CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 C’est en avril 1994 que le Rwanda, petit pays d’Afrique, est tragiquement sorti de son anonymat, quand a éclaté le dernier génocide du 20e siècle, et un des pires, si tant est que l’on peut établir une classification de l’horreur. Vingt ans après, il se trouve encore des gens pour nier le terme de génocide et parler de massacres interethniques spontanés. Mais n’est-il pas dérisoire de se disputer après-coup sur la qualification exacte d’un massacre dont rien ne changera la réalité atroce, un million de Tutsi tués en moins de cent jours ?

2 Nous verrons ici comment ce génocide n’était pas un massacre spontané, mais qu’il a été la conséquence directe de mesures prises pendant les trente années qui l’ont précédé, mesures de ségrégation et d’exclusion progressives qui ont isolé et stigmatisé les Tutsi bien avant leur extermination finale.

Bref rappel historique

3 À l’origine de cette tragédie, un malentendu introduit par la colonisation. Comme l’écrit l’historien des génocides Yves Ternon, la thèse des haines ancestrales et de la guerre tribale a été forgée pour masquer la responsabilité de l’Occident, qui en la personne des colons et des évangélisateurs allemands puis belges a introduit au Rwanda la dichotomie ethnique Hutu-Tutsi qui jusque-là n’existait pas en tant que telle [1].

4 Les premiers Européens qui arrivent au Rwanda, vers 1880, trouvent une société organisée autour d’un roi, le mwami, et divisée en trois castes qui se partagent le territoire. Il ne s’agit pas d’identités différentes, mais de catégories basées sur les activités principales de ces trois groupes. Les Batutsi (le préfixe Ba indique le pluriel) sont des éleveurs, les Bahutu des agriculteurs et les Batwa (ou Pygmées), peu nombreux, des chasseurs-cueilleurs. Tous parlent la même langue bantoue, le kinyarwanda, portent les mêmes noms, ont les mêmes pratiques religieuses et sociales.

5 Si cette division existe, elle est contingente et correspond davantage à un statut social, puisqu’un Hutu peut devenir Tutsi et inversement. Le roi et les principaux dignitaires sont Tutsi, et c’est d’abord sur cette élite Tutsi que le colonisateur, allemand puis belge, s’appuie pour administrer le pays, en instillant les bases d’une idéologie raciale étrangère à la culture originelle du Rwanda.

6 C’est ainsi que l’on trouve dans les rapports des administrateurs belges des phrases comme : « Les Tutsi sont des chefs nés [qui ont le] sens du commandement. » La sélection d’une élite fondée jusque-là sur une structure lignagère bascule donc vers une idéologie clairement ethniciste et raciste, qui va servir de base à la réécriture coloniale de l’histoire du pays où le passé va être réinventé par des idéologues européens imprégnés des théories raciales de l’époque. La conjonction du christianisme et des sciences coloniales donne naissance à ce que l’on appelle « l’hypothèse hamitique », fiction tragique qui porte en elle tous les germes des massacres et du génocide qui vont frapper ce pays.

7 Dans le droit fil des représentations coloniales sur les Noirs, des ethnologues et des philologues affirment que les Tutsi ne sont pas des Africains mais des Hamites, soit les descendants de Cham, un des fils de Noé dont la postérité a été maudite dans la Bible. Les Tutsi se voient promus au rang de Blancs africains, métissés au fil du temps, « des Blancs (certes) dégénérés » selon Gobineau, mais exempts des tares du Noir d’Afrique, considéré comme un sauvage et un barbare [2]. Dans un rapport de l’administration coloniale belge, daté de 1925, on trouve ces lignes édifiantes : « Les Tutsi sont un autre peuple. Physiquement, ils n’ont aucune ressemblance avec les Hutu, sauf évidemment quelques déclassés dont le sang n’est plus pur. Mais le Tutsi de bonne race n’a, à part la couleur, rien de nègre [3]. »

8 Très impressionné par leur apparence physique, qui lui rappelle les Égyptiens antiques, le colonisateur va élaborer sa théorie différentialiste, qui place le Tutsi dans une position supérieure à son voisin Hutu et, surtout, en fait un étranger venu d’ailleurs. Ce mythe, échafaudé de toutes pièces à partir d’un imaginaire colonial, va être développé et répandu dans toute la population, devenant ainsi une réalité historique, alors même qu’il ne repose sur aucune preuve scientifique.

