jouissent – théoriquement du moins – par rapport au pouvoir fédéral) : République, Kraï, Oblast, Okroug, Ville d’importance fédérale et Oblast autonome.
  • [96]
    Il n’a pas été envisagé à l’époque de subdiviser le pays en quatre entités, correspondant chacune à une des régions linguistiques (projet aujourd’hui connu sous le nom de « Belgique à quatre ») ; cette idée ne naîtra que plus tard, à la fin des années 1980.
  • [97]
    Mentionnons simplement le fait que, en Fédération de Russie, trois des quatre Okrougs font également partie d’un Kraï ou d’un Oblast et que, en Bosnie-Herzégovine, le district de Brčko relève en théorie tant de la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine que de la République serbe.
  • [98]
    Précisons que, jusqu’à la deuxième réforme de l’État, la question n’est pas tranchée de savoir si la Région wallonne est compétente uniquement en région de langue française ou l’est également en région de langue allemande.
  • [99]
    Soulignons bien que la Communauté culturelle française et la Communauté culturelle néerlandaise n’agissent pas conjointement dans leurs matières en région bruxelloise : elles y agissent à l’exclusion l’une de l’autre à l’égard des institutions qui, en raison de leurs activités, relèvent de l’une d’elles.
  • [100]
    P. Wynants, « Origines, caractères et évaporation du fédéralisme en Belgique », in Liber amicorum Jean-Pierre de Bandt, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 1021.
  • [101]
    Loi du 1er août 1974 créant des institutions régionales, à titre préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution (Moniteur belge, 22 août 1974). Dans les collections du CRISP, cf. M. Legrand, « Les travaux de la commission parlementaire mixte sur la régionalisation », CH, n° 627 et 628, 1974 ; J. Brassinne, « La régionalisation : la loi du 1er août 1974 et sa mise en œuvre », CH, n° 665, 1974 et n° 667-668, 1975. Sur l’importance de cet épisode, cf. C. Berhendt, « La création des Régions en droit constitutionnel belge (1970-1989) : dynamique institutionnelle et tactiques politiques », in G. Grandjean, M. Lempereur, J. Maquet (dir.), Histoire des institutions diachroniques. Le pouvoir politique en Wallonie, Liège, Presses de l’Université de Liège, 2022, p. 95-112.
  • [102]
    Loi du 19 juillet 1977 modifiant la loi du 1er août 1974 créant des institutions régionales, à titre préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution (Moniteur belge, 27 juillet 1977). La loi du 1er août 1974 ne sera abrogée qu’avec la création de la Région de Bruxelles-Capitale, en 1989.
  • [103]
    Elle prévoit aussi notamment la suppression des structures provinciales (mais, en compensation, la création de sous-régions) et une réforme du Sénat (cette assemblée étant destinée à devenir une chambre de réflexion représentant les Communautés).
  • [104]
    Dans les collections du CRISP, cf. « Du dialogue communautaire de l’hiver 1976-1977 au Pacte communautaire de mai 1977 », CH, n° 767, 772 et 783-784, 1977 ; « La configuration politique des futures sous-régions », CH, n° 806, 1978 ; J. Brassinne, X. Mabille, « La crise politique d’octobre 1978 », CH, n° 817 et 819, 1978 ; X. Mabille, « Les facteurs d’instabilité gouvernementale (décembre 1978 - avril 1981) », CH, n° 916, 1981.
  • [105]
    Loi du 5 juillet 1979, modificatrice de la loi du 1er août 1974 et désormais renommée « loi créant des institutions communautaires et régionales provisoires » (Moniteur belge, 10 juillet 1979). Dans les collections du CRISP, cf. J. Brassinne, « Les 99 jours de crise communautaire, du 18 décembre 1978 au 26 mars 1979 », CH, n° 847-848 et 849-850, 1979 ; J. Brassinne, « La réforme de l’État : phase immédiate et transitoire », CH, n° 857-858, 1979.
  • [106]
    Cf. les titres des loi spéciale et loi ordinaire du 16 juillet 1993 « visant à achever la structure fédérale de l’État » (cf. infra). Il est à noter à ce propos que, en français et en allemand (« zur Vollendung der föderalen Staatsstruktur »), le nom de ces lois comporte clairement l’idée de mener à terme (« achever », « Vollendung »). En revanche, la chose est moins évidente en néerlandais (« tot vervollediging van de federale staatsstructuur ») : le verbe « vervolledigen » signifie plutôt « compléter », au sens de « rendre entier, rendre plein », tandis que le concept d’achèvement se serait davantage retrouvé dans « voltooien ».
  • [107]
    M. Verdussen, « Les traits constitutifs de l’État fédéral belge », Revue générale de droit, volume 29, n° 1, 1998, p. 65.
  • [108]
    P. Wynants, « Origines, caractères et évaporation du fédéralisme en Belgique », op. cit., p. 1020.
  • [109]
    Cf. notamment H. Dumont, « Le fédéralisme multinational belge se prête-t-il à une mutation confédérale ? Les onze leçons d’un fédéralisme immature », in M. Seymour, G. Laforest (dir.), Le fédéralisme multinational. Un modèle viable ?, Bruxelles et al., P.I.E. Peter Lang, 2011, p. 177-210 ; H. Dumont, « Un impossible dialogue ? Deux communautés dans la tourmente », in A. von Busekist (dir.), Singulière Belgique, Paris, Fayard / Centre d’études et de recherches internationales, 2012, p. 29-45.
  • [110]
    De même, les décideurs politiques ne se sont guère inspirés d’exemples étrangers et, moins encore, de modèles théoriques (M. Uyttendaele, Précis de droit constitutionnel belge. Regards sur un système institutionnel paradoxal, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 705).
  • [111]
    Cf. X. Delgrange, H. Dumont, « Le rythme des révisions constitutionnelles et l’hypothèse de l’accélération du temps juridique », in P. Gérard, F. Ost, M. van de Kerchove (dir.), L’accélération du temps juridique, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2000, p. 413-468.
  • [112]
    Dans les collections du CRISP, cf. J. Brassinne, « La réforme de l’État (II) : de la commission du Sénat au gouvernement Martens II, du 24 octobre 1979 au 24 janvier 1980 », CH, n° 874-875, 1980 ; J. Brassinne, « Les matières “culturelles” + les matières “personnalisables” = les matières “communautaires” ? », CH, n° 889 et 890-891, 1980 ; « La révision de la Constitution (juin-juillet 1980) », CH, n° 892, 1980 ; J. Brassinne, « La réforme de l’État (III) : du gouvernement Martens II au vote des lois de réformes institutionnelles sous le gouvernement Martens III », CH, n° 893-894, 1980  ; X. Mabille, « Les facteurs d’instabilité gouvernementale (décembre 1978 - avril 1981) », op. cit. ; X. Mabille, L. Rowies, « La formation des premiers exécutifs hors-gouvernement », CH, n° 937, 1981 ; J. Brassinne, « L’après 8 novembre 1981 : la mise en œuvre de la deuxième phase de la réforme des institutions », CH, n° 940, 1981 ; J.-L. De Brouwer, « La mise en place des administrations régionales et communautaires, quelques points de repères », CH, n° 967, 1982 ; D. Reynders, « Prévention et règlement des conflits, la genèse de la Cour d’arbitrage », CH, n° 988-989, 1983 ; J. Brassinne, Y. Kreins, « La réforme de l’État et la Communauté germanophone », CH, n° 1028-1029, 1984 ; C. Simon, « La communautarisation de l’enseignement », op. cit. ; F. Dehousse, « Les conflits budgétaires dans la réforme de l’État. Secteurs nationaux, politique industrielle, communautarisation de l’enseignement », CH, n° 1124-1125, 1986 ; F. Dehousse, « Apparences et réalités de la réforme de l’État belge », CH, n° 1138, 1986.
  • [113]
    Loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (Moniteur belge, 15 août 1980) ; loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles (Moniteur belge, 15 août 1980).
  • [114]
    Loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 18 janvier 1984).
  • [115]
    La proposition du gouvernement a été rejetée en commission par les sénateurs francophones, qui ont estimé que l’« on ne peut enlever à la Communauté française du pays sa propre identité en lui imposant une appellation strictement linguistique ». De même, ils ont écarté les suggestions de « Communauté wallonne » (qui ne pouvait convenir aux francophones de la région bruxelloise), « Communauté romane », « Communauté romande », « Communauté gauloise » et « Communauté de langue française ». Cf. Sénat, Commission de la Révision de la Constitution et de la Réforme des institutions, Révision de l’article 3ter pour la suppression dans la première phrase de l’adjectif “culturelles”. Rapport, n° 100/23, 17 juin 1980, p. 6-7.
  • [116]
    Toutefois, si l’article 3ter, alinéa 1er de la Constitution parle de « Communauté germanophone » dès juillet 1980, l’article 59ter, alinéa 1er continuera pour sa part d’utiliser le vocable « Communauté culturelle allemande » jusqu’en juin 1983. Telle est la raison pour laquelle l’assemblée germanophone conservera jusqu’à cette époque l’appellation de « Conseil de la Communauté culturelle allemande », alors que les deux autres assemblées communautaires prennent constitutionnellement dès 1980 les appellations de « Conseil de la Communauté française » et de « Conseil de la Communauté flamande » (cette dernière étant remplacée, à partir de la révision constitutionnelle du 17 février 1994, par celle de « Conseil flamand »). Dans les faits, l’assemblée germanophone fera usage de sa nouvelle dénomination « Conseil de la Communauté germanophone » à partir du 30 janvier 1984.
  • [117]
    Article 59bis, § 1er, alinéa 1er (actuel article 121, § 1er, alinéa 1er) et article 59ter, § 1er, alinéa 1er (actuel article 121, § 1er, alinéa 2) de la Constitution. Ces organes ont alors pour noms « exécutif de la Communauté française », « exécutif de la Communauté flamande » et « exécutif de la Communauté germanophone ».
  • [118]
    Jusqu’alors, s’agissant de l’entité germanophone, le pouvoir exécutif a été exercé depuis 1973 par un ou plusieurs membres du gouvernement national.
  • [119]
    Par l’adoption de la loi spéciale du 8 août 1980 précitée.
  • [120]
    Article 59bis, § 1er, alinéas 2 et 3 (actuel article 137) de la Constitution (cf. aussi l’article 1er, § 1er de la loi spéciale du 8 août 1980). Similairement, le même article constitutionnel prévoit que la Communauté française peut exercer les compétences de la Région wallonne, mais il s’avérera que cette possibilité ne sera pas mise en œuvre (de nos jours, celle-ci figure toujours dans la Constitution, mais l’ensemble des dispositions de la loi spéciale du 8 août 1980 y afférentes ont été abrogées lors de la quatrième réforme de l’État).
  • [121]
    À vrai dire, il existe bien alors sur le papier une « Région bruxelloise ». En effet, la loi du 1er août 1974 (telle que modifiée en 1977 et en 1979) continue à s’appliquer pour la Région bruxelloise. Toutefois, celle-ci – qui ne dispose pas d’une assemblée propre, mais seulement d’un exécutif composé d’un ministre et de secrétaires d’État membres du gouvernement national – n’a qu’un statut provisoire et est de facto privée de toute compétence réelle.
  • [122]
    Article 107quater, alinéa 2 (actuel article 39) de la Constitution. Cf. aussi l’article 59quater, § 1er (actuels articles 115, § 2 et 121, § 2) ajouté par la révision constitutionnelle du 5 mai 1993.
  • [123]
    Ces organes ont alors pour noms « Conseil de la Région wallonne » (ou, à partir de la révision constitutionnelle du 1er juin 1983, « Conseil régional wallon » dans certains articles de la Constitution) et « exécutif de la Région wallonne ».
  • [124]
    Lorsque l’assemblée parlementaire de la Communauté flamande doit se prononcer sur un texte portant sur une matière régionale, seuls disposent du droit de vote ceux de ses membres qui ont été élus en région flamande (à l’exclusion donc de ceux élus en région bruxelloise).
  • [125]
    Article 107ter (actuels articles 141 et 142) de la Constitution. Cf. aussi la loi du 28 juin 1983 portant l’organisation, la compétence et le fonctionnement de la Cour d’arbitrage (Moniteur belge, 8 juillet 1983).
  • [126]
    Apparue en 1983-1984, cette formule résume diverses déclarations du député CVP Luc Van den Brande, qui sera ministre-président flamand durant la décennie suivante (1992-1999).
  • [127]
    Dans les collections du CRISP, cf. X. Mabille, « La crise gouvernementale », CH, n° 1176, 1987 ; M. Uyttendaele, « Le Sénat et la réforme des institutions », CH, n° 1196-1197, 1988 ; J. Brassinne, X. Mabille, « La crise gouvernementale, décembre 1987 - mai 1988 », CH, n° 1198-1199, 1988 ; « La révision de la Constitution, juillet 1988 », CH, n° 1207, 1988 ; M. Installé, M. Peffer, « Le financement des Communautés et des Régions dans l’accord gouvernemental de mai 1988. Principes, mécanismes, tendances », CH, n° 1209-1210, 1988 ; P. De Bruycker, « Bruxelles dans la réforme de l’État », CH, n° 1230-1231, 1989 ; S. Loumaye, « Les nouvelles institutions bruxelloises », CH, n° 1232-1233, 1989 ; M. Installé, M. Peffer, R. Savage, « Le financement des Communautés et des Régions », CH, n° 1240-1241, 1989 ; E. Schoonbroodt, « L’union économique et l’unité monétaire dans les lois de réformes institutionnelles », CH, n° 1299, 1990 ; M. Dony, B. Blero, « La répartition des compétences en matière de politique de santé », CH, n° 1300-1301, 1990 ; A. Drumaux, C. Maes, F. Thys-Clément, « Bruxelles, les facteurs de l’équilibre budgétaire », CH, n° 1310-1311, 1991 ; M. Uyttendaele, P. Coenraets, « Les accords de coopération », CH, n° 1325, 1991 ; É. Arcq, P. Blaise, É. Lentzen, « Enjeux et compromis de la législature 1988-1991 », CH, n° 1332-1333, 1991 ; S. Govaert, « Le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale », CH, n° 1351-1352, 1992 ; S. Loumaye, « Les finances régionales bruxelloises », CH, n° 1354-1355, 1992 ; P. Coenraets, « La Cour d’arbitrage et l’interprétation des normes », CH, n° 1366, 1992.
  • [128]
    Loi [spéciale] du 8 août 1988 modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (Moniteur belge, 13 août 1988) ; loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage (Moniteur belge, 7 janvier 1989) ; loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises (Moniteur belge, 14 janvier 1989) ; loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions (Moniteur belge, 17 janvier 1989). Cf. aussi la loi du 9 août 1988 portant modification de la loi communale, de la nouvelle loi communale, de la loi électorale communale, de la loi organique des centres publics d’aide sociale, de la loi provinciale, du Code électoral, de la loi organique des élections provinciales et de la loi organisant l’élection simultanée pour les Chambres législatives et les conseils provinciaux (Moniteur belge, 13 août 1988) – dite loi de pacification communautaire – et la loi spéciale du 9 mai 1989 complétant la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises et modifiant la loi du 12 janvier 1989 réglant les modalités de l’élection du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale (Moniteur belge, 12 mai 1989).
  • [129]
    Loi du 6 juillet 1990 réglant les modalités de l’élection du Conseil de la Communauté germanophone (Moniteur belge, 20 juillet 1990) ; loi du 18 juillet 1990 modifiant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 25 juillet 1990).
  • [130]
    Par l’adoption de la loi spéciale du 12 janvier 1989 précitée.
  • [131]
    Toutefois, l’article 107quater, alinéa 1er (actuel article 3) de la Constitution adopté en 1970 n’étant pas modifié en ce sens, il conserve le vocable « Région bruxelloise » (contrairement à tous les autres articles constitutionnels ayant trait à cette composante de l’État belge, qui eux ont bien recours à l’appellation « Région de Bruxelles-Capitale »).
  • [132]
    Ces organes ont alors pour noms « Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale » et « exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale ».
  • [133]
    Article 108ter, § 2 (actuel article 166, § 2) de la Constitution.
  • [134]
    Quant aux autres compétences qui avaient été dévolues à l’Agglomération bruxelloise à sa création en 1970-1971 (à savoir diverses compétences communales en matière d’aménagement du territoire, d’environnement, de transport public et d’expansion économique), elles lui ont été retirées en 1980 en tant qu’elles avaient été régionalisées par la deuxième réforme de l’État. Cf. aussi la loi du 21 août 1987 modifiant la loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes et portant des dispositions relatives à la Région bruxelloise (Moniteur belge, 26 septembre 1987).
  • [135]
    Article 108ter, § 3 (actuels articles 136 et 166, § 3) de la Constitution. Ces instances sont les héritières des Commission française de la culture, Commission néerlandaise de la culture et Commissions réunies mises en place au début des années 1970.
  • [136]
    Puisque, comme nous l’avons vu précédemment, en région bilingue de Bruxelles-Capitale, la Communauté française et la Communauté flamande sont compétentes, non pour les personnes, mais à l’égard des institutions qui doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou à l’autre.
  • [137]
    Juridiquement, la COCOM détient également une compétence dans les matières monocommunautaires (dites aussi unicommunautaires) d’intérêt commun. Il s’agit de matières monocommunautaires (culture ou enseignement), qui relèvent donc en principe des deux grandes Communautés et des COCOF et VGC mais qui, si elles concernent les deux Communautés, et cela tout en étant circonscrites par l’intérêt commun à l’échelle de la région bruxelloise (le soutien à des festivals, l’aide aux musées communaux ou privés, etc.), relèvent alors de la COCOM. Il convient de ne pas confondre ces compétences monocommunautaires d’intérêt commun avec les établissements scientifiques ou culturels fédéraux d’intérêt national (par exemple, les Musées royaux des Beaux-Arts et le Théâtre royal de la Monnaie) – sis pour la plupart en région bruxelloise –, qui continuent à relever de l’Autorité fédérale. Dans le cas de sa compétence monocommunautaire, la COCOM intervient par la voie de règlements. Toutefois, cette compétence n’a jamais été mise en œuvre à ce jour.
  • [138]
    Précédemment et depuis 1970, les Communautés étaient constitutionnellement en charge de l’enseignement, mais « à l’exclusion de ce qui a trait à la paix scolaire, à l’obligation scolaire, aux structures de l’enseignement, aux diplômes, aux subsides, aux traitements, aux normes de population scolaire » (article 59bis, § 2, alinéa 1er (actuel article 127, § 1er, alinéa 1er) de la Constitution) ; cela avait fait dire au ministre des Réformes institutionnelles, J.-L. Dehaene, que « dans les années 1970, on a communautarisé l’enseignement à l’exception de l’enseignement » (Chambre des représentants, Annales parlementaires, n° 25, 6 juillet 1988, p. 918).
  • [139]
    Hormis pour la Communauté germanophone, dont le financement est réglé par la loi du 31 décembre 1983.
  • [140]
    Elles le seront à nouveau par deux fois : d’abord par une loi spéciale du 9 mars 2003 adoptée en dehors de toute réforme de l’État (Moniteur belge, 11 avril 2003), puis par deux lois spéciales du 6 janvier 2014 adoptées dans le cadre de la sixième réforme de l’État (Moniteur belge, 31 janvier 2014).
  • [141]
    Actuel article 1er de la Constitution.
  • [142]
    Il n’existe en principe pas de liste limitative des compétences étatiques qui peuvent être du ressort des entités fédérées au sein d’un État fédéral. En pratique, font toutefois généralement exception les droits régaliens suivants, qui restent l’exclusivité du niveau national : lever une armée, déclarer la guerre ou conclure la paix, battre monnaie et instaurer des douanes.
  • [143]
    Hormis dans le domaine des éventuelles compétences dites concurrentes.
  • [144]
    Si ce n’est que, par un mécanisme inverse, les assemblées parlementaires de la Wallonie, de la Communauté française et de la Flandre étaient composées d’élus nationaux – situation qui a précisément pris fin avec la révision constitutionnelle du 5 mai 1993, et ce à partir des élections multiples du 21 mai 1995.
  • [145]
    Si ce n’est par l’intermédiaire – cependant indirect et informel – des partis politiques représentés tant au niveau fédéral que dans une ou plusieurs entités fédérées.
  • [146]
    Rappelons que le Sénat est, avec la Chambre des représentants, chargé de la révision de la Constitution et de l’adoption ou de la modification des lois répartitrices de compétences entre les différentes composantes de l’État fédéral.
  • [147]
    Cf. C. Istasse, « La Belgique fédérale a cinquante ans. Vraiment ? », Les @nalyses du CRISP en ligne, 7 décembre 2021.
  • [148]
    Chambre des représentants, Commission de Révision de la Constitution, des Réformes institutionnelles et du Règlement des conflits, Projet de loi [spéciale] modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Rapport, n° 516/6, 26 juillet 1988, p. 4.
  • [149]
    Cité par F. Delpérée, «  La Belgique, pays en mutation », in J. Yerna, E. Witte, F. Delpérée, « Réflexions sur la Belgique en mutation », CH, n° 1234, 1989, p. 28.
  • [150]
    150 Dans les collections du CRISP, cf. « Accords gouvernementaux, réformes institutionnelles et politique budgétaire », CH, n° 1363-1364, 1992 ; J. Brassinne, « Le dialogue de communauté à communauté, avril-juillet 1992 », CH, n° 1369-1370, 1992 ; M. Gassner, É. Lentzen, « Les assemblées législatives. Simulation de leur composition après la réforme projetée », CH, n° 1379, 1992 ; É. Lentzen, P. Blaise, « La mise en œuvre des priorités du gouvernement Dehaene. I. La réforme des institutions », CH, n° 1403-1404, 1993 ; É. Lentzen, P. Blaise, M. Gassner, « Vers un nouveau cycle électoral. Évolutions et simulations », CH, n° 1468-1469, 1995 ; M. Barbeaux, M. Beumier, « Réforme de l’État et restructuration des administrations et parastataux », CH, n° 1473 et 1474-1475, 1995 ; É. Lentzen, « Une législature de réformes institutionnelles », CH, n° 1476-1477, 1995 ; M. Collinge, « Le Parlement wallon », CH, n° 1520, 1996 ; C.-É. Lagasse, « Le système des relations internationales dans la Belgique fédérale. Textes et pratiques », CH, n° 1549-1550, 1997 ; P. Cattoir, Fédéralisme et solidarité financière. Étude comparative de six pays, Bruxelles, CRISP, 1998, p. 23-58 ; N. Lagasse, « Gouverner Bruxelles. Règles en vigueur et débat », CH, n° 1628-1629, 1999 ; J.-P. Nassaux, « Les relations communautaires à l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune », CH, n° 1633-1634, 1999 ; C. Mertes, « L’autonomie constitutive des Communautés et des Régions », CH, n° 1650-1651, 1999.
  • [151]
    Loi spéciale et loi ordinaire du 5 mai 1993 sur les relations internationales des Communautés et des Régions (Moniteur belge, 8 mai 1993) ; loi spéciale et loi ordinaire du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’État (Moniteur belge, 20 juillet 1993).
  • [152]
    La composition de la Chambre des représentants passe de 212 membres à 150 et n’est plus sujette à variation en lien avec l’accroissement de la population. Il en va de même pour celle du Sénat, dont le nombre de membres passe de 184 à 71 (compte non tenu des éventuels sénateurs de droit).
  • [153]
    Pour sa part, le Conseil de la Communauté française est composé indirectement : il est constitué de l’ensemble des membres du Conseil régional wallon (ou, à partir de 2002, de leurs suppléants s’ils ont prêté serment exclusivement ou en premier lieu en allemand) et d’une partie des membres du groupe linguistique français du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale.
  • [154]
    Lorsque, par la loi spéciale du 8 août 1980, de premières compétences en matière de tutelle administrative sur les provinces avaient été attribuées aux Région wallonne et Région flamande, une exception avait été instaurée relativement à la province de Brabant : celle-ci continuait à dépendre de l’État central. Il en a été de même lorsque, par la loi spéciale du 8 août 1988, le financement des provinces a été régionalisé et que la régionalisation de la tutelle administrative sur les provinces a été accrue. Cette exception prend désormais fin.
  • [155]
    Article 59ter, § 3 (actuel article 139) de la Constitution.
  • [156]
    Article 59quinquies, § 1er (actuel article 138) de la Constitution. Une telle possibilité n’a pas été prévue entre la Communauté flamande et la VGC.
  • [157]
    Dans les collections du CRISP, cf. É. Arcq, « Gestion conjointe et délégation de compétences en Communauté française », CH, n° 1373-1374, 1992 ; M. Cornélis, M. de Herde, M. Peffer, « Flux financiers et répartition de compétences au sein de la Communauté française », CH, n° 1380, 1992 ; É. Arcq, « Le transfert de l’exercice des compétences de la Communauté française », CH, n° 1410-1411, 1993 ; R. Born, « Bilan de l’exercice des compétences transférées par la Communauté française », CH, n° 1783-1784, 2002.
  • [158]
    L’ambition de la Communauté germanophone, exprimée pour la première fois en 1998 et régulièrement réaffirmée depuis lors, est de devenir une « Communauté-Région », c’est-à-dire une entité fédérée détenant l’ensemble des compétences communautaires et régionales (ainsi que, par ailleurs, les compétences provinciales) sur son territoire. Cf. L. Dalbert, C. Istasse, « “Ostbelgien” : nom usuel de la Communauté germanophone et marque régionale », CH, n° 2499, 2021.
  • [159]
    Dans les collections du CRISP, cf. G. Pagano, « Les résolutions du Parlement flamand pour une réforme de l’État », CH, n° 1670-1671, 2000. Cf. aussi J. Brassinne, « La Constitution flamande. Essai de Constitution pour la Flandre », CH, n° 1569-1570, 1997 ; G. Pagano, M. Verbeke, A. Accaputo, « Le manifeste du groupe In de Warande », CH, n° 1913-1914, 2006.
  • [160]
    Dans les collections du CRISP, cf. J. Henry, G. Filleul, G. Pagano, « L’accord institutionnel dit de la Saint-Éloi », CH, n° 1696, 2000 ; J.-P. Nassaux, « Le groupe de travail sur le fonctionnement des institutions bruxelloises », CH, n° 1682, 2000 et n° 1716-1717, 2001 ; C.-X. Jacques, C. Boromée, « La conférence intergouvernementale et interparlementaire du renouveau institutionnel », CH, n° 1707-1708, 2001 ; G. Van der Stichele, M. Verdonck, « Les modifications de la loi spéciale de financement du Lambermont », CH, n° 1733, 2001 ; G. Pagano, Le financement des Régions et des Communautés, 1970-2002. Solidarité, responsabilité, autonomie et concurrence fiscale, Bruxelles, CRISP, 2002 ; J. Brassinne de La Buissière, « La régionalisation des lois communale et provinciale et de la législation connexe », CH, n° 1751-1752, 2002 ; P. Zimmer, « La situation budgétaire de la Région de Bruxelles-Capitale », CH, n° 1941, 2006 ; C. Sägesser, «  Le temporel des cultes depuis sa régionalisation  », CH, n° 1968, 2007  ; B. Bayenet, S. Veiders, « Le financement de la Communauté germanophone », CH, n° 1983-1984, 2007 ; C. Sägesser, D. Germani, « La Communauté germanophone : histoire, institutions, économie », CH, n° 1986, 2008 . Cf. aussi J.-C. Willame, « Communautarisation de la coopération au développement », CH, n° 1280-1281, 1990 ; N. Lagasse, « Le statut de la Région de Bruxelles-Capitale. La position des principaux acteurs politiques », CH, n° 1652, 1999.
  • [161]
    Loi spéciale du 13 juillet 2001 portant transfert de diverses compétences aux Régions et Communautés (Moniteur belge, 3 août 2001) ; loi spéciale du 13 juillet 2001 portant refinancement des Communautés et extension des compétences fiscales des Régions (Moniteur belge, 3 août 2001). Cf. aussi la loi du 7 janvier 2002 modifiant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 1er février 2002) et la loi du 22 janvier 2002 modifiant la loi du 12 janvier 1989 réglant les modalités de l’élection du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale et la loi ordinaire du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’État (Moniteur belge, 26 février 2002).
  • [162]
    Loi du 13 juillet 2001 portant diverses réformes institutionnelles relatives aux institutions locales de la région de Bruxelles-Capitale (Moniteur belge, 31 août 2001).
  • [163]
    Ainsi, le nombre de membres francophones et de membres néerlandophones au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale est fixé par la loi au lieu de fluctuer en fonction des résultats des scrutins régionaux, et les communes bruxelloises sont incitées à avoir une majorité bilingue (à savoir, concrètement, à compter au moins un échevin néerlandophone dans leur collège ou à confier le poste de président de CPAS à un néerlandophone).
  • [164]
    Dans les collections du CRISP, cf. B. Cadranel, « La déclaration de révision de la Constitution d’avril 2003 », CH, n° 1811-1812, 2003 ; J. Brassinne de La Buissière, « Les négociations communautaires sous le gouvernement Verhofstadt II. Forum institutionnel et Bruxelles-Hal-Vilvorde », CH, n° 1903-1904, 2005 ; S. Govaert, « Bruxelles-Hal-Vilvorde : du quasi-accord de 2005 à la procédure en conflit d’intérêts », CH, n° 1974, 2007 ; S. Govaert, « Les discussions communautaires sous les gouvernements Verhofstadt III, Leterme et Van Rompuy », CH, n° 2024-2025, 2009 ; S. Govaert, « Les discussions communautaires sous le gouvernement Leterme II (2009-2010) », CH, n° 2126, 2012. Concernant les débats institutionnels à cette époque, cf. aussi J.-P. Nassaux, « Débats parlementaires bruxellois (1999-2004). I. Les relations communautaires, la fiscalité et la mobilité », CH, n° 1837-1838, 2004 ; N. Ryelandt, « Le Groupe Wallonie-Bruxelles et le débat sur les institutions francophones », CH, n° 2009-2010, 2009 ; J.-P. Nassaux, « Le nouveau mouvement bruxellois », CH, n° 2103-2104, 2011.
