CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La pandémie de Covid-19 et les réactions étatiques qu’elle entraîne placent la majeure partie des pays du monde dans une situation de crise aux dimensions multiples. La plus évidente est sanitaire. Le virus SARS-CoV-2 met à l’épreuve des systèmes de santé dont les observateurs ont interrogé à la fois la préparation, l’efficacité et les défaillances. En France et ailleurs, on a pu commenter quotidiennement dans les médias, à partir du mois de mars, l’évolution du nombre de lits disponibles de soins intensifs, s’inquiéter de la saturation des services hospitaliers ou encore se questionner sur les pénuries d’équipements médicaux, de médicaments et de matériels de protection. Ainsi, l’épidémie a donné une visibilité nouvelle aux interventions étatiques sur les services de santé que des logiques professionnelles et des transformations gestionnaires de l’action publique ont tendance à occulter.

2C’est à l’étude de la mobilisation sanitaire des États durant l’épidémie de Covid-19 qu’est consacré ce numéro spécial de la Chronique internationale de l’IRES. Il est composé de dix contributions, auxquelles s’ajoute une note d’analyse sur l’évaluation statistique de la surmortalité durant la crise sanitaire. Sept articles traitent de pays de l’OCDE possédant un système de santé développé, à savoir : l’Allemagne, la France, l’Irlande, l’Italie, le Royaume-Uni, la Suède, ainsi que les États-Unis. Deux articles s’intéressent à des pays des Suds dont le système de santé est moins consolidé : l’Argentine et la Chine. Un autre article examine l’action de l’Union européenne (UE) face à l’épidémie. Le choix de ces cas d’étude obéit à deux critères. Le premier est celui d’une représentation de la diversité des systèmes de santé telle qu’elle a été mise en évidence par des travaux comparatifs antérieurs (encadré 1). Le deuxième critère de sélection renvoie aux spécificités de la pandémie dont le numéro cherche à rendre compte (son point de départ en Chine, son caractère transnational et intercontinental). Nous nous intéressons plus précisément à l’action des États durant la première phase de l’épidémie qui débute en décembre 2019 dans la province du Hubei, avant de se propager rapidement à partir de la fin du mois de janvier en Europe et en Amérique. S’étendant jusqu’à l’été 2020, cette première phase correspond à la période au cours de laquelle on observe un pic de surmortalité, situé dans les trois premières semaines d’avril en Europe et aux États-Unis, avec une décrue plus ou moins rapide en fonction des pays (Concialdi, dans ce numéro)  [1].

3L’objectif du numéro est de documenter et de comparer la mobilisation sanitaire des États face à l’épidémie de Covid-19, c’est-à-dire de décrire et d’analyser les interventions étatiques sur les systèmes de santé. La focalisation sur l’État, dans ses différentes déclinaisons institutionnelles (unitaire, régionalisé, fédéral), se justifie tout d’abord par le rôle que ses représentants revendiquent, et que leur reconnaissent plusieurs groupes d’acteurs, dans la gestion des risques en tant que celle-ci relèverait d’une prérogative historique de l’État, celle de la préservation de la sécurité et de la protection de la population contre diverses menaces (Borraz, Gilbert, 2008). En outre, la place de l’État dans la gestion de l’épidémie paraît d’autant plus centrale que ce dernier tend à se réclamer de plus en plus d’une « bio-légitimité » qui s’est manifestée avec éclat au début de l’épidémie. Il s’est alors agi de protéger ce « bien suprême » qu’est la vie humaine, quoi qu’il en coûte sur le plan économique et des libertés publiques (Fassin, 2018 ; Pierru, 2020). Précisons la démarche problématique du numéro. Notre travail d’observation ne vise pas à évaluer et à classer la performance des uns et des autres dans la gestion de la crise sanitaire. Fondé le plus souvent sur le nombre de décès voire de cas confirmés, ce type de lecture comparative présente d’importantes difficultés méthodologiques (Concialdi, dans ce numéro ; Rosental, 2020)  [2]. Nous cherchons davantage à évaluer le degré de ressemblance des réponses étatiques à l’épidémie de Covid-19 dans leur préparation, leur contenu et leurs modalités. Ce questionnement nous conduit ainsi à interroger l’influence sur les interventions étatiques de l’agencement des institutions sanitaires qui diffère entre les pays et dont de nombreux travaux en sociologie et en science politique ont montré la forte stabilité, la dimension plus ou moins contraignante et la difficulté à être réformé.

4Dans une première partie, nous montrons que les États ont presque tous recours à des mesures, largement improvisées, de confinement qui visent à contrôler indirectement le recours aux soins techniques en freinant la propagation du virus. Ces mesures paraissent aux autorités publiques d’autant plus nécessaires que les capacités hospitalières ont été sensiblement réduites ces dernières années. Dans l’urgence de la crise sanitaire, celles-ci font l’objet de nombreuses interventions visant à les renforcer, comme le montre la deuxième partie, non sans toutefois poser des problèmes d’encadrement professionnel. Dans un dernier temps, nous montrons que ce renforcement des capacités sanitaires se heurte aussi à des pénuries de matériels qui, pour générales qu’elles aient été, n’en ont pas moins été d’ampleurs diverses en fonction des capacités productives des différents pays avant la pandémie.

Restrictions et confinement pour contenir les recours aux soins hospitaliers

5Les pays étudiés dans ce numéro se rapprochent par l’adoption de mesures de restriction des déplacements et des regroupements qui peuvent être vues comme un moyen de réguler l’accès aux soins en ralentissant la propagation du SARS-CoV-2. Portées le plus souvent par les exécutifs politiques nationaux, ces mesures contribuent à la centralisation de la gestion de l’épidémie. Forme la plus stricte de ces restrictions, le confinement de la population est une solution largement improvisée et pourtant partagée par de nombreux États, dont l’adoption révèle une faible attention politique aux inégalités sociales face à l’épidémie.

Des mesures portées le plus souvent par les exécutifs nationaux

6Composante la plus originale et la plus spectaculaire de la gestion de l’épidémie, le confinement de la population peut être analysé comme un outil de contrôle indirect de la consommation des soins. En effet, l’un de ses principaux objectifs est d’étaler dans le temps le recours aux services de santé afin d’éviter leur saturation. Cette mesure est observée à un niveau national ou régional dans l’ensemble des pays étudiés dans ce numéro, à l’exception de la Suède qui choisit de ne pas recourir à un confinement généralisé et obligatoire (Jolivet, dans ce numéro). Là où il est mis en place, le confinement est en général porté et revendiqué par les exécutifs politiques nationaux qui inscrivent la décision dans un important travail symbolique de mobilisation. Celui-ci se manifeste par une communication publique (allocutions officielles, conférences de presse, etc.) plus intense qu’en temps ordinaire qui contribue à la personnalisation de la gestion de l’épidémie et qui obéit à deux objectifs. Il s’agit de rassurer la population concernant la capacité de l’État à maîtriser la situation sanitaire d’une part, et de produire du consentement politique à une mesure aux coûts très élevés en termes économiques et de libertés publiques d’autre part  [3]. Ce travail symbolique revêt une importante dimension émotionnelle qui se retrouve dans la dramatisation historique de l’événement et dans l’expression affectée de sentiments et de mots d’ordre collectifs censés réunir et renforcer la communauté nationale autour de la lutte contre le Covid-19.