9 Le Tutsi se voit élevé au rang d’Africain civilisé et glorifié pour sa ressemblance avec le Blanc : distingué pour les qualités qu’on lui prête, il va bénéficier de la faveur du colonisateur et de la hiérarchie d’une Église catholique très présente au Rwanda, qui s’appuie sur lui pour administrer le pays et servir de relais. Position enviable, mais aussi faveur terrible qui va l’isoler du reste de la population et le désigner plus tard à l’envie à la vindicte populaire : avec ce mythe du Hamite, les Tutsi vont être successivement esthétisés et idéalisés, puis vilipendés, ségrégués, exclus et exterminés. La simplification opérée par la pensée coloniale a installé une bombe à retardement au cœur de la société rwandaise : simplifier, diviser, trier ont été les instruments du pouvoir. Une logique binaire s’est créée, qui oppose le Tutsi, Africain blanc, au Hutu noir, nécessairement inférieur, en effaçant le troisième terme, le Twa, considéré comme quantité négligeable, tant par le nombre que par le statut [4].

10 Or on sait comment les logiques binaires sont porteuses d’affrontement : dès les années trente, l’introduction de la mention Tutsi et Hutu sur la carte d’identité opère une véritable déchirure dans le tissu social rwandais qui va faire basculer le pays dans une logique raciale porteuse de haine. Comment a-t-on décidé de ces mentions ? De nombreux rescapés, enfants à l’époque, racontent qu’un jour, à l’école, on leur a demandé de dire s’ils étaient Tutsi ou Hutu ; ignorants, ils ont demandé à leurs parents qui ont répondu sans vraiment expliquer la raison de telle ou telle appartenance. La division en races, totalement étrangère à la culture du pays, s’est opérée selon des critères arbitraires, le Tutsi étant celui qui possédait au moins dix vaches, et le Hutu étant un cultivateur. On frémit en pensant que cette distinction dérisoire a signé, en 1994, l’arrêt de mort de milliers de personnes.

11 La perspective de l’indépendance, qui interviendra en 1962, donne lieu à une série de violents soubresauts où le colonisateur, comme souvent, joue des forces en présence pour mieux asseoir son influence dans l’après. En fait, le choix des Tutsi par le colonisateur en avait fait des sous-traitants du pouvoir colonial, chargés de l’exécution et de la contrainte, l’aspect le plus odieux de la colonisation [5]. Dès les années cinquante, ils vont payer cher ce cadeau empoisonné, d’autant plus que le pouvoir colonial secondé par le pouvoir catholique va changer son fusil d’épaule et se tourner vers les Hutu désormais favoris – essentiellement en raison de leur supériorité numérique : 85% de la population.

12 Les années qui précèdent l’indépendance sont le théâtre d’affrontements violents, parfois de véritables pogroms, où les Hutu s’organisent pour prendre le pouvoir au départ du colonisateur. Tutsi et Hutu se retrouvent face à face, lestés du lourd contentieux des années de colonisation, quand la structure clanique s’est muée en structure ethnique puis raciale. Les premiers sont désignés comme des étrangers venus d’ailleurs, oppresseurs des seconds qui se proclament les vrais indigènes, seuls légitimes à vivre dans le pays et à le diriger.

13 Les écoliers rwandais apprennent désormais que les paysans « bantous » (comprendre Hutu) ont été spoliés par les envahisseurs « hamites, perfides pasteurs nilotiques [6] ». On assiste ainsi à la mise en place d’une idéologie fascisante, avec la création du parti Parmehutu (Parti de l’émancipation hutu) et la publication en 1957 de son texte fondateur, le Manifeste des Bahutu.

14 Dès 1959, le cycle des massacres est inauguré avec le renversement de la royauté par le Parmehutu, soutenu par le colonisateur belge. Comme l’écrit Yves Ternon, avec l’indépendance « le schéma racial se plaque sur le schéma social et le piège ethnique révèle ses effets pernicieux [7] ». Pendant trente-cinq ans, le Rwanda va connaître une suite de massacres qui précipite l’exil des Tutsi vers les pays voisins, dans un véritable processus de nettoyage ethnique.

