CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Alors que les pays méditerranéens de l’UE sont loin d’être les seuls à porter de lourdes dettes, certains observateurs perçoivent la crise de la zone Euro comme le premier acte d’un basculement du monde – du vieux monde des économies occidentales, Japon compris – au profit de puissances qui, d’émergentes sont en train de devenir submergentes.

2 Cette piste n’est certainement pas à négliger. Alors que l’UE a pu solliciter l’aide financière des pays émergents, alors que la Chine et d’autres ont résolu la question de la sortie du sous-développement à travers un néomercantilisme, que l’Allemagne et d’autres pays d’Europe du Nord ont aussi bien adopté et qui renvoie Adam Smith et Ricardo juste à côté de Marx au musée des illusions du XIXe siècle ayant tellement pesé sur le XXe, il est clair que les repères ont changé. Qui imaginait il y encore dix ans que la Chine et les USA se retrouveraient aujourd’hui dans une situation où chacun des deux pays est en mesure de ruiner l’autre ? À partir d’une telle situation, tout peut être imaginé et la crise de la zone Euro ne représente peut-être bien en effet que les prémisses de bouleversements beaucoup plus vastes.

3 Nous n’en sommes pas là néanmoins et la crise nous paraît frapper nos représentations à un autre titre. S’il faut en effet appréhender pleinement la tourmente qui s’est emparée des pays méditerranéens de l’UE, il nous semble qu’il faut risquer l’hypothèse selon laquelle cette crise nous fait assister à un véritable effondrement de la démocratie libérale ; ce modèle d’organisation politique qui semblait avoir mondialement triomphé après l’éclatement du bloc communiste, au point que certains puissent parler de fin de l’histoire. Las, ce modèle paraît aujourd’hui impuissant, dépassé face aux enjeux et cela se passe d’abord – ironie de l’histoire – en Grèce.

4 Cette crise pourrait bien ainsi correspondre à un tournant historique majeur. On en trouvera ci-après des analyses détaillées. Avant de les présenter, cependant, nous voudrions développer un peu cette hypothèse qui nous semble dévoiler, tout à la fois, la vraie nature de la crise et ses possibles issues.

5 Un effondrement de la démocratie ? On jugera sans doute l’expression excessive. Certes, on ne manque pas de marquer actuellement à quel point les États paraissent faibles face aux marchés financiers, les politiques impuissants, soumis au diktat de ces marchés et les Parlements sans voix, obligés de ratifier des plans d’austérité définis par des organisations multilatérales, sous la surveillance des agences de notation. En regard, sont également pointées du doigt les incohérences de la gouvernance européenne, particulièrement en termes de déficit démocratique. Car aujourd’hui, la première condition pour que l’Europe avance semble tenir à ce que les peuples européens ne soient pas directement consultés ! Certes, il est toujours possible de faire revoter les peuples jusqu’à ce qu’ils fassent le bon choix, comme en Irlande et l’on peut compter sur les Parlements pour accepter un texte qu’un peuple a clairement refusé, comme en France. Mais de tels subterfuges ont leurs limites et il a fallu récemment mettre en place tout un système de « cavalerie » entre la BCE et les banques européennes, pour que ces dernières se portent acquéreuses des dettes émises par les États ; un système bancal dont ni l’efficacité, ni la durabilité ne sont assurées mais un système qui a pour premier avantage d’éviter une révision des Traités demandant que les peuples soient consultés.

6 Certes mais tout cela, nous opposera-t-on, est soumis, au niveau des différents États, aux processus de validation démocratiques, au moins au niveau parlementaire. Et l’on nous rappellera à ce titre l’importance des prochaines élections grecques.

