CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Le caractère récurrent du problème fouronnais qui le ramène souvent à l’avant-plan de l’actualité politique et judiciaire, nous incite, quatre ans après la publication d’un numéro du Courrier Hebdomadaire consacré au problème fouronnais [1] à faire le point sur ses origines et sur son évolution.

2Les enjeux que recouvre le problème fouronnais dépassent largement les limites de cette contrée rurale de quelque 50 km2. Fouron [2] est un des points de rencontre des conflits entre les deux grandes communautés ; d’autres points de rencontre sont, par exemple, les communes de la périphérie bruxelloise ou d’autres communes "à facilités". Les positions prises par différents acteurs à propos de l’un ou l’autre de ces lieux "conflictuels" de rencontre entre les communautés flamande et française sont éclairantes de l’évolution générale que connaît le débat communautaire en Belgique.

3Comme le précédent numéro du Courrier Hebdomadaire, l’objet de cette étude ne consiste pas en la description des événements, plus ou moins violents qui se sont déroulés à Fouron depuis quelques années, mais en l’analyse des causes du climat d’affrontement.

4Ainsi, nous avons analysé successivement la situation à Fouron dans ses aspects linguistique, économique, culturel et politique et avons rassemblé les données sur les actions légales et financières qui ont eu Fouron pour objet.

I – La situation a Fouron

1 – Analyse linguistique

5Dans les dialectes germaniques, on distingue les "Niederdeutsch", parlés dans les plaines du Nord, et les "Hochdeutsch", parlés dans les collines et montagnes du Sud de l’Allemagne. L’Algemeen Beschaafd Nederlands provient d’un neder-duits des provinces de Hollande.

6Mais, sans contredire cette classification, il semble plus prégnant de caractériser le patois de Fouron comme "Limbourgeois sud-oriental". Ce qu’on appelle le limbourgeois, dans ce cas, c’est la zone dialectale qui joint les dialectes brabançons aux dialectes ripuaires. On a ainsi un passage progressif depuis Tirlemont jusqu’à Eupen, et qui s’étend jusqu’à Venlo et Düsseldorf. A Fouron, un certain nombre d’isoglosses [3] se heurtent à la frontière linguistique, se regroupant en deux importants faisceaux de lignes. Dans le premier faisceau, qui sépare Mouland de Fouron-le-Comte, se retrouve la ligne "Panningerzij". Cette ligne, frontière dialectale importante dans le limbourgeois, sépare un territoire oriental où le "sch" de "school", "schrijven" et "schaap", par exemple est prononcé comme en allemand -donc, comme le français "ch" - d’un territoire occidental avec la prononciation du "sch" néerlandais. Le second faisceau d’isoglosses, qui sépare Fouron-le-Comte des quatre autres villages, contient la limite de "zeggen" - "hebben" à l’Ouest et "sagen" - "haben" à l’Est.

7Fouron montre donc à petite échelle ce qu’est le Limbourg en général à savoir un territoire dialectal passif où l’expansion de Cologne d’Est en Ouest et l’expansion du Brabant vers l’Est se rencontrent [4].

8Tout ce qui précède concerne le patois utilisé par la quasi-totalité de la population fouronnaise.

9Sur le plan dialectal, la partie de la population qui travaille dans la province de Liège intègre du vocabulaire wallon dans ce patois.

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"Pendant à peu près un siècle, il y a eu dans les Fourons un régime bi voire trilingue de fait, en ce sens que l’administration officielle utilisait exclusivement le français, pendant que l’enseignement local, qui comprenait les niveaux gardien et primaire, se donnait en néerlandais. Ceux qui voulaient poursuivre leurs études se dirigeaient pratiquement tous vers la Wallonie. Parallèlement, le patois restait un moyen de communication informel, que tous les Fouronnais utilisaient entre eux"[5].

11Fouron vivait dans un régime de polyglossie relativement stable jusqu’en 1963, à savoir un dialecte local pour toutes les affaires informelles et deux langues de culture dont les utilisations respectives étaient dans les faits exactement tracées. Le néerlandais était utilisé à l’église et à l’école, et à partir de 1933, dans certaines administrations, tandis que le français servait pour tous les contacts professionnels, commerciaux, agricoles, etc., hors de la région de Fouron.

12Après le rattachement de Fouron au Limbourg, nous assistons à une tendance à la polarisation de la population, c’est-à-dire à la scission d’un groupe quasi-homogène en deux sous-groupes séparés qui peut conduire à une situation de bilinguisme de la commune et non plus des individus, à savoir à un certain appauvrissement linguistique.

2 – Analyse économique

13Le champ économique dans lequel Fouron est inséré est centré sur Liège.

14Les tableaux établis par le commissaire d’arrondissement adjoint pour les Fourons, Pierre Peeters [6], montrent que la production traditionnelle, l’agriculture, est restée "hervienne" : les abattoirs et les laiteries sont situés en Wallonie. De même, les services que rend la ville (achats non quotidiens, commerces de détail, commerces spécialisés, soins de santé spécialisés) sont rendus par des villes principalement liégeoises. Une vue globale de la situation économique est donnée par la distribution de la population active suivant les lieux de travail et suivant les professions.

Population active occupée résidant à Fouron, d’après le lieu de travail[7]

tableau im1
en valeur absolue en valeur relative Fouron 602 40,98 Reste province Limbourg 64 4,36 Province de Liège 608 41,39 Reste du pays 18 1,23 Pays-Bas 142 9,67 Autres pays 15 1,02 Lieu variable ou inconnu 20 1,35 Total 1.649 100,00

Population active occupée résidant à Fouron, d’après le lieu de travail[7]

15La population active occupée, c’est-à-dire à l’exclusion des chômeurs et des miliciens, était composée à concurrence de 59,02 % de navetteurs. Les navetteurs vers le Nord (vers le Limbourg belge et les Pays-Bas) représentaient 206 personnes, soit 14,03 % de la population active occupée ; ces chiffres doivent être nuancés en tenant compte de la proportion de Hollandais résidant dans les Fourons, qui était de 11,70 % de la population totale en 1978. Ces chiffres comprennent donc les Fouronnais travaillant en Hollande et au Limbourg et les Hollandais travaillant aux Pays-Bas, installés à Fouron. L’impact de ces deux catégories d’habitants sur le plan électoral n’est pas la même puisque les étrangers n’ont pas le droit de vote en Belgique.

16Les navetteurs vers le Sud, vers la province de Liège, représentaient 41,39 % de la population active occupée, et 70,13 % du nombre des navetteurs (867 personnes).

17La population active résidant à Fouron est donc essentiellement occupée dans la province de Liège et à Fouron même. Cette conclusion ne préjuge pas d’une évolution possible depuis 1970, dernière année pour laquelle nous disposons de données chiffrées. L’attrait que les Pays-Bas et la République fédérale d’Allemagne peuvent exercer sur le marché du travail, peut avoir eu des résultats depuis lors, sans qu’il soit possible de les quantifier.

18La répartition de la population active par profession permet notamment de voir la place occupée par les agriculteurs dont le travail est, généralement, exercé sur place.

Population active occupée résidant dans les Fourons, d’après la profession

tableau im2
en valeur absolue en valeur relative 0 Professions scientifiques, libérales et assimilées 100 6,81 1 Chefs d’entreprise, directeurs et cadres supérieurs 23 1,57 2 Employés de bureau 120 8,17 3 Commerçants, personnel commercial, vendeurs et assimilés 123 8,37 4 Agriculteurs, pêcheurs, bûcherons et assimilés 367 24,98 5 Mineurs et assimilés 8 0,54 6 Professions des transports et des communications 142 9,67 7 Artisans, travailleurs de l’industrie, de la manufacture, de la construction et manœuvres 505 34,38 9 Travailleurs spécialisés des services, des sports, activités créatrices 69 4,70
tableau im3
A Militaires de carrière 8 0,54 Z Personnes actives, professions inconnues 4 0,27 Total 1.469 100,00

Population active occupée résidant dans les Fourons, d’après la profession

Source : Institut national de statistique "I.N.S.", recensement de 1970.

19Les agriculteurs et assimilés constituent un quart de la population active et quelque 61 % des travailleurs "sur place". Un peu plus de 34 % de la population active exerce des métiers liés à l’artisanat et à l’Industrie. Le reste de la population active occupée se répartit quasi-également en professions libérales, scientifiques et assimilées (y compris les enseignants) avec près de 7 %, employés de bureau, avec 3 %, commerçants, etc., avec 8 % et professions de transports avec près de 10 %. Les autres professions sont nettement moins représentées.

20Ici aussi, des évolutions peuvent se marquer. Ainsi, Fouron vit un double mouvement socio-démographique caractérisé : d’une part, par la diminution de la population agricole et d’autre part, par l’augmentation de la population active occupée dans les secteurs secondaire et tertiaire, c’est-à-dire dans l’industrie et les services. Ce sont ces deux derniers secteurs qui englobent tous les navetteurs. Le lien que les navetteurs vivent avec la province de Liège est un phénomène relativement nouveau par rapport à la durée de vie d’un village, mais il est aussi la reproduction, sous une forme nouvelle, du lien qui unissait les agriculteurs à la région liégeoise.

