CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1 Dans l’expression « responsabilité sociale des entreprises », le qualificatif « social » se rapporte à une réalité plus large que celle que recouvre son acception francophone. Il s’agit de la traduction littérale du mot anglais « social », dont le sens comporte une dimension plus sociétale, en ce compris environnementale. Le social au sens strict du terme s’élabore dans les enceintes ad hoc des divers systèmes de relations collectives du travail. En Belgique, dans les entreprises, les questions sociales sont traitées au sein du conseil d’entreprise et du comité pour la protection et la prévention au travail avec les représentants élus par les travailleurs. La délégation syndicale joue également un rôle important.

2 Comme le rappellent les auteurs d’un document émanant du Bureau international du travail  [1], il n’existe pas de document consensuel qui définisse la responsabilité sociale des entreprises (RSE). On s’accorde cependant à y placer des pratiques volontaires d’entreprises qui, soucieuses de répondre aux demandes de parties prenantes  [2], s’impliquent dans des actions sociales, sociétales et environnementales. L’objectif principal des entreprises reste toutefois la réalisation de profits. Pour J. Makower, « la responsabilité sociale traduit la conviction profonde de certains dirigeants d’entreprises selon laquelle celles-ci peuvent et doivent jouer un rôle qui ne se limite pas à maximiser leurs profits  [3] ».

3 Pour la Commission européenne, il s’agit de « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes  [4] ». Cette définition est aujourd’hui communément admise par les parties prenantes consultées par la Commission dans la foulée de sa communication sur la responsabilité sociale des entreprises. Cette communication fait suite à une consultation menée par la Commission à la suite de la publication de son Livre vert sur la responsabilité sociale des entreprises  [5]. Publié en juillet 2001, celui-ci a permis de recueillir bon nombre d’avis sur diverses questions relatives à la RSE, comme la place des pouvoirs publics, le type d’encadrement ou encore le rôle spécifique de la Commission. Le Livre vert avait recueilli majoritairement des réponses d’entreprises individuelles ou de fédérations régionales ou sectorielles d’entreprises, tandis que syndicats, ONG et organisations de consommateurs avaient davantage émis des réponses collectives.

4 Dans les années 1990 a débuté une réflexion une réflexion sur la gestion des entreprises, réflexion davantage tournée vers les actionnaires et les gestionnaires et mieux connue sous le terme de corporate governance. La responsabilité sociale a étendu le champ de réflexion à d’autres acteurs et se traduit aujourd’hui par des actions qui ne font pas partie du core business des entreprises. La RSE est au départ essentiellement le fait de firmes leaders sur le marché européen. Elle s’impose parfois à des entités de plus petites tailles, des PME, à travers des clauses précises dans les cahiers de charges soumis aux fournisseurs et sous-traitants.

5 Du point de vue de l’observateur, on retiendra que la RSE amène à formuler de nombreuses questions. En quoi la RSE constitue-t-elle une valeur ajoutée pour l’entreprise ? Quel est son impact sur les résultats de l’entreprise ? Quels sont ses résultats pour les bénéficiaires supposés des actions développées ?

6 Du point de vue des parties prenantes, d’autres questions sont posées. La RSE n’est-elle pas simplement une nouvelle forme de communication et, si tel est le cas, quelle place réelle doit-on y occuper ? La RSE n’a-t-elle pas des effets pervers sur des formes de dialogue institutionnalisées, comme le dialogue social ? Cette dernière question est centrale du point de vue de l’acteur syndical. Quelle place doit occuper l’acteur public ? Doit-il se contenter d’informer ou de promouvoir, ou bien, jouer un rôle plus réglementaire ? En d’autres termes, peut-on laisser une entreprise seule maîtresse du respect de ses engagements – un non-respect relevant à ce jour du seul droit commercial –, ou faut-il créer un nouveau droit, quitte à développer des volets particuliers à la RSE dans le champ du droit du travail ou de l’environnement ?

7 Les nouvelles formes d’organisation de la production occultent souvent le fait que les décisions prises par le management du groupe d’entreprises affectent la plupart du temps des entreprises individuelles. De même, décidée à un niveau central du groupe, la responsabilité sociale a des implications de gestion sur le terrain. Elle a aussi et surtout des implications visibles au niveau de la gestion, sur les parties prenantes de l’entreprise et, au premier chef, ses travailleurs. Par ailleurs, des stratégies menées par les différentes entreprises d’un même groupe ne sont pas nécessairement cohérentes entre elles. De même, l’attitude des syndicats varie selon les niveaux. Et si, dans les entreprises, les représentations des travailleurs se montrent parfois positives par rapport à des décisions de mise en œuvre de stratégie RSE, en revanche, aux niveaux interprofessionnels et européens, on se montre nettement plus sceptique pour ne pas dire franchement méfiant quant à ce nouveau mode de gestion.

8 Ces questions font l’objet de réflexions tant au niveau des institutions européennes, que chez les parties prenantes (notamment la Confédération européenne des syndicats, la plate-forme des ONG sociales et l’UNICE) ou encore dans les écoles de commerce. Elles sont également au centre de l’observation menée dans le cadre du sixième programme cadre européen en matière de recherche et développement qui consacre un volet spécifique à la RSE.

9 Un véritable marché de l’expertise et de la consultance s’est développé. Il est né notamment du souci des entreprises de mesurer leurs performances extra-économiques et de se mesurer entre elles à l’intérieur d’un secteur.

10 Les sujets sur lesquels entendent agir les défenseurs de la RSE sont d’ordres très différents. Il s’agit autant de la préservation de l’environnement, de l’aménagement des sites et du recyclage des déchets, que de gestion de la qualité de l’emploi. Parfois, mais plus rarement, d’intégration de travailleurs défavorisés.

11 De nombreux instruments juridiques internationaux ont déjà tenté d’aborder le problème de l’impact social et environnemental du mode de production industrielle capitaliste. Ainsi l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié des principes directeurs à l’attention des entreprises multinationales. S’adressant aux seules entreprises, ce texte n’est pas contraignant, aucune organisation internationale n’étant en mesure de leur imposer des obligations.

12 En s’organisant en réseau avec des filiales dans les pays émergents et en multipliant l’externalisation de certaines activités, les entreprises changent en réalité de régimes juridiques vis-à-vis de leurs contractants. En délocalisant et en sous-traitant, les entreprises passent des contrats de travail à des contrats civils et commerciaux  [6]. On fait dès lors face à une forme de privatisation des normes de travail qui peut conduire à un affaiblissement de la protection des travailleurs.

13 Les actions annoncées par l’entreprise dans le cadre de la RSE se déclinent dans un processus, un système de gestion que l’on peut schématiquement découper de la manière suivante :

  • affirmation et communication des valeurs à travers un code de conduite, une charte, un engagement ;
  • engagements sur des valeurs déterminées par d’autres acteurs, mais acceptées par l’entreprise à travers les labels ;
  • mise en place d’une stratégie et d’actions visant à faire progresser les valeurs affichées : formation continue, conventions avec les fournisseurs et sous-traitants, intéressement des travailleurs, actions de formation et d’information en vue d’améliorer la sécurité ;
  • mise en place d’indicateurs quantitatifs (quel est le résultat escompté, quelle est la progression quantifiée,…) et qualitatifs (quelle est la nature des actions,…) ;
  • contrôles internes et audits externes (développement d’un marché de l’audit) ;
  • publication d’un rapport et / ou bilan sociétal.
La RSE doit enfin se lire dans le contexte de la mondialisation, c’est-à-dire d’une privatisation et d’une dérégulation se caractérisant par :
  • une place prédominante et accrue des multinationales : le chiffre d’affaires consolidé des plus grandes entreprises dépasse le PNB de certains États ;
  • un désinvestissement des pouvoirs publics de matières sociales (privatisation des systèmes de santé et d’éducation, deuxième et troisième piliers des pensions), désinvestissement qui ménage une place pour le secteur privé, du moins dans les activités les plus rentables des services d’intérêt général ;
  • la montée en puissance des organisations économiques et financières parallèle à l’affaiblissement des organisations politiques : le rôle du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est aujourd’hui au moins aussi important que celui de l’Assemblée générale des Nations unies ou de certaines de ses agences.
Dans ce contexte, les organisations internationales se sont emparées de la RSE comme un nouveau champ de réaménagement des rapports de forces.

1. ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT DE LA RSE

1.1. L’ORIGINE

14 La responsabilité sociale des entreprises n’est pas un phénomène neuf. Au 19e siècle déjà, des patrons, soucieux d’endiguer des mouvements contestataires, ont occupé une place prise plus tard par les pouvoirs publics. Assurant l’éducation des enfants des travailleurs, une prise en charge minimale des soins de santé ou les distributions charitables, ces patrons paternalistes savaient aussi qu’il était de leur intérêt d’anticiper toute velléité revendicative.

15 Ce type de fonctionnement s’est complexifié au vingtième siècle. Des caractéristiques propres aux modes de gestion pratiqués en Europe et aux États-Unis ont vu le jour.

16 Ainsi, la construction de la société américaine s’est faite avec une implication minimale de l’État dans les services d’intérêt général. Les entreprises y ont pris en charge ces derniers, s’assurant par la même occasion les meilleures compétences. Aux États-Unis, des comportements d’entreprises qui s’apparentent à la RSE se sont érigés en méthode de gestion dès les années 1930, dans un contexte d’absence quasi totale des pouvoirs publics dans les services. Il s’agissait alors d’attirer les meilleures compétences dans l’entreprise en offrant des services qui, dans un contexte européen par exemple, étaient assurés par les pouvoirs publics ou par des systèmes de mutualisation, par exemple l’assurance maladie. C’est à cette époque que les premiers théoriciens enseignent la RSE dans les universités : Théodore Kreps et, plus tard, Richard Bowen. Aux États-Unis encore, le mouvement consumériste qui s’est développé avec Ralph Nader, a contribué à promouvoir un peu plus des modes de fonctionnement à l’écoute de la société, dans les grandes entreprises. On notera au passage que le contexte du protestantisme semble également avoir favorisé ce type de gestion, non seulement aux États-Unis, mais également dans le Nord de l’Europe.

17 Dans les années 1970, on a vu se multiplier les codes de conduite qui intégraient des engagements au profit des salariés des entreprises et, éventuellement, de leurs filiales. Les nouveaux codes de conduite tentent de répondre à la transformation de l’organisation de l’entreprise en firme réseau, une forme d’organisation basée sur des localisations multiples.

1.2. LES ENTREPRISES FACE AUX CAMPAGNES DE DÉNONCIATION

18 Les années 1980 ont vu l’émergence de mouvements d’actions que l’on appelle aujourd’hui « citoyennes » et qui, visant des objectifs politiques, ont ciblé les intérêts économiques et financiers via des actions de boycott. La lutte anti-apartheid illustre ce qui était alors une stratégie déjà ancienne  [7], dans le chef d’organisations qui contestent les effets néfastes du capitalisme, mais remise au goût du jour. En Europe et aux États-Unis, des syndicats, des associations, mais aussi des pouvoirs publics locaux, des universités et des églises ont dénoncé ou boycotté des entreprises. Des grandes banques, des sociétés minières et pétrolières ont été la cible de ces campagnes. De l’interpellation en assemblée générale, au boycott d’achat en passant par les campagnes d’affichage, elles ont dû prendre position.

19 Le groupe anglo-néerlandais Shell a subi, à cette époque, l’une des premières attaques. Fortement critiqué pour son implication en Afrique du Sud, Shell a ensuite été au centre des attaques des défenseurs des droits de l’homme lorsqu’il s’est avéré qu’il était complice du gouvernement nigérian dans sa répression des Ogoni. Il a ensuite subi les campagnes d’organisations environnementales lorsque Greenpeace dénonçait sa tentative de coulage d’une plate-forme pétrolière en Mer du Nord. Ces nombreuses attaques convergentes expliquent sans doute que Shell ait été l’une des premières entreprises à déployer des actions dirigées, en premier lieu, vers les actionnaires, ensuite vers le grand public. L’image joue, on le voit, un rôle considérable dans la décision que peut prendre une entreprise de se lancer dans la responsabilité sociale. Cette donnée est un catalyseur mais ce n’est pas elle qui motive des actions de long terme. Les attentes de plus en plus nettes d’investisseurs, d’actionnaires et de consommateurs, ont consolidé les stratégies engagées.

20 Dans les pays nordiques, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, des ONG ont orchestré de nombreuses campagnes de dénonciation sur des enjeux très divers : l’environnement pour des entreprises des secteurs chimique (Monsanto), le pétrole (Elf) ou le nucléaire (Framatome) ; les droits de l’homme (Shell), le mal-développement (Nestlé), les conditions de travail (le secteur textile, mais aussi Total) ou encore les conditions de santé et de sécurité (la métallurgie, l’industrie lourde et l’industrie chimique). De plus en plus, aujourd’hui, des citoyens et des consommateurs, regroupés derrière des ONG ou dans des campagnes de dénonciation, attendent des entreprises qu’elles fassent autre chose que du mécénat ou de la charité. On peut citer le mouvement du commerce équitable qui, en promouvant un commerce plus juste, a contribué à une prise de conscience des effets pervers du commerce international et des modes de production des entreprises multinationales ou encore des organisations activistes comme Amnesty International et la Fédération internationale des droits de l’Homme, dans le domaine des droits de l’homme, Greenpeace ou le WWF dans le domaine de l’environnement, Oxfam et la plupart des ONG sociales dans le domaine des questions sociales et d’emploi.

21 Au début des années 1990, des entreprises négocient avec des ONG. Celles-ci adoptent des codes de conduite, des chartes d’entreprise et des labels. Il s’agit soit de répondre aux attaques, soit d’anticiper celles-ci alors que plusieurs enquêtes, en Europe notamment, mettent en évidence l’intérêt croissant des consommateurs, mais aussi des investisseurs, pour des produits dits « éthiques », sans que cette notion ait le moindre contour précis.

22 On citera ainsi l’entreprise de fabrication de vêtements et matériel sportifs Nike et son principal concurrent Adidas. Dénoncée sur le thème des conditions de travail chez les sous-traitants et les fournisseurs  [8], Nike a adopté très tôt un code de conduite et a mis en œuvre des processus d’audits internes visant à contrôler l’application de ce code. En 1999, avec l’entreprise de distribution textile américaine Gap, elle créait la Global Alliance, une démarche visant à associer des acteurs locaux au contrôle des conditions de travail. Ce programme a reçu le soutien de la Banque mondiale ainsi que de fondations privées. Les contrôles effectués par des associations locales et des universitaires proches des lieux de sous-traitance ont donné lieu à la publication de plans d’actions en vue de remédier aux problèmes identifiés. Ces plans d’actions sont publiés sur le site de l’entreprise. La démarche Nike, toute originale soit elle, suscitera rapidement les foudres des syndicats locaux, des confédérations syndicales internationales et même, de certaines ONG, en raison du fait, notamment, qu’elle « oubliait » d’associer les organisations locales représentatives des travailleurs.

