CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Notre manière d’exclure est à l’œuvre précisément là où nous nous faisons gloire de notre don d’universelle compréhension. »
Maurice Blanchot, L’entretien infini
« Il faut trouver quelque chose qui ne soit pas iste. »
Romain Gary, Les Cerfs-volants

1 Dans L’interprétation des rêves, Freud écrit comment, enfant, il a été violemment témoin de l’injure faite à son père et de son humiliation : « J’arrive enfin à l’événement de ma jeunesse qui agit encore aujourd’hui sur tous ces sentiments et tous ces rêves. Je devais avoir dix ou douze ans quand mon père commença à m’emmener dans ses promenades et à avoir avec moi des conversations sur ses opinions et sur les choses en général. Un jour, pour me montrer combien mon temps était meilleur que le sien, il me raconta le fait suivant : “Une fois, quand j’étais jeune, dans le pays où tu es né, je suis sorti dans la rue un samedi, bien habillé et avec un bonnet de fourrure tout neuf. Un chrétien survint ; d’un coup il envoya mon bonnet dans la boue en criant : « Juif, descends du trottoir !” – “Et qu’est-ce que tu as fait ?” – “J’ai ramassé mon bonnet”, dit mon père avec résignation. Cela ne m’avait pas semblé héroïque de la part de cet homme grand et fort qui me tenait par la main. À cette scène qui me déplaisait, j’en opposais une autre, bien plus conforme à mes sentiments, la scène où Hamilcar fait jurer à son fils, devant son autel domestique, qu’il se vengera des Romains. Depuis lors Annibal tint une grande place dans mes fantasmes [1]. »

2 Le père de Freud, insulté, épinglé, identifié par un terme appartenant à un discours dominant qui est la marque d’un pouvoir en place, est sommé de descendre du trottoir, de l’espace public commun. Sa place est dans la boue, à l’instar de ce bonnet de fourrure qu’il porte le samedi de prières.

3 Le geste et l’insulte expulsent le père de Freud d’un universel imaginaire, exposé par le discours d’un pouvoir en place, et créent simultanément une catégorie minoritaire. J’entends ici par minorité une catégorie de personnes à qui un discours dominant confisque parole et usage de leur propre corps. La violence de l’insulte contraint au silence, jette l’insulté hors de son histoire, hors du langage même, hors de l’humanité magnifiée dans l’imaginaire d’un idéal universaliste. « Être blessé par un discours, écrit Judith Butler, c’est souffrir d’une absence de contexte, c’est ne pas savoir où l’on est [2]. » La scène de l’humiliation du père produit chez Freud un questionnement sur les effets excluants de la violence du langage et tout à la fois un désir de répondre à cette humiliation. Comment un acte de bannissement (être mis au ban de l’humanité, ainsi qu’il est dit, c’est-à-dire se voir interdire la présence dans un espace commun à tous) peut-il devenir une marque de subjectivation ? Ce souvenir relaté par Freud révèle non pas tant une réalité qu’une vérité : les mots ont un pouvoir double, celui de la blessure, d’une injure, d’une injonction à se taire et celui d’être la condition d’une création, d’une puissance d’être (Annibal [3] et Hamilcar deviennent pour l’inventeur de la psychanalyse des compagnons de route). L’humiliation produit la fierté. Cette souffrance subie par le père et par l’enfant entendant le récit du père produit un désir de comprendre, un désir d’agir pour transformer l’insulte et la honte, pour les transmuer en position subjective. « Si faire l’objet d’une adresse, c’est être interpellé, une appellation offensante risque aussi d’engendrer dans le discours un sujet qui aura recours au langage pour la contrer », écrit Butler [4]. Freud, l’inventeur d’une méthode thérapeutique fondée sur la parole, a précisément recours à la performativité du langage pour penser ses effets thérapeutiques lors d’effractions traumatiques : « Le profane trouvera difficilement concevable, écrit Freud, que des troubles morbides du corps ou de l’âme puissent être dissipés par la “simple” parole du médecin. Il pensera qu’on lui demande de croire à la magie [5]. »

4 Dans le contexte contemporain, la notion d’empowerment (« capacitation », « développement du pouvoir d’agir », « autonomisation », « responsabilisation » ou « émancipation ») signifie ce retournement, cette réappropriation subjective. Cette notion a émergé aux États-Unis dans des situations de lutte pour les droits civiques et de combats féministes et LGBT. Judith Butler qui, parce qu’elle a introduit en Europe les questionnements récents sur « le trouble dans genre [6] » (questionnements disqualifiés par l’expression « théorie du genre [7] »), s’est vue injuriée sur la scène médiatique et les réseaux sociaux de multiples fois. Ce qui nous intéresse ici, c’est la forme que prend l’injure : « La théorie du genre est une théorie de lesbiennes, juives, américaines [8]. » Les trois termes en série produisent l’insulte, charriant de multiples fantasmes concernant le pouvoir (d’une sexualité hors contrôle, hors norme et débridée, d’une appartenance religieuse suspectée de désirer dominer le monde et d’un pays aux souhaits impérialistes et hégémoniques). En son temps, la psychanalyse de Freud avait essuyé l’injure de « science juive [9] ».