21Les études de paysages permettent de tracer l’histoire de la production agricole et des centres d’attraction de cette production. Les géographes situent Fouron dans l’Entre-Vesdre-et-Meuse. Plus précisément, ils classent Mouland et Fouron-le-Comte, terres limoneuses, avec les terrasses mosanes de Dalhem, dans l’Avant-Pays-de-Herve ; et les quatre villages de l’Est (Fouron-Saint-Martin, Fouron-Saint-Pierre, Remersdael et Teuven) dans la bordure septentrionale du Pays de Herve, qui se prolonge dans le Pays de la Craie, le Krijtland [8].

22La cohérence paysagère de Fouron, spécialement des quatre villages orientaux, s’explique solidairement avec le Pays de Herve, par l’évolution historique. A Fouron, l’habitat, plutôt que d’être dispersé, est regroupé en petits hameaux. Dès le XVIème siècle, l’autarcie paysanne y est abandonnée et la production est orientée vers les demandes urbaines. Toute la région, en ce compris Fouron, va produire pour les villes du Sud : Liège, Dolhain-Limbourg, Verviers. L’orientation vers le Sud que la région subissait déjà sur le plan administratif se retrouve dans l’écoulement de la production agricole. Il y a eu identification collective entre partenaires commerciaux car le marché est un lieu social où ne s’échangent pas que les marchandises mais aussi les symboles. Pour l’agriculteur du Nord du Pays de Herve, l’acheteur utilise un dialecte wallon et comme langue de culture, le français, mais le concurrent, agriculteur du Sud du Pays de Herve, également parle en wallon et écrit en français.

23Par les échanges commerciaux, mais aussi une histoire commune, le Fouronnais est Hervien. Le Pays de Herve, reconnu comme unité topographique, paysagère, architecturale et économique ne constitue pas une unité linguistique. Ainsi, La Clouse et une partie d’Aubel et de Clermont utilisaient un dialecte plat-deutsch [9].

3 – Analyse culturelle

24L’histoire nous permet de comprendre une situation donnée, comme évolution, et plus précisément comme évolution d’un rapport de force. Elle nous permet également de saisir un sentiment collectif d’appartenance et d’identification.

25La frontière, résultat d’un rapport de force historique, peut être considérée comme une des causes de l’identification des Fouronnais à la Belgique du Sud.

26Sous l’ancien régime, Fouron dépendait du duché de Limbourg où la langue vernaculaire était le wallon [10]. La langue utilisée dans les contacts entre les villages et l’administration était le français. En 1795, la République française qui annexe les Pays-Bas du Sud, la région de Maastricht et la principauté épiscopale de Liège, réorganise le territoire en départements, sans tenir compte des dialectes populaires existants. Les villages de Mouland et Fouron-le-Comte virent leur centre administratif se déplacer plus à l’Ouest jusqu’à Liège, tandis que les villages de Fouron-Saint-Pierre, Fouron-Saint-Martin, Teuven et Remersdael étaient inclus dans la sous-préfecture (futur arrondissement) de Verviers, voisin de l’ancien Dolhain-Limbourg. Les contacts entre l’administration locale et la population se faisaient en plat-deutsch ou en français. L’enseignement - primaire - se donnait en néerlandais, de même que le catéchisme et les prêches.

27Le royaume des Pays-Bas de 1815 ne modifia pas la limite séparant les deux départements, appelés province de Liège et province de Limbourg.

28Après la révolution belge, le traité de XXIV articles, accepté par les Pays-Bas et appliqué en 1839, faisait passer Maastricht sous le contrôle de Guillaume d’Orange et "isolait" ainsi Fouron dans la province de Liège.

29La limite départementale qui passait au Nord de Fouron devint également frontière d’Etat. L’importance de la frontière peut être expliquée si l’on compare Fouron à une autre région. La région de Tongres et des villages du Sud du Limbourg belge est une région apparentée à Fouron par le fait qu’elle est contiguë" à la frontière linguistique, que le dialecte parlé est un plat-deutsch, qu’à l’école et à l’église, on parle le néerlandais, qu’un nombre comparable de navetteurs travaillent à Liège et que, d’une façon générale, Liège en est le centre économique. Mais lors des recensements linguistiques, la question de la langue la plus utilisée ne s’est pas posée comme un problème. Les habitants du Sud du Limbourg ont signalé qu’ils parlaient le plus fréquemment le néerlandais, quand bien même un certain nombre d’entre eux travaillait huit heures par jour dans la région liégeoise.

30On sait les remous que cette situation et cette question ont posés dans les Fourons. La différence entre les deux réside dans la limite de province et dans la frontière d’Etat. La frontière d’Etat entre la Belgique et les Pays-Bas a créé elle-même le sentiment d’appartenance à une nation. Elle fait désormais partie intégrante des éléments constitutifs de la personnalité politique de Fouron.

31A Fouron, le champ linguistique est polarisé en partie vers le Nord et en partie vers le Sud. Ce tiraillement du champ linguistique ne se marque pas par un tiraillement entre deux parties de la population : il n’y a pas de clivage proprement dit. L’utilisation comme langues de cultures de deux champs lexicaux et syntaxiques différents, crée une situation analogue par certains côtés à celle du Bruxellois, telle que la décrit Henri Van Lier dans un article paru dans la Revue Nouvelle [11]. "Or, être pris entre deux groupes culturels puissants et décidés exclut déjà de s’identifier clairement à l’un des deux. Mais si l’on n’est en contact avec chacun qu’à travers des formes hésitantes, l’embarras ne peut qu’augmenter".

32A Fouron, le champ culturel est bipolarisé. Le champ économique est centré unilatéralement sur Liège et la frontière pour un rôle non seulement administratif mais aussi social, au sens plein. La combinaison de ces deux champs et de cette frontière permet d’expliquer l’orientation globale du choix de la population fouronnaise quand elle se voit confrontée au problème politique de la fixation de la frontière linguistique. Ce contexte suffit à expliquer à la fois l’orientation dominante (6/10) vers Liège et la minorité non négligeable (4/10) qui s’identifie à la Flandre.

4 – Analyse politique

33Après les prises de positions pro-flamandes du curé Veltmans, le mouvement flamand prend en charge la problématique fouronnaise à partir de 1930. La volonté de rattacher Fouron à la partie flamande du pays fut surtout menée de l’extérieur par des flamingants qui interprétaient la faiblesse de leur écho dans la population comme étant le fait de la domination fransquillonne. Le clergé fouronnais, qui utilise le néerlandais depuis des siècles, a opté pour l’utilisation du néerlandais - qui est évidemment plus proche du plat-deutsch que le français - et a développé ainsi la même attitude que le bas-clergé des Flandres.

34A la suite du recensement de 1930 et des revendications du mouvement flamand exprimées notamment par M. Grammens, le comte Lionel de Secillon, bourgmestre de Teuven, réunit un Comité de défense regroupant les élus communaux de la Voer, mais aussi ceux des communes de langue allemande, qui "décida (…) qu’il fallait maintenir le français comme langue administrative ; les communes de la Voer devraient cependant continuer à faire leurs avis dans les deux langues. Il demanda que les fonctionnaires publics en rapport direct avec les administrés de leurs communes soient bilingues" [12].

35Le mouvement flamand dénonce régulièrement la concentration du pouvoir dans les mains de quelques familles, comme responsable du choix francophone de la majorité de la population [13].

36En fait, une distribution des rôles de secrétaires communaux, de bourgmestres et d’enseignants à l’intérieur d’une même famille n’est pas unique, ni même rare, spécialement dans les régions rurales. Que cette petite bourgeoisie intellectuelle manifeste des tendances à l’homogamie est tout à fait prévisible. Autre chose est de savoir si leur intérêt dans le choix linguistique est différent de celui de la population dans son ensemble et s’ils ont les moyens de faire croire à la majorité de la population que leurs intérêts sur le plan linguistique, "pourtant divergents", sont semblables. Le capital culturel assez élevé de cette petite bourgeoisie est attesté par le fait qu’ils ont pu, dès le passage au Limbourg, maîtriser les nouvelles règles juridiques et utiliser le néerlandais. Ils n’avaient, de ce point de vue, pas à craindre une perte de pouvoir à l’intérieur des villages puisqu’ils étaient assez nettement les plus efficaces dans leurs domaines. D’autre part, il ne faut pas oublier que les conseillers communaux sont élus. Par exemple, Henri Beuken, bourgmestre de Fouron-Saint-Martin en 1962, radicalement pro-limbourgeois, prit position contre la motion des bourgmestres réclamant le maintien du régime bilingue [14].