7 Vraiment ? La question démocratique se pose éminemment dès lors que des pays surendettés ou, plus exactement, des pays qui se sont endettés très au-delà de leurs capacités de remboursement et qui ne pouvaient pas l’ignorer, doivent aujourd’hui payer – d’une manière ou d’une autre car même l’annulation des dettes se traduit par des efforts considérables en termes d’austérité. Le cas grec, à cet égard, est exemplaire. Tant que tout allait bien, la politique d’endettement ne fit l’objet d’aucun véritable contrôle démocratique – en Grèce, comme dans beaucoup d’autres pays, quand a-t-on vu pour la dernière fois un Parlement rejeter un budget ou le faire largement modifier dès lors que le gouvernement est issu du parti majoritaire ? Quand et où a-t-on vu jouer cette balance des pouvoirs législatifs et exécutifs dont les manuels nous expliquent qu’elle est au fondement de toute démocratie parlementaire ? Les risques qu’une politique de surendettement engendrait ne pouvaient être ignorés. Mais, parce tout le monde en profitait, personne ne voulait trop les considérer bien sûr. D’une certaine façon, cette politique faisait l’objet d’un consensus mais non explicite, donc non démocratique et qui se révèle aujourd’hui n’avoir été qu’un marché de dupes. Car, au fait, où est passé l’argent ? En large partie, il a quitté le territoire grec, au plus grand profit d’élites pour lesquelles il est bien entendu hors de question aujourd’hui de le rapatrier – mieux vaut pour elles voir descendre le peuple dans la rue ; c’est la seule arme qui reste en effet aux autorités grecques pour négocier l’annulation des dettes et les soutiens de l’UE, comptant que la détresse des foules éveille la sympathie des opinions publiques dans les autres pays de l’UE. Au bout du chemin, selon toute probabilité, c’est la misère qui attend désormais une grande partie du peuple grec. Malgré cela, malgré qu’une élite se soit ainsi enrichie à bon compte et alors que le pays vivra sous la tutelle d’une « troïka » étrangère, les formes démocratiques seront respectées. Autant dire qu’en substance la démocratie se sera effondrée, ne permettant plus la formation d’un lien social suffisamment fort pour contenir les effets les plus brutaux de la bonne vieille lutte des classes. Selon que vous serez puissant ou misérable en effet…

8 Bien sûr, si la démocratie a une réalité, c’est à travers la formation d’une volonté commune, sinon générale. Une volonté dont l’absence est patente, cependant, chez les trois principaux acteurs qui se partagent aujourd’hui la scène de la crise européenne : les marchés, les politiques et les peuples indignés ; des acteurs qui semblent participer tous trois d’un même phénomène d’effondrement.

9 Absence de volonté sur des marchés financiers dénués de toute vision dépassant le très court terme, qui sur-réagissent à la moindre annonce d’un jour, parfois d’une heure à l’autre et qui vont là où leur propre sillage les pousse. Absence de volonté chez des politiques devenus de simples professionnels du mandat électoral, auxquels plus grand monde ne croit encore et dont le but principal semble être de préparer la prochaine élection – de ce point de vue, face à la crise européenne, 2011 nous aura offert un spectacle assez surréaliste : quelle ingéniosité, quelle détermination aura-t-il fallu déployer pour ne rien faire d’essentiel ! Pour ne traiter aucune question au fond !

10 Absence de volonté, enfin, chez des peuples indignés on ne sait trop par quoi, sinon par les affreux banquiers, les méchants Allemands, le « système ». Encore est-ce trop dire. Souvent, l’indignation retrouve des accents tout à la fois sulpiciens et quarante-huitards, pour condamner de manière encore plus vague les puissants, l’argent et même le prêt à intérêt – on croirait parfois entendre Lamennais, voire les sermons de Bossuet !

11 Au Sud de la Méditerranée, des peuples ont fait tomber des tyrans. Au Nord, des mouvements populaires s’en sont pris à on ne sait trop qui. Dans les deux cas, la volonté a également manqué pour imaginer l’avenir, réinventer la société. Le Sud s’est réfugié dans des valeurs traditionnelles. Le Nord se replie dans l’anomie. Comment ne pas songer qu’il s’agit là des deux faces d’un même effondrement ? Inconstance des marchés, incurie politique, ineptie contestataire : welcome to the desert of the real ! [1]