7Cet engagement des exécutifs politiques nationaux soutient une centralisation de la gestion de l’épidémie qui se manifeste dans les mesures de restriction des déplacements mais dont la forme varie en fonction de l’architecture des États et de leur administration sanitaire (Costa-Font, Greer, 2013 ; Giraud et al., 2020). Dans les États organisés de manière hiérarchique en matière de santé comme le Royaume-Uni, la France et l’Irlande, les capacités de pilotage des institutions centrales sont renforcées par des législations d’urgence qui les autorisent à limiter les regroupements et déplacements d’individus  [4]. De fait, c’est un confinement strict et uniforme sur le territoire, sans ajustement à la géographie de l’épidémie, qui est observé dans ces pays. Dans les États fédéraux où les compétences sanitaires sont partagées entre plusieurs niveaux institutionnels, les mesures de restriction sont l’objet de transactions plus ou moins équilibrées : coordination fédérale de l’action des gouvernants régionaux en Allemagne, mise en œuvre négociée avec les exécutifs provinciaux de mesures arrêtées au niveau fédéral en Argentine. Ces activités transactionnelles ne sont pas sans susciter des tensions entre autorités fédérales et fédérées que le desserrement progressif des contraintes ravive, jusqu’à altérer la cohérence de l’action fédérale comme en Argentine (Mellado, Trenta, dans ce numéro). La crise sanitaire renforce encore davantage l’emprise des autorités centrales dans les États qui ne sont pas fédéraux mais où les responsabilités sanitaires sont en grande partie transférées aux échelons régionaux comme en Chine et en Italie. Les gouvernements centraux y imposent sur tout ou partie du territoire des mesures de restriction que les autorités locales sont uniquement autorisées à durcir. Dans ce panorama des formes de centralisation, les États-Unis font exception. En effet, les autorités fédérales n’imposent pas de mesures de restriction sur le territoire, ni ne cherchent à coordonner l’action des États fédérés qui sont compétents en matière de santé publique et sont ainsi tenus d’aller seuls « au front ».

8À cette exception près, l’organisation étatique et centralisée des mesures de restriction autant que le travail symbolique de mobilisation des exécutifs politiques montrent que le cadre politique de la gestion de la pandémie, transnationale par définition, reste fondamentalement national. Cet aspect révèle la difficulté des institutions supranationales ou multilatérales à disposer de moyens (financiers, matériels, humains) et à être reconnues par les États pour répondre aux risques sanitaires. Ce constat vaut en particulier pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont la déclaration d’« urgence de santé publique de portée internationale » le 30 janvier 2020 n’a pas accéléré la mobilisation sanitaire des États et qui n’a pas été systématiquement avertie des mesures nationales limitant les échanges internationaux, comme l’exige pourtant le Règlement sanitaire international  [5] (Guilbaud, 2020). Il s’applique aussi à l’UE dont les compétences en matière de santé restent limitées et sont portées par des administrations sans ressource ni prestige qui peuvent de surcroît dépendre de l’expertise et des moyens nationaux comme le European Centre for Disease Prevention and Control chargé de la surveillance et de l’alerte des risques infectieux sur le sol européen (Coron, Sauviat, dans ce numéro). L’impuissance de ces institutions internationales se manifeste en particulier dans les fermetures des frontières qui se multiplient au mois de mars à l’initiative des gouvernements nationaux, le plus souvent sans concertation, et qui vont à l’encontre des principes de liberté de circulation et de commerce portés par la Commission européenne et l’OMS, y compris pendant la crise sanitaire.

Improvisation et circulation du confinement

9Au centre de la gestion épidémique de presque tous les États étudiés dans ce numéro, le confinement s’apparente à la méthode traditionnelle de santé publique de la quarantaine. Celle-ci consiste à réduire les activités d’un groupe d’individus exposés à un agent pathogène sans être pour autant malades et son objectif est non pas de stopper la propagation du virus mais de réduire son incidence, c’est-à-dire d’étaler le nombre de nouveaux malades dans le temps. Avec le couvre-feu et l’isolement, le confinement appartient à la vieille panoplie des mesures de contrainte sanitaire qui ont été réinvesties par les autorités publiques au début des années 2000 en Asie pour faire face à l’épidémie d’un autre coronavirus, le SARS-CoV-1 (Zylberman, 2013:395-432). Mais à y regarder de plus près, le confinement n’est pas simplement un instrument sanitaire de prévention du risque infectieux. Il présente une série d’ambiguïtés qui pourraient avoir favorisé son adoption par un grand nombre de gouvernants et son intégration à des systèmes politiques et sanitaires variés. La première de ces ambiguïtés concerne la conception de la santé et de la médecine que porte l’outil. S’il paraît relever d’une médecine sociale qui agit sur les populations et leurs conditions de vie, le confinement est aussi réinscrit dans une perspective biomédicale  [6] qui domine – à différents degrés – les systèmes de santé étudiés dans ce numéro (Gaudillière, 2002). De fait, l’objectif affiché par les autorités est d’étaler la courbe des contaminations afin de garantir des soins intensifs à tous les individus qui en auraient besoin et de se donner le temps nécessaire à la découverte d’antiviraux et d’un vaccin. Une deuxième ambiguïté du confinement réside dans son rapport à la sécurité qui fait écho au rapprochement de la défense civile et de la gestion de l’urgence, notamment sanitaire (Lakoff, Cunnington, 2008). Le confinement vise certes à protéger la vie des individus (la sécurité de la population) mais en s’appuyant sur des techniques, des ressources et des règles associées à la défense civile (la sécurité nationale), jusqu’à recourir à l’armée pour contrôler l’application des mesures de restriction comme le fait la Protection civile en Italie (Tognetti-Bordogna et al., dans ce numéro).