37Malgré le prestige de bourgmestre sortant et l’alliance avec son secrétaire communal, il ne réunit sur sa liste que 41 % des suffrages contre 59 % pour la liste "Retour à Liège" conduite par le secrétaire communal de Fouron-le-Comte. La même chose arriva à Mouland. Il semble qu’il y ait une convergence d’intérêts, pour le choix linguistique, entre la petite bourgeoisie et la population fouronnaise. Il est vrai aussi que la petite bourgeoisie locale a pris la direction du mouvement de protestation, de la même manière qu’elle a pris le pouvoir dans la commune.

38Celle-ci réagit dès décembre 1961, après la modification par la Commission de la Chambre, du projet de loi Gilson, et elle obtint une audience plus grande qu’en 1933. Elle reçut le soutien du Mouvement populaire wallon, de l’association "Le Grand Liège", de divers cercles liégeois et bruxellois francophones. Sur le plan local, la majorité de la population fouronnaise la suivit.

39Traditionnellement la population fouronnaise se structure en associations de clans familiaux, de loisirs, … qui elles aussi ont été influencées par le clivage linguistique.

40Vingt ans plus tard, la situation s’est modifiée. La génération actuelle a été scolarisée dans un climat passionnel, elle s’est exprimée sur la décision prise en 1978 de fermer les écoles francophones et s’est cristallisée sur les "promenades" des groupes flamingants.

41C’est la "victoire" flamande, constituée par le rattachement de Fouron au Limbourg, qui créa le clivage et forgea un sentiment de négation d’identité des habitants. Cette identité est le résultat d’un rapport de forces. Ces villages étaient considérés comme flamands au début du siècle, de même que la moitié du Pays de Herve. Leur "wallonisation" ou francisation est principalement le résultat de l’industrialisation liégeoise, du marché du travail. L’abandon progressif du néerlandais et du plat-deutsch était un phénomène homogène, qui ne divisait pas la population. La population ne fut divisée que quand le mouvement flamand tenta d’interrompre ce mouvement, de telle sorte que, paradoxalement, le mouvement s’accéléra [15]. Le rapport de forces qui, jusqu’alors avait joué entre deux langues de culture, joua entre deux populations des mêmes villages. Le clivage était né.

42Ainsi furent figées deux minorités qui se polarisèrent pour se faire face. Les francophones étaient minorisés par rapport à la province du Limbourg, par rapport à l’Etat belge et plus tard par rapport à la communauté flamande, qui leur imposaient des règles qu’ils jugeaient inacceptables. Les néerlandophones étaient minorisés par rapport au pouvoir communal dont les choix étaient contraires aux leurs.

43Il y a désormais deux populations fouronnaises qui risquent de ne plus se parler, coincées toutes deux dans leur réflexe de minorité.

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46Depuis le rattachement de Fouron au Limbourg, les partisans du "retour à Liège" et les défenseurs du "Statu quo" se sont exprimés 12 fois lors des scrutins communaux, législatifs et européen.

47Les résultats obtenus par les uns et les autres, et dans certains cas les consignes de vote, font l’objet du tableau suivant. Une constante apparaît, celle du courant majoritaire absolu favorable au "Retour à Liège". [16][17][18][19][20][21][22]

tableau im4
Scrutins "Retour à Liège" Liste(s) flamande(s) Voix % Sièges Voix % Sièges 1964 (conseil communal)16 1.300 60 30 858 40 14 1965 (Chambre) 1.241 57 - 923 43 - 1968 (Chambre) 1.376 62 - 846 38 - 1970 (conseil communal)17 1.702 66 31 895 34 13 1971 (Chambre)18 - - - 955 40(3) - 1974 (Chambre) 1.256 57 - 963 43 - 1976 (conseil communal) 1.699 63 10 989 37 5 1977 (Chambre) 1.173 53 - 1.046 47 - 1978 (Chambre)19 - - - 930 42(4) - 1979 (Parlement européen)20 - - - 1.169 40(5) - 1981 (Chambre)21 1 .274 46(6) - 1982 (conseil communal)22 1.739 62 10 1.034 37 5
Source : Commissariat d’arrondissement adjoint pour Fouron.

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50Des indications peuvent être données sur le régime linguistique choisi pour l’enseignement des enfants de 6 à 14 ans domiciliés à Fouron, et ce, quel que soit l’endroit où l’enfant est scolarisé (à Tongres ou à Fouron-le-Comte où est sise l’Ecole provinciale du Limbourg, à Visé, Aubel ou Fouron-Saint-Martin).

51Dans le tableau suivant, on note qu’en 20 ans la population d’enfants en âge d’obligation scolaire est passée de 639 à 428 unités, soit une perte de 211 unités, consécutive à l’exode rural, au vieillissement de la population, à la peur de troubles et de tracasseries administratives (ainsi, originaires de Fouron, beaucoup de jeunes ménages s’installent à l’extérieur de la commune).

52Par rapport à 1961-1962, la situation s’est renversée. Il faut rappeler à cet égard qu’à cette époque aucun enseignement en langue française n’était organisé sur le territoire de Fouron.

53Depuis l’année scolaire 1971-1972, même en tenant compte de certaines différences annuelles plus importantes (comme en 1971-1972 et en 1981-1982), une majorité absolue et stable d’habitants de Fouron a opté pour réserver un enseignement en langue française à leurs enfants.

Enfants en âge d’obligation scolaire

tableau im5
61-62 - 71-72 72-73 73-74 74-75 75-76 76-77 77-78 78-79 79-80 80-81 81-82 Enseignement néerlandais 408 316 274 264 253 239 229 207 185 181 175 197 Enseignement français 231 395 433 309 397 385 316 335 335 293 273 230 Enseignement allemand - - - - - - - - - - 2 1 Ensemble 639 711 707 673 650 624 545 542 520 474 450 428

Enfants en âge d’obligation scolaire

Chiffres exprimés en pourcentage

tableau im6
61-62 … 71-72 72-73 73-74 74-75 75-76 76-77 77-78 78-79 79-80 80-81 81-82 Enseignement néerlandais 64 44 39 39 39 38 42 38 36 38 39 46 Enseignement français 36 56 61 61 61 62 58 62 64 62 61 53 Enseignement allemand (0,44) (0,23) 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100

Chiffres exprimés en pourcentage

Source : Commissariat d’arrondissement adjoint pour Fouron.

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56Nous disposons, par ailleurs, d’autres éléments d’information fournis par le secrétariat communal de Fouron, que synthétise le tableau suivant.

tableau im7
Français Néerlandais Total Année 1982 en valeur absolue en valeur relat. en valeur absolue en valeur relat. en valeur absolue en valeur relat. Ménages (suivant la langue de la carte d’identité du chef de ménage) 727 55 % 587 45 % 1.314 100 % Cartes d’identité de Belges émises en 1982 240 70 % 104 30 % 344 100 % Cartes d’identité d’étrangers émises en 1982 32 19 % 137 81 % 169 100 % Permis de conduire délivrés à des Belges en 1982 72 65 % 39 35 % 111 100 % Permis de conduire délivrés à des étrangers en 1982 2 8 % 24 92 % 26 100 % Permis de conduire délivrés en 1982 74 54 % 63 46 % 137 100 % Permis de bâtir délivrés en 1982 11 52 % 10 48 % 21 100 %
Source : Secrétariat communal de Fouron.

57Ces chiffres diffèrent quelque peu des données électorales communales. Celles-ci attribuent en moyenne, de 1964 à 1982, 62 % des voix aux francophones et 38 % aux néerlandophones. Ici, on tient compte également des étrangers. Les néerlandais représentent près de 12 % de la population fouronnaise et 92,88 % de la population étrangère.

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60On voit donc que, pour tous ces points, les francophones restent majoritaires, tandis que la minorité néerlandophone ne descend presque jamais sous les 30 %.

61Cependant ces données n’équivalent évidemment pas à un recensement et ne nous font pas découvrir directement la structure de la population. Elles ne constituent que des indicateurs dont la convergence nous permet de supposer qu’il existe une concordance entre le fait de voter "Retour à Liège" et la pratique administrative. Ce qui signifie que la pratique administrative à Fouron est devenue un geste politique, ainsi que la pratique de la langue.

II – Les actions légales et financières a Fouron

1 – Définition du cadre légal et tentatives de modification du statut qui en découle

a – Le cadre légal

La loi du 8 novembre 1962

62L’application de la loi du 8 novembre 1962 "modifiant les limites des provinces, arrondissements et communes" [23] aboutit notamment au détachement du groupe des communes de Mouscron-Comines de la province de Flandre occidentale pour être rattaché à celle du Hainaut et celui des six communes fouronnaises de la province de Liège pour être adjointes à celle de Limbourg.

63Si dans la province de Liège, les Fourons étaient partagés entre deux arrondissements, celui de Liège pour Mouland et Fouron-le-Comte, et celui de Verviers pour les quatre autres communes, dans la province du Limbourg, les six communes sont reprises dans l’arrondissement de Tongres et forment un canton électoral alors qu’auparavant elles étaient partagées entre le canton électoral d’Aubel et celui de Dalhem.