  • [165]
    Dans les collections du CRISP, cf. P. Palsterman, « Les aspects sociaux de l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », CH, n° 2127-2128, 2012 ; J.-P. Nassaux, « Les aspects bruxellois de l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », CH, n° 2129-2130, 2012 ; S. Govaert, « Les négociations communautaires et la formation du gouvernement Di Rupo (juin 2010 - décembre 2011) », CH, n° 2144-2145, 2012 ; B. Bayenet, G. Pagano, « Le financement des entités fédérées dans l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », CH, n° 2180-2181, 2013 ; C. Sägesser, C. Istasse, « Le Sénat et ses réformes successives », CH, n° 2219-2220, 2014 ; F. Bouhon, C. Niessen, M. Reuchamps, « La Communauté germanophone après la sixième réforme de l’État : état des lieux, débats et perspectives », CH, n° 2266-2267, 2015 ; B. Blero, « La scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde », « Les réformes liées à la scission de BHV : la pacification communautaire, la communauté métropolitaine et le refinancement de Bruxelles » et « La réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles », CH, n° 2279, 2280-2281 et 2282-2283, 2015 ; Q. Peiffer, « L’autonomie constitutive des entités fédérées », CH, n° 2350-2351, 2017. Cf. aussi S. Leblanc, « La fédéralisation de la sécurité sociale », CH, n° 1282-1283, 1990 ; P. Palsterman, « Défédéraliser la sécurité sociale », CH, n° 1899, 2005 ; P. Palsterman, « Régionaliser la politique de l’emploi ? », CH, n° 1958-1959, 2007 ; B. Bayenet, G. Pagano, Le financement des entités fédérées : un système en voie de transformation, Bruxelles, CRISP, 2011 ; G. Pagano, J. Vandernoot, T. Tyrant, « Vingt ans de solidarité entre les entités fédérées (1989-2009) », CH, n° 2122, 2011 ; J.-P. Nassaux, « La Commission communautaire commune (COCOM) : vers une autre dimension », Les analyses du CRISP en ligne, 14 octobre 2013 ; J.-P. Nassaux, « La communauté métropolitaine : opportunité ou piège pour les Bruxellois ? », Les @nalyses du CRISP en ligne, 4 juin 2015 ; J. Faniel, « Sixième réforme de l’État : enjeux pour les matières personnalisables », Les @nalyses du CRISP en ligne, 23 décembre 2015 ; J.-P. Nassaux, « La Commission communautaire française (COCOF), une institution fragilisée ? », Les @nalyses du CRISP en ligne, 19 janvier 2016 ; J.-P. Nassaux, « La Région de Bruxelles-Capitale et la sécurité après la sixième réforme de l’État », Les @nalyses du CRISP en ligne, 13 novembre 2017 ; V. Demertzis, « Le système des prestations familiales en Belgique avant la sixième réforme de l’État », CH, n° 2405, 2018 ; Q. Peiffer, « Les spécificités institutionnelles de la région bruxelloise », CH, n° 2510, 2021.
  • [166]
    Tous ces textes sont parus au Moniteur belge des 22 août 2012 et 31 janvier 2014. S’y ajoute en outre la loi du 19 avril 2014 modifiant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 2 mai 2014).
  • [167]
    À l’heure actuelle, cet organe n’a aucune existence effective : son installation est conditionnée à la conclusion d’un accord de coopération entre les trois Régions (cf. la loi spéciale du 19 juillet 2012 complétant l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles en ce qui concerne la communauté métropolitaine de Bruxelles, Moniteur belge, 22 août 2012).
  • [168]
    En région bruxelloise, la sixième réforme de l’État attribue certaines nouvelles compétences à l’Agglomération bruxelloise (à savoir, en matière de sécurité). Cependant, dans le même temps, elle confie l’exercice de ces compétences au Parlement, au gouvernement et au ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale.
  • [169]
    À l’inverse, en un mouvement de rétrocession, la Communauté française récupère l’exercice de quelques compétences dont elle s’était délestée en 1993.
  • [170]
    Belga, 26 septembre 2013.
  • [171]
    Dans les collections du CRISP, cf. J.-P. Nassaux, « Le retour du débat institutionnel bruxellois (2016-2018) », CH, n° 2374, 2018 ; J. Faniel, « La septième réforme institutionnelle est-elle pour tout de suite ? », Les @nalyses du CRISP en ligne, 15 mai 2018.
  • [172]
    C. Sägesser, « La formation du gouvernement De Croo (mai 2019 - octobre 2020) », CH, n° 2471-2472, 2020.
  • [173]
    « Accord de gouvernement », 30 septembre 2020, www.belgium.be, p. 79.
  • [174]
    Cette situation diffère de celle qui prévaut par exemple en Suisse, où les citoyens disposent d’un droit d’initiative populaire leur permettant de proposer une modification constitutionnelle et où l’organisation d’un référendum est obligatoire avant toute révision de la Constitution fédérale.
  • [175]
    « Accord de gouvernement », op. cit., p. 79.
  • [176]
    Sur cette notion d’État global, cf. J. Pieret, « La Belgique fédérale est-elle un État souverain ? », Revue belge de droit constitutionnel, [14e année], n° 1, 2007, p. 15 ; M. Uyttendaele, Trente leçons de droit constitutionnel, Limal, Anthemis, 2020, p. 53.
  • [177]
    F. Delpérée, Droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 647-649. L’auteur identifie trois fonctions qui peuvent être qualifiées de « fédératives » : la fonction constituante, la fonction de justice constitutionnelle (qui revient à la Cour constitutionnelle) et la fonction de consultation constitutionnelle (qui revient à la section de législation du Conseil d’État ; cf. infra).
  • [178]
    Est ici impliquée une conception large de cette notion de « fonction constituante », ayant trait tant à la Constitution au sens formel qu’aux lois, adoptées à la majorité spéciale – ou, dans certains cas, à la majorité ordinaire (s’agissant en particulier de la Communauté germanophone) –, qui fixent les règles élémentaires sur lesquelles reposent le fonctionnement de l’État fédéral belge et de ses composantes ; nous y reviendrons.
  • [179]
    M. Uyttendaele, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 53 : « Quant aux organes [fédéraux], ils agissent tantôt pour le compte de tous en fixant les règles applicables à l’Autorité fédérale et aux entités fédérées (…), tantôt dans le seul champ des compétences réservées à [l’Autorité fédérale], à l’exclusion de celles qui sont confiées aux entités fédérées ».
  • [180]
    Il est en effet possible que les entités fédérées soient impliquées indirectement dans l’adoption de la législation fédérale, par l’entremise de représentants siégeant au sein de la chambre haute du Parlement fédéral (cf. infra).
  • [181]
    F. Delpérée, Droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., p. 107.
  • [182]
    C’est-à-dire une loi spéciale.
  • [183]
    Arrêté royal du 28 avril 1998 portant organisation du Corps interfédéral de l’Inspection des finances (Moniteur belge, 5 août 1998).
  • [184]
    M. Reuchamps, « La parité linguistique au sein du Conseil des ministres », Res Publica. Belgian Journal of Political Science, volume 49, n° 4, 2007, p. 603.
  • [185]
    Ibidem. Min Reuchamps se réfère à une terminologie employée par D. J. Elazar, Exploring Federalism, Tuscaloosa, The University of Alabama Press, 1987. Cf. également H. Dumont, M. El Berhoumi, « Les formes juridiques fédératives d’association et de dissociation dans et entre les États », Droit et Société, n° 98, 2018, p. 15-36.
  • [186]
    Cf. V. de Coorebyter, « Clivages et partis en Belgique », CH, n° 2000, 2008.
  • [187]
    Cf. L. Bruyère, A.-S. Crosetti, J. Faniel, C. Sägesser (dir.), Piliers, dépilarisation et clivage philosophique en Belgique, Bruxelles, CRISP, 2019.
  • [188]
    Cf. V. de Coorebyter, « Clivages et partis en Belgique », op. cit. ; J. Faniel, C. Gobin, D. Paternotte (dir.), Se mobiliser en Belgique. Raisons, cadres et formes de la contestation sociale contemporaine, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2020.
  • [189]
    C. Van Wynsberghe, « La “particratie”, pour le meilleur ou le pire… », Politique. Revue belge d’analyse et de débat, n° 79, 2013, p. 30.
  • [190]
    M. Reuchamps, « Structures institutionnelles du fédéralisme belge », in R. Dandoy, G. Matagne, C. Van Wynsberghe (dir.), Le fédéralisme belge. Enjeux institutionnels, acteurs socio-politiques et opinions publiques, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2013, p. 50. Cf. aussi Q. Peiffer, « Les spécificités institutionnelles de la région bruxelloise », CH, n° 2510, 2021.
  • [191]
    Il est à noter que le sort réservé aux éventuels députés ou sénateurs germanophones n’a pas constitué un élément du compromis élaboré au moment de la première réforme de l’État : aucun groupe linguistique spécifique n’a été mis en place pour accueillir les parlementaires issus de cette communauté, ni à la Chambre des représentants ni au Sénat. Dès lors, dans chacune des deux Chambres, ils ont été versés dans le groupe linguistique français. Cette situation est toujours de mise actuellement à la Chambre des représentants. En revanche, au Sénat, le membre germanophone ne fait désormais plus partie d’aucun groupe linguistique (cf. infra).
  • [192]
    D. Sinardet, « Le fédéralisme consociatif belge : vecteur d’instabilité ? », Pouvoirs, n° 136, 2011, p. 22 ; M. Reuchamps, D. Caluwaerts, « Le fédéralisme belge creuse-t-il sa propre tombe ? », Outre-Terre. Revue européenne de géopolitique, volume 40, n° 3, 2014, p. 45-46.
  • [193]
    Il convient de noter que, bien qu’ils n’aient pas abouti, les projets qui ont conduit à la première réforme de l’État prévoyaient initialement que des conseils de la culture ne soient composés que de sénateurs ; une sorte de spécialisation entre la Chambre des représentants et le Sénat aurait de la sorte été introduite dans le système institutionnel de la Belgique. Cf. « La crise gouvernementale en Belgique (avril-juin 1968) », CH, n° 414-415, 1968, p. 17 ; « Les projets communautaires du gouvernement Eyskens-Merlot (1968) – Eyskens-Cools (1969) », CH, n° 451, 1969, p. 20-21.
  • [194]
    Cf. F. Verleden, « Les votes nominatifs à la Chambre des représentants. I. Évolution des règles en vigueur (1831-2020) », CH, n° 2501-2502, 2021, p. 23-24.
  • [195]
    Cf. par exemple H. Dumont, « Ouvrir à révision l’article 195 et réveiller le pouvoir constituant originaire : possibilité, risques et opportunités », Chroniques de droit public, n° 2, 2019, p. 448-458.
  • [196]
    Relativement aux dispositions destinées à être introduites dans la Constitution, l’usage veut que les déclarations établies par les deux Chambres et le Roi mentionnent le titre de la charte fondamentale dans lequel une disposition, dont l’objet est alors précisé, devra être insérée. Par exemple, l’article 22ter relatif à l’inclusion des personnes en situation de handicap a pu être introduit dans la Constitution, le 15 mars 2021 (Moniteur belge, 30 mars 2021), parce qu’une déclaration avait ouvert à révision « le titre II de la Constitution, en vue d’y insérer un article nouveau permettant de garantir la jouissance des droits et libertés aux personnes handicapées » (cf. les déclarations de révision de la Constitution publiées dans le Moniteur belge du 23 mai 2019).
  • [197]
    Une logique partisane est également entrée en ligne de compte lorsque le périmètre des lois à majorité spéciale a été tracé. Dans les premiers projets qui avaient été soumis à l’appréciation des partis, seule une majorité dans les groupes linguistiques français et néerlandais suffisait. Le parti libéral a toutefois exigé qu’une majorité supplémentaire des deux tiers – dans l’assemblée considérée dans son ensemble – soit également prévue, afin d’éviter qu’un droit de veto ne soit accordé au CVP, du côté néerlandophone, et au PSB, du côté francophone, compte tenu des scores électoraux qui étaient alors les leurs. Cf. F. Verleden, Aux sources de la particratie. Les relations entre les partis politiques belges et leurs parlementaires (1918-1970), Bruxelles, CRISP, 2019, p. 306.
  • [198]
    En droit, « rien n’interdit que la procédure parlementaire reprenne à l’issue de ce délai, quand bien même le Conseil des ministres aurait été dans l’impossibilité de parvenir à un consensus. Dans les faits cependant, l’absence de consensus aboutirait à faire exploser la coalition gouvernementale » (H. Dumont, M. El Berhoumi, Droit constitutionnel. Approche critique et interdisciplinaire, tome 1 : L’État, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 147).
  • [199]
    Ce projet de loi visait, plus précisément, à organiser l’intégration de l’Economisch Hogeschool Limburg au sein de l’Universitair Centrum Limburg. Les signataires francophones de la motion ont estimé que ce projet avait pour effet de peser de façon discriminatoire sur les charges publiques. La motion « avait été signée par 70 membres du groupe linguistique français de la Chambre sur 91, dont 5 membres du gouvernement qui avaient préalablement marqué leur accord sur le dépôt du projet » (Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge. Fondements et institutions, 4e édition, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 669, note 51). Ces dissensions révélées en son sein conduisirent finalement le Conseil des ministres à retirer son projet de loi.
  • [200]
    Cf. S. Govaert, « Les discussions communautaires sous le gouvernement Leterme II (2009-2010) », CH, n° 2126, 2012 ; B. Blero, « La scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde », CH, n° 2279, 2015, p. 24. Il est toutefois à noter que ce n’est pas l’activation, en tant que telle, de la sonnette d’alarme qui a provoqué la chute du gouvernement ; mais celle-ci, signée par la quasi-totalité des députés francophones invités à le faire (seul l’unique représentant du FN n’a pas été sollicité), a participé au mouvement qui y a mené.
  • [201]
    Cf. les articles 31 et 54 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
  • [202]
    Cette sonnette d’alarme dite idéologique a été créée par la loi du 3 juillet 1971 et, peu de temps après, par le Pacte culturel (signé le 24 février 1972 et transposé dans la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques, Moniteur belge, 16 octobre 1973). Nous y reviendrons dans le chapitre 3.
  • [203]
    « Afin de paralyser le processus parlementaire concernant [la] proposition de loi [litigieuse, qui avait été adoptée au sein de la commission de l’Intérieur de la Chambre, le 7 novembre 2007], des procédures en conflit d’intérêt sont activées et introduites successivement par diverses assemblées (Parlement de la Communauté française, Assemblée de la Commission communautaire française, Parlement de la Région wallonne et Parlement de la Communauté germanophone). Cette mise au frigo temporaire du dossier rend possible la mise en place du gouvernement intérimaire Verhofstadt III (CD&V/MR/PS/Open VLD/ CDH), auquel succèdent le gouvernement Leterme I (même composition), le gouvernement Van Rompuy (même composition), mis en place après la démission d’Yves Leterme (CD&V) dans le cadre de l’affaire “Fortis”, et le gouvernement Leterme II (même composition), installé à la suite de la désignation d’Herman Van Rompuy (CD&V) comme président du Conseil européen » (B. Blero, « La scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde », op. cit., p. 23).
  • [204]
    Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 803.
  • [205]
    Ibidem, p. 697-698. Il est à noter que la règle de la collégialité est contredite par le texte de l’article 106 de la Constitution, qui dispose : « Aucun acte du Roi ne peut avoir d’effet, s’il n’est contresigné par un ministre, qui, par cela seul, s’en rend responsable ». À la lettre constitutionnelle qui « prescrit une responsabilité individuelle des membres du gouvernement fédéral » s’oppose ainsi « un principe para-légal de collégialité » perçu par les responsables politiques d’autant plus légitime qu’il vient renforcer « la portée de la règle constitutionnelle de la parité linguistique du Conseil des ministres, particulièrement précieuse pour la paix communautaire » (H. Dumont, M. El Berhoumi, Droit constitutionnel, op. cit., p. 334). Il en va autrement au sein des gouvernements régionaux ou communautaires qui sont, quant à eux, « formellement tenus d’observer ce principe de collégialité en vertu de dispositions législatives » (ibidem, note 203). Cf. l’article 69 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (Moniteur belge, 15 août 1980), l’article 51 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 18 janvier 1984) et les articles 36, § 1er, alinéa 1er et 75, alinéa 1er de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises (Moniteur belge, 14 janvier 1989).
  • [206]
    M. Reuchamps, « La parité linguistique au sein du Conseil des ministres », op. cit., p. 606.
  • [207]
    Ibidem, p. 625.
  • [208]
    Ibidem, p. 607-608. Si la présence, au sein du gouvernement fédéral, d’un nombre de secrétaires d’État néerlandophones supérieur à celui de leurs alter ego francophones est courante, elle n’est pas inscrite dans la loi, à la différence de la situation (inversée) qui prévaut au niveau des institutions régionales bruxelloises. Le gouvernement fédéral formé le 1er octobre 2020 (gouvernement De Croo, PS/MR/ Écolo/CD&V/Open VLD/SP.A/Groen) compte d’ailleurs davantage de secrétaires d’État francophones que néerlandophones. En outre, contrairement à ce qui est prévu au niveau de la Région de Bruxelles-Capitale, il n’est pas fait obligation au gouvernement fédéral de comprendre des secrétaires d’État ; ainsi, le gouvernement Verhofstadt III (CD&V/MR/PS/Open VLD/CDH, 21 décembre 2007 - 20 mars 2008) comptait uniquement des ministres. On relèvera enfin que le ministre-président bruxellois est toujours exclu du calcul linguistique, alors que le Premier ministre ne l’est pas nécessairement, comme l’atteste également la composition du gouvernement Verhofstadt III.
  • [209]
    F. Bouhon, C. Niessen, M. Reuchamps, « La Communauté germanophone après la sixième réforme de l’État : état des lieux, débats et perspectives », CH, n° 2266-2267, 2015, p. 57.
  • [210]
    M. Reuchamps, « La parité linguistique au sein du Conseil des ministres », op. cit., p. 608. Dans une telle optique, dès lors que le Premier ministre ne pourrait plus être excepté dans le calcul de la parité, « les Flamands perdraient (…) la compensation offerte en 1970 » (ibidem). Toujours si l’on s’en tient à cette première interprétation de la portée de l’article 99 de la Constitution, une autre solution pourrait être de réduire « le nombre des ministres ordinaires d’expression néerlandaise et française (…) à douze unités, assurant la parité, tout en permettant la nomination d’un ministre germanophone et en exceptant le Premier ministre du calcul de la parité » (ibidem).
  • [211]
    Cela a d’ailleurs été le cas entre janvier et octobre 1973, avec la présence de Guillaume (dit Willy) Schyns, social-chrétien, au sein du gouvernement Leburton I (composé des partis sociaux-chrétiens, socialistes et libéraux) en qualité de secrétaire d’État aux Cantons de l’Est et au Tourisme, adjoint au Premier ministre.
  • [212]
    Ibidem.
  • [213]
    Cet exécutif a pour particularité d’avoir obtenu à la Chambre des représentants, dans le contexte de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, la confiance de diverses formations politiques qui ne faisaient pas partie formellement du gouvernement fédéral, à savoir le PS et le SP.A, Écolo et Groen, le CDH et Défi. À cette occasion, la Première ministre, Sophie Wilmès (MR), a indiqué borner son action à la gestion de la crise sanitaire et de ses conséquences et s’est engagée à solliciter à nouveau la confiance de la Chambre endéans six mois (cf. F. Bouhon, A. Jousten, X. Miny, E. Slautsky, « L’État belge face à la pandémie de Covid-19 : esquisse d’un régime d’exception », CH, n° 2446, 2020, p. 19-26 ; J. Faniel, C. Sägesser, « La Belgique entre crise politique et crise sanitaire (mars-mai 2020) », CH, n° 2447, 2020, p. 11-13 ; C. Sägesser, « La formation du gouvernement De Croo (mai 2019 - octobre 2020) », CH, n° 2471-2472, 2020, p. 38-39).
  • [214]
    Pareil débat avait déjà surgi au début des années 1980 à propos du gouvernement Martens V (CVP/ PRL/PVV/PSC), qualifié à l’époque par Guy Spitaels, alors président du PS, de gouvernement « belgo-flamand » (X. Mabille, « La législature 1981-1985 », CH, n° 1088, 1985, p. 15).
  • [215]
    H. Cyr, « De la formation de gouvernement », Revue générale de droit, volume 43, n° 2, 2013, p. 389-390.
  • [216]
    Cf. C. Sägesser, C. Istasse, « Le Sénat et ses réformes successives », CH, n° 2219-2220, 2014.
  • [217]
    R. Dandoy, J. Dodeigne, M. Reuchamps, A. Vandeleene, « The New Belgian Senate. A (Dis)continued Evolution of Federalism in Belgium? », Representation, volume 51, n° 3, 2015, p. 327-339 (cité par P. Bursens, P. Meier, « Belgian Federalism 4.0: EU Inspired Ways Forward », Fédéralisme Régionalisme, n° 20, 2020, https://popups.uliege.be, p. 2).
  • [218]
    A. Alen, « La nécessité d’un Sénat comme seconde chambre des États et comme garant de la qualité de la législation », in Quelles réformes pour le Sénat ? Propositions de 16 constitutionnalistes, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 20 ; « La réforme du Sénat : entre rationalités et incohérences », in H. Dumont, M. El Berhoumi, I. Hachez (dir.), La sixième réforme de l’État : l’art de ne pas choisir ou l’art du compromis ?, Louvain-la-Neuve, Larcier, 2015, p. 83-84.
  • [219]
    Précisons en effet que tous les États fédéraux ne disposent pas d’un système bicaméral, comme l’attestent les cas des Comores, des Émirats arabes unis, de l’Irak, de la Micronésie, de Saint-Christophe-et-Niévès et du Venezuela.
  • [220]
    L. Rigaux, « Pour une réforme du Sénat. La chambre des entités fédérées, véritable lieu de coordination multipolaire et de pacification du fédéralisme belge », Chroniques de droit public, n° 2, 2019, p. 384.
  • [221]
    Au Venezuela, l’assemblée nationale constituante instituée en 1999 a décidé le passage du bicaméralisme au monocaméralisme. Cette réforme a été validée par un référendum constitutionnel organisé la même année.
  • [222]
    Ibidem, p. 384.
  • [223]
    Ibidem, p. 385, note 34. La majorité des membres de la chambre haute indienne (Rajya Sabha) sont des représentants des États et Territoires, un système proportionnel étant par ailleurs de rigueur. Si on la compare à celle de la chambre basse (Lok Sabha), la composition de la chambre haute en Inde demeure, par certains de ses aspects, singulière. Certaines personnalités en son sein ne sont ainsi ni élues, ni désignées par les entités fédérées, mais sont choisies en raison de leurs compétences.
  • [224]
    Ibidem, p. 381-394.
  • [225]
    Ibidem, p. 385.
  • [226]
    C. Sägesser, C. Istasse, « Le Sénat et ses réformes successives », op. cit., p. 40-41. Il est à noter également que le Mouvement wallon avait, dans les années 1960, fait campagne pour un « Sénat paritaire », après le vote des lois linguistiques (et le transfert des Fourons).
  • [227]
    Sur cette tension, au sein même de la notion de compromis, entre l’idée d’un accommodement entre conceptions différentes et celle d’un « non-choix », cf. « Conclusion », in H. Dumont, M. El Berhoumi, I. Hachez (dir.), La sixième réforme de l’État : l’art de ne pas choisir ou l’art du compromis ?, op. cit., p. 225-226.
  • [228]
    Le bicaméralisme intégral, qui était la règle précédemment, devient alors exceptionnel.
  • [229]
    Si une représentation des habitants de la région bruxelloise est garantie à travers une condition de domiciliation, elle n’implique pas que ces sénateurs soient membres du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale. En effet, si au moins 6 sénateurs francophones et au moins 1 sénateur néerlandophone doivent être domiciliés, le jour de leur élection, en région bilingue de Bruxelles-Capitale, ils peuvent appartenir à n’importe laquelle de ces trois catégories : élus directs, sénateurs de Communauté ou cooptés. Le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale – et par extension la Région – ne bénéficie donc d’aucune garantie de représentation en tant que telle.
  • [230]
    15 sénateurs élus par le collège électoral français et 25 sénateurs élus par le collège électoral néerlandais.
  • [231]
    4 étant désignés par les sénateurs du collège français (élus directs et sénateurs de Communauté) et 6 sénateurs désignés par les sénateurs du collège néerlandais (élus directs et sénateurs de Communauté), aucun n’étant désigné par le sénateur communautaire germanophone. On observe ainsi que, à partir de la réforme de 1993, les sénateurs de Communauté, tout comme les sénateurs élus directs, exercent également une influence sur la désignation de cette catégorie de sénateurs.
  • [232]
    Après l’entrée en fonction du roi Albert II, le 9 août 1993, bénéficieront de cette qualité le prince Philippe, la princesse Astrid et le prince Laurent. La fonction de sénateur de droit est alors devenue largement honorifique.
  • [233]
    Auparavant, elle dépendait de la (première) langue dans laquelle les sénateurs avaient prêté serment s’agissant des sénateurs élus directement dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale (c’est-à-dire l’arrondissement de Bruxelles), des sénateurs provinciaux désignés par le conseil provincial du Brabant et des sénateurs cooptés.
  • [234]
    H. Simonart, « Pour que cesse au Sénat la discrimination dont est victime la Communauté germanophone », in Quelles réformes pour le Sénat ?, op. cit., p. 33-36.
  • [235]
    J. Sohier, « La réforme du Sénat et la nouvelle organisation du bicaméralisme », in Les réformes institutionnelles de 1993 : vers un fédéralisme achevé ? [Actes du colloque organisé à Bruxelles (Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale) les 26-27 mars 1993 par le Centre de droit public de la Faculté de Droit de l’Université libre de Bruxelles], Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 394 ; L. Rigaux, « Pour une réforme du Sénat », op. cit., p. 385.
  • [236]
    Le constitutionnaliste Francis Delpérée peut ainsi affirmer que le Sénat est devenu, à l’issue de la réforme de 1993, une institution « sinistrée » (F. Delpérée, « La nouvelle Constitution belge », Revue française de droit public, n° 17, 1994, p. 9).
  • [237]
    Cf. par exemple E. Colla, J.-C. Scholsem, « La réforme du système bicaméral belge de 1993 », Administration publique. Revue du droit public et des sciences administratives, n° 2-3, 1994, p. 222.
  • [238]
    « La réforme du Sénat : entre rationalités et incohérences », op. cit., p. 90.
  • [239]
    Cependant, le bureau du Sénat a la possibilité de convoquer des séances plénières extraordinaires.
  • [240]
    Sont principalement concernées les lois relatives aux divisions du territoire, la loi relative au Pacte culturel, les lois qui garantissent le respect des obligations internationales de la Belgique, et celles qui ont trait au Conseil d’État et aux juridictions administratives fédérales.
  • [241]
    Approuver les nominations faites par le président des États-Unis pour les postes de membres du cabinet présidentiel, les juges fédéraux – notamment ceux de la Cour suprême –, les ambassadeurs et certains autres hauts fonctionnaires ; ratifier les traités à la majorité des deux tiers ; voter l’impeachment à la majorité des deux tiers à l’encontre d’un membre de l’exécutif ou d’un juge, sur mise en accusation faite par la Chambre des représentants ; etc.
  • [242]
    Si ces deux assemblées siègent en principe de façon séparée, certaines décisions requièrent toutefois qu’elles soient réunies. Elles forment alors l’Assemblée fédérale, qui procède à l’élection de certains mandataires fédéraux (comme les membres du Conseil fédéral – qui est l’organe exécutif du pays – ou le chancelier de la Confédération).
  • [243]
    Articles 51, 59, 70 et 72 de la Constitution du Pakistan, telle que modifiée le 28 février 2012.
  • [244]
    B. Fournier, « La fédération canadienne », in B. Fournier et al., Le fédéralisme en Belgique et au Canada, Bruxelles, De Boeck, 2009, p. 50.
  • [245]
    Une autre hypothèse est également envisageable : celle d’une transformation radicale du mode de désignation des sénateurs. Des projets visant à transformer le Sénat en une assemblée composée de citoyens tirés au sort, en organisant éventuellement une représentation des différentes communautés linguistiques que compte le pays, ont notamment été avancés ; cf. par exemple P.-É. Vandamme, « Un Sénat tiré au sort ? », Politique. Revue belge d’analyse et de débat, 6 décembre 2019, www.revuepolitique.be.
  • [246]
    Moniteur belge, 22 juin 1935.
  • [247]
    F. Gosselin, L’emploi des langues en matière judiciaire dans l’arrondissement de Bruxelles, Waterloo, Wolters Kluwer, 2015.
  • [248]
    Loi du 1er décembre 2013 portant réforme des arrondissements judiciaires et modifiant le Code judiciaire en vue de renforcer la mobilité des membres de l’ordre judiciaire (Moniteur belge, 10 décembre 2013).
  • [249]
    F. Bouhon, C. Niessen, M. Reuchamps, « La Communauté germanophone après la sixième réforme de l’État : état des lieux, débats et perspectives », op. cit., p. 59.
  • [250]
    B. Blero, « Les réformes liées à la scission de BHV : la pacification communautaire, la communauté métropolitaine et le refinancement de Bruxelles », CH, n° 2280-2281, 2015 ; M. Wunderle, « Quelle communauté urbaine pour Bruxelles ? Réflexions sur la “communauté métropolitaine” prévue dans l’accord de gouvernement de 2011 », Les analyses du CRISP en ligne, 22 décembre 2011 ; J.-P. Nassaux, « La communauté métropolitaine : opportunité ou piège pour les Bruxellois ? », Les @nalyses du CRISP en ligne, 4 juin 2015.