23 En Europe, une enquête réalisée en 2000 par le bureau MORI, montrait que les consommateurs déclaraient attacher beaucoup d’importance aux conditions sociales et environnementales de production et apprécier les produits du commerce équitable. En réalité, les parts de marché du commerce équitable stagnent ou progressent légèrement selon les pays, ce qui laisse supposer qu’entre les déclarations d’intention et les actes d’achat, il y a un écart parfois important. Le même type de conclusion apparaît dans une enquête réalisée par le Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (CRIOC), en 2002. C’est ainsi que, depuis quelques années, des entreprises du secteur de la distribution proposent à leur clientèle des produits du commerce équitable, ou encore, utilisent ce type d’argument dans leur publicité.

1.3. LA GLOBALISATION

24 La montée de l’exclusion, la mise en concurrence de travailleurs du Nord et du Sud, le bradage de l’environnement et le peu d’attention portée à la santé des consommateurs, autant de thèmes qui étaient alors des sujets de préoccupation majeurs des acteurs de la société. La fin de la bipolarisation politique mondiale et la globalisation économique ont accéléré le processus.

1.3.1. Un contexte d’atteintes aux droits sociaux

25 Le développement rapide pris par la RSE dans le monde de l’entreprise doit être lu à la lumière des effets de la globalisation. De nombreux rapports d’organisations internationales et d’ONG ont en effet dénoncé la dégradation de la situation des droits de l’homme dans le monde, des conditions d’emploi dans les pays de délocalisation, dans les zones franches ou encore dans les ateliers de sous-traitance, les impacts environnementaux néfastes et la multiplication de risques industriels majeurs partout dans le monde.

26 Bien entendu, on ne perdra pas de vue que l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication a révélé plus facilement les effets du fonctionnement de l’économie internationale sur les réalités sociales et sociétales. Néanmoins, les derniers rapports de l’UNICEF, de l’OIT et de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) affichent une aggravation de la situation.

27 Les entreprises sont les actrices de premier plan de cette situation. Face à l’absence de moyens ou de volonté des gouvernements des pays en développement, les multinationales ont en effet bénéficié de zones franches caractérisées par l’absence de mise en œuvre des conventions de l’OIT et le non-respect des droits de l’homme. Ces zones ont favorisé le développement d’activités économiques très rentables, parce que basé sur une main-d’œuvre bon marché et exploitée. Dans le cadre des filières de sous-traitance, de nombreuses entreprises ont longtemps plaidé leur absence de responsabilité par rapport à cette situation. Mais les campagnes d’ONG et les rapports d’organisations internationales ont tôt fait de rappeler la responsabilité que ces firmes ont dans l’absence de progrès social. C’est ainsi que dans les pays en développement, la RSE, bien que définie comme allant « au-delà de la loi », a porté sur la responsabilité des entreprises par rapport aux fournisseurs et sous-traitants en ce qui concerne le respect de normes et de principes fondamentaux.

28 La montée du mouvement altermondialiste a été perçue comme une menace par un certain nombre d’entreprises. C’est dans ce contexte qu’en 1999, à l’issue du Sommet de Davos, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, lançait son initiative connue sous le nom de Global Compact  [9].

29 Au départ de la préoccupation internationaliste développée par des organisations non gouvernementales, des responsables d’entreprises ont initié de nouvelles stratégies. Stratégies de communication et de la marketing au départ, elles se sont complexifiées, sans toutefois intégrer nécessairement, dans notre pays notamment, les mécanismes classiques de la concertation sociale. Le social reste le champ privilégié des syndicats qui ont eu le sentiment que le volet social de la RSE était trop souvent ignoré ou mis de côté. De nombreux auteurs considèrent que le social fait partie des responsabilités sociétales de l’entreprise.

1.3.2. Gestion d’entreprise et éthique des affaires

30 De nombreux scandales financiers ont défrayé la chronique au cours des dernières années. Un grand nombre d’entre eux étaient liés à des défauts de gestion ou à un déficit de transparence. Bien que portant sur une éthique autre que sociale, ils ont contribué sans aucun doute à une prise de conscience de l’importance de la mise en place d’autres mécanismes dans le fonctionnement des entreprises. Éric De Keuleneer rappelle ainsi que « le bon fonctionnement des marchés demande que les entreprises soient gérées dans une optique de wealth maximisation à long terme (qui) peut être visée soit par la stakeholder values, soit par la shareholders value. L’éthique n’est cependant pas automatique et c’est là qu’interviennent les mécanismes de corporate gouvernance et, plus loin, de corporate social responsibility[10] ». En d’autres termes, le comportement « éthique » favorisé par ces nouvelles stratégies, contribue, pour Éric De Keuleneer, à une maximisation du profit.

1.4. LES SPÉCIFICITÉS EUROPÉENNES

31 Si la RSE est une pratique importée des États-Unis où elle a été promue dans un contexte d’intervention minimale de l’État dans les affaires sociales, elle a pris des formes spécifiques en Europe. Historiquement, avec les privatisations et la prise de contrôle d’anciens services publics par des entreprises privées dans des domaines de plus en plus nombreux, on a assisté à une amplification du mouvement dans toute l’Union européenne. Les demandes adressées aux entreprises par des ONG et par le mouvement syndical, se sont multipliées alors que les États désinvestissaient les services d’intérêt général.

32 Très rapidement, des parties prenantes et des juristes se sont posé la question de la place des pouvoirs publics. Elle fut posée dans le Livre vert de la Commission  [11]. Elle a été posée dans des enceintes parlementaires et notamment en Belgique. Elle a donné lieu, dans certains pays qui ont été les premiers à déréguler leurs marchés en Europe, comme la Grande-Bretagne, à des aménagements comme la création d’un département spécifique rattaché au Ministère du Commerce et de l’industrie. Les pouvoirs publics peuvent en effet être définis comme parties prenantes, mais aussi comme médiateurs. Les positions des diverses parties prenantes divergent sur ce point, certains établissant une distinction selon le niveau du pouvoir public considéré.

33 Contexte européen spécifique donc – du moins par rapport à l’Amérique du Nord –, mais aussi installation de spécificités à l’intérieur de l’Europe. Les entreprises françaises n’ont pas attendu les évolutions que l’on a décrites. Certaines d’entre elles, d’origine familiale, comme Lafarge, ont développé des pratiques qualifiées de paternalistes et qui, complexifiées, se rangent aujourd’hui dans la RSE.

34 Mais au sein de l’Europe, les pratiques sont extrêmement diverses. Ainsi, quasi inexistantes dans les pays d’Europe centrale et orientale pour des raisons historiques, elles sont inscrites dans le comportement courant des entreprises dans les pays scandinaves.

35 La diversité des pratiques et des conceptions apparaît dans les réponses apportées au processus de consultation lancé par le Livre vert de la Commission européenne. L’un des débats ouverts à cette occasion, l’un des plus importants sans doute, a trait à l’encadrement de la RSE. La très large majorité des réponses provient des entreprises, soit à titre individuel, soit sous le chapeau de confédérations. Dans leur ensemble, celles-ci plaident pour une non-implication des pouvoirs publics dans le concept. À l’opposé, les syndicats, les coopératives et une grande partie des ONG sont davantage attachés à un modèle d’implication et de respect des dialogues existants. Ainsi la Confédération européenne des syndicats (CES) se réfère explicitement à la communication de la Commission sur les droits sociaux fondamentaux. Elle insiste « sur un cadre législatif et / contractuel adapté ».

36 Les pays du Nord de l’Europe ont depuis longtemps des politiques de promotion, mais non d’encadrement. C’est en Belgique, aux Pays-Bas et en France que la question s’est posée avec le plus d’insistance, notamment dans les enceintes parlementaires. Encadrer la RSE, c’est en quelque sorte dire aux entreprises : « Si vous faites de la RSE, vous êtes dans une démarche volontaire, mais vous ne pouvez pas le faire n’importe comment. » Aujourd’hui, des manquements à des codes de conduite publics ne peuvent par exemple être sanctionnés que dans le cadre du droit commercial, en vertu des règles en matière de publicité qui seraient, en l’occurrence, mensongères. Certains estiment que l’on est actuellement à un stade supérieur à celui de la démarche de marketing et que, dès lors, cela impliquerait une sorte de droit de regard plus important des pouvoirs publics.

37 En Belgique, à l’époque de la consultation ouverte par le Livre vert, un groupe interdépartemental s’était constitué sous la houlette de la cellule d’économie sociale de l’Administration des affaires sociales. Ce groupe a été à l’origine de la réponse de la Belgique, mais la poursuite de la réflexion sur le thème de la RSE a été intégrée aux travaux de la Commission interdépartementale du développement durable. Dans sa réponse au Livre vert, la Belgique insiste auprès de la Commission pour qu’elle approfondisse la réflexion sur un certain nombre de points. Parmi eux, on trouve le thème de « l’implication des acteurs, y compris de l’acteur public » qui jouerait à cet égard, « un rôle important ». Et de se référer aux avis du Conseil national du travail et du Conseil central de l’économie pour lesquels « la RSE ne devrait pas être un substitut à la réglementation ou à la législation concernant les droits sociaux ou les normes environnementales, y compris l’élaboration d’une nouvelle législation appropriée ». Dans sa réponse, le gouvernement belge souligne en outre son attachement au modèle social européen et à ses deux piliers, « la réglementation sociale de base encadrant le travail et la protection sociale et, d’autre part, la concertation sociale entre les partenaires sociaux ». Cette position ressemble à celle du gouvernement français, les voisins du Nord étant davantage sur des lignes de promotion que d’encadrement.

38 On retiendra que le statut dévolu aux pouvoirs publics varie. Pour les uns, la puissance publique est une partie prenante. Pour d’autres, elle joue davantage un rôle d’arbitre, d’observateur, voire, de médiateur. À ce jour, la Commission européenne pose le problème sans y donner de réponse claire, dans l’attente de l’issue du forum multi parties prenantes sur la RSE, inauguré début 2003.

2. LE CONTEXTE POLITIQUE

2.1. L’ABSENCE DE DÉBAT À L’OMC

39 Le non-respect des normes sociales et environnementales agréées au niveau international n’est pas sanctionné dans le chef des entreprises qui opèrent dans des pays en développement peu ou pas équipés en matière d’inspections et de contrôle de la mise en œuvre des lois. Il s’agit là d’une situation de fait. Des États s’engagent à les respecter dans le cadre de conventions, mais les acteurs de terrain respectent les législations nationales d’application avec plus ou moins de rigueur selon les contextes.

40 D’où l’émergence, vers le début des années 1990, d’un débat sur le lien à établir entre le commerce international, puissante motivation des États et des entreprises multinationales, et le respect des normes sociales et environnementales fondamentales. L’Union européenne a été un des principaux acteurs à défendre cette idée. En revanche, en Europe, les partenaires sociaux se sont montrés divisés. À l’opposition compréhensible des entreprises, répondaient des syndicats qui lisaient le non-respect des principes de base de l’Organisation internationale du travail dans les pays émergents et dans les zones franches des pays du Sud, comme une des causes des délocalisations, oubliant parfois qu’à l’époque, l’essentiel des délocalisations se passait en Europe même. En effet, les aides européennes ont poussé certaines entreprises à mettre un terme à leurs activités dans certaines régions pour s’installer dans des zones bénéficiant d’aides. De nombreuses entreprises ont également, dès les années 1980, mais à un rythme plus élevé encore dans les années 1990, choisi de délocaliser une partie de leur production vers des zones présentant l’avantage comparatif d’un coût moindre de la main-d’œuvre. Le secteur textile ou l’électronique furent les plus exposés à ces mouvements qui revenaient, concrètement, à une mise en concurrence des travailleurs du Nord et des travailleurs du Sud.

41 Les clauses sociales dans le commerce international furent mises à l’agenda des débats du premier sommet interministériel de l’Organisation mondiale du commerce qui se tint à Singapour, en 1996. L’OMC a très vite abordé la question des clauses sociales. Un nouvel acteur a fait de cette problématique un point majeur : les organisations non gouvernementales et, en particulier, celles qui étaient actives sur les questions de développement et de rapports Nord – Sud comme OXFAM et les ONG sociales. Pour les ONG, le respect des normes fondamentales n’est pas la seule affaire des États et des pouvoirs publics, mais aussi, celle des entreprises.

42 À Singapour, les États et la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) tombèrent d’accord pour ne pas mettre la question du lien entre le respect des normes sociales et le commerce, à l’agenda de l’OMC, repoussant la discussion à plus tard. À Doha, en 2001, la Commission européenne, représentée par Pascal Lamy, tentait, en vain, de remettre la question sociale en selle. Comme on le verra plus loin, du point de vue de l’OMC la promotion par les pouvoirs publics d’une stratégie d’entreprise qui pourrait se traduire par des avantages comparatifs sur les marchés internationaux présente des effets pervers par rapport aux règles en matière de commerce international.

43 Au sein de l’OMC les principaux opposants aux clauses sociales sont les pays en voie de développement (PVD) qui refusent tout débat à ce sujet  [12].

2.2. LES NATIONS UNIES ET LE GLOBAL COMPACT

44 L’assemblée générale des Nations unies et le Conseil de sécurité sont deux organes majeurs des Nations unies qui, sous le coup de la mondialisation, de la puissance croissante de certains États et des organisations économiques et financières, ont vu leurs poids diminuer. C’est dans ce contexte que le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a pris, en 1999, en marge du Sommet de Davos, une initiative personnelle, connue sous le nom de Global Compact.

45 Il s’agit d’une proposition d’engagement, défini avec des organisations syndicales, de développement et de défense des droits de l’homme (CISL, Amnesty International, Fédération internationale des droits de l’Homme, Human Rights Watch…), à travers lequel des entreprises s’engagent à mettre en œuvre des actions en vue de faire progresser les valeurs qui sont celles des Nations unies (Déclaration universelle des droits de l’Homme, Pacte des droits économiques et sociaux, principes de base de l’OIT, etc.).

46 À l’heure actuelle, la plupart des grandes entreprises reprises dans les rapports de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) ont adhéré au Global Compact. Si cet engagement reste formel, il n’en demeure pas moins important puisqu’il se fait dans un cadre mettant les entreprises en présence des organisations internationales dont elles affirment respecter les principes, des deux grandes confédérations syndicales internationales et des plus grandes ONG de développement et de défense des droits de l’Homme.

