CAIRN.INFO : Matières à réflexion

116.10.59.

2Mercredi devant las commissions parlementaires du Congo [8], M. De Schrijver a fait un long exposé au sujet de ses intentions en ce qui concerne les élections et les futures institutions politique du Congo et au moment où paraîtra ce Courrier, le ministre se sera adressé à l’opinion belge et congolaise.

3Il n’est guère possible, sur la base des compte-rendus de presse, de faire une analyse sérieuse des “chances” du plan De Schrijver d’autant que certains éléments psychologiquement fondamentaux n’en ont point été révélés. On nous permettra plutôt de faire le point au sujet des projets attribués au ministre et de les situer par rapport aux propositions de son prédécesseur et aux revendications nationalistes congolaises.

1 – Les élections pour les conseils de territoire et de commune

4Ces élections auront lieu, en décembre prochain, malgré le risque de boycott dans certains territoires et certains centres. Pourront y participer : tous les adultes masculins du Congo.

5Le souci du ministre est double dans cette matière :

  1. garantir la liberté des candidats et des électeurs ;
  2. assurer une gestion en cas de boycott. On connaît maintenant les modalités envisagées pour réaliser le premier point : le décret du 7 octobre prévoit l’institution de commissions préélectorales dans chacune des six provinces. Ces commissions seront présidées par un conseiller ou un auditeur du Conseil d’État et comprendront, en plus d’un président et du vice-président (haut fonctionnaire ou chef de service du Parlement) 2 membres désignés par le collège consultatif de la province, 2 chefs de circonscriptions indigènes désignés par leurs pairs et 2 membres désignés par les partis politiques.

6La formule De Schrijver rejette donc le contrôle par des parlementaires formule proposée par plusieurs partis congolais mais jugée inadéquate par MM. Schöller et Van Hemelrijck pour ces élections à portée territoriale ou communale. Par contre, le ministre admet une participation des partis congolais au contrôle et sur ce point précis s’écarte des suggestions Schöller pour rencontrer une revendication des partis congolais.

7Malgré tout, le ministre a dû prévoir un mode de gestion pour les communes et territoires où les élections seraient systématiquement sabotées.

8Aucune précision n’a été publiée à ce sujet mais nous croyons savoir que le recours à une désignation de gestionnaires par le Gouverneur n’est envisagée qu’en cas de boycott pratiquement général.

2 – La composition des assemblées de territoire

9Selon la presse, le ministre aurait repris une suggestion de M. Schöller, déjà proposée par H. Van Hemelrijck, à savoir l’adoption de la règle des deux tiers ou des trois quarts de membres élus pour les assemblées de territoire. Seuls, ces élus seraient grands électeurs pour les conseils de province. La présidence serait confiée à un administrateur pour trois ans maximum (formule jugée assez souple pour assurer une présidence élue là où elle s’impose ou est imposée).

10Le ministre cherche ainsi à concilier la double pression : celle (du colonat organisé et des milieux traditionnels congolais) tendant à “corriger” le suffrage universel par la désignation de membres et celle (des partis de type M.N.C., Parti du Peuple, etc.) qui exige le S.U. pur et simple, avec monopole des sièges aux “élus”. Par la formule de présidence, le ministre croit pouvoir mieux tenir compte des conditions locales et des risques de transfert propres à chaque territoire ; il escompte ainsi qu’il sera plus aisé (ou moins malaisé) de contrôler l’évolution.

3 – La composition et les pouvoirs des conseils de province

11Selon “La Cité” (14.10.1959), le ministre aurait précisé comme suit la composition des conseils de province : six dixièmes des membres élus au second degré en mars 1960 ; trois dixièmes cooptés par les membres-élus sur trois listes leur présentées, un dixième choisi par le Gouverneur parmi les notables. Cette information est sans nul doute exacte. Elle correspond au même souci de donner une majorité aux élus du second degré et de la compenser partiellement par la cooptation et la désignation. Ce qui n’est pas précisé (ou, plus exactement, publié), c’est l’origine des trois listes de “cooptables” (s’agit-il d’une base corporative ou autre ?) et le pourcentage d’européens figurant parmi les 40 p.c. non-élus. Sur ce point, on peut s’attendre à des demandes de précisions de la part des partis congolais et de la Fédacol.