  • [251]
    B. Blero, « La réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles », CH, n° 2282-2283, 2015.
  • [252]
    Seules les justices de paix sont organisées à ce niveau. Depuis une réforme entrée en vigueur progressivement entre le 1er mai 2018 et le 1er janvier 2020, les cantons judiciaires sont au nombre de 162 (contre 187 antérieurement).
  • [253]
    La Belgique compte ainsi 13 tribunaux de première instance, à savoir un dans chaque arrondissement et deux à Bruxelles (en raison du dédoublement évoqué ci-avant).
  • [254]
    On en compte cinq en Belgique (Anvers, Bruxelles, Gand, Liège et Mons). C’est sur cette base que sont notamment organisées les cours d’appel et les cours du travail.
  • [255]
    B. Inghels, « La démission de Ghislain Londers, premier président de la Cour de cassation : quelles suites ? Après la démission de son chef, la Cour de cassation est-elle orpheline ? », Justice en ligne, 29 septembre 2011, www.justice-en-ligne.be.
  • [256]
    Il est à noter que l’Autriche accorde au niveau de pouvoir fédéral une compétence exclusive en matière de justice (cf. les articles 82 et 83 de la Constitution autrichienne). La Fédération de Russie connaît également une justice en principe centralisée, mais il existe des exceptions à ce principe général : d’une part, des juridictions constitutionnelles sont instaurées au sein de certaines entités fédérées et, d’autre part, des justices de paix (c’est-à-dire de proximité) peuvent être mises en place au niveau régional, en respectant toutefois un certain nombre de balises énoncées dans la législation fédérale (J. Kahn, A. Trochev, N. Balayan, « How Federal Is the Russian Federation? », in D. Halberstam, M. Reimann (dir.), Federalism and Legal Unification. A Comparative Empirical Investigation of Twenty Systems, Dordrecht, Springer Netherlands, 2014, p. 378). Rappelons cependant que le caractère démocratique de la Russie renvoie largement à une fiction et que de nombreuses interrogations touchent précisément au rôle que la justice est amenée à jouer au sein de cet État. Le système judiciaire de la Malaisie – autre pays dont le caractère véritablement démocratique pose question – est également fortement centralisé (H. L. Ang, A. Whiting, « Federalism and Legal Unification in Malaysia », in D. Halberstam, M. Reimann (dir.), Federalism and Legal Unification, op. cit., p. 304).
  • [257]
    Ainsi qu’un tribunal inférieur en matière de propriété intellectuelle et des petites juridictions disciplinaires.
  • [258]
    Cf. notamment A. Heraut, « Ordre judiciaire », in M. Uyttendaele, M. Verdussen (dir.), Dictionnaire de la sixième réforme de l’État, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 591-616 ; A.-S. Bouvy, « Le partage des compétences et la justice », in C. Romainville, M. Verdussen (dir.), Les grands arrêts sur le partage des compétences dans l’État fédéral, Bruxelles, Larcier, 2019, p. 286-309.
  • [259]
    Et ce sur la base de la catégorie des pouvoirs implicites, déduite de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, en vertu de laquelle les composantes de l’État fédéral sont habilitées à légiférer dans des domaines qui ne relèvent pas explicitement du champ de leurs compétences, mais dans lesquels il s’avère nécessaire qu’elles interviennent pour accomplir leurs missions (cf. Chapitre 5). Dans le cadre de la mise en œuvre de la sixième réforme de l’État, la possibilité pour les entités fédérées de créer des juridictions administratives a été confirmée (cf. notamment « La Cour constitutionnelle et les juridictions administratives : des réformes inachevées », in H. Dumont, M. El Berhoumi, I. Hachez (dir.), La sixième réforme de l’État : l’art de ne pas choisir ou l’art du compromis ?, op. cit., p. 52-53).
  • [260]
    Z. Demir est en réalité ministre de la Justice et du Contrôle (« Handhaving »), ses autres attributions étant l’Environnement, l’Énergie et le Tourisme.
  • [261]
    Cf. B. Biard, P. Blaise, J. Faniel, S. Govaert, C. Istasse, « La formation des gouvernements régionaux et communautaires après les élections du 26 mai 2019 », CH, n° 2444-2445, 2020, p. 92 et 100 ; A. Heraut, « Ordre judiciaire », op. cit., p. 591.
  • [262]
    M. Uyttendaele, Les institutions de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 221.
  • [263]
    F. Delpérée, « La Belgique existe-t-elle ? », Pouvoirs, n° 136, 2011, p. 15.
  • [264]
    Nous ne pouvons, dans le cadre restreint de cette étude, prendre en considération les spécificités d’autres institutions organisées au niveau central ou fédéral, et notamment le Conseil du contentieux des étrangers, les autres juridictions administratives fédérales, le Comité permanent de contrôle des services de renseignement (dit Comité R), le Comité permanent de contrôle des services de police (dit Comité P) – qui relèvent tous deux du Parlement fédéral –, l’Autorité de protection des données ou les Médiateurs fédéraux – qui dépendent quant à eux de la Chambre des représentants.
  • [265]
    H. Matthijs, E. Vandenbossche, « La Cour des comptes », CH, n° 1269, 1990.
  • [266]
    Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 480. Le Conseil d’État, tout comme les autres juridictions administratives, bien qu’il exerce une fonction juridictionnelle, ne fait pas partie du pouvoir judiciaire. Il est à noter toutefois que les membres de la section du contentieux administratif sont soumis à un statut d’indépendance qui est proche de celui dont jouissent les magistrats judiciaires.
  • [267]
    Cf. l’article 73, § 3 des lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le Conseil d’État (Moniteur belge, 21 mars 1973).
  • [268]
    M. Uyttendaele, Les institutions de la Belgique, op. cit., p. 243 et 244, note 543 ; M. Leroy, Contentieux administratif, 5e édition, Bruxelles, Anthemis, 2011, p. 141.
  • [269]
    Sur la section de législation du Conseil d’État, cf. en particulier H. Dumont, F. Tulkens, « La section de législation du Conseil d’État : un acteur constitutionnel indispensable pour une bonne gouvernance », in L. J. Wintgens (dir.), La compétence d’avis du Conseil d’État, Bruges, Die Keure, 2003, p. 117-144 ; L. Vancrayebeck, « La légisprudence de la section de législation du Conseil d’État », in I. Hachez et al. (dir.), Les sources du droit revisitées, tome 2 : Normes internes infraconstitutionnelles, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2012, p. 269-302 ; J. Jaumotte, É. Thibaut, Le Conseil d’État de Belgique, tome 1, 2e édition, Bruxelles, Bruylant, 2012.
  • [270]
    F. Delpérée, Droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., p. 655-656 et 672 ; F. Delpérée, « La Constitution et le Conseil d’État en Belgique », Études et documents du Conseil d’État, n° 47, 1995, p. 573-589.
  • [271]
    Certaines exceptions à cette règle générale seront présentées dans le chapitre 5, dans le cadre de l’examen des relations défensives entre les composantes de l’État fédéral belge, lorsque seront abordés les modes de prévention et de résolution des conflits de compétence et des conflits d’intérêts.
  • [272]
    J. Jaumotte, É. Thibaut, Le Conseil d’État de Belgique, op. cit., p. 287-290.
  • [273]
    M. El Berhoumi, J. Pitseys, « L’obstruction parlementaire en Belgique », CH, n° 2289-2290, 2016, p. 36-39.
  • [274]
    J. Jaumotte, É. Thibaut, Le Conseil d’État de Belgique, op. cit., p. 295-296.
  • [275]
    L. Vancrayebeck, « La légisprudence de la section de législation du Conseil d’État », op. cit., p. 279.
  • [276]
    Ibidem, p. 281.
  • [277]
    Ibidem, p. 291.
  • [278]
    Cf. « Les missions du Conseil d’État » sur le site Internet du Conseil d’État français, www.conseil-etat.fr.
  • [279]
    Ils ont dû, pendant cinq ans au moins, être membres d’une des assemblées parlementaires du pays.
  • [280]
    M. Uyttendaele, Les institutions de la Belgique, op. cit., p. 225, note 498.
  • [281]
    D. Reynders, « Prévention et règlement des conflits, la genèse de la Cour d’arbitrage », CH, n° 988-989, 1983. Cf. également P. Coenraets, « La Cour d’arbitrage et l’interprétation des normes », CH, n° 1366, 1992.
  • [282]
    Loi du 28 juin 1983 portant l’organisation, la compétence et le fonctionnement de la Cour d’arbitrage (Moniteur belge, 8 juillet 1983), depuis lors abrogée par la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (Moniteur belge, 7 janvier 1989).
  • [283]
    G. Rosoux, Vers une « dématérialisation » des droits fondamentaux ? Convergence des droits fondamentaux dans une protection fragmentée, à la lumière du raisonnement du juge constitutionnel belge, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 45-80.
  • [284]
    Cf. l’arrêt Marbury v. Madison rendu le 24 février 1803 (5 US (1 Cranch) 137), fondateur en ce qui concerne le contrôle constitutionnel qu’exerce la Cour suprême. Cf. E. Zoller, Grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, Paris, Presses universitaires de France, 2000, p. 93.
  • [285]
    « Au Canada, le pouvoir judiciaire, au sommet duquel siège la Cour suprême, vérifie le respect du partage du pouvoir législatif entre l’ordre fédéral et l’ordre provincial et se prononce sur la compatibilité des lois avec la Charte constitutionnelle des droits et libertés » (M. Verdussen, Justice constitutionnelle, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 32-33).
  • [286]
    Ibidem, p. 21.
  • [287]
    Cf. l’article 93 de la Loi fondamentale allemande.
  • [288]
    Cf. M. Verdussen, Justice constitutionnelle, op. cit., p. 33. Cf. également A. Jomini, « Présentation du Tribunal fédéral suisse comme autorité de juridiction constitutionnelle », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 18, 2005, p. 133-141.
  • [289]
    X. Philippe, « La Cour constitutionnelle sud-africaine. Présentation », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 9, 2000, p. 65. Cf. également M. Verdussen, Justice constitutionnelle, op. cit., p. 24-25.
  • [290]
    E. R. Grau, « L’évolution du contrôle de constitutionnalité au Brésil », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 26, 2009, www.conseil-constitutionnel.fr.
  • [291]
    M. Verdussen, Justice constitutionnelle, op. cit., p. 66.
  • [292]
    Ou quasi égalitaire, si l’on considère le cas particulier des ordonnances bruxelloises (cf. Chapitre 5).
  • [293]
    Cf., dans le chapitre 5, l’analyse du système belge de prévention et de règlement des conflits de compétence.
  • [294]
    M. Verdussen, Justice constitutionnelle, op. cit., p. 66.
  • [295]
    Cf. l’arrêt Le Compte : Cour de cassation, 3 mai 1974, Pasicrisie, I, p. 910 ; Journal des tribunaux, 1974, p. 564-571, avec les conclusions du procureur général près la Cour de cassation Walter Ganshof van der Meersch (qui plaidait résolument pour l’instauration d’un tel contrôle diffus de constitutionnalité).
  • [296]
    Cf. l’arrêt Le Ski : Cour de cassation, 27 mai 1971, Pasicrisie, I, p. 886 ; Journal des tribunaux, 1971, p. 460-474, avec les conclusions du procureur général près la Cour de cassation W. Ganshof van der Meersch.
  • [297]
    G. Canivet, N. Molfessis, « La politique jurisprudentielle », in La création du droit jurisprudentiel. Mélanges en l’honneur de Jacques Boré, Paris, Dalloz, 2007, p. 79-97.
  • [298]
    X. Delgrange, H. Dumont, C. Romainville, M. Verdussen, « L’interprétation des juges constitutionnels. La politique jurisprudentielle de la Cour constitutionnelle », Annuaire international de justice constitutionnelle, 2018, p. 165-200, p. 187. Cf. aussi G. Rosoux, « La Cour constitutionnelle de Belgique : un arbitre au cœur du fédéralisme belge », Fédéralisme Régionalisme, n° 17 : F. Bouhon (dir.), Les juridictions constitutionnelles suprêmes dans les États fédéraux : créatures et créateurs de fédéralisme, 2017, https://popups.uliege.be, p. 9.
  • [299]
    Lorsque cette possibilité existe, elle « est toujours strictement limitée à certaines considérations particulières ». Par exemple, « en Allemagne, en Autriche et en Inde, la juridiction constitutionnelle suprême peut être amenée à vérifier si une nouvelle disposition de la Constitution fédérale est compatible avec des principes de référence qui, dès lors, présentent dans une certaine mesure une nature supraconstitutionnelle. En Allemagne, le contrôle de constitutionnalité des lois portant amendement à la Loi fondamentale est tout à fait concevable (…) et a été concrètement exercé à plusieurs reprises. Dans l’ordre juridique autrichien, il est prévu que les modifications constitutionnelles qui portent atteinte à la nature fondamentale de la Constitution (Gesamtänderungen) doivent être soumises au referendum. La Cour constitutionnelle est compétente pour vérifier si une modification constitutionnelle respecte effectivement cette règle, ce qui implique de chercher à savoir si ladite modification touche ou non à la nature fondamentale de la Constitution. Enfin, en Inde, la jurisprudence de la Cour suprême a établi des limites au pouvoir d’amender la Constitution fédérale et a jugé qu’il était interdit de modifier la structure et les éléments fondamentaux (basic structure and features) de la Constitution. La juridiction suprême indienne exerce concrètement ce pouvoir notamment pour imposer le respect du principe fédéral » (F. Bouhon, « Analyse transversale : les juridictions constitutionnelles suprêmes – créatures et créateurs de fédéralisme ? », Fédéralisme Régionalisme, n° 17, op. cit., p. 6-7).
  • [300]
    F. Bouhon, « L’immunisation des normes législatives par le choix du constituant » (observation sous Cour constitutionnelle, Arrêt n° 81/2015, 28 mai 2015), Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège, n° 3, 2015, p. 618-637 ; Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 206-208.
  • [301]
    F. Bouhon, « L’immunisation des normes législatives par le choix du constituant », op. cit., p. 637.
  • [302]
    Il convient en effet de noter que la Cour constitutionnelle a récemment fait évoluer sa jurisprudence sur ce point (cf. en particulier Cour constitutionnelle, Arrêt n° 70/2019, 23 mai 2019). Elle a ainsi estimé que « le fait que le constituant mentionne, voire décrive partiellement dans les travaux préparatoires [d’une révision constitutionnelle] la teneur des dispositions légales en préparation, [ne pouvait] être assimilé à l’expression d’options consacrées par le constituant lui-même » (Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 208). En d’autres termes, étant donné que ce type de décisions politiques a une incidence sur la compétence de la Cour constitutionnelle, celle-ci se reconnaît désormais le pouvoir d’interpréter de façon restrictive le choix ainsi posé par le pouvoir constituant, tout en demeurant attentive à la dimension sensible sur le plan politique des dispositions qui font l’objet d’un tel procédé d’« immunisation ».
  • [303]
    F. Bouhon, « L’immunisation des normes législatives par le choix du constituant », op. cit., p. 637.
  • [304]
    X. Delgrange, H. Dumont, C. Romainville, M. Verdussen, « L’interprétation des juges constitutionnels », op. cit., p. 189-190. Concernant les critiques adressées à l’arrêt relatif à la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde, cf. également J.-C. Scholsem, « Des “principes” et de l’usure du temps », Jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles, n° 27, 2003, p. 1165-1176 ; M. Verdussen, Les douze juges. La légitimité de la Cour constitutionnelle, Bruxelles, Labor, 2003, p. 76.
  • [305]
    X. Delgrange, H. Dumont, C. Romainville, M. Verdussen, « L’interprétation des juges constitutionnels », op. cit., p. 186-190.
  • [306]
    Ibidem, p. 170.
  • [307]
    F. Bouhon, « Analyse transversale : les juridictions constitutionnelles suprêmes », op. cit., p. 3. Le Canada connaît en effet « une tradition bi-juridique puisque le droit civil s’applique au Québec, tandis que la common law s’applique dans les autres Provinces et Territoires » (B. Fournier, « La fédération canadienne », op. cit., p. 54).
  • [308]
    Ibidem. Cf. également M. Hottelier, « La justice constitutionnelle en Suisse », Fédéralisme Régionalisme, n° 17, op. cit.
  • [309]
    X. Delgrange, H. Dumont, C. Romainville, M. Verdussen, « L’interprétation des juges constitutionnels », op. cit., p. 172.
  • [310]
    Cf. l’article 55, alinéa 4 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
  • [311]
    Cf. l’article 56, alinéa 4 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
  • [312]
    J.-T. Debry, « La désignation et les attributions des présidents de la Cour constitutionnelle », in P. Martens, M. Bossuyt, M.-F. Rigaux (dir.), Liège, Strasbourg, Bruxelles : parcours des droits de l’homme. Liber Amicorum Michel Melchior, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2010, p. 64 (cité par M. Verdussen, Justice constitutionnelle, op. cit., p. 156).
  • [313]
    J. Vanpraet, De latente staatshervorming. De bevoegdheidsverdeling in de rechtspraak van het Grondwettelijk Hof en de adviespraktijk van de Raad van State, Bruges, Die Keure, 2011 ; C. Romainville, M. Verdussen (dir.), Les grands arrêts sur le partage des compétences dans l’État fédéral, op. cit.
  • [314]
    F. Bouhon, « Analyse transversale : les juridictions constitutionnelles suprêmes », op. cit., p. 4.
  • [315]
    B. Biard, V. Lefebve, « La libération conditionnelle : de la “loi Le Jeune” à l’instauration de la période de sûreté », CH, n° 2480-2481, 2020, p. 16-19.
  • [316]
    M. Uyttendaele, Les institutions de la Belgique, op. cit., p. 240.
  • [317]
    Article 259bis1, dernier alinéa du Code judiciaire.
  • [318]
    M. Uyttendaele, Les institutions de la Belgique, op. cit., p. 240.
  • [319]
    M. Reuchamps, C. Meulewaeter, P. Baudewyns, L. De Winter, « Les facteurs d’unité en Belgique : Diables rouges, attitudes politiques et sentiments identitaires », in J.-F. Caron (dir.), Les conditions de l’unité politique et de la sécession dans les sociétés multinationales, Laval, Presses de l’Université de Laval, 2016, p. 99-126.
  • [320]
    Cf. M. Reuchamps, F. Onclin, « La fédération belge », in B. Fournier et al., Le fédéralisme en Belgique et au Canada, op. cit., p. 35.
  • [321]
    M. Uyttendaele, « Un défi ou un jeu de l’esprit : concilier la monarchie et la démocratie », Revue belge de droit constitutionnel, n° 3-4, 2014, p. 446.
  • [322]
    M. Reuchamps, F. Onclin, « La fédération belge », op. cit., p. 35-36. Les auteurs se réfèrent à A. Molitor, « Monarchie et fédéralisme en Belgique », in A. Leton (dir.), La Belgique : un État fédéral en évolution, Bruxelles / Paris, Bruylant / Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2001, p. 61-68. Cf. également A. Molitor, La fonction royale en Belgique, 2e édition, Bruxelles, CRISP, 1994 ; F. Delpérée, Le Roi des Belges, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2017.
  • [323]
    C. Sägesser, Législatif, exécutif et judiciaire. Les relations entre les trois pouvoirs, Bruxelles, CRISP (Dossier, n° 87), 2016, p. 16.
  • [324]
    « La permanence de la monarchie héréditaire doit se combiner avec le caractère parlementaire du régime politique dont l’État fédéral est doté » (Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 756). Indiquons que ce contreseing peut prendre la forme d’une présence ministérielle aux côtés du Roi à l’occasion d’une activité publique ou d’un discours de celui-ci.
  • [325]
    Ibidem, p. 806. Cette pratique s’est stabilisée en 1961. Auparavant, le nombre d’arrêtés variait davantage.
  • [326]
    M. Uyttendaele, « Un défi ou un jeu de l’esprit », op. cit., p. 445.
  • [327]
    Cette « magistrature d’influence » implique en effet, selon la formule devenue canonique du constitutionnaliste britannique Walter Bagehot, « the right to be consulted, the right to encourage, the right to warn » (W. Bagehot, The English Constitution, Londres, Chapman and Hall, 1867, p. 103).
  • [328]
    X. Mabille, « Le débat politique d’avril 1990 sur la sanction et la promulgation de la loi », CH, n° 1275, 1990.
  • [329]
    329 S. Govaert, « Les négociations communautaires et la formation du gouvernement Di Rupo (juin 2010 - décembre 2011) » , CH, n° 2144-2145, 2012.
  • [330]
    C. Sägesser, « La formation du gouvernement De Croo (mai 2019 - octobre 2020) », op. cit.
  • [331]
    P. Lauvaux, « Le Roi », Pouvoirs, n° 136, 2011, p. 77.
  • [332]
    M. Uyttendaele, « Un défi ou un jeu de l’esprit », op. cit., p. 446.
  • [333]
    Si l’article 96 de la Constitution proclame que « le Roi nomme et révoque ses ministres » (et que l’article 104 ajoute qu’il nomme et révoque les secrétaires d’État fédéraux), la pratique s’est progressivement éloignée du prescrit constitutionnel. Le chef de l’État doit non seulement tenir compte du résultat des élections et nommer un gouvernement qui recevra l’assentiment de la Chambre, mais il doit de surcroît attendre que l’équipe ait été constituée par le formateur, en concertation étroite avec les présidents des partis qui forment la nouvelle coalition, pour ratifier les choix de ce dernier.
  • [334]
    J. Stengers, L’action du roi en Belgique depuis 1831 : pouvoir et influence. Essai de typologie des modes d’action du roi, Bruxelles, Racine, 1996.
  • [335]
    Rappelons que la Commission communautaire flamande (VGC) n’adopte pas de norme législative.
  • [336]
    Article 60 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Il est à noter cependant que le Roi ne reçoit pas la prestation de serment du ministre-président de la COCOF.
  • [337]
    « Agenda », sur le site Internet de la monarchie belge, www.monarchie.be.
  • [338]
    Cf. V. Demertzis, J. Faniel, S. Govaert, C. Istasse, « La formation des gouvernements après les scrutins du 25 mai 2014 », CH, n° 2275-2276, 2015, p. 43.
  • [339]
    Cf. C. Sägesser, « La formation du gouvernement De Croo (mai 2019 - octobre 2020) », op. cit., p. 14-19.
  • [340]
    La règle s’est appliquée à l’héritier présomptif du Trône de 1831 à 1893, aux fils du Roi (ou, à leur défaut, aux princes belges de la branche de la famille royale appelée à régner) de 1893 à 1993, et aux enfants du Roi (ou, à défaut, aux descendants belges de la branche de la famille royale appelée à régner) de 1993 à 2014.
  • [341]
    « La fonction de la présidence de la Confédération » sur le site Internet du Conseil fédéral suisse, www.admin.ch.
  • [342]
    Cité par P. Delwit, La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours, 3e édition, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2012 , p. 427 (l’auteur cite des extraits issus de W. Martens, Mémoires pour mon pays, Bruxelles, Racine, 2006, p. 420).
  • [343]
    À cet égard, on rappellera en particulier deux interventions d’Albert II. D’une part, le 22 avril 2010, celui-ci appelle en consultation le président de la Chambre des représentants, Patrick Dewael (Open VLD), qui souhaite mettre au vote une proposition de loi scindant la circonscription électorale de Bruxelles–Hal–Vilvorde alors que celle-ci est au cœur de tensions communautaires depuis de longues années (cf. S. Govaert, « Les discussions communautaires sous le gouvernement Leterme II (2009-2010) », op. cit., p. 27). D’autre part, dans son message du 20 juillet 2011 prononcé à l’occasion de la fête nationale, il marque avec vigueur son souhait de voir les responsables politiques négociant depuis plus d’un an la formation d’un nouveau gouvernement fédéral et une sixième réforme de l’État avancer de manière décisive afin de débloquer la situation politique sans tarder (cf. S. Govaert, « Les négociations communautaires et la formation du gouvernement Di Rupo (juin 2010 - décembre 2011) », op. cit., p. 56-57).
  • [344]
    Pour sa part, le Royaume-Uni est, non un État fédéral, mais un État régional (cf. Chapitre 1).
  • [345]
    La Malaisie est composée de 13 États, dont 9 sont dirigés par un sultan, tandis que les 4 autres le sont par un gouverneur.
  • [346]
    En Malaisie, les quatre gouverneurs participent à l’élection du « sultan suprême » (ou roi), mais seuls les membres des familles royales dirigeant les sultanats peuvent être candidats à ce scrutin.
  • [347]
    Il est à noter que, depuis son abdication le 21 juillet 2013, Albert II a conservé le titre de Roi, même s’il n’exerce plus les pouvoirs constitutionnels attachés à la fonction de souverain. Par ailleurs, la révision des articles 60 et 61 de la Constitution (actuels articles 85 et 86) opérée le 21 juin 1991 a aboli la loi salique et ouvert la fonction royale à une femme.
  • [348]
    P. Delwit, La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours, op. cit., p. 427. Il convient de préciser que le vote intervenu à l’occasion de la Question royale était sans doute plus déterminé par des frontières confessionnelles que linguistiques : les provinces à dominante catholique, favorables au Roi, étaient en effet surtout situées en Flandre, ce qui explique en grande partie le résultat contrasté alors obtenu.
  • [349]
    Ibidem, p. 428.
  • [350]
    H. Vuye, V. Wouter, De maat van de monarchie. Macht en middelen van het Belgische koningshuis, Anvers, Vrijdag, 2016. Il est à noter que ces deux mandataires, tous deux élus à la Chambre des représentants en 2014, ont quitté la N-VA en 2016 et ont siégé comme indépendants durant le reste de la législature.
  • [351]
    Cf. C. Istasse, « Histoire, mémoire et identité : les fêtes nationales, régionales et communautaires en Belgique », CH, n° 2412-2413, 2019.
  • [352]
    Hormis le cas particulier de l’Irak, qui n’est un État fédéral que dans le Kurdistan (cf. Chapitre 1).
  • [353]
    Anciennement dénommée Fédération croato-bosniaque ou Fédération croato-musulmane.
  • [354]
    Dont deux ne sont pas reconnus par la communauté internationale comme faisant partie du territoire du pays : la République de Crimée et la Ville d’importance fédérale de Sébastopol (toutes deux annexées unilatéralement par la Russie sur l’Ukraine en 2014).
  • [355]
    Un des six États de Somalie a fait sécession en 1991 : le Somaliland. Toutefois, son indépendance autoproclamée n’est pas reconnue par la communauté internationale.
  • [356]
    Au XIXe siècle, moment de l’installation à Bruxelles de nombreux habitants venus des provinces du Sud, ceux-ci étaient volontiers qualifiés de « Wallons de Bruxelles » (de même que les locuteurs francophones des provinces du Nord étaient alors parfois désignés par l’expression « Wallons de Flandre »), habitude qui a persisté jusque dans les années 1960 voire 1970. À cette époque en effet, le terme « Wallons » désignait davantage une communauté linguistique – romane, en l’occurrence – que la population d’un espace géographique circonscrit. Il est à noter que, de nos jours encore, le terme « Walen » est souvent utilisé par les Belges néerlandophones pour signifier l’ensemble des Belges francophones et non les seuls habitants de la Wallonie.
  • [357]
    Est ainsi resté célèbre l’emblématique épisode qui a vu le ministre-président de la Communauté française Valmy Féaux (PS) s’entendre demander par le président de la République française François Mitterrand, alors que les deux hommes se rencontraient à l’occasion d’un sommet de la Francophonie à Dakar en mai 1989 : « Combien y a-t-il d’adhérents dans votre association ? ». L’anecdote est narrée par V. Féaux lui-même dans ses mémoires : V. Féaux, Des choux et des raves, Ottignies, Quorum, 1997, p. 199-201.
  • [358]
    N. Ryelandt, « Le Groupe Wallonie-Bruxelles et le débat sur les institutions francophones », CH, n° 2009-2010, 2009 ; S. Toussaint, « Ne dites plus “Communauté française” ! Quoique... », Les @nalyses du CRISP en ligne, 7 octobre 2013. Il est à noter que cette décision a été prise dans une situation de grande tension intercommunautaire (cf. S. Govaert, « Les négociations communautaires et la formation du gouvernement Di Rupo (juin 2010 - décembre 2011) », CH, n° 2144-2145, 2012, p. 47).
  • [359]
    Puisque, en Wallonie, elle n’est compétente qu’en région de langue française, à l’exclusion de la région de langue allemande.
  • [360]
    Puisque, en région bilingue de Bruxelles-Capitale, elle coexiste notamment dans ce domaine de compétences avec la Communauté flamande et la COCOM. En outre, s’agissant de cette même région linguistique, elle a, en vertu de l’actuel article 138 de la Constitution, transféré l’exercice d’un certain nombre de ses compétences à la COCOF.
  • [361]
    Puisque, s’agissant de la région de langue française, la Communauté française a, en vertu de l’actuel article 138 de la Constitution, transféré l’exercice d’un certain nombre de ses compétences à la Région wallonne.
  • [362]
    L’article 3 (introduit le 24 décembre 1970 en tant qu’article 107quater, alinéa 1er) pose : « La Belgique comprend trois Régions : la Région wallonne, la Région flamande et la Région bruxelloise ».
  • [363]
    L. Dalbert, C. Istasse, « “Ostbelgien” : nom usuel de la Communauté germanophone et marque régionale », CH, n° 2499, 2021.
  • [364]
    N. Brunet, « Le nouveau statut de la cité brésilienne », Vertigo. La revue électronique en sciences de l’environnement, volume 3, n° 2, 2002, https://journals.openedition.org.
  • [365]
    Cf. D. Torrecillas Ramos, « [Autonomie régionale, autonomie locale et Constitution.] Brésil », Annuaire international de justice constitutionnelle, n° 22, 2006, p. 145-149.
