CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La pensée magique et l’incidence de la magie sur la pensée ont souvent mobilisé l’attention de la théorie analytique. Différentes descriptions, par Freud, Lacan ou d’autres, se sont attachées à cerner cette notion dans un dialogue constant avec les traditions anthropologiques.

2Ainsi, bien avant les détractions actuelles où la comparaison, accusatrice, ne vise que de médiocres et médiatiques battages dont l’inculture le dispute au ressentiment, l’association de la psychanalyse à la pensée magique a souvent été réalisée par des anthropologues, tout autant que par des psychanalystes. Toutefois, plutôt que d’être employé comme une arme contre la psychanalyse, ce parallèle entre un phénomène qu’elle éclairait et son mode même d’opérativité visait à souligner l’efficace particulière que l’analyse et la pensée magique peuvent avoir en commun.

3Accuser donc la psychanalyse d’être une modalité de pensée magique ne dispense pas de réfléchir sur le fonctionnement de la pensée magique, et ses modes opératoires. Ne manquent pas alors d’apparaître de singulières similitudes, dont l’examen renseigne autant sur le mouvement de la pensée que sur l’organisation de la psyché.

4Que signifie cette accusation de pensée magique, qui, sensiblement, ne semble infamante que pour ceux qui la portent ? En quels sens la psychanalyse serait-elle une pensée magique et quelles conséquences cela entraînerait-il sur la pertinence ou la méprise de sa pratique et de sa théorie ? Comment, enfin, si se révèlent des similitudes entre les modalités structurales des opérativités de l’analyse et de la pensée magique, garder une spécificité de la psychanalyse ?

Pensée magique et toute-puissance

5Au sein des deux conceptions principales freudiennes, c’est, d’abord, par le fantasme d’une toute-puissance de la pensée liée à la régression que la magie est appréhendée. « Possibilités d’association », par lesquelles un individu peut reproduire la même superstition que ses ancêtres [1], la magie apparaît dans Totem et tabou comme la plus primitive et la plus importante technique animiste, consistant, à « prendre par erreur un rapport idéal pour un rapport réel [2] ». L’analyse provient ici de Tylor, dont Freud reprend plusieurs positions, conjointement à celles de Frazer. Ces deux auteurs théorisent, dans le cadre d’un évolutionnisme victorien, un passage obligé de toute société par les trois phases de la magie, la religion et la science.

6Freud nuance toutefois cette dimension évolutionniste en introduisant l’idée d’une permanence, dans les trois phases, de ce qui caractérise la magie : la toute-puissance des idées. Attribuée, dans la phase animiste, à l’homme lui-même, cette toute-puissance est cédée aux dieux dans la phase religieuse et paraîtrait réduite dans la phase scientifique, n’était « la confiance en la puissance de l’esprit humain qui compte avec les lois de la réalité, [dans laquelle] on retrouve encore les traces de l’ancienne croyance à la toute-puissance [3] ». La pensée magique est donc un reste irréductible susceptible de surgir derrière toute pensée, toute « scientifique » soit-elle.

7Freud ramène alors le double principe de l’action magique – sympathie et contiguïté [4] – à celui, plus global, du contact [5], et en rappelle l’analogie avec les processus du rêve : la sympathie et la contiguïté fonctionnent à la manière des mécanismes de l’inconscient, ils relèvent du processus primaire.

8La magie témoigne ainsi d’un « narcissisme intellectuel [6] », régression libidinale propre à la pensée du névrosé [7], qui rejoint, dans le parallélisme établi entre ontogenèse et phylogenèse, la pensée de l’enfant et celle du primitif. La pensée magique, dans sa postérité psychopathologique, désigne alors les croyances superstitieuses et rituels conjuratoires propres à la névrose obsessionnelle : toute-puissance accordée aux pensées (vœux de morts ou idées de catastrophes), et pouvoir conjuratoire des idées obsédantes et des actes apotropaïques.

9La conception du monde articulée par l’animisme et la magie est présentée, dans L’inquiétante étrangeté, comme une phase traversée par chaque enfant, laissant des restes dont l’unheimlich est la réactivation. Au fondement d’une pré-histoire de l’adulte et de l’humanité, la pensée magique est donc conçue par Freud comme pensée narcissique régressive. Si Freud semble reprendre la présentation par Lévy-Bruhl de la pensée magique comme reliquat d’une époque préscientifique [8], l’évolutionnisme est ici nuancé : la pensée magique traduit une régression, toutefois propre à toute psyché en ceci qu’il y a de l’inconscient. Elle ne disparaît pas lors de l’avènement d’un âge scientifique, mais demeure susceptible de surgir derrière toute production de la pensée, à la manière des processus primaires au fondement de tout produit des processus secondaires.

10La toute-puissance des idées est alors liée à la magie des mots dans L’homme Moïse et le monothéisme : elle est expression de la fierté de l’humanité devant le développement du langage, où les activités psychiques « supérieures », représentations, souvenirs et processus de déduction viennent remplacer les activités « inférieures » issues des perceptions immédiates des organes des sens.

Pensée magique, magie du mot et efficace de la parole

11Parallèlement à cette notion de toute-puissance des idées, Freud développe donc une analyse de la pensée magique en lien avec le langage et la magie du mot. Cette dimension est systématiquement rattachée à la fonction de la parole dans la cure. Dans « De la psychothérapie », il s’agit pour Freud de laver la psychothérapie analytique de l’accusation de procéder d’un « mysticisme moderne » et de son apparence « antiscientifique [9] ». La « magie du mot » peut faire disparaître des manifestations morbides psychiques, soutient-il, car les paroles sont un agent de suprême influence [10].