64Les lois du 28 juin et du 14 juillet 1932 sur l’emploi des langues en matière administrative et d’enseignement, sont modifiées en 1963.

65Un régime de facilités est établi en faveur des habitants francophones. Un commissaire d’arrondissement adjoint est nommé pour veiller au respect de ces facilités.

Les lois de 1963

66Le 30 juillet et le 2 août 1963, deux lois sur l’emploi des langues en matière administrative et en matière d’enseignement sont votées. Elles modifient la législation de 1932 (28 juin et 14 juillet).

67Toutes deux reconnaissent quatre régions linguistiques, la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région de langue allemande et la région bilingue de Bruxelles-capitale.

68En son article 6, la loi du 30 juillet 1963 sur l’emploi des langues dans l’enseignement organise un nouveau régime spécial de "protection des minorités" notamment dans les communes "à facilités" de la frontière linguistique et pour ces dernières définit à quelles conditions un enseignement primaire et gardien peut être dispensé aux enfants dans une autre langue nationale que celle de la région.

69Ces conditions, rendues célèbres par l’affaire de l’école de Comines, sont les suivantes :

  1. cette langue doit être la langue maternelle ou usuelle de l’enfant ;
  2. le chef de famille doit résider dans une de ces communes ;
  3. l’enseignement dans l’autre langue nationale sera dispensé si un nombre de chefs de famille égal à celui qui est fixé par l’application de l’art. 4 de la loi du 29 mai 1959 (16 chefs de famille) le demandent et si ceux-ci ne trouvent pas à la distance fixée par application du même article (4 km) une école organisant un tel enseignement ;
  4. la commune qui est saisie de la demande doit organiser cet enseignement. Le droit des parents défini à l’art. 4 de la loi du 29 mai 1959 doit être respecté.

70L’application de cette loi à Fouron entraînera des difficultés. Un arrêté royal du 10 mai 1973, en supprimant l’exigence de 16 demandeurs et en modifiant la condition de distance, permettra la subsidiation par l’Etat de toutes les écoles gardiennes de la commune. Cependant, un arrêt du Conseil d’Etat du 9 août 1976 annulera cet arrêté royal (un arrêté royal ne pouvant modifier une loi).

Arrêté royal du 18 juillet 1966 portant coordination des lois sur l’emploi des langues en matière administrative

71Les lois du 28 juin 1932, du 8 novembre 1962 et du 2 août 1963 sont coordonnées le 18 juillet 1966 en un arrêté royal [24]. Il concerne l’unilinguisme territorial, la définition de la frontière linguistique, la division du pays entre quatre régions et l’établissement de facilités pour les habitants de certaines communes, ne parlant pas la langue de la région.

1970 ; la révision de la Constitution et la communautarisation

72C’est à l’occasion de cette révision qu’une tentative de modifier le "statut de Fouron" apparaît pour la première fois.

73Aux élections législatives de 1968, la liste "Retour à Liège" qui se présente à Fouron fait un score remarquable. Près de 62 % des électeurs se prononcent en faveur de cette liste (voir ci-dessus). Lors des négociations pour la formation du gouvernement qui va entreprendre la première grande révision prenant en compte les problèmes communautaires, le premier formateur, M. Léo Collard, P.S.B., propose de retransférer les Fourons dans la province de Liège. Un régime unilingue français sans facilités pour les Flamands serait mis en place. Le second formateur, M. Paul Vanden Boeynants, P.S.C., et Premier ministre sortant propose, quant à lui, un simple transfert administratif à la province de Liège. Cette proposition, plus modérée que la première se heurte, cependant, au refus du C.V.P. et du "Vlaams Aktiekomitee van de Voerstreek".

74L’accord de gouvernement du 12 juin 1968 entre les familles sociale-chrétienne et socialiste, prévoit finalement en son point n°59 : "Les six communes des Fourons seront groupées en canton autonome, relevant directement du ministre de l’Intérieur. Régime administratif et scolaire assurant le choix effectif des habitants".

75Le texte de la Constitution révisée qui aboutit à la fin de l’année 1970, reprend les principes des lois coordonnées par l’A.R. de 1966 en établissant en son article 3 bis, l’existence de quatre régions linguistiques et l’appartenance de chaque commune belge à l’une de ces régions. Toute modification de cette situation exige le vote d’une loi à la majorité qualifiée. C’est-à-dire qu’elle devra être adoptée à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de chacune des Chambres, à la condition que la majorité des membres de chaque groupe se trouve réunie et pour autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés.

76Par cet article, le Constituant de 1970, vise essentiellement le tracé de la frontière linguistique tel que défini précédemment. L’adoption de la triple majorité rendra donc encore plus difficile le retour des Fourons à Liège.

77Cependant, un projet de révision de l’article 1, alinéa 4, est déposé au Sénat. Il prévoit qu’"une loi peut soustraire certains territoires dont elle fixe les limites, à la division en provinces, les faire relever directement du pouvoir exécutif et les soumettre à un statut propre". Cette loi doit être elle aussi adoptée à la majorité qualifiée. Ce projet sera adopté par le Sénat le 18 juin 1970 et par la Chambre le 18 décembre 1970.

78Si ce texte a une portée générale, le Constituant de 1970 vise essentiellement le problème fouronnais.

79Sans cet article, une loi, instaurant un statut propre pour les Fourons, aurait violé le nouvel article 3bis de la Constitution. Par l’alinéa 4 de l’article 1, le Constituant permet au législateur de soustraire une partie de territoire au découpage en provinces.

80La triple majorité exigée en vue de l’adoption d’une loi, prévoyant un statut propre pour les Fourons, rend cependant très difficile la recherche d’un consensus suffisant entre Flamands et Wallons pour régler ce problème.

81Par l’article 3ter, la Belgique comporte trois communautés culturelles. Une française, une néerlandaise et une germanophone.

82L’article 59bis qui résulte d’une revendication surtout flamande, prévoit les compétences et les pouvoirs des deux grandes communautés culturelles de la Belgique et de leurs organes.

83L’article 107quater met en place le principe de la régionalisation qui résulte d’une revendication wallonne, pour la Flandre, la Wallonie et Bruxelles.

84Le 22 novembre 1 972, le 2ème gouvernement Eyskens-Cools démissionne sans avoir résolu, en pratique, la question du statut propre des Fourons (voir ci-dessous) et sans avoir concrétisé la régionalisation.

1977 : les fusions de communes

85Le 1er janvier 1977, dans le cadre de la fusion des communes belges, les six communes de Fouron sont fusionnées et forment une seule entité. Les actions des groupes francophones et néerlandophones sont désormais situées dans une seule et mime structure communale.

1980 : la révision de la Constitution et les réformes institutionnelles

86Les réformes institutionnelles et la deuxième grande révision sur les problèmes communautaires ont lieu 10 ans après la première.

87Les lois des 8 et 9 août 1980 mettent en place la réforme de l’Etat qui verra l’application de la régionalisation définitive pour la Flandre et la Wallonie. L’article 107quater de la Constitution n’est donc appliqué que partiellement puisque la troisième région, Bruxelles, n’est pas organisée.

88Fouron ne voit aucun changement à son statut. Le gouvernement Martens III, regroupant les trois familles politiques traditionnelles, évite de prendre en compte le problème fouronnais.

89En fait, entre 1970 et 1980, des problèmes économiques graves sont apparus dans le monde. La Belgique, comme beaucoup d’autres pays, est touchée par cette crise. L’instabilité politique des années 70 dans notre pays, où les problèmes communautaires ont capté toute l’énergie du monde politique, a rélégué les problèmes économiques au deuxième plan des intérêts des gouvernements successifs.

90Lors de la formation du gouvernement Martens III (P.S.C/C.V.P./ P.R.L./P.V.V./P.S./S.P.) se dégage une volonté de résoudre la problématique communautaire pour s’attacher aux difficultés économiques. Les dossiers délicats, tels que Bruxelles et Fouron sont mis au "frigo". Le consensus national ne pouvant être trouvé sur ces dossiers, les hommes politiques ont préféré les écarter de la table des négociations afin de ne pas faire échouer le onzième gouvernement depuis la révision de 1970 sur des difficultés communautaires.

91Malgré les violentes oppositions qui ont lieu à Fouron durant les années 1979-1980, le Constituant et le législateur de ces années-là n’ont pas pris en considération les revendications de la population fouronnaise.

b – Les tentatives de modification du statut

Les projets de lois

92Le 16 juillet 1971, le gouvernement Eyskens-Cools dépose à la Chambre le seul projet de loi qu’un gouvernement tentera de faire adopter et qui porte sur le statut du canton de la Voer (projet n°1064). Le but est de respecter l’engagement gouvernemental et l’article 1, alinéa 4 de la Constitution. Ce projet est signé, à titre exceptionnel par tous les ministres. Le 5 septembre 1971, un député C.V.P. de Turnhout, M. Joseph De Seranno, annonce qu’il ne votera pas le projet. L’incident est aplani.