De la ségrégation à l’exclusion. La violence prégénocidaire

15 Dans son livre Inyenzi ou les cafards, l’écrivaine Scholastique Mukasonga retrace les étapes de la ségrégation systématique que subissent les Tutsi qui ont choisi de rester dans le pays (Inyenzi est un mot qui signifie « cafard », terme par lequel on désigne les Tutsi). La ségrégation s’exerce de multiples façons, dont la première est la ségrégation dans la langue.

16 Depuis l’étude magistrale de Victor Klemperer sur la langue des nazis, nous savons que l’entreprise génocidaire commence toujours dans la langue : pour devenir tuable, l’autre doit être défiguré dans la langue [8]. La néorealité génocidaire utilise toujours une néolangue qui, en subvertissant la langue usuelle, va exclure les victimes du pacte social dont l’expression langagière est le gage symbolique, pavant ainsi la route du massacre. La prise de pouvoir sur la langue permet de préparer les esprits à bafouer les interdits fondamentaux tout en leur garantissant le maintien dans le groupe et ses normes [9]. Au Rwanda, société agricole, ce sont les mots du vocabulaire rural qui vont servir aux génocidaires pour accomplir leur tâche. Les Tutsi deviennent des cafards ou des serpents qu’il faut écraser, des mauvaises herbes qu’il faut arracher, métaphores que le génocide va traduire dans le réel quand la population tout entière sera invitée à participer au « travail » et au « défrichage ».

17 Mais revenons aux décennies qui précèdent le génocide. Le livre de Scholastique Mukasonga nous fournit une description précise des mesures de ségrégation et d’exclusion dont les Tutsi ont fait l’objet dès la fin des années cinquante. Née dans le sud-ouest du Rwanda, la petite Scholastique voit son enfance bouleversée par la décision du pouvoir Hutu de déporter toute la population Tutsi de cette région fertile vers une région désertique, le Bugesera. Pour tous les Rwandais, le Bugesera est un nom sinistre qui évoque une « savane presque inhabitée, demeure des grands animaux sauvages, infestée par la mouche tsé-tsé [10] ». C’est d’ailleurs là que le roi envoyait les chefs tombés en disgrâce.

18 Il s’agit donc d’un exil à l’intérieur du pays, véritable déportation, avec son cortège de peurs, de violences et de victimes. Encadrés par des miliciens, les nouveaux arrivants retrouvent là des Tutsi rassemblés d’autres régions du Rwanda. Le projet des autorités semble évident : regrouper les Tutsi dans un même territoire, en comptant sur les conditions inhospitalières pour se débarrasser de la majorité d’entre eux. Au début, les déplacés espèrent rentrer chez eux, mais rapidement ils comprennent que le retour est interdit, et que c’est là désormais qu’ils doivent reconstruire leur vie. Ils s’organisent donc, en créant les structures nécessaires à la collectivité – écoles, églises, dispensaires et, bien sûr, cultures. Édifier leur maison, défricher la brousse pour ensemencer un petit lopin de terre qui permettra de subsister en attendant la première récolte de sorgho, telle est la tâche à laquelle s’attellent les parents de Scholastique, comme tous leurs voisins exilés.

19 La vie reprend ses droits et, malgré la nostalgie toujours présente, les exilés commencent à se sentir chez eux. Pourtant, les jours sont loin d’être tranquilles sur la colline de Nyamata (dont le nom est désormais associé aux massacres perpétrés dans l’église, devenue l’un des mémoriaux du génocide). Les habitants sont en butte aux violences commises par les militaires du camp installé à proximité, et on voit à l’œuvre une terreur d’État parfaitement organisée.

20 À bord de leurs camions militaires, les soldats tirent ou lancent des grenades sur la route empruntée par les écoliers, les contraignant à prendre des chemins de traverse à travers la brousse pour éviter d’être blessés – comme cette camarade de l’auteure, qui a eu la jambe déchiquetée par une grenade. La nuit, ils fracassent les portes des maisons, se livrant au pillage, incendiant les maisons et les cultures, semant la terreur partout où ils passent. Quand à cela s’ajoute le couvre-feu, on comprend l’impuissance des habitants face à ces exactions : empêchés de sortir, ils ne peuvent ni envoyer leurs enfants à l’école, ni cultiver leurs champs, sortir chercher de l’eau ou du bois, voire se rendre aux latrines souvent éloignées des maisons. Autant de mesures qui rendent vite la situation intenable.