12Soulignant, de nouveau dans L’analyse profane, que l’analyste n’utilise aucun instrument, ne prescrit aucun médicament, Freud se heurte au dédain de son interlocuteur imaginaire, qui sous-estime la portée des mots. De cette magie, l’analyse se distingue par son rythme – le charme n’y agit pas aussi vite – mais elle s’en rapproche par l’utilisation de la parole. C’est en ces termes que Freud l’évoque :

13

« Nous ne voulons d’ailleurs pas mépriser la Parole. N’est-ce pas un instrument puissant, le moyen par lequel nous nous révélons les uns aux autres nos sentiments, la voie par laquelle nous prenons de l’influence sur l’autre ? […] Assurément, tout au commencement était l’action, la parole vint plus tard : ce fut sous maints rapports un progrès culturel quand l’action se modéra et se fit parole. Mais la parole était à l’origine un charme, un acte magique, et elle a conservé encore beaucoup de son ancienne force [11]. »

14La contradiction d’une importance de la parole et d’une primauté de l’acte pourrait étonner : la citation gœthienne « Au commencement était l’action » sur laquelle s’achevait Totem et tabou semble s’opposer au pouvoir fondateur, créateur de la parole. Mais l’acte originaire dont il s’agit ici est celui du meurtre du père de la horde primitive, acte antérieur à la religion qui, par la voix de saint Jean, mettait le verbe au commencement. Observons toutefois que cet acte ne fait sens que s’il est repris par la parole de la théorisation analytique, et celle échangée entre l’analysant(e) et l’analyste. Ainsi donc, l’efficace d’une pensée magique vient-elle ici redistribuer le départ entre acte et parole, dans l’institution d’une modalité propre à la cure analytique : l’acte de parole.

15On ne manque pas de penser ici à la notion austinienne de performativité de la parole [12] : les « conditions de félicité [13] » de cette performativité tiennent à la nature même du dispositif analytique, qui, par le déploiement d’une parole, fait advenir un sens. Dans la parole de l’analysant(e) se formule un propos qui ne sait à l’avance ce qu’il tente d’articuler, et qui, en construisant ce dire, réalise un faire psychique. La pensée magique est cette incidence particulière du mot qui effectue ici un acte : celui de l’élaboration. Si la psychanalyse est talking cure, c’est parce qu’on peut y trouver dans le langage un substitut à l’acte, « équivalent grâce auquel l’affect peut être abréagi presque de la même manière [14] ». Au gré de l’évolution de la théorie freudienne, c’est le concept de perlaboration (Durcharbeitung) qui remplace alors l’abréaction [15].

16La pratique analytique convoque donc la pensée magique dans son second sens d’efficace de la parole : cette magie du mot et sa portée a partie liée à l’affect, elle advient dans un travail de perlaboration, visée de l’analyse où le dire devient faire.

Les traditions anthropologiques : du langage à l’efficacité symbolique

17Abordons maintenant les références anthropologiques dans lesquelles les psychanalyses freudienne puis lacanienne précisent leur définition de la pensée magique. Si le débat de la pensée magique met en interlocution Freud et l’école anglaise – Tyler, Frazer, mais aussi Malinowski et Evans-Pritchard – l’évocation de Mauss [16] semble préparer l’échange fructueux entre Lacan et l’« école française », davantage représentée par Lévi-Strauss. La tradition anglaise entreprend d’inscrire la notion de pensée magique dans une systématicité linguistique – essentiellement contextuelle – avec Malinowski. Cette systématicité analysée par Mauss est radicalisée par Lévi-Strauss en efficacité symbolique, perspective qui, lorsqu’elle est reprise par Lacan, achève d’inscrire l’acte analytique dans cette efficace de la parole.

18La pensée magique est rapportée par Mauss et Hubert au concept de mana[17]. Aux deux lois de la ressemblance et de la contiguïté mises en exergue par Frazer, Mauss ajoute une loi des contrastes : la magie découpe le réel selon des différences, dans une conception du groupe social comme jeu de différences, système comparable aux phénomènes linguistiques.

19Ce rapprochement est systématisé à travers la notion de symbolique par Lévi-Strauss, pour qui « en magie comme en religion comme en linguistique, ce sont les idées inconscientes qui agissent [18] ». Le mana est appréhendé selon une logique symbolique propre aux lois les plus générales du langage, à la manière d’un signifiant disponible, « valeur symbolique zéro », « signifiant flottant » au contenu indéterminé et susceptible d’accueillir tout signifié. Il vient suppléer le défaut fondamental de la fonction symbolique, irréductible non-correspondance bi-univoque entre signifiant et signifié [19].

20Dans un autre texte fondateur [20], Lévi-Strauss s’attache à analyser l’action de la thérapeutique magique opérée par un chaman indien Cuna traitant un accouchement douloureux. Le chaman développe un mythe, récit d’un voyage à la recherche de l’âme (purba) dérobée par Muu, l’esprit responsable de la création de l’enfant. L’« efficacité symbolique » de cette cérémonie magique tient au parallélisme établi entre les structures de la réalité physiologique de la parturiente et de la réalité mythique communautaire, « elle consisterait précisément dans cette propriété inductrice que posséderaient, les unes par rapport aux autres, des structures formellement homologues pouvant s’édifier, avec des matériaux différents, aux différents étages du vivant : processus organiques, psychisme inconscient, pensée réfléchie. La métaphore poétique fournit un exemple familier de ce procédé inducteur [21] ».

21Le corps souffrant est ainsi inclus dans le système signifiant du mythe, qui, par sa structure, installe l’arbitraire des douleurs dans un système cohérent et agit sur l’affect. La cure chamanistique est alors comparée à la cure analytique : il s’agit dans les deux cas d’amener à la conscience des contenus restés inconscients, dans un dénouement relevant de la perlaboration [22]. L’anthropologue pointe, dans les deux, « une transformation organique consistant essentiellement en une réorganisation structurale en amenant le malade à vivre intensément un mythe [23] ».