12 On le lira plus loin, Akram Belkaïd note que si les Indignés n’expriment guère de revendications positives, précises, c’est précisément qu’ils en appellent plus élémentairement au sens de la responsabilité politique, qu’ils visent à récréer un espace démocratique au sens premier du terme. En ce sens, notre hypothèse est que le malaise qui accompagne la crise actuelle dans les pays du Sud de l’Europe tient à une perception plus ou moins confuse de l’effondrement du cadre démocratique, comme capacité de nos sociétés à s’empoigner elles-mêmes, à travers lequel nous envisagions jusqu’ici l’avenir. C’est ainsi, qu’une crise d’endettement suscite des réponses bien moins économiques – comment réduire le rythme d’endettement ? Comment développer la productivité ? – que politiques. Et les deux principales réponses sont très semblables, en ce que toutes deux veulent restaurer une puissance souveraine. Mais, les unes plaident à cet égard pour un repli national et les autres parient sur la création d’un véritable État européen.

13 Pour notre part, pour le dire en termes nietzschéens, nous voyons moins là des idées que des symptômes et les deux solutions nous paraissent également illusoires. Les pays de l’Europe du Sud et la France avec eux n’ont désormais plus guère les moyens de supporter le surcoût que représenterait pour eux un retour à l’isolationnisme ; c’est pourquoi nous restons réservés quant aux bienfaits possibles d’une sortie de la Grèce de l’Euro. Quant à un État fédéral européen, il consisterait, en l’état actuel des choses et face à l’inexistence patente de tout peuple européen, qu’à assoir la domination de quelques pays sur d’autres.

14 Par ailleurs, nous ne pensons pas que la crise actuelle aboutira nécessairement au chaos. Début mars 2012, alors que sont écrites ces lignes, tout semble déjà aller mieux – les bourses reprennent de la vigueur, les conditions d’endettement de l’Espagne et de l’Italie s’améliorent. De fait, nous n’écartons pas la possibilité que des demi-mesures – car rien sur le fond n’a été réglé – puissent suffire. Nous ne faisons cependant aucun pronostic. La possibilité d’un effondrement de la zone Euro est certainement réelle – même si la situation de l’UE nous parait à terme moins inquiétante que celle des USA. Mais telle n’est pas ici la question. Nous nous bornons à envisager que quelques artifices monétaires puissent suffire à stabiliser une situation de crise qu’il faut de toute manière envisager sous une perspective mondiale. Au-delà, une dette se paie toujours d’une manière ou d’une autre et, surendettés, les pays d’Europe du Sud et la France n’en ont plus les moyens. Leurs équilibres budgétaires seront peut-être restaurés ainsi, mais les artifices monétaires ne pourront rien. À terme plus ou moins rapproché, l’ajustement aura lieu à travers une paupérisation de ces pays, avec un fort risque de déclassement économique au plan mondial et de dérive d’institutions qui ne seront plus démocratiques que pour la forme.

15 Cela ne semble pouvoir être évité qu’à travers une solidarité européenne. Non pas avec un État fédéral européen, mais à travers une prise de conscience de ce qu’est l’Europe, telle qu’elle existe.

16 L’Europe, a très bien montré Jean-Marc Ferry, existe sous une formule unique qui conjugue le droit international public, le droit des États, les droits individuels et subjectifs et les droits de l’homme [2]. L’UE dessine, ainsi, un espace de coopération singulier entre États, fondé non pas tant sur des abandons de souveraineté que sur la possibilité, pour les citoyens européens, de défendre leurs droits face à leur propre État. Réciproquement, cela ouvre la possibilité déterminante pour l’UE d’intervenir au niveau individuel. Revenons un instant, ainsi, sur la crise actuelle en Grèce pour donner un exemple de ce que cela peut concrètement signifier.

17 Trois risques pèsent sur les pays de la zone euro qui affrontent aujourd’hui des difficultés liées à leur niveau d’endettement :

18

  • un risque de restriction du crédit ou credit crunch, lié notamment à une crise de liquidité frappant les banques, suite à la dégradation de la note du pays et qui, ne permettant plus aux entreprises de se financer couramment, contraindrait fortement la croissance ;
  • un risque de devoir brader, en les privatisant, des actifs stratégiques pour obéir à des impératifs courtermistes ;
  • un risque, enfin, d’affaissement économique général provoquant une déflation, sans aucune corde de rappel pour relancer l’activité.