5 Le fantasme de l’excès ainsi que du pouvoir et l’idée d’une jouissance sans limite et sans contrôle sont réunis dans une même série. Les sorcières reviennent ! La science officielle et les discours dominants ne peuvent coexister avec ce qui est hors normes, hors contrôle, à la marge d’un centre délimité par les normes. Et c’est paradoxalement en disqualifiant davantage cette marginalité qu’ils la mettent sous contrôle. Cette disqualification peut se manifester par la production scientifique de catégories universalisant des conduites et des comportements et les projetant hors normes, par la supposée tolérance produisant un « nous » et un « eux », ligne de partage qui crée des espaces d’appartenance identitaire imaginaire, et par l’insulte elle-même, parole performative de l’exclusion. Dans son ouvrage Le pouvoir des mots, politique du performatif, Judith Butler montre la façon dont une insulte, en tant qu’interpellation, constitue la reconnaissance d’un sujet, et analyse cet apparent paradoxe. S’il est vrai qu’une insulte humilie et porte atteinte au sujet, « recevoir un nom, écrit Butler, c’est aussi recevoir la possibilité d’exister socialement, d’entrer dans la vie temporelle du langage, possibilité qui excède les intentions premières qui animaient l’appellation. Ainsi une adresse injurieuse peut sembler figer ou paralyser la personne hélée, mais elle peut aussi produire une réponse inattendue et habilitante [10] ». Comment un terme produit-il l’exclusion, le bannissement et la honte pour celui/celle qui le reçoit ? De quelle façon peut-il être également puissance d’agir ? Et de quelles langues la psychanalyse se sert-elle dans sa tentative de rendre compte de sa pratique du langage ?

« Cela commence par l’insulte [11] »

6 Nous l’avons vu, ce qui aujourd’hui est la marque du bannissement condensé dans une injure stigmatisante relève de trois champs, eux-mêmes pris dans un imaginaire historicisable : la religion, l’origine et la sexualité. Un dispositif législatif, depuis les années 1970 en France, condamne les actes et les propos incitant à la haine raciale, antisémite ou xénophobe [12]. Quels sont les effets de refoulement que produisent lois et décrets contrôlant paroles et langage performatifs ? Peut-on décréter un interdit de parole sans fabriquer des effets liés à la répression même, même s’il est vrai que la loi condamne des propos tenus en « public » ? Que serait une parole d’interpellation délestée de ses scories traumatiques, invasives, stigmatisantes ? « Qu’un tel langage véhicule un trauma, écrit Judith Butler, ne justifie pas qu’on en interdise l’usage. Il n’est pas possible de purifier le langage de son résidu traumatique : il n’est pas possible non plus de travailler le trauma sinon par un effort laborieux pour orienter le cours de sa répétition [13]. » Butler insiste sur le fait que le trauma de l’interpellation injurieuse peut constituer une « étrange sorte de ressource ». « Après tout, écrit-elle, le fait d’être nommé par un autre est un événement traumatique : c’est un acte qui précède toujours ma volonté, un acte qui m’introduit dans un monde linguistique dans lequel je peux éventuellement commencer à déployer ma puissance d’agir [14]. » Que l’État soit garant d’une supposée protection contre les « discours injurieux » incitant à la haine raciale et xénophobe renvoie à la nécessité d’une analyse des dispositifs des discours d’État (Judith Butler dans les traces de Foucault s’y attelle dans l’ouvrage auquel je me réfère) sur laquelle je ne reviendrai pas ici.

7 Une minorité est constituée par la confiscation de la parole du sujet lui-même et de l’usage qu’il peut faire de son propre corps : dans cette optique, le champ de la sexualité, charriant toute une « ronde d’injures [15] », est paradigmatique. Dans ce domaine, le discours scientifique est particulièrement porteur de stigmatisation et, en tant que parole d’autorité et d’expertise, aucune loi, ni décret ne peut venir l’interdire. Le discours de la science, en effet, se présente comme universel : en matière de sexualité, la cartographie des « déviances » ou des « aberrations sexuelles » (pour reprendre le terme que Freud utilise) vise une unification des comportements et de « toutes ses sexualités périphériques », selon l’expression de Foucault dans La volonté de savoir. C’est précisément dans le chapitre 2, intitulé « L’implantation perverse », que Foucault analyse les conditions de possibilités des discours sur la sexualité : leur objectif était de pathologiser et de stigmatiser une sexualité hors norme. « Cette mise en discours du sexe, écrit-il, n’est-elle pas ordonnée à la tâche de chasser de la réalité les formes de sexualité qui ne sont pas soumises à l’économie stricte de la reproduction : dire non aux activités infécondes, bannir les plaisir d’à côté, réduire ou exclure les pratiques qui n’ont pas pour fin la génération ? À travers tant de discours, on a multiplié les condamnations judiciaires des petites perversions ; on a annexé l’irrégularité sexuelle à la maladie mentale ; de l’enfance à la vieillesse, on a défini une norme de développement sexuel et caractérisé avec soin toutes les déviances possibles ; on a organisé des contrôles pédagogiques et des cures médicales ; autour des moindres fantaisies, les moralistes mais aussi et surtout les médecins ont rameuté tout le vocabulaire emphatique de l’abomination [16]. » Selon Foucault, le discours de la psychanalyse a également contribué à créer les lignes de partage entre les « pervers » et les « normaux ». Il ne suffit pas, pour dédouaner la psychanalyse et pour disqualifier les critiques de normalisation des sexualités qu’on lui adresse, de se satisfaire du fait que, dans Les trois essais sur la théorie sexuelle, Freud invente « la perversion polymorphe » de la sexualité infantile en général [17] et de s’en tenir à cette forme d’universalisation. En ce sens, Foucault est bien moins critique avec Freud qu’il ne l’est avec la somme des productions de textes psychanalytiques qui fabriquent un dispositif normatif s’exprimant au nom de la psychanalyse. Dans sa conférence Qu’est-ce qu’un auteur ?, Foucault parle de Freud et de Marx comme d’« instaurateurs de discursivité [18] » : « Appelons-les, d’une façon un peu arbitraire, “fondateurs de discursivité” […] Ces auteurs ont ceci de particulier qu’ils ne sont pas seulement les auteurs de leurs œuvres, de leurs livres. Ils ont produit quelque chose de plus : la possibilité et la règle de formation d’autres textes. En ce sens, ils sont fort différents, par exemple, d’un auteur de romans, qui n’est jamais, au fond, que l’auteur de son propre texte. Freud n’est pas simplement l’auteur de la Traumdeutung ou du Mot d’esprit, Marx n’est pas simplement l’auteur du Manifeste ou du Capital : ils ont établi une possibilité indéfinie de discours. […] Quand je parle de Marx ou de Freud comme “instaurateurs de discursivité”, je veux dire qu’ils n’ont pas rendu simplement possible un certain nombre d’analogies, ils ont rendu possible (et tout autant) un certain nombre de différences. Ils ont ouvert l’espace pour autre chose qu’eux et qui pourtant appartient à ce qu’ils ont fondé [19]. »