21 Face à tout cela, les Tutsi ne disposent d’aucun recours légal : la violence d’État a remplacé le droit, et les victimes ne peuvent compter sur une justice totalement acquise au pouvoir, qui laisse meurtres et viols impunis.

22 La ségrégation s’exerce ainsi dans tous les domaines de la vie quotidienne : postes dans l’administration, dont les Tutsi se voient progressivement exclus, et surtout numerus clausus à l’école, qui prive les jeunes de toute possibilité de faire des études supérieures et donc d’accéder à des postes de responsabilité et à une vie meilleure. Le barrage se situe d’ailleurs très en amont, avec le fameux et terrible examen national, qui seul donne accès à l’enseignement secondaire. La politique des quotas fait que seuls 10% des admis peuvent être Tutsi, selon des critères qui n’ont rien à voir avec les notes.

23 Pourtant, Scholastique Mukasonga réussit cet examen et est admise à poursuivre ses études à Kigali, dans le meilleur lycée du pays. Victoire certes, mais victoire chèrement payée, quand la jeune lycéenne devra endurer la ségrégation ouverte qui se pratique dans cet établissement, où les quelques jeunes filles Tutsi font constamment l’objet de brimades de la part de leurs condisciples Hutu. « À Nyamata, j’avais connu la persécution violente et meurtrière : pourtant la chaleur fraternelle du ghetto donnait la force de résister. Au lycée, j’allais connaître la solitude de l’humiliation et du rejet », écrit-elle [11].

Par-delà l’histoire : les constantes

24 Son second roman, Notre-Dame du Nil, récompensé par un grand prix littéraire français, est le récit à peine romancé de ces années de lycée [12]. Ces ouvrages montrent combien la vie des Tutsi est marquée par la ségrégation, jusque dans le milieu scolaire. Au pensionnat où elle fait ses études, la jeune lycéenne est en butte aux tracasseries, parfois violentes, de ses condisciples Hutu, encouragées en cela par le climat de haine et d’impunité qui règne dans toute la société rwandaise. Humiliations, menaces à peine voilées d’extermination : tel est le quotidien des rares élèves Tutsi, contraintes d’accepter le sort qui leur est fait pour mener à bien des études tant désirées.

25 À la lecture de ces ouvrages, on ne peut qu’être frappé de la similitude avec ce que l’on connaît de la ségrégation des Juifs dans l’Europe sous domination nazie, ségrégation qui a mené à l’extermination que l’on sait. Dans un article paru il y a déjà de nombreuses années, je détaillais ces mesures pour montrer comment, sans toujours en prendre la mesure, les Juifs d’Europe se sont retrouvés progressivement isolés des autres citoyens de leurs pays, en butte à une ségrégation systématique qui n’était que le prélude à l’extermination [13].

26 On trouve dans le livre de Ruth Klüger Refus de témoigner[14] et dans le Journal d’Hélène Berr [15] des lignes qui rappellent étrangement celles de Scholastique Mukasonga, écrites pourtant un demi-siècle plus tard. Respectivement autrichienne et française, toutes deux issues d’un milieu bourgeois, Ruth Klüger et Hélène Berr décrivent la façon dont la vie des Juifs se trouve progressivement empêchée par une série de mesures ségrégatives aussi variées qu’arbitraires. Selon les pays, les Juifs sont soumis à des obligations et des interdictions diverses : obligation de recensement, marquage discriminatoire (étoile jaune ou brassard), obligation de prendre le wagon de queue du métro, couvre-feu, interdiction de travailler, d’étudier, de s’asseoir sur les bancs publics, d’aller dans les squares, les bibliothèques, les salles de cinéma et de spectacle, de faire du sport, ce qui revient à les exclure progressivement de l’espace commun en rendant leur vie quotidienne de plus en plus difficile.

27 Ces deux situations, pourtant éloignées dans le temps et l’espace, présentent bien des similitudes. On y voit à l’œuvre un imaginaire racial où la crainte du double impose un démarquage et une ségrégation systématique.

