CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Commençons par le paysage géopolitique que Trump hérite de son prédécesseur. Dans son livre le plus récent, World Order (2014), Kissinger soutient que le monde est dans un état précaire, au bord de l’anarchie internationale. Non seulement parce que l’équilibre matériel des forces s’est déplacé de l’Ouest vers l’Est, mais aussi parce que la légitimité de l’ordre mondial de l’après-guerre est remise en cause. Quatre visions de l’ordre mondial sont en compétition – la westphalienne-européenne, l’islamique, la chinoise et l’américaine – et toutes se trouvent dans des états variables de métamorphose, voire de déclin. En conséquence, aucune de ces visions n’a de légitimité réelle. Le nouveau désordre mondial en train d’émerger a pour caractéristique la formation de « blocs régionaux » ayant des visions du monde incompatibles. Kissinger craint que celles-ci ne s’affrontent d’une manière menant à une escalade : « Une lutte entre régions pourrait être encore plus destructive que ne l’a été la lutte entre nations. »
Contrairement à ceux qui prétendent que le monde a transcendé toute perspective de guerre systémique majeure, Kissinger soutient que le contexte international contemporain est extrêmement inflammable. Il existe une profonde tension entre la globalisation économique et la persistance politique de l’État-nation, ce qu’a révélé la crise financière de 2008. Deuxièmement, nous sommes en train de consentir à la prolifération d’armes nucléaires bien au-delà du « club » de la Guerre froide…

Français

Cet article a été publié dans The American Interest (mars-avril 2017), revue que dirigent Charles Davidson et Francis Fukuyama. Ils ont autorisé, et je m’en réjouis, sa traduction en français et sa publication dans Commentaire.
Quatre mois après l’investiture de Donald Trump comme 45e Président des États-Unis, nous n’avons aucune certitude sur la direction que prendra sa politique étrangère ; on a en revanche beaucoup spéculé – généralement de manière alarmiste – sur ce qu’a dit Trump dans ses discours et ses interviews. Pourtant, très rares sont les Présidents qui fondent leur politique étrangère uniquement sur leur rhétorique de campagne. Très rares sont ceux qui rompent complètement avec les politiques de leurs prédécesseurs. En effet, très rares sont ceux dont on peut dire qu’ils ont en pratique quelque chose d’aussi cohérent qu’une doctrine de politique étrangère, moins encore une grande stratégie. L’expérience suggère également que la politique étrangère de l’Administration Trump dépend largement des positions de ceux qui occupent des postes clés – secrétaire d’État et secrétaire à la Défense ainsi que conseiller national de Sécurité – et surtout de qui l’emportera dans la lutte entre les départements ministériels : bataille pour la priorité bureaucratique, combat pour un accès régulier au Président et guerre des fuites aux médias. Pourtant, on est encore bien loin de savoir qui prend le dessus pour mener les politiques étrangères de Trump.
Plutôt que de spéculer sur ces questions, il est peut-être plus constructif de s’interroger pour l’instant sur ce que sont en fait les options stratégiques de Trump, compte tenu des paramètres les plus importants de la réalité. Dans ce contexte, c’est une bonne chose que Henry Kissinger, le penseur stratégique et praticien vivant le plus respecté de la nation, ait déjà rendu publiques certaines de ses vues. N’ayant soutenu aucun des deux principaux candidats à la présidence, mais les ayant rencontrés tous les deux durant la campagne, Henry Kissinger mérite d’être écouté.
On ne peut être certain, bien sûr, que le Président élu, ou son équipe de sécurité nationale, tiendra compte de ses idées. Il serait imprudent de supposer que le Président élu ne prend pas au sérieux les idées qu’il a lui-même souvent exprimées, or celles-ci ne concordent pas spécialement avec celles d’Henry Kissinger. Mais il a demandé conseil à Kissinger et il est fort possible que les responsables de son futur cabinet soient disposés à l’écouter. Il n’y a donc pas de raison de supposer que l’Administration embryonnaire est tellement attachée à une doctrine stratégique particulière que ce qui suit peut être écarté d’un revers de main.
N. F.

Niall Ferguson
Historien britannique. Senior fellow à la Hoover Institution, Stanford University, senior fellow au Center for European Studies, Harvard, et visiting professor à l’université Tsinghua de Pékin. A reçu le Council on Foreign Relations Arthur Ross Book Award en 2016.
Traduit de l’anglais par 
Isabelle Hausser
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/06/2017
https://doi.org/10.3917/comm.158.0301
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