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À la fin tu es las de ce monde ancien », comme écrivait Apollinaire au début d’Alcools ? À la fin tu es surtout las de la crédulité de tes contemporains, se dit un soir monsieur Gastonnet, après la menthe à l’eau de trop. Il était de cette humeur maussade qui vous prend par moments, celle qui donne envie de se pendre ou de se faire couler un bain. Après avoir gambergé face à l’alternative, il opta pour la deuxième solution, plus propice à la réflexion.
N’ayons pas peur des mots : du haut de ses soixante-dix ans, Gastonnet était le plus grand éditeur de la place de Paris. À la tête d’une maison aussi maousse financièrement que classieuse littérairement, cela faisait quarante balais qu’il tenait le haut du pavé. Malgré son œil de lynx et sa ruse de renard, son charisme et sa ténacité, il n’avait cependant pas réussi à nettoyer notre pauvre France de son intellectualisme à trois francs six sous – le goût pour les expérimentations à deux balles, l’esprit de sérieux, la monnaie de singe. Nous avions pourtant atteint l’âge de raison, non ? Alors pourquoi ce vieux pays se laissait-il encore berner par la première arnaque sorbonnarde venue ? Un peu d’humour et de lucidité, que diable ! Qu’on en finisse enfin avec tous ces jean-foutre du jour ! Il n’en pouvait plus, le Gastonnet, et le timing tombait bien : il avait prévu de partir à la retraite dans un an et des poussières, le moment était donc venu pour lui de quitter la partie sur un joli pied de nez. Et c’est là, dans son bain moussant, que l’inspiration le foudroya…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 27/12/2013
- https://doi.org/10.3917/comm.143.0648
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