CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le P.S.B., invité le 10 janvier par les leaders de la F.G.T.B. wallonne à ouvrir un "deuxième front" [1] n’a pas admis de recourir à la démission collective des parlementaires, élus sur les listes socialistes ou cooptés sous l’étiquette du P.S.B. (décision du Bureau le 14 janvier).

2Par contre, un jeu serré est engagé entre les groupes sociaux et politiques depuis l’adresse des socialistes wallons au Roi (14 janvier) et la publication du programme économique et social proposé par le parti socialiste et les dirigeants de la F.G.T.B, (remis au Roi, le 15 janvier, par M. COLLARD).

3Du côté libéral dans comme l’aile conservatrice du P.S.C., on voudrait hâter le vote de la loi unique au Senat en évitant les abstentions ou les votes négatifs libéraux, de manière à pouvoir aller le plus rapidement possible aux élections. On y estime le moment propice : les libéraux bénéficieraient largement, croit-on, du recul socialiste à Bruxelles et dans les villes ; le P.S.C. éviterait des dissidences de droite dont on prévoyait le développement à partir de l’affaire congolaise en juillet-août 1960 ; on pourrait ainsi reconduire, pour une nouvelle législature, la coalition libérale sociale chrétienne que ne menacerait plus aussi vivement l’opposition syndicale socialiste dans l’hypothèse, admise comme certaine, dans ces milieux, d’un échec de la grève et d’un endettement considérable de la F.G.T.B.

4Un point de vue analogue semble prévaloir au Cabinet du Premier Ministre mais on s’y montre attentif à la position du Président du Parti qui a bénéficié d’un plébiscite au cours du dernier congrès du parti ainsi qu’au jeu de "jeunes" libéraux et conservateurs catholiques qui imaginent la future coalition libérale-catholique comme une équipe dont MM. VAN AUDENHOVE, VAN OFFELEN, VAN HOUTTE VAN DEN BOEYNANTS et VAN DER SCHUEREN pourraient constituer l’élément dynamique. D’où, une prudence plus grande chez le Premier Ministre à l’égard des élections précipitées.

5Du côté démocrate-chrétien (M.O.C-C.S.C.), on désire éviter que le contrepoids syndical soit trop durement réduit, suite à un échec des grèves : la C.S.C., forte en pays flamand, n’est pas de taille à compenser seule la poussée à droite qui se traduirait dans de nouvelles élections. D’autre part, la C.S.C. a renforcé par deux fois sa position au sein du P.S.C. : au moment de la guerre scolaire d’abord en fournissant des troupes à l’action du Comité de Défense des Libertés Démocratiques ; au moment du déclenchement des grèves fin décembre 1960 en prenant position contre la participation au mouvement et, plus tard, en contribuant activement à l’action contre la paralysie économique du pays. Le sentiment y prévaut par conséquent que le P.S.C. comme tel doit être le véhicule d’une pensée politique conforme à celle du Mouvement ouvrier chrétien. Par ailleurs, la C.S.C., comme institution, cherche également à valoriser – en puissance ou en crédit public accrus – son récent comportement dans cette perspective, elle entend marquer ses distances à l’égard des hommes qui ont été les animateurs de la grève, refuse de discuter sur une base présentée comme une "substitution" de la loi unique, mais elle cherche à ne pas rompre avec ce que ces hommes représentent comme force collective et comme pouvoir de pression d’où elle accepte de négocier sur un "au delà de la loi unique" [2].

6L’attitude du Président du P.S.C. n’est pratiquement pas différente de celle du Mouvement Ouvrier Chrétien mais elle est forcément plus directement conditionnée par les tensions internes du parti à l’égard de l’hypothèse d’un gouvernement P.S.B.-P.S.C. Sa position personnelle est en outre influencée par le problème du leadership d’un tel gouvernement : M. EYSKEMS ne pouvant plus y prétendre ; le nom le plus cité est celui du président du P.S.C. et la référence la plus courante est celle au discours de Louvain de mai 1960.

7Du côté socialiste, la position de la direction du parti est principalement dominée par le souci de ne pas rompre l’unité d’une part et d’autre part de ne pas se couper de l’aile syndicale qui s’est entièrement engagée dans la grève. Le caractère non-autoritaire du président a évité des ruptures "à chaud" au début janvier, soit sur le problème même de la grève, soit sur l’objectif des syndicalistes wallons en matière de structure de l’Etat. Aujourd’hui, la préoccupation de M. COLLARD est : 1°) d’établir un front commun de programme "utile" au sein de l’action Commune (et ce, nécessairement, sur une ligne assez "dure" pour obtenir l’appui de la gauche socialiste) ; 2°) d’opérer les transitions nécessaires vers les élections et une éventuelle alliance avec un P.S.C. dans lequel l’aile démocratique se trouverait en position de force. Il est clair qu’une telle opération suppose que le P.R.B. ne joue pas de cartes hypothéquées : il est pratiquement certain que, si cela dépend du présidant, la "carte" VAN ACKER ne sera pas jouée en vue d’une tripartite car elle aurait un caractère trop provocateur à l’égard de la gauche et remettrait en cause l’unité socialiste. D’autre part, les démocrates chrétiens et les socialistes étant persuadés que la loi unique sera votée dans les deux chambres mais que, seules, ses clauses fiscales seront mises en œuvre avant de prochaines élections, on cherche à fixer pour le prochain scrutin une date qui ne soit ni trop éloignée ni trop proche : ni trop éloignée, car on veut éviter la consolidation (même dans l’immobilisme) d’une coalition de droite et on ne veut pas perdre le bénéfice du désarroi certain provoqué dans les milieux financiers par la grève ; ni trop proche, pour éviter que le P.S.B. ne soit trop durement raboté sur sa droite par les libéraux et sur sa gauche par les communistes.

8Trois lignes de force sont donc en présence :

  1. l’une (regroupant conservateurs catholiques, libéraux, certains groupes financiers et des associations de classes moyennes) qui veut exploiter à fond "l’échec" de la grève et la faiblesse future de la F.G.T.B., pour mettre sur pied, après des élections immédiates, une nouvelle coalition libérale-catholique, fortement anti-socialiste ;
  2. une tendance sociale-chrétienne qui est celle de la direction du parti et de la C.S.C. tendant à sauvegarder les chances d’un gouvernement socialiste-social chrétien, sur base d’un programme de réformes économiques et institutionnelles assez "dur" ; cette tendance estime avoir intérêt à éviter un affaiblissement excessif des partis et des organisations ouvrières socialistes ;
  3. une tendance socialiste de gauche qui a pris ses responsabilités dans la grève et qui voudrait au moins conserver, par la pression de la grève dans l’industrie lourde, le moyen d’influencer le choix politique en usant de ses prises de position wallonnes d’une part, de ses revendications économiques et sociales de l’autre ; pour cette tendance (dite RENARD mais débordant en pays flamand dans des fédérations comme Gand, Anvers, et Alost), l’enjeu actuel est de définir ou de faire se dégager une ligne de partage sur laquelle pourrait se construire une politique nouvelle ou, en cas d’échec, se regrouper une opposition nouvelle.

Notes

  • [1]
    "Deuxième Front", titre de l’éditorial de M. A. RENARD dans COMBAT, n° 2 – 12.1.1960.
  • [2]
    Cette position s’exprime par une déclaration de M. A. COOL au syndicat chrétien de Bruxelles, le 15 janvier.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/12/2014
https://doi.org/10.3917/cris.092.0001
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