10Bien que son rapport à la sécurité rappelle les politiques de gestion de l’urgence sanitaire, le confinement de la population n’est pas une solution prévue par les outils de préparation aux risques pandémiques, aux premiers rangs desquels se trouvent les plans nationaux de lutte contre une pandémie grippale. Adoptés par les États au cours des années 2000 sous l’impulsion de l’OMS (Brender, Gilbert, 2016), ces plans sont censés préparer les autorités à la pire des menaces qu’ils s’appliquent à scénariser, avec la préoccupation de garantir la continuité de la vie administrative, économique et sociale (Torny, 2012). Seules des quarantaines ciblées, de préférence volontaires, y sont évoquées en plus des fermetures d’établissements scolaires ou encore des restrictions aux regroupements publics. Mais rarement actualisés depuis une dizaine d’années, ces plans ne semblent pas avoir été activés par les autorités des pays étudiés dans ce numéro, à l’exception de l’Allemagne et de la Suède où leurs recommandations façonnent l’organisation des pouvoirs publics et le contenu de leur action (Kahmann, dans ce numéro)  [7]. Ce constat appuie l’idée d’une improvisation dans la décision de confiner qui se retrouve dans la mise en place de structures d’expertise ad hoc chargées de conseiller les gouvernants, notamment en matière de restriction des déplacements, sauf en Allemagne et en Suède où l’expertise épidémiologique du Robert Koch-Institut et de l’Agence de santé publique bénéficie d’une forte reconnaissance politique dans la gestion de l’épidémie. À l’image du Conseil scientifique Covid-19 en France, du Comitato technico scientifico en Italie ou encore de la Coronavirus Task Force aux États-Unis, ces structures sont placées le plus souvent auprès des chefs d’État ou de gouvernement et contribuent ainsi au renforcement des sommets de l’exécutif dont la dépendance à l’égard des administrations mandatées pour la gestion des crises sanitaires est réduite. Elles leur permettent de surcroît de limiter le blâme politique que pourraient produire des mesures d’urgence aux coûts peut-être plus élevés que les gains espérés, leur création participant de « stratégies organisationnelles » qui modifient le partage de compétences entre institutions et visent à déléguer la responsabilité de la décision publique (Hood, 2011).

11Bien qu’elles ne soient pas anticipées, les mesures de confinement ne peuvent pas être réduites à des choix par défaut auxquels les pénuries matérielles contraindraient les gouvernants, incapables de développer une gestion fondée sur le dépistage, l’isolement et le traçage des cas contacts comme le préconisent l’OMS dès la fin février, ainsi que les plans pandémiques nationaux. Les politiques adoptées en Allemagne et en Suède montrent la fragilité de cette opposition de deux stratégies clairement identifiées entre lesquelles les gouvernants arbitreraient en fonction des ressources à leur disposition. Tandis que les autorités suédoises refusent des mesures de strict confinement sans disposer pour autant d’importantes capacités de dépistage (Jolivet, dans ce numéro), le gouvernement allemand soutient une politique de dépistage précoce et d’ampleur qui s’articule à des restrictions de déplacements (Kahmann, dans ce numéro). La décision publique se caractérise avant tout par un contexte d’incertitude scientifique (sur la maladie) et politique (sur les solutions à adopter) qui pourrait avoir favorisé la circulation mondiale des dispositifs de confinement de la province chinoise du Hubei en janvier jusqu’au Nord de l’Italie en février, puis dans plusieurs pays européens en mars. En effet, ces incertitudes sont propices à des mécanismes mimétiques (DiMaggio, Powell, 1983) qui reposent sur la conviction d’acteurs scientifiques et politiques en l’efficacité de cette solution d’urgence sanitaire, sans que soient pourtant connus exactement ses effets économiques, sociaux et sanitaires  [8]. La légitimité politique du confinement croît même à mesure qu’il est adopté par un nombre de plus en plus important d’États et que s’accumulent des projections scientifiques alarmistes annonçant un nombre considérable de décès en l’absence de mesures publiques, les revirements du gouvernement Johnson au Royaume-Uni illustrant a contrario le coût politique de l’écart à la nouvelle règle sanitaire (Freyssinet, dans ce numéro).

L’angle mort des inégalités sociales

12Par ses modalités pratiques et par l’objectif qui lui est assigné, le confinement de la population apparaît comme un instrument prenant peu en considération les conditions sociales d’existence des individus qui lui sont soumis. Son objectif n’est-il pas d’aplanir la courbe des contaminations et des hospitalisations, des agrégats strictement médicaux qui occultent les caractéristiques socioéconomiques des patients infectés et hospitalisés ? Le confinement relève de ce que Fassin (2018) appelle « les politiques de la vie » qui affirment la supériorité de la vie humaine mais n’accordent pas la même valeur sociale à chacune d’entre elles. Plusieurs articles du numéro rappellent ainsi l’étendue des inégalités sociales face au Covid-19 et au développement de ses formes les plus graves, plus ou moins documentées par les statistiques officielles des États du fait d’une attention politique variable portée aux inégalités de santé (Whitehead, 2008 ; Marmot, 2013 ; Delahaie ; Freyssinet, dans ce numéro). Au moins trois mécanismes, susceptibles de se cumuler, sont à l’œuvre dans la production de ces inégalités (Dubost et al., 2020). Tout d’abord, le degré d’exposition au virus est largement lié aux conditions de vie et aux activités professionnelles dont les effets sont accentués par les règles du confinement. Les risques de contamination augmentent dans les logements exigus ou collectifs et pour les activités professionnelles qui ne peuvent pas être exercées à distance ou nécessitent un contact régulier avec du public. Ensuite, la probabilité de développer une forme grave de Covid-19 est associée à des facteurs de comorbidité (obésité, diabète, etc.) dont les études épidémiologiques ont démontré l’inégale distribution dans la population. Plusieurs de ces facteurs sont inversement corrélés au niveau de vie des individus et concernent davantage certaines catégories sociales ainsi que les minorités ethniques qui, en plus de subir plusieurs inégalités socio-économiques, peuvent être victimes de pratiques discriminatoires affectant leur état de santé. Aussi paraissent-elles durement touchées par le Covid-19, notamment aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni (Brun, Simon, 2020). Enfin, les inégalités face à l’épidémie se rapportent aussi aux conditions d’accès aux soins. Ainsi, dans plusieurs pays comme le Royaume-Uni, la France et la Suède, des débats émergent sur d’éventuels tris dans l’admission en soins intensifs au détriment des personnes âgées. Observée en temps ordinaire, l’application d’un critère d’âge pourrait avoir été durcie face à l’afflux de patients, rendant partiellement compte de la forte proportion de décès liés au Covid-19 dans les foyers pour personnes âgées.