  • [366]
    Il est à noter que, si l’ensemble de la composante terrestre du territoire national belge est fédéralisé, c’est-à-dire divisé entre différentes entités fédérées, il n’en va pas de même pour les composantes maritime et aérienne de ce territoire. Ainsi, la mer territoriale belge (qui s’étend sur une distance de 12 miles marins – soit 22,224 kilomètres – à partir de la ligne moyenne des marées basses) dépend directement et exclusivement de l’Autorité fédérale.
  • [367]
    En son article 5, § 2, la Constitution belge prévoit la possibilité de « faire relever [certains territoires déterminés par la loi] directement du pouvoir exécutif fédéral et les soumettre à un statut propre ». À ce jour, cette possibilité n’a jamais été mise en œuvre, bien que cela ait été envisagé à plusieurs reprises (notamment pour régler les difficultés politiques propres aux Fourons).
  • [368]
    Le ressort territorial de chacune des quatre régions linguistiques (région de langue française, région de langue néerlandaise, région bilingue de Bruxelles-Capitale et région de langue allemande) n’est pas précisé dans la Constitution, dont l’article 4 se contente de renvoyer à une loi spéciale. Il s’agit en l’occurrence des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966 (Moniteur belge, 2 août 1966).
  • [369]
    Moniteur belge, 14 janvier 1989.
  • [370]
    Les communes à statut linguistique spécial, dénommées « communes à facilités » dans le langage courant, sont des communes dans lesquelles est possible l’usage officiel d’une autre langue que celle de la région linguistique à laquelle la commune appartient. Elles sont au nombre de 27 : 12 communes de langue néerlandaise avec facilités pour les francophones, situées dans la périphérie bruxelloise ou sur la frontière linguistique ; 4 communes de langue française avec facilités pour les néerlandophones, situées le long de la frontière linguistique ; 2 communes de langue française avec facilités pour les germanophones ; les 9 communes de langue allemande, avec facilités pour les francophones. Sur ces communes, cf. Chapitre 4.
  • [371]
    Pour leur part, les trois Territoires sont bilingues anglais-français (une ou plusieurs langues autochtones étant parfois également reconnues, tel l’inuit).
  • [372]
    Les langues officielles de la Confédération suisse (qui est en réalité un État fédéral) sont l’allemand, le français et l’italien. Le romanche est aussi langue officielle pour les rapports que la Confédération entretient avec les personnes de langue romanche.
  • [373]
    Cette expression fait référence à la façon différente qu’auraient les Alémaniques et les Romands de préparer une spécialité culinaire suisse à base de pommes de terre, les rösti, initialement présente dans la seule région alémanique.
  • [374]
    Sources : Registre national et Stabel, données de population au 1er janvier 2021.
  • [375]
    Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA), « Chiffres-clés de la Région bruxelloise », s.d.
  • [376]
    Moniteur belge, 17 janvier 1989.
  • [377]
    Moniteur belge, 31 janvier 2014.
  • [378]
    Il en va ainsi lorsqu’il est question d’attribution de moyens en fonction des recettes de TVA (article 38). Une clé semblable s’applique, à l’ensemble de la population et sans condition d’âge, en ce qui concerne le produit de l’impôt des personnes physiques (articles 44 et 47/2), le produit de la redevance radio et télévision (article 47/3) et la dotation concernant le financement des infrastructures hospitalières et des services médico-techniques (article 47/9). Il est à noter que la répartition des moyens alloués par l’Autorité fédérale à la COCOF et la VGC obéit également à une clé 80-20 (article 65bis).
  • [379]
    Conseil d’État, Avis n° 31.644/VR, 14 mai 2001 (reproduit dans Sénat, Projet de loi spéciale portant transfert de diverses compétences aux Régions et aux Communautés. Avis du Conseil d’État, n° 709/6, 17 mai 2001). Cf. J.-P. Nassaux, « Le groupe de travail sur le fonctionnement des institutions bruxelloises. Deuxième phase et accord dit du Lombard », CH, n° 1716-1717, 2001, p. 44.
  • [380]
    B. Biard, P. Blaise, J. Faniel, C. Istasse, C. Sägesser, « Les résultats des élections régionales et communautaires du 26 mai 2019 », CH, n° 2414-2415, 2019, p. 51.
  • [381]
    Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA), « Population scolaire », s.d. Soulignons toutefois que tous les élèves scolarisés en région bruxelloise n’y sont pas nécessairement domiciliés (et vice versa).
  • [382]
    Sur l’application de cet objectif depuis l’apparition de la norme dans l’accord de gouvernement flamand de 1999, cf. R. De Blander, R. Janssens, D. Kavadias, « Financieringsnota Brussel », BRIO Working paper, Brussels Informatie-, Documentatie- en Onderzoekscentrum, n° 5, 2019, www.briobrussel.be.
  • [383]
    Cf. notamment la compilation réalisée par le Centre d’études Jacques Georgin (lié au parti francophone Défi, précédemment FDF), « La réalité francophone de Bruxelles », Les focus du Centre d’études Jacques Georgin, n° 6, 2011, www.cejg.be.
  • [384]
    « “Les Flamands de Bruxelles sont d’abord des Bruxellois” : qui sont les néerlandophones de la capitale ? », BX1, 7 octobre 2021, www.bx1.be.
  • [385]
    R. Janssens, Meertaligheid als opdracht. Een analyse van de Brusselse taalsituatie op basis van taalbarometer 4, Bruxelles, VUB Press, 2018.
  • [386]
    Cf. H. Dumont, S. van Drooghenbroeck, « L’interdiction des sous-nationalités à Bruxelles », Administration publique, n° 3, 2011, p. 201-226.
  • [387]
    Éventuellement transformée en Région dans cette hypothèse.
  • [388]
    La région d’Unterwald réunit dès l’origine deux entités distinctes, Nidwald et Obwald (« en dessous » et « au-dessus de la forêt »), qui ont dû accepter le partage d’une seule voix aux diètes fédérales jusqu’en 1798 ; le Canton d’Appenzell s’est scindé en 1597 pour des motifs religieux, entre Appenzell Rhodes-Intérieures (catholique) et Appenzell Rhodes-Extérieures (protestant) ; le Canton de Bâle s’est divisé en 1833, en raison de l’incompatibilité des intérêts entre les ruraux et les citadins, entre Bâle-Campagne et Bâle-Ville.
  • [389]
    De 1815 à 1830, Bruxelles avait été, avec La Haye, l’une des deux capitales du Royaume-Uni des Pays-Bas.
  • [390]
    Article 126 de la Constitution du 7 février 1831 : « La ville de Bruxelles est la capitale de la Belgique et le siège du gouvernement ». Cet article est devenu l’article 194 dans la version du 17 février 1994 et la précision « fédéral » a été ajoutée à la fin.
  • [391]
    Cf. S. Rillaerts, « La frontière linguistique, 1878-1963 », CH, n° 2069-2070, 2010.
  • [392]
    Ibidem.
  • [393]
    La loi du 26 juillet 1971 énumérait cinq agglomérations à créer : Anvers, Bruxelles, Charleroi, Gand et Liège. Seule l’Agglomération de Bruxelles a été mise sur pied.
  • [394]
    Composées de membres élus par le groupe linguistique correspondant au Conseil d’Agglomération (lui-même élu par la population bruxelloise le 21 novembre 1971), les commissions, séparément ou réunies, exercent des compétences de pouvoir organisateur en matière de culture et d’enseignement.
  • [395]
    Renommés depuis lors centres publics d’action sociale.
  • [396]
    Il est à noter qu’il n’y a donc pas de gouverneur de province en région bruxelloise. Quant à lui, le poste de gouverneur, représentant l’Autorité fédérale dans l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, a été supprimé lors de la sixième réforme de l’État. Il y a en revanche un vice-gouverneur : nommé et révoqué par le gouvernement régional bruxellois sur avis conforme du gouvernement fédéral, ce fonctionnaire est chargé en particulier de veiller à l’application des lois et règlements relatifs à l’emploi des langues en matière administrative et en matière d’enseignement dans les 19 communes de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale.
  • [397]
    C’est ainsi que, lors de la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, les initiatives visant à coordonner à l’échelle nationale les mesures prises au titre des compétences provinciales ont réuni non seulement les dix gouverneurs de province mais également le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale.
  • [398]
    Et dont certains s’appliquaient déjà pour le Conseil et le collège d’Agglomération.
  • [399]
    M. Reuchamps, « La parité linguistique au sein des “gouvernements” bruxellois », Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège, n° 2, 2008, p. 181-199.
  • [400]
    Cf. l’article 35 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
  • [401]
    La recherche d’une majorité parlementaire dans le groupe néerlandais de la Chambre n’en a pas moins sous-tendu de facto une large partie du processus de formation du gouvernement fédéral actuel (cf. C. Sägesser, « La formation du gouvernement De Croo (mai 2019 - octobre 2020) », CH, n° 2471-2472, 2020). C’est cependant surtout avec la mise sur pied du gouvernement Michel I (N-VA/MR/CD&V/ Open VLD, 11 octobre 2014 - 9 décembre 2018) que l’absence constitutionnelle de condition de double majorité pour former un gouvernement fédéral a été mise en avant, le MR, seul parti francophone de la coalition, détenant seulement 20 sièges sur les 63 composant alors le groupe linguistique français de la Chambre des représentants.
  • [402]
    En pratique, le nombre de députés du groupe linguistique français a varié entre 64 et 65 et le nombre de députés du groupe linguistique néerlandais entre 10 et 11 entre le premier scrutin, tenu au suffrage universel direct le 18 juin 1989, et la fin de la législature (de cinq ans) ouverte par le scrutin du 13 juin 1999.
  • [403]
    Cf. J.-P. Nassaux, « Le groupe de travail sur le fonctionnement des institutions bruxelloises. Deuxième phase et accord dit du Lombard », op. cit. ; B. Bayenet, M. Gassner, É. Lentzen, F. Thys-Clément, « Les conséquences électorales de l’accord du Lombard sur les institutions communautaires et régionales belges », Les Cahiers du CEVIPOL, Centre d’étude de la vie politique, n° 1, 2002 ; B. Biard, « La lutte contre l’extrême droite en Belgique. I. Moyens légaux et cordon sanitaire politique », CH, n° 2522-2523, 2021, p. 30-35.
  • [404]
    Cf. C. Sägesser, « Le vote en faveur des partis néerlandophones à Bruxelles », Les @nalyses du CRISP en ligne, 24 septembre 2019.
  • [405]
    Les deux langues officielles de la Région de Bruxelles-Capitale sont en effet le français et le néerlandais. Toutefois, on l’a mentionné, la vitalité de l’immigration, définitive ou temporaire en raison de la présence de nombreuses institutions européennes ou internationales dans la région centrale, y a favorisé l’usage de beaucoup d’autres langues.
  • [406]
    Cf. les articles 45 et 46 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises. Cf. également Q. Peiffer, « Les spécificités institutionnelles de la région bruxelloise », CH, n° 2510, 2021, p. 32-42.
  • [407]
    Cf. les articles 28, 4° et 72 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises. Les articles 28, 3° et 72 prévoient les mêmes règles pour la modification du règlement commun au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et à l’Assemblée réunie de la COCOM.
  • [408]
    Cf. les articles 31 et 54 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
  • [409]
    L’article 9 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises est ainsi libellé : « Les juridictions ne peuvent contrôler les ordonnances qu’en ce qui concerne leur conformité à la présente loi et à la Constitution, à l’exception des articles de la Constitution visés par l’article 142, alinéa 2, 2° et 3° de celle-ci et des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’État, des Communautés et des Régions. En cas de non-conformité, elles refusent l’application de l’ordonnance ».
  • [410]
    Cf. le site Internet www.beliris.be.
  • [411]
    Ou, plus rarement, les villes (pour les pays qui ont plusieurs capitales : la Malaisie et l’Afrique du Sud).
  • [412]
    Pour sa part, la ville de Mogadiscio en Somalie a un statut tout à fait particulier : celui d’une ville ne faisant partie du territoire d’aucune entité fédérée sans être pour autant un district ou un Territoire. Quant à la ville de Bagdad, elle est située dans la partie de l’Irak pour laquelle le pays n’est pas un État fédéral.
  • [413]
    On notera que la ville de Bruxelles constitue, avec les 18 autres communes bruxelloises, une seule agglomération urbaine.
  • [414]
    H. Dumont, « Le fédéralisme multinational belge se prête-t-il à une mutation confédérale ? Les onze leçons d’un fédéralisme immature », in M. Seymour, G. Laforest (dir.), Le fédéralisme multinational. Un modèle viable ?, Bruxelles et al., P.I.E. Peter Lang, 2011, p. 188.
  • [415]
    Mission conduite par Édouard Poullet (PSC) durant la première législature régionale (1989-1995) et évoquée dans Le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale - 20 ans, numéro spécial des Échos du Parlement bruxellois, 2009, www.parlement.brussels. À propos de l’applicabilité du modèle bruxellois à la ville de Jérusalem, cf. A. Detant, Brussels-Jerusalem. Conflict Management and Conflict Resolution in Divided Cities: A Comparative Research Project, Bruxelles, Centre for Interdisciplinary Study of Brussels, 1997.
  • [416]
    En matière de prestations familiales (allocations familiales, allocations de naissance et primes d’adoption), par exemple, la Communauté française n’étant compétente que sur le territoire de la région de langue française, le transfert ne s’est fait que vers la Région wallonne ; dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, cette compétence relève de la COCOM et n’a dès lors pas été transférée à la COCOF.
  • [417]
    Pour un aperçu plus complet, cf. P. Blaise, J. Faniel, C. Sägesser, Introduction à la Belgique fédérale, Bruxelles, CRISP, 2022, p. 75-96.
  • [418]
    Et d’organisations internationales telles que l’Union européenne (UE) ou l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), par exemple. Mais ce processus n’est pas propre à la Belgique et n’est pas en lien direct avec l’évolution fédérale du pays, raisons pour lesquelles il ne fait pas l’objet de développements dans la présente étude.
  • [419]
    Aux États-Unis, les gouverneurs dirigent également des unités militaires.
  • [420]
    Deux autres exceptions concernent les conditions minimales de délivrance des diplômes et le régime de pension des enseignants.
  • [421]
    Loi du 23 mars 2019 modifiant la loi du 29 juin 1983 concernant l’obligation scolaire afin d’instaurer l’obligation scolaire à partir de l’âge de cinq ans (Moniteur belge, 2 mai 2019).
  • [422]
    Moniteur belge, 15 août 1980.
  • [423]
    Article 72, § 2 de la Loi fondamentale allemande.
  • [424]
    La communauté métropolitaine est instituée par la loi spéciale du 19 juillet 2012 complétant l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, en ce qui concerne la communauté métropolitaine de Bruxelles (Moniteur belge, 22 août 2012) afin d’organiser la concertation dans des matières telles que la mobilité, la sécurité routière et les travaux routiers de, vers et autour de la région bruxelloise entre l’Autorité fédérale, les trois Régions, les provinces de Brabant wallon et flamand et les communes de la zone. Elle n’a pas été mise sur pied à ce jour.
  • [425]
    La liste complète figure dans l’arrêté royal du 30 octobre 1996 désignant les établissements scientifiques et culturels fédéraux (Moniteur belge, 7 décembre 1996), modifié par les arrêtés royaux du 19 avril 1999 (Moniteur belge, 8 mai 1999) et du 9 avril 2007 (Moniteur belge, 20 avril 2007).
  • [426]
    Jusqu’en 1971, la RTB et la BRT dépendent de l’État central ; à la suite de la première réforme de l’État, elles passent sous l’autorité respectivement de la Communauté culturelle française et de la Communauté culturelle néerlandaise. Un siège régional est ouvert à Eupen en 1975 pour les émissions en allemand, ce qui marque la création de la BRF, officialisée en 1977. Cf. P. Caufriez, Histoire de la radio francophone en Belgique, Bruxelles, CRISP, 2015, p. 193-195 et 225-227.
  • [427]
    Article 31 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises. Ici également, la motion déclenchant la procédure doit être signée par au moins trois quarts des membres d’un groupe linguistique, ce qui renvoie le texte examiné au Conseil des ministres (bruxellois, en l’occurrence), où prévaut la parité linguistique.
  • [428]
    Ce mécanisme a été instauré par la loi du 3 juillet 1971 relative à la répartition des membres des Chambres législatives en groupes linguistiques et portant diverses dispositions relatives aux Conseils culturels pour la Communauté culturelle française et pour la Communauté culturelle néerlandaise (Moniteur belge, 6 juillet 1971). Cf. V. de Coorebyter, Le Pacte culturel, Bruxelles, CRISP (Dossier, n° 60), 2003 ; M. El Berhoumi, J. Pitseys, « L’obstruction parlementaire en Belgique », CH, n° 2289-2290, 2016, p. 44.
  • [429]
    Sur l’origine du système et ses premières applications, cf. H. Dumont, Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge, tome 2 : De 1970 à 1993, Bruxelles, Bruylant / Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1996, p. 43-60.
  • [430]
    M. El Berhoumi, J. Pitseys, « L’obstruction parlementaire en Belgique », op. cit., p. 44.
  • [431]
    Ce mécanisme a été instauré par la loi du 10 juillet 1973 relative au Conseil de la Communauté culturelle allemande (Moniteur belge, 14 juillet 1973) et est réglé aujourd’hui par la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 18 janvier 1984).
  • [432]
    Moniteur belge, 15 novembre 1996.
  • [433]
    Cf. Q. Peiffer, « L’autonomie constitutive des entités fédérées », CH, n° 2350-2351, 2017. Les Commissions communautaires ne disposent pas de l’autonomie constitutive (ibidem, p. 31).
  • [434]
    Articles 118, § 2 et 123, § 2 de la Constitution.
  • [435]
    Article 28, alinéa 5 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
  • [436]
    Cf. l’article 137 de la Constitution (introduit le 17 juillet 1980 en tant qu’article 59bis, § 1er, alinéas 2 et 3) et l’article 1er, § 1er, alinéa 2 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [437]
    Cependant, il est à noter que l’État indien d’Andhra Pradesh s’est scindé en deux États distincts en 2014. La ville d’Hyderabad, située dans le nouvel État du Telangana, est devenue la capitale de ce dernier, mais est restée à titre transitoire celle de l’État d’Andhra Pradesh redimensionné. Ne pouvant excéder une décennie, cette situation connaît une transition entamée en 2017. Dans le même pays, en 1966, l’État de l’Haryana a été détaché du Pendjab. Située à la frontière des deux États, la ville de Chandigarh est devenue leur capitale commune.
  • [438]
    Cf. aussi l’article 1er, § 4 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [439]
    Pareille possibilité ne pourrait plus être mise en œuvre aujourd’hui puisque le § 4 de l’article 1er de la loi spéciale du 8 août 1980 a été abrogée en 1993 ; toutefois, elle reste prévue dans l’article 137 de la Constitution. Cf. C. Behrendt, S. Vandenbosch, « Le réaménagement de la répartition des compétences dans le fédéralisme asymétrique belge », Civitas Europa, n° 38, 2017, p. 250.
  • [440]
    Introduit le 1er juin 1983 en tant qu’article 59ter, § 3, alinéas 1er et 2.
  • [441]
    Cf. les décrets wallons des 23 décembre 1993, 6 mai 1999, 27 mai 2004, 27 mars 2014 et 2 et 6 mai 2019 (Moniteur belge, 12 février 1994, 3 juillet 1999, 16 juin 2004, 10 avril 2014 et 23 juillet 2019) et les décrets de la Communauté germanophone des 17 janvier 1994, 10 mai 1999, 1er juin 2004, 31 mars 2014 et 29 avril 2019 (Moniteur belge, 16 mars 1994, 29 septembre 1999, 19 octobre 2004, 25 avril 2014 et 12 juin 2019). Il est à noter que, dans deux cas, il s’est agi pour la Communauté germanophone de recouvrer l’exercice d’une compétence qu’elle avait précédemment perdue pour cause de régionalisation : d’une part, la compétence des monuments et sites, qui avait été communautarisée en 1980 (1983 s’agissant de la Communauté germanophone) puis régionalisée en 1988 et dont elle récupère l’exercice en 1994 à la suite de l’accord conclu avec la Région wallonne ; d’autre part, la compétence du tourisme, qui avait été communautarisée en 1971 (1973 s’agissant de la Communauté culturelle allemande) puis régionalisée en 2014 et dont elle conserve l’exercice sans interruption à la suite de l’accord conclu avec la Région wallonne. Cf. F. Bouhon, C. Niessen, M. Reuchamps, « La Communauté germanophone après la sixième réforme de l’État : état des lieux, débats et perspectives », CH, n° 2266-2267, 2015, p. 18-19 et 39-45.
  • [442]
    Cf. Parlement de la Communauté germanophone, Grundsatzerklärung des Parlaments zur Positionierung der Deutschsprachigen Gemeinschaft im Prozess der Staatsreform, n° 83, 27 juin 2011 ; Parlement de la Communauté germanophone, Resolution an die Föderalregierung, an das föderale Parlament, an die Wallonische Regierung, an das Wallonische Parlament und an die Regierung der Deutschsprachigen Gemeinschaft zur Autonomieentwicklung der Deutschsprachigen Gemeinschaft in der belgischen Staatsstruktur, n° 297, 6 mai 2019.
  • [443]
    Cet accord a été conclu le 28 septembre 1992 entre les partis de la majorité gouvernementale (gouvernement Dehaene I, 7 mars 1992 - 22 mai 1995), soit le CVP, le PS, le SP et le PSC.
  • [444]
    Introduit le 5 mai 1993 en tant qu’article 59quinquies, § 1er, alinéas 1er à 3.
  • [445]
    L’accord dit de la Saint-Quentin a été conclu le 31 octobre 1992 entre le PS, le PSC et Écolo, tandis que l’accord dit de la Sainte-Émilie a été conclu le 19 septembre 2013 entre le PS, le MR, Écolo et le CDH afin de régler le sort des nouvelles compétences devant échoir à la Communauté française à la suite de la sixième réforme institutionnelle.
  • [446]
    Cf. les décrets de la Communauté française des 5 et 19 juillet 1993, 23 décembre 1999 et 3 avril 2014 (Moniteur belge, 10 septembre 1993, 20 janvier 2000 et 25 juin 2014), les décrets wallons des 7 et 22 juillet 1993, 16 décembre 1999 et 11 avril 2014 (Moniteur belge, 10 septembre 1993, 30 décembre 1999 et 12 mai 2014) et les décrets de la Commission communautaire française des 8 et 22 juillet 1993, 15 décembre 1999 et 4 avril 2014 (Moniteur belge, 10 septembre 1993, 21 juillet 2000 (et 3 mai 2004) et 25 juin 2014).
  • [447]
    Depuis la sixième réforme de l’État, le tourisme n’est plus une compétence communautaire mais une compétence régionale. Cette matière n’est donc plus concernée par le transfert d’exercice de compétence de la Communauté française vers la Région wallonne (qui possède désormais cette compétence en propre) et la COCOF (qui n’exerce plus cette compétence, celle-ci appartenant dorénavant en région bruxelloise à la Région de Bruxelles-Capitale et non plus aux deux Communautés).
  • [448]
    Article 50, alinéa 2 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [449]
    À ce sujet, cf. notamment R. Born, « Bilan de l’exercice des compétences transférées par la Communauté française », CH, n° 1783-1784, 2002, p. 24-29.
  • [450]
    Cf. le décret wallon du 3 décembre 2020 portant confirmation des arrêtés du gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19 (Moniteur belge, 14 décembre 2020) et le décret wallon du même jour portant confirmation des arrêtés du gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19 pour les matières visées à l’article 138 de la Constitution (ibidem), ainsi que le décret wallon du 14 mai 2021 portant confirmation des arrêtés du gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire lors de la deuxième vague du Covid-19 (Moniteur belge, 27 mai 2021) et le décret wallon du même jour portant confirmation des arrêtés du gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire lors de la deuxième vague du Covid-19 pour les matières visées à l’article 138 de la Constitution (ibidem).
  • [451]
    En Bosnie-Herzégovine, la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (Federacija Bosne i Hercegovine) et la République serbe (Republika Srpska) sont en principe toutes deux compétentes dans le district de Brčko (érigé en 1999), puisque celui-ci relève officiellement de ces deux Entités. Toutefois, il n’est régi par aucune d’elles. Ce territoire a un statut neutre et autonome, et fonctionne sous un système décentralisé de gouvernement local et un superviseur international mandaté par l’ONU.
  • [452]
    Depuis la sixième réforme de l’État, la Région de Bruxelles-Capitale peut légiférer dans quelques matières culturelles strictement délimitées et en lien étroit avec les politiques régionales bruxelloises (infrastructures sportives communales, programmes de formation professionnelle spécifiques et matières biculturelles d’intérêt régional) : cf. l’article 4bis de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
  • [453]
    Il est à noter que, en outre, la Communauté française exerce certaines compétences à l’égard de quelques institutions situées dans des communes flamandes à statut linguistique spécial de la périphérie bruxelloise ; il s’agit notamment de l’inspection pédagogique de huit établissements scolaires et de l’agrément et l’octroi de subvention à quelques établissements accueillant des jeunes. Cf. l’article 92, § 1er de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [454]
    S’agissant de la Région de Bruxelles-Capitale, quelques-unes des compétences régionales font l’objet d’une forme de tutelle potentielle de la part de l’Autorité fédérale.
  • [455]
    Il est à noter que, à la suite de l’accord infra-francophone de la Sainte-Émilie (cf. supra), la COCOM exerce l’essentiel des compétences communautaires de santé et d’aide aux personnes en région bilingue de Bruxelles-Capitale, en ce compris celles concernant des institutions jusqu’alors considérées comme francophones et qui de ce fait relevaient jusqu’alors de la COCOF.
  • [456]
    Lors de l’installation du Parlement wallon consécutive à une élection régionale, les candidats domiciliés dans une commune située dans la région de langue allemande ont la faculté de prêter serment en allemand. S’ils le font, d’abord ou exclusivement, dans cette langue, ils sont remplacés par leur suppléant au Parlement de la Communauté française.
  • [457]
    Les listes des membres désignés pour faire partie du Parlement de la Communauté française doivent être signées par la majorité des membres élus sur la même liste. Les personnes concernées sont ensuite déclarées élues par le président du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale (ou, si le président n’appartient pas au groupe linguistique français, par le premier vice-président).
  • [458]
    Ou son approximation. Cf. supra pour l’explication concernant la répartition linguistique de la population vivant dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
  • [459]
    Il n’est donc pas possible d’être membre des gouvernements wallon et de la Communauté germanophone.
  • [460]
    Cf. J. Faniel, C. Istasse, « Les démissions ministérielles dans les entités fédérées (1981-2017) », CH, n° 2330-2331-2332, 2017.
  • [461]
    Cf., par exemple, V. Demertzis, J. Faniel, S. Govaert, C. Istasse, « La formation des gouvernements après les scrutins du 25 mai 2014 », CH, n° 2275-2276, 2015, p. 9-16 ; B. Biard, P. Blaise, J. Faniel, S. Govaert, C. Istasse, « La formation des gouvernements régionaux et communautaires après les élections du 26 mai 2019 », CH, n° 2444-2445, 2019, p. 13-39.
  • [462]
    Cf. Q. Peiffer, « L’autonomie constitutive des entités fédérées », op. cit.
  • [463]
    La loi spéciale prévue par la disposition transitoire figurant à l’article 118 de la Constitution n’a en effet pas été adoptée à ce jour.
  • [464]
    Conseil d’État, Avis n° 69.200/VR et 69.201/VR, 22 juin 2021.
  • [465]
    M. Uyttendaele, Trente leçons de droit constitutionnel, Limal, Anthemis, 2020, p. 853.
  • [466]
    Cf. F. Bouhon, C. Niessen, M. Reuchamps, « La Communauté germanophone après la sixième réforme de l’État : état des lieux, débats et perspectives », op. cit., p. 28-29.
  • [467]
    La législature du Land de Brême dure quatre ans.
  • [468]
    Q. Peiffer, « L’autonomie constitutive des entités fédérées », op. cit., p. 13.
  • [469]
    Loi spéciale du 13 juillet 2001 portant transfert de diverses compétences aux Régions et Communautés (Moniteur belge, 3 août 2001).
  • [470]
    Décret wallon du 27 mai 2004 et décret germanophone du 1er juin 2004 relatifs à l’exercice, par la Communauté germanophone, de certaines compétences de la Région wallonne en matière de pouvoirs subordonnés (Moniteur belge, 16 juin 2004 et 19 octobre 2004).
  • [471]
    Il est à noter que, dans le cadre de la mise en œuvre de la scission de l’ancienne province de Brabant, la fonction de gouverneur adjoint a été créée dans la province de Brabant flamand au 1er janvier 1995. Cet assistant du gouverneur est chargé de veiller à l’application des lois et règlements sur l’emploi des langues en matière administrative et en matière d’enseignement dans les six communes flamandes à facilités de la périphérie bruxelloise : Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem.
  • [472]
    Cf. C. Behrendt, Étude sur les activités des provinces wallonnes, Namur, Association des provinces wallonnes (APW), 2012 ; C. Behrendt, F. Bouhon, Q. Pironnet, L. Feron, Z. Vrolix, Étude sur les hypothèses d’avenir des provinces wallonnes. Rapport définitif, Namur, Association des provinces wallonnes (APW), 2018.
  • [473]
    Par un décret adopté à la majorité des deux tiers de leur parlement.
  • [474]
    Cf. M. Collinge, La commune, Bruxelles, CRISP (Dossier, n° 65), 2006.