2.3. LE DÉBAT À L’ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL (OIT)

47 Le débat sur la responsabilité sociale des entreprises dans l’enceinte de l’OIT est sans doute l’un des plus anciens au niveau international. C’est aussi là qu’il s’est avéré être le plus difficile. En effet, la RSE met en effet en présence de nouveaux acteurs sur la question du travail : les ONG. Tant les employeurs, représentés par l’Organisation internationale des employeurs (OIE), que les syndicats, préfèrent donc éviter de mettre en péril le modèle tripartite qui fonde le fonctionnement de l’OIT, au risque, en outre, de faire de cette organisation une sorte de super Forum social mondial.

48 C’est aussi sans aucun doute de l’OIT que sont sortis les textes analytiques les plus aboutis en matière de RSE notamment un rapport de novembre 1998 sur les codes de conduite et labels sociaux existants. L’OIT avait débattu au sein de son conseil d’administration sur le fait de savoir s’il ne convenait pas de créer un label social global au niveau de l’OIT. Cette proposition avait été rejetée par trois quarts des délégués du conseil d’administration. L’opposition venait principalement des pays en voie de développement  [13].

49 Le travail des enfants a été l’un des premiers thèmes pris en charge par les entreprises et il était donc impossible pour l’organisation de se montrer indifférente à cette évolution. Malgré les difficultés politiques présentées par ce débat, l’OIT a adopté le 17 juin 1999 la Convention sur les pires formes de travail des enfants.

50 Le Bureau international du travail suit, de son côté, les évolutions de la RSE dans le monde entier. Cette activité d’observation se poursuit dans le cadre du groupe de travail sur la dimension sociale de la libéralisation du commerce international. Une des initiatives les plus importantes a été la constitution d’une base de données intitulée « Entreprises et initiatives sociales » (BASI). Par ailleurs, l’essentiel des recherches porte sur les filières dans certains secteurs, sur l’établissement de rapports sociaux ainsi que sur l’inspection et le contrôle privés.

51 Le BIT a également développé des coopérations techniques, notamment dans le cadre du Global Compact. Il s’agit notamment d’activités et de supports de formation. Un projet vise aussi à mieux faire connaître la Déclaration sur les entreprises multinationales qui édicte des principes directeurs quant aux comportements des grandes entreprises dans le domaine de l’emploi, en particulier dans les pays en développement. Enfin, un projet commun à l’Organisation internationale du travail, au Programme des Nations unies pour l’Environnement et à l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel, a vu le jour en 2003. Il vise à « fournir des prestations de services en matière de main-d’œuvre par le biais de centres de production durables nationaux ». Il s’agit d’une activité de conseils aux entreprises et aux acteurs de l’entreprise. Des activités de nature pédagogique ont également été développées avec le Centre de formation de Turin.

52 Une autre piste étudiée à l’OIT est la création d’un mécanisme permettant de certifier non les produits, mais ceux qui sont chargés de leur certification, c’est-à-dire la création d’un label pour les contrôleurs  [14].

2.4. LES AVANCÉES AU PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L’ENVIRONNEMENT (PNUE)

53 Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) s’est impliqué dès 2000 dans les activités de l’ONU en matière de RSE. C’est ainsi qu’il s’est joint, dès ses débuts, au Global Compact avec l’OIT et l’Office du Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme en même temps que les confédérations d’employeurs, comme l’Organisation internationale des employeurs (OIE), et de travailleurs, comme la Confédération internationale des syndicats libres (CISL).

2.4.1. Les lignes directrices de l’OCDE à l’attention des multinationales

54 L’OCDE est l’une des organisations qui, très tôt, se sont intéressées à la qualité de l’implication des entreprises dans les pays en développement ou émergents. C’est ainsi que dès le milieu des années 1970, elle a adopté des principes directeurs à l’attention des multinationales. Cet instrument – volontaire dans le chef des entreprises – a été actualisé à la fin des années 1990. Les principes directeurs visent à encourager les entreprises multinationales à apporter une contribution positive au progrès économique, environnemental et social. Les pays signataires sont les membres de l’OCDE, mais aussi quelques pays non membres.

55 Les principes directeurs touchent des domaines très variés allant de l’emploi, des relations professionnelles, des droits de l’homme, à l’environnement, la publication d’informations, la concurrence, la fiscalité, la science et les technologies. Ils sont intégrés à la Déclaration de l’OCDE sur l’investissement international et les entreprises multinationales. Ce texte prévoit notamment l’application du traitement national aux investisseurs étrangers et entend assurer « un cadre équilibré » à l’investissement international en définissant les droits et les devoirs des milieux d’affaires et des gouvernements ayant souscrit aux principes directeurs. L’originalité des principes directeurs est qu’ils s’appuient sur des institutions originales chargées d’en assurer le suivi.

2.5. LA BANQUE MONDIALE

56 La Banque mondiale octroie aux pays en développement des prêts de diverse nature selon le degré d’endettement et le niveau de développement des États concernés. Dans ce cadre et compte tenu de la mission de « développement » inscrite dans ses principes fondateurs, elle travaille depuis longtemps de façon très étroite avec les entreprises présentes dans les pays du Sud et s’est intéressée dans ce cadre à la RSE. C’est ainsi que sa filiale, la Société financière internationale, a mis en place un dispositif visant à promouvoir l’entreprise citoyenne et à encourager les possibilités d’investissement répondant à des critères éthiques. L’institut de la Banque mondiale qui prodigue des formations pour les acteurs privés et publics dans les pays du Sud, a, pour sa part, lancé un cours en ligne sur la RSE. On relève également des études sur la RSE, les filières de production et les codes de conduite. La Banque mondiale s’est aussi associée à des entreprises comme Nike et Gap qui ont développé d’ambitieux programmes en matière de RSE.

2.6. LE CONTEXTE EUROPÉEN

2.6.1. Les principaux instruments politiques et juridiques

57 La promotion faite par la Commission de la responsabilité sociale des entreprises doit se lire à la lumière de divers instruments politiques et juridiques émanant des instances européennes. On rappellera la communication de la Commission sur la responsabilité sociale des entreprises  [15], divers textes relatifs à la « gouvernance » et l’insistance particulière d’un certain nombre de déclarations, engagements et accords conclus par l’Union sur l’importance du rôle de l’acteur privé, celui-ci étant entendu autant comme société civile organisée que comme entreprise.

58 Plusieurs politiques européennes antérieures au Livre vert de 2001, annonçaient celui-ci. Dès 1993, Jacques Delors lançait un appel au sens de la responsabilité sociale des entreprises pour que ces dernières contribuent au renforcement de la cohésion sociale. C’est dans la foulée de cette déclaration que naissait le Réseau européen des entreprises pour la cohésion sociale (EBNSC), sous la houlette d’Étienne Davignon. EBNSC s’est transformé à la fin des années 1990, en CSR Europe. CSR Europe est aujourd’hui un réseau d’entreprises qui se disent convaincues de l’importance et de l’intérêt de démarches d’entreprises orientées vers l’écoute des parties prenantes et qui en encouragent sa pratique dans toutes les entreprises. Par ailleurs, le Système de préférences généralisées socio-environnementales (SPG) est un système d’abaissement des droits de douane conditionnés à des améliorations en matières sociales et environnementales, de la part de pays ou de secteurs d’entreprises. Clé de voûte des relations avec les pays en développement ainsi qu’avec les pays d’Europe centrale et orientale, il prévoit explicitement une référence au respect des normes sociales et environnementales considérées comme fondamentales, en l’occurrence les principes de base de l’Organisation internationale du travail ou ceux définis à Rio (Agenda 21) et à Kyoto.

59 Les accords de Cotonou qui lient l’Union européenne à ses partenaires d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), se réfèrent également au respect des droits économiques et sociaux. Ils accordent par ailleurs une place importante à la participation de la société civile et notamment à celle des acteurs privés, dont les entreprises. Les accords précisent que les parties réaffirment leurs engagements en matière de droits fondamentaux du travail tels qu’ils sont définis dans les conventions de l’OIT.

60 En juillet 2001, la Commission publiait son Livre vert « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises » comme une contribution à l’objectif stratégique défini lors du Conseil européen de Lisbonne en mars 2000 (« devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale »). Elle y posait un catalogue de questions et d’options possibles. La majorité des réponses émanèrent du monde patronal. On retiendra donc que le caractère volontaire de la RSE devrait y être définitivement acté et serait la base des débats entamés dans le cadre du Forum multilatéral initié dans la foulée.

2.6.2. Le Forum multilatéral

61 Dans la foulée de la publication de sa communication de juillet 2002, la Commission a proposé l’organisation d’un Forum des parties prenantes de la RSE. Il s’agit d’une large plate-forme où les acteurs de la RSE et leurs représentants auraient l’occasion de débattre, dans le cadre d’un processus facilité par la Commission européenne, et de formuler des recommandations.

62 « Un rôle important pour le Forum, consiste à faire en sorte que la RSE devienne autant l’affaire des entreprises que des parties prenantes et qu’elle s’ouvre au débat public et à tous les groupes concernés », déclarait Anna Diamantopoulou, la commissaire européenne à l’Emploi et aux Affaires sociales, lors de l’ouverture du Forum. « Les employeurs, les syndicats, les consommateurs et les investisseurs doivent trouver des solutions communes et des accords qui répondent à leurs besoins respectifs  [16]. »

63 Le Forum s’est donné pour missions de rechercher les moyens de promouvoir la RSE, de promouvoir l’innovation dans ce domaine et la convergence des pratiques et des instruments. Quatre thématiques font l’objet des tables rondes autour desquelles est structuré le Forum :

  • l’amélioration des connaissances en matière de RSE et la facilitation des échanges d’expériences et des bonnes pratiques ;
  • la promotion de la RSE au sein des petites et moyennes entreprises ;
  • la diversité, les convergences et la transparence des pratiques en matière de RSE ainsi que les moyens ;
  • le développement dans la RSE.
Les membres du Forum sont, dans les rangs des entreprises : l’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE), la Confédération européenne des entreprises publiques (CEEP), EUROCOMMERCE, l’Union européenne des PME (UAPME), CSR Europe, le Conseil mondial des entreprises pour un développement durable (WBCSD), La Confédération européennes des coopératives (CECOP), la Table ronde européenne (ERT). Les rangs syndicaux sont occupés essentiellement par des représentants de la Confédération européenne des syndicats (CES), mais également le syndicat européen des cadres (EUROCADRES) et la Confédération européenne des cadres (CEC). Les ONG y sont représentées par les ONG environnementales constituées en plate-forme – le Green G8 –, la plate-forme des ONG sociales, Amnesty International, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), Fair Trade Labelling Organisation (FLO), la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et OXFAM.

64 Plusieurs organismes internationaux assistent aux débats comme observateurs : le Parlement européen, le Conseil, le Comité des régions, le Comité économique et social, l’OCDE, l’OIT, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), le Bureau des Nations unies pour le Global Compact, le Secrétariat des partenaires d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et le Forum européen de l’investissement socialement responsable (EUROSIF).

65 À l’été 2004, les membres du Forum devraient soumettre un premier rapport à la Commission européenne.

2.6.3. Le Parlement européen

66 En avril 2002, la commission Affaires sociales du Parlement européen remettait un rapport, rédigé sous la houlette du parlementaire britannique (Labour), Richard Howitt. Ce rapport, approuvé à une majorité des deux tiers de voix, succède au Livre vert de la Commission et doit être dès lors considéré comme le compromis des positions des groupes politiques de l’assemblée européenne  [17].

67 La majorité des parlementaires y accueillent favorablement les développements pris par la RSE. Cependant, un certain nombre d’éléments sont également soulignés. Sans entrer dans les détails, on retiendra ainsi qu’ils estiment que les pratiques sociales et environnementales des entreprises doivent bénéficier des mêmes attentions que les pratiques visant à accroître leur compétitivité. Le Parlement souligne également quelques points d’attention. Ainsi, il demande à la Commission de tenir compte des principes qui guident les politiques socio-économiques dans le déploiement d’une stratégie en matière de RSE. Le concept de RSE « ne peut pas porter atteinte » ou « remplacer d’autres initiatives qui se trouvent à l’Agenda social européen ». La RSE, lit-on, « devrait, au contraire, aider à promouvoir une attitude plus positive à l’égard des législations et des régulations sociales, dans le monde de l’entreprise, ainsi qu’un meilleur respect de ces règles ».

68 Le Parlement européen souligne par ailleurs l’importance d’un partenariat entre les organisations d’employeurs et de salariés, à tous les niveaux. Enfin, il met en garde la Commission concernant le maintien des principes de services d’intérêt général et de lutte contre l’exclusion sociale.

2.6.4. Avis du Comité économique et social

69 Dans un avis rendu en mars 2002  [18], le Comité économique et social de l’Union européenne marque son intérêt pour les pratiques en matière de RSE et pour les initiatives communautaires autour de cette thématique. Le Comité rappelle que la RSE peut contribuer à la réalisation des objectifs fixés par l’Agenda de Lisbonne.

70 Mais, pour le comité, la RSE ne doit pas se contenter de politiques de « garde-fous », mais bien également de contribuer à développer de meilleurs emplois, à prendre en compte des dimensions comme la santé et la sécurité ou encore l’intégration de travailleurs défavorisés sur le marché de l’emploi.

71 Tout en rappelant que la RSE ne doit pas remplacer les approches réglementaires, la mise en œuvre d’actions et de stratégies nécessite cependant, juge le Comité économique et social, une certaine prudence. Elle doit en effet tenir compte de spécificités locales, de l’environnement légal, de particularités sectorielles, de tailles d’entreprises, tout en ayant une approche globale. Le CES souhaite par ailleurs que la Commission explore mieux les ressources – « bonnes pratiques » – de l’économie sociale.

2.6.5. Les partenaires sociaux

72 La réaction de l’UNICE au Livre vert de la Commission a sans doute été l’une des plus attendues. L’UNICE se démarque en effet de CSR-Europe – le groupement des entreprises qui a porté le concept au niveau européen – par le fait qu’elle ne souhaite pas qu’il y ait une promotion particulière du concept qui reviendrait, en quelque sorte, à épingler des entreprises qui, selon elle, se contenteraient de respecter leurs obligations légales. Dans sa réponse, l’UNICE rappelle d’ailleurs que, toujours selon elle, les entreprises européennes ont toujours eu une approche particulière en la matière. Elle prône dès lors la liberté totale et met en garde la Commission contre la définition de normes et de standards qui « anéantiraient toute créativité ». Elle repousse, on s’en doute, toute approche contraignante, n’admettant pour seul rôle dévolu à la Commission, que celui qui consisterait à favoriser les bonnes pratiques.