13Les inégalités sociales face à l’épidémie sont en grande partie occultées, voire accentuées par les interventions étatiques. Quand elles s’y intéressent, les autorités les considèrent essentiellement sous l’angle de l’accès financier aux soins, à l’exception de l’Argentine où le gouvernement progressiste initie une politique de dépistage ciblant les quartiers déshérités de Buenos Aires et de sa région dans lesquels les mesures de confinement sont difficiles à appliquer (Mellado, Trenta, dans ce numéro). La question de l’accès financier aux soins est surtout traitée dans les systèmes fondés sur des assurances (sociales et/ou privées) à travers l’adoption de mesures modifiant temporairement les règles de financement. Dans ces systèmes, le caractère plus ou moins étendu de la couverture des dépenses et des personnes fait de l’égalité d’accès aux soins un enjeu plus saillant que dans les systèmes nationaux de santé où l’accès aux soins est présenté comme universel et gratuit, malgré la persistance de contributions privées jusqu’à 25 % des dépenses de santé comme en Italie. D’une part, les gouvernements peuvent élargir le périmètre de la couverture de l’assurance maladie obligatoire aux soins liés au Covid-19 comme en Allemagne et en France. Les caisses d’assurance maladie y sont notamment contraintes de financer intégralement les dépenses de dépistage, alors que leurs remboursements ont sensiblement été réduits par diverses mesures depuis les années 1980. D’autre part, plusieurs État s’engagent à couvrir directement la part des dépenses liées au Covid-19 qui serait sinon restée à la charge des individus. C’est en particulier le cas en Irlande où le Health Service Executive s’accorde avec l’Irish Medical Organization pour garantir aux malades du Covid-19 un accès gratuit aux médecins généralistes, jusqu’alors offert à un peu moins de la moitié de la population seulement (Delahaie, dans ce numéro). Des mesures proches sont prises en Argentine où le gouvernement fédéral s’engage à rembourser intégralement aux assurés sociaux les frais liés au traitement de cette maladie, ainsi qu’en Chine où les autorités centrales et locales décident de couvrir les restes à charge laissés par les assurances sociales aux malades du Covid-19. À l’inverse, les États-Unis se distinguent par de rares ajustements budgétaires apportés aux règles de financement des dépenses qui sont en grande partie couvertes par des assurances privées liées à l’emploi. Seule la gratuité du dépistage est accordée à l’ensemble des Américains par voie législative mais sous condition, alors que la part des personnes sans couverture santé reste élevée et croît même durant l’épidémie du fait de la forte hausse du chômage (Sauviat, dans ce numéro).

Un redéploiement des capacités sanitaires sous tension financière

14Le recours improvisé au confinement peut aussi s’expliquer par l’état des hôpitaux qui, dans plusieurs pays, semblent mal préparés au choc d’une épidémie infectieuse d’envergure du fait de la contrainte budgétaire qu’ils subissent depuis de nombreuses années. Celle-ci s’est traduite par une réduction des capacités d’accueil que les autorités publiques cherchent à accroître et à rationaliser dans l’urgence de la crise sanitaire. Le renforcement des capacités hospitalières ne va pas sans poser des difficultés d’encadrement médical et paramédical. Les établissements de santé bénéficient toutefois dans quelques pays du renfort d’autres organisations sanitaires qui sont enrôlées dans la gestion publique de l’épidémie.

Augmenter et rationaliser dans l’urgence les capacités hospitalières

15Le Covid-19 se caractérise par sa contagiosité, le rôle des personnes pré- ou asymptomatiques dans sa propagation et surtout la fréquence de ses formes graves qui est constatée par la communauté scientifique internationale dès le début du mois de février, ces différents éléments faisant craindre une saturation des hôpitaux comme c’est le cas dans la ville chinoise de Wuhan (Marichalar, 2020). Cette inquiétude est d’autant plus grande que les services de santé, et plus spécifiquement hospitaliers, sont mis sous contrainte budgétaire depuis les années 1980 en Europe, conduisant à une réduction de leurs capacités d’accueil. En effet, les systèmes de santé y sont pris dans un processus continu de réformes visant à une plus grande maîtrise des dépenses de santé sur lesquelles la pression s’accroît après la grande récession de 2008-2009, avec une intensité variable selon les États (Math, 2017). Fondées sur la croyance dans l’efficacité supérieure du marché et de ses logiques, ces réformes soutiennent des mouvements hétérogènes de « privatisation », évoqués par plusieurs articles, qui sont à la fois « internes » (introduction des principes de gestion du privé dans les hôpitaux publics, mise en concurrence de ceux-ci, etc.) et « externes » (incitation financière à l’essor d’établissements privés, etc.) (Math, 2014 ; André et al., 2015)  [9]. Sans affaiblir les capacités de pilotage des États qui se renforcent par l’adoption de nouveaux instruments de régulation (Hassenteufel et al., 2008), ces transformations marchandes poussent les établissements à fonctionner à flux tendus et à prendre un « virage ambulatoire », c’est-à-dire à développer les prises en charge courtes, sans nuitée. Promu par les élites réformatrices nationales, ce virage prétend s’adapter à la transition épidémiologique des maladies chroniques qui aurait écarté le risque d’une épidémie infectieuse et justifierait la réduction de la densité de lits de soins aigus, observée à des degrés divers dans tous les pays de l’OCDE (graphiques 1 et 2).

Graphique 1. Nombre de lits hospitaliers de soins aigus pour 1 000  habitants en 2017

Graphique 1. Nombre de lits hospitaliers de soins aigus pour 1 000  habitants en 2017

Graphique 1. Nombre de lits hospitaliers de soins aigus pour 1 000  habitants en 2017

Source : https://stats.oecd.org/.

Graphique 2. Nombre de lits hospitaliers de soins aigus pour 1000 habitants(2000-2017)

Graphique 2. Nombre de lits hospitaliers de soins aigus pour 1000 habitants(2000-2017)

Graphique 2. Nombre de lits hospitaliers de soins aigus pour 1000 habitants(2000-2017)

NB: La hausse brutale du nombre de lits observée en2015 en Irlande est due à l’intégration des lits de soins aigus des établissements privés dans le calcul des données, comme c’est déjà le cas pour les autres pays.
Source : https://stats.oecd.org/.

16Critiquées dans certains pays avant même la crise sanitaire, les réductions de lits sont érigées en problème public par plusieurs groupes d’acteurs (professionnels, administratifs, médiatiques, politiques) dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 dont la gestion publique est particulièrement attentive à l’accès aux soins intensifs pour les malades souffrant des formes les plus graves. De fait, plusieurs mesures similaires sont adoptées dans le but d’accroître les capacités d’accueil des hôpitaux dans les pays étudiés. D’une part, les autorités publiques peuvent encourager des redistributions de lits et de personnels internes aux établissements au profit des soins intensifs, à travers par exemple la déprogrammation des interventions non urgentes. Si ces réorganisations sont parfois initiées par les établissements comme en Suède, elles peuvent aussi être liées à l’activation de dispositifs d’urgence sanitaire, qui ne sont toutefois pas toujours adaptés aux situations épidémiques de longue durée, comme en Lombardie et en France (Villa et al., 2020 ; Gay, Steffen, dans ce numéro). D’autre part, les capacités d’accueil sont accrues dans de nombreux pays par la construction d’hôpitaux provisoires, souvent avec l’appui de l’armée et de son service de santé. Décidées dans le cours de la crise, ces opérations, qui ont un coût élevé, ont pu être critiquées pour leur faible utilité du fait de leur localisation dans des centres urbains déjà bien dotés en équipements sanitaires, comme en Angleterre, en Suède et en Italie. L’ensemble de ces mesures contribue à augmenter sensiblement le nombre de lits de soins intensifs – du secteur public essentiellement – dans plusieurs pays (+115 % en Suède, +43 % en Allemagne, +46 % en Argentine, +100 % en France pour la seule réanimation) mais elles se révèlent parfois insuffisantes ou inadaptées à la géographie de l’épidémie.