  • [475]
    Décret flamand du 24 juin 2016 relatif aux règles pour la fusion volontaire de communes et modifiant le décret du 5 juillet 2002 réglant la dotation et la répartition du Fonds flamand des communes, du décret communal du 15 juillet 2005, du décret provincial du 9 décembre 2005 et du décret sur les élections locales et provinciales du 8 juillet 2011 (Moniteur belge, 19 août 2016), désormais abrogé et remplacé par le titre VIII du décret flamand du 22 décembre 2017 sur l’administration locale (Moniteur belge, 15 février 2018).
  • [476]
    Décret wallon du 2 mai 2019 modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue d’établir le cadre de la fusion volontaire de communes (Moniteur belge, 17 septembre 2019).
  • [477]
    Cf. J.-P. Nassaux, « Le retour du débat institutionnel bruxellois (2016-2018) », CH, n° 2374, 2018.
  • [478]
    X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, Bruxelles, CRISP, 2011, p. 112.
  • [479]
    Cf. ibidem, p. 341-343.
  • [480]
    Dans certains cas (tourisme, transport, etc.), l’anglais est également utilisé dans le pays – y compris par certains services publics –, et ce en particulier en région bruxelloise. Cependant, dans cette région linguistique pas plus que dans les autres, l’anglais n’a de statut officiel.
  • [481]
    J. Leclerc, « Fédération, confédération et États fédérés », Aménagement linguistique dans le monde, Université Laval (ULaval), Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN), 2020, https://axl.cefan.ulaval.ca.
  • [482]
    Signalons aussi que, au Nigeria, la Constitution prévoit la possibilité de reconnaître trois langues officielles en sus de l’anglais : le hausa, l’ibo et le yoruba. Toutefois, cette disposition n’a pas été activée à ce jour.
  • [483]
    De même, des pays tels que l’Argentine, l’Australie, la Bosnie-Herzégovine, les États-Unis et le Mexique ne précisent pas dans leur Constitution quelle est ou quelles sont leurs langues officielles.
  • [484]
    En outre, depuis 1970, l’article 4 (initialement 3bis) de la Constitution découpe ainsi le territoire national : « La Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande ».
  • [485]
    En tant qu’article 23.
  • [486]
    « Les langues officielles de la République sont le sépédi, le sésotho, le tswana, le swati, le venda, le tsonga, l’afrikaans, l’anglais, le ndébélé, le xhosa et le zoulou » (article 6).
  • [487]
    « Les langues officielles sont le shikomor, langue nationale, le français et l’arabe » (article 9 de la Constitution de 2018, auparavant article 1er, alinéa 5).
  • [488]
    « La langue officielle de l’Union est l’hindi écrit en devanagari. (…) Nonobstant toute disposition du § 1er, pendant une période de quinze ans, à compter de la date de promulgation de la présente Constitution, l’anglais continuera d’être utilisé aux fins officielles de l’Union pour lesquelles il était déjà utilisé immédiatement avant la promulgation (…) » (article 343 de la Constitution de 1949). En 1963, la loi n° 19 sur les langues officielles a prolongé la possibilité d’employer l’anglais. Toutefois, le gouvernement est légalement tenu de promouvoir l’hindi (ainsi que, par ailleurs, d’œuvrer au développement des 21 autres langues reconnues par l’annexe 8 de la Constitution).
  • [489]
    « La langue nationale du Pakistan est l’ourdou, et des dispositions doivent être prises pour qu’elle soit utilisée à des fins officielles et autres dans un délai de quinze ans à dater de ce jour. Sans réserve du § 1er, la langue anglaise peut être utilisée à des fins officielles jusqu’à ce que des dispositions soient prises pour son remplacement par l’ourdou (…) » (article 251 de la Constitution de 1973). La situation est identique à celle prévalant en Inde : l’anglais est censé n’être une langue officielle qu’à titre provisoire mais la phase de transition, bien que sa durée initialement prévue soit désormais largement dépassée, est toujours en cours.
  • [490]
    « Les langues officielles de la Confédération sont l’allemand, le français et l’italien. Le romanche est aussi langue officielle pour les rapports que la Confédération entretient avec les personnes de langue romanche » (article 70).
  • [491]
    Sénat, Règlement du Sénat de Belgique, 2021, article 15.
  • [492]
    En outre, de même que l’allemand en Belgique, le romanche n’a été reconnu comme langue nationale que plus tardivement que les autres (à savoir le 13 février 1938, et non dès la fondation du pays).
  • [493]
    J. Leclerc, « Comores », Aménagement linguistique dans le monde, op. cit.
  • [494]
    Précédemment, une version néerlandaise (également non officielle) de la législation paraissait dans le Bulletin officiel (1830-1845) puis dans le Recueil des lois et arrêtés royaux de la Belgique (1845-1888). Cf. H. van Gerwen, « Tous les citoyens sont censés connaître la loi ». Étude des pratiques de traduction et de transfert dans le domaine juridique belge (1830-1914), thèse de doctorat en traductologie, KULeuven, 2019.
  • [495]
    « Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur » (article 18, alinéa 1er).
  • [496]
    Article 240.
  • [497]
    Loi du 31 mai 1961 relative à l’emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l’entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires (Moniteur belge, 21 juin 1961).
  • [498]
    Loi du 21 avril 2007 réglant la publication en langue allemande des lois et arrêtés royaux et ministériels d’origine fédérale et modifiant la loi du 31 mai 1961 relative à l’emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l’entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires, les lois sur l’emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, ainsi que la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 13 juin 2007).
  • [499]
    Et ce en dépit, notamment, de l’arrêt n° 59/94 de la Cour d’arbitrage du 14 juillet 1994, qui dispose qu’il existe « une obligation effective d’établir dans un délai raisonnable une traduction en langue allemande de tous les textes légaux et réglementaires émanant de l’Autorité fédérale », à savoir, d’une part, que tous les textes antérieurs au 1er janvier 1989 « doivent être traduits progressivement en fonction de l’importance qu’ils présentent pour les habitants de la région de langue allemande » et, d’autre part, que ceux postérieurs à cette date doivent faire l’objet d’une traduction « systématique » dès leur publication au Moniteur belge.
  • [500]
    D’autres articles de la Constitution sont concernés, en particulier quatre des cinq premiers articles. Il s’agit de l’article 2 (« La Belgique comprend trois Communautés : la Communauté française, la Communauté flamande et la Communauté germanophone. / België omvat drie Gemeenschappen: de Vlaamse Gemeenschap, de Franse Gemeenschap en de Duitstalige Gemeenschap. / Belgien umfaßt drei Gemeinschaften: die Deutschsprachige Gemeinschaft, die Flämische Gemeinschaft und die Französische Gemeinschaft. »), de l’article 3 (« La Belgique comprend trois Régions : la Région wallonne, la Région flamande et la Région bruxelloise. / België omvat drie Gewesten: het Vlaamse Gewest, het Waalse Gewest en het Brusselse Gewest. / Belgien umfaßt drei Regionen: die Wallonische Region, die Flämische Region und die Brüsseler Region. »), de l’article 4, alinéa 1er (« La Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande. / België omvat vier taalgebieden: het Nederlandse taalgebied, het Franse taalgebied, het tweetalige gebied Brussel-Hoofdstad en het Duitse taalgebied. / Belgien umfaßt vier Sprachgebiete: das deutsche Sprachgebiet, das französische Sprachgebiet, das niederländische Sprachgebiet und das zweisprachige Gebiet Brüssel-Hauptstadt. ») et de l’article 5, alinéa 1er (« La Région wallonne comprend les provinces suivantes : le Brabant wallon, le Hainaut, Liège, le Luxembourg et Namur. La Région flamande comprend les provinces suivantes : Anvers, le Brabant flamand, la Flandre occidentale, la Flandre orientale et le Limbourg. / Het Vlaamse Gewest omvat de provincies Antwerpen, Limburg, Oost-Vlaanderen, Vlaams-Brabant en West-Vlaanderen. Het Waalse Gewest omvat de provincies Henegouwen, Luik, Luxemburg, Namen en Waals-Brabant. / Die Wallonische Region umfaßt die Provinzen Hennegau, Lüttich, Luxemburg, Namur und Wallonisch-Brabant. Die Flämische Region umfaßt die Provinzen Antwerpen, Flämisch-Brabant, Limburg, Ostflandern und Westflandern. »).
  • [501]
    Le début de l’article 16 de ce texte est ainsi libellé : « Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada. / English and French are the official languages of Canada. »
  • [502]
    Article 36, § 1er et 2 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles (Moniteur belge, 15 août 1980) s’agissant de la Communauté française, de la Communauté flamande, de la Région wallonne et de la Région flamande ; article 69, § 1er de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 18 janvier 1984) s’agissant de cette entité fédérée.
  • [503]
    Toutefois, « dans leurs relations avec les services publics dont le siège est établi dans une commune de la région de langue allemande, les services [du gouvernement] wallon utilisent l’allemand » (article 36, § 1er, alinéa 2 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles).
  • [504]
    Articles 41 et 76 du règlement du Parlement wallon.
  • [505]
    La Région wallonne – dont font partie les neuf communes de la région de langue allemande – publie donc en allemand des traductions officielles, mais non authentiques, de ses décisions.
  • [506]
    Article 70, alinéas 2 à 4.
  • [507]
    « Cependant, ce statut officiel des langues masque complètement la réalité, dans la mesure où le français et l’anglais bénéficient d’un statut dans toutes les Provinces, de façon fort inégale [il est vrai]. Dans la plupart des Provinces (sauf en Colombie-Britannique et à Terre-Neuve), différentes formes de bilinguisme sont devenues obligatoires, notamment dans les domaines de la législation, de la justice, de l’administration publique ou de l’éducation » (J. Leclerc, « Les politiques linguistiques dans les Provinces et Territoires », Aménagement linguistique dans le monde, op. cit.).
  • [508]
    Aujourd’hui encore, chacune des trois langues reste cependant aisément compréhensible par les locuteurs des deux autres, que ce soit à l’oral ou par écrit (sachant que les Bosniens ont l’habitude d’utiliser tant l’alphabet latin – qui est celui du bosniaque et du croate – que l’alphabet cyrillique – qui est celui du serbe).
  • [509]
    Il en va de même du district de Brčko, qui est de facto autonome par rapport aux deux entités fédérées.
  • [510]
    L’afrikaans n’est pas reconnu comme langue officielle dans la Province du Limpopo, l’anglais ne l’est pas dans celles du Cap-Nord, de l’État libre et du Mpumalanga (J. Leclerc, « Afrique du Sud », Aménagement linguistique dans le monde, op. cit.).
  • [511]
    En outre, la plupart des États de l’Inde ont une ou plusieurs langues officielles secondaires (parlées par des minorités), dont l’usage est éventuellement limité à des fins et sur des portions du territoire déterminées.
  • [512]
    Rappelons que, depuis la même date, la région – bilingue – de Bruxelles-Capitale ne relève plus d’aucune province.
  • [513]
    Parlement de la Communauté germanophone, Grundsatzerklärung des Parlaments zur Positionierung der Deutschsprachigen Gemeinschaft im Prozess der Staatsreform, n° 83, 27 juin 2011 ; Parlement de la Communauté germanophone, Resolution an die Föderalregierung, an das föderale Parlament, an die Wallonische Regierung, an das Wallonische Parlament und an die Regierung der Deutschsprachigen Gemeinschaft zur Autonomieentwicklung der Deutschsprachigen Gemeinschaft in der belgischen Staatsstruktur, n° 297, 6 mai 2019.
  • [514]
    Cf. en particulier l’alinéa 1er de l’article 4 de la Constitution (introduit en 1970 sous le numéro 3bis, alinéa 1er).
  • [515]
    Alinéas 2 et 3 de l’article 4 de la Constitution. C’est d’ailleurs ce dernier alinéa qui définit le principe même des lois spéciales, en précisant les conditions requises pour l’adoption et la modification de telles lois ; à ce titre, cette disposition est d’ailleurs citée à plusieurs reprises dans le texte constitutionnel.
  • [516]
    En la matière, on relèvera cette comparaison de la situation belge et du système suisse : « Eu égard à [s]es caractéristiques, la législation linguistique [belge] est très difficile à modifier, car soumise à des majorités spéciales aux Chambres fédérales, dépendante des résultats de négociations et de compromis complexes entre des formations politiques qui sont, à leur tour, scindées en partis linguistiques. En Suisse, en revanche, les principales décisions en matière de politique et de droit linguistiques se prennent au niveau communal, ce qui peut faciliter ou ralentir les réformes, tout en engendrant une plus grande insécurité juridique et de plus grandes différences entre collectivités locales voisines » (B. Altermatt, « La notion de “paix des langues” dans les débats sur la politique linguistique en Suisse », in J. Perrez, M. Reuchamps (dir.), Les relations communautaires en Belgique. Approches politiques et linguistiques, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2012, p. 211).
  • [517]
    Loi du 24 juillet 1961 prescrivant l’exécution en 1961 des recensements généraux de la population, de l’industrie et du commerce (Moniteur belge, 1er août 1961). Cette loi ne prohibait le volet linguistique que pour le recensement de 1961 (cf. S. Rillaerts, « La frontière linguistique, 1878-1963 », CH, n° 2069-2070, 2e édition, 2010, p. 58) ; toutefois, les recensements suivants n’ont pas renoué avec la pratique qui prévalait avant 1961.
  • [518]
    J. Leclerc, « L’État belge. Données démolinguistiques », Aménagement linguistique dans le monde, op. cit.
  • [519]
    Il existe pas moins de 7 régimes différents. Cf. C. Istasse, « Les circulaires flamandes relatives à l’emploi des langues en matière administrative », CH, n° 2286-2287, 2016, p. 15-18.
  • [520]
    Toutes situées le long de la frontière linguistique : Comines-Warneton (Komen-Waasten), Enghien (Edingen), Flobecq (Vloesberg) et Mouscron (Moeskroen).
  • [521]
    Il s’agit des communes dites malmédiennes : Malmedy et Waimes (Weismes).
  • [522]
    À savoir Amblève (Amel), Bullange (Büllingen), Burg-Reuland, Butgenbach (Bütgenbach), La Calamine (Kelmis), Eupen, Lontzen, Raeren et Saint-Vith (Sankt Vith).
  • [523]
    Ces communes se situent pour moitié en périphérie de la région bruxelloise : Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse (Sint-Genesius-Rode), Wemmel et Wezembeek-Oppem. Les 6 autres bordent la Wallonie le long de la frontière linguistique : Biévène (Bever), Espierres-Helchin (Spiere-Helkijn), Fourons (Voeren), Herstappe, Messines (Mesen) et Renaix (Ronse).
  • [524]
    Moniteur belge, 2 août 1966. Cette loi coordonne trois lois : la loi du 28 juin 1932 relative à l’emploi des langues en matière administrative ; la loi du 8 novembre 1962 modifiant les limites de provinces, arrondissements et communes et modifiant la loi du 28 juin 1932 sur l’emploi des langues en matière administrative et la loi du 14 juillet 1932 concernant le régime linguistique de l’enseignement primaire et de l’enseignement moyen ; la loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en matière administrative.
  • [525]
    Service public fédéral Intérieur, « Commission permanente de contrôle linguistique », https://ibz.be. Sur les débuts de cette commission, cf. M.-P. Herremans, « La Commission permanente de contrôle linguistique (CPCL) », CH, n° 374, 1967.
  • [526]
    On en déduira que les membres néerlandophones sont également impliqués dans ces dossiers alors que l’usage du néerlandais n’est en jeu ni dans les neuf communes germanophones, ni dans les deux communes malmédiennes.
  • [527]
    F. Gosselin, « Dernier état de la jurisprudence quant à la légalité de la circulaire Peeters (et consorts) », Journal des tribunaux, 130e année, n° 6433, 9 avril 2010, p. 311.
  • [528]
    Article 6, § 3 de la loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en matière administrative (Moniteur belge, 22 août 1963). À ce propos, cf. M.-P. Herremans, « Le fait bruxellois (II) », CH, n° 226-227, 1964, p. 5.
  • [529]
    Pour rappel, la fonction de gouverneur a été supprimée en région bruxelloise lors de la sixième réforme de l’État.
  • [530]
    Les villes de Bienne et de Fribourg sont toutes deux situées dans des Cantons bilingues allemand-français (respectivement le Canton de Berne et celui de Fribourg).
  • [531]
    Dans certaines villes, seul un arrondissement est concerné.
  • [532]
    Et ce bien que cette ville fasse partie du Canton de Berne, qui est bilingue allemand-français.
  • [533]
    Précisons que la Province de l’Ontario est unilingue anglaise. Cependant, la minorité francophone y dispose de droits tels que celui d’utiliser le français au parlement et les lois y sont écrites tant en français qu’en anglais (ce qui est par ailleurs également le cas dans une autre Province anglophone : le Manitoba).
  • [534]
    Précédemment, une loi de la Province de l’Ontario de 1999 imposait juste à la municipalité d’Ottawa d’adopter « une politique traitant de l’utilisation du français et de l’anglais dans la totalité ou certaines parties de son administration et dans la fourniture de la totalité ou de certains de ses services municipaux ». Conséquemment, la municipalité a adopté une « politique sur le bilinguisme » et un « règlement concernant le bilinguisme » le 9 mai 2001.
  • [535]
    Rappelons que la ville de Bruxelles partage son statut linguistique avec les 18 autres communes de la région bruxelloise.
  • [536]
    Article 129, § 1er et 2 (introduit en 1970 en tant qu’article 59bis, § 3 et § 4, alinéa 2) pour la Communauté française et la Communauté flamande ; article 130, § 1er et 2 (introduit en 1983 en tant qu’article 59ter, § 2) pour la Communauté germanophone.
  • [537]
    Et ce en vertu de l’article 4, alinéa 3 de la Constitution (cf. supra).
  • [538]
    Décret flamand du 15 décembre 2006 portant modification du décret du 15 juillet 1997 contenant le Code flamand du logement (Moniteur belge, 19 février 2007).
  • [539]
    Cf. aussi, quelques années plus tard, le décret dit Wonen in eigen streek (« Habiter dans sa propre région ») – décret flamand du 27 mars 2009 relatif à la politique foncière et immobilière (Moniteur belge, 15 mai 2009) –, qui a imposé aux acheteurs d’une habitation de prouver un lien avec la commune où se trouve le bien, avec pour conséquence de privilégier les candidats acquéreurs flamands sur ceux venant d’autres régions. Cette disposition a été annulée par l’arrêt n° 144/2013 de la Cour constitutionnelle du 7 novembre 2013.
  • [540]
    Cf. S. Rillaerts, « La frontière linguistique, 1878-1963 », op. cit., p. 56-88.
  • [541]
    C. Istasse, « Les circulaires flamandes relatives à l’emploi des langues en matière administrative », op. cit., p. 44-61. toutefois, la solution dégagée par le Conseil d’État ne semble pas avoir définitivement résolu cette question. D’une part, la Cour de cassation a adopté, dans un arrêt du 6 décembre 2018, une interprétation plus large des facilités linguistiques (c’est-à-dire plus favorable aux francophones) que celle dégagée par le Conseil d’État (cf. E. Slautsky, « La Cour de cassation s’écarte du Conseil d’État pour interpréter les conditions d’application des “facilités” dans la périphérie bruxelloise », Justice en ligne, 1er juillet 2019, www.justice-en-ligne.be). D’autre part, même si le Conseil d’État a rappelé encore récemment son interprétation des facilités linguistiques (notamment dans une série d’arrêts rendus le 22 septembre 2021), ce qui « fragilise une nouvelle fois la lecture restrictive faite par le gouvernement flamand des droits des francophones de la périphérie, il n’est pas certain [que cette série d’arrêts] marque le point final de la saga juridictionnelle autour du statut linguistique de ces communes périphériques » ; en effet, outre l’interprétation divergente entre hautes juridictions signalée ci-dessus, « le gouvernement flamand ne semble pas désireux de modifier sa position et de revoir [s]es circulaires (…), [bien] que leur illégalité semble désormais ressortir de la jurisprudence du Conseil d’État postérieure à 2014 » (E. Slautsky, « L’assemblée générale du Conseil d’État confirme sa jurisprudence sur la portée des facilités linguistiques dans la périphérie bruxelloise », Justice en ligne, 8 janvier 2022, www.justice-en-ligne.be).
  • [542]
    C. Istasse, « Les circulaires flamandes relatives à l’emploi des langues en matière administrative », op. cit., p. 44 et 57-61 ; B. Blero, « Les réformes liées à la scission de BHV : la pacification communautaire, la communauté métropolitaine et le refinancement de Bruxelles », CH, n° 2280-2281, 2015, p. 19-29 ; G. Grandjean, Pouvoir politique et audace des juges. Approche européenne et comparée, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 104-106.
  • [543]
    M. Martel, M. Pâquet, « L’enjeu linguistique au Québec. Relations de domination et prise de parole citoyenne depuis les années 1960 », Vingtième siècle. Revue d’histoire, volume 129, n° 1, 2016, p. 87.
  • [544]
    Cf. en particulier B.-S. Chlepner, Cent ans d’histoire sociale en Belgique, Bruxelles, Institut de Sociologie Solvay, 1956 ; J. Neuville, La condition ouvrière au XIXe siècle, 2 tomes, Bruxelles, Vie ouvrière, 1976-1977. Cf. aussi G. Vanthemsche (dir.), Les classes sociales en Belgique : deux siècles d’histoire, Bruxelles, CRISP, 2016.
  • [545]
    Ce qui, par ailleurs, suscite alors, dans le chef de certains militants du Mouvement wallon, la crainte d’un « abâtardissement » de la culture française au sud du pays.
  • [546]
    Cf. D. Luyten, « L’économie et le mouvement flamand », CH, n° 2076, 2010, en particulier p. 20-24.
  • [547]
    Bulletins mensuels de décembre du Fonds provisoire de soutien des chômeurs involontaires (FSC) et de l’Office national du placement et du chômage (ONPC), 1944-1954.
  • [548]
    X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, op. cit., p. 277.
  • [549]
    R. Michel, Les investissements américains en Belgique, Bruxelles, CRISP, 1971.
  • [550]
    X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, op. cit., p. 278.
  • [551]
    Eurostat, « PIB par habitant dans 281 régions de l’UE. Le PIB régional par habitant variait entre 31 % et 626 % de la moyenne de l’UE en 2017 », Communiqué de presse n° 34, 26 février 2019.
  • [552]
    G. Pagano, Finances publiques. La Belgique fédérale dans l’Europe, Charleroi, Université ouverte, 2021, p. 206.
  • [553]
    En 2017, le PIB par habitant était de 38 700 euros en Belgique, soit 28 000 euros en Wallonie, 39 800 euros en Flandre et 65 000 euros en région bruxelloise. La même année, le produit de l’IPP par habitant était de 2 908,8 euros au niveau national, soit 2 526,1 euros en Wallonie, 3 242,2 euros en Flandre et 2 259,1 euros en région bruxelloise.
  • [554]
    Cf. X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, op. cit., p. 326-328. Cf. aussi É. Lentzen, É. Arcq, « Les secteurs nationaux », CH, n° 938, 1981.
  • [555]
    X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, op. cit., p. 328.
  • [556]
    556 Depuis une étude réalisée par des économistes de la KUL en 1979 (P. Van Rompuy, A. Verheirstraeten, T. Peeters, « Regionale herverdelings- en financieringsstromen. Financiële middelenvoorziening voor gemeenschappen en gewesten », Katholieke Universiteit Leuven, Centrum voor Economische Studiën, 1979), les « transferts » financiers de la Flandre vers la Wallonie constituent une préoccupation politique en Flandre.
  • [557]
    X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, op. cit., p. 327-328.
  • [558]
    É. Lentzen, É. Arcq, « Les secteurs nationaux », op. cit., p. 34-36.
  • [559]
    Michel Quévit parle à ce propos d’une « répartition déséquilibrée, (…) insoutenable pour les Wallons » (M. Quévit, Flandre-Wallonie, quelle solidarité ?, Charleroi, Couleur livres, 2010, p. 99).
  • [560]
    F. Dehousse, « Les conflits budgétaires dans la réforme de l’État. Secteurs nationaux, politique industrielle, communautarisation de l’enseignement », CH, n° 1124-1125, 1986, p. 49-50.
  • [561]
    Chambre des représentants, Annales, n° 105, 4 août 1980, p. 3158 : intervention de François Persoons (FDF).
  • [562]
    Confédération suisse, Office fédéral de la statistique (OFS), « Produit intérieur brut par Canton et grande région », 11 novembre 2021, www.bfs.admin.ch.
  • [563]
    US Department of Commerce, Bureau of Economic Analysis (BEA), « Gross Domestic Product by State », 11 janvier 2022, www.bea.gov.
  • [564]
    Soit le Brandebourg, le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, la Saxe, la Saxe-Anhalt et la Thuringe.
  • [565]
    Bundesrepublik Deutschland, « Die 16 Bundesländer », 29 septembre 2020, www.deutschland.de.
  • [566]
    Statistique Canada, Division des méthodes de la statistique économique et Division de l’analyse économique, « Croissance du revenu par habitant dans les Provinces depuis 1950 », 23 mai 2019, www150.statcan.gc.ca.
  • [567]
    Cf. à ce propos G. Pagano, Le financement des Régions et des Communautés, 1970-2002. Solidarité, responsabilité, autonomie et concurrence fiscale, Bruxelles, CRISP, 2002 ; B. Bayenet, G. Pagano, Le financement des entités fédérées : un système en voie de transformation, Bruxelles, CRISP, 2011 ; B. Bayenet, G. Pagano, « Le financement des entités fédérées dans l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », CH, n° 2180-2181, 2013 ; G. Pagano, Finances publiques, op. cit.
  • [568]
    G. Pagano, Le financement des Régions et des Communautés, 1970-2002, op. cit., p. 34-36.
  • [569]
    Au point que, lors de la sixième réforme institutionnelle, la capacité fiscale de ces deux Communautés a été supprimée de la loi spéciale de financement dans sa version du 6 janvier 2014 (cf. infra) alors qu’elle figurait dans celle du 16 janvier 1989 ; elle reste toutefois prévue à l’article 170, § 2 de la Constitution. Pour sa part, bien qu’elle ne connaisse pas ce problème de territorialité, la Communauté germanophone n’utilise toutefois pas la capacité fiscale dont elle dispose. Cf. F. Bouhon, C. Niessen, M. Reuchamps, « La Communauté germanophone après la sixième réforme de l’État : état des lieux, débats et perspectives », CH, n° 2266-2267, 2015, p. 20-22 ; B. Bayenet, D. Darte, M. Fontaine, L. Naderimehr, M. Bourgeois, F. Bouhon, A. Fostier, A. Jousten, D. Piron, « Réforme du financement de la Communauté germanophone dans l’hypothèse d’une septième réforme de l’État. Perspectives juridiques et budgétaires d’un modèle “Communauté et Région”. Rapport définitif », Dulbea (ULB) / Tax Institute (ULiège), 15 février 2019, p. 20-22.
  • [570]
    G. Pagano, Le financement des Régions et des Communautés, 1970-2002, op. cit., p. 42.
  • [571]
    Cf. F. Dehousse, « Les conflits budgétaires dans la réforme de l’État », op. cit., p. 48-68.
  • [572]
    G. Pagano, Le financement des Régions et des Communautés, 1970-2002, op. cit., p. 51.
  • [573]
    Loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions (Moniteur belge, 17 janvier 1989). Cette loi spéciale ne concerne pas la Communauté germanophone, dont le financement est réglé par la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone.
  • [574]
    X. Mabille, Nouvelle histoire politique de la Belgique, op. cit., p. 344.
  • [575]
    Sur cette période, cf. G. Pagano, Le financement des Régions et des Communautés, 1970-2002, op. cit., p. 55-102.
  • [576]
    G. Pagano les résume ainsi : « Un concours de circonstances liées à l’histoire (le ressentiment flamand à l’égard de l’enseignement francophone), à la structure institutionnelle de la Belgique (la concurrence à Bruxelles avec l’enseignement flamand) et de la Flandre (la fusion budgétaire entre Région et Communauté), à la politique (le poids des régionalistes au sein des négociateurs francophones), ainsi qu’une communication inefficace du monde enseignant » (ibidem, p. 86).
  • [577]
    Cf. É. Arcq, Le financement de la Communauté française, Bruxelles, CRISP (Dossier, n° 58), 2003, p. 15 et 23.
  • [578]
    Introduit le 5 mai 1993, l’article 59quinquies, § 1er est devenu l’article 138 en 1994.
  • [579]
    Les compétences qui sont alors totalement ou partiellement transférées concernent des matières culturelles (les infrastructures sportives, le tourisme, la promotion sociale), des matières personnalisables (une partie de la politique de santé, une partie de la politique familiale, la politique d’aide sociale, la politique d’accueil et d’intégration des immigrés, la politique des handicapés et la politique du troisième âge) et quelques éléments de la politique d’enseignement (le transport scolaire et la gestion, avec la Communauté française, de six sociétés d’administration des bâtiments scolaires).
  • [580]
    Sur ce transfert, cf. en particulier É. Arcq, « Gestion conjointe et délégation de compétences en Communauté française », CH, n° 1373-1374, 1992 ; M. Cornélis, M. de Herde, M. Peffer, « Flux financiers et répartition de compétences au sein de la Communauté française », CH, n° 1380, 1992 ; É. Arcq, « Le transfert de l’exercice des compétences de la Communauté française », CH, n° 1410-1411, 1993 ; R. Born, « Bilan de l’exercice des compétences transférées par la Communauté française », CH, n° 1783-1784, 2002.
  • [581]
    Il se traduit par l’adoption de la loi spéciale du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’État (Moniteur belge, 20 juillet 1993).
  • [582]
    G. Pagano, « Les résolutions du Parlement flamand pour une réforme de l’État », CH, n° 1670-1671, 2000. Cf. aussi J. Brassinne, « La Constitution flamande. Essai de Constitution pour la Flandre », CH, n° 1569-1570, 1997 ; G. Pagano, M. Verbeke, A. Accaputo, « Le manifeste du groupe In de Warande », CH, n° 1913-1914, 2006.