93Le 22 septembre, le gouvernement propose au Roi de dissoudre les Chambres et d’organiser des élections anticipées. Le second gouvernement Eyskens-Cools, mis en place le 21 janvier 1972, après 74 jours de crise, s’engage à "relever de caducité le projet de loi n°1064, étant précisé que le canton demeure dans la région linguistique néerlandaise"[25].

94Le premier projet est donc amendé, puisqu’il est question alors de laisser Fouron dans la région de langue néerlandaise. L’utilisation de l’article 1, alinéa 4 n’est plus nécessaire puisque le territoire de Fouron n’est pas soustrait à la division en provinces.

95Le Conseil d’Etat remet, le 20 septembre 1972, son avis sur le projet amendé. Selon lui ce projet est incompatible avec l’article 3 de la Constitution. La priorité à la langue néerlandaise n’étant plus accordée, alors que les Fourons restent en Flandre, le Conseil d’Etat - Chambre néerlandaise - déclare le projet de loi anticonstitutionnel.

96Le gouvernement démissionne le 22 novembre 1972 en raison notamment des désaccords entre les partis politiques de la coalition sur la question fouronnaise.

97Le 19 janvier 1973, un accord entre les trois grandes familles politiques intervient et le gouvernement Leburton-Tindemans-De Clercq est mis en place.

98Un chapitre de l’accord porte sur Fouron. Il n’est plus question de voter une loi modifiant le statut de Fouron mais dans un but d’apaisement communautaire, il est question d’instaurer des "facilités" scolaires supplémentaires pour les francophones et cela par arrêté royal. Un arrêté royal du 10 mai 1973 réglera provisoirement le problème de l’enseignement du français à Fouron et permettra à l’Etat de subsidier toutes les écoles gardiennes de la commune, jusqu’alors prises en charge par le "Fonds de soutien pour l’enseignement du français dans les Fourons". Le 9 juillet 1973, l’asbl "Werkgemeenschap Oost-België" introduit un recours au Conseil d’Etat visant à annuler les mesures d’assouplissement prévues par l’arrêté royal. Le 9 août 1976, par son arrêt n°17760, le Conseil d’Etat, IV° Chambre (néerlandaise) annule l’arrêté royal en motivant sa décision sur le fait qu’un arrêté ne peut modifier une loi.

99La question fouronnaise n’est plus évoquée lors des négociations pour la formation des différents gouvernements de 1974 à 1977.

100A la suite de fortes agitations à Fouron en 1979, le premier gouvernement Martens, regroupant le P.S.C., le C.V.P., le P.S., le S.P. et le F.D.F., prévoit uniquement, dans les points 53 et 54 de son accord politique, un processus d’amélioration de la coexistence des communautés dans les communes à "régime linguistique spécial".

101*

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103Aux élections communales de 1982, la liste "Retour à Liège" obtient plus de 62 % des suffrages. Le résultat de José Happart [26], président de l’Action fouronnaise [27] est remarquable puisqu’il obtient plus de 50 % des voix de sa liste. José Happart est élu conseiller communal et premier échevin. La majorité du conseil communal le propose comme nouveau bourgmestre.

104Les réactions des Flamands de Fouron sont négatives. José Happart, incarnant, d’après eux, le combat des "fransquillons" de Fouron, est considéré par les néerlandophones de la commune comme la solution la plus mauvaise.

105En janvier 1983, le Roi signe les arrêtés de nomination de tous les bourgmestres de Belgique. Le gouvernement, qui soumet la signature de ces arrêtés au Roi, n’arrive pas à un accord sur la personne de José Happart comme bourgmestre de Fouron. Les ministres francophones réclament le respect de la démocratie et veulent nommer le candidat de la majorité communale. Les ministres néerlandophones, toujours au nom de la démocratie, n’admettent pas qu’un homme, ne connaissant pas le néerlandais, puisse être bourgmestre d’une commune flamande.

106Pour éviter une impasse politique, le ministre de l’Intérieur, Charles-Ferdinand Nothomb propose, le dimanche 30 janvier 1983, une solution de compromis : José Happart renoncerait jusqu’au 1er janvier 1985 à sa nomination de bourgmestre. Une période de deux ans serait donc prise en considération pour voir si José Happart connaîtra suffisamment le néerlandais pour devenir bourgmestre. Cette période de deux ans devrait permettre également au gouvernement de remettre sur pied un nouveau "Centre Harmel" afin de régler le contentieux communautaire (dont la régionalisation des cinq grands secteurs industriels restés nationaux, et le règlement définitif du statut de Bruxelles). Ainsi le gouvernement reporte le problème "Happart" à la fin de la législature. A ce moment-là la nomination de José Happart rencontrerait probablement encore des difficultés. Les déclarations du président du C.V.P. sont significatives à cet égard.

107Le second volet du compromis est le transfert de Fouron à l’arrondissement de Hal-Vilvorde, dans la province du Brabant. Le but recherché est de joindre une commune bilingue à une province qui a l’habitude de traiter les dossiers dans les deux langues. Le problème de l’unilinguisme néerlandais de la province du Limbourg, tant contesté par les francophones de Fouron, est ainsi éliminé.

108Selon la Constitution, l’article 3bis qui définit les régions linguistiques, et l’article 1, alinéa 4 qui permet la soustraction de certains territoires à la division en province, ne sont pas utilisés. La majorité qualifiée pour le vote de la loi de transfert n’est donc pas requise.

109La solution proposée par M. Nothomb est rejetée par les Flamands et mal accueillie par les francophones. Les Fouronnais néerlandophones sont radicalement opposés à ce compromis. Les Limbourgeois quant à eux ne peuvent accepter de perdre une commune où ils ont tant investi (cf. ci-dessous).

110Le dimanche suivant (6 février 1983), le gouvernement se réunit à nouveau pour trouver une solution. Après de longues discussions, il est décidé de ne rien changer au statut de Fouron mais José Happart est nommé bourgmestre. Il entrera en fonction le 31 décembre 1983. Un commissaire d’arrondissement adjoint flamand est nommé en même temps et entrera en fonction à la même date.

Les propositions de lois

111Le tracé de la frontière linguistique est le résultat d’un compromis. Il est, régulièrement, l’objet de critiques, tant du côté francophone que du côté néerlandophone. Certains députés et sénateurs proposent, à chaque session parlementaire, des modifications du tracé de la frontière et du statut des communes à facilités.

112Le plus souvent, ces propositions de lois émanent de membres de l’opposition à la coalition qui soutient le gouvernement. Certains députés et sénateurs de la majorité gouvernementale se joignent, parfois, à l’opposition pour déposer sur le bureau d’une des deux Chambres, une proposition de loi modifiant un ou plusieurs textes légaux en matière linguistique.

113Les représentants de la nation agissent sans doute de la sorte dans un but électoral. Ils savent que leurs propositions ont peu de chance d’aboutir.

114Les auteurs de ces propositions de lois ne font que transcrire, le plus souvent, les programmes en matière linguistique de leurs partis. Cette façon d’agir permet de connaître les réactions de l’opinion publique. Les documents ainsi déposés devant la Chambre ou le Sénat, peuvent servir de base à une négociation éventuelle en vue d’une participation gouvernementale.

115Trente trois propositions de lois ayant pour objet une modification du statut de Fouron furent ainsi déposées à la Chambre et au Sénat entre 1963 et 1981. Aucune d’entre elles ne fut prise en considération.

116La répartition de ces propositions entre le Sénat et la Chambre et suivant le régime linguistique de ses auteurs est la suivante :

tableau im8
Chambre Sénat Ensemble Néerlandophones 7 10 17 Néerlandophones et francophones 1 1 Francophones 9 6 15

117Les francophones ont tenté d’obtenir le retour à Liège, ou, en tout cas, la mise en place d’une structure politique plus favorable à la population parlant le français. L’application de l’alinéa 4 de l’article 1 de la Constitution aurait été, pour eux, un succès.

118Les Flamands ont cherché à supprimer les facilités linguistiques octroyées aux francophones. Certains tentèrent d’obtenir, en plus, le rattachement au Limbourg d’une série de communes, connues sous le nom du "groupe de Welkenraedt" et des environs de Petit-Lanaye. Le but était de créer, avec la région de langue allemande, un territoire qui couperait la Wallonie de ses frontières avec les Pays-Bas et la République fédérale d’Allemagne. Pour justifier ce rattachement, ils affirmaient que ces communes étaient de culture néerlandaise.

119Une seule proposition fut déposée par un groupe de parlementaires des deux grandes communautés linguistiques. En effet, le 22 décembre 1966, des sénateurs des groupes libéraux francophones et néerlandophones proposèrent le retour à Liège de Fouron.

120Si du coté francophone, l’ensemble des partis politiques a demandé plus de souplesse envers les francophones de Fouron, par contre du côté flamand, ce sont surtout les représentants de la Volksunie qui déposèrent les propositions les plus radicales (après celles défendues par le Vlaamse Blok).