8 Cette ouverture sur « autre chose », qu’a-t-elle engendré ? Cette prolifération de discours fait usage des bases théoriques freudiennes mais contient aussi d’innombrables différences. Or c’est cette prolifération discursive, qui produit les conditions d’émergence d’un discours scientifique sur la sexualité qui s’imagine unitaire et universel, que Foucault critique, car elle oublie l’histoire qui l’a constituée. Qu’une prolifération de discours fasse science unitaire, tel est le tour de passe-passe épistémologique d’un dispositif de savoir et de pouvoir selon Foucault. Les termes qui émergent de ces discours fixent des identités : on pense à celui de « pervers », mais on pourrait faire aussi l’épistémologie critique du terme « état limite », très en vogue dans un discours psychanalytique contemporain, ou de celui de « phobique [20] » auquel les discours courants apposent de multiples préfixes. Ces termes produisent de l’unique à l’endroit du divers, créent des marquages qui ne disent pas leur nom de stigmate, en somme effacent leur généalogie, qui n’est pas tant une chronologie historique que les strates feuilletées qui constituent leur apparition. Dans cette histoire, la parole des sujets ainsi nommés a disparu. Comme l’écrit Georges Lanteri-Laura dans son ouvrage essentiel sur l’historicisation de l’appropriation médicale du terme perversion et de son usage [21], ces discours relèvent d’« une construction imaginaire où la science dirait le tout du comportement sexuel [22] ». Or, écrit-il encore, « il n’existe pas de science globale du comportement sexuel […]. La culture veut forcer le savoir à fournir des normes [23] ». Ce qui prévaut ici, c’est bien la régulation des conduites, celle que Foucault analysait dans La volonté de savoir. Un savoir demeure disparate, hétérogène, hybride, divers et « citationnel » selon l’expression de Judith Butler. Lorsque les discours analytiques qualifient de « pervers » un sujet (certains vont aujourd’hui parler de « perversion sociale » pour qualifier une « jouissance sans limite » du social), quels effets produisent-ils sur le sujet ainsi interpellé ? « Comment unifier le rôle des expériences relationnelles acquises dans l’enfance, écrit Georges Lanteri-Laura, celui des représentations éthiques du milieu, et le fonctionnement hiérarchisé des centres nerveux ? Le discours, sauf s’il mystifie au nom d’une science achevée, est toujours la mise bout à bout de chapitres sans continuité les uns avec les autres et qui forment des pièces isolées, qui n’ont en commun que leur référent. Ce discours scientifique sur le comportement sexuel ne possède en lui aucun principe intrinsèque d’unification […] car la cohérence apparente de ce savoir lui vient de l’extérieur, en réalité de la nécessité sociale de fournir une théorisation de la sexualité qui est censée parler au nom de la science. Ce n’est donc pas le savoir qui fournit un modèle global du comportement sexuel, car le savoir, pris à la lettre et réduit à celles de ces affirmations qu’on peut contrôler, ne peut que mettre bout à bout des paragraphes provisoires […] sauf la nécessité sociale de feindre un savoir unitaire [24]. » Cette nécessité d’un savoir unitaire, universel, produit bien de la ségrégation, de l’exclusion, de la marge. Plus cet ensemble exclu est unifié, plus il est contrôlable, plus il est contrôlé, plus il est régulé. Le discours scientifique sur la sexualité entraine une « fourniture permanente à la culture d’une régulation des conduites [25] » selon l’expression de Georges Lanteri-Laura.