22L’anthropologie structurale confirme donc cette définition de la pensée magique en lien avec le langage et le symbolique. La théorie lacanienne ne manque pas de nouer un dialogue avec cette anthropologie, en définissant, elle aussi, une primauté du langage dans la pensée magique.

La psychanalyse : quelle pensée magique ?

23Une des premières occurrences de ces analyses lévi-straussiennes dans les propos de Lacan a lieu dans la conférence « Le symbolique, l’imaginaire et le réel ». Interrogeant le caractère irrationnel de l’analyse, et, partant, son efficacité, dans le cadre d’un questionnement sur la parole, Lacan évoque la notion de pensée magique en ces termes :

24

« Nous abondons dans un certain nombre de vues psychologiques plus ou moins partielles du sujet patient ; nous parlons de sa “pensée magique” ; nous parlons de toutes sortes de registres qui ont incontestablement leur valeur et sont rencontrés de façon très vive par l’expérience analytique. De là à penser que l’analyse elle-même joue dans un certain registre, bien sûr, dans la pensée magique, il n’y a qu’un pas, vite franchi quand on ne part pas et ne décide pas de se tenir tout d’abord à la question primordiale : “Qu’est-ce que cette expérience de la parole” et, pour tout dire, de poser en même temps la question de l’expérience analytique, la question de l’essence et de l’échange de la parole. »

25Lacan, ici, ne nie pas que l’analyse joue dans le registre de la pensée magique : il n’y aurait qu’un pas à le penser, vite franchi si l’on ne s’attarde pas à étudier les fondements de la parole. Le texte laisse toutefois non tranchée la question de savoir s’il faut ne pas franchir ce pas ou si au contraire il convient pour ne pas le franchir trop vite d’étudier la parole. En d’autres termes, il reste possible d’entendre que seule l’étude de la parole – et de son efficace magique – permet de rapprocher plus adéquatement analyse et pensée magique.

26Nous retrouvons ici l’efficace de la parole et la magie du mot soulignées par Freud, dans leur rôle de médiation dans la cure, gage de la valeur symbolique d’une relation interprétative. Opposée au seul registre de l’imaginaire, la parole est ici acte, faisant que « quelque chose existe qui n’existait pas avant ».

27Maintenant le dialogue avec les positions lévi-straussiennes [24], Lacan présente à nouveau la psychanalyse en lien avec la pensée magique dans le « Rapport de Rome ». À l’efficace de la parole semble s’opposer la « mauvaise conscience que l’analyste a prise du miracle opéré par sa parole [25] », alors définie en ces termes :

28

« Il interprète le symbole, et voici que le symptôme, qui l’inscrit en lettres de souffrance dans la chair du sujet, s’efface. Cette thaumaturgie est malséante à nos coutumes. Car enfin nous sommes des savants et la magie n’est pas une pratique défendable. On s’en décharge en imputant au patient une pensée magique. Bientôt nous allons prêcher à nos malades l’Évangile selon Lévy-Bruhl. En attendant, nous voici redevenus des penseurs, et voici aussi rétablies ces justes distances qu’il faut savoir garder avec les malades et dont on avait sans doute un peu vite abandonné la tradition si noblement exprimée dans ces lignes de Pierre Janet sur les petites capacités de l’hystérique comparées à nos hauteurs [26]. »

29Le ton est ironique, la moquerie déclarée : la « thaumaturgie malséante », la magie comme pratique indéfendable face aux perspectives des « savants » ou des « penseurs », l’« Évangile selon Lévy-Bruhl » et l’archaïsme de la mentalité prélogique ou les « petites capacités de l’hystérique » opposées aux « hauteurs » du clinicien, voilà autant de railleries de pratiques qui fustigent la fonction magique de la parole au nom de la science.

30C’est dans un style similaire que Lacan aborde de nouveau l’accusation de pensée magique portée sur la psychanalyse, dans « Variante de la cure type ». La pensée magique dont on taxe l’analyse est désignée en ces termes :

31

« Car, étant tenu pour acquis que l’analyse ne change rien au réel, et qu’elle “change tout” pour le sujet, aussi longtemps que l’analyste ne peut dire en quoi consiste son opération, le terme de “pensée magique” pour désigner la foi naïve que le sujet dont il s’occupe accorde à son pouvoir n’apparaîtra que l’alibi de sa propre méconnaissance. S’il est en effet maintes occasions de démontrer la sottise constituée par l’emploi de ce terme dans l’analyse et au dehors, on trouvera sans doute ici la plus favorable pour demander à l’analyste ce qui l’autorise à tenir son savoir pour privilégié [27]. »

32Le texte introduit ici une nuance : Lacan ne conteste pas l’emploi de ce terme de pensée magique, mais plutôt sa réduction au seul sens d’une « foi naïve » de l’analysant(e). L’efficacité symbolique de la cure par la parole n’est pas ici opposée à la pensée magique : ce qui distingue la « connaissance » de l’analyste tient à ceci qu’il « porte la parole [28] », l’accueille, et fait ainsi d’une fonction commune à tous un usage particulier.

33Gageons alors que si psychanalyse et pensée magique se distinguent, c’est eu égard au premier des deux aspects précédemment présentés de la pensée magique : la toute-puissance des idées.

34Dans « La chose freudienne », l’accusation de « pensée magique » portée à l’analyse est à nouveau déconstruite :

35

« Ainsi, de dénoncer la pensée magique, on ne voit pas que c’est pensée magique, et en vérité l’alibi des pensées de pouvoir, toujours prêtes à produire leur rejet dans une action qui ne se soutient que de son joint à la vérité [29]. »

36Qu’entendre ici, sinon que cette accusation participe elle-même de ce qu’elle dénonce : elle crée par des mots une réalité (celle d’une non-scientificité de la psychanalyse) qu’elle fustige pour cet usage même des mots – dans une pétition de principe du réquisitoire. En outre, elle convoque cet autre aspect de la pensée magique : la toute-puissance des idées. L’« alibi des pensées de pouvoir » semble en effet renvoyer à cette toute-puissance, produisant, aujourd’hui encore, le rejet de la psychanalyse au nom d’une scientificité unique.