121Depuis 1981, les propositions de lois qui ont Fouron ou les autres communes de la frontière linguistique comme sujet ne présentent plus de modifications de statut. Entre 1981 et fin 1982, il n’y eut plus aucun dépôt de proposition de loi à la Chambre et au Sénat. Au lendemain des élections communales de 1982 et depuis la désignation de José Happart comme bourgmestre de Fouron, les néerlandophones, tant à la Chambre qu’au Sénat, ont déposé cinq propositions de lois (trois à la Chambre et deux au Sénat) visant à exiger de certains mandataires politiques communaux une connaissance linguistique suffisante de la langue de la région où se situe la commune dont ils ont la responsabilité. Il faut remarquer que cette fois-ci, ce ne sont plus seulement les parlementaires de la Volksunie qui proposent de nouveaux textes légaux. Les parlementaires sociaux-chrétiens et socialistes flamands ont rejoint leurs collègues de la Volksunie. La plus célèbre de ces propositions est celle du député socialiste flamand, Mark Galle, en date du 23 juin 1983.

Les arrêts du Conseil d’Etat

122Entre 1966 et 1980, il y eut six arrêts du Conseil d’Etat concernant l’application des lois linguistiques dans la région fouronnaise.

123Ces six arrêts furent rendus par les Chambres néerlandophones du Conseil d’Etat.

124Trois d’entre eux [28] se basaient sur des plaintes francophones et les trois autres [29] sur des plaintes flamandes.

125Les francophones n’obtinrent jamais gain de cause.

126Par contre, deux arrêts sur trois furent favorables aux Flamands. Le plus célèbre d’entre eux est l’arrêt n°17760 du 9 août 1976 qui annula l’arrêté royal du 10 mai 1973 favorable au développement d’écoles francophones à Fouron (voir ci-dessus). L’arrêt n°17761 du 9 août 1976 basé sur une plainte identique n’aboutit pas à l’annulation de l’arrêté royal du 10 mai 1973, puisque l’arrêt n°17760 conduisait à cette annulation. Cependant, les dépens furent à charge de l’Etat et non du requérant.

127Dans la même ligne que les propositions de lois de fin 1982 et de 1983, le Conseil d’Etat en arrive à formuler une condition d’éligibilité implicite qui consiste en la connaissance de la langue de la région où se situe la commune [30].

2 – Les soutiens financiers

a – Le budget communal fouronnais

128Les recettes en provenance du Fonds des communes constituent un poste important des recettes communales [31]. Avant sa modification en 1977, l’intervention du Fonds des communes représentait environ 7 % des recettes des communes de la région fouronnaise. Depuis lors, le Fonds intervient pour un quart des recettes de la commune de Fouron.

129En 1977, la commune de Fouron à dépensé FB 31.271.602 [32], soit 7.403 francs par habitant. La même année, la province du Limbourg a dépensé, pour l’école de Fouron-le-Comte, FB 36.128.040 [33], soit 8.553 francs par habitant. En tenant compte du fait que l’école provinciale n’intéresse que la population flamande de Fouron, évaluée à 40 %, la dépense par habitant serait de 21.383 francs.

130Le budget de la commune de Fouron pour 1983 prévoit des dépenses d’un montant de FB 56.318.174 [34], soit 13.499 francs par habitant (voir ci-dessous). La province du Limbourg a budgétisé pour son école de Fouron FB 58.464.000 [35], soit 14.013 francs par habitant. Si nous ne tenons compte que de la population flamande de Fouron, la dépense serait de 35.033 francs par habitant.

131Si le Limbourg a tellement dépensé à et pour Fouron (du moins pour la partie de sa population concernée par un enseignement en langue néerlandaise) c’est évidemment en raison de l’enjeu, considéré comme capital, du maintien de Fouron dans ses limites.

b – Le vide avant 1963

132Avant 1963, la province de Liège, dont ressortait Fouron, n’intervenait pas financièrement directement dans les six petits villages situés au Nord-Est de Visé. Des subsides furent versés aux communes fouronnaises pour l’entretien des églises ou l’achat de matériel scolaire. Ainsi, par exemple, en 1962, quatre communes de Fouron reçurent ensemble FB 59.194 [36] pour les fournitures classiques dans l’enseignement primaire et gardien.

133Il faut signaler en outre que la province de Liège possédait un service néerlandais dans son administration pour traiter les dossiers de Fouron et de Landen.

134La province du Limbourg n’a, de son côté, rien investi dans les Fourons avant 1963.

135D’une manière générale, l’Etat n’a eu aucune action spécifique dans cette région avant 1963.

c – Les actions francophones après 1963

136Comme la province de Liège, la Communauté française et la Région wallonne n’ont aucune compétence sur le territoire de Fouron. Il n’y a donc, de leurs parts, aucune intervention directe. Des associations privées subventionnent les activités des francophones de Fouron depuis le rattachement au Limbourg en septembre 1963.

Le "Fonds de soutien pour l’enseignement du français dans les Fourons"

137Dans la foulée de la réaction contre le transfert au Limbourg, l’asbl "Association régionale pour la défense des libertés" est chargée de récolter de l’argent dans toute la Belgique francophone afin d’alimenter le "Fonds de soutien pour l’enseignement du français dans les Fourons". Ce fonds fonctionne jusqu’en 1973 et permet de couvrir des dépenses dépassant les moyens des communes et des habitants francophones de Fouron : à savoir le fonctionnement des écoles francophones de Fouron-Saint-Martin et de Remersdael jusqu’à leur subsidiation complète par l’Etat ; la dispensation d’un enseignement gardien en français dans chaque commune fouronnaise, et les frais de transport d’écoliers de Fouron vers des écoles de la région wallonne.

138Participent à ce mouvement notamment l’asbl "Le grand Liège", le F.D.F., les partis et mouvements fédéralistes wallons.

139Rappelons qu’entre 1961-62 et 1972-73, la proportion des enfants en âge d’obligation scolaire fréquentant l’enseignement francophone est passée de 40 % à 60 % tandis que la proportion des enfants en âge d’obligation scolaire fréquentant l’enseignement néerlandophone s’inverse exactement. Cette proportion est restée depuis relativement stable. La population a utilisé massivement cette possibilité de suivre l’enseignement en français. Cet "investissement" privé francophone a donc eu des répercussions immédiates et importantes.

140Le Fonds d’histoire du Mouvement wallon possède quelques fragments de la comptabilité du Fonds de soutien. C’est ainsi qu’entre le 22 février 1964 et le 5 février 1966 (à peu près deux ans), le Fonds de soutien a reçu FB 2.053.897 ; entre le 5 novembre 1966 et le 15 avril 1967, et entre le 20 décembre 1967 et le 8 décembre 1968, il a obtenu respectivement FB 884.574 et FB 399.003. Si les souscriptions provenaient d’habitants des villes de Liège, Bruxelles, Verviers et Anvers ainsi que des provinces du Hainaut, de Namur, du Luxembourg et de Flandres, la moitié des sommes récoltées ont été apportées par des Liégeois, suivis par les Bruxellois et les Verviétois, qui ont chacun contribué pour 20 % de l’argent versé au Fonds de soutien.

141Selon Jacques Levaux (président de l’asbl "Le grand Liège"), le Fonds de soutien aurait reçu environ FB 2.500.000 par an entre 1962 et 1973, soit FB 25.000.000 pour toute la période de son existence. Cela semble être le montant maximum que nous puissions prendre en considération. Sur base du chiffre de la population en 1973 (4.402 habitants), le Fonds de soutien aurait reçu 5.679 francs par habitant en 10 ans. Si nous ne tenons compte que de la population francophone (60 %), l’argent récolté aurait été de 9.465 francs par habitant.

142Depuis 1973, les investissements, les charges de fonctionnement et de personnel des écoles francophones, aidées, précédemment, par le Fonds de soutien, sont pris en charge par le Ministère de l’Education nationale et de la Culture néerlandaise.

L’asbl "Centre de rayonnement de la culture française"

143Le budget de la Communauté française de Belgique pour 1983 prévoit un subside de FB 1.900.000 à l’asbl "Centre de rayonnement de la culture française" [37] qui elle-même réserve en 1983 des montants pour l’Action fouronnaise (FB 400.000) et pour le traitement de l’institutrice de l’école gardienne privée francophone de Mouland (FB 500.000), école non subventionnée par l’Etat.

d – Les actions flamandes après 1963

144Depuis 1963, des organismes flamands ont investi de l’argent à Fouron, dans le but de défendre la culture néerlandaise et d’empêcher une francisation de la population par un manque d’infrastructures scolaires, culturelles, sportives et administratives du côté néerlandophone.

145La Communauté flamande et la province de Limbourg ont ainsi installé et développé une infrastructure culturelle et scolaire importante. Fouron possède aujourd’hui un Centre culturel flamand installé dans l’ancien presbytère de l’abbé Veltmans, une auberge de jeunesse, une école de musique et une école provinciale.