73 Très virulente dans un premier temps, la Confédération européenne des syndicats (CES) a pour sa part complexifié sa position sur le sujet. Dans sa résolution, adoptée en octobre 2001  [19], la CES rappelle qu’elle ne peut être considérée comme un substitut à la réglementation et que, par ailleurs, il existerait une RSE interne et une RSE externe, l’une portant sur les entreprises d’un groupe et l’autre sur ses sous-traitants, notamment dans les pays en développement. Pour la CES, la RSE doit s’appuyer sur les principes suivants :

  • le développement de la qualité de l’emploi au sens de développement des compétences et des qualifications des travailleurs ;
  • l’information, la consultation, la participation et les négociations avec les travailleurs ;
  • l’anticipation des mutations et des restructurations ;
  • le respect et la promotion des droits sociaux fondamentaux tels qu’exprimés par la
    Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs proclamée au Sommet de
    Nice, par les conventions fondamentales de l’OIT et par les recommandations de l’OCDE.
La difficulté de la CES à définir une position et une stratégie sur la RSE est liée au fait que la perception des syndicats membres de la CES est très diverse selon le pays. Ainsi pour les syndicats nordiques et allemands, la RSE serait une pratique qui « va de soi », tandis qu’elle est jugée suspecte dans le chef de la FGTB, de la CGT française et des principaux syndicats italiens. Dans le cadre du Forum européen, la CES a donc initié un travail de réflexion sur la définition de ce qui pourrait être une position partagée par tous les syndicats européens.

74 L’organisation des syndicats de cadres européens (EUROCADRES) a de son côté rappelé que les exigences juridiques de base, en-dessous desquelles on ne pouvait pas envisager de responsabilités sociales, sont les suivantes :

  • dans le cadre des préoccupations économiques : des politiques justes et saines de comptabilité, de fiscalité et de paiement ;
  • dans le cadre des préoccupations sociales : le respect du code du travail, des conventions collectives, les guides du Bureau international du travail et les directives de l’Union européenne ;
  • dans le cadre des préoccupations environnementales : les réglementations en matières d’hygiène et de sécurité ainsi que le respect des normes environnementale.

2.7. EXEMPLES NATIONAUX

2.7.1. France

75 En France, le Secrétariat d’État à l’Économie solidaire est à l’origine d’une réflexion menée au sein de l’organisme français de normalisation, l’AFNOR. Cette réflexion, menée au sein d’un groupe de travail ouvert à des membres extérieurs à l’AFNOR, devait aboutir à un projet très complet, reprenant des dimensions sociales, environnementales ainsi que des principes du commerce équitable. Il est cependant resté dans les cartons de l’institution. C’est la France qui a cependant réalisé l’avancée la plus intéressante dans le domaine de l’implication publique dans les outils de RSE.

76 La loi n° 2001–420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), votée sous un gouvernement socialiste-verts, impose aux entreprises cotées en France et de droit français de publier un rapport de gestion des données sur « la manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leur activité ». Un décret de février 2002 précise la nature des données suivant une série d’indicateurs. Il définit deux types d’indicateurs : les indicateurs sociaux et sociétaux, d’une part et les indicateurs environnementaux, d’autre part.

77 Dès sa parution, la loi avait suscité des critiques de nature très diverse : obligation légale déplaisant aux entreprises s’appliquant aux seules entreprises « françaises », dont le siège social est établi en France, pour les syndicats ; faiblesse des indications quant à la méthodologie, selon divers commentateurs. Ainsi, le fait que le texte légal n’exige une diffusion d’informations que sur la seule maison mère – établie en France – a été considéré comme une grande faiblesse, puisque le territoire français représente, dans un grand nombre de cas, moins de 1% de l’effectif mondial  [20] des entreprises concernées.

78 Des bureaux d’études et des services d’audits proches de la CFDT et de la CGT – respectivement Syndex et Alpha – ont publié des évaluations de l’application de la loi et du décret. Il y apparaît que cette application est peu rigoureuse. Ainsi, alors que les textes réglementaires demandent des précisions sur la nature des contrats, la distinction entre contrats de travail à durée déterminée et contrats à durée indéterminée n’apparaît que dans un nombre limité de cas.

79 Globalement, les résultats de la loi sont insatisfaisants pour les organisations syndicales, même si certaines entreprises sortent du lot, en général des entreprises qui étaient déjà engagées dans des stratégies de responsabilité sociale, avant la publication de la loi.

80 L’étude Alpha, publiée bien avant l’affaire Kouchner  [21], épingle ainsi l’entreprise Total dans la catégorie des entreprises « consciencieuses », aux côtés de Peugeot, Saint-Gobain, Sanofi-Synthélabo, TF1 et Véolia Environnement. Suez et Danone y sont qualifiés de « francs-tireurs », c’est-à-dire ayant développé un modèle propre, hors standards en matière de bilans RSE. Suit une classification plus complexe, allant de « engagés mais… » (notamment Accor, Lafarge) à « débutants ou rien à cirer (sic)» (Bouygues, Cap Gemini, Lagardère, Michelin, PPR, Schneider Electric et Vinci).

81 Les entreprises françaises sont, dans leur ensemble, peu favorables à des tentatives de réglementations du reporting, c’est-à-dire d’une tentative de restitution des pratiques de RSE à l’aide d’indicateurs quantitatifs et/ou qualitatifs ; alors que les syndicats estiment pour leur part que, bien que le résultat soit mitigé, la loi a le mérite d’exister et de poser le principe de la publication d’informations sociales  [22].

2.7.2. Grande-Bretagne

82 En Grande-Bretagne, sous le gouvernement de Tony Blair, le Ministère du Commerce et de l’Industrie s’est doté d’un département de la RSE. Un ministre de la Responsabilité sociale des entreprises a été nommé en mars 2000. Le gouvernement britannique s’est par ailleurs impliqué dans plusieurs initiatives. La plus connue est Ethical Trade Initiative (ETI, initiative pour un commerce éthique). ETI est une entité légale spécifique aux organes de laquelle participe, au titre d’observateur – en raison de son rôle de soutien – un représentant du gouvernement britannique. Mais ETI est un regroupement d’entreprises, d’organisations syndicales et d’ONG qui se sont engagées à collaborer pour identifier et promouvoir les bonnes pratiques dans la mise en œuvre des codes de conduite basés sur les normes fondamentales en matière d’emploi. ETI agit également comme animateur de dialogue et, le cas échéant, comme médiateur entre ses membres. Elle a développé un code de bonne pratique en matière d’emploi dont elle assure l’encadrement et la mise en œuvre. On notera que ce code, qui contient pourtant des principes de l’OIT, ne se réfère pas explicitement aux conventions  [23].

83 Une autre initiative britannique mérite une attention particulière : il s’agit d’EITI. Axée sur la transparence des paiements et des revenus des industries du secteur des industries extractives, elle a été lancée par le Premier ministre britannique, Tony Blair, à l’occasion du Sommet de Johannesbourg sur le développement durable, de 2002. Développée par le ministère britannique pour le développement international, elle veut encourager les gouvernements, les compagnies cotées en bourses, les organisations internationales, les ONG et d’autres parties prenantes à travailler à l’élaboration de programmes et de structures en vue d’améliorer la transparence des paiements et des revenus. Dans la foulée d’EITI sont nées plusieurs initiatives émanant des entreprises.

84 Enfin, le gouvernement britannique a demandé aux gestionnaires des fonds de pension de faire connaître la manière dont ils tiennent compte des facteurs sociaux, environnementaux et éthiques dans leur décision d’investissement.

2.7.3. Finlande

85 S’inspirant des méthodes des entreprises privées, l’État finlandais a mis en place une stratégie de responsabilité sociale, pour lui-même en tant qu’employeur. Cette campagne vise en fait à développer la qualité des services publics en s’attirant les meilleures compétences. Il s’agit non seulement de revoir le système de rémunération, mais également de développer les compétences et le bien-être des fonctionnaires. Cette initiative a suscité de nombreux débats dans le pays.

2.7.4. Pays-Bas

86 Aux Pays-Bas, des ONG se sont montrées très tôt actives sur le thème de la responsabilité sociale des entreprises. C’est dans ce pays que l’on a vu se développer les campagnes contre Shell, soit dans le contexte de l’apartheid en Afrique du Sud, soit dans celui des atteintes aux Ogonis au Nigeria, soit encore, dans celui des atteintes à l’environnement notamment en Mer du Nord. C’est sans doute aux Pays-Bas que l’impact des modes de production des entreprises a été le plus vite au centre de débats parlementaires, notamment dans le cadre de discussions sur les marchés publics, mais aussi dans le cadre d’accès à des fonds publics (crédits publics à l’exportation liés au respect des lignes directrices de l’OCDE, participation à des projets soutenus par la coopération au développement, etc.).

87 En 2001, le gouvernement néerlandais a mis en place un plan de promotion des exportations et des investissements basé sur les lignes directrices de l’OCDE. Les entreprises qui sollicitent des subventions sont en effet censées respecter effectivement les lignes directrices de l’OCDE à l’attention des multinationales.

2.7.5. Belgique

88 Les pouvoirs publics belges sont intervenus en la matière relativement tard par rapport à leurs voisins du Nord de l’Europe. Non seulement, on a assisté au développement de pratiques d’entreprises, mais également au réveil d’un certain intérêt dans les organisations patronales et du côté des pouvoirs publics. On ne peut cependant que constater des décalages : entre la Flandre et la Wallonie, entre les secteurs et entre les grandes entreprises et les PME. Le monde syndical belge s’est lui aussi longtemps montré officiellement peu sensible à la thématique, même si, dans les entreprises, la situation était quelque peu plus nuancée. Le Conseil national du travail et le Conseil central de l’économie se sont prononcés sur le sujet dans le cadre de la consultation sur le Livre vert  [24]. Les conseils soulignent notamment la dimension internationale de la responsabilité sociale des entreprises et le caractère complémentaire de la RSE par rapport aux mécanismes réglementaires et normatifs classiques. Ses membres relèvent par ailleurs le lien de la RSE avec la qualité de l’emploi et l’intérêt de valoriser les pratiques socialement responsables des entreprises. Il s’agit néanmoins, rappellent le CNT et le CCE, d’une pratique volontaire, basée sur la valorisation de bonnes pratiques, qui prend en compte les spécificités des PME et ne contourne pas le dialogue social au niveau européen et dans l’entreprise. Pour le CNT et le CCE, « les pratiques en vigueur dans de nombreuses entreprises (…) ne doivent pas occulter (…) le fait qu’il s’agit de missions et de politiques devant par priorité être assumées par la collectivité dans son ensemble et non pas par les seules entreprises ».

La loi visant à promouvoir la production socialement responsable

89 Si le public et les pouvoirs publics se sont montrés peu concernés par l’éthique dans les entreprises jusqu’à la moitié des années 1990. Les choses ont rapidement évolué sous la poussée conjointe de campagnes d’ONG comme celles regroupées, avec les syndicats, dans la campagne « Vêtements propres », d’un scandale dans les filières alimentaires dans le Nord du pays et surtout de la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde.

90 L’entreprise française décidait en effet de fermer son site, laissant sur le carreau quelque 3 000 travailleurs de l’entreprise. Il est rapidement apparu aux yeux du public que non seulement le constructeur n’avait pas respecté certains engagements antérieurs et les règles en matière d’information et de consultation des travailleurs, mais qu’en outre, la décision de fermeture était davantage motivée par des arguments financiers que par la situation économique du site dans le groupe.

91 C’est dans ce contexte que plusieurs parlementaires socialistes francophones et flamands déposèrent une proposition de loi relative à la mise sur le marché d’un label garantissant auprès du consommateur le respect des principes de l’OIT dans la filière de sous-trai-tance  [25]. Le texte soumis au débat posait ainsi moins le respect de ces principes en Belgique, que la responsabilité des entreprises donneuses d’ordres vis-à-vis de leurs sous-traitants et fournisseurs. Le débat eut lieu dans un contexte d’émulations entre entreprises. Ainsi, certaines grandes marques de la distribution se sont lancées de leur côté dans les labels. Ce fut le cas de l’entreprise Carrefour qui en a fait un axe de sa politique commerciale. La multiplication des labels portant sur des engagements de nature très diverse donnait à la proposition de loi une qualité nouvelle : celle d’éclaircir ce qui était en train de devenir un véritable « marché » des labels, une inflation qui conduisit parfois certaines firmes à se livrer à un shopping du label garanti, en matière sociale et environnementale, par telle ou telle ONG.

92 La proposition devenue projet de loi a été menée à terme sous la législature arc-en-ciel. Son texte original a subi maintes modifications dans le cadre de son trajet parlementaire et s’est trouvé fortement réduit. Soumise à l’avis circonstancié de la Commission européenne, elle a subi de nouvelles modifications. Pour les institutions européennes, elle ne pouvait faire apparaître en aucun cas des formes de distorsion de la concurrence entre les entreprises ayant obtenu un label et donc une sorte de caution publique, et les autres. Les multiples débats, notamment avec les entreprises, firent apparaître assez rapidement les limites de la loi et notamment, son inadaptation à certains secteurs ainsi qu’une certaine difficulté à la mettre en œuvre pour des produits  [26] à forte rotation. En, d’autres termes, l’esprit de la loi, celui d’une contribution à l’élévation des conditions sociales de production, serait difficile à mettre en pratique.

93 La loi a été votée en janvier 2002 pour entrer en application en septembre de la même année. Sa mise en œuvre, comme on le prévoyait, n’a pas été des plus aisées, mais elle serait incontestablement un terrain d’observation d’outils de responsabilité sociale portés et garantis par des pouvoirs publics.

Trivisi

94 En 2001, le ministre flamand en charge de l’Emploi, Renaat Landuyt (SP.A), lançait l’initiative Trivisi, une démarche visant, dans le cadre d’échanges entre entreprises, syndicats, ONG, spécialistes académiques et consultants, à promouvoir les échanges de bonnes pratiques de mise en œuvre de la RSE dans les entreprises du Nord du pays. Elle associe très étroitement des entreprises pionnières en matières sociale, sociétale et environnementale. Le gouvernement joue, dans ce processus, un rôle de facilitateur et d’intermédiaire, notamment par des actions de promotion et par la création d’incitants.