37La caractéristique récurrente, sous la plume de Lacan, de la pensée magique tient à sa dimension d’imputation aux autres [30].

38Les « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » reprennent l’accusation de pensée magique adressée à la psychanalyse :

39

« On nous impute de soutenir la puissance magique du langage. Tout au contraire professons-nous qu’on rend obscure cette puissance à la renvoyer à une aberration supposée primitive du psychisme et que c’est s’en rendre complice que de lui donner ainsi la consistance d’un impensable fait. Il n’y a pas de plus grande trahison de sa propre praxis que celle où tombe ici l’analyste [31]. »

40La « puissance magique du langage » n’est ici récusée que si elle est réduite à un fonctionnement primitif, prélogique et préscientifique du psychisme. L’accusation de pensée magique, en s’arrêtant à l’inconsistance ou au prélogisme, participe elle-même d’une pensée magique : elle substitue la toute-puissance des idées à l’analyse structurale du langage susceptible de rendre compte de son efficace.

41Dans « La science et la vérité », la magie est à nouveau définie dans une perspective lévi-straussienne : c’est ici son efficacité symbolique qui est convoquée, en ce qu’elle appelle le « signifiant dans la nature » par le « signifiant de l’incantation », là où le chaman participe et de l’incantation et de la nature. Dans la lecture structuraliste proposée, la magie est conçue sous la forme de la vérité comme cause efficiente. La psychanalyse est incitée à ne concevoir la vérité que comme cause matérielle, matérialité du signifiant agissant séparément de la signification, à l’exclusion des modes de relation à la vérité propres à la magie, la religion et la science [32]. Toutefois, ce départ entre psychanalyse et pensée magique n’en définit pas moins les deux en opposition à la science : précisément en ce qu’elles n’accordent pas la même hypostase au savoir, et ne stigmatisent pas les autres modalités de la vérité comme savoirs prélogiques et préscientifiques.

42La pensée magique dont s’écarte la psychanalyse est alors celle, projective, que l’on impute à la pensée de l’autre qui, pour ne pas être comprise immédiatement dans les catégories habituelles de la rationalité, est « psychologisée ». Plus que sur la dimension de toute-puissance, c’est sur le deuxième aspect de la pensée magique que porte ici l’intérêt : il s’agit d’expliquer et de comprendre les fondements de l’efficace de la parole [33].

43L’attitude de Lacan à l’endroit de la pensée magique est donc toute nuancée. À plusieurs reprises, il souligne la dimension projective que prend cette accusation, lorsqu’elle est portée contre la psychanalyse. Si, en outre, la toute-puissance des idées est refusée dans un rapprochement entre psychanalyse et pensée magique, la perspective lacanienne, soucieuse d’inscrire l’inconscient dans la loi du signifiant, reprend à son compte la deuxième caractéristique de la pensée magique, celle que Lévi-Strauss nomme « efficacité symbolique ».

44À l’issue de ce parcours rapide dans les œuvres de Freud et Lacan, il appert que l’accusation de pensée magique n’est pas univoque lorsqu’elle porte sur la psychanalyse. Il convient de distinguer un premier sens de la pensée magique comme toute-puissance des pensées liée à un mouvement régressif. Modalité propre au fonctionnement de l’inconscient, elle est susceptible de surgir derrière toute pensée scientifique ou dans le transfert, et le travail de l’analyse, remémoration, répétition, et perlaboration d’une posture affective réduisant cette toute-puissance, porte sur elle. Dans un second sens, la pensée magique apparaît comme efficace et performativité de la parole : l’analyse, dans son dispositif, ses modalités, et sa conception de l’incidence de la parole et du langage sur l’inconscient, est alors le lieu même de ce dire en passe d’opérer et d’agir. Reconnaître donc la congruence entre la pensée magique, le langage et l’inconscient peut rapprocher les modalités de l’analyse de l’opérativité d’une forme de pensée magique – celle qui favorise l’efficace de la parole. Comment faire toutefois que cette dimension caractéristique de la perspective analytique soit à même d’être reconnue dans sa spécificité ?

45En d’autres termes, comment reconnaître l’efficacité symbolique propre à la psychanalyse sans que cela n’entraîne, dans le discours articulant ce propos, l’autre versant de la pensée magique, la toute-puissance de la pensée ? Il s’agit ici de reconduire cette question du plan de la pratique de l’analyse à celui de sa théorisation : la théorie ne sacrifie-t-elle pas à l’arbitraire d’une pensée magique, qui, par la grâce d’une nomination, prendrait des mots pour des choses ? Seule, nous semble-t-il, une mise en exergue du type de scientificité particulier de la posture théorisante analytique permettrait de répondre à cette question. Il convient donc de procéder ici à une étude de l’épistémologie spécifique de la théorisation analytique.

Théorisation et critiques de la théorisation

46Commençons par rappeler, comme le soulignait Freud en 1923, que le vocable « psychanalyse » est le nom :

47

« 1. D’un procédé d’investigation des processus psychiques, qui autrement sont à peine accessibles ; 2. D’une méthode de traitement de troubles névrotiques, qui se fondent sur cette investigation ; 3. D’une série de conceptions psychologiques acquises par ce moyen et qui fusionnent progressivement en une discipline scientifique nouvelle [34]. »

48La définition rend indissociables, dans les postures clinique et théorique, l’accessibilité d’un objet, les modalités particulières de son investigation, la méthode de « traitement » conjointe de cette investigation, et la scientificité particulière du corpus théorique qui en résulte. En d’autres termes, recherche, clinique et théorisation sont ici inséparables : l’objet « inconscient » n’est que ce qu’en dévoile la procédure même de son abord. En ce sens, la théorisation analytique a d’emblée une dimension de pensée magique, comme toute science tautologique symbolique : elle détermine, par sa perspective d’étude, l’objet même étudié, le crée par l’acte de parole qui le théorise.