17Afin de tenir compte de cette géographie et de l’inégale implantation des équipements sanitaires sur le territoire, les autorités peuvent se livrer à un travail de coordination des établissements et de répartition des patients dont la forme est en partie façonnée par l’agencement institutionnel des États sanitaires. Dans ceux où une logique hiérarchique prédomine, le travail de coordination est orchestré par des structures administratives centrales ou locales, dans la continuité de leur mandat en matière d’organisation des soins : transferts interrégionaux de malades organisés par le ministère de la Santé et les Agences régionales de santé (ARS) en France ; coordination des hausses de lits de soins intensifs, décidées au niveau des Régions, par le Conseil national de la santé en Suède ; accords du National Health Service en Angleterre et du Health Service Executive en Irlande avec le secteur hospitalier privé pour l’accueil sans frais de patients (Delahaie, dans ce numéro). En Allemagne où le système de santé est marqué par une logique corporatiste, le gouvernement fédéral met en place un système d’information sur l’occupation en temps réel des lits dans les unités de soins intensifs qui permet de mieux orienter les patients au niveau de chaque Land et dont la gestion est confiée à l’association des médecins urgentistes DIVI (Kahmann, dans ce numéro). La coordination des services hospitaliers s’avère plus difficile dans un État gouverné par l’offre comme les États-Unis, où elle est cantonnée à une échelle locale à l’instar de la ville de New York. Cette situation tient au partage de compétences entre États fédérés et gouvernement fédéral, aux rapports de force entre ces échelons politiques et au faible contrôle public exercé sur les établissements de santé, majoritairement privés et en position dominante, qui se sont opposés depuis deux décennies à la création d’un système national de collecte et de partage des données hospitalières approprié à des situations d’urgence sanitaire (Sauviat, dans ce numéro).

L’encadrement soignant, enjeu connexe à l’augmentation des capacités d’accueil

18L’augmentation des capacités d’accueil des hôpitaux pose la question du niveau de leur encadrement médical et paramédical, alors même qu’un manque chronique de professionnels est observé avant le début de la crise sanitaire dans la plupart des pays étudiés dans ce numéro. Tandis que le National Health Service britannique déplore la vacance de 50 000 postes d’infirmiers, plus des trois quarts des hôpitaux allemands affirment éprouver des difficultés à recruter des médecins et des infirmiers (Freyssinet ; Kahmann, dans ce numéro). Cette situation tient à la faible attractivité des conditions de travail et des rémunérations dans le secteur hospitalier public sur lesquelles une forte pression est exercée à partir de 2010 dans les pays européens (Math, 2017:22-23). À part en Angleterre et surtout en Italie où d’importantes coupes budgétaires réduisent les capacités d’accueil des hôpitaux publics depuis la fin des années 2000 (Tognetti-Bordogna et al., dans ce numéro), le personnel infirmier tend certes à croître dans les pays étudiés mais parfois à un rythme plus faible que l’augmentation de l’activité évaluée en nombre de séjours hospitaliers comme en France et en Irlande entre 2010 et 2017 (graphique 3). Cette situation contribue à une intensification du travail soignant à laquelle concourent les transformations marchandes des hôpitaux évoquées précédemment et que renforce l’épidémie. Celle-ci a notamment pu aggraver le problème du manque de personnel soignant, l’un des groupes professionnels les plus touchés par le Covid-19  [10] dont l’absentéisme a ainsi pu augmenter comme au Royaume-Uni (Freyssinet, dans ce numéro).

19Aussi les autorités publiques adoptent-elles plusieurs mesures en vue d’accroître l’offre de travail soignant dans l’ensemble des pays étudiés, mais non sans difficulté aux États-Unis où la prégnance des logiques de marché dans le secteur hospitalier conduit, à l’inverse, les établissements à réduire leurs effectifs pour faire face à la baisse de leurs chiffres d’affaires (Sauviat, dans ce numéro). Il s’agit en premier lieu d’augmenter les effectifs hospitaliers par la mobilisation de volontaires, des étudiants en médecine et des médecins et infirmiers retraités pour une large part. Observé dans l’ensemble des pays, le recours au volontariat repose sur d’anciens dispositifs de gestion de crise comme la réserve sanitaire en France et surtout sur des plateformes développées au cours de l’épidémie à l’instar du registre national unique établi en Argentine et de l’initiative « Be on call for Ireland » lancée en Irlande (Mellado, Trenta ; Delahaie, dans ce numéro). L’accroissement des effectifs va en Italie jusqu’au recrutement dans les hôpitaux de nouveaux professionnels de santé qui renvoie au caractère en partie hiérarchique de l’État sanitaire. Ces différentes mesures peuvent s’articuler à des opérations de redéploiement des personnels sur le territoire comme le font les autorités chinoises locales et centrales qui, sans augmenter le volume global des effectifs hospitaliers, transfèrent des milliers de médecins et infirmiers volontaires de la province du Hubei et du reste du territoire national vers la ville de Wuhan, épicentre de l’épidémie (Xing-Bongioanni et al., dans ce numéro).

Graphique 3. Taux de croissance annuel moyen du nombre de séjours hospitaliers et des effectifs d’infirmiers qualifiés et sages-femmes entre2010 et 2017

Graphique 3. Taux de croissance annuel moyen du nombre de séjours hospitaliers et des effectifs d’infirmiers qualifiés et sages-femmes entre2010 et 2017

Graphique 3. Taux de croissance annuel moyen du nombre de séjours hospitaliers et des effectifs d’infirmiers qualifiés et sages-femmes entre2010 et 2017

NB : Concernant le personnel soignant, il s’agit d’effectifs en équivalent temps plein, excepté pour l’Italie.
Source : https://stats.oecd.org/.

20L’augmentation de l’offre de travail médical et paramédical passe en outre par des interventions publiques sur les conditions juridiques d’exercice de la médecine et des professions paramédicales. Ces interventions peuvent faciliter le recrutement de praticiens étrangers comme dans le Land de Bavière, en France et dans certains États fédérés américains, sans que le gouvernement fédéral américain n’assouplisse toutefois sa politique restrictive de visas vis-à-vis des médecins étrangers dont dépend pourtant fortement le système de santé (Sauviat, dans ce numéro). Mais l’action sur les conditions juridiques d’exercice vise surtout à augmenter le temps de travail des professionnels de santé, ce qui constitue partout le mode principal d’ajustement de l’offre de soins aux besoins pendant l’épidémie. Ce recours au droit est particulièrement visible en Allemagne où les autorités fédérales révisent le cadre réglementaire d’exercice à l’hôpital (assouplissement des seuils de personnels pour certains services, augmentation des heures supplémentaires, etc.) et, ce faisant, donnent la possibilité aux directions d’établissement de modifier leur gestion des personnels soignants (Kahmann, dans ce numéro).