19 Ces risques n’existent pas malgré l’aide européenne. Ils existent d’abord à cause de la solidarité européenne, dès lors que le partage d’une monnaie commune et le soutien apporté par la BCE rendent impossible ou difficile une dévaluation monétaire et un rééchelonnement massif, qui sont pourtant les deux premiers adjuvants en cas de crise d’endettement souverain. On ne pourra donc considérer que la zone euro a pleinement apporté son soutien à ses membres en difficulté si ces trois risques ne sont pas maitrisés.

20 Ces trois risques, par ailleurs, ne sont pas seulement possibles. Ils sont prochains. Dans le cas grec, ils sont même déjà largement réalisés. En Grèce, dès à présent, trois risques de crise du crédit, de liquidation précipitée d’actifs stratégiques et de déflation sans issue demandent, concrètement, pour être contenus :

21

  • que l’on ménage des possibilités de financement à des tarifs non prohibitifs aux entreprises les plus porteuses de croissance ;
  • que l’on soit prêt à aider l’État grec à recapitaliser ou à investir dans des actifs stratégiques, tels que les infrastructures notamment qui, autrement, risqueraient d’être tout simplement « bradés » ou désinvestis ;

22 En termes plus larges, cela signifie :

23

  • qu’une dimension micro-économique doit être introduite dans le soutien à la Grèce, reposant sur la sélection des acteurs économiques les plus porteurs de croissance, le rehaussement de leur signature et leur accès éventuel à un financement direct à des conditions non prohibitives ;
  • qu’une dimension d’investissement et d’intervention en capital doit également être développée, pour aider la Grèce à conserver et développer ses actifs les plus stratégiques ; parce que la Grèce est dans l’Europe et parce que ses actifs, dès lors, doivent être considérés comme appartenant au patrimoine européen. Un tel soutien paraît, ainsi, le complément nécessaire de tout programme de privatisation.

24 En regard, il serait illusoire de croire que le renflouement des pertes des banques pourra suffire ou que les meilleures entreprises grecques, parce qu’elles sont les meilleures, trouveront toujours à se financer à d’assez bonnes conditions. Dans le contexte d’un credit crunch, parce qu’elles subissent de plein fouet la dégradation du rating et de la situation économique et se financent ainsi difficilement elles-mêmes, les banques ne peuvent plus prêter que de manière restreinte à des entreprises dont le risque s’est lui-même fortement dégradé. De plus, selon le principe voulant qu’une entreprise ne puisse être mieux notée que son État, les possibilités d’emprunt des entreprises grecques au plan international ou à travers les marchés financiers sont également très sérieusement réduites. Force serait donc de concevoir un mécanisme de rehaussement permettant à des acteurs grecs stratégiques de continuer à se financer à des conditions non-prohibitives ou à se financer tout court. En premier lieu, il s’agirait ainsi de faire ce que les agences de notation ne feront pas : un rating stratégique, un rating de croissance, sélectionnant les acteurs les plus stratégiques pour la croissance du pays. Il s’agirait d’élaborer, dans le cadre du Plan de sauvetage, un indice grec de performance, permettant aux acteurs qui en bénéficient d’acquérir, pour quelques-uns d’entre eux, une visibilité discriminante et d’accéder directement, au besoin, à certains financements.

25 De tels schémas ont déjà été utilisés dans le passé : avec le lancement de la SFEF (société de financement de l’économie française) en France en 2008, par exemple ou par l’acceptation en pension par les banques centrales japonaise ou anglaise de titres de créances sur les entreprises les mieux notées. Le caractère innovant tiendrait à y associer un pilotage stratégique de croissance, sélectionnant et encourageant certains acteurs selon trois critères principaux – ceux-là même qui portent la croissance du PIB : exportations, investissements et consommation, cette dernière devant être entendue ici en termes de masse salariale critique. Au total, serait mis en place un dispositif individualisé de prévention du risque de resserrement du crédit qui permettrait d’apporter un réel soutien de l’UE à la sortie de crise par la Grèce. Une solution assez peu onéreuse, si elle ne concerne que quelques entreprises porteuses mais dont l’effet d’essaimage serait important. Et sous ce jour, l’aide des partenaires euro ne serait pas seulement macro mais aussi bien micro-économique – individuelle.