95 Le processus de Trivisi se veut bottom up. Il est basé sur trois groupes exploratoires portant, respectivement, sur la gestion de la diversité, la gestion de l’apprentissage et la gestion des parties prenantes (stakeholders management). Trivisi a étroitement associé des institutions comme la Vlerick Business School de Gand, la Fondation Roi Baudouin et le Hoger Instituut van de Arbeid (HIVA) ainsi que des établissements de recherche et d’enseignement étrangers.

3. LES PARTIES PRENANTES

96 Le concept de « parties prenantes » (stakeholders) est à la base de la RSE. Il implique une gestion basée, non plus sur les seules attentes des actionnaires (shareholders), mais également sur celles des parties qui constituent l’environnement de l’entreprise et qui lui adressent des demandes de tous ordres, nécessitant parfois des arbitrages.

97 Cette prise en compte est censée contribuer de façon convergente à l’objectif premier de l’entreprise – la création d’une plus-value économique –, à des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux. En tenant compte de ces derniers, les entreprises qui prônent ce type de gestion se disent convaincues que leurs intérêts économiques sont également rencontrés. Cette convergence est parfois exprimée sous le terme de gestion PPP – People, Planet, Profit (les gens, la planète, le profit). Des conflits d’intérêt peuvent apparaître entre les parties prenantes et, dans ce cas, la gestion RSE consiste alors à trouver un équilibre et des compromis.

3.1. LES ENTREPRISES : PAS D’UNIFORMITÉ

98 L’observation des entreprises met en évidence une très grande diversité de pratiques. La plupart des entreprises qui se sont lancées dans de telles actions ont des images à défendre. Celles qui se sont lancées les premières l’ont d’ailleurs fait dans la foulée de campagnes de dénonciation, d’attaques publiques ou d’accidents mettant en évidence des failles de gestion ou d’éthique.

99 Schématiquement, on se trouve face à deux attitudes : soit les entreprises défendent prioritairement les thèmes sur lesquels elles sont attaquées, soit, au contraire, elle concentrent leurs efforts sur des thèmes moins dangereux de leur point de vue, c’est-à-dire sur ceux sur lesquels elles seront moins prises en défaut. Ainsi, une étude réalisée en 2002 par l’OIT sur les codes de conduite à dimension emploi mettait en évidence des pratiques de cet ordre  [27]. Il était alors frappant de constater que le secteur de la banque et de l’assurance consacrait ses codes de conduite principalement à ses relations à ses clients et à ses actionnaires. Lorsqu’il était question de l’emploi, les thèmes du stress ou de prestations d’heures de travail supplémentaires étaient souvent éludés. Quant aux investissements dans des secteurs comme l’armement ou le tabac, ils ne se trouvent que très rarement mentionnés dans les codes, même si on les retrouve dans les produits financiers éthiques.

100 Aujourd’hui, on s’accorde à dire que la responsabilité sociale des entreprises est avant tout une démarche globale qui s’appuie sur les trois piliers : le social, le sociétal et l’environnemental ; même si l’on sait qu’en pratique, certaines dimensions, l’emploi ou l’environnement, sont prioritaires selon les secteurs.

101 Ainsi, le secteur du pétrole et des mines, souvent épinglé pour ses pratiques de corruption dans les pays d’extraction et notamment de versements douteux à des gouvernements dictatoriaux, ne mentionnait cette question que très rarement dans ses outils de RSE. Tout au plus était-il parfois question de respect des droits de l’homme. Le lancement, en Grande-Bretagne, avec l’appui d’ONG et des pouvoirs publics, de l’initiative « Publiez ce que vous payez ! », devrait amener une évolution. Certaines initiatives sectorielles vont dans le même sens.

102 Shell s’est illustrée pour ses démarches en matière d’énergies renouvelables et par le développement de démarches plus larges en matières sociales et sociétales. Pour le reste, le secteur reste très absent de questions comme la santé et la sécurité des travailleurs et la question de la corruption n’en est qu’à ses balbutiements. Dans les pays d’extraction, les ONG reprochent souvent aux entreprises minières et pétrolières de « sélectionner » en quelque sorte leurs interlocuteurs qualifiés de « parties prenantes ». Ainsi Exxon, qui est l’une des entreprises en charge de la construction du pipeline Tchad – Cameroun, a initié un vaste programme de prévention du sida, par la distribution de préservatifs, et du paludisme, par la distribution de tentes imprégnées, le long du chantier, en s’appuyant sur une seule ONG, mais en ignorant les demandes d’autres acteurs locaux.

103 Certaines entreprises se sont consacrées à une thématique précise, rencontrant leur terrain d’activité économique et des besoins importants dans des pays d’activités de l’entreprise, par exemple l’eau dans le cas de Suez.

104 Il n’en demeure pas moins que l’absence de certaines thématiques de l’agenda des entreprises « socialement responsables » persiste. En matière d’emploi, c’est le cas de la santé et de la sécurité des travailleurs.

105 Mais c’est sans doute sur le thème des restructurations que l’on mesurera la solidité des engagements d’entreprises. Une étude réalisée à la demande de la Fondation européenne pour la qualité de l’emploi en 2002, a mis en évidence l’importance de ce thème dans quatre pays : la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France et la Hongrie. Les points forts et les limites des actions d’entreprises y apparaissent très clairement. Le développement de la formation en vue d’une meilleure « employabilité » des salariés y apparaît comme un levier efficace, mais encore relativement peu utilisé, la pratique plus classique du reclassement, étant privilégiée. La question des restructurations sera sans doute cruciale pour les entreprises des nouveaux adhérents à l’Union européenne.

106 On remarquera que les pratiques de responsabilité sociale sont surtout le fait d’entreprises occidentales, les asiatiques et les entreprises des pays de l’ancien bloc de l’Est en étant singulièrement absentes. Dans le cas des Asiatiques, l’avantage comparatif se situe souvent précisément dans des prix plus bas. Le Japon est resté très absent de ce type de préoccupation. Mais cela pourrait changer avec la création, il y a peu, sous la houlette du groupe Mitsui, d’un centre de recherche sur la RSE et la « gouvernance d’entreprises ». Plusieurs scandales financiers locaux ainsi que, fort probablement, la pression non explicite, des concurrents, partenaires et d’une partie du marché boursier, ont joué dans cette évolution.

107 Les indices boursiers éthiques et les agences de notation sociale ont vu le jour au cours des dix dernières années en Europe. Pratiques plus anciennes dans le monde anglosaxon, les notations éthiques ont connu des développements plus spécifiques en Europe. En effet, alors que la pratique anglo-saxonne, inspirée de mouvements religieux, est davantage axée sur le refus d’investissements dans certains secteurs jugés contraires aux valeurs éthiques, en Europe, on s’est davantage orienté vers un choix d’entreprises sélectionnées pour leurs pratiques éthiques.

108 Les principaux indices boursiers sont, à ce jour, le Dow Jones Sustainibility Group Index (DJSGI), le FTSE4Good et ASPI. Le DJSGI, qui est le plus connu, est un outil de cotation des entreprises qui répond à une demande émanant du marché, d’identification des entreprises s’illustrant par des pratiques conformes à un souci de développement durable. Comme les autres indices mentionnés, le DJSGI traite de la question de l’emploi au sein de la maison mère et dans la chaîne de production, ainsi que de l’implication dans la communauté. ASPI met en outre l’action sur l’actionnariat. Les agences de notation sociale se sont multipliées. En France, on retiendra que Nicole Notat, l’ancienne secrétaire générale de la CFDT, a créé, avec le soutien de grandes entreprises françaises, l’agence Vigeo, après avoir repris Arese, à l’origine de l’indice ASPI. En Belgique, Ethibel joue un rôle actif aux côtés des banques et participe activement à la mise sur le marché de produits financiers éthiques.

109 Une catégorie d’entreprises mérite une attention toute particulière. Il a quelques années, la Confédération européenne des coopératives (CECOP) s’est posé la question de l’impact des pratiques qui seraient « naturellement socialement responsables » des entreprises d’économie sociale, sur les entreprises de l’économie plus « classiques ». S’il semble évident intuitivement que « ça va de soi » des entreprises d’économie sociale, cela n’est sans doute pas aussi automatique que certains pourraient le penser. En revanche, il est certain qu’il y a dans ce secteur un vivier d’expériences et de pratiques qui pourrait inspirer les entreprises. C’est dans cette optique que la Fondation Roi Baudouin et l’administration en charge de l’économie sociale ont mis sur pied un programme d’échanges entre les entreprises du secteur marchand et les entreprises du secteur d’économie sociale.

110 La priorité que les entreprises de l’économie sociale accordent à des critères autres que strictement économiques, mise au regard de leurs performances économiques, est la démonstration éclatante de la compatibilité des deux objectifs. Éric De Keuleneer, citant Turnbull, mentionne que ce dernier attribue cette efficacité « à de meilleurs circuits d’information, une meilleure responsabilisation à tous les niveaux, une capacité naturelle à faire fonctionner en réseau des entités décentralisées  [28] ». En Belgique, Ethias – ex-SMAP – a été la première entreprise à demander le label social. Cette démarche s’inscrit notamment dans une stratégie générale de l’entreprise mutuelliste qui se veut également très proche de l’économie sociale et fondée sur des valeurs de solidarité.

3.2. LES SYNDICATS : LA MÉFIANCE

111 Depuis le milieu des années 1990, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) mène une réflexion sur certains outils de la responsabilité sociale et notamment sur les labels et codes de conduite. Ainsi elle a organisé des campagnes dénonçant le travail des enfants et axées sur le dialogue avec les entreprises. On peut citer sa campagne à propos de la fabrication de ballons de football par des enfants au Pakistan à la veille de la dernière coupe du monde.

112 Les organisations syndicales se sont méfiées très rapidement du mouvement d’entreprises déployant des stratégies de responsabilité sociale. On l’a vu plus haut pour la Confédération européenne des syndicats (CES) qui a entamé un travail de définition de sa position. En Belgique, jusqu’au début 2004, la FGTB, la CSC et la CGSLB n’ont pas pris de positions officielles sur la question. Certes, elles ont été impliquées dans les débats à l’occasion notamment des discussions sur le label social et la production socialement responsable, au sein du Conseil national du travail. Elles perçoivent la RSE comme une stratégie aux effets pervers. En outre, elles voient apparaître un nouvel acteur dont elles contestent la légitimité : les ONG.

113 Pour certains syndicalistes, des entreprises ont eu trop souvent tendance à mettre dans le dialogue avec les parties prenantes, des matières qui, en d’autres temps, étaient clairement de l’ordre du dialogue social. Dès l’instant où l’on définit la RSE comme un ensemble de pratiques volontaires, l’ambiguïté est omniprésente. Ainsi, à l’intérieur de grands groupes européens, dans certains domaines, la tentation est parfois grande d’adopter sous l’étiquette RSE des pratiques qui correspondent en réalité à une obligation dans un des pays du groupe, et devenues, pour des raisons liées à la qualité de la législation nationale, références pour l’ensemble de la multinationale.

114 On retiendra aussi qu’en matière d’emplois les pratiques des entreprises sont plus souvent de l’ordre de l’amélioration de l’attractivité pour les meilleures compétences que, par exemple, d’efforts en vue d’intégrer des travailleurs fragilisés sur le marché de l’emploi.

115 Sur le terrain, la réalité est ici aussi diversifiée. Elle va d’une implication forte des délégués d’entreprise ou des permanents de centrales dans les démarches de RSE des entreprises à l’indifférence la plus totale. La démarche de demande d’un label social – privé ou public – émane parfois des délégations syndicales elles-mêmes. La loi sur la production socialement responsable prévoit une information de la délégation syndicale quant à la démarche de demande du label. En pratique, une des trois entreprises bénéficiant d’un label à ce jour, a pris l’initiative à la demande de la délégation syndicale.

3.3. LES ONG : UN OUTIL DE DIALOGUE

116 Les ONG ont été des moteurs du développement de la RSE. Dans la foulée de campagnes, elles ont été invitées au dialogue par certaines entreprises. Amnesty International est partenaire de nombreuses entreprises dans le cadre du Business Group Manager for Amnesty International UK. La Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) s’associe au groupe Carrefour. Des ONG locales des pays en développement s’impliquent dans le contrôle du respect du code de conduite de Nike.

117 Elles sont de nature diverse et s’impliquent également diversement. La nébuleuse qui constitue le mouvement altermondialiste a été à la fois un catalyseur de la prise de conscience de certaines entreprises de ce qu’elles devaient se mettre à l’écoute de la société autrement qu’auparavant. Les propos d’un dirigeant d’Unilever qui, présent au Sommet de Davos en 2002 (qui se tenait en l’occurrence à New York cette année-là) au moment même où les télévisions du monde entier retransmettaient des images du Forum social mondial de Porto Allegre, déclarait qu’il était temps que les entreprises se préoccupent de la lutte contre la pauvreté, sont significatifs de la nature de la RSE comme réponse des entreprises à la contestation altermondialiste. Un certain nombre d’entre elles l’avaient déjà fait – à leur manière – dans le cadre de programmes de la Banque mondiale, mais l’association avec des ONG – sauf dans les relations de mécénat – était jusque-là très rare.

118 Leur positionnement par rapport à la RSE est loin d’être uniforme. Il va de l’implication active au refus pur et simple avec des positions intermédiaires. Par ailleurs, on notera que le dialogue noué par des ONG avec des entreprises se passe aussi dans un contexte de baisse des soutiens financiers des pouvoirs publics aux ONG et à la coopération au développement indirecte, en ce qui concerne les ONG de développement en tout cas, ainsi que dans un contexte de baisse des fonds récoltés auprès du grand public.

3.4. LES CONSOMMATEURS : UNE EXIGENCE DE TRANSPARENCE

119 Dans les années 1960, le mouvement consumériste américain a joué, aux États-Unis, un rôle majeur dans l’évolution du comportement de certaines entreprises. En Europe, il a été plus lent.

120 CSR Europe a pour sa part, commandité des enquêtes auprès des consommateurs. Il en ressortait dès 2000, que ces derniers se disaient dans leur grande majorité intéressés par les produits éthiques et notamment par le commerce équitable. Mais la place de ce mouvement sur le marché et sa très lente évolution, montre à quel point le geste d’achat réel est éloigné des manifestations d’intention.