  • [583]
    Cf. N. Hirtt, « Une grève historique dans l’enseignement belge », Le Monde diplomatique, 43e année, n° 507, 1996, p. 10 ; F. Maron, « Le mouvement étudiant », CH, n° 1510-1511, 1996.
  • [584]
    Cf. J. Henry, G. Filleul, G. Pagano, « L’accord institutionnel dit de la Saint-Éloi », CH, n° 1696, 2000.
  • [585]
    Les Accords du Lambermont associent les partis de la majorité arc-en-ciel (VLD/PS/Fédération PRL FDF MCC/SP puis SP.A/Écolo/Agalev) et la VU. Après le désistement de la VU et du FDF, l’Accord de la Saint-Boniface est conclu en associant le PSC.
  • [586]
    Moniteur belge, 3 août 2001.
  • [587]
    B. Bayenet, G. Pagano, « Le financement des entités fédérées dans l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », op. cit., p. 16. La Flandre bénéficie alors « d’un refinancement qui ne correspond pas à une augmentation de ses besoins en matière d’enseignement ».
  • [588]
    Au niveau communal, cela se traduit par une incitation à disposer d’une majorité bilingue (à savoir, concrètement, à compter au moins un échevin néerlandophone dans le collège des bourgmestre et échevins ou à confier le poste de président de CPAS à un néerlandophone). Cf. J. Pitseys, C. Sägesser, « Les résultats des élections communales du 14 octobre 2018 en Région bruxelloise », CH, n° 2388-2389, 2018, p. 51-52.
  • [589]
    Cf. G. Pagano, Le financement des Régions et des Communautés, 1970-2002, op. cit., p. 72-77.
  • [590]
    B. Bayenet, G. Pagano, « Le financement des entités fédérées dans l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », op. cit., p. 25-26. G. Pagano, Finances publiques, op. cit., p. 209-212 explique pour quelles raisons certains représentants politiques flamands ont pu considérer que ce mécanisme constituait un « piège à la pauvreté ».
  • [591]
    La somme totale (qui est de 11,3 milliards d’euros) inclut également la part de la région bruxelloise dans le montant des transferts invoqués par les nationalistes flamands.
  • [592]
    S. Govaert, « Les négociations communautaires et la formation du gouvernement Di Rupo (juin 2010 - décembre 2011) », CH, n° 2144-2145, 2012, p. 65.
  • [593]
    Loi spéciale du 6 janvier 2014 portant réforme du financement des Communautés et des Régions, élargissement de l’autonomie fiscale des Régions et financement des nouvelles compétences (Moniteur belge, 31 janvier 2014). Le financement de la Communauté germanophone est quant à lui révisé par la loi du 19 avril 2014 modifiant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 2 mai 2014).
  • [594]
    P. Quertainmont, « Financement des Communautés et des Régions », in M. Uyttendaele, M. Verdussen (dir.), Dictionnaire de la sixième réforme de l’État, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 431.
  • [595]
    Sur ce mécanisme et ses balises, cf. notamment « Le financement des collectivités fédérées : l’art de ne léser personne ? », in H. Dumont, M. El Berhoumi, I. Hachez (dir.), La sixième réforme de l’État : l’art de ne pas choisir ou l’art du compromis ?, Louvain-la-Neuve, Larcier, 2015, p. 214-216.
  • [596]
    Sauf pour la COCOM.
  • [597]
    Ces clés sont en particulier la population de 0 à 18 ans, le nombre d’élèves qui fréquentent l’enseignement de chaque Communauté, la population de plus de 80 ans, la population totale et les recettes de l’IPP. Le cas échéant, les Communautés française et flamande sont considérées représenter, en région bruxelloise, respectivement 80 % et 20 % de la population.
  • [598]
    « Le financement des collectivités fédérées », op. cit., p. 203.
  • [599]
    Ibidem, p. 205-206.
  • [600]
    P. Quertainmont, « Financement des Communautés et des Régions », op. cit., p. 450 et 458.
  • [601]
    B. Bayenet, G. Pagano, « Le financement des entités fédérées dans l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », op. cit., p. 19-20.
  • [602]
    G. Pagano, Finances publiques, op. cit., p. 256 et 259.
  • [603]
    « Le financement des collectivités fédérées », op. cit., p. 217 et 220. Ainsi, le financement de la Région de Bruxelles-Capitale continue en particulier de pâtir de la ristourne du produit de l’IPP en fonction du domicile du contribuable et non de son lieu de travail. À cet égard, le mécanisme de responsabilisation des Régions mis en place « pose question, puisqu’il rend les Bruxellois financièrement responsables de leur taux de chômage et de pauvreté, ainsi que des défis liés à l’accroissement démographique, sans avoir la maîtrise de la richesse produite sur le territoire régional » (ibidem, p. 220).
  • [604]
    Il existe également un financement de la Région wallonne à la Communauté germanophone afin de compenser le fait que la Région wallonne, en partie financée par le biais d’impôts partiellement prélevés en Communauté germanophone, exerce certaines compétences de la Communauté française. Cf. F. Bouhon, C. Niessen, M. Reuchamps, « La Communauté germanophone après la sixième réforme de l’État : état des lieux, débats et perspectives », op. cit., p. 47.
  • [605]
    Parlement wallon, Compte rendu intégral, n° 4, 30 septembre 2021, p. 1-2 ; Parlement wallon, Commission du Budget et des Infrastructures sportives, Compte rendu intégral, n° 30, 4 octobre 2021, p. 1-12.
  • [606]
    606 Cf. la loi allemande du 10 septembre 2021 sur l’aide à la reconstruction (résultant d’un projet de loi déposé par les groupes CDU/CSU et SPD le 20 août 2021) : Gesetz vom 10. September 2021 zur Errichtung eines Sondervermögens “Aufbauhilfe 2021” und zur vorübergehenden Aussetzung der Insolvenzantragspflicht wegen Starkregenfällen und Hochwassern im Juli 2021 sowie zur Änderung weiterer Gesetze (Aufbauhilfegesetz 2021 – AufbhG 2021), Bundesgesetzblatt, tome 1, n° 63, 14 septembre 2021, p. 4147-4154 .
  • [607]
    P. Quertainmont, « Financement des Communautés et des Régions », op. cit., p. 432 (qui s’appuie à cet égard sur J. Anastopoulos, Les aspects financiers du fédéralisme, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1979).
  • [608]
    P. Quertainmont, « Financement des Communautés et des Régions », op. cit., p. 432.
  • [609]
    Soit l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, les États-Unis, le Mexique et la Suisse.
  • [610]
    Calculs basés sur OCDE, Comptes nationaux des pays de l’OCDE. Comptes des administrations publiques 2020, Paris, 2021. Pour une comparaison entre États membres de l’Union européenne, cf. D. Piron, F. Voisin, « Fédéralisme financier et fiscalité(s) régionale(s) en Belgique : “monnaie fait tout” ? », in C. Xhardez, M. Counet, F. Randour, C. Niessen (dir.), 50 ans de fédéralisation de l’État belge. Institutions, acteurs, politiques publiques et particularités du fédéralisme belge, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2020, p. 132.
  • [611]
    D. Dumont, « La sécurité sociale et la sixième réforme de l’État : rétroactes et mise en perspective générale », Revue belge de sécurité sociale, n° 2, 2015, p. 177-179. Daniel Dumont précise à cet égard : « La politique de santé, la politique familiale, la politique d’aide sociale, la politique des personnes handicapées, la politique du troisième âge, la formation professionnelle et le placement et les programmes de remise au travail des demandeurs d’emploi ont de toute évidence partie liée avec, respectivement, l’assurance soins de santé, les allocations familiales, le droit à l’intégration sociale et l’aide sociale au sens strict, les allocations aux personnes handicapées, les pensions de retraite et l’assurance chômage » (ibidem, p. 177).
  • [612]
    Cf. P. Palsterman, « Défédéraliser la sécurité sociale ? », CH, n° 1899, 2005 ; P. Palsterman, « Régionaliser la politique de l’emploi ? », CH, n° 1958-1959, 2007 ; D. Dumont, « La sécurité sociale et la sixième réforme de l’État », op. cit., p. 189-202.
  • [613]
    Cf. ibidem , p. 179-187.
  • [614]
    Ibidem, p. 217-218. D. Dumont précise : « Pour les aspects de la sécurité sociale défédéralisés, sans doute est-ce là, sur le terrain du financement, que la sixième réforme de l’État a entraîné le bouleversement le plus important. Par hypothèse, les dotations, quelle que soit la complexité de leur mode de calcul, ne sont pas en mesure d’ajuster mécaniquement les flux financiers en fonction des déplacements des contributeurs et des risques, contrairement à la sécurité sociale. On bascule ainsi d’une solidarité interpersonnelle à une solidarité interrégionale. La question est de savoir si, en “visibilisant” ainsi davantage la solidarité, on ne la rend pas plus vulnérable politiquement » (ibidem, p. 218).
  • [615]
    Données compilées par Paul Palsterman à partir des chiffres communiqués par la sécurité sociale et par les entités fédérées. Cf. également P. Palsterman, « Les aspects sociaux de l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », CH, n° 2127-2128, 2012 ; P. Palsterman, « Les allocations familiales après la sixième réforme de l’État », Bulletin juridique et social, n° 657, 2020.
  • [616]
    616 La politique des groupes cibles inclut « les différents mécanismes qui visent à faire diminuer le coût de l’embauche d’un certain nombre de catégories déterminées de travailleurs, par exemple par le biais de réductions ciblées de cotisations de sécurité sociale » (D. Dumont, « La sécurité sociale et la sixième réforme de l’État », op. cit., p. 215).
  • [617]
    617 L’activation des allocations de chômage inclut les « techniques mises en place au niveau fédéral par lesquelles une partie de l’allocation de chômage reste payée en cas de reprise du travail et est transformée dans les faits en subside salarial. En général, [l’activation] vient en déduction du coût salarial » (P. Palsterman, « Les aspects sociaux de l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011 », op. cit., p. 14).
  • [618]
    618 Dans le système des titres-services, l’utilisateur rémunère le service presté (en particulier dans le domaine des tâches ménagères) par un titre-service « correspondant à une heure de travail, et pour lequel il bénéficie d’un avantage fiscal. (…) Le travailleur est mis à disposition de l’utilisateur par un opérateur, qui a la qualité juridique d’employeur et assume les obligations administratives qui y sont liées. Cet opérateur peut être une [agence locale pour l’emploi (ALE)], mais aussi une autre forme d’organisme sans but lucratif, une entreprise privée commerciale, un commerçant indépendant ou une entreprise de travail intérimaire » (ibidem, p. 18).
  • [619]
    Cf. R. Witmeur, D. Désir, F. Hut, « La réforme Obama du système américain de soins de santé », CH, n° 2160-2161, 2012.
  • [620]
    S. M. Lipset, S. Rokkan, « Cleavage Structures, Party Systems and Voter Alignments: An Introduction », in S. M. Lipset, S. Rokkan (dir.), Party Systems and Voter Alignments. Cross-National Perspectives, New York, Free Press, 1967, p. 1-64 (article traduit en français sous le titre Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs : une introduction, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2008).
  • [621]
    Cf. V. de Coorebyter, « Clivages et partis en Belgique », CH, n° 2000, 2008.
  • [622]
    Cf. L. Bruyère, A.-S. Crosetti, J. Faniel, C. Sägesser (dir.), Piliers, dépilarisation et clivage philosophique en Belgique, Bruxelles, CRISP, 2019.
  • [623]
    Cf., par exemple, le cas de la concertation sociale : A. Guisset, « La concertation sociale interprofessionnelle à l’échelle de la Belgique fédérale », in C. Xhardez, M. Counet, F. Randour, C. Niessen (dir.), 50 ans de fédéralisation de l’État belge, op. cit., p. 120-122.
  • [624]
    P. Pasture, « Divergent Developments, Regional Alliances and National Solidarity in Belgium », in J. Wets (dir.), Cultural Diversity in Trade Unions. A Challenge to Class Identity?, Aldershot, Ashgate, 2000, p. 35-70 ; K. Vandaele, M. Hooghe, « L’appel de la voie communautaire : syndicats, organisations patronales et nouveaux mouvements sociaux dans une Belgique redimensionnée », in R. Dandoy, G. Matagne, C. Van Wynsberghe (dir.), Le fédéralisme belge. Enjeux institutionnels, acteurs socio-politiques et opinions publiques, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2013, p. 139-176.
  • [625]
    Cf. notamment « Les derniers développements de l’affaire de Louvain (II) », CH, n° 398, 1968.
  • [626]
    626 G. Coene, J. Koppen, F. Scheelings (dir.), Op zoek… De evolutie van het vrijzinnig humanisme in Vlaanderen sinds de Tweede Wereldoorlog, Anvers, Centrum voor Academische en Vrijzinnige Archieven, 2017 ; C. Sägesser, « L’organisation et la reconnaissance de la laïcité en Belgique francophone », Les @nalyses du CRISP en ligne, 25 mars 2021.
  • [627]
    À cet égard, cf. par exemple P. Meier, K. Celis, « Se mobiliser dans une ethnofédération : le cas des mouvements de femmes et lesbigaytrans », in J. Faniel, C. Gobin, D. Paternotte, (dir.), Se mobiliser en Belgique. Raisons, cadres et formes de la contestation sociale contemporaine, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2020, p. 141-159.
  • [628]
    À cet égard, cf. par exemple J. Faniel, C. Gobin, « Les relations entre syndicats et partis politiques : un frein à la mobilisation sociale ? », in J. Faniel, C. Gobin, D. Paternotte, (dir.), Se mobiliser en Belgique, op. cit., p. 132-134.
  • [629]
    L. Van Molle, « Le Boerenbond : un (sous-)pilier, malgré tout ? », in L. Bruyère, A.-S. Crosetti, J. Faniel, C. Sägesser (dir.), Piliers, dépilarisation et clivage philosophique en Belgique, op. cit., p. 197-212.
  • [630]
    Cf. en particulier D. Luyten, « L’économie et le mouvement flamand », op. cit.
  • [631]
    D. Sinardet, « Le fédéralisme consociatif belge : vecteur d’instabilité ? », Pouvoirs, volume 136, n° 1, 2011, p. 21-35.
  • [632]
    Cf. A. Lijphart, Democracy in Plural Societies: A Comparative Exploration, New Haven, Yale University Press, 1977.
  • [633]
    Cf., par exemple, T. Gaudin, V. Jacquet, J.-B. Pilet, M. Reuchamps, « Consultation populaire et référendum en Belgique », CH, n° 2390-2391, 2018 ; C. Niessen, M. Reuchamps, « Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone », CH, n° 2426, 2019 ; J. Vrydagh, S. Devillers, D. Talukder, V. Jacquet, J. Bottin, « Les mini-publics en Belgique (2001-2018) : expériences de panels citoyens délibératifs », CH, n° 2477-2478, 2021 ; J. Vrydagh, J. Bottin, M. Reuchamps, F. Bouhon, M. Devillers, « Les commissions délibératives entre parlementaires et citoyens tirés au sort au sein des assemblées bruxelloises », CH, n° 2492, 2021 ; J. Clarenne, C. Jadot, « Les outils délibératifs auprès des parlements sous l’angle du droit constitutionnel belge », CH, n° 2517-2518, 2021. Sur les rapports entre démocratie et fédéralisme, cf. P. Meier, P. Bursens, « Belgium: the Democratic State of the Federation », in J. Sonnicksen, A. Benz (dir.), Federal Democracies at Work. Varieties of Complex Government, Toronto, University of Toronto Press, 2021, p. 180-196.
  • [634]
    Les seules exceptions sont les gouvernements homogènes sociaux-chrétiens Duvieusart, Pholien et Van Houtte qui se sont succédé de 1950 à 1954 et les gouvernements, minoritaires et éphémères, Van de Vyvere (1925, catholique), Spaak II (1946, socialiste) et Eyskens II (1958, social-chrétien).
  • [635]
    Cf. F. Verleden, Aux sources de la particratie. Les relations entre les partis politiques belges et leurs parlementaires (1918-1970), Bruxelles, CRISP, 2019. Cf. aussi Cf. F. Verleden, « Les votes nominatifs à la Chambre des représentants. II. Usages parlementaires et votes des groupes (1995-2019) », CH, n° 2503-2504, 2021.
  • [636]
    C. Istasse, « Les évolutions électorales des partis politiques (1944-2019). III. Les familles politiques », CH, n° 2435, 2019.
  • [637]
    Au point qu’est apparue dans la presse l’expression de « présidentocratie ». Revenant sur la crise gouvernementale survenue à l’automne 1978 et signant l’échec du pacte d’Egmont et des accords du Stuyvenberg, Jacques Brassinne et Xavier Mabille relèvent que « les interventions (…) des présidents de partis [après la conclusion du Pacte] devaient s’effectuer chaque fois que des difficultés surgissaient dans la transcription du Pacte en texte législatif. Le rôle des présidents de partis a été comparé aux interventions du “900. Aide médicale urgente” ». Une commission spéciale a été créée au sein de la Chambre des représentants, présidée par le président du premier parti de la coalition (Wilfried Martens, CVP) et rassemblant les présidents des autres partis de la majorité. Ces auteurs en concluent : « Au cours de la législature, on a donc vu s’instaurer d’une manière régulière un nouveau style de concertation qui a permis à la presse d’affirmer que le pays était dirigé par la particratie, ce n’était pas nouveau, mais également par la présidentocratie, ce qui l’était réellement » (J. Brassinne, X. Mabille, « La crise politique d’octobre 1978 (II) », CH, n° 819, 1978, p. 20). Ce terme ne semble pas avoir refait surface lorsque les présidents d’une dizaine de partis ont été associés par le gouvernement fédéral, doté de pouvoirs spéciaux, à la gestion de la crise due à la pandémie de Covid-19 au sein de ce qui a été baptisé « kern élargi » ou « kern +10 » (cf. J. Faniel, C. Sägesser, « La Belgique entre crise politique et crise sanitaire (mars-mai 2020) », CH, n° 2447, 2020, p. 16 et 28).
  • [638]
    Alors même que l’existence et l’action de ces partis font l’objet de très peu d’encadrement constitutionnel et légal : cf. T. Gaudin, « La régulation juridique des partis politiques », CH, n° 2483-2484, 2020.
  • [639]
    Il est à noter que ces partis ont tenu compte de la nature bipolaire de la politique belge bien avant cela, en prévoyant par exemple une composition linguistiquement paritaire de leurs organes, voire une double présidence dans le cas des socialistes. Pour sa part, le Parti communiste de Belgique (PCB) s’est scindé à son tour en 1989.
  • [640]
    V. de Coorebyter, « Clivages et partis en Belgique », op. cit., p. 39.
  • [641]
    C. Istasse, « Les évolutions électorales dans les cantons d’Eupen, Saint-Vith et Malmedy (1920-1974) », CH, n° 2465, 2020, p. 19-20.
  • [642]
    Cartel découlant lui-même de la Vlaamse Concentratie (VC), parti fondé en 1949.
  • [643]
    J. Dohet, J. Faniel, S. Govaert, C. Istasse, J.-P. Nassaux, P. Wynants, « Les partis sans représentation parlementaire fédérale », CH, n° 2206-2207, 2014, p. 90-91.
  • [644]
    Bien qu’officiellement national, ce parti a toujours été cantonné au paysage francophone. Cf. ibidem, p. 56-72 ; B. Biard, « L’extrême droite en Europe occidentale (2004-2019) », CH, n° 2420-2421, 2019, p. 20-29.
  • [645]
    Pour participer aux élections, le parti a développé son acronyme en « Écologistes confédérés pour l’organisation de luttes originales » ; cette appellation n’est cependant pas statutaire.
  • [646]
    Cf. J. Dohet, J. Faniel, S. Govaert, C. Istasse, J.-P. Nassaux, P. Wynants, « Les partis sans représentation parlementaire fédérale », op. cit., p. 36-37.
  • [647]
    R. Dandoy, N. De Decker, « Peut-on encore parler de partis-frères en Belgique ? », in J.-B. Pilet, J.-M. De Waele, S. Jaumain (dir.), L’absence de partis nationaux : menace ou opportunité ?, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2009, p. 19-35 ; C. Istasse, « Les évolutions électorales des partis politiques (1944-2019). III. Les familles politiques », op. cit. Cf. également, en ce qui concerne la famille de tradition sociale-chrétienne, B. Biard, « Les partis frères en Belgique : les relations entre le CDH et le CD&V », CH, n° 2467-2468, 2020.
  • [648]
    R. Dandoy, N. De Decker, « Peut-on encore parler de partis-frères en Belgique ? », op. cit., p. 35.
  • [649]
    Cf. B. Biard, P. Blaise, J. Faniel, S. Govaert, C. Istasse, « La formation des gouvernements régionaux et communautaires après les élections du 26 mai 2019 », CH, n° 2444-2445, 2019, p. 13-39.
  • [650]
    Et ce depuis 2014. En 2019, ce parti est devenu le premier – et le seul – à disposer d’une représentation dans chaque assemblée parlementaire du pays, à l’exception du Parlement de la Communauté germanophone.
  • [651]
    À l’issue des élections locales organisées en 2012, une coalition incluant le PTB a été mise sur pied dans le district anversois de Borgerhout, avec le SP.A et Groen. Cette alliance a été reconduite en 2018. Cette année-là, malgré une progression indéniable au niveau communal, le PTB n’est entré que dans une seule majorité communale, à Zelzate, dans la région de Gand, en compagnie du SP.A (depuis lors rebaptisé Vooruit). Ailleurs, ce parti n’a pas pu ou n’a pas voulu accéder au pouvoir.
  • [652]
    Ou à deux si l’on considère l’action, cependant très autonome, de quatre partis (PS, MR, Écolo et CDH) en Communauté germanophone. Sont aussi à noter les tentatives répétées du VB de récolter des voix francophones, en région bruxelloise d’abord, en Wallonie ensuite ; mais cette pratique est essentiellement dictée par des considérations stratégiques – afin de bloquer le fonctionnement des institutions bruxelloises – ou financières – pour accroître sa dotation publique fédérale.
  • [653]
    Que l’on songe, tout simplement, aux péripéties qui ont présidé à l’établissement puis à la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde ou BHV. Cf. en particulier S. Govaert, « Bruxelles-Hal-Vilvorde : du quasi-accord de 2005 à la procédure en conflit d’intérêts », CH, n° 1974, 2007 ; B. Blero, « La scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde », CH, n° 2279, 2015.
  • [654]
    Bien qu’établis en région de langue néerlandaise, les électeurs des six communes à facilités de la périphérie bruxelloise peuvent choisir de voter pour une liste déposée dans la circonscription de Bruxelles-Capitale. De même, ces électeurs peuvent voter pour une liste déposée dans le collège français lors du scrutin européen.
  • [655]
    Ainsi, donc, que ceux des six communes à facilités de la périphérie bruxelloise.
  • [656]
    Cf. D. Sinardet, « La circonscription électorale fédérale », CH, n° 2142, 2012.
  • [657]
    J.-B. Pilet, J.-M. De Waele, S. Jaumain, « Introduction », in J.-B. Pilet, J.-M. De Waele, S. Jaumain (dir.), L’absence de partis nationaux, op. cit., p. 16.
  • [658]
    Ibidem.
  • [659]
    C’est-à-dire « associant généralement au moins quatre partis et bien plus lorsqu’il s’agit de réformer les institutions » (H. Dumont, M. El Berhoumi, Droit constitutionnel. Approche critique et interdisciplinaire, tome 1 : L’État, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 481).
  • [660]
    Ibidem, p. 566-567.
  • [661]
    Sur les 94 membres du Parlement de la Communauté française, 75 proviennent du Parlement wallon (les 19 autres étant issus du groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale).
  • [662]
    662 La composition du gouvernement bruxellois, nécessairement plus large, présente souvent l’une ou l’autre exception à cet alignement, les partis suivants y participant alors qu’ils siègent dans l’opposition à d’autres niveaux de pouvoir : le FDF de 1989 à 1999 (pour s’en tenir aux législatures durant lesquelles ce parti était absent d’autres gouvernements du pays) et à nouveau depuis 2014 (sous l’appellation Défi depuis 2015), le PRL de 1995 à 1999, le CVP (puis CD&V) de 1999 à 2004, Écolo de 2004 à 2009, ou encore Groen! (puis Groen) de 2009 à 2014 et de 2019 à 2020.
  • [663]
    Cette pratique a débuté en 1995 : hormis la ministre-présidente de la Communauté française, Laurette Onkelinx (PS), les autres membres du gouvernement étaient alors par ailleurs ministres régionaux en Région wallonne (Jean-Pierre Grafé (remplacé par William Ancion à partir de 1996), PSC, et Jean-Claude Van Cauwenberghe, PS) ou en Région de Bruxelles-Capitale (Charles Picqué, ministre-président régional, PS). Interrompue de juillet 1999 à juin 2003, cette pratique n’a pas non plus été reconduite en 2019. De 2008 à 2014, Rudy Demotte (PS) a présidé simultanément le gouvernement wallon et celui de la Communauté française.
  • [664]
    C. Istasse, « La “coalition miroir” comme modalité de formation du gouvernement fédéral », CH, n° 2466, 2020, p. 47-57.
  • [665]
    J. Faniel, (interviewé par B. Vanpeteghem), « L’exclusion réciproque grippe la machine politique », Les @nalyses du CRISP en ligne, 13 juillet 2016.
  • [666]
    Devenu depuis lors Vooruit.
  • [667]
    C. Sägesser, « La formation du gouvernement De Croo (mai 2019 - octobre 2020) », CH, n° 2471-2472, 2020.
  • [668]
    Sous le gouvernement wallon Borsus (MR/CDH, 2017-2019), l’exercice de nouvelles compétences a toutefois été transféré de la Région wallonne à la Communauté germanophone.
  • [669]
    Pour l’élection de la Chambre des représentants, la circonscription de Liège inclut des électeurs francophones et germanophones tandis que, bien qu’ils soient établis en région de langue néerlandaise, les électeurs des six communes à facilités de la périphérie bruxelloise peuvent choisir de voter pour une liste déposée dans la circonscription de Bruxelles-Capitale. On relèvera ainsi que, lors des élections fédérales (en l’occurrence, de la seule Chambre des représentants depuis 2014), les entités fédérées ne constituent aucunement des circonscriptions électorales, à la différence de ce que l’on peut rencontrer, par exemple, dans le cas des États-Unis et de la Suisse.
  • [670]
    J.-B. Pilet, F. Tronconi, P. Oňate, L. Verzichelli, « Career Patterns in Multilevel Systems », in K. Deschouwer, S. Depauw (dir.), Representing the People. A Survey among Members of Statewide and Substate Parliaments, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 213-215.
  • [671]
    671 Du moins ceux élus directement, à l’exclusion donc des sénateurs provinciaux et des sénateurs cooptés.
  • [672]
    K. Stolz, « Moving up, Moving down: Political Careers across Territorial Levels », European Journal of Political Research, volume 42, n° 2, 2003, p. 236.
  • [673]
    Ou encore à l’élection européenne.
  • [674]
    J. Faniel, C. Istasse, « Les démissions ministérielles dans les entités fédérées (1981-2017) », CH, n° 2330-2331-2332, 2017, p. 26-28, 41-43 et 65-66.
  • [675]
    675 Francophone mais provenant de la commune (à facilités de la périphérie bruxelloise) de Rhode-Saint-Genèse, celle-ci aurait peu de chances d’exercer un mandat parlementaire en Flandre et aucune d’être ministre au gouvernement flamand.
  • [676]
    Auxquels s’ajoutent les scrutins provinciaux et communaux (2006 et 2012).
  • [677]
    Et cela quoi qu’en dise l’article 46, alinéa 6 de la Constitution ; celui-ci est en effet assorti d’une disposition transitoire qui soumet son entrée en vigueur à l’adoption d’une loi spéciale qui ne semble pas même avoir fait l’objet d’aucun projet à ce jour.
  • [678]
    D’autres raisons ont bien entendu pu jouer : volonté de réaliser des économies, de limiter le nombre de périodes de campagne électorale ou encore de ne pas trop solliciter les électeurs.
  • [679]
    En effet, les membres germanophones (c’est-à-dire domiciliés dans la région de langue allemande et qui prêtent serment dans cette langue) du Parlement européen (un député), de la Chambre des représentants (pas de représentation garantie), du Parlement wallon (pas de représentation garantie) et du conseil provincial de Liège siègent au Parlement de la Communauté germanophone avec voix consultative.
  • [680]
    J. Poirier, « Les relations intergouvernementales dans les systèmes fédéraux : omniprésentes, idiosyncrasiques, opaques et essentielles », in F. Mathieu, D. Guénette, A.-G. Gagnon (dir.), Cinquante déclinaisons de fédéralisme. Théorie, enjeux et études de cas, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2020, p. 81.
  • [681]
    Ibidem, p. 83.
  • [682]
    Tel a par exemple été le cas de la compétence d’octroyer des licences d’exportation d’armes, qui a été régionalisée en 2003 (par la loi spéciale du 12 août 2003 modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, Moniteur belge, 20 août 2003) après qu’un dossier relatif à cette matière avait été à la base d’une crise politique au niveau national en 1991 et alors que cette matière suscitait de nouveaux remous communautaires. Cf. É. Arcq, P. Blaise, É. Lentzen, « Enjeux et compromis de la législature 1988-1991 », CH, n° 1332-1333, 1991, p. 71-73 ; J. Brassinne de la Buissière, « Les négociations communautaires sous le gouvernement Verhofstadt II. Forum institutionnel et Bruxelles-Hal-Vilvorde », CH, n° 1903-1904, 2005, p. 23-24.
  • [683]
    Tel a été le cas en particulier lors des négociations ayant mené respectivement à la troisième et à la sixième réformes de l’État.