9 Peut-on alors encore parler d’un diagnostic psychanalytique au regard de cette analyse discursive ? Si l’expérience analytique ouvre à la polymorphie des savoirs du sexuel, au divers, à la « variation sexuelle » pour reprendre un terme freudien, comment rendre compte en un mot de l’expérience subjective ? N’est-ce pas contradictoire de considérer qu’un diagnostic issu d’une longue tradition psychiatrique et médicale, qui répond donc aux ruptures et aux discontinuités historiques, puisse s’énoncer au nom de la psychanalyse ? Dans la forme académique qu’il prend, ne participe-t-il pas au dispositif stigmatisant au nom d’une science qui s’imagine universelle ? Les oripeaux scientifiques des termes utilisés (pervers, phobique, état limite, mais aussi, de façon non exhaustive, paranoïaque, psychotique, hystérique, obsessionnel, délirant ou autre dépressif) n’effacent pas les effets d’exclusion et les traces de stigmates. N’est-ce pas la pente socioclinique que prend actuellement une certaine psychanalyse qui « défère aux vœux de l’étude du marché » selon l’expression de Lacan [26] ? L’expression de ce penchant se manifeste dans l’essentialisation et l’universalisation d’une catégorie liant un acte et une pratique à une identité. Il y a une performativité du discours qui assigne le sujet à une place et qui favorise les processus de naturalisation et d’essentialisation des pratiques et des comportements : Le toxicomane, L’anorexique ou L’homosexuel, mais aussi L’adolescent ou, il y a peu encore, La femme, voire Le féminin, catégorie condensant par le terme même toute une série allusive de comportements disqualifiés. Ce penchant universalisant de la psychanalyse, c’est ce que Monique Wittig épingle dans ce qu’elle nomme la « pensée straight » : « La pensée straight se livre à une interprétation totalisante à la fois de l’histoire, de la réalité sociale, de la culture et des sociétés, du langage et de tous les phénomènes subjectifs. Je ne peux que souligner ici le caractère oppressif que revêt la pensée straight dans sa tendance à immédiatement universaliser sa production de concept, à former des lois générales qui valent pour toutes les sociétés, toutes les époques, tous les individus. C’est ainsi qu’on parle de l’échange des femmes, la différence des sexes, l’ordre symbolique, l’inconscient, le désir, la jouissance, la culture, l’histoire [27]. » L’article défini de la pensée totalisante trace les contours de l’exclusion.

10 Lorsque le discours analytique est irrigué par le discours sociopsychologisant ou par le discours médicopsychiatrique, il perd sa position extraterritoriale et devient l’un des éléments du dispositif normalisant les conduites individuelles. De ce fait, il stigmatise celles qui n’entrent pas dans les catégories dominantes. Or « la question de savoir comment user au mieux du discours est une question spécifiquement éthique [28] », analyse Judith Butler. Dans ces dispositifs médicopolitiques, les paroles sont « des actes de discours qui interpellent [29] » et qui ont le pouvoir d’exclure, de tracer les contours d’une catégorie. La violence de l’interpellation est manifeste, non seulement sous le couvert d’une objectivation médicale, mais aussi par sa pure fonction d’instrument. « Le discours de l’analyste doit se trouver à l’opposé de toute volonté, au moins avouée, de maîtriser, dit Lacan. Je dis au moins avouée, non pas qu’il ait à la dissimuler, mais puisque, après tout, il est facile de redéraper toujours dans le discours de la maîtrise [30]. » Se « dé-maître » donc sans cesse, en ironisant sur ses dérapages possible. Qu’est-ce que cela dit de ma position d’analyste de vouloir savoir à quelle catégorie appartient le sujet que j’écoute (catégorie psychopathologique, sociale, sexuelle, etc.) ? Quel usage ferais-je de ce supposé savoir ? Un argument scientifique auréolé d’un prestige imaginaire ? Un argument d’intimidation liée au pouvoir que cela me confère ? La possibilité de produire de la honte chez l’autre et de jouir de son assujettissement ? L’analyste n’en a donc pas fini avec l’analyse de ses propres modes de jouissance. C’est de sa « fragilité » qu’il est question, comme l’écrit Jean Allouch : « Qu’est-ce donc qui se trouve là plus avant en question, côté psychanalyse et dont le refus conduit plus d’un à s’accrocher à la nosographie comme à une bouée sans laquelle il serait exclu d’exercer ? C’est le rapport de l’analyste au divers comme tel qui pose un problème et se présente comme une nouvelle fragilité, liée, elle aussi, à un renoncement : réglé sur le divers, l’analyste ne pourrait que s’abstenir de proférer cette parole d’autorité (puisque commise par une autorité) qu’est l’assignation d’un sujet à une entité clinique prédéfinie. Réglé sur le divers, l’analyste serait amené à accueillir quiconque en s’abstenant de toute action et pensée identificatoire [31]. » Il est bien vrai alors que « les éclopés guidaient misérablement les exclus [32] ».

11 S’il sait quelque chose de sa position et de sa technique (en dehors de celle qui le lie au transfert, je parle ici de sa position épistémologique), l’analyste s’abstient de toute catégorisation, ou alors il s’agirait de les déconstruire afin de permettre d’autres espaces de subjectivation. Comme l’écrit Jean Allouch : « À vrai dire, la définition stricte du sujet par le signifiant […] suffit à exiger du psychanalyste, dans sa fraternité avec l’analysant, qu’il n’accueille celui-ci qu’en écartant quelque catégorisation que ce soit : nosographique, sexiste, raciale, communautariste. Que sais-je de qui pénètre dans mon consultoire pour me demander une psychanalyse ? Vais-je à son aspect, juger en phénoménologue qu’il est homme, femme, homosexuel, religieux, pauvre, intelligent, noir, jeune ou quoi que ce soit ? Précisément pas. Une psychanalyse, côté psychanalyse, ne s’engage qu’avec cette abstention là.

12 Si Freud, en un geste aussi inaugural que le doute méthodique de Descartes, n’avait su et pu mettre son savoir au vestiaire, faire un pas de côté par rapport à cette pseudo-maîtrise que Charcot exerçait, un mouvement freudien n’aurait tout simplement jamais eu lieu [33]. »

13 Si le langage utilisé par les analystes pour rendre compte de leur exercice du langage dans le transfert ne cesse de vouloir « épingler » un sujet sous les allures d’un discours scientifique, c’est sans doute parce que l’analysant et l’analyste sont liés par un évènement de transfert irréductible au langage lui-même, que la partie engagée entre les deux ne cesse pas de ne pas s’inscrire, et que la confrontation au Réel destitue les positions de pouvoir et de savoir de ceux qui s’engagent dans cette expérience singulière.