121 En Belgique, la principale organisation de consommateurs, Test-Achats, a commencé à s’intéresser à la RSE, il y a quelques années. Ainsi, on a pu commencer à lire, dans la revue de l’organisation, des articles sur le commerce équitable, avant que cet intérêt devienne plus important. Une enquête du CRIOC a précisé le portrait du consommateur amateur d’éthique. Plutôt féminin que masculin, souvent universitaire mais disposant de revenus moyens à moyens – supérieurs. De fait, on soulignera ici que les produits faisant l’objet de labellisation éthique ne sont ni des produits de bas de gamme, ni de haut de gamme. On peut même se demander si, à terme, le marché de certains produits très labellisés comme le textile ou le café, ne va pas évoluer vers trois types de créneaux seulement : le bas de gamme pour le consommateur que l’éthique n’intéresse pas puisqu’il n’en a pas les moyens, le haut de gamme pour des hauts revenus qui, on l’a vu dans les études de marché, continuent à bouder l’éthique et des produits intermédiaires où cette préoccupation progresse, fût-ce superficiellement.

3.5. LES ACTIONNAIRES : TRANSPARENCE ET ÉTHIQUE

122 Les actionnaires sont les références privilégiées des entreprises. L’apparition des notations sociales a amplifié un phénomène au départ d’une réflexion menée par certains fonds de pension. Les actionnaires et les investisseurs individuels et institutionnels, et notamment certains gestionnaires de fonds de pension, ont joué un rôle de catalyseur important.

123 Sous la poussée de scandales financiers et de faillites qui ont révélé le manque de transparence de certains gestionnaires, les principes de « gouvernance d’entreprise » ont fait leur chemin dans les grandes entreprises et chez leurs actionnaires, incluant dans leur foulée la question de la responsabilité sociale.

124 La « gouvernance » s’est déclinée de diverses façons. Sans entrer ici dans les détails, on notera que l’une des principales formes de « gouvernance » est la surveillance d’entreprises par l’actionnariat, très pratiquée aux États-Unis, comme le souligne Éric De Keuleneer  [29].

4. LES OUTILS DE LA RSE

4.1. L’AFFICHAGE DES ENGAGEMENTS : LABELS ET CODES DE CONDUITE

125 Les labels et codes de conduite sont les outils de RSE les plus visibles du grand public. Les labels se définissent par rapport à un audit en principe externe auquel sont parfois associées des ONG actives dans des domaines divers. Ils apparaissent en aval d’une pratique d’entreprise. Les codes de conduite (ou de bonne conduite) sont définis en quelque sorte en amont, par l’entreprise elle-même. Ces codes sont des outils d’affichage des valeurs qu’entend respecter l’entreprise.

126 La RSE commence et se termine par de la communication. En effet, pour une entreprise, l’éthique n’a pas d’autres objectifs que de donner d’elle une image positive aux parties prenantes. Labels et codes de conduite répondent à ce souci de communiquer les engagements de l’entreprise vis-à-vis de l’extérieur, sur base d’outils élaborés en interne – les codes de conduite – ou proposés par des acteurs extérieurs – les labels –, ces derniers répondant néanmoins à des conditions fixés par des audits.

127 On dénombre aujourd’hui un grand nombre de codes de conduite et un plus grand nombre encore de labels de tous ordres – près de 600 codes contenant des dimensions emplois en 1999, selon l’OIT. Historiquement, c’est dans les secteurs textiles et de l’exploitation des produits forestiers qu’on les a vu apparaître en premier lieu. Ils répondent à des demandes fortes de parties prenantes des secteurs concernés et par des besoins, non moins forts, des entreprises en matière d’images.

128 Des thématiques comme le travail des enfants ou le travail forcé ont été les premières à être mises en avant. Sujet porteur auprès d’un public de consommateurs, les préoccupations que suscitent cette question ont souvent eu tendance à faire oublier d’autres graves problèmes par exemple en matière de conditions de travail. Mais par la suite, au début des années 1990, bien peu de codes ou de labels se référaient aux conventions de l’OIT ou aux législations nationales, par exemple en matière de respect d’un âge minimum légal. Pratiquement, leur portée juridique est du ressort du droit commercial et leur non-respect s’apparente à de la publicité mensongère.

129 Codes et labels se sont complexifiés. Ils ont intégré des dimensions plus complètes, au-delà d’une seule dimension, et le nombre d’outils se référant aux normes fondamentales et leurs législations d’application, a augmenté. En effet, lorsque le BIT mena une étude sur les codes en 1999, il apparut que les critères de référence étaient définis le plus souvent par la seule entreprise. En d’autres termes, on évoquait le travail des enfants par exemple, sans référence aux conventions de l’OIT ou à des législations nationales.

4.2. LA MISE EN ŒUVRE DES OUTILS DE RSE

130 C’est dans la mise en œuvre de la RSE que l’on mesure le mieux le degré d’engagement des entreprises. Certaines ont adopté des démarches progressives, mettant en avant des principes et des actions à mettre en œuvre par étape.

131 Ces cadres de gestion font l’objet de tentative d’harmonisation. L’un des plus connus est la norme AA 1000, mise au point en Grande-Bretagne. AA 1000 entend « aider les utilisateurs à mettre en place un processus d’engagement systématique des parties prenantes capable de générer des indicateurs, objectifs et systèmes d’établissement des rapports nécessaires pour garantir son efficacité dans la performance globale de l’organisation  [30] ». Elle repose sur une liste de demandes adressées à l’entreprise assortie d’une matrice de lecture de l’état de ces demandes dans une entreprise précise et d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs qui en permettent le suivi. Le principe de base de la norme AA 1000 est celui de la progressivité. Chaque année une mesure des différents critères identifiés est établie. Les auditeurs sont des auditeurs privés. Cette caractéristique est jugée problématique par bon nombre d’experts dans le domaine du travail et de l’environnement, étant donnée l’absence de prise en compte de compétences précises comme celles des inspecteurs du travail ou des experts scientifiques en matière d’environnement, par exemple. La norme AA 1000 a inspiré plusieurs modèles de bilans sociétaux comme celui, en France, du Centre des jeunes dirigeants de l’économie sociale (CJDES).

132 La plupart des systèmes de gestion proposés par les consultants, les ONG ou d’autres organisations sont basés sur le principe de mise en place d’indicateurs et de contrôles internes, le tout étant assorti d’audits externes. Les indicateurs sont à la fois d’ordre quantitatif (l’évolution quantifiée du recyclage des déchets, du nombre d’accidents de travail ou encore d’heures de formation, par exemple), et qualitatif (la description des mesures mises en œuvre pour améliorer la qualité du recyclage, les mesures prises pour diminuer le nombre d’accidents ou encore les méthodes en vue d’identifier les besoins en formation et les rendre accessibles au plus grand nombre d’employés possible, par exemple).

133 Dans de nombreuses entreprises, des mécanismes spécifiques, des structures ou des modes de fonctionnement taillés sur mesure sont décidés par la direction. Il s’agit parfois de la désignation d’un responsable, de la constitution d’un groupe de travail interne (souvent paritaire et donc reposant sur la consultation et l’implication des délégations de salariés, généralement la délégation syndicale) ou encore d’un mécanisme type « comité éthique ». Pour les concepteurs de la RSE, l’implication syndicale est importante pour la réussite du processus. Cette implication ne débouche pas nécessairement sur l’adhésion des syndicats. Dès l’instant où ils contestent une mesure dite volontaire ou qui va au-delà de la loi, ils peuvent être tentés de la traiter par les moyens classiques de la concertation sociale.

4.3. AUDITS EXTERNES

134 L’adoption et la mise en œuvre par une entreprise d’une stratégie RSE, sont assorties nécessairement d’audits externes. Ceux-ci sont réalisés par des entreprises d’audits qui, bien souvent, ont un autre métier de base. Ainsi, un grand nombre de sociétés d’audits financiers ont développé, au fil des dernières années, des départements consacrés au contrôle des stratégies de RSE. Certains organismes de contrôle qualité se sont fait accréditer pour le contrôle de la norme SA 8000, une norme fréquemment demandée par des entreprises qui se trouvent dans des filières de production où les donneurs d’ordre formulent des exigences « socialement responsables », et qui reposent notamment sur la déclaration universelle des droits de l’Homme ou les principes de base de l’OIT.

135 On le voit, c’est un véritable marché qui s’est développé. On y trouve tant des petits consultants privés que de grandes entreprises comme les Big Four (PriceWaterhouse Cooper, Deloitte and Touche, KPMG et Ernst and Young) ou encore les sociétés d’audits qualité comme la Société générale de surveillance (SGS) ou Veritas.

4.4. BILANS ET RAPPORTS SOCIAUX ET SOCIÉTAUX

136 La RSE se termine par de la « communication ». En d’autres termes, la mise en œuvre de ces processus n’a de sens pour l’entreprise que si elle en communique les résultats et les améliorations à ses parties prenantes et si elle peut se comparer à ses pairs. C’est ainsi que l’on a vu apparaître des rapports et des bilans sociaux et sociétaux établis et diffusés sur une base volontaire.

137 Ces bilans sont de qualités diverses, allant de l’outil de promotion pure et simple à de véritables outils de transparence des pratiques et des avancées de l’entreprise. On s’accorde ainsi à reconnaître que le rapport de la société Danone est l’un des plus aboutis dans le genre, puisqu’il fixe même des principes sur lesquels elle n’a, au stade de la publication, mis aucune action en œuvre, mais sur lesquels le groupe s’engage à travailler. Comme la définition et la mise en œuvre de cette stratégie, la réalisation du bilan de l’entreprise est, dans ce cas, basée sur des groupes de travail paritaires internes à l’entreprise et consacrés à des thématiques très diverses. L’avancée de la mise en œuvre des engagements est mesurée chaque année, ce qui donne un aperçu des efforts réels consentis par l’entreprise.

138 Les rapports n’ont de sens que s’ils permettent une comparaison intra- et intersectorielle. C’est ce qui a amené des ONG et des organisations réunissant des représentants de plusieurs parties prenantes, à proposer des modèles harmonisés. Le plus connu est celui de Global Reporting Initiative (GRI), une initiative d’origine américaine et qui émane d’ONG, de syndicats et d’entreprises. L’objectif du GRI consiste à mesurer l’impact social et environnemental des entreprises afin d’améliorer la comparabilité et la crédibilité des rapports. Le modèle de rapport a été conçu avec des entreprises et est basé sur des groupes de travail auxquels participent des entreprises, des ONG et des syndicats. Le format proposé repose sur plusieurs sections. La première contient des principes directeurs qui sont définis comme « les objectifs vers lesquels doit tendre la personne qui établit le rapport », à savoir la transparence, le fait d’inclure toutes les parties prenantes, la vérifiabilité, l’exhaustivité, la pertinence par rapport aux demandes, les conditions de durabilité, la précision, la neutralité, la comparabilité, la clarté et l’actualité. Une autre section définit les indicateurs et la teneur du rapport.

139 Le GRI est considéré comme une des expériences les plus avancées dans le domaine, d’autant plus qu’il n’existe quasiment pas de modèles standardisés qui permettent la comparaison. Mais de l’aveu même d’entreprises l’ayant testé, il est jugé comme lourd à mettre en œuvre. Autre défaut souvent pointé : il est d’inspiration anglo-saxonne (mais n’en recueille pas moins une attention favorable de la part de la Commission européenne) et il est à l’origine un rapport de l’impact environnemental qui s’est enrichi de données sociales et sociétales. Cette caractéristique est sans doute à l’origine de l’une des critiques formulées par le Bureau international du travail : « Certains des aspects sociaux que le GRI tente de mesurer sont toutefois difficiles à quantifier et les indicateurs quantitatifs ne sont pas nécessairement significatifs  [31]. »

140 Deux autres modèles prisés en Europe sont ceux du Centre (français) des jeunes dirigeants de l’économie sociale (CJDES) ou celui des coopératives italiennes. Ces deux derniers sont inspirés de la démarche AA 1000 (décrite plus haut) et le reproche qui leur est parfois adressé est qu’ils sont davantage inspirés de préoccupations spécifiques à l’économie sociale, préoccupations qui ne sont pas toujours transposables aux sociétés commerciales.

4.5. L’INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE

141 La réflexion sur l’investissement socialement responsable (ISR) a pris une place de plus en plus importante au cours des dernières années. L’ISR est aujourd’hui considéré comme un moteur majeur de la décision d’adopter des stratégies de RSE par une entreprise. Une grande partie de la réflexion européenne sur la transparence part des exigence des investisseurs.

142 On a déjà mentionné la notation boursière sociétale. Mais il existe aujourd’hui un grand nombre de fonds d’investissement éthiques. En 2001, ces fonds s’élevaient, pour les seuls États-Unis, à plus de 2,34 billions de dollars. Les critères de sélection sont ici, encore plus divers que le sont les pratiques de RSE. On y trouve des critères relatifs aux relations industrielles, à la non discrimination et à l’égalité des chances. Certaines grilles reprennent l’ensemble des normes fondamentales universellement admises (ONU, OIT, etc.)  [32].

4.6. LES NORMES ET STANDARDS INTERNATIONAUX

143 Des ONG, des organisations syndicales américaines et des organisations privées proches du monde de l’entreprise, ont décidé de mettre au point et de proposer des outils standardisés permettant donc des comparaisons. C’est le cas du SA 8000, une certification accordée par Social Accountability International (SAI), elle-même héritière de l’ONG américaine CEPAA, qui, en 1997, proposait ce standard basé sur le respect des principes suivants : la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte des droits économiques et sociaux, les principes de base de l’OIT, la Déclaration de New York sur les droits des enfants et la Convention de Rio sur l’environnement et le développement. Calquée sur le modèle de la norme ISO 9000  [33], SA 8000 s’appuie en effet sur les techniques d’audit de l’ISO. Elle en reprend le principe des mesures correctives et préventives à prendre, prône une amélioration permanente, se focalisant sur les systèmes de gestion et de documentation.

5. THÈMES DE DÉBATS

5.1. RSE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

144 La responsabilité sociale des entreprises, envisagée comme stratégie, est généralement considérée comme un levier de mise en œuvre d’un développement durable tel que défini à la convention de Rio sur l’environnement et le développement de 1992. Faut-il dès lors s’étonner de ce que des normes privées se réfèrent explicitement à cette convention, comme la norme SA 8000  [34], tant prisée par bon nombre d’entreprises présentes dans des filières ou des secteurs où les consommateurs sont très demandeurs d’éthique, comme l’industrie textile ?