49Cette dimension magique peut entraîner une toute-puissance de la pensée, et dans certains cas, le dispositif théorique s’accompagne d’une construction folle, qui rend patente l’inféodation de la logique de la connaissance à celle du désir. La psychanalyse a souvent souligné l’articulation de ces deux logiques dans les autres théories, en révélant le sous-bassement pulsionnel de toute perspective de connaissance. C’est la critique que Freud adresse à la toute-puissance de la pensée caractérisant la philosophie, en effectuant un rapprochement entre la philosophie et certains traits des psychoses [35]. Le propos est clair lorsqu’il soutient, dans le texte consacré à la Weltanschauung, que la philosophie aurait « conservé beaucoup de manifestations de l’animisme : surestimation de la magie du mot et toute-puissance de la pensée [36] ».

50Si donc un abord analytique de la systématisation philosophique consiste à déceler la toute-puissance des idées au fondement de sa théorisation, comment exempter de cet abord analytique la théorie même de la psychanalyse ? Ne doit-on pas, pour maintenir une attitude psychanalytique à l’endroit de toute théorisation, admettre la nécessité d’étendre cette critique à la théorie analytique elle-même ? La question qui ici se pose est celle du lieu d’énonciation du discours : depuis quel emplacement peut être formulé un discours de critique de la pensée magique comme toute-puissance des idées au fondement de la théorisation, et dans quelle mesure cette posture exempte de la critique le discours la proférant ?

51Il convient, pour tenter de répondre, d’étudier le lien entre le langage théorisant que la psychanalyse met en œuvre et l’objet qu’elle cherche à théoriser.

Théorie et langage : la spécificité discursive

52Si la psychanalyse articule une critique du niveau pulsionnel au fondement de toute attitude de connaissance et de théorisation, c’est en interrogeant sur le lieu d’énonciation du discours, plutôt que sur l’énoncé. Cette perspective conduit Lacan à définir la psychanalyse comme discours portant non pas sur le savoir mais sur la vérité, ne se confinant, dans sa formulation, qu’à un « mi-dire ».

53La procédure de théorisation de la psychanalyse et la position depuis laquelle elle émet son discours importeront donc plus que le contenu lui-même de ce discours. C’est ici, nous semble-t-il, le sens du recours, par Lacan, à des mathèmes, presque vides de contenu, pour déployer la théorisation psychanalytique et exprimer le primat de la procédure sur le contenu, de l’énonciation sur l’énoncé [37]. C’est alors le discours de l’analyste, contrepoint exact du discours du maître, qui devra dévoiler la vérité du savoir : en posant la question de la visée du savoir, il recueille le discours de l’inconscient, dans un « mi-dire ». Il ne peut donc, pour saisir cette vérité, obéir aux lois structurales propres au discours du maître ou discours de la science. Le sujet de l’inconscient que vise la théorisation psychanalytique se distingue en effet radicalement du sujet de la science.

54Dans l’institution de la psychanalyse comme corpus théorique, ce n’est toutefois pas ce sujet de l’inconscient qui théorise. Le risque serait alors de faire de la théorie une forme-sens, traduction de vaticinations devant résonner dans l’hermétisme de leur forme. En d’autres termes, reconnaître une congruence formelle de structure entre les processus de l’inconscient, et le discours qui s’attache à en rendre compte – dans une efficacité symbolique semblable à celle décelée par Lévi-Strauss dans le parallélisme des structures du mythe et de la douleur de la parturiente – ne suffit pas à garder ce discours théorique des risques d’une toute-puissance des idées. Le théoricien analytique s’ouvre à la vérité, mais la « ressaisit », au moment de théoriser, dans un mouvement d’organisation rationnelle, sans quoi la transmission de la psychanalyse comme contenu disciplinaire théorique serait compromise, ou cantonnée au seul « rite initiatique » d’une pratique indépendante de toute théorie.

55La question qui surgit ici est alors de savoir si une théorisation psychanalytique rendant compte de ce qui échappe au discours du savoir doit défier toutes les règles de ce discours ou, au contraire, veiller à soumettre son propos à un impératif de clarté ?

Entre efficace de la parole et toute-puissance des idées : la métaphore

56La question qui conduit cette réflexion est double : elle consiste à demander comment la position de théorisation de la psychanalyse ne tombe pas sous le coup de sa propre critique de la toute-puissance des idées propre à tout discours rationnel théorisant, et comment, en outre, si elle y parvient, elle peut rendre compte de processus primaires par une symbolisation relevant de processus secondaires.

57La théorie peut recevoir divers statuts en psychanalyse freudienne :

  • elle articule une critique du mode de connaissance, et de la pulsionnalité, entendue ici comme toute-puissance régressive de la pensée au fondement de toute connaissance ;
  • elle peut revendiquer un statut hypothétique, voire fictif, lorsque Freud fait recours à la sorcière métapsychologie et à son cortège de « fantasmatisations [38] » ;
  • sous la forme des écrits techniques, enfin, elle produit un savoir « pragmatique », une technique, propre aux études de cas, au déroulement du transfert et à la conduite de la cure.
Ces trois niveaux, critique de la connaissance, fiction et « technique », sont liés deux à deux par efficacité symbolique : entre chacun d’eux, deux à deux, intervient une congruence de structure, permettant une efficace de la parole qui viendrait, de manière analogique au travail de la cure, limiter la toute-puissance des idées. L’opérateur principal ici est celui de la métaphore : elle fournit, soulignait Lévi-Strauss, un exemple de ce processus inducteur de l’efficacité symbolique, homologation de structures formelles distinctes entrant en résonance [39].