« Mon orgueil s’est coloré avec la pourpre de ma honte [34]. »

14 « Les termes utilisés pour nous héler, écrit Judith Butler, sont rarement ceux que nous choisissons (et même quand nous essayons d’imposer des protocoles quant à la façon dont il convient de nous nommer, ils échouent le plus souvent) ; mais ces termes que nous ne choisissons jamais vraiment sont l’occasion de quelque chose que nous pouvons peut-être encore appeler une “puissance d’agir” [35]. »

15 Afin d’ouvrir les espaces d’une « puissance d’agir », Lacan, même s’il n’utilise pas ce terme (anachronique), a pris un soin constant à déconstruire « l’envers de la psychanalyse » : la responsabilité d’un analyste est de se défaire de son pouvoir et du savoir imaginaire qui lui est consubstantiel, au risque pour lui même d’être « excommunié » de la dite communauté analytique. Il a tenté sans cesse de montrer que les lignes de partage, les « dehors » et les « dedans » sont mobiles, souples, produisant des torsions plutôt que des exclusions, des transmutations plutôt que des stigmates. Lacan [36] s’est sans doute voulu le « démoralisateur » de la psychanalyse [37]. La position analytique n’est sous l’emprise ni du religieux, ni du médical, elle est amorale. En 1935 déjà, Jean Genet, qui, dans son œuvre, s’est fait virtuose dans l’art de transmuer la honte procurée par les insultes, de réinvestir l’abjection, de donner aux positions minoritaires et exclues une puissance d’agir, reconnaît à Freud ce nécessaire « amoralisme ». À la question qui lui est posée dans un questionnaire que publie la revue Europe : « Existe-t-il un art ou un groupe d’arts […] qui vous semble aujourd’hui exercer une influence privilégiée sur la culture ? », Jean Genet répond : « Poe, Baudelaire, Novalis, après eux Rimbaud, Stefan George en littérature, un mouvement cubisto-dada et Freud surtout, Freud le génial […] semblent engager la culture dans la recherche de l’inconscient. À la vérité, disent-ils, notre Moi n’est pas seulement ce que nous connaissons consciemment. Il est aussi dans un obscur (encore obscur) subconscient. Une morale – ou plutôt, un amoralisme, va naître, n’en doutons pas, de cette façon nouvelle de chercher. L’avenir est à Freud [38]. »

16 La morale et ses effets de culpabilité peuvent produire honte et angoisse chez le sujet stigmatisé. Comment alors transmuer la honte ressentie lors d’une interpellation stigmatisante en une puissance d’agir ? Il s’agirait de ne pas céder sur la honte, mais plutôt d’apprendre d’elle. C’est encore dans le Séminaire L’envers de la psychanalyse que Lacan se réfère à la honte ; il appelle de ses vœux que la psychanalyse « [produise] une hontologie, orthographiée enfin correctement [39] ». Que dire de la honte ressentie par l’enfant Freud face à l’humiliation de son père insulté ? L’expérience de la psychanalyse serait-elle née aussi de cette transmutation de la honte ? L’hontotologie n’est-elle pas « l’envers de la honte », sa resignification, une position subjective qui permet de se réapproprier « une honte de vivre [40] » et ce, quelles que soient sa religion, son origine, sa sexualité ? Plutôt que de « mourir de honte », vivre « sa » honte, en faire une « hontologie », tels sont ressorts d’un empowerment, d’une agency possible – et ce, quelles que soient les formes que prennent ces puissances d’agir (une analyse, une œuvre, une rencontre amoureuse, etc.).

17 Jean Genet [41], à partir de ce qu’il nomme sa « condition d’enfant naturellement humilié [42] », enfant abandonné, vivant dans la misère, la honte et l’abjection, a transformé les injures en une position subjective qui lui permet d’écrire. « Je me reconnaissais le lâche, le traître, le voleur, le pédé qu’on voyait en moi […], écrit-il, et j’avais la stupeur de me savoir composé d’immondices. Je devins abject. Peu à peu je m’accoutumai à cet état. Tranquillement je l’avouerai. Le mépris qu’on me portait se changea en haine : j’avais réussi [43]. » Métamorphosant ce mépris, cette honte, cette abjection, il les embellit, les héroïse, leur redonne une parole et un corps confisqués par des discours stigmatisants, épinglés « sur le tableau taxinomique des espèces infâmes [44] ».

18 Jean Allouch utilise le terme de pariasitaire [45] pour parler de la position de la psychanalyse. La définition est la suivante : « Paria nom masculin emprunté par l’intermédiaire du portugais paria, en tamoul parayan proprement “joueur de tambour”. Le mot a pris le sens de “personne appartenant à la dernière caste” probablement par une confusion due aux Européens avec un autre mot tamoul, pulliyar. On a aussi évoqué une évolution de sens interne pour parayan, le joueur de tambour étant considéré comme impur parce qu’il accompagnait les morts dans les cortèges funèbres ; mais les hors-castes pratiquaient en général d’autres professions liées à la souillure [46]. »

19 Jean Genet fait de l’expérience d’être un paria social et sexuel aux yeux des autres et aussi de soi-même, une ascèse, une transformation de soi et une aventure subjective, ainsi qu’un poème et un chant. D’autres entonnent ces chants du bagnard, du traître, du voleur, du pédé, pour détourner les insultes et pour transmuer les stigmates. C’est ce chant qu’il laisse aujourd’hui à ceux qui le lisent et le suivent dans le cortège des parias, ceux qui font de leur « honte de vivre » une « manière de vivre ».