28 La terreur de la ressemblance se traduit par un besoin de différenciation extrême, qui envahit l’espace commun pour créer des barrières là où il n’y en avait pas. La menace d’un autre trop semblable ne peut se conjurer qu’en le simplifiant et le caractérisant : d’où la recherche de grands traits, de spécifications réductrices qui permettent de cerner l’ennemi, en le réduisant à quelques caractéristiques physiques ou psychiques repérables. Il n’est pas besoin de rappeler ici les grandes typologies nazies et leurs descriptions du Juif, tant elles sont connues de tous. Notons cependant qu’on les retrouve, presque à l’identique, dans la revue rwandaise Kangura (Réveille-le !) qui joua un rôle déterminant dans la planification du génocide de 1994. S’inspirant du protocole des sages de Sion [16], la revue dénonce un prétendu plan d’asservissement des populations africaines par les Tutsi, affublés de tous les traits prêtés aux Juifs, – calculateurs, fourbes et menteurs [17].

29 La ségrégation y est prescrite, qui enjoint au Hutu de s’abstenir de tout commerce amical, amoureux ou social avec le Tutsi. La haine de l’autre s’y déploie au grand jour, et le projet génocidaire y est visible pour celui qui veut bien ouvrir les yeux.

30 La ségrégation a fait son œuvre, et le narcissisme des petites différences prend désormais les traits de Thanatos. La haine séparatrice, autoconservatrice et nécessaire à l’identité, telle que Freud la définit [18], a fait place à la haine de l’autre et à une subversion du sens qui culminera dans le génocide [19]. Le contrat narcissique qui assure la possibilité d’une identification symbolique à l’institution sociale est désormais caduc, et la société rwandaise se referme sur elle-même, dans un mouvement d’idéologisation totale [20]. Comme le montre bien René Kaës, l’idéologie se présente comme une sécurité psychique et sociale, qui protège du doute et de l’ambivalence [21] : construction de blocage de la pensée et de clôture du sens, elle substitue la mentalité de groupe au travail de mentalisation tels que Bion les définit [22]. En lieu d’histoire, elle propose un mythe – ici le mythe hamitique – qui va fonctionner comme une origine incontestable. Repliée désormais sur des valeurs qu’elle veut défensives, la société rwandaise traque partout la différence, pour instituer une communauté de coïncidence parfaite dont on sait qu’elle ne peut que conduire au désastre.

31 Le désastre a eu lieu ; le Rwanda d’aujourd’hui en porte encore, et pour longtemps, les marques. Il nous reste à espérer, sans trop y croire, que cet épisode tragique de notre histoire saura, une prochaine fois, « réveiller (à temps) le terrible dormeur » comme le dit Paul Valery [23], ce dormeur qui, à chaque fois, nous fait fermer les yeux sur la barbarie.

Notes

  • [1]
    Y. Ternon, « Le génocide des Tutsi au Rwanda », L’Arche, n° 554, p. 70-81.
  • [2]
    J. A. de Gobineau (1853), Essai sur l’inégalité des races humaines, Paris, Belfond, 1967.
  • [3]
    Cité par C. Coquio, Rwanda. Le réel et les récits, Paris, Belin, 2004, p. 14-15.
  • [4]
    Pour de plus amples développements, voir C. Coquio, op. cit.
  • [5]
    S.M. Sebasoni, Les origines du Rwanda, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 83-84.
  • [6]
    Y. Ternon, « Le génocide des Tutsi au Rwanda », op. cit.
  • [7]
    Ibid.
  • [8]
    V. Klemperer, (1975), LTI. La langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996.
  • [9]
    R. Waintrater, « Tuer sans haine », dans I. Bernateau (sous la direction de), Les territoires de la haine, Paris, Puf, 2014.
  • [10]
    S. Mukasonga, Inyenzi ou les cafards, Paris, Gallimard, 2006, p. 19.
  • [11]
    S. Mukasonga, op. cit., p. 77.
  • [12]
    S. Mukasonga, Notre-Dame du Nil, Paris, Gallimard, 2012.
  • [13]
    R. Waintrater, « L’adolescent dans la Shoah », Adolescence, t. 15, n° 2, 1997, p. 191-203.
  • [14]
    R. Klüger (1992), Refus de témoigner, Paris, Viviane Hamy, 1997.
  • [15]
    H. Berr, Journal, Paris, Taillandier, 2008.
  • [16]
    Les protocoles des sages de Sion est un faux document de la fin du 19e siècle, fabriqué à la demande de la police secrète du tsar et alléguant un plan de conquête du monde par les Juifs et les francs-maçons. Hitler y fera référence dans Mein Kampf pour invoquer le complot juif. Ce document connaît encore un certain succès, devenant à la fois une figure emblématique de l’antisémitisme et de la falsification.
  • [17]
    « Les dix commandements du Muhutu », Kangura, décembre 1997.
  • [18]
    S. Freud (1915), « Pulsions et destins des pulsions », dans OC, t. XIII, Paris, Puf, p. 183.
  • [19]
    R. Waintrater, « Tuer sans haine ? », op. cit.
  • [20]
    Voir à ce propos l’article de S. Gerassimos, « De la haine nécessaire à la clôture totalitaire du sens », Topique, 1, n° 122, 2013, p. 29-44.
  • [21]
    R. Kaës, L’idéologie. Études psychanalytiques, Paris, Dunod, 1980.
  • [22]
    W. R. Bion (1961), Recherches sur les petits groupes, Paris, Puf, 1965.
  • [23]
    « La plupart des crimes étant des actes de somnambulisme, la morale consisterait à réveiller à temps le terrible dormeur », P. Valéry (1930), Œuvres complètes, vol. 2, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1988, p. 531.
Français