La métaphore entre critique de la connaissance et technique

58Entre la critique de la connaissance et le « savoir pragmatique », la métaphore fonctionne comme transport, transfert, fondé sur une isotopie entre la séance analytique et la théorie analytique. La particularité propre à la séance donne à l’écriture analytique sa spécificité : un texte analytique ne s’ouvre pas à la lecture selon les seules modalités spéculatives, mais est supposé révéler un niveau distinct à ceux qui ont traversé une analyse. Dans l’autre sens, et par le même isomorphisme, la théorie se conçoit comme prolongation du champ d’analyse de l’analyste.

59Si une différence entre les lectures de la théorie tient à la pratique de l’analyse, ce n’est pas pour faire de la théorie analytique la « chasse gardée » des analystes, mais en tant que cette pratique permettra le mouvement, l’évolution, la réorganisation sémantique d’un texte ne livrant son sens que dans un travail de perlaboration. L’analyste interprète alors le texte analytique grâce au travail en lui de l’analyse, impliquant, dans sa diachronicité, un questionnement constant des concepts par sa pratique, une transformation de la théorie qu’il lit en sa propre théorie réinterrogée, par-delà la toute-puissance des idées.

60La métaphore, littéral portage, procède au transport de cette transformation affective de la cure dans la théorisation. Elle investit la réalité pulsionnelle, idéellement toute-puissante de la théorie par l’affectivité postanalyse de l’analyste, vient ensuite soumettre la théorie à l’expérience de l’analyste avec son analysant(e), puis, dans l’autre sens, orienter cette expérience. Une efficacité symbolique agit ici en ce que la structure et la structuration de la théorie se trouvent en congruence avec celles de la pratique de l’analyse comme analysant et comme analyste.

La métaphore entre critique de la connaissance et fantasmatisation

61Entre la critique de la pulsionnalité comme toute-puissance des idées au fondement de la connaissance et la fantasmatisation, la métaphore vient jouer comme tampon séparant la folie de la raison.

62La théorie s’abouche à la folie lorsqu’elle atteint une rigidification dogmatique empêchant toute interrogation et la figeant en « parole de maître », ou, à l’inverse, est élucubration rhapsodique échappant à toute spécularité, sous couvert d’un souci de forme-sens où le mouvement de la théorie exprimerait celui de l’inconscient.

63Eu égard au premier aspect, observons que la psychanalyse ne vient pas s’ajouter aux autres théories, dans la mesure où elle ne fonctionne pas à leur manière. Plus qu’un corpus théorique fixé, formel et rationnel, il s’y agit de mouvements théoriques, d’opérations analytiques, qu’il semble préférable de nommer méthode ou interprétation analytique plutôt que théorie. Ici, plus que la construction d’une théorie, la déconstruction est centrale : la méthode psychanalytique met en œuvre un travail de dissolution, elle agit, comme le souligne Freud, « per via di levare » plus que « per via di porre[40] ». En ce sens, ce que la théorie peut proposer d’ériger, n’est, comme vient l’indiquer la métaphore, qu’un échafaudage, qu’on prendra garde de ne pas confondre avec le bâtiment lui-même [41] en l’ontologisant, dans une circularité qui retrouverait dans l’objet ce que les fantasmes du théoricien y mettent.

64La théorie peut alors apparaître comme fiction, et pour éviter tout dogmatisme d’une théorie rigidifiée, Freud propose d’attribuer à la métapsychologie la forme la plus spéculative : celle du mythe. L’efficacité symbolique de la théorie consistera à proposer une structuration théorique en congruence avec la structure d’un mythe. La fantasmatisation ici à l’œuvre fait procéder le discours de la psychanalyse plus que par concept, par métaphore. Comme le note P. Fédida, si, pour la métaphysique classique, le concept est la non-métaphore par excellence, la métapsychologie, à l’inverse, réintroduit l’activité métaphorique à l’intérieur du concept [42].

65Si donc la métapsychologie reçoit cette fonction mythogénétique, où la métaphore représente le pouvoir d’opérativité technique du concept, apprésente affectivement ce qu’elle figure dans une véritable efficace de la parole, qu’est-ce qui vient prémunir la théorie analytique contre la folie de l’autre extrême, celle d’une élucubration irrationnelle s’égarant dans l’hypersolipsisme d’un mythe qui n’articule que les fantasmes du théoricien, la toute-puissance de ses idées ?

66J. Laplanche identifie un double statut des théories psychanalytiques, qui articulent le niveau de la métapsychologie à celui des théories infantiles spontanées [43]. Il y aurait donc un noyau pulsionnel, passionnel, propre à l’infantile du théoricien, un puctum caecum au centre de la théorie, que P. Fédida définit comme son « axe narcissique [44] ». La théorisation, objet précieux, auto-validant, hypersolipsiste, devient ici processus autoérotique où est annulée toute altérité : régression vers la toute-puissance des idées.

67Ce qui permet alors d’enrayer ce mouvement narcissique est une dimension intersubjective. Contre une « théorie où l’objet du transfert serait entièrement intrasubjectivisé [45] » et tout-puissant, le fonctionnement de la théorie ne peut être validé que de son intersubjectivité, garantie par le transfert.

68Le transfert, étymologique métaphore, apparaît alors comme l’acte par lequel peut s’écrire la théorie ; il est écouté à partir du contre-transfert de l’analyste et s’accompagne, pour lui, d’un méta-transfert, élaboration écrite de la théorie en œuvre culturelle. En ce sens, la théorie analytique est toujours en instance de remaniement, et confronte constamment les certitudes conceptuelles de l’analyste au transfert et au contre-transfert.