  • [684]
    Pour un aperçu succinct de la répartition des compétences entre les composantes de l’État fédéral belge, matière par matière, cf. P. Blaise, J. Faniel, C. Sägesser, Introduction à la Belgique fédérale, Bruxelles, CRISP, 2022, p. 75-96.
  • [685]
    Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge. Fondements et institutions, 4e édition, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 506. L’auteur précise toutefois que, selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, une matière n’est indiscutablement réservée au législateur fédéral que si la disposition constitutionnelle qui la vise est postérieure à la première réforme de l’État et à l’apparition des normes législatives appelées décrets (et, plus tard, de celles appelées ordonnances) : lorsque les dispositions constitutionnelles qui utilisent les termes « la loi » ou « une loi » sont antérieures à 1970, « leur portée se limite à réserver la compétence de régler la matière visée, du moins dans ses aspects essentiels, aux assemblées législatives soit fédérales, soit communautaires ou régionales, soit aux unes et aux autres. En effet, à l’époque le constituant avait simplement voulu exclure ces matières de la compétence du pouvoir exécutif, et non de la compétence de collectivités fédérées qui n’existaient pas à l’époque. (…) Une disposition constitutionnelle antérieure à 1970 qui réserve à “la loi” une matière déterminée n’est donc pas automatiquement répartitrice de compétence législative entre l’Autorité fédérale et les collectivités fédérées. Le ou les législateur(s) compétent(s) sont alors désigné(s) par les règles générales de répartition des compétences inscrites dans la Constitution ou la loi spéciale, fût-ce implicitement. Dans un certain nombre de cas, il est admis que la matière visée par une telle disposition constitutionnelle est nationale “par la nature des choses” et attribuée à ce titre au législateur fédéral bien qu’elle remonte à 1831 » ; tel est par exemple le cas des conditions d’exercice de la plupart des droits politiques, des compétences des tribunaux et de l’emploi des langues pour les affaires judiciaires (ibidem, p. 506-507).
  • [686]
    Ou une loi, s’agissant de la Communauté germanophone.
  • [687]
    Article 6, § 1er, V, alinéa 2 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [688]
    Article 127, § 1er, alinéa 1er de la Constitution.
  • [689]
    Article 6, § 1er, II, alinéa 2 et III, 2° de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [690]
    Cette solution boiteuse est le fruit d’un compromis politique : l’actuel article 35 a été introduit dans la Constitution à la demande de la Volksunie, dont l’appui était nécessaire, en 1993, pour réunir la majorité des deux tiers requise pour adopter la quatrième réforme de l’État, alors en cours d’élaboration (V. de Coorebyter, « La Belgique entre compromis et ambiguïté », Pouvoirs, volume 136, n° 1, 2011, p. 88).
  • [691]
    Cf. l’article 5, § 1er, I, alinéa 2, 1° de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Il est à remarquer que l’article 5, § 1er, I, alinéa 2, 2° de la même loi spéciale prévoit une autre exception au profit de l’Autorité fédérale – qui ne concerne toutefois pas le domaine de la sécurité sociale au sens strict – en attribuant au pouvoir central la compétence de prendre des « mesures prophylactiques nationales ». Cette exception renvoie bien sûr à un sujet particulièrement ancré dans l’actualité depuis la survenance de la pandémie de Covid-19. Il convient à cet égard de noter que prévaut une interprétation restrictive de cette notion de « mesures prophylactiques nationales » ; en réalité, seule est visée la décision de légiférer en matière de vaccination obligatoire (cf. F. Bouhon, A. Jousten, X. Miny, E. Slautsky, « L’État belge face à la pandémie de Covid-19 : esquisse d’un régime d’exception », CH, n° 2446, 2020, p. 10-11).
  • [692]
    À l’exception de certains régimes particuliers faisant l’objet d’exceptions explicitement énoncées dans les lois répartitrices de compétences.
  • [693]
    Moniteur belge, 15 août 1980.
  • [694]
    Moniteur belge, 18 janvier 1984.
  • [695]
    Moniteur belge, 14 janvier 1989.
  • [696]
    Pour rappel, les provinces et les communes sont tenues d’appliquer non seulement les lois fédérales, mais également les décrets et les ordonnances des entités fédérées qui s’imposent à elles.
  • [697]
    Ces compétences valent pour toutes les entités fédérées, y compris dans le cadre du transfert de l’exercice d’une compétence : la Région, la Communauté ou la Commission communautaire qui bénéficie d’un tel transfert reçoit aussi les compétences auxiliaires attachées aux matières transférées.
  • [698]
    La condition sine qua non est que le champ d’application de ces dispositions complémentaires reste restreint. En effet, seules les dispositions rigoureusement nécessaires à l’exercice de leurs compétences attribuées peuvent être ainsi prises par les différentes composantes de l’État : celles-ci ne peuvent en aucun cas profiter des compétences implicites pour élargir leurs compétences attribuées. En outre, selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, les dispositions prises par une composante en vertu de ses compétences implicites ne peuvent avoir qu’une incidence marginale sur l’exercice des compétences d’une autre composante. Les conflits qui surviendraient quant à un recours aux compétences implicites par une composante de l’État sont réglés par la Cour constitutionnelle.
  • [699]
    Cf. l’article 91 de la Loi constitutionnelle canadienne de 1867 : « Il sera loisible à la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des Provinces ». Cependant, ce principe est partiellement démenti par les faits puisque les Provinces jouissent d’une certaine marge de manœuvre en la matière, la compétence de légiférer pour les « affaires locales et privées » leur ayant été reconnue et cette dernière notion étant interprétée de façon large (cf. J. Poirier, « Le partage des compétences et les relations intergouvernementales : la situation au Canada », in B. Fournier, M. Reuchamps (dir.), Le fédéralisme en Belgique et au Canada. Comparaison sociopolitique, Bruxelles, De Boeck, 2009, p. 107-122).
  • [700]
    Cf. l’article 248 de la Constitution indienne, qui attribue au pouvoir central toutes les matières qui n’ont pas été listées dans l’article 246 comme étant concurrentes (« Concurrent List ») ou comme appartenant exclusivement aux États (« State List »).
  • [701]
    Cf. les articles 30 (« L’exercice des pouvoirs étatiques et l’accomplissement des missions de l’État relèvent des Länder, à moins que la présente Loi fondamentale n’en dispose autrement ou n’autorise une règle différente  ») et 70, 1° (« Les Länder ont le droit de légiférer dans les cas où la présente Loi fondamentale ne confère pas à la Fédération des pouvoirs de légiférer ») de la Loi fondamentale allemande.
  • [702]
    Aux États-Unis, seul le pouvoir central a des compétences attribuées par la Constitution (cf. en particulier l’article 1er, section 8 et l’article 2, section 2). Quant aux États, ils détiennent l’ensemble des autres compétences (cf. le 10e amendement : « Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis par la Constitution, ni refusés par elle aux États, sont conservés par les États respectivement ou par le peuple »). Dans les faits cependant, la Cour suprême a élargi les compétences de l’Union par le moyen des « pouvoirs implicites » (« implied powers »).
  • [703]
    Cf. les articles 3 (« Les Cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération »), 42 (« La Confédération accomplit les tâches que lui attribue la Constitution ») et 43a, § 1er (« La Confédération n’assume que les tâches qui excèdent les possibilités des Cantons ou qui nécessitent une réglementation uniforme par la Confédération ») de la Constitution suisse.
  • [704]
    Cf. l’article 25, § 1er de la Constitution brésilienne : « Toutes les compétences qui ne leur sont pas interdites par la présente Constitution sont réservées aux États ».
  • [705]
    Cf. l’article 15, § 1er de la Constitution autrichienne : « Dans la mesure où la Constitution fédérale n’attribue pas expressément une matière au pouvoir législatif ou exécutif de la Fédération, cette matière relève du domaine d’action autonome des Länder ».
  • [706]
    Cf. l’article 3, § 3, a de la Constitution bosnienne : « Toutes les fonctions et pouvoirs gouvernementaux qui ne sont pas expressément assignés dans la présente Constitution aux institutions de la Bosnie-Herzégovine appartiennent aux Entités ». Cf. toutefois l’article 3, § 4 du même texte : « La présidence peut prendre des décisions visant à faciliter la coordination entre les Entités sur des questions qui ne relèvent pas de la responsabilité de la Bosnie-Herzégovine telles que déterminées par la présente Constitution, à moins qu’une Entité ne s’y oppose dans un cas particulier ».
  • [707]
    Cf. l’article 124 de la Constitution mexicaine : « Les compétences n’étant pas conférées explicitement en faveur des fonctionnaires fédéraux par cette Constitution s’avèrent réservées aux États de la Fédération ».
  • [708]
    Cf. l’article 73 de la Constitution russe : « En dehors des limites de la compétence de la Fédération de Russie et des attributions de la Fédération de Russie dans les domaines de compétence conjointe de la Fédération de Russie et des Sujets de la Fédération de Russie, les Sujets de la Fédération de Russie possèdent la plénitude du pouvoir d’État ». Cependant, dans la pratique, c’est la situation inverse qui prévaut : le pouvoir fédéral russe s’arroge largement les compétences résiduelles (cf. J. Kahn, A. Trochev, N. Balayan, « How Federal Is the Russian Federation? », in D. Halberstam, M. Reimann (dir.), Federalism and Legal Unification. A Comparative Empirical Investigation of Twenty Systems, Dordrecht, Springer Netherlands, 2014, p. 355-389).
  • [709]
    C. Romainville, M. Verdussen, « Système de répartition des compétences », in M. Uyttendaele, M. Verdussen (dir.), Dictionnaire de la sixième réforme de l’État, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 833-834. Cf., par exemple, l’article 24 de la Constitution brésilienne : « Dans le domaine de la législation concurrente, la compétence de l’Union se limite à édicter les normes générales. La compétence de l’Union pour légiférer sur les normes générales n’exclut pas la compétence supplétive des États. En l’absence d’une loi fédérale sur les normes générales, les États exercent la compétence législative pleine dans le respect de leurs particularités. Lorsque survient une loi fédérale sur les normes générales, celle-ci suspend l’effet de la loi subfédérale en ce qui lui est contraire ».
  • [710]
    Cf. les articles 91 à 95 de la Loi constitutionnelle canadienne de 1867.
  • [711]
    L’article 70, 2° de la Loi fondamentale allemande dispose : « La délimitation des compétences de la Fédération et des Länder s’effectue selon les dispositions de la présente Loi fondamentale relatives aux compétences législatives exclusives et concurrentes ». Cf. aussi les articles 71 (« Dans le domaine de la compétence législative exclusive de la Fédération, les Länder n’ont le pouvoir de légiférer que si une loi fédérale les y autorise expressément et dans la mesure prévue par cette loi »), 72 (« Dans le domaine de la compétence législative concurrente, les Länder ont le pouvoir de légiférer aussi longtemps et pour autant que la Fédération n’a pas fait par une loi usage de sa compétence législative (…) ») et 73 (qui liste les 33 domaines étant de la compétence législative exclusive de la Fédération) du même texte.
  • [712]
    Cf. les articles 54 à 125 de la Constitution suisse.
  • [713]
    À ce sujet, cf. L. Detroux, D. Piron, N. Vander Putten, « Les principes budgétaires et fiscaux », in M. El Berhoumi, S. Van Drooghenbroeck (dir.), Principes de la répartition des compétences. Répertoire pratique de droit belge, Bruxelles, Larcier, 2022, p. 383-410.
  • [714]
    Entre autres, toutes les composantes de l’État fédéral belge ont le droit de conclure des traités et des conventions internationales, d’être membres de certaines organisations internationales et d’avoir une représentation à l’étranger.
  • [715]
    Ce manque d’homogénéité des compétences – qui est commun à tous les États fédéraux – contribue à nourrir les tendances centrifuges qui caractérisent le fédéralisme belge, en tant que certains acteurs politiques (essentiellement flamands) l’érigent en argument appuyant leurs revendications d’une poursuite du mouvement de défédéralisation. Cf. « Les défédéralisations à l’épreuve de l’homogénéité et de l’exclusivité des compétences », in H. Dumont, M. El Berhoumi, I. Hachez (dir.), La sixième réforme de l’État : l’art de ne pas choisir ou l’art du compromis ?, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 97-98.
  • [716]
    Certaines composantes de l’État subdivisant en outre leurs compétences en plusieurs portefeuilles ministériels eux-mêmes répartis entre divers responsables politiques, la Belgique compte « dix personnes se partageant douze “casquettes” ministérielles en lien avec la santé » sous la législature entamée en 2019 (cf. J. Faniel, « Santé : une répartition complexe des compétences », Les @nalyses du CRISP en ligne, 29 décembre 2020, p. 4).
  • [717]
    Avant que, par la sixième réforme de l’État, le principe de loyauté fédérale fasse partie des normes de contrôle de la Cour constitutionnelle, celle-ci recourait à cet égard au principe de proportionnalité dans l’exercice des compétences (cf. infra).
  • [718]
    Cf. « Les défédéralisations à l’épreuve de l’homogénéité et de l’exclusivité des compétences », op. cit., p. 97-137 ; C. Romainville, M. Verdussen, « Système de répartition des compétences », op. cit., p. 831-849.
  • [719]
    En 2015, toutes les maisons de repos agréées antérieurement par la COCOF ont basculé vers la COCOM. Aujourd’hui donc, celle-ci est compétente pour l’ensemble des maisons de repos établies en région bruxelloise, à l’exception des quelques établissements qui relèvent de la Communauté flamande.
  • [720]
    Sans oublier que, sur tout le territoire national, l’Autorité fédérale est compétente pour divers aspects liés à la pratique sportive (statut social du sportif, commission paritaire des sports, sécurité lors de manifestations sportives, réglementation des asbl, etc.) et sans compter que, par ailleurs, la COCOM, les provinces et les communes sont également des acteurs institutionnels du secteur. Sur la place du sport dans l’architecture fédérale belge, cf. T. Zintz, M. Winand, « Les fédérations sportives », CH, n° 2179, 2013, p. 17-37. Pour un exemple concret, cf. J. Defosse, « Le projet de Centre de formation pour sportifs de haut niveau (CFSHN) », CH, n° 2352, 2017.
  • [721]
    Anciennement, « règle visée à l’article 26bis ».
  • [722]
    Pour la Communauté française et la Communauté flamande : cf. les actuels articles 127 à 130 de la Constitution (adoptés les 24 décembre 1970 et 17 juillet 1980). Pour la Communauté germanophone : cf. l’actuel article 130 de la Constitution (adopté le 1er juin 1983).
  • [723]
    Article 19, § 2 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Cet article est pris en exécution de la possibilité conférée au législateur spécial par l’actuel article 134 de la Constitution (adopté le 17 juillet 1980).
  • [724]
    Article 7, alinéa 1er de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises. Cet article est également pris en exécution de la possibilité conférée au législateur spécial par l’actuel article 134 de la Constitution.
  • [725]
    Cf. C. Behrendt, M. Vrancken, Principes de droit constitutionnel belge, 2e édition, Bruxelles, La Charte, 2021, p. 190-192.
  • [726]
    On notera ainsi que l’article 6 et l’article 68, § 3 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 parlent de « pouvoir de légiférer par ordonnances » dans leur version française mais de « ordonnantiegevende macht » dans leur version néerlandaise.
  • [727]
    C. Behrendt, M. Vrancken, Principes de droit constitutionnel belge, op. cit., p. 189.
  • [728]
    À ce sujet, cf. Q. Peiffer, « Les spécificités institutionnelles de la région bruxelloise », CH, n° 2510, 2021.
  • [729]
    En revanche, il ne leur est pas possible d’annuler l’ordonnance en question ; sur ce point, les normes de la Région de Bruxelles-Capitale sont donc bien placées sur le même pied que celles des Communautés et des autres Régions.
  • [730]
    Article 45 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
  • [731]
    Article 46 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
  • [732]
    Le financement des mesures est à la charge du budget de la Région de Bruxelles-Capitale et du budget fédéral si un accord a été dégagé ; en cas de défaut d’accord et si les mesures sont adoptées par la Chambre des représentants, elles sont intégralement financées par le budget de l’Autorité fédérale.
  • [733]
    Sauf bien entendu le cas où, dans un autre État fédéral, une entité fédérée ne respecte pas le champ de ses compétences sur le plan territorial ou prend une décision aux effets transfrontaliers (par exemple, en matière environnementale).
  • [734]
    Si ce principe est toujours valable actuellement, il est cependant à noter que la réforme constitutionnelle du 27 octobre 1994 a limité l’exercice de la compétence législative fédérale concurrente aux cas où elle est indispensable. Ainsi, le pouvoir fédéral allemand ne peut exercer cette compétence concurrente que si une législation différente selon les Länder n’est pas acceptable et que ceux-ci sont incapables de coordonner leur législation.
  • [735]
    Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui est l’autorité judiciaire suprême de la Confédération suisse, ce principe constitutionnel doit s’interpréter comme « fai[san]t obstacle à l’adoption ou à l’application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l’esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu’elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive ».
  • [736]
    Dans ce cadre, le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle agissent, non en tant qu’institutions relevant de l’Autorité fédérale, mais au titre de l’État global.
  • [737]
    Article 169 de la Constitution (introduit le 5 mai 1993 en tant qu’article 68, § 7, alinéa 1er) ; article 16, § 3 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (introduit par la loi spéciale du 5 mai 1993 sur les relations internationales des Communautés et des Régions, Moniteur belge, 8 mai 1993) ; article 16, § 4 de la même loi spéciale (introduit par la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la sixième réforme de l’État, Moniteur belge, 31 janvier 2014). L’article 16 de la loi spéciale du 8 août 1980 est rendu applicable à la Région de Bruxelles-Capitale par l’article 4, alinéa 3 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 et à la Communauté germanophone par l’article 5 de la loi du 31 décembre 1983.
  • [738]
    Pour rappel, le Sénat est lui-même partiellement constitué de membres des différentes assemblées parlementaires fédérées, en incarnation du principe de participation.
  • [739]
    Ce mécanisme doit être bien distingué de celui qui voit des institutions fédérales devoir exécuter aussi des politiques fédérées (pensons, en Belgique, à l’exemple du droit de l’injonction positive dans le domaine de la justice ou à celui de la sécurité routière dans les matières de police), ainsi que de celui qui voit des institutions dépendant des entités fédérées devoir appliquer également des mesures fédérales (ainsi, en Belgique, les maisons de justice sont communautarisées mais mettent en œuvre une politique publique – en l’occurrence, d’exécution des peines – qui est presque exclusivement fédérale).
  • [740]
    Les administrations de chaque Land appliquent, d’une part, la législation du Land et, d’autre part, la plupart des lois fédérales (à savoir celles qui ne sont pas relatives à un domaine propre du pouvoir fédéral) ; pour ces lois fédérales, les Länder disposent d’une certaine marge de choix quant à leur application à l’égard de leurs citoyens. Cf. les articles 83 (« Sauf disposition contraire prévue ou admise par la présente Loi fondamentale, les Länder exécutent les lois fédérales à titre de compétence propre ») à 87 de la Loi fondamentale allemande.
  • [741]
    Le système est mutatis mutandis le même qu’en Allemagne. Cf. les articles 11, 12, 14, 14a et 15 de la Constitution autrichienne.
  • [742]
    Le pouvoir fédéral se charge principalement des règles générales, de la planification et du financement, tandis que l’exécution des lois et des programmes est essentiellement confiée aux Cantons ; ces derniers disposent pour cela d’une grande liberté d’action (notamment dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la culture) et peuvent donc poursuivre des politiques diversifiées. Cf. notamment l’article 46 de la Constitution suisse (« Les Cantons mettent en œuvre le droit fédéral conformément à la Constitution et à la loi (…). La Confédération laisse aux Cantons une marge de manœuvre aussi large que possible en tenant compte de leurs particularités »).
  • [743]
    K. Munungu Lungungu, « Les décrets conjoints dans le fédéralisme coopératif belge : réforme symbolique ou révolution a minima ? », in J. Sautois, M. Uyttendaele (dir.), La sixième réforme de l’État (2012-2013) : tournant historique ou soubresaut ordinaire ?, Limal, Anthemis, 2013, p. 487.
  • [744]
    Cour constitutionnelle, Arrêt n° 2/92, 15 janvier 1992, 2.B.3.
  • [745]
    Cf. S. Vandenbosch, P. Dermine, « La loyauté fédérale dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle » et N. Cambier, « Le principe de proportionnalité dans l’exercice des compétences », in C. Romainville, M. Verdussen (dir.), Les grands arrêts sur le partage des compétences dans l’État fédéral, Bruxelles, Larcier, 2019, p. 109-126 et p. 127-137.
  • [746]
    P. Dermine, « La loyauté fédérale et la sixième réforme de l’État. Essai d’interprétation », Administration publique, n° 2, 2015, p. 212.
  • [747]
    C’est peut-être en Allemagne que le principe en est le plus formalisé : la Cour constitutionnelle a consacré la Bundestreue comme principe constitutionnel dès 1952 (cf. H. A. Schwarz-Liebermann von Wahlendorf, « Une notion capitale du droit constitutionnel allemand : la Bundestreue (fidélité fédérale) », Revue du droit public et de la science politique, 1979, p. 769-793). Lorsque le pouvoir constituant a intégré la notion de loyauté fédérale dans le droit constitutionnel belge, c’était d’ailleurs en s’inspirant explicitement de la conception allemande (P. Dermine, « La loyauté fédérale et la sixième réforme de l’État », op. cit., p. 211).
  • [748]
    J. Poirier, N. Levrat, « Le fédéralisme coopératif comme terrain de jeu du droit », Fédéralisme Régionalisme, n° 18, 2018, https://popups.uliege.be.
  • [749]
    Loi [spéciale] du 21 juillet 1971 relative à la compétence et au fonctionnement des Conseils culturels pour la Communauté culturelle française et pour la Communauté culturelle néerlandaise (Moniteur belge, 23 juillet 1971).
  • [750]
    Cf. F. Bouhon, A. Jousten, X. Miny, E. Slautsky, « L’État belge face à la pandémie de Covid-19 : esquisse d’un régime d’exception », op. cit. ; J. Faniel, C. Sägesser, « La Belgique entre crise politique et crise sanitaire (mars-mai 2020) », CH, n° 2447, 2020.
  • [751]
    Par la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles (Moniteur belge, 15 août 1980). Cf. aussi, lors de la troisième réforme de l’État, la loi du 16 juin 1989 portant diverses réformes institutionnelles (Moniteur belge, 17 juin 1989).
  • [752]
    Loi spéciale du 20 mars 2007 complétant l’article 31 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, prévoyant la présence du président du gouvernement de la Communauté germanophone au sein du Comité de concertation, et abrogeant l’article 67 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (Moniteur belge, 13 juin 2007). Précédemment, et depuis 1983, cette règle figurait dans ladite loi du 31 décembre 1983.
  • [753]
    A.-E. Bourgaux, « La Belgique, État failli ou fédération… “para-fédérale” ? Le Comité de concertation comme illustration des jeux du droit », Fédéralisme Régionalisme, n° 18, 2018, https://popups.uliege.be.
  • [754]
    Il a été décidé de ne nommer au Comité de concertation ni Vincent Van Quickenborne (Open VLD), sa formation politique étant déjà représentée par le Premier ministre, ni Petra De Sutter (Groen), sa formation politique étant la plus petite de la coalition. Le gouvernement fédéral est donc représenté par le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), et par les vice-Premiers ministres Pierre-Yves Dermagne (PS), Sophie Wilmès (MR), Georges Gilkinet (Écolo), Vincent Van Peteghem (CD&V) et Frank Vandenbroucke (Vooruit). Cf. l’arrêté royal du 23 octobre 2020 portant désignation des cinq membres du gouvernement au sein du Comité de concertation institué par la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles (Moniteur belge, 29 octobre 2020).
  • [755]
    À l’heure d’écrire ces lignes, les membres provenant des entités fédérées sont Elio Di Rupo (PS) pour le gouvernement wallon, Rudi Vervoort (PS) et Elke Van den Brandt (Groen) pour le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, Pierre-Yves Jeholet (MR) pour le gouvernement de la Communauté française, et Jan Jambon (N-VA) et Hilde Crevits (CD&V) pour le gouvernement flamand, auxquels s’ajoute Oliver Paasch (ProDG) pour le gouvernement de la Communauté germanophone.
  • [756]
    M. Uyttendaele, Trente leçons de droit constitutionnel, 3e édition, Limal, ULB / Anthemis, 2020, p. 981.
  • [757]
    Cf. l’article 31/1 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, introduit par la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la sixième réforme de l’État.
  • [758]
    Conférence des gouvernements cantonaux, « Rapport annuel 2020 », 2021.
  • [759]
    Article 31bis de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, introduit par la loi du 16 juin 1989 portant diverses réformes institutionnelles.
  • [760]
    Par rapport à la liste des conférences interministérielles décidée en janvier 2015 sur proposition du gouvernement Michel I (N-VA/MR/CD&V/Open VLD), ont été ajoutées les conférences interministérielles suivantes : Droits des femmes, Investissements stratégiques, Lutte contre le racisme, Migration et intégration, Statistiques.
  • [761]
    La constitution de la conférence interministérielle de la Politique étrangère est imposée par l’article 31bis de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [762]
    Cf. l’article 44 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises. À la différence de ce qui est de mise pour le Comité de concertation, le nombre de membres siégeant au Comité de coopération n’est pas fixe mais dépend d’une décision prise par le gouvernement fédéral, par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres. À l’heure d’écrire ces lignes, le Comité de coopération comprend huit membres. Les représentants du gouvernement fédéral en son sein sont Karine Lalieux (PS) – qui, en tant que ministre en charge de Beliris, assume également sa présidence –, Sophie Wilmès (MR), Vincent Van Peteghem (CD&V) et Frank Vandenbroucke (Vooruit). Les représentants du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale sont Rudi Vervoort (PS), Elke Van den Brandt (Groen), Alain Maron (Écolo) et Sven Gatz (Open VLD). Observons que, même si cela ne renvoie pas à une obligation légale, tant le Premier ministre que le ministre-président bruxellois peuvent siéger au sein du Comité de coopération. Dans un tel cas, ils sont l’un et l’autre comptabilisés comme francophone ou néerlandophone, le Premier ministre ne pouvant pas à cet égard être considéré comme « neutre » sur le plan linguistique (comme cela est éventuellement le cas au sein du Conseil des ministres).
  • [763]
    Comme dans le cadre du Comité de concertation, cette règle du consensus s’apparente toutefois à celle de l’unanimité.
  • [764]
    Article 43 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
  • [765]
    Cf. Q. Peiffer, « Les spécificités institutionnelles de la région bruxelloise », op. cit., p. 32-42.
  • [766]
    Article 4, § 1er de la loi [spéciale] du 21 juillet 1971 relative à la compétence et au fonctionnement des Conseils culturels pour la Communauté culturelle française et pour la Communauté culturelle néerlandaise ; article 55, § 2 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone.
  • [767]
    Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p.1017.
  • [768]
    En son article 55, § 3.
  • [769]
    Cf. M. Wunderle, « Quelle communauté urbaine pour Bruxelles ? Réflexions sur la “communauté métropolitaine” prévue dans l’accord de gouvernement de 2011 », Les analyses du CRISP en ligne, 22 décembre 2011 ; B. Blero, « Les réformes liées à la scission de BHV : la pacification communautaire, la communauté métropolitaine et le refinancement de Bruxelles », CH, 2280-2281, 2015, p. 33-43 ; J.-P. Nassaux, « La communauté métropolitaine : opportunité ou piège pour les Bruxellois ? », Les @nalyses du CRISP en ligne, 4 juin 2015.
  • [770]
    Loi spéciale du 19 juillet 2012 complétant l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles en ce qui concerne la communauté métropolitaine de Bruxelles (Moniteur belge, 22 août 2012).
  • [771]
    Article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, introduit par la loi spéciale du 8 août 1988 de réformes institutionnelles (Moniteur belge, 13 août 1988).
  • [772]
    À cet égard, il peut sembler cocasse de relever que des responsables politiques signent parfois un accord de coopération avec eux-mêmes, comme c’est le cas des accords de coopération conclus entre la Région de Bruxelles-Capitale et la COCOM ou entre la Communauté flamande et la Région flamande. Ces exemples soulignent toutefois que, même lorsque le personnel politique est identique, il s’agit bien d’entités distinctes, jouissant d’une personnalité juridique différente.
  • [773]
    Pour un exemple concret, cf. J.-G. Lowies, M.-H. Schrobiltgen, « L’accord de coopération culturelle entre la Communauté française et la Communauté flamande », CH, n° 2293-2294, 2016.
  • [774]
    À propos de l’instauration des accords de coopération par le législateur spécial et les premières applications du dispositif, cf. M. Uyttendaele, P. Coenraets, « Les accords de coopération », CH, n° 1325, 1991.
  • [775]
    J. Poirier, « Les accords de coopération dans le processus de réformes institutionnelles : instruments d’exécution ou d’ingénierie constitutionnelle ? », in Les Accords du Lambermont : approfondissement du fédéralisme ou erreur d’aiguillage ?, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 112.
  • [776]
    Cf. P. Minsier, M. Uyttendaele, « Accord de coopération », in M. Uyttendaele, M. Verdussen (dir.), Dictionnaire de la sixième réforme de l’État, op. cit., p. 13-29.
  • [777]
    Cf., par exemple, l’accord de coopération d’exécution du 13 octobre 2020 entre l’État fédéral, la Communauté flamande, la Région wallonne, la Communauté germanophone et la Commission communautaire commune concernant la ou les applications numériques de traçage des contacts, conformément à l’article 92bis, § 1er, alinéa 3 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (Moniteur belge, 15 octobre 2020) et l’accord de coopération d’exécution du 23 juillet 2021 entre l’État fédéral, la Communauté flamande, la Communauté française, la Communauté germanophone, la Commission communautaire commune, la Région wallonne et la Commission communautaire française concernant le traitement des données liées au certificat Covid numérique de l’UE et au Covid Safe Ticket, le PLF et le traitement des données à caractère personnel des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants vivant ou résidant à l’étranger qui effectuent des activités en Belgique (Moniteur belge, 28 juillet 2021).