26 Selon la même logique, des renforcements de fonds propres devraient faire partie des dispositifs anticrise ; mieux même, les interventions en capital plutôt qu’en dette devraient être privilégiées chaque fois que cela est possible – particulièrement pour protéger des actifs stratégiques (infrastructures et compagnies d’énergie, de transport, de télécommunications, bourses, centres de recherche, etc.). Cependant, alors que des institutions européennes comme la BEI ou nationales, comme le FSI français ou la KFW allemande, pourraient être en première ligne à cet égard, on assiste au contraire : le Pirée est désormais géré en partie par un trust chinois. Premier port sur les rives de l’UE ouvert sur la Méditerranée orientale, le Pirée n’est-il pas cependant un actif stratégique tant pour la Grèce que pour l’Europe ?

27 Deux dimensions se croisent ainsi ici :

28

  • au titre du soutien apporté à l’un de ses membres en difficulté, l’aide de l’UE sera d’autant plus productive qu’elle correspondrait à un investissement plutôt qu’à un simple prêt ;
  • au titre de la solidarité européenne, l’UE devrait s’attacher à valoriser le patrimoine européen chez ses différents membres et aider ainsi ces derniers à le préserver.

29 Il ne s’agit que d’exemples, bien entendu, mais ils indiquent à notre sens quelque chose d’essentiel : une coordination d’États capable de traiter des cas individuels et, au-delà, la défense de valeurs subjectives, notamment dans le domaine des droits sociaux, voilà ce qu’on est en droit d’attendre de l’Europe, telle qu’elle existe. L’Europe, souligne Ulrich Beck, est d’ores et déjà un État cosmopolite, défendant des valeurs qui ne s’enracinent plus dans la territorialité d’un État ; à elle de se fonder sur ces bases, plutôt que d’essayer d’être un nouvel État [3]. La crise actuelle en son sein peut lui en fournir l’occasion.

30 Sinon, ce qu’il va se passer est assez prévisible et déjà largement engagé : un affrontement au sein de l’UE entre États créanciers et États débiteurs, provoquant soit l’éclatement de l’UE, soit la mise sous tutelle des seconds par les premiers – quoi qu’il y ait encore une troisième voie et la plus plausible à nos yeux, celle du maquillage : de bons chiffres macro-économiques qui feront croire que la crise a été surmontée et qui masqueront de fait la misère réelle qui se sera développée et qui aura servie de variable d’ajustement. En regard, ce que nous avons esquissé ci-dessus ne relève ni de l’ingérence, ni de la subsidiarité de la part de l’UE, mais seulement d’une volonté de penser ses interventions au niveau individuel des cas particuliers – pour développer des formes de soutien plus efficaces et promouvoir une alternative démocratique.

31 Tel est pleinement l’enjeu de la crise dans l’Europe méditerranéenne ; laquelle est envisagée ci-après sous différents points de vue.

32 Il y a d’abord la crise économique. D’où vient-elle ? Une mise en perspective paraît souhaitable : on oublie trop souvent aujourd’hui que le rattrapage économique de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce est récent – il date de leur adhésion à l’UE. Serait-il resté, sous certains aspects, inachevé ? Ces pays pouvaient-ils vraiment intégrer la zone euro ? Au terme de minutieuses analyses, le verdict de Josse Roussel est sans appel : tout cela reposait largement sur un mirage, aujourd’hui dissipé, avec l’austérité pour seul horizon.