21En contrepartie de la dégradation de leurs conditions de travail pendant la première vague épidémique, les professionnels hospitaliers se voient accorder par les autorités publiques des gratifications financières dans plusieurs pays étudiés dans ce numéro. D’une part, celles-ci peuvent prendre la forme de primes exceptionnelles qui sont décidées par l’État et distribuées aux professionnels de santé engagés dans la lutte contre le Covid-19 comme en Argentine et en Chine notamment. En Suède, ces compensations financières ponctuelles reposent sur des dispositions conventionnelles relatives aux situations d’urgence sanitaire, antérieures à l’épidémie, qui lient autorités régionales et syndicats de personnels de santé (Jolivet, dans ce numéro). D’autre part, les contreparties accordées aux professionnels peuvent s’inscrire dans la durée comme en France et en Italie. La crise sanitaire y favorise une mise à l’agenda gouvernemental de problèmes de rémunération et de sous-effectifs apparus bien avant l’épidémie auxquels répondent les accords du « Ségur de la santé » en France et le décret-loi « Rilancio » en Italie à travers des revalorisations salariales et/ou le recrutement de personnels de santé dans les hôpitaux et autres services de santé (Gay, Steffen ; Tognetti-Bordogna et al., dans ce numéro).

Un recours disparate aux soins primaires et à des structures intermédiaires

22Si les interventions étatiques sont centrées sur les capacités d’accueil du système hospitalier dans la gestion de la crise sanitaire, certains pays s’appuient aussi sur leurs soins primaires. Qualifiés parfois de « premier recours », ceux-ci désignent les structures et professionnels de proximité (médecins généralistes, infirmiers, etc.) dont le fonctionnement tend à privilégier le travail coordonné et l’articulation des soins préventifs, curatifs et de suivi. Bien que les soins primaires fassent partout l’objet d’une attention politique croissante dans le cadre du virage ambulatoire évoqué précédemment (Hassenteufel et al., 2020), leur régulation publique est surtout développée dans les États sanitaires hiérarchiques où elle peut être valorisée dans la gestion de l’épidémie. Ainsi, en Suède, le gouvernement fonde en partie sa politique de dépistage sur les centres de santé, tandis que de nouvelles structures ambulatoires sont mises en place pour répondre à des besoins de santé apparus avec l’épidémie (Jolivet, dans ce numéro). En Italie où la structuration des soins primaires diffère entre les régions du fait de la décentralisation du système de santé, les autorités de Vénétie assoient leur stratégie de dépistage et de traçage des cas sur les « districts socio-sanitaires ». Ce sont des structures locales de coordination des soins, délaissées a contrario en Lombardie au profit d’une organisation centrée sur l’hôpital, que le gouvernement central cherche à renforcer pendant l’épidémie d’« unités spéciales de continuité des soins » pour le suivi des malades du Covid-19 (Tognetti-Bordogna et al., dans ce numéro). À l’inverse des cas italien et suédois, les structures de proximité jouent un rôle secondaire dans la gestion de la crise en Angleterre, pourtant précurseuse en matière de régulation des soins primaires mais dont les échelons sanitaires locaux ont été allégés au cours des années 2010. Leur implication dépend des initiatives locales des Clinical Commissioning Groups, responsables de l’organisation des soins primaires depuis 2013, dont l’action consiste principalement dans la mise en place de « hot hubs » chargés du suivi médical des individus vulnérables touchés par le Covid-19 (Freyssinet, dans ce numéro).

23La mobilisation étatique des soins primaires paraît plus marginale dans les systèmes d’assurance maladie dans lesquels le secteur ambulatoire reste dominé par une forme d’exercice libérale et individuelle. C’est notamment le cas en France où les autorités publiques confient la fonction d’orientation des malades au Centre 15 plutôt qu’aux médecins de ville qui ne sont intégrés à leur stratégie qu’à partir du déconfinement en mai (Gay, Steffen, dans ce numéro). La faible emprise publique sur les professionnels de santé de proximité peut être compensée dans certains États par un investissement gouvernemental dans d’anciennes organisations publiques qui ont été laissées à la dérive faute de ressources ou dont les objectifs initiaux ne relèvent pas de la gestion des risques sanitaires. À ce propos, deux exemples retiennent l’attention dans ce numéro. En Allemagne, le gouvernement fédéral et les Länder placent au centre de leur lutte contre la propagation du virus des organisations administratives déclassées, les agences locales de santé, qui supervisent à l’échelle communale les opérations de dépistage, tracent les chaînes de contamination et contrôlent l’isolement des malades. Sous-financées et sous-encadrées, les Gesundheitsämter bénéficient alors de l’appui de l’armée et de fonctionnaires d’autres administrations fédérales et locales pour l’accomplissement de ces tâches qui relèvent de leurs missions historiques de santé publique (Kahmann, dans ce numéro). En Chine, le recensement des cas suspects et le contrôle de l’isolement des malades sont confiés par les autorités municipales aux « communautés de quartier », des organisations publiques qui habituellement gèrent les programmes d’aide sociale et offrent des services sanitaires et sociaux aux plus démunis. Ces dernières voient ainsi leur mandat élargi à de nouvelles tâches (classement des demandes d’accès aux soins, mise en œuvre du confinement, etc.) qui en font un acteur clé de la gestion publique de l’épidémie (Xing-Bongioanni et al., dans ce numéro).

La difficile adaptation des capacités industrielles

24La mobilisation des hôpitaux et des professionnels de santé s’est heurtée à des pénuries de matériel médical (respirateurs et matériels de protection notamment), de médicaments et de tests qui s’observent dans tous les pays traités dans ce numéro. L’épidémie de Covid-19 révèle ainsi l’importance de la dimension industrielle des enjeux de santé et l’inégale ampleur des industries médicales nationales dont les États cherchent à intensifier la production. Leur action est cependant contrainte moins par une dépendance économique unilatérale vis-à-vis de la Chine que par de fortes interdépendances qui lient au niveau mondial les grands pôles industriels avec, dans certains cas, une dépendance forte sur des produits stratégiques.

Les capacités inégales de mobilisation des appareils industriels

25Si aucun système productif n’est en mesure de répondre à une hausse aussi brutale de la demande  [11], sauf à disposer de réserves jouant le rôle de tampon (encadré 2), les États ont néanmoins mobilisé leur industrie nationale pour s’efforcer de répondre aux besoins. Les pays traités dans ce numéro sont cependant très différemment dotés pour relever ce défi, même partiellement.

26Certains pays disposent d’une base industrielle développée dans le domaine des équipements médicaux et pharmaceutiques qui leur permettent d’augmenter rapidement leur production. C’est le cas de la Chine qui apparaît avoir été le seul pays en mesure d’accroître significativement sa production de masques, multipliée par dix pour répondre à la demande (OECD, 2020a). Le pays est aussi parvenu à multiplier sa production de tests par 15 entre janvier et le début du mois de février, grâce à la mobilisation, fortement médiatisée, des entreprises publiques, en particulier de Wuhan Iron & Steel (Xing-Bongioanni et al., dans ce numéro). Les entreprises privées ont aussi été mobilisées et coordonnées par le gouvernement central qui apparaît toutefois relativement en retrait dans la gestion sanitaire de l’épidémie. L’Allemagne a pu, quant à elle, mettre en place une politique de dépistage précoce car elle disposait d’une capacité de production des tests en amont de l’épidémie. C’est une équipe berlinoise qui met au point le premier test du Covid-19 dès la mi-janvier. L’industrialisation de la production est lancée fin janvier, de sorte que lorsque le premier cas est identifié dans le pays le 26 mars, un stock de 4 millions de tests individuels a été constitué et l’entreprise produisant les tests tourne à plein régime (Kahmann, dans ce numéro). Cette capacité de réaction de l’Allemagne s’inscrit dans un effort de long terme pour constituer une industrie pharmaceutique et notamment biopharmaceutique de premier plan, tant sur le plan de la recherche que de la production sur son sol (Loeppky, 2020).