La métaphore entre fantasmatisation et technique

69C’est à nouveau l’isomorphisme entre théorisation analytique et cure qui permet à la théorie analytique d’échapper à la toute-puissance, en liant la fantasmatisation du théoricien et la « technique » analytique par un même style, figuré précisément par la métaphore.

70C’est par la métaphore que la métapsychologie participe de la créativité de l’analyste, et de sa capacité de jouer. Le jeu – au sens winnicottien de playing, processualité sans règles opposée au game – définit à la fois la pratique en cure et l’écriture analytique. Nous suivrons ici l’analyse de P. Fédida, pour qui jouer engage la métaphore de façon totale et essentielle [46], sur le plan de la corporalité et celui de la désignification.

71Dans la cure comme dans l’écriture analytique, la métaphore, définie comme avènement du corps dans la parole, vient traduire la corporéité de l’analyste et celle de la parole : elle permet une efficace de la parole qui ne se transmue pas en structure figée, tournant à vide, du langage. L’aire corporelle de l’analyste accueille le jeu mis en place avec l’analysant et ce jeu est métaphore corporelle d’une écriture. Réciproquement, l’écriture analytique tente, par la métaphore, de retrouver cette présence du corps dans le jeu et dans la cure. Si « le geste du jeu rend la métaphore visible [47] », c’est aussi, dans l’autre sens, la métaphore qui, dans l’écriture analytique, rend visible le jeu et le corps de l’analyste.

72Mais l’espace thérapeutique se définit également, pour P. Fédida, par une rupture de sens, une désignification touchant le cadre socioculturel, ses modèles de comportement, son code symbolique, ses modèles de perception. Cette désignification est propre au jeu, perpétuel effacement de ce qu’il crée, production de sens « engagée par la création de l’absence [48] ». Du fait du lien essentiel de la métaphore à la désignification [49], « écrire, comme jouer, est une création de sens par désignification des contenus et des vécus de conscience sémantisés [50] ».

73Dans la théorisation, ce qui, à l’observation, était insignifiant commence à faire signe, par la grâce d’un jouer, qui désignifie les contenus de signification, crée du sens en subvertissant les significations codées de la langue et des mots. C’est par désignification lexicale, métaphorique, qu’un concept – pulsion, plaisir, narcissisme, sexualité, etc. – est produit en théorie analytique, et c’est à nouveau par la métaphore qu’il traduit un rapport d’écoute du patient. En ce sens, toute démétaphorisation de la métapsychologie, sa tentative de vérification scientifique, histologique, anatomique, nierait cette désignification essentielle au jeu et à l’écriture analytique.

Conclusion

74Dans le lien qu’elle établit entre les trois niveaux de la théorisation analytique – critique de la connaissance, « technique » de la cure, et fantasmatisation du théoricien – la métaphore semble assurer le fonctionnement de la théorie analytique, et garantir la spécificité de sa position discursive. Elle fait ainsi de la théorisation analytique une pensée magique, dans le sens du lieu, comme c’était le cas pour la cure, d’une efficace de la parole. En outre, en assurant la continuation de la perlaboration de la cure dans l’écriture analytique, en permettant la modélisation non ontologique d’un « échafaudage », en introduisant l’intersubjectivation de la théorie par le transfert et le méta-transfert, en figurant le jeu et la corporalité de l’analyste dans l’écriture, et en prolongeant la procédure de désignification de la cure, la métaphore semble garder la théorie du risque d’une toute-puissance des idées, culminant dans la construction folle. En ce sens, et par isotopie entre la cure et la théorie analytiques, c’est l’efficace de la parole assurée par la métaphore qui préserve la théorisation du risque de choir dans la toute-puissance des idées propre à la pensée magique.

75À charge alors aux psychanalystes d’éviter la fascination narcissique d’une théorie fermée à toute réfutation, ou d’une réfutation systématique de toute théorie.