12Il est dit en outre que ces conseils auront des pouvoirs propres et disposeront d’un budget. C’est la confirmation des conclusions du dernier Conseil de Législation. On précise néanmoins que cette provincialisation ne pourrait aller jusqu’au fédéralisme politique. Ceci pose la question - qui était le nœud des rapports Stenmans et Schöller en août 1959 - de savoir dans quelle mesure la formule annoncée suffira à provoquer un déblocage de la situation dans le Bas-Congo où, selon le vice-gouverneur général Schöller, la revendication unanime va au moins jusqu’au fédéralisme.

4 – Le pouvoir législatif et le gouvernement congolais

13“Deux chambres et un exécutif d’ici un an”, conclut le Soir (15.10.59) des déclarations de N. De Schrijver. La Libre Belgique (14.10.59) précise même que le gouvernement belge a marqué son accord sur la mise en place d’un Parlement congolais dans les douze mois.

14Les Assemblées dont question auraient une composition différente : l’une serait formée de délégués des six provinces (chaque province ayant un nombre identique de représentants), l’autre serait “basée sur la consultation directe, soit par le Suffrage Universel soit au deuxième degré” (La Cité, 14.10.59). Le mode d’élection - à vrai dire - n’est pas encore défini : le ministre veut en faire matière à confrontations et à enquête, après les élections de décembre 1959.

15Ces Assemblées, précisent les journaux belges, auraient des pouvoirs législatifs réels. C’est bien le sens des déclarations du ministre. Mais ces assemblées n’auraient pouvoir que sur les matières explicitement attribuées (les journaux ne précisent pas ce que seraient ces matières mais nous croyons savoir qu’elles seraient moins étendues que celles qui figuraient dans les projets de M. Van Hemelrijck). En outre, les assemblées n’auraient pas pouvoir - pendant un certain temps - de renverser le gouvernement. De plus, selon les journaux, les Assemblées ne seraient pas dotées du pouvoir constituant (contrairement aux suggestions Stenmans et Schöller). On peut même croire qu’une sorte de “stage” serait organisé pour leur permettre d’accéder aux pouvoirs pré-constituants puis constituants. Ce stage couvrirait au moins trois années, à partir de la mise en place des assemblées. Sur ce point, on doit s’attendre à un raidissement des partis congolais.

16En ce qui concerne le gouvernement congolais, “Le Peuple” (14.10.59) et Le Soir (15.10.59) ont usé de l’expression “présidentiel”. La formule semble impliquer une stabilité que les votes des assemblées ne devraient pas pouvoir entamer. S’agira-t-il d’un gouvernement à pouvoir exécutif ET législatif comme en Belgique ? Sera-t-il composé de membres congolais ET européens ? Le Gouverneur en sera-t-il le chef ? Certains postes seront-ils légalement réservés à des belges ? La nomination des ministres (ou des secrétaires d’État) sera-t-elle effectivement ou symboliquement’ réservée au Roi ? Autant de questions actuellement sans réponses.

17Au lendemain des élections de décembre, M. De Schrijver entend provoquer des “colloques et consultations” [9] avec participation de représentants congolais. Mais jusqu’à cette date ? Le ministre veut “réussir les élections” et n’ignore pas l’utilité - dans cette perspective - de provoquer des revirements dans le chef de certains partis. La déclaration publique à la veille du 18 octobre est l’expression de ce souci. Mais tout porte à croire que la recherche du “dialogue” n’a pas été exclue pour les semaines qui viennent.

Notes

  • [8]
    Les membres socialistes avaient refusé d’y assister pour protester contre le refus de convoquer le Parlement en octobre.
  • [9]
    Les journaux usent indifféremment des termes “colloques”, “consultations” et “dialogues” pour traduire la pensée du ministre. Ancun - à notre connaissance - n’emploie le mot “négociation” dont l’Abako fait une condition de la reprise des contacts.
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/12/2014
https://doi.org/10.3917/cris.036.0016
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