  • [778]
    M. Uyttendaele, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 1000.
  • [779]
    Rapporté par J. Poirier, « Les accords de coopération dans le processus de réformes institutionnelles », op. cit., p. 90.
  • [780]
    P. Minsier, M. Uyttendaele, « Accord de coopération », op. cit., p. 28.
  • [781]
    I. Leksin, « Intergovernmental Agreements in Contemporary Russia », International Journal of Public Administration, volume 41, n° 5-6, 2018, p. 340-356.
  • [782]
    Cf. J. Poirier, « Les accords de coopération belges au regard du droit comparé. Rapport final présenté à la Région de Bruxelles-Capitale », Université libre de Bruxelles, Centre de droit public / Vrije Universiteit Brussel, Vakgroep Politieke Wetenschappen, 2001. Cf. également T. Moonen, J. Riemslagh, S. Van Drooghenbroeck, « L’égalité et la non-discrimination », in M. El Berhoumi, S. Van Drooghenbroeck (dir.), Principes de la répartition des compétences, op. cit., p. 363-382.
  • [783]
    R. Chattopadhyay, K. Nerenberg (dir.), Dialogues on Intergovernmental Relations in Federal Systems: A Global Dialogue on Federalism, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2010.
  • [784]
    H. Dumont, « Préface. Sur les liens entre les principes et leur cohérence », in M. El Berhoumi, S. Van Drooghenbroeck (dir.), Principes de la répartition des compétences, op. cit., p. 20.
  • [785]
    Cf. M. Uyttendaele, « Décrets conjoints », in M. Uyttendaele, M. Verdussen (dir.), Dictionnaire de la sixième réforme de l’État, op. cit., p. 341-343 ; Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 1056-1059 ; K. Munungu Lungungu, « Les décrets conjoints dans le fédéralisme coopératif belge », op. cit., p. 487-524.
  • [786]
    Article 92bis/1 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, introduit par la loi spéciale de réformes institutionnelles du 6 janvier 2014 modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle et la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises (Moniteur belge, 31 janvier 2014).
  • [787]
    Moniteur belge, 7 août 2017 et 13 septembre 2017.
  • [788]
    Moniteur belge, 7 juin 2019.
  • [789]
    Moniteur belge, 2 mars 2022.
  • [790]
    Arrêté ministériel du 13 mars 2020 portant le déclenchement de la phase fédérale concernant la coordination et la gestion de la crise coronavirus Covid-19 (Moniteur belge, 13 mars 2020).
  • [791]
    Arrêté royal du 31 janvier 2003 portant fixation du plan d’urgence pour les événements et situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national (Moniteur belge, 21 février 2003). Cf. aussi l’arrêté royal du 22 mai 2019 relatif à la planification d’urgence et la gestion de situations d’urgence à l’échelon communal et provincial et au rôle des bourgmestres et des gouverneurs de province en cas d’événements et de situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national (Moniteur belge, 27 mai 2019). À ce sujet, cf. C. Fallon, A. Thiry, S. Brunet, « Planification d’urgence et gestion de crise sanitaire. La Belgique face à la pandémie de Covid-19 », CH, n° 2453-2454, 2020.
  • [792]
    Arrêté ministériel du 10 mars 2022 abrogeant l’arrêté ministériel du 13 mars 2020 portant le déclenchement de la phase fédérale concernant la coordination et la gestion de la crise coronavirus Covid-19 (Moniteur belge, 11 mars 2022).
  • [793]
    Loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique (Moniteur belge, 20 août 2021). Cette loi prévoit que le gouvernement fédéral peut adopter des mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, constatée par un arrêté royal confirmé par la Chambre des représentants. Cette loi a été activée pour la première fois du 29 octobre 2021 au 11 mars 2022.
  • [794]
    Article 5, § 2 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [795]
    Article 6, § 6 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [796]
    Article 81, § 1er de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [797]
    Article 6, § 3 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [798]
    Article 6, § 2 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [799]
    Article 4, § 1er, alinéa 2 de la loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique.
  • [800]
    Article 11 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [801]
    Article 6bis, § 2, alinéa 4 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [802]
    A.-E. Bourgaux, « La Belgique, État failli ou fédération… “para-fédérale” ? », op. cit., p. 5.
  • [803]
    Il est à noter que l’article 143 de la Constitution comporte une disposition transitoire, toujours applicable à l’heure actuelle, qui stipule : « Pour ce qui concerne la prévention et le règlement des conflits d’intérêts, la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles reste d’application ; elle ne peut toutefois être abrogée, complétée, modifiée ou remplacée que par les lois visées aux § 2 et 3 ». Cela implique que, sur ce point, seul le législateur spécial est habilité à modifier la loi (ordinaire) du 9 août 1980.
  • [804]
    Cf. la loi du 3 juillet 1971 relative à la répartition des membres des Chambres législatives en groupes linguistiques et portant diverses dispositions relatives aux Conseils culturels pour la Communauté culturelle française et pour la Communauté culturelle néerlandaise (Moniteur belge, 6 juillet 1971). Étaient alors visés les conflits susceptibles de survenir entre la loi, d’une part, et les décrets adoptés par les Conseils culturels de la Communauté culturelle française et de la Communauté culturelle néerlandaise, d’autre part, ainsi que les conflits éventuels entre de tels décrets. La notion de conflit de compétence est donc contemporaine de la naissance d’un pouvoir législatif propre confié à des entités nouvellement créées : les Communautés culturelles, qui deviendront par la suite les Communautés.
  • [805]
    Les conflits qui ont trait à la question de savoir si un projet législatif relève du bicaméralisme (intégral ou optionnel) ou du monocaméralisme sont réglés suivant une procédure spécifique, à savoir au sein d’une commission parlementaire composée paritairement de membres de la Chambre des représentants et du Sénat.
  • [806]
    Articles 2 et 3 des lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le Conseil d’État (Moniteur belge, 21 mars 1973).
  • [807]
    F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles / Paris, Bruylant / Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2000, p. 651.
  • [808]
    Article 3, § 2, alinéa 1er des lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le Conseil d’État.
  • [809]
    Article 85bis des lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le Conseil d’État.
  • [810]
    Article 3, § 4, dernier alinéa des lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le Conseil d’État.
  • [811]
    L. Vancrayebeck, « La légisprudence de la section de législation du Conseil d’État », in I. Hachez et al. (dir.), Les sources du droit revisitées, tome 2 : Normes internes infraconstitutionnelles, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2012, p. 287. Une autre hypothèse dans laquelle un avis rendu par la section de législation du Conseil d’État présente un caractère contraignant sera examinée ultérieurement : il s’agit du cas où celle-ci doit déterminer si un conflit d’intérêts est ou non exempt d’un conflit de compétence.
  • [812]
    M. Uyttendaele, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 982.
  • [813]
    Cf. notamment ibidem, p. 983 ; S. Van Drooghenbroeck, L. Detroux, X. Delgrange, « Conseil d’État et Comité de concertation : repenser les frontières et l’aménagement des rôles », in E. Vandenbossche (dir.), Évolutions dans le fédéralisme coopératif belge, Bruges, La Charte, 2013, p. 37-58 ; F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., p. 663.
  • [814]
    L. Vancrayebeck, « La légisprudence de la section de législation du Conseil d’État », op. cit., p. 287-288 ; J. Jaumotte, É. Thibaut, Le Conseil d’État de Belgique, tome 1, 2e édition, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 175.
  • [815]
    Article 142 de la Constitution ; article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (Moniteur belge, 7 janvier 1989).
  • [816]
    Article 2 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
  • [817]
    Article 19 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
  • [818]
    Article 9 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
  • [819]
    Articles 26 à 30bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
  • [820]
    C. Romainville, M. Verdussen (dir.), Les grands arrêts sur le partage des compétences dans l’État fédéral, op. cit., p. 10.
  • [821]
    Ibidem.
  • [822]
    F. Bouhon, « Analyse transversale : les juridictions constitutionnelles suprêmes – créatures et créateurs de fédéralisme ? », Fédéralisme Régionalisme, n° 17 : F. Bouhon (dir.), Les juridictions constitutionnelles suprêmes dans les États fédéraux : créatures et créateurs de fédéralisme, 2017, https://popups.uliege.be, p. 16.
  • [823]
    G. Rosoux, « La Cour constitutionnelle de Belgique : un arbitre au cœur du fédéralisme belge », Fédéralisme Régionalisme, n° 17, op. cit., p. 1.
  • [824]
    F. Bouhon, « Analyse transversale : les juridictions constitutionnelles suprêmes », op. cit., p. 16.
  • [825]
    M. Uyttendaele, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 984.
  • [826]
    Marc Uyttendaele propose d’ailleurs de définir le conflit d’intérêts par référence à la notion voisine de conflit de compétence : ainsi, un conflit d’intérêts est « un conflit dans lequel la question de compétence est soit absente, soit posée en des termes tels qu’il n’y a pas lieu ou pas lieu encore à intervention d’une juridiction » (ibidem, p. 984).
  • [827]
    A.-E. Bourgaux, « La Belgique, État failli ou fédération… “para-fédérale” ? », op. cit., p. 5.
  • [828]
    Article 32, § 6 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [829]
    J. Jaumotte, É. Thibaut, Le Conseil d’État de Belgique, op. cit., p. 320. Cf. aussi L. Vancrayebeck, « La légisprudence de la section de législation du Conseil d’État », op. cit., p. 289.
  • [830]
    Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 1021.
  • [831]
    Article 32, § 2 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [832]
    Trois quarts des voix dans le cas de la Chambre des représentants, du Sénat, du Parlement wallon, du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, du Parlement de la Communauté française, du Parlement flamand, du Parlement de la Communauté germanophone et de l’Assemblée de la COCOF ; la majorité des voix dans chacun des groupes linguistiques dans le cas de l’Assemblée réunie de la COCOM.
  • [833]
    Articles 1er à 1er quater de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [834]
    Sur ce dossier, cf. J. Brassinne de La Buissière, « Les négociations communautaires sous le gouvernement Verhofstadt II. Forum institutionnel et Bruxelles-Hal-Vilvorde », op. cit. ; S. Govaert, « Bruxelles-Hal-Vilvorde : du quasi-accord de 2005 à la procédure en conflit d’intérêts », CH, n° 1974, 2007 ; S. Govaert, « Les discussions communautaires sous les gouvernements Verhofstadt III, Leterme et Van Rompuy », CH, n° 2024-2025, 2009 ; S. Govaert, « Les discussions communautaires sous le gouvernement Leterme II (2009-2010) », CH, n° 2126, 2012 ; S. Govaert, « Les négociations communautaires et la formation du gouvernement Di Rupo (juin 2010 - décembre 2011) », CH, n° 2144-2145, 2012 ; B. Blero, « La scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde », « Les réformes liées à la scission de BHV : la pacification communautaire, la communauté métropolitaine et le refinancement de Bruxelles » et « La réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles », CH, n° 2279, 2280-2281 et 2282-2283, 2015.
  • [835]
    Ne disposant pas du pouvoir législatif, l’Assemblée de la VGC est exclue du champ d’application de la procédure (cf. l’article 32, § 1er de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles).
  • [836]
    Par exemple, dans le dossier relatif à la fusion de Vivaqua et Hydrobru, deux opérateurs actifs dans le secteur de l’eau dans la région bruxelloise et son agglomération, les assemblées parlementaires concernées (à savoir le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et le Parlement flamand) ont convenu d’accorder un délai destiné à permettre à la Région de Bruxelles-Capitale, d’une part, et aux onze communes flamandes ayant exprimé leur souhait de quitter Vivaqua, d’autre part, de parvenir à un accord. Ce délai a effectivement été mis à profit pour fixer des modalités de sortie, notamment sur le plan financier, convenant à toutes les parties concernées. Cf. Vlaams Parlement, Motie betreffende een belangenconflict met betrekking tot de geplande fusie van intercommunales Vivaqua en Hydrobru, n° 1032/1, 22 décembre 2019, motion dirigée contre Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Proposition d’ordonnance modifiant l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, n° 438/1, 24 novembre 2016.
  • [837]
    Cf. J. Poirier, « Le partage des compétences et les relations intergouvernementales », op. cit., p. 107-122 ; J. Poirier, « Les relations intergouvernementales dans les systèmes fédéraux », op. cit., p. 81-97.
  • [838]
    Article 32 de la Loi fondamentale allemande.
  • [839]
    C. Behrendt, « La ratification des traités internationaux. Une perspective de droit comparé », Bruxelles, Parlement européen, 2020, p. v, www.europarl.europa.eu.
  • [840]
    Ibidem, p. 7. Par exemple, quand bien même c’est une norme adoptée au niveau d’une entité fédérée qui est attaquée, c’est l’Autorité fédérale qui organise la défense de l’État belge devant la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de justice de l’Union européenne, etc. (cf. infra).
  • [841]
    Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 760.
  • [842]
    Ibidem.
  • [843]
    C. Behrendt, « La ratification des traités internationaux », op. cit., p. 9.
  • [844]
    Article 92bis, § 4ter de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ; accord de coopération du 8 mars 1994 entre l’État fédéral, les Communautés et les Régions relatif aux modalités de conclusion des traités mixtes (Moniteur belge, 17 décembre 1996). Il est à noter que cette délégation de pouvoir opérée à son tour par la loi spéciale est considérée comme inconstitutionnelle par de nombreux juristes.
  • [845]
    C. Behrendt, « La ratification des traités internationaux », op. cit., p. 650.
  • [846]
    D. Van Eeckhoutte, T. Corthaut, « In foro interno et in foro externo », in M. El Berhoumi, S. Van Drooghenbroeck (dir.), Principes de la répartition des compétences, op. cit., p. 329-362.
  • [847]
    Ibidem.
  • [848]
    « Les relations internationales de l’État belge : entre statu quo et fausse simplification », in H. Dumont, M. El Berhoumi, I. Hachez (dir.), La sixième réforme de l’État, op. cit., p. 187-188.
  • [849]
    H. Dumont, « Préface. Sur les liens entre les principes et leur cohérence », op. cit., p. 18.
  • [850]
    Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 737.
  • [851]
    Article 169 de la Constitution ; article 16, § 3 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
  • [852]
    Article 16, § 4 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Cf. Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 739-741 ; B. Heymans, « Climat », in M. Uyttendaele, M. Verdussen (dir.), Dictionnaire de la sixième réforme de l’État, op. cit., p. 171-183.
  • [853]
    Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge, op. cit., p. 739.
  • [854]
    Concernant l’évolution des pratiques en la matière et l’importance des changements survenus avec la quatrième réforme de l’État, cf. D. Criekemans, C. Lanneau, « Les relations extérieures de la Flandre, de la Communauté française, de la Région wallonne et de la Région de Bruxelles-Capitale », in M. Van den Wijngaert (dir.), D’une Belgique unitaire à une Belgique fédérale. 40 ans d’évolution politique des Communautés et des Régions (1971-2011), Bruxelles, Vlaams Parlement / Academic and Scientific Publishers, 2011, p. 201-220.
  • [855]
    Accord de coopération du 20 mars 2008 entre la Communauté française, la Région wallonne et la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale créant une entité commune pour les relations internationales de Wallonie-Bruxelles (Moniteur belge, 23 mai 2008).
  • [856]
    « À propos de Wallonie-Bruxelles International », 22 septembre 2021, https://wbi.be.
  • [857]
    D. Criekemans, C. Lanneau, « Les relations extérieures de la Flandre, de la Communauté française, de la Région wallonne et de la Région de Bruxelles-Capitale », op. cit., p. 202.
  • [858]
    Décret wallon du 2 avril 1998 créant l’Agence wallonne à l ’exportation [et aux investissements étrangers] (Moniteur belge, 10 avril 1998).
  • [859]
    Accord de coopération du 8 mars 1994 entre l’État fédéral, les Communautés et les Régions relatif à la représentation du Royaume de Belgique au sein du Conseil des ministres de l’Union européenne (Moniteur belge, 17 novembre 1994).
  • [860]
    F. Randour, « Fédéralisme belge et européanisation : comment l’intégration européenne et le fédéralisme se parlent-ils ? », in C. Xhardez, M. Counet, F. Randour, C. Niessen (dir.), 50 ans de fédéralisation de l’État belge. Institutions, acteurs, politiques publiques et particularités du fédéralisme belge, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2020, p. 61.
  • [861]
    Cette conférence interministérielle (cf. supra) est composée du ministre fédéral des Affaires étrangères et des ministres des Régions et des Communautés en charge des relations internationales.
  • [862]
    Cf. notamment H. Dumont, « Le partage des compétences relatives à l’élaboration des normes européennes entre l’État belge et ses composantes fédérées », Revue des affaires européennes, n° 1, 2013, p. 42-47 ; F. Randour, « Fédéralisme belge et européanisation », op. cit., p. 60-62.
  • [863]
    863 Ibidem, p. 62-63.
  • [864]
    Ibidem, p. 66.
  • [865]
    Le Parlement flamand opère cette ratification au nom des Communauté et Région flamandes.
  • [866]
    H. Dumont, « Le partage des compétences relatives à l’élaboration des normes européennes entre l’État belge et ses composantes fédérées », op. cit., p. 40.
  • [867]
    Cf. A. Dufresne, C. Leterme, « La mobilisation contre le TTIP et le CETA », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », CH, n° 2341-2342, 2017, en particulier p. 104-110.
  • [868]
    Seules les trois Régions et la Communauté germanophone se sont vu formellement attribuer un territoire exclusif (par l’article 5 de la Constitution pour les Région wallonne et Région flamande, par l’article 130 § 2 de la Constitution pour la Communauté germanophone, et par la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises pour la Région de Bruxelles-Capitale). Toutefois, la Communauté française et la Communauté flamande sont aussi soumises à un principe de territorialité : les législations qu’elles adoptent ne s’appliquent que sur des espaces bien délimités (à savoir des régions linguistiques).
  • [869]
    Seule la Région de Bruxelles-Capitale est soumise à une forme de contrôle potentiel du pouvoir fédéral dans quelques matières bien précises. Par ailleurs, il est à relever que les institutions de la Communauté germanophone, ainsi que les compétences et les modalités de financement de cette entité fédérée, trouvent leur siège – outre dans la Constitution – dans des lois ordinaires et non dans des lois spéciales.
  • [870]
    Le budget flamand est toutefois commun à la Communauté et à la Région.
  • [871]
    Certaines entités fédérées belges disposent également d’un pouvoir fiscal.
  • [872]
    Même si la sixième réforme de l’État a confié l’organisation des maisons de justice aux Communautés.
  • [873]
    Même si la sixième réforme de l’État a quelque peu changé la donne à cet égard, en particulier en matière de prestations familiales.
  • [874]
    Elles y participent toutefois indirectement par le biais de leurs sénateurs de Région et de Communauté (le Sénat étant l’assemblée des entités fédérées) et, en pratique, par les accords conclus au niveau national entre les partis politiques francophones et néerlandophones.
  • [875]
    L’article 30 (anciennement, article 23), qui n’a pas été modifié depuis 1831, ajoute : « Il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires judiciaires ».
  • [876]
    La Communauté germanophone dispose cependant en cette matière de compétences plus restreintes que la Communauté française et la Communauté flamande.
  • [877]
    Rappelons en effet que, dépourvue du pouvoir législatif, la Commission communautaire flamande (VGC) ne peut être considérée comme une entité fédérée.
  • [878]
    Sont visés ici les pays comportant des Territoires et/ou des districts fédéraux.
  • [879]
    La Communauté française, la Communauté flamande et – même si, contrairement aux deux premières, elle ne l’a jamais consacré par une décision formelle – la Région de Bruxelles-Capitale (et, partant, la COCOM et la COCOF).
  • [880]
    En effet, même si aucun décret de la Région flamande – autrement dit, un décret pris par la Communauté flamande au titre des compétences régionales qu’elle exerce en région de langue néerlandaise – n’a jamais été adopté sur cette question, la ville de Bruxelles est également, de facto, la capitale de la Région flamande (puisque cette entité fédérée a « fusionné » avec la Communauté flamande).
  • [881]
    Parfois également dites compétences partagées.
  • [882]
    Auparavant, la Cour constitutionnelle y faisait déjà référence dans ses décisions via le principe de proportionnalité dans l’exercice des compétences.
  • [883]
    À cet égard, la crise sanitaire a pu être décrite comme un « test de résistance pour le fédéralisme belge » (cf. C. Xhardez, M. Counet, C. Niessen, F. Randour, « Quelles perspectives après cinquante ans de fédéralisation de l’État belge ? », in C. Xhardez, M. Counet, F. Randour, C. Niessen (dir.), 50 ans de fédéralisation de l’État belge. Institutions, acteurs, politiques publiques et particularités du fédéralisme belge, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2020, p. 240-251).
  1. Introduction
  2. 1. Un mode de constitution singulier
    1. 1.0. La Belgique, un cas unique de fédéralisme de dissociation ?
    2. 1.1. La Belgique unitaire (1831-1970)
      1. 1.1.1. La naissance de l’État belge
      2. 1.1.2. Le Mouvement flamand et les premières lois linguistiques
      3. 1.1.3. Le Mouvement wallon et le projet de « séparation administrative »
      4. 1.1.4. La fixation des régions linguistiques
      5. 1.1.5. Vers la fin de la Belgique unitaire
    3. 1.2. La Belgique communautaire (1970-1980)
      1. 1.2.1. La première réforme de l’État (1970-1973)
      2. 1.2.2. Un fédéralisme unique en gestation
      3. 1.2.3. Vers une régionalisation effective
    4. 1.3. La Belgique communautaire et régionale (1980-1993)
      1. 1.3.1. La deuxième réforme de l’État (1980-1983)
      2. 1.3.2. La troisième réforme de l’État (1988-1990)
    5. 1.4. La Belgique fédérale (depuis 1993)
      1. 1.4.1. La quatrième réforme de l’État (1992-1993)
        1. 1.4.1.1. Le contenu de la quatrième réforme de l’État
        2. 1.4.1.2. Les transferts de l’exercice de compétences entre entités fédérées
      2. 1.4.2. La cinquième réforme de l’État (2001)
      3. 1.4.3. La sixième réforme de l’État (2012-2014)
      4. 1.4.4. Vers la septième réforme de l’État
  3. 2. Des institutions fédérales singulières
    1. 2.0. De l’État unitaire à l’État fédéral
    2. 2.1. Des mécanismes visant à garantir l’équilibre entre francophones et néerlandophones
      1. 2.1.1. Les groupes linguistiques au sein de la Chambre des représentants et du Sénat
      2. 2.1.2. La notion de « loi spéciale »
      3. 2.1.3. Le mécanisme de la sonnette d’alarme
      4. 2.1.4. La règle de la parité au sein du Conseil des ministres
    3. 2.2. Le bicaméralisme à l’épreuve du fédéralisme
      1. 2.2.1. La chambre haute et le principe de participation
      2. 2.2.2. Les réformes du Sénat lors des quatrième et sixième réformes de l’État
      3. 2.2.3. Le Sénat aujourd’hui : une construction bien singulière
    4. 2.3. D’autres institutions fédérales marquées par une logique bipolaire plutôt que multipolaire
      1. 2.3.1. Le pouvoir judiciaire
      2. 2.3.2. La Cour des comptes, le Conseil d’État, la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la justice
        1. 2.3.2.1. La Cour des comptes
        2. 2.3.2.2. Le Conseil d’État
        3. 2.3.2.3. La Cour constitutionnelle
        4. 2.3.2.4. Le Conseil supérieur de la justice
    5. 2.4. La monarchie
  4. 3. Des entités fédérées singulières
    1. 3.1. Des entités fédérées de trois types
    2. 3.2. Des territoires qui se chevauchent
    3. 3.3. Des entités fédérées de tailles différentes
    4. 3.4. Le statut particulier de l’entité fédérée abritant la capitale du pays
    5. 3.5. Une répartition des compétences complexe dans un paysage institutionnel compliqué
      1. 3.5.1. La répartition des compétences dans les différentes matières
      2. 3.5.2. Trois mécanismes particuliers de la prise de décisions
    6. 3.6. Des compétences différentes pour chaque entité fédérée
      1. 3.6.1. Des entités fédérées asymétriques
      2. 3.6.2. Des compétences exercées par un nombre variable d’entités fédérées
    7. 3.7. Des institutions similaires
      1. 3.7.1. Les assemblées parlementaires des entités fédérées
      2. 3.7.2. Les gouvernements des entités fédérées
      3. 3.7.3. L’autonomie constitutive des entités fédérées
    8. 3.8. Des pouvoirs locaux passés sous la tutelle des entités fédérées
      1. 3.8.1. Les provinces
      2. 3.8.2. Les communes
  5. 4. Des dynamiques singulières
    1. 4.1. L’emploi des langues
      1. 4.1.1. Un État trilingue
      2. 4.1.2. Une Autorité fédérale essentiellement bilingue
      3. 4.1.3. Des Régions et des Communautés unilingues ou bilingues
      4. 4.1.4. Neuf provinces unilingues et une province bilingue
      5. 4.1.5. Des communes unilingues, bilingues ou « à facilités linguistiques »
      6. 4.1.6. Une capitale bilingue
      7. 4.1.7. La répartition des compétences en matière d’emploi des langues
    2. 4.2. Les transformations socio-économiques
      1. 4.2.1. Les rapports de force régionaux
      2. 4.2.2. La répartition des moyens
      3. 4.2.3. La sécurité sociale
    3. 4.3. Les acteurs et les structures socio-politiques
      1. 4.3.1. Clivages et piliers
      2. 4.3.2. Particratie, quasi-absence de partis nationaux et inexistence de circonscription électorale nationale
      3. 4.3.3. Circulation des élites politiques entre les niveaux de pouvoir et articulation des scrutins
  6. 5. Des relations singulières entre composantes de l’État
    1. 5.1. Les principes de répartition des compétences entre les composantes de l’État fédéral
      1. 5.1.1. Un fédéralisme par attribution de compétences aux entités fédérées
      2. 5.1.2. Un fédéralisme de compétences exclusives
      3. 5.1.3. Un fédéralisme de normes législatives fédérales et fédérées équipollentes
      4. 5.1.4. Un fédéralisme dépourvu de suprématie du pouvoir fédéral sur les entités fédérées
    2. 5.2. Les relations constructives entre composantes de l’État fédéral : l’organisation de la concertation et de la coopération
      1. 5.2.1. Les organes
        1. 5.2.1.1. Le Comité de concertation
        2. 5.2.1.2. Les conférences interministérielles (CIM)
        3. 5.2.1.3. Le Comité de coopération
        4. 5.2.1.4. Autres
      2. 5.2.2. Les mécanismes
        1. 5.2.2.1. Les accords de coopération
        2. 5.2.2.2. Les décrets et/ou ordonnances conjoints
        3. 5.2.2.3. La gestion de crise
        4. 5.2.2.4. Autres
    3. 5.3. Les relations défensives entre composantes de l’État fédéral : conflits de compétence et conflits d’intérêts
      1. 5.3.1. Les conflits de compétence
        1. 5.3.1.1. Volet préventif
        2. 5.3.1.2. Volet curatif
      2. 5.3.2. Les conflits d’intérêts
    4. 5.4. Les relations internationales : entre autonomie et collaboration
  7. Conclusion
        1. La « maison Belgique »
        2. Un État fédéral, indubitablement
        3. La querelle linguistique, source d’un cas rare de fédéralisme de dissociation
        4. Un fédéralisme asymétrique et de superposition
        5. Des compétences exclusives mais imbriquées
        6. Des modes spécifiques de gestion des conflits entre composantes
        7. Une particratie consociative sans partis nationaux
        8. Bipolarité et multipolarité jusque dans les questions économiques et fiscales
        9. D’autres institutions moins touchées par la fédéralisation du pays
        10. La Belgique, un État fédéral singulier
Jean Faniel
Cédric Istasse
Vincent Lefebve
Caroline Sägesser
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Chaque État est original dans son architecture institutionnelle, spécifique dans ses structures et unique dans ses équilibres. Il en va ainsi des États unitaires, et a fortiori des États fédéraux. Par définition en effet, tout système fédéral est constitué de plusieurs ordres juridiques, dont l’articulation résulte d’une histoire et d’un contexte socio-politique qui lui sont propres.

En Belgique, beaucoup de citoyens ont le sentiment de vivre dans un pays bien singulier. Un pays qui se différencie de tous les autres par l’évolution constante de son organisation, par le nombre de ses niveaux de pouvoir, par l’enchevêtrement des domaines de compétence de ses entités et par la complexité – voire l’opacité – de son fonctionnement. Un pays qui est secoué par des crises répétées semblant menacer jusqu’à son existence. Un pays qui présente de multiples caractéristiques qui ne se rencontrent pas ailleurs, et qui sont tout à la fois la cause et la conséquence d’un fédéralisme à nul autre pareil. Bref, un pays atypique.

Ce numéro spécial du Courrier hebdomadaire se penche sur les particularités de l’État fédéral belge, que ce soit en ce qui concerne son mode d’élaboration, les caractéristiques du pouvoir fédéral, les attributs de ses Régions et Communautés, les dynamiques qui le traversent ou les relations qu’entretiennent ses diverses composantes. Par un examen approfondi de ses caractéristiques sous des angles multiples et complémentaires, cette étude offre une lecture renouvelée et minutieuse du système socio-politique belge. En outre, afin de saisir les réelles singularités de la Belgique par rapport aux autres États fédéraux, elle montre en quoi le fédéralisme belge se distingue ou non des configurations institutionnelles de l’Allemagne, du Canada, des États-Unis, de la Suisse, etc.

Mis en ligne sur Cairn.info le 17/06/2022
https://doi.org/10.3917/cris.2500.0007
ISBN 9782870752678
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