145 La Commission européenne, de son côté, envisage clairement la responsabilité sociale des entreprises comme un des aspects de la stratégie communautaire en matière de développement durable. L’année où sortait le Livre vert, plusieurs outils de types et statuts divers émanaient des institutions. L’attention de la Commission pour la RSE doit ainsi être rattachée à divers agendas et politiques :

  • en matière de développement et de commerce extérieur : à la promotion de la
    « bonne gouvernance » et au Système de préférences généralisées socio-environnementales (SPG) ;
  • en matière d’emploi : aux politiques relatives au dialogue social, aux restructurations et à la qualité de l’emploi en général ;
  • en matière de politiques des entreprises : aux règles en matière de concurrence et de soutien des PME qui, on le verra, suscitent une attention particulière qu’il faut relier d’une part aux demandes exercées sur elles par les grands donneurs d’ordre, et d’autre part, au coût d’accès aux instruments de la RSE et notamment des audits externes.

5.2. SPÉCIFICITÉS CULTURELLES ET SECTORIELLES

146 La multiplicité des approches ne doit pas faire oublier que l’un des moteurs de l’amélioration qualitative de la RSE dans les entreprises, est la possibilité de comparer. En d’autres termes, faire mieux que l’autre est une motivation des entreprises pour s’améliorer, y compris sur la RSE. Cette perspective recèle en soi des pièges. La tentation d’harmoniser peut en effet amener à gommer des spécificités culturelles, géographiques et sectorielles.

147 Ainsi la RSE anglo-saxonne est inspirée par des démarches d’entreprises américaines qui ont dû se défendre auprès des consommateurs et des actionnaires dans un contexte – peu ou pas – régulé dans les matières sociales et environnementales. En revanche, et très schématiquement, les pratiques en vigueur en France sont le fruit de la mise en œuvre de valeurs portées par exemple par des familles qui sont à l’origine des entreprises. L’exemple le plus classique est celui de Lafarge. La référence à des valeurs très occidentales n’est pas toujours non plus sans conséquence sur des entreprises de pays émergents qui doivent répondre à des demandes de donneurs d’ordre sans toujours en avoir les moyens et dans des contextes très différents. De ce point de vue, la norme SA 8000, toute partielle qu’elle soit (puisqu’elle porte sur des normes en principe obligatoires et d’application dans nos pays), oblige les entreprises à montrer patte blanche aux donneurs d’ordre qui imposent des preuves de leur respect de problématiques comme la liberté syndicale. On ne s’étonnera pas ainsi que la nationalité la plus fréquente chez les entreprises qui bénéficient de la norme SA 8000 soit la nationalité chinoise.

5.3. EFFETS SUR LES RELATIONS COLLECTIVES DU TRAVAIL

148 L’examen de la pratique montre que la RSE a des effets divers sur les relations collectives du travail dans les entreprises. Fruit d’un véritable dialogue entre les partenaires sociaux, elle est aussi parfois un contournement du système institutionnalisé des relations entre travailleurs et employeurs, sous prétexte d’actions volontaires de l’entreprise. La question de la définition de ce que l’on met exactement dans la RSE se pose avec insistance en matière de qualité de l’emploi.

149 En matière de santé et de sécurité, problème essentiel de certains secteurs, la référence par certains grands groupes d’entreprises à des législations jugées supérieures de certains pays et qualifiées de « responsabilité sociale » dans d’autres pays, est un travers fréquent.

5.4. PME ET SOUS-TRAITANTS

150 L’accès des PME et des sous-traitants aux outils de RSE se pose de plus en plus avec acuité. En effet, dans le cadre d’actions portant sur les filières de production, les demandes de grandes entreprises qui tentent d’imposer des normes privées, des chartes et des codes de conduite à leurs partenaires commerciaux, fournisseurs et sous-traitants ont des effets considérables sur des entités de petite taille. Schématiquement, la problématique s’impose dans les mêmes termes pour les petites et moyennes entreprises – et en particulier les micro-entreprises – et les sous-traitants des pays non européens. Sans parler de la conformité de ces entreprises aux obligations légales et notamment, aux conventions de base, le recours aux audits et aux outils divers est lourd, tant économiquement qu’en termes d’investissement humain.

151 La réponse à ces problèmes est différente selon le type d’entreprises. Si la réflexion relative aux entreprises des pays industrialisés s’oriente davantage vers les aides publiques, les mutualisations ou les approches sectorielles, celle relative aux entreprises des pays en développement s’oriente davantage vers les programmes de coopération au développement. La loi belge sur la production socialement responsable prévoit d’ailleurs un volet de cet ordre, en vue de porter assistance aux partenaires sociaux des pays du Sud pour « se mettre à niveau ». À ce jour, ce volet n’a pas encore été mis en œuvre.

5.5. CONVERGENCE SOCIALE ET ÉCONOMIQUE

152 Une des grandes questions de la RSE est celle de la portée économique des actions mises en œuvre par les entreprises. En d’autres termes, le coût consenti par les entreprises pour répondre aux demandes des parties prenantes et mettre en œuvre des actions qui ne sont pas directement liées à son activité économique, a-t-il une contrepartie « bénéfices », autre qu’en termes d’image de marque ?

153 La littérature sur ce sujet est importante et très divergente. Il y a quelques années, une étude sectorielle menée en France montrait qu’il n’y avait pas de convergence. En revanche, une série d’études lancées dans des écoles de commerce européennes à l’instigation de CSR Europe, dans le cadre d’une initiative connue sous le nom de CSR Academy, vise à prouver le contraire et à promouvoir ainsi la RSE.

154 En mai 2003, le gouvernement britannique a de son côté organisé un séminaire dont l’objet était la diffusion des résultats d’un sondage auprès des entreprises. Cette enquête portait sur l’impact économique de leurs attitudes sociales. Les résultats publiés en janvier 2004 semblent indiquer que les entreprises qui mènent des stratégies socialement responsables sont effectivement performantes. Néanmoins des responsables de chambres de commerce et d’entreprises contestent la validité de cette étude, arguant que son objectif n’avait pas été annoncé aux entreprises consultées.

155 La responsabilité sociale des entreprises repose de fait sur la conviction, dans le chef de dirigeants d’entreprises, de l’existence d’une convergence entre les intérêts économiques et financiers de l’entreprise et son comportement sociétal. Aux convaincus de l’existence de cette convergence, on peut facilement objecter que les entreprises qui ont entamé des démarches de responsabilité sociale sont des entreprises souvent leaders de leur marché et pour lesquelles l’image de marque et la réputation sont des éléments clés de leurs stratégies. Ce sont les Nike, Coca-Cola ou encore Shell qui, faisant l’objet de campagnes de dénonciation, affichent leur intérêt actif pour des sujets de préoccupation de la société (dans les exemples cités, respectivement : les conditions de travail dans les pays du Sud, la santé ou encore l’environnement).

5.6. AVANTAGE COMPARATIF

156 L’hypothèse d’une convergence sociale et économique est aujourd’hui au cœur des débats. En d’autres termes, se pose la question de l’impact de pratiques éthiques sur les résultats des entreprises. La réponse n’est pas sans impact sur l’éventualité d’une implication des pouvoirs publics dans la RSE. En effet, si celle-ci est prouvée, l’encouragement public de la RSE dans les entreprises – que ce soit par le biais d’incitants fiscaux ou de clauses dans les marchés publics par exemple – reviendrait à induire une forme de distorsion de la concurrence, puisque l’avantage comparatif de l’entreprise bénéficiant d’aides publiques serait prouvé. Du reste, des incitants comme l’inclusion de clauses dans les marchés publics sont à l’ordre du jour.

157 Si étrange cela puisse paraître, le discours entrepreneurial sur l’avantage comparatif semble s’inverser. De la dénonciation du niveau des salaires comme nuisance à la compétitivité, on est passé à une louange de « l’éthique dans l’entreprise », éthique qui pourrait devenir, à en croire les entreprises membres de CSR Europe, un facteur de compétitivité.

CONCLUSION

158 Il est aujourd’hui difficile de nier que, dans le discours, la RSE rejoint des objectifs de développement durable fixés dans plusieurs instruments internationaux et déclarations intergouvernementales. Qu’en est-il de la pratique et des impacts réels ?

159 Le développement de la RSE dans les entreprises pourrait se traduire, à terme, par une sorte de polarisation du marché qui pourrait se diviser entre des entreprises affichant des valeurs éthiques et s’adressant à des consommateurs situés dans la moyenne supérieure des revenus – comme l’ont démontré plusieurs études – et, d’autre part, des entreprises travaillant dans des zones dérégulées, s’adressant à des consommateurs aux revenus limités. Dans cette hypothèse, un mécanisme présenté comme un instrument de progrès, pourrait bien simplement mettre plus encore en lumière la fracture sociale qui s’est creusée sous les effets de la mondialisation. Il s’agit bien entendu d’un scénario extrême, mais non absurde, qui montre que l’encouragement d’un comportement éthique dans le chef des entreprises est indissociable d’autres types d’actions de la part des pouvoirs publics.

160 Le propos des entreprises consiste aujourd’hui à dénoncer tout conditionnement des aides, des subventions, des mesures fiscales ou d’autres types d’incitants, ce conditionnement étant jugé trop contraignant dès l’instant où il irait au-delà des obligations légales. En réalité, la majorité des entreprises souhaite contenir la régulation de pratiques non obligatoires ou de modes de production dans des zones moins ou pas régulées. L’impact économique de la RSE n’est quant à lui, pas encore prouvé. On ne peut nier que consommateurs et actionnaires des pays développés sont, aujourd’hui, de plus en plus demandeurs de preuves quant à l’éthique des entreprises, et qui dit preuves, dit outils de comparaisons, ce qui peut expliquer la multiplication de modèles de mesure et de rapports standards.

161 Les débats européens seront décisifs. Il est certain que l’Union européenne peut amener une spécificité. La RSE telle qu’elle s’est déclinée au cours de la dernière décennie est surtout européenne. Elle pourrait servir autant les partisans de l’altermondialisme que les libre-échangistes soucieux d’atténuer les effets sociaux de la mondialisation.

GLOSSAIRE

162 AA 1000 : norme de RSE mise au point par l’organisation britannique AccountAbility. Il s’agit d’une norme basée sur l’intégration progressive et mesurable d’actions socialement responsables.

163 Bowen Richard : Théoricien américain qui, dans les années 1940, développa les premières théories de managements sur la RSE.

164 CSR Europe : regroupement des entreprises européennes qui veulent promouvoir la RSE. CSR Europe est l’héritier du Réseau européen des entreprises pour la cohésion sociale (EBNSC) créé par Etienne Davignon. En 2004, il regroupait 65 entreprises multinationales actives en Europe.

165 Fondation européenne de Dublin pour la Qualité de l’Emploi : fondation créée par la Commission européenne en . La Fondation européenne pour la qualité de l’emploi publie des études, mène des travaux et des recherches sur la qualité de l’emploi en général. Elle fonctionne sur une base bipartite. En 2002, elle a publié une étude sur la RSE et les restructurations d’entreprises.

166 Global Compact : initiative personnelle du secrétaire général des Nations unies, Kofi Anan, prise dans la foulée du sommet de Davos de 1999. Le Global Compact associe des entreprises, la Confédération internationale des syndicats libres et la Confédération mondiale du travail ainsi que de grandes ONG internationales actives dans les domaines des droits de l’homme, du développement et de l’environnement. En adhérant au Global Compact, les entreprises s’engagent à respecter un catalogue de principes, normes et standards internationaux universellement admis.

167 GRI : Ou Global Reporting Initiative. Système de bilan d’origine américaine assorti d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs et de méthodes de comparaison portant les dimensions environnementale, sociale et sociétale. Le GRI est un des standards de référence en matière de bilans RSE. Il repose notamment sur des projets pilotes dans certains secteurs afin de prendre en compte les spécificités des entreprises qui en font partie.

168 Howitt Richard : membre britannique du groupe socialiste du Parlement européen. Richard Howitt a été à l’origine de plusieurs travaux et de résolutions du Parlement européen, concernant le comportement des entreprises européennes dans les pays en développement.

169 Kreps Theodore : théoricien américain de la RSE

170 Lignes directrices de l’OCDE à l’attention des multinationales : catalogue de principes et de recommandations sur la mise en œuvre de ces principes liés au respects des normes et standards internationaux universellement admis et notamment, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et les principes de base de l’OIT. Le système des lignes directrices est assorti d’un point de contact national qui, en Belgique, est basé au Ministère des Affaires économiques. Publiées en 1977, les lignes directrices ont fait l’objet d’une révision en . Un rapport sur leur application est publié tous les ans. Aux Pays-Bas, le respect de ces lignes directrices conditionne l’octroi de certaines aides publiques, comme les crédits publics à l’exportation vers les pays à risques.

171 Loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) : loi française publiée en janvier 2001 et qui, en son article 116, prévoit l’obligation, pour les entreprises cotées en bourse, de publier annuellement un bilan de l’impact social et environnemental de leurs activités. Les premières évaluations de l’application de cette loi, la première du genre, ont été réalisées par les pouvoirs publics ainsi que la CGT et la CFDT. Elles montrent schématiquement qu’elle est insatisfaisante en ce qui concerne les entreprises qui ne publiaient aucun document de cet ordre avant la promulgation de la loi et qu’en revanche, elle n’a rien changé aux pratiques de celles qui avaient déjà ce type de communication.

172 Nader Ralph : Activiste environnementaliste américain des années 1960. Ralph Nader a été un des premiers à interpeller publiquement les grandes entreprises sur l’impact environnemental et sociétal de leur type de production.

173 Parties prenantes : ou Stakeholders, en anglais. Le terme de stakeholders est utilisé par référence ou opposition aux shareholders, les actionnaires. Les parties prenantes sont tous les acteurs présents autour de l’entreprise et qui adressent des demandes à celles-ci. On y met généralement : les actionnaires et investisseurs, les salariés, les associations diverses, ONG et organisations de consommateurs, les clients, les fournisseurs et sous-traitants, les communautés locales et les pouvoirs publics, bien qu’à propos de ce dernier acteur, certains ne prennent en compte que les pouvoirs locaux.

174 SA 8000 : Social Acclountability International. Norme internationale privée édictée par SAI (cf. infra) et s’appliquant à des entreprises, sur base d’audits privés. La norme garantit auprès des parties prenantes le respect de principes internationaux : la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte des droits économiques et sociaux et ses protocoles additionnels, les conventions de base de l’OIT, la Déclaration de New York sur les droits des enfants, la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et l’agenda 21. Cette norme est très sollicitée par des entreprises situées dans des régions ou des secteurs à risques et qui peuvent dès lors, montrer « patte blanche » auprès de donneurs d’ordre et de pouvoirs publics.

175 SAI : Social Accountability International. Organisation qui a succédé au CEPAA, une association américaine constituée par des entreprises, des syndicats, des associations, des bureaux d’audits et des cabinets conseil. SAI est à l’origine de la norme SA 8000. Elle forme des auditeurs. SAI a ouvert un bureau européen à Amsterdam en 2001.