L’école provinciale de Fouron-le-Comte

146Depuis 1968, la province de Limbourg a progressivement instauré un enseignement moyen, primaire et gardien à Fouron. Elle a également développé des cours de promotion sociale. Aujourd’hui, l’enseignement provincial est dispensé à Fouron-le-Comte dans des locaux modernes où sont installés, outre des salles de cours, des laboratoires de langue, un terrain de football et une piscine. Cette école provinciale est la première "entreprise" de Fouron. En effet, au 30 juin 1982, elle occupait 61 personnes dont 52 enseignants [38]. Pendant l’année scolaire 1981-1982, les cours du jour ont été fréquentés par 143 élèves, les cours de promotion sociale du soir par 270 étudiants [39].

147La répartition géographique du domicile de ces étudiants est la suivante :

tableau im9
Etudiants des cours du soir % Elèves des cours du jour % Fouron 63 23 60 42 Région flamande (sans Fouron) 7 3 46 32 Région francophone 28 10 - - Pays-Bas 172 64 37 26 Total 270 100 143 100

148L’école provinciale de Fouron-le-Comte est fréquentée donc, en ordre principal, par des personnes n’habitant pas Fouron.

149Les dépenses effectuées par la province de Limbourg pour l’école de Fouron-le-Comte sont relativement importantes.

150La ventilation des dépenses pour la construction et le fonctionnement de l’école provinciale de Fouron-le-Comte est la suivante : [40]

tableau im10
Total en francs années 1968 neiges pour les à 198340 Investissements pour l’école de Fouron 116.275.895 Frais de fonctionnement pour l’école de Fouron 36.068.635 Dépenses de personnel pour l’école de Fouron 202.016.376 Charge de la dette pour l’école de Fouron 78.846.940 Total pour l’école de Fouron 433.207.846 Dépenses ordinaires pour l’enseignement de la province du Limbourg 8.874.343.259 Investissements pour l’enseignement de la province du Limbourg 2.804.644.309 Dépenses ordinaires de la province du Limbourg 25.742.842.663 Investissements de la province du Limbourg 10.318.533.461

151En termes d’investissements généraux, la province de Limbourg a dépensé à Fouron 27.864 francs par habitant [41] alors que par habitant limbourgeois [42] (Fouronnais y compris), elle a dépensé deux fois moins (14.410 francs).

152Pour l’ensemble des dépenses ordinaires, la province a réservé à Fouron 63.994 francs par habitant fouronnais, et également à peu près deux fois moins par habitant limbourgeois (35.951 francs).

153Si on ne tient compte que de la population flamande de Fouron (40 %), il y a eu cinq fois plus d’investissements et de dépenses ordinaires à Fouron que l’ensemble de la province de Limbourg (Fouron y compris).

Autres investissements flamands

154D’après M. Smets [43], député permanent du Limbourg, les Flamands ont également investi dans des constructions autres que l’école de Fouron-le-Comte. Ainsi, le Centre culturel "Veltmanshuis" aurait coûté FB 11 millions et l’auberge de jeunesse FB 37,2 millions.

e – L’action de l’Etat

La gendarmerie de Fouron-Saint-Martin

155Parmi les investissements spécifiques des pouvoirs publics à Fouron, relevons la construction d’un bâtiment pour abriter la gendarmerie à Fouron-Saint-Martin, d’une série de maisons pour loger les gendarmes détachés à Fouron.

156Depuis l’achat du terrain en 1964 jusqu’en 1983 [44], la gendarmerie de Fouron devait coûter, en construction et achat de matériel, FB 27.217.387 [45].

157L’effectif en hommes est évalué à 12 gendarmes [46], soit le double d’une gendarmerie située dans une commune de même importance. Le maintien de l’ordre est évidemment un problème crucial à Fouron.

La Centrale téléphonique de Fouron-Saint-Martin

158Actuellement, la commune de Fouron est toujours rattachée au réseau téléphonique de Liège (041) et de Verviers (087).

159Dans une réponse à une question parlementaire, le secrétaire d’Etat aux Postes, Télégraphes et Téléphones a déclaré qu’un réseau téléphonique propre à Fouron allait être créé afin de "respecter une obligation légale"[47].

160Les travaux auraient dû commencer en 1983, par l’expropriation d’un terrain situé à côté de la gendarmerie.

161La construction et la mise en service de la Centrale téléphonique coûteraient entre FB 95 et 100 millions.

La route reliant Fouron au Limbourg

162Le Ministère des Travaux publics a décidé que dès 1984, une route serait construite de l’échangeur de Mouland de l’autoroute E 9 (Liège-Maastricht) à la RN 17, à l’entrée de la province de Limbourg. La construction est évaluée par le Ministère des Travaux publics à FB 522 millions.

163De cette manière, les camions des cimenteries de Haccourt et de Lixhe pourront rejoindre l’autoroute Liège-Maastricht sans passer par le centre de la ville de Visé. Par la même occasion, les Fouronnais rejoindront plus aisément le Limbourg, sans devoir faire un détour par Visé ou par Liège.

164L’échangeur de Mouland avait été exécuté en 1971-1972 pour la somme de FB 105.992.000 [48]. Il faut signaler que cet échangeur se situe à 2,5 km de la sortie de Visé de l’autoroute Liège-Maastricht.

Conclusions

165En un point précis de la frontière linguistique, s’est formé - et subsiste depuis une vingtaine d’années - un point de fixation aiguë du contentieux entre les communautés. La situation fouronnaise a été caractérisée par une évolution sur le plan linguistique conduisant à une francisation d’une majorité de la population.

166Les décisions de 1962 - acquises dans le cadre d’une loi votée à la majorité simple - portaient à la fois sur l’appartenance à une région linguistique et sur l’appartenance à une province. L’aspect linguistique n’est donc pas seul à prendre en considération et l’aspect administratif a sans nul doute joué également dans le succès assuré au fil des élections successives aux listes "Retour à Liège".

167Dans le cadre des dispositions constitutionnelles révisées en 1970, de nouvelles conditions sont exigées pour décider de modifier l’appartenance tant à une région linguistique qu’à une province. Les compromis envisagés à certains moments n’ont jamais pu réunir les conditions politiques nécessaires pour aboutir.

168Fouron est une des communes dotées d’un statut linguistique spécial. Elle est sans doute celle qui s’est retrouvée le plus souvent à l’avant-plan de l’actualité politique (et même - dans son cas judiciaire). Mais son cas ne peut être totalement isolé : en d’autres points aussi, on a observé et on observe une tendance à réaliser une homogénéité de la communauté flamande, au risque d’aller à l’encontre de la volonté ou des préférences exprimées par de fortes minorités locales, voire dans certains cas des majorités.

169Dans un autre sens également, Fouron n’est pas non plus isolé et l’on a vu les interventions, aides, etc. d’espèce diverse en provenance de l’une ou l’autre communauté.

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172A l’approche de l’échéance du 31 décembre 1983 devant voir l’entrée en fonction de José Happart comme bourgmestre de Fouron, de nombreuses prises de position et réactions à ces dernières apparaissent à l’avant-plan de l’actualité politique. Ainsi celles de MM. Gabriels (V.U.), Moors (C.V.P.) et Galle (S.P.) déclarant l’arrêté royal de nomination de J. Happart illégal ; ainsi celles du ministre de l’Intérieur Ch.-Ferdinand Nothomb affirmant que ni la loi communale ni les lois linguistiques n’obligent un mandataire communal à faire la preuve de la connaissance d’une langue. Ainsi celles de l’exécutif flamand qui décide (C.V.P.-P.V.V. contre S.P. et V.U.) le 21 décembre 1983 ne pas vouloir s’opposer à l’entrée en fonction de José Happart.

173L’existence d’attitudes diamétralement opposées entre les communautés française et néerlandaise n’implique pas pour autant uniformité ou consensus à l’intérieur de chacune de ces communautés. Mais il est vrai que sur le problème fouronnais, il est peu de désaccord exprimé à l’intérieur d’une même communauté.

174Des priorités peuvent se dégager selon les appartenances des acteurs (à un groupe linguistique, à un exécutif régional ou national, …) et selon les matières (communautaire, économique, sociale). Elles ne sont, elles non plus, pas permanentes et peuvent redessiner la carte des rapports de force en présence.

175La distance est grande entre les impératifs d’une loi qui fut votée à la majorité simple et qui ne peut être modifiée qu’à la majorité spéciale et les préférences exprimées à plusieurs reprises par une majorité locale.

176Ce n’est pas la première fois qu’un collège de bourgmestre et échevins est fondé sur la représentation élue de cette majorité. Les tensions de 1983 sont suscitées par le symbole qu’a représenté de part et d’autre la tête de liste de 1982.

Les auteurs tiennent à remercier le Professeur Jean Beaufays de l’Université de Liège. Cette étude reprend, pour l’essentiel, les éléments d’une recherche effectuée pour le compte de l’Exécutif de la Communauté française.