Notes

  • [1]
    S. Freud, Minutes, vol. 3, Paris, Gallimard, 1980, p. 299.
  • [2]
    E. B. Tylor cité par S. Freud, Totem et tabou (1913), Paris, Payot, 1965, p. 123.
  • [3]
    Ibid., p. 136.
  • [4]
    Ibid., p. 123-127.
  • [5]
    Ibid., p. 132.
  • [6]
    Ibid., p. 138.
  • [7]
    L’« Homme au rats », à qui, rappelle Freud, revient cette expression de « toute-puissance des idées », attribuait en effet à ses sentiments ou à ses désirs bons ou mauvais une effectivité.
  • [8]
    L. Lévy-Bruhl, La mentalité primitive (1922), Paris, Flammarion, 2010.
  • [9]
    S. Freud, « De la psychothérapie », dans La technique psychanalytique, Paris, puf, 1953, p. 10.
  • [10]
    S. Freud, La question de l’analyse profane, Paris, Gallimard, p. 33-34.
  • [11]
    Ibid., p. 33-34.
  • [12]
    J.-L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    S. Freud, J. Breuer, Études sur l’hystérie (1895), Paris, puf, 2002, p. 5-6.
  • [15]
    « Remémoration, répétition, perlaboration », dans La technique psychanalytique, op. cit., p. 115.
  • [16]
    Il est cité par Freud dans Totem et tabou, op. cit., p. 122.
  • [17]
    M. Mauss, H. Hubert, « Esquisse d’une théorie générale de la magie », Sociologie et anthropologie, Paris, puf, 1950, p. 105.
  • [18]
    C. Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », dans M. Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, puf, 1950.
  • [19]
    C. Lévi-Strauss, « Le sorcier et la magie », dans Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1974, p. 203.
  • [20]
    C. Lévi-Strauss, « L’efficacité symbolique », Revue de l’histoire des religions, t. 135, n° 1, 1949.
  • [21]
    Ibid., p 24 (nous soulignons). Gardons ici à l’esprit cette importance de la métaphore dans l’efficacité symbolique, que nous développerons plus avant lorsque nous ferons porter la question sur la théorisation analytique.
  • [22]
    Ibid., p. 19-20.
  • [23]
    Ibid., p. 24.
  • [24]
    Sur les relations entre Lacan et Lévi-Strauss, voir C. Basualdo, « Lacan (Freud) Lévi-Strauss. Il n’y a pas de rapport épistémologique », thèse doctorale soutenue à l’université de Paris 7 le 12 décembre 2003 ; C. Basualdo, « Le sacrifice : Freud, Lacan », Revue psychologie clinique, nouvelle série n° 15, Paris, L’Harmattan, printemps 2003 ; C. Basualdo, « La relación de Lacan al estructuralismo », Revista Universitaria de Psicoanálisis, Universidad Nacional de Buenos Aires, vol. 7, novembre 2007 ; et l’ouvrage à paraître prochaînement : C. Basualdo, Pourquoi Lévi-Strauss n’a-t-il pas lu Lacan ?
  • [25]
    J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 306.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    Ibid., p 350.
  • [28]
    Ibid.
  • [29]
    J. Lacan, « La chose freudienne », dans Écrits, op. cit., p. 435.
  • [30]
    Lacan aborde à nouveau la pensée magique dans « L’instance de la lettre ou la raison depuis Freud », dans Écrits, op. cit., p 521. On ne peut qu’entendre à nouveau l’ironie du ton. La psychanalyse participe assurément de l’efficace magique de la parole, mais elle ne saurait être reléguée au rang d’une pensée primitive, prélogique et archaïque. Au modèle d’une scientificité hégémonique est opposée, pour pouvoir interpréter l’inconscient comme Freud, une connaissance des arts, des muses, et des Fliegende Blätter, hebdomadaires satyriques.
  • [31]
    J. Lacan, « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache », dans Écrits, op. cit., p. 665.
  • [32]
    J. Lacan, « La science et la vérité », dans Écrits, op. cit., p. 876.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    S. Freud, « Psychanalyse et “théorie de la libido” », dans Résultats, idées, problèmes, vol. II, Paris, puf, 1985, p. 51.
  • [35]
    Dans Totem et tabou, « Pour introduire le narcissisme » ou « L’inconscient », Freud établit un parallèle entre la psychose et la philosophie.
  • [36]
    S. Freud, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1984, p. 214-215.
  • [37]
    Le mathème commun aux discours que Lacan étudie est celui, général, de :
    Désir => Autre.
    Vérité // Perte
  • [38]
    « Sans spéculer ni théoriser – pour un peu j’aurais dit fantasmer – métapsychologiquement, on n’avance pas ici d’un pas », Freud, « L’Analyse avec fin, et l’analyse sans fin », dans Résultats, idées, problèmes, vol. II, op. cit., p. 240.
  • [39]
    « L’efficacité symbolique consisterait précisément dans cette “propriété inductrice” que possèderaient les unes par rapport aux autres des structures formellement homologues pouvant s’édifier avec des matériaux différents aux différents étages du vivant : processus organiques, psychisme inconscient, pensée réfléchie. La métaphore poétique fournit un exemple familier de ce procédé inducteur », C. Lévi-Strauss, « L’efficacité symbolique », op. cit., p. 24.
  • [40]
    S. Freud, « De la psychothérapie », dans La technique psychanalytique, op. cit., p. 13.
  • [41]
    S. Freud, L’interprétation des rêves, Paris, puf, 1999, p. 455-456.
  • [42]
    P. Fédida, « Topiques de la théorie », dans L’absence, Paris, Gallimard, 1978, p. 266, note 1.
  • [43]
    J. Laplanche, « La psychanalyse dans la communauté scientifique », dans Entre séduction et inspiration, l’homme, Paris, puf, 1999, p. 178.
  • [44]
    P. Fédida, « Topiques de la théorie », dans L’absence, op. cit., p. 268.
  • [45]
    Ibid., p. 272.
  • [46]
    P. Fédida, « L’objeu », dans L’absence, op. cit., p. 143.
  • [47]
    Ibid., p. 143.
  • [48]
    Ibid., p. 134.
  • [49]
    La métaphore introduit, comme le note J. Cohen dans L’écriture poétique, une rupture dans l’ordre syntagmatique qu’elle compense par un réagencement de l’ordre paradigmatique.
  • [50]
    P. Fédida, « L’objeu », dans L’absence, op. cit., p. 117.
Français

Résumé

Cet article se propose d’examiner l’accusation de pensée magique portée à l’endroit de la psychanalyse, en se penchant sur le fonctionnement de la pensée magique et de ses modes opératoires tel qu’il est défini à la fois par la psychanalyse et l’anthropologie. À la dimension de toute-puissance régressive des idées que la psychanalyse révèle au fondement de la pensée magique s’ajoute celle d’une efficace de la parole, qui ne manque pas de s’actualiser dans la cure et la théorisation analytique. La question posée, à la fois sur le plan de la pratique et de la théorisation analytique, consistera à tenter de maintenir cette efficace de la parole sans choir dans le risque d’une toute-puissance de la pensée.

Mots-clés

  • pensée magique
  • toute-puissance des idées
  • parole
  • discours analytique
  • théorisation

Bibliographie

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Thamy Ayouch
Psychanalyste, psychologue clinicien, maître de conférences à l’université Charles de Gaulle, Lille 3 ; 18, avenue du Président Hoover, F-59000, Lille – ; « Professor Visitante Estrangeiro », Universidade de São Paulo.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 20/03/2012
https://doi.org/10.3917/cm.085.0175
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