176 Triple Bottom Line : Le Triple Bottom Line est un terme de RSE qui synthétise le principe sur lequel est fondé cette dernière, à savoir la convergence de la réalisation de profits et de principes de respect de normes sociales, sociétales et environnementales, exprimés par l’expression PPP (People, Planet, Profit).

ABRÉVIATIONS

177 ACP : Afrique – Caraïbes - Pacifique
AFNOR : Association française de normalisation
BEUC : Bureau européen des unions de consommateurs
BIT : Bureau international du travail
CECOP : Confédération européenne des coopératives
CEEP : Confédération européenne des entreprises publiques
CES : Confédération européenne des syndicats
CISL : Confédération internationale des syndicats libres
CJDES : Centre des jeunes dirigeants de l’économie sociale
CRIOC : Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs
DJSI : Dow Jones Sustainibility Index
EBNSC : European Business Network for social Cohesion
EITI : Extractive Industry Transparency Initiative
ERT : European Roundtable
ETI : Ethical Trade Initiative
EUROCADRES : Syndicat européen des cadres
EUROCOMMERCE : Groupement européen des entreprises de distribution
FIDH : Fédération internationale des droits de l’Homme
OCDE : Organisation pour la coopération et le développement économiques
OIE : Organisation internationale des employeurs
OIT : Organisation internationale du travail
ONUDI : Organisation des Nations unies pour le développement industriel
PNUE : Programme des Nations unies pour l’environnement
SPG : Système de préférences généralisées
UAPME : Association européenne des PME
UNICE : Union des entreprises et des employeurs d’Europe
WBCSD : World Business Council for Sustanaible Development

Notes

  • [1]
    Note d’information sur la responsabilité sociale des entreprises et les normes internationales du travail, Conseil d’administration, Bureau international du travail, Genève, novembre 2003.
  • [2]
    Traduction française du terme anglais stakeholders. Dans sa stratégie de développement, l’entreprise qui entre dans une logique de responsabilité sociale ne se considère plus comme redevable devant ses seuls actionnaires, les shareholders, mais également devant ses travailleurs, les consommateurs, les fournisseurs et sous-traitants, la communauté où elle est installée. Le terme « partie prenante » se réfère à tous ceux pour lesquels il y a un enjeu.
  • [3]
    Cité dans « Note d’information sur la responsabilité sociale des entreprises et les normes internationales du travail », op. cit.
  • [4]
    Commission européenne, « La responsabilité sociale des entreprises. Une contribution des entreprises au développement durable » – COM (2002) 347 final, juillet 2002.
  • [5]
    Commission européenne, « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », Livre vert, juillet 2001.
  • [6]
    A. SOBCZAK, Réseaux de sociétés et codes de conduite – Un nouveau modèle de régulation des relations de travail pour les entreprises européennes, LGDJ, Bibliothèque de droit social, Paris, 2002.
  • [7]
    Au début du siècle, des actions de boycott visaient déjà des entreprises qui imposaient les conditions de travail inhumaines, par exemple, dans l’industrie minière en Grande-Bretagne.
  • [8]
    L’essentiel des produits Nike est fabriqué hors des États-Unis où se concentrent en revanche les activités de design et de commercialisation.
  • [9]
    Cf. infra.
  • [10]
    L’entreprise surveillée : l’éthique, la responsabilité sociale, le marché, la concurrence, les nouveaux acteurs, ouvr. coll., Bruxelles, Bruylant, 2003.
  • [11]
    Commission européenne, « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », op. cit.
  • [12]
    Cf. J.-M. WARÊGNE, « La Conférence ministérielle de l’OMC à Doha. Le cycle du développement », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1739-1740,2001, p. 55.
  • [13]
    Exposé de Marcel Bourlard, directeur du Bureau de liaison de l’OIT à Bruxelles, à la commission des Relations extérieures et de la Défense du Sénat, cf. Sénat, Doc. parl. 2-288/6 (1999-2000).
  • [14]
    Ibidem.
  • [15]
    Commission européenne, « La responsabilité sociale des entreprises. Une contribution des entreprises au développement durable », op. cit.
  • [16]
    « It simply works better ! - Campaign Report on European CSR Excellence », 2002-2003, The Copenhagen Center, CSR Europe, The Prince of Wales International Business Leaders Forum, Business and Society.
  • [17]
    Report EP – Social affairs commission, 2002 April 30th, Final A5 – 0159/2002.
  • [18]
    « Opinion of the Economic and Social Committee on the Green Paper », ESC 355/2002 DE/MEV/JKB/hm, 2002 March 20th.
  • [19]
    Confédération européenne des syndicats, Résolution adoptée par le comité exécutif de la CES des 10 et 11 octobre 2001, Bruxelles.
  • [20]
    « Les informations sociales dans les rapports annuels : quelle application de la loi NRE ? – Une étude sur les sociétés du SBF 120 », Alpha Études, septembre 2003.
  • [21]
    Le fondateur de MSF et de Médecins du Monde, Bernard Kouchner, avait été contacté par l’entreprise Total, épinglée pour sa présence en Birmanie, pays condamné par l’OIT pour sa pratique persistante du recours au travail forcé, pour participer à cette partie du rapport. Le rapport de l’ancien ministre, qui a fondé entre-temps son propre cabinet de consultance, était positif pour Total, ce qui a suscité de nombreux articles dans la presse française et belge.
  • [22]
    En Belgique, il existe une pratique de bilan social réglementée, mais il s’agit, dans ce cas, davantage d’un recueil d’informations statistiques.
  • [23]
    Les principes mis en avant par le code d’ETI sont : le libre choix de l’emploi, la liberté d’association et de négociation collective, la santé et la sécurité au travail, l’absence de travail des enfants, le respect des normes en matière de salaire minimum, le respect du temps de travail, l’absence de discrimination, l’engagement à fournir un emploi régulier et le refus du recours aux traitements sévères ou inhumains.
  • [24]
    Avis n° 1.376 du CNT et 2001/852 du CCE.
  • [25]
    Lisette Croes et consorts, Proposition de loi en vue de promouvoir un commerce mondial équitable, Chambre, Doc. parl. n° 1802/1 (1998-1990), 10 novembre 1998.
  • [26]
    Le label social porte en effet sur un produit et non sur une entreprise, ce qui pose deux types de problèmes : celui des entreprises ayant en quelque sorte un produit unique (travail intérimaire par exemple) et celui des entreprises ayant des produits qui subissent une rotation rapide (mode, informatique, etc.).
  • [27]
    Codes of Conduct and Multinational Enterprises, BIT, Genève, 2002.
  • [28]
    L’entreprise surveillée : l’éthique, la responsabilité sociale, le marché, la concurrence, les nouveaux acteurs, op. cit.
  • [29]
    L’entreprise surveillée : l’éthique, la responsabilité sociale, le marché, la concurrence, les nouveaux acteurs, op. cit.
  • [30]
    Cf. &<www. accountability. org. uk>.
  • [31]
    Note d’information sur la RSE et les normes internationales du travail, BIT, Groupe de travail sur la dimension sociale de la mondialisation, Genève, novembre 2003.
  • [32]
    Il s’agirait de Calvert, CoreRatings, Eiris, Pirc et Vigeo.
  • [33]
    L’International Standard Organisation a elle-même créé un groupe consultatif sur la RSE.
  • [34]
    Norme internationale privée édictée par SAI (cf. infra) et s’appliquant à des entreprises, sur base d’audits privés. La norme garantit auprès des parties prenantes le respect de principes internationaux : la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte des droits économiques et sociaux et ses protocoles additionnels, les conventions de base de l’OIT, la déclaration de New York sur les droits des enfants, la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et l’agenda 21. Cette norme est très sollicitée par des entreprises situées dans des régions ou des secteurs à risques et qui peuvent dès lors, montrer « patte blanche » auprès de donneurs d’ordre et de pouvoirs publics.
Français

Certaines entreprises affichent des « responsabilités sociales », c’est-à-dire des responsabilités vis-à-vis de la société, en ce compris l’environnement. Elles s’engagent à respecter des règles de labellisation ou des codes de conduite parfois négociés avec des partenaires plus diversifiés que les seules organisations syndicales. Ces pratiques, aux origines relativement anciennes, se sont multipliées avec la montée des préoccupations éthiques dans des groupes d’entreprises en proie à des campagnes de dénonciation ou de boycottage de la part de certaines ONG. Aujourd’hui l’intégration de la responsabilité sociale dans la gestion même de l’entreprise, voire du groupe d’entreprises, est prônée par un courant managérial axé sur la corporate governance qui est soutenu par l’Union européenne. Les organisations syndicales adoptent officiellement une méfiance vis-à-vis de ces pratiques, très axées sur la communication et qui doublent en quelque sorte les pratiques institutionnalisées de la concertation sociale traditionnelle. Anne Peeters fait le point sur l’état du débat au niveau international. Elle s’attache à cerner la spécificité européenne, non seulement dans les pratiques des entreprises mais aussi dans les politiques prônées par la Commission européenne. Elle passe en revue les conceptions développées par les entreprises, les actionnaires, les syndicats, les ONG et les associations de consommateurs. Elle ne passe pas sous silence certains scénarios selon lesquels le développement de la responsabilité sociale dans les entreprises pourrait se traduire, à terme, par une sorte de polarisation du marché, avec d’une part des entreprises affichant des valeurs éthiques et s’adressant à des consommateurs situés dans la moyenne supérieure des revenus, et d’autre part des entreprises travaillant dans des zones dérégulées, s’adressant à des consommateurs aux revenus limités.

  1. INTRODUCTION
  2. 1. ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT DE LA RSE
    1. 1.1. L’ORIGINE
    2. 1.2. LES ENTREPRISES FACE AUX CAMPAGNES DE DÉNONCIATION
    3. 1.3. LA GLOBALISATION
      1. 1.3.1. Un contexte d’atteintes aux droits sociaux
      2. 1.3.2. Gestion d’entreprise et éthique des affaires
    4. 1.4. LES SPÉCIFICITÉS EUROPÉENNES
  3. 2. LE CONTEXTE POLITIQUE
    1. 2.1. L’ABSENCE DE DÉBAT À L’OMC
    2. 2.2. LES NATIONS UNIES ET LE GLOBAL COMPACT
    3. 2.3. LE DÉBAT À L’ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL (OIT)
    4. 2.4. LES AVANCÉES AU PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L’ENVIRONNEMENT (PNUE)
      1. 2.4.1. Les lignes directrices de l’OCDE à l’attention des multinationales
    5. 2.5. LA BANQUE MONDIALE
    6. 2.6. LE CONTEXTE EUROPÉEN
      1. 2.6.1. Les principaux instruments politiques et juridiques
      2. 2.6.2. Le Forum multilatéral
      3. 2.6.3. Le Parlement européen
      4. 2.6.4. Avis du Comité économique et social
      5. 2.6.5. Les partenaires sociaux
    7. 2.7. EXEMPLES NATIONAUX
      1. 2.7.1. France
      2. 2.7.2. Grande-Bretagne
      3. 2.7.3. Finlande
      4. 2.7.4. Pays-Bas
      5. 2.7.5. Belgique
        1. La loi visant à promouvoir la production socialement responsable
        2. Trivisi
  4. 3. LES PARTIES PRENANTES
    1. 3.1. LES ENTREPRISES : PAS D’UNIFORMITÉ
    2. 3.2. LES SYNDICATS : LA MÉFIANCE
    3. 3.3. LES ONG : UN OUTIL DE DIALOGUE
    4. 3.4. LES CONSOMMATEURS : UNE EXIGENCE DE TRANSPARENCE
    5. 3.5. LES ACTIONNAIRES : TRANSPARENCE ET ÉTHIQUE
  5. 4. LES OUTILS DE LA RSE
    1. 4.1. L’AFFICHAGE DES ENGAGEMENTS : LABELS ET CODES DE CONDUITE
    2. 4.2. LA MISE EN ŒUVRE DES OUTILS DE RSE
    3. 4.3. AUDITS EXTERNES
    4. 4.4. BILANS ET RAPPORTS SOCIAUX ET SOCIÉTAUX
    5. 4.5. L’INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE
    6. 4.6. LES NORMES ET STANDARDS INTERNATIONAUX
  6. 5. THÈMES DE DÉBATS
    1. 5.1. RSE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE
    2. 5.2. SPÉCIFICITÉS CULTURELLES ET SECTORIELLES
    3. 5.3. EFFETS SUR LES RELATIONS COLLECTIVES DU TRAVAIL
    4. 5.4. PME ET SOUS-TRAITANTS
    5. 5.5. CONVERGENCE SOCIALE ET ÉCONOMIQUE
    6. 5.6. AVANTAGE COMPARATIF
  7. CONCLUSION
  8. GLOSSAIRE
  9. ABRÉVIATIONS
Anne Peeters
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Certaines entreprises affichent des « responsabilités sociales », c’est-à-dire des responsabilités vis-à-vis de la société, en ce compris l’environnement. Elles s’engagent à respecter des règles de labellisation ou des codes de conduite parfois négociés avec des partenaires plus diversifiés que les seules organisations syndicales. Ces pratiques, aux origines relativement anciennes, se sont multipliées avec la montée des préoccupations éthiques dans des groupes d’entreprises en proie à des campagnes de dénonciation ou de boycottage de la part de certaines ONG. Aujourd’hui l’intégration de la responsabilité sociale dans la gestion même de l’entreprise, voire du groupe d’entreprises, est prônée par un courant managérial axé sur la corporate governance qui est soutenu par l’Union européenne. Les organisations syndicales adoptent officiellement une méfiance vis-à-vis de ces pratiques, très axées sur la communication et qui doublent en quelque sorte les pratiques institutionnalisées de la concertation sociale traditionnelle. Anne Peeters fait le point sur l’état du débat au niveau international. Elle s’attache à cerner la spécificité européenne, non seulement dans les pratiques des entreprises mais aussi dans les politiques prônées par la Commission européenne. Elle passe en revue les conceptions développées par les entreprises, les actionnaires, les syndicats, les ONG et les associations de consommateurs. Elle ne passe pas sous silence certains scénarios selon lesquels le développement de la responsabilité sociale dans les entreprises pourrait se traduire, à terme, par une sorte de polarisation du marché, avec d’une part des entreprises affichant des valeurs éthiques et s’adressant à des consommateurs situés dans la moyenne supérieure des revenus, et d’autre part des entreprises travaillant dans des zones dérégulées, s’adressant à des consommateurs aux revenus limités.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/10/2005
https://doi.org/10.3917/cris.1828.0005
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