Notes

  • [1]
    "Le problème des Fourons de 1962 à nos jours", Courrier Hebdomadaire du CRISP n°859 du 23 novembre 1979.
  • [2]
    Nous utilisons ici la graphie "Fouron" telle qu’elle figure dans l’arrêté royal du 17 septembre 1975 "portant fusion de communes et modification de leurs limites", article 133.
  • [3]
    Ligne séparant sur une carte linguistique deux aires dialectales distinctes.
  • [4]
    Ces renseignements sont principalement tirés de l’article de M. Cajot, "Structuur en ontwikkeling van het dialectlandschap in de Voerstreek", au Voercolloquium, organisé par Marnixring et Mens en Ruimte, le 22 novembre 1980.
  • [5]
    A. Wijnants, "Taalovergang en taaltrouw in de Voerstreek. Verschuivingen in het gebruik van volkstaal en standaardtalen" (Evolution et fidélité linguistiques dans la région de Fouron - Glissements dans l’emploi de la langue populaire et des Langues normalisées), Communication au Voercolloquium de Mens en Ruimte, le 22 novembre 1980.
  • [6]
    P. Peeters, "De Voerstreek", 1974.
  • [7]
    Ces chiffres proviennent de l’agrégation de plusieurs tableaux portant sur la mobilité géographique de la main-d’œuvre, établis par l’Institut national de statistique "I.N.S." suite au recensement de 1970. Les données issues du recensement de 1981 ne sont pas encore disponibles.
  • [8]
    Cf. M. Charles Christians, "Si on ouvre un homme, on trouve des paysages", in W’allons nous ?, 18-21 novembre 1982.
  • [9]
    Cf. Elisée Legros, "La frontière des dialectes romans en Belgique", Mémoires de la Commission royale de toponymie et de dialectologie, n°4, Liège, 1948, p. 62.
  • [10]
    Sous l’ancien régime, le duché de Limbourg occupait la partie Nord-Est de l’actuelle province de Liège et le Sud-Est de l’actuelle province du Limbourg néerlandais. Le vocable "Limbourg" ne fut utilisé, pour désigner les actuelles provinces belges et hollandaises de Limbourg, qu’à partir de 1815 par Guillaume II et plus tard par les linguistes pour identifier le dialecte neder-deutsch parlé principalement sur ces territoires.
  • [11]
    Henri Van Lier, "Le Bruxellois, ce sémiologue né", La Revue Nouvelle, mai 1982, pp. 590-598 et p. 594.
  • [12]
    Journal d’Aubel, 16 novembre 1933, p. 1, cité par Cl. Fluchard, "Le Journal d’Aubel et l’imprimerie de presse A. Willems", mémoire de licence en histoire moderne, ULg., 1968, p. 205.
  • [13]
    Paul Martens, "Vlaamse Voerstreek : waalse kolonie !" (La région flamande des Fourons : une colonie wallonne !), Wij, 21 août 1971, pp. 7 à 9, p. 8 ; et Guido Fonteyn, Voeren een heel HAPPART verhaal, traduit sous le titre Les Fourons, une histoire HAPPART, Soethoudt, Anvers, 1933, p. 95.
  • [14]
    Cf. "Le problème des Fourons de 1963 à nos jours", Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°859, 23 novembre 1979, p. 17.
  • [15]
    A. Wijnants, "Taalovergang en taaltrouw in de Voerstreek", communication au Voer Colloquium de Mens en Ruimte, op. cit., p. 7. Le même article se trouve dans Nelde P., Ed., "Langues en contact et en conflit", Steiner, Wiesbaden, 1980, pp. 467-474.
  • [16]
    Non compris Remersdael, où il y a eu élection sans lutte : 7 sièges à la liste unique pro-liégeoise.
  • [17]
    En comprenant dans les votes "Retour à Liège" les résultats d’une liste francophone concurrente à Remersdael, liste qui a obtenu 96 voix et 3 sièges.
  • [18]
    Le "Retour à Liège" donna la consigne de rendre un bulletin blanc ou nul : il y eut 1.418 bulletins blancs ou nuls, soit 60 % des votants. 40 % des électeurs inscrits exprimèrent un suffrage et votèrent donc pour une liste flamande.
  • [19]
    Certains bulletins furent endommagés à l’acide sulfurique. Le "Retour à Liège" donna encore la consigne de voter blanc ou nul : il y eut 1.309 bulletins blancs ou nuls, y compris les bulletins endommagés à l’acide sulfurique, soit 58 % des votants. 42 % votèrent pour une liste flamande.
  • [20]
    501 électeurs s’absentèrent et brûlèrent leur convocation électorale, malgré l’obligation de voter qui existe en Belgique, soit 18 % des électeurs inscrits. 1.158 votes étaient blancs ou nuls, conformément à la recommandation du "Retour à Liège", soit 42 % des électeurs inscrits. 40 % des électeurs votèrent pour une liste flamande.
  • [21]
    1.487 bulletins blancs ou nuls, suivant la consigne du "Retour à Liège", soit 54 % des votants. 46 % votèrent pour une liste flamande.
  • [22]
    Deux listes "bilingues" recueillirent ensemble 30 voix, soit 1 % du corps électoral.
  • [23]
    Pour les circonstances précédant le vote de cette loi, voir Courrier Hebdomadaire n°859, op. cit., pp. 12 à 17.
  • [24]
    Cet arrêté royal sur l’emploi des langues en matière administrative (Moniteur belge du 2 août 1966) coordonnait :
    1. l’art. 7 § 2 de la loi du 28 juin 1932 relative à l’emploi des langues en matière administrative ;
    2. l’art. 1 § 1 al. 3 à 7 et l’art. 4 § 1, 1°, 3, 4 de la loi du 8 novembre 1962 modifiant les limites des provinces, arrondissements et communes (en réalité la loi fixant la frontière linguistique) ;
    3. les art. 1 à 5, 6, § 1, § 2 (partira) et § 3, 3°, 7 §§ 1-2, 4, 5 et 6, 8 à 48 et 50 à 56 de la loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en matière administrative.
  • [25]
    Point 9 du Titre IV de l’accord politique du 19 janvier 1972 entre sociaux-chrétiens et socialistes.
  • [26]
    José Happart, né à Herstal - région liégeoise - n’est pas fouronnais d’origine. Il vit à Fouron depuis l’expropriation de la firme familiale de Herstal suite à la construction de l’usine de Chertal et Espérance-Longdoz.
  • [27]
    Créée sous forme d’asbl en mars 1978.
  • [28]
    Arrêts n°12065 (1966), 13575 (1969) et 14640 (1971).
  • [29]
    Arrêts n°17760 (1976), 17761 (1976) et 18371 (1977).
  • [30]
    Arrêt n°23685 du 8 novembre 1983 du Conseil d’Etat, concernant l’élection du 18 avril 1983 des membres du Conseil du C.P.A.S. de Wezembeek-Oppem.
  • [31]
    Voir E. Van Hecke, "Finances et fiscalité communales, analyse cartographique", Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°1017-1018, 25 novembre 1983.
  • [32]
    Dépenses ordinaires et extraordinaires reprises dans les comptes 1977 de la commune de Fouron.
  • [33]
    Dépenses ordinaires et extraordinaires pour l’école provinciale de Fouron reprises dans les comptes 1983 de la province du Limbourg.
  • [34]
    Dépenses ordinaires et extraordinaires reprises dans le budget 1983 de la commune de Fouron.
  • [35]
    Dépenses ordinaires et extraordinaires pour l’école provinciale de Limbourg reprises dans le budget 1983 de la province du Limbourg.
  • [36]
    Chiffres calculés sur base des comptes de 1962 des communes de Remersdael, Fouron-le-Comte, Mouland et Teuven.
  • [37]
    Cette asbl a pour but de défendre la culture et l’enseignement en français dans le Nord du pays.
  • [38]
    Statistiques de l’O.N.S.S. au 30 juin 1982.
  • [39]
    Voir Réponse à une question parlementaire du député Mottard, le 27 avril 1982.
  • [40]
    Chiffres établis à partir des comptes de la province du Limbourg de 1968 à 1981, du budget de 1982 et des prévisions de 1983.
  • [41]
    Il y avait 4.172 habitants au 1er janvier 1983.
  • [42]
    Soit 724.032 habitants au 1er janvier 1983.
  • [43]
    De Standaard, 10 février 1983.
  • [44]
    Pour 1983 il s’agit d’une évaluation.
  • [45]
    Chiffre calculé à partir d’une note au ministre des Travaux publics par la Régie des bâtiments en date du 7 septembre 1983.
  • [46]
    Source : O.N.S.S., 30 juin 1982.
  • [47]
    Question n°9 de M. Baudson du 5 novembre 1982 (Fr.), Bulletin des Questions et Réponses de la Chambre des Représentants n°320 du 7 décembre 1982.
  • [48]
    Référence à une lettre adressée par le ministre Olivier à François Perin, Professeur à l’ULg, en date du 16 décembre 1983.
Michel Hermans
Pierre Verjans
Chargés de recherche au Centre d’analyse et de documentation politique de l’Université de Liège
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Mis en ligne sur Cairn.info le 30/10/2014
https://doi.org/10.3917/cris.1019.0001
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