Notes

  • [1]
    S. Freud (1900), L’interprétation des rêves, Paris, Puf, 1987, p. 175.
  • [2]
    J. Butler (1997), Le pouvoir des mots, politique du performatif, Paris, Éditions Amsterdam, 2004, p. 24.
  • [3]
    C’est ainsi que Freud orthographie le nom d’Hannibal.
  • [4]
    J. Butler (1997), Le pouvoir des mots, politique du performatif, op. cit., p. 23.
  • [5]
    S. Freud (1890), « Traitement psychique (traitement d’âme) », dans Résultats, idées, problèmes I, 1890-1920, Paris, Puf, 1988, p. 2.
  • [6]
    J. Butler (1990), Trouble dans le genre, Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte, 2005.
  • [7]
    Voir l’article de Réjane Sénac et celui de Florence Rochefort sur l’origine et les effets politiques de cette expression dans Qu’est-ce que le genre ? sous la direction de L. Laufer et F. Rochefort, Paris, Payot, 2014.
  • [8]
    Voir la conférence donnée par Claude Timmerman « La science anthropocentrée » visible sur Youtube. Voir au sujet de cette conférence la tribune de Pascal Maillard dans Médiapart « La “manip” pour tous » dans laquelle il écrit « La supposée “théorie du genre” (elle n’existe pas, rappelons-le) serait, selon quelques dangereux idéologues, “le fruit de lesbiennes juives américaines”. Où trouve-t-on cette thèse antisémite ? Sur un site catholique et sur le site salafiste Al-Imane. La même vidéo. La conférence de Claude Timmerman, un ingénieur qui se fait passer pour un scientifique alors qu’il ne professe que des insanités, circule sur les sites royalistes, catholiques intégristes, dieudonnistes, islamistes, de droite extrême, etc. » (2 février 2014). Voir aussi le livre d’un certain David Horowitz The Professors, qui établit la liste des cent un universitaires les plus dangereux des États-Unis : Gayle Rubin, célèbre anthropologue féministe, juive et lesbienne militante y figure en bonne place. On se souvient aussi de l’accueil injurieux qu’a essuyé l’ouvrage « scandaleux » de Simone de Beauvoir Le deuxième sexe.
  • [9]
    Il est intéressant de rappeler à cet égard plusieurs éléments historiques : Matthias Göring, cousin de Herman Göring, bras droits de Hitler, avait, de ce fait, la haute main sur les questions de psychothérapie dans l’Allemagne nazie. Il s’agissait pour lui de débarrasser les psychothérapies de toutes références à la psychanalyse freudienne (l’inconscient, la sexualité infantile, le transfert, etc.) Matthias Göring devint directeur de la Société générale allemande de médecine psychothérapeutique en 1934. La psychanalyse était désormais considérée comme une « science juive », et de ce fait comme un danger pour l’État, les Lois de Nuremberg (septembre 1935) faisant le reste (les juifs étaient interdits d’exercice du métier de psychothérapeute). En 1936 les psychothérapeutes qui étaient restés à Berlin fondèrent l’Institut allemand de recherche en psychologie et de psychothérapie et demandèrent à Matthias Göring d’en prendre la direction. Sous la menace nazie, Freud doit s’exiler à Londres en 1938. Expulsé, exclu, là encore d’un espace qu’il imaginait commun.
  • [10]
    J. Butler (1997), Le pouvoir des mots, politique du performatif, op. cit., p. 22.
  • [11]
    D. Eribon, Une morale du minoritaire. Variations sur un thème de Jean Genet, Paris, Fayard, 2001, p. 69 ; « L ‘injure marque au fer rouge sur notre corps ce que nous sommes pour les autres, qui devient ce que nous sommes pour nous-mêmes, et puisque ce double de nous-mêmes qu’est le personnage injurié n’est autre que nous-mêmes, ce que détermine l’injure est à la fois notre infamie et notre gloire, puisque c’est une sorte de gloire à l’envers que les autres nous attribuent et que nous ne pouvons reprendre à notre compte, sous peine de ne plus pouvoir vivre », p. 125.
  • [12]
    Voir entre autres les lois Pleven du 1er juillet 1972, la loi Gayssot n° 90-615 du 13 juillet 1990.
  • [13]
    J. Butler (1997), Le pouvoir des mots, politique du performatif, op. cit., p. 74.
  • [14]
    J. Butler (1997), Le pouvoir des mots, politique du performatif, op. cit., p. 74 ; « Une subordination fondatrice, qui constitue cependant la scène de la puissance d’agir, est répétée dans les interpellations continuelles de la vie sociale. Voilà comment on m’a appelé. Parce que j’ai été appelé de telle ou telle façon, j’ai été introduit dans la vie linguistique, et je me réfère à moi-même au travers du langage de l’Autre. »
  • [15]
    Voir la chanson de Georges Brassens La ronde des jurons.
  • [16]
    M. Foucault, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 50-51. C’est moi qui souligne. Pour un panorama des discours contemporains dans une certaine psychanalyse actuelle sur les homosexuel(le)s et les transgenres, je renvoie à l’article très éclairant de Thamy Ayouch, « L’injure diagnostique. Pour une anthropologie de la psychanalyse », Cultures-Kairós, http://revues.mshparisnord.org/cultureskairos/index.php?id=1055.
  • [17]
    G. Lanteri-Laura (1979), Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale, Paris, Éditions Economica, 2012 ; « Nous voyons donc que l’essentiel de ce concept opératoire de sexualité infantile, dès 1905, tient moins de l’affirmation, inutilement paradoxale, de la présence de la sexualité chez les enfants qu’on en tenait jusque là pour dépourvus, qu’à la constatation du caractère obligatoirement conflictuel de l’évolution ontogénétique de la sexualité », p. 87.
  • [18]
    M. Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », juillet-septembre 1969, dans Dits et Écrits 1954-1988, Tome I, Paris, Gallimard, texte n° 69, p. 789-821.
  • [19]
    « Dire que Freud a fondé la psychanalyse, cela ne veut pas dire (cela ne veut pas simplement dire) que l’on retrouve le concept de la libido, ou la technique d’analyse des rêves chez Abraham ou Melanie Klein, c’est dire que Freud a rendu possibles un certain nombre de différences par rapport à ses textes, à ses concepts, à ses hypothèses qui relèvent toutes du discours psychanalytique lui-même ». M. Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », op. cit., p. 804 et 806.
  • [20]