Dans tout génocide ou violence de masse, la ségrégation sociale, raciale ou spatiale, est le prélude à l’extermination. La mise en ghetto ou le rassemblement sur des lieux identifiables sont les étapes décisives d’un processus de désignation, de tri et de mise à l’écart souvent initié longtemps avant le crime. C’est précisément la planification ségrégative qui distingue les violences de masse spontanées des crimes de génocide : cette étape consiste à désigner un groupe comme spécifique et différent, pour mieux l’isoler, le qualifier et ensuite l’éliminer, en raison de sa dangerosité supposée. Ainsi, dans le cas des Tutsi au Rwanda, l’idéologie racialiste importée par le colonisateur s’est traduite longtemps avant 1994 par une série de mesures ségrégatives indispensables à l’élaboration et la réalisation du projet génocidaire.

Mots-clés

  • Barbarie
  • extermination
  • génocide
  • ségrégation
  • Scolastique Mukasonga
  • Tutsi

Bibliographie

  • Berr, H. 2008. Journal, Paris, Taillandier.
  • Bion, W.R. (1961). Recherches sur les petits groupes, Paris, Puf, 1965.
  • Coquio, C. 2004. Rwanda. Le réel et les récits, Paris, Belin.
  • Freud, S. (1915). « Pulsions et destins des pulsions », dans OC, t. XIII, Paris, Puf, 2005.
  • Gerassimos, S. 2013. « De la haine nécessaire à la clôture totalitaire du sens », Topique, 1, n° 122, p. 29-44.
  • Gobineau, J.A. de (1853). Essai sur l’inégalité des races humaines, Paris, Belfond, 1967.
  • Kaës, R. 1980. L’idéologie. Études psychanalytiques, Paris, Dunod.
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  • Klüger, R. (1992). Refus de témoigner, Paris, Viviane Hamy, 1997.
  • Mukasonga, S. 2006. Inyenzi ou les cafards, Paris, Gallimard.
  • Mukasonga, S. 2012. Notre-Dame du Nil, Paris, Gallimard.
  • Sebasoni, S.M. 2000. Les origines du Rwanda, Paris, L’Harmattan.
  • Ternon, Y. 2004. « Le génocide des Tutsi au Rwanda », L’Arche, n° 554, p. 70-81.
  • Valéry, P. (1930). Œuvres complètes, vol. 2, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1988.
  • Waintrater, R. 1997. « L’adolescent dans la Shoah », Adolescence, t. 15, n° 2, p. 191-203.
  • En ligneWaintrater, R. 2014. « Tuer sans haine », dans I. Bernateau (sous la direction de), Les territoires de la haine, Paris, Puf.
Régine Waintrater
Psychanalyste, thérapeute familiale, maître de conférences université Paris 7 Diderot - 53 rue de Clichy, F-75009 Paris
rwaintrater@gmail.com
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/10/2016
https://doi.org/10.3917/cm.094.0093
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