33 De fait, quels peuvent être aujourd’hui les relais de croissance dans l’Europe du Sud ? Quel sera l’impact des plans d’aide et d’austérité budgétaire sur ces relais ? Le Centre d’Analyse Stratégique (ex Plan) s’est livré à des travaux prospectifs dont seules les projections concernant la France ont été publiées. Cécile Jolly nous dévoile celles concernant les pays méditerranéens de l’UE et nous donne, ce faisant, quelques raisons sinon d’espérer, au moins de garder son sang-froid dans la tourmente.

34 Enfin, au cœur de la crise, il y a ces marchés financiers réputés tout-puissants. Qu’en est-il ? Comment les appréhender ? Comment la crise méditerranéenne est-elle vue du point de vue des gérants de fonds ? L’un d’entre eux, Olivier Delamarche, s’est récemment fait remarquer pour son franc-parler et ses analyses sans concession. Nous l’avons interrogé.

35 Il y a ensuite des crises politiques et sociales, qu’il convient d’appréhender pays par pays. Ces crises étant évidemment liées à la crise économique et d’endettement, Mourad Bsiri en dresse d’abord le tableau au niveau de chaque pays, ce qui n’avait pas été fait dans la section précédente. Ensuite, Benoît Pellistrandi, pour l’Espagne et Piero Caracciolo, pour l’Italie, développent des analyses aussi détaillées que contrastées de la situation notamment politique des deux pays. Contrasté est également le tableau que Christophe Chiclet dresse de Chypre, avant de s’attaquer au dossier grec, sans essayer de cacher sa colère.

36 Enfin, nous nous sommes efforcés de dégager les transversales qui apparaissent à travers la crise en Europe du Sud. Quelles issues communes pourraient se dégager à la faveur – si l’on peut dire – de la crise ? On relèvera d’abord l’inquiétante fracture entre pays du Nord et pays du Sud au sein de l’UE. Nous avons nous-mêmes traité ci-après ce thème qui recouvre la place de la France et l’avenir de la zone euro. Nos conclusions en appelant à une refondation, nous avons soumis notre texte à la lecture critique d’un grand artisan de la construction européenne. René Leray nous a fait l’honneur d’un commentaire que l’on trouvera en encadré.

37 Force était, également, d’interroger les mouvements de mobilisation sociale actuels dans leur transversalité (revendiquée et potentielle). Feux de paille contestataires ou apparition d’une conscience sociale transeuropéenne ? Akram Belkaïd s’est penché sur la question.

38 Enfin, Jean-François Gayraud nous dévoile un pan très inquiétant, car solidement ancré désormais, des réalités méditerranéennes en Europe : des réseaux criminels sachant très bien profiter de la crise.

39 Pour conclure, nous laisserons la parole à Bernard Ravenel qui, face à la crise, plaide pour un sursaut pleinement et proprement méditerranéen. ?

Notes

  • [1]
    Slavoj Zizek a donné cette formule – tirée de Matrix, bien sûr – à un ouvrage (2002) qui souligne notre manque de catégories pour saisir les évolutions politiques actuelles (Bienvenue dans le désert du réel, trad. fr. Paris, Flammarion, 2005).
  • [2]
    J-M. Ferry La question de l’État européen, Paris, Gallimard, 2000.
  • [3]
    U. Beck Pouvoir et contre-pouvoir à l’ère de la mondialisation, 2002, trad. fr. Paris, Aubier, 2003.
Français

Ce n’est pas la première fois que des pays se retrouvent au bord de la faillite et, après tout, la Grèce ou le Portugal ne sont pas encore exactement dans la situation qu’a connue l’Argentine il y a quelques années. Pourtant, la crise qui frappe l’Europe méditerranéenne parait être bien plus qu’une crise économique. Au-delà des questions d’endettement, elle a d’ores et déjà provoqué un vaste désenchantement, sous plusieurs facettes : déception face à la construction européenne, mal-être dans la mondialisation, crise de l’avenir, perspectives de délitement social. Comment traduire cette inquiétude apparue depuis près de deux ans en Europe ?

Mis en ligne sur Cairn.info le 04/04/2012
https://doi.org/10.3917/come.080.0009
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...