    Voir l’ouvrage de C. Lane (2007), Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions, 2009, Paris, Flammarion, 2009 : « Ma mère avait six ans. Elle jouait au cheval. Terriblement timide, elle préférait galoper sur quatre pattes plutôt qu’affronter sur deux le calvaire d’une conversation avec des inconnus. Les Allemands bombardaient Londres et le sud de l’Angleterre. Mes grands-parents – qui s’inquiétaient pour sa sécurité – ajoutèrent à son angoisse en l’envoyant dans un internat. Elle y passait des heures à gambader dehors, et quand elle ne pouvait rien faire d’autre se retirait dans une salle de répétition où elle jouait du piano avec une ferveur tranquille. Personne ne la trouvait spécialement bizarre, ni ne recommanda qu’on la soumît, en raison d’un comportement original, à une quelconque médication. Mes grands-parents n’accordaient guère d’importance à ces imitations équestres, mises sur le compte de l’excentricité d’une petite fille à qui le ciel avait fait don d’une vive imagination. Ils attendirent patiemment qu’elle perde cette habitude. Les années ont passé. Elle joue toujours du piano, est toujours aussi peu conformiste. Mais c’est une thérapeute renommée […] Aujourd’hui, psychiatres et médecins sont nombreux à affirmer que ceux qui ne sont pas suffisamment extravertis pourraient être des malades mentaux […] La notion de comportement sain s’est tellement restreinte que nos bizarreries et nos excentricités – la gamme émotionnelle normale de l’adolescence et de l’âge adulte – sont devenus des problèmes, que nous craignons et dont nous remettons la solution aux médicaments. Nous ne sommes plus désormais des citoyens légitimement préoccupés de l’état du monde et qui ont besoin parfois d’être seuls. Non. Nous souffrons d’anxiété chronique, de troubles de la personnalité ou de l’humeur, notre solitude désigne une psychose légère ; notre désaccord est un symptôme de “trouble oppositionnel avec provocation” ; nos inquiétudes ne sont que des déséquilibres chimiques qu’il faut soigner avec des médicaments » (p. 7-9 et 17).
  • [21]
    G. Lanteri-Laura (1979), Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale, op. cit.
  • [22]
    Ibid., p. 182.
  • [23]
    Ibid., p. 180.
  • [24]
    Ibid., p. 181.
  • [25]
    Ibid., p. 185.
  • [26]
    « La psychologie est véhicule d’idéaux. La psyché n’y représente plus que le parrainage qui la fait qualifier d’académique. L’idéal est serf de la société. Un certain progrès de la nôtre illustre la chose, quand la psychologie ne fournit pas seulement aux voies, mais défère aux vœux de l’étude de marché. », J. Lacan (1964), « Position de l’inconscient », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 832.
  • [27]
    M. Wittig (1992), La pensée straight, Paris, Balland, 2001, p. 71. « Notre refus de l’interprétation totalisante de la psychanalyse fait dire que nous négligeons la dimension symbolique. Ces discours parlent de nous (les femmes et les homosexuels) et prétendent dirent la vérité sur nous dans un champ apolitique comme si rien de ce qui signifie pouvait échapper au politique et comme s’il pouvait exister en ce qui nous concernent des signes politiquement insignifiants » (p. 69).
  • [28]
    J. Butler, Le pouvoir des mots, politique du performatif, op. cit., p. 59.
  • [29]
    Ibid.
  • [30]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVII (1969-1970), L’envers de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1991, p. 79.
  • [31]
    J. Allouch, « Fragilités de l’analyse », Critique, Où est passée la psychanalyse ?, n° 800-801, 2014, p. 24.
  • [32]
    Aphorisme cité par Jean Allouch dans La psychanalyse est-elle un exercice spirituel ? Réponse à Michel Foucault, Paris, EPEL, 2007, p. 111, voir note 70.
  • [33]
    J. Allouch, « Lacan et les minorités sexuelles », Cités, n° 16, Jacques Lacan, psychanalyse et politique, 2003, p. 71-77. En ligne
  • [34]
    J. Genet (1949), Journal du voleur, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1983, p. 237.
  • [35]
    J. Butler, Le pouvoir des mots, politique du performatif, op. cit., p. 74.
  • [36]
    Sans doute la charge de Didier Eribon contre Lacan dans son ouvrage Une morale du minoritaire. Variations sur un thème de Jean Genet, mériterait d’être parfois nuancée, voir notamment les chapitres 3, 4, 5 et 6 (« L’homophobie de Jacques Lacan » et « Pour en finir avec Jacques Lacan », p. 235-275).
  • [37]
    Je renvoie ici à mon article « Démoraliser le sexe », dans M. Viltard (sous la direction de) Chérir la diversité sexuelle, Paris, Éditions L’Unebévue, 2014, p. 93-111. Comme l’écrit Lanteri-Laura, « la médecine met en place une morale laïque qui comparée à la morale religieuse devait apparaître plus raisonnable » mais elle rend les mêmes « services pratiques» que la morale religieuse […] une hygiène fondée sur la médecine », dans Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale, op. cit., p. 184.
  • [38]
    Europe « Jean Genet », A. Dichy (sous la direction de), n° 808-809, 1996, p. 18-19.
  • [39]
    J. Lacan, L’envers de la psychanalyse, op. cit., p. 209.
  • [40]
    Ibid., p. 210-211 : « Vous allez me dire – La honte, quel avantage ? Si c’est ça l’envers de la psychanalyse, très peu pour nous. Je vous réponds – Vous en avez à revendre. Si vous ne le savez pas encore, faites une tranche, comme on dit. Cet air éventé qui est le vôtre, vous le verrez buter à chaque pas sur une honte de vivre gratinée. C’est ça, ce que découvre la psychanalyse. »
  • [41]
    « D’être un enfant trouvé m’a valu une jeunesse et une enfance solitaires. D’être un voleur me faisait croire à la singularité du métier de voleur. J’étais, me disais-je, une exception monstrueuse. En effet, mon goût et mon activité de voleur étaient en relation avec mon homosexualité, sortaient d’elle qui déjà me gardait dans une solitude inhabituelle », J. Genet, op. cit., p. 277. Didier Eribon lui consacre de très belles pages dans son ouvrage Une morale du minoritaire, op. cit.
  • [42]
    J. Genet, Journal du voleur, op. cit., p. 50.
  • [43]
    Ibid., p. 198.
  • [44]
    D. Eribon, Une morale du minoritaire, op. cit., p. 70.
  • [45]
    J. Allouch, « Cet innommable qui ainsi se présente », Revue Descartes, n° 40, Queer : repenser les identités, 2003, p. 98.
  • [46]
    A. Rey (1998), Dictionnaire historique de la langue Française, Paris, Robert.
Français