27En matière d’équipement, le cas des États-Unis est singulier. Même si ce pays a connu une érosion de ses capacités productives, notamment en termes de matériel médical à faible intensité capitalistique comme les masques, il demeure, y compris dans ce segment de marché, un leader mondial. En temps normal, la production nationale de masques couvre l’essentiel des besoins du pays. Pourtant, les États-Unis ne sont parvenus qu’à doubler leur production de janvier à mars, alors que la demande a plus que quadruplé durant cette période  [12] (Gereffi, 2020). De même, bien que le pays soit un des leaders mondiaux en termes de biopharmacie (Loeppky, 2020), les premiers tests produits sous l’égide des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) le 8 février 2020 ne sont pas fiables. En dépit de capacités industrielles certaines et malgré sa caractérisation comme État sanitaire gouverné par l’offre, le pays n’a pas été capable d’assurer la production de biens vitaux. Dans son article, Catherine Sauviat décrit ce que cette situation doit aux failles des agences de santé publique et à celles de la présidence. Donald Trump, par son scepticisme scientifique et ses volte-face, a causé la paralysie des institutions fédérales au plus haut niveau. Comme le formule Garry Gereffi (2020:296), la gestion de l’épidémie aux États-Unis est « plus un échec politique qu’un échec du marché », même si les logiques de concentration, de financiarisation et d’optimisation fiscale des entreprises expliquent aussi l’impréparation des stocks de certains produits (Sauviat, dans ce numéro).

28Les autres pays traités dans ce numéro ont été moins aptes à répondre à la demande. Le cas le plus extrême est sans doute celui du Royaume-Uni, où le gouvernement annonce mi-mars mobiliser des entreprises privées, non spécialistes de respirateurs, afin d’en produire 20 000 pour combler les besoins du pays dans les deux semaines (Freyssinet, dans ce numéro), soit autant que la commande annuelle du gouvernement fédéral allemand… qui peut quant à lui compter sur la présence sur son sol de deux des leaders mondiaux des respirateurs médicaux, Maquet et Drägerwerk (Bamber et al., 2020). Le gouvernement français s’est pour sa part posé en animateur des reconversions industrielles, jouant un rôle moteur dans la mise en place du consortium entre Air Liquide, PSA, Schneider Electric et Valeo pour porter les capacités nationales de production de respirateurs médicaux de 3 000 à 10 000 unités. Ces appareils ont certes été livrés, mais une majeure partie d’entre eux n’est pas adaptée aux prises en charge dans les hôpitaux (Gay, Steffen, dans ce numéro). Dans ces deux cas, la mobilisation de secteurs industriels tiers pour la production d’appareils médicaux complexes apparaît comme un échec, montrant que la constitution d’une filière industrielle ne s’improvise pas.

29Même si l’état des forces productives initiales détermine largement les capacités nationales à répondre à la demande, les États moyennement industrialisés ont des marges de manœuvre. Ainsi, l’Argentine, qui dispose d’une industrie nationale limitée mais solide de matériel médical, est un cas d’école de politique volontariste de soutien à l’industrie : le ministère du Développement productif met en place fin mars un programme de soutien au secteur de l’équipement médical sous la forme d’un crédit à taux d’intérêt réel négatif et d’aide à la R&D publique. De même, les investissements du gouvernement aboutissent à l’élaboration d’un test sérologique à prix très réduit, qui autorise la mise en place d’une politique de dépistage ciblée sur plusieurs quartiers déshérités, évoquée dans la première partie de l’article (Mellado, Trenta, dans ce numéro).

30Au-delà de cet effort de mobilisation des capacités productives nationales, il n’en demeure pas moins que les pays sont moins dépendants de l’un d’eux qu’interdépendants. La majorité des pays analysés dans ce numéro a dû mettre en place une politique d’achat centralisé pour gérer les pénuries, y compris dans des États fédéraux (Allemagne) ou quasi-fédéraux (Italie), où le gouvernement a retiré aux Länder ou aux Régions la compétence de gestion des approvisionnements des hôpitaux. La France et l’Argentine sont allées plus loin encore dans la déformation des mécanismes de marché, en instaurant un encadrement des prix (Gay, Steffen ; Mellado, Trenta, dans ce numéro).

Interdépendance des échanges et réflexes protectionnistes

31La plupart des articles du numéro évoquent des débats publics liant manques de matériel, incapacité de l’industrie nationale à répondre à l’accroissement soudain des besoins, désindustrialisation et dépendance croissante à la Chine. Or, si la Chine est la première source des importations de l’UE en matière d’équipement de protection individuelle, loin devant les États-Unis, la Suisse et le Royaume-Uni (Coron, Sauviat, dans ce numéro), elle est, pour chaque pays européen, un partenaire de bien moindre ampleur que d’autres pays européens dans les échanges de produits médicaux. La Chine n’est ainsi que le huitième fournisseur de la France, représentant moins de 4 % de ses importations de matériel médical en valeur, contre 25 % pour l’Allemagne, 11 % pour les Pays-Bas ou 10 % pour les États-Unis (Chiappini, Guillou, 2020). De même, les importations de produits pharmaceutiques des pays européens en provenance de la Chine sont inférieures à 5 %. Même si l’on se concentre sur les seuls produits qui ont connu une explosion de la demande liée au Covid-19, la Chine ne représente que 8 % des flux commerciaux mondiaux contre 15 % pour l’Allemagne, 11 % pour les États-Unis et 7 % pour l’Irlande (OECD, 2020b).

32L’UE n’est ainsi pas dépourvue de capacités productives. Elle est certes dépendante du reste du monde pour certains produits, mais l’inverse est vrai aussi, y compris pour les produits nécessaires à la lutte contre le Covid-19. Si la Chine représente 50 % de la production mondiale de masques chirurgicaux, plus de la moitié de la production mondiale de respirateurs est réalisée sur le territoire européen (Batmanghelidj, 2020)  [13]. Dans le domaine des masques (FFP2/FFP3 ou N95)  [14] et du gel hydroalcoolique, l’UE demeure là aussi le premier exportateur mondial (Gereffi, 2020). De même, pour les réactifs des tests, la production de l’UE dépasse largement sa consommation en temps normal (Chiappini, Guillou, 2020). Toutefois, une divergence croissante dans les capacités productives nationales peut être observée au sein de l’UE, caractérisée par une forte polarisation autour de l’Allemagne et des Pays-Bas dans les secteurs du matériel médical et des médicaments, et dans une moindre mesure de l’Italie et de l’Irlande  [15] (Coron, Sauviat, dans ce numéro)  [16]. À l’inverse, plusieurs pays voient leur industrie s’affaiblir, comme la France, ou disparaître presque totalement dans le cas de la Suède (Jolivet, dans ce numéro).

33Par ailleurs, l’existence de capacités productives en excédent, destinées à l’exportation, a pu servir à justifier la mise en place de barrières à l’exportation aux États-Unis, en Chine et dans l’UE, rappelant le primat du cadre national dans la gestion de la crise évoqué en début d’article. Ces barrières ont accentué les pénuries car chacun de ces trois grands acteurs dispose d’un quasi-monopole de fait sur des produits médicaux très spécifiques dont dépendent les autres. Ainsi, la part relativement modeste de la Chine dans la valeur ajoutée finale des produits et équipements médicaux n’empêche pas celle-ci de disposer d’un quasi-monopole sur certains produits, de faible valeur marchande, mais cruciaux pour la production d’équipements médicaux ou de protection (Coron, Sauviat, dans ce numéro), comme les tissus non tissés à base de polypropylène servant à la confection de masques (OECD, 2020a). De leur côté, les États-Unis ont un quasi-monopole sur certains réactifs à la base des tests de dépistage (Chiappini, Guillou, 2020). Ces barrières à l’exportation ont entraîné une réduction brutale de l’accès des pays en voie de développement à un large éventail de produits vitaux. Ceux-ci dépendent en effet parfois intégralement des principaux pays industrialisés pour certains produits (Bown, 2020). La conscience de cette dépendance du reste du monde vis-à-vis de l’UE pour certains produits a d’ailleurs conduit son haut-représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Josep Borrell, à s’opposer, avec succès, aux restrictions à l’exportation des respirateurs (Batmanghelidj, 2020). Mais cette décision n’est pas motivée par de seules considérations humanitaires : la dépendance de nombreux pays en développement à certains produits européens est en effet présentée comme un instrument de construction d’une « Europe géopolitique », qui serait menacée par la mise en place de barrières à l’exportation  [17].

34Les pénuries de matériel médical et de protection sont donc surtout liées à l’ampleur du choc auquel les capacités productives mondiales ont été dans l’incapacité de répondre. Ainsi, la Chine a elle aussi connu des pénuries (Xing-Bongioanni et al., dans ce numéro), y compris de masques chirurgicaux dont elle a dû importer plus de 2 milliards d’unités entre janvier et mars 2020 (OECD, 2020a), ce qui a aggravé les tensions mondiales sur ce produit. Première touchée par l’épidémie, elle s’est largement portée acquéreuse des stocks existants qui ont manqué par la suite. À l’échelle globale, les interdépendances sont fortes.

Conclusion

35Face à une pandémie au caractère par définition transnational, les réponses politiques sont restées nationales pour l’essentiel. Les coordinations inter-gouvernementales dans la gestion de la crise sanitaire ont été rares ou défaillantes, l’OMS et l’UE échouant en particulier à s’imposer comme des acteurs incontournables. La persistance des cadres nationaux d’action publique n’empêche toutefois pas les autorités publiques d’adopter des recettes similaires pour faire face à l’épidémie dans les différents pays étudiés. Mesures de restriction des déplacements et de confinement de la population, déprogrammation d’opérations non vitales et construction d’hôpitaux de fortune pour accroître l’offre de soins intensifs, renfort de professionnels de santé volontaires : ces initiatives se retrouvent dans la plupart, voire l’ensemble des cas étudiés dans ce numéro. Pour expliquer ces ressemblances notamment en matière de confinement, l’idée d’un mimétisme entre gouvernements favorisé par l’incertitude scientifique et politique de la période est avancée mais appellerait des investigations plus poussées. Ces similitudes peuvent aussi tenir à des tendances convergentes des politiques de santé qui contraignent l’action des gouvernants face à l’épidémie : déclin de l’attention politique au risque pandémique illustré par l’absence d’actualisation des plans nationaux de préparation en la matière, réduction du nombre de lits hospitaliers sous l’effet de réformes des systèmes de santé fondées sur des logiques de marché et la promotion d’un virage ambulatoire, etc.

36Au-delà de ces recettes communes, les articles du numéro donnent aussi à voir des différences nationales dans la gestion sanitaire de l’épidémie que peut éclairer l’agencement institutionnel des États sanitaires. Ces différences portent tout d’abord sur les modalités de mise en œuvre de ces solutions partagées qui peuvent recouvrir des formes associées à la logique hiérarchique, corporatiste ou de soutien à l’offre des États sanitaires. Cela est particulièrement visible en matière de coordination des hôpitaux et de répartition des patients et, de manière secondaire, dans les modes de mobilisation accrue de l’offre de travail soignant. Les stratégies sanitaires des autorités publiques peuvent aussi présenter des originalités liées à la structure des États sanitaires et aux opportunités qu’elle offre. Ainsi, dans les systèmes hiérarchiques où la régulation publique des soins primaires est développée, ceux-ci ont pu être intégrés dans les politiques d’urgence sanitaire des autorités, quoique de manière non systématique. Les agencements des États sanitaires peuvent enfin être à l’origine de problèmes particuliers qui émergent au cours de l’épidémie et nécessitent des interventions spécifiques. C’est ce qu’illustre le problème de l’accès financier aux soins qui apparaît uniquement dans les systèmes fondés sur des assurances (sociales et/ou privées).

37Pour éclairante qu’elle soit, la typologie des États sanitaires ne permet toutefois pas d’expliquer parfaitement les réponses sanitaires développées par les autorités pendant l’épidémie, à commencer par les ressemblances relevées entre l’Allemagne et la Suède dans leur recours à l’expertise et aux outils de préparation aux risques sanitaires, malgré leur affiliation à des systèmes de santé distincts. De fait, cette typologie – comme la plupart des classifications des systèmes de santé – est pensée à partir de la biomédecine, de son financement, de son équipement et de sa régulation. L’organisation de la santé publique n’est pas prise en compte, tout comme la structure (fédérale, unitaire, etc.) des États, qui apparaissent comme des facteurs importants de compréhension des mobilisations sanitaires des autorités étatiques pendant l’épidémie, du contenu de leurs actions et des modalités de leur mise en œuvre.

38Sans chercher à évaluer l’efficacité des réponses sanitaires des États à l’épidémie de Covid-19, force est de constater que leurs capacités de préparation et de réaction ont été sensiblement affectées par les réformes sanitaires inspirées du nouveau management public et fondées sur des principes de marché qui se succèdent depuis les années 1980, du moins dans les pays européens étudiés. En effet, celles-ci cherchent à faire advenir des systèmes de santé fonctionnant à flux tendus et, ce faisant, inadaptés à des chocs épidémiques dont la