Freud raconte dans L’interprétation des rêves le souvenir humiliant de son père insulté. L’insulte expulse d’un universel qui relève de l’imaginaire, produit par le discours d’un pouvoir en place, et crée une catégorie minoritaire. Cette scène paradigmatique produit chez Freud un questionnement sur les effets excluants de la violence du langage et tout à la fois un désir de répondre à cette humiliation. Comment un acte de bannissement peut-il permettre une subjectivation ? Dans Le pouvoir des mots, Judith Butler analyse cette transformation. Quels effets stigmatisants le discours de la science et les diagnostics psychiatriques peuvent-ils avoir sur le sujet ? Si l’injure produit de la honte, celle-ci peut se métamorphoser en puissance d’agir. Les écrits de Jean Genet en sont l’emblème.

Mots-clés

  • Insulte
  • stigmatisation
  • diagnostic psychiatrique
  • humiliation
  • honte
  • puissance d’agir

Bibliographie

  • En ligneAllouch, J. 2003. « Lacan et les minorités sexuelles », Cités, n° 16, Jacques Lacan, psychanalyse et politique, p. 71-77.
  • Allouch, J. 2003. « Cet innommable qui ainsi se présente », Europe, n° 40, Queer : repenser les identités.
  • Allouch, J. 2007. La psychanalyse est-elle un exercice spirituel ? Réponse à Michel Foucault, Paris, epel.
  • En ligneAllouch, J. 2014. « Fragilités de l’analyse », Critique, n° 800-801, Où est passée la psychanalyse ?, p. 19-31.
  • Ayouch, T. 2015 « L’injure diagnostique. Pour une anthropologie de la psychanalyse », Cultures-Kairós, http://revues.mshparisnord.org/cultureskairos/index. php?id=1055
  • Butler, J. (1990). Trouble dans le genre, Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte, 2005.
  • Butler, J. (1997). Le pouvoir des mots, politique du performatif, Paris, Éditions Amsterdam, 2004, p. 24.
  • Eribon, D. (2001). Une morale du minoritaire. Variations sur un thème de Jean Genet, Paris, Flammarion, 2015.
  • Europe. 1996. n° 808-809, Jean Genet.
  • Foucault, M. (1969). « Qu’est-ce qu’un auteur ? », dans Dits et Écrits, t. I, Paris, Gallimard, texte n° 69, p. 789-821.
  • Foucault, M. 1976. Histoire de la sexualité, La volonté de savoir, Paris, Gallimard.
  • Freud, S. (1890). « Traitement psychique (traitement d’âme) », dans Résultats, idées, problèmes I, 1890-1920, Paris, Puf, 1988.
  • Freud, S. (1900). L’interprétation des rêves, Paris, Puf, 1987.
  • Genet, J. (1949). Journal du voleur, Paris, Gallimard, coll. «  Folio », 1983.
  • Lacan, J. 1991. Le Séminaire, Livre XVII (1969-1970), L’envers de la psychanalyse, Paris, Le Seuil.
  • Lane, C. (2007). Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions, Paris, Flammarion, 2009.
  • Lanteri-Laura, G. (1979). Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale. Paris, Éditions Economica, 2012.
  • Laufer, L. 2013. « Démoraliser le sexe », dans M. Viltard (sous la direction de) Chérir la diversité sexuelle, Paris, Éditions L’Unebévue, p. 93-111
  • Laufer, L. 2015. « Éclats de mots : pouvoir de la parole et vulnérabilité », Les Cahiers du genre, n° 58, Corps vulnérables, p. 163-180.
  • Wittig, M. (1992). La pensée straight, Paris, Balland, 2001.
Laurie Laufer
Psychanalyste, professeure de psychopathologie clinique, université Paris-Diderot, CRPMS, USPC - 40, rue du banquier, F-75013 Paris ;
laurie.laufer@wanadoo.fr
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/10/2016
https://doi.org/10.3917/cm.094.0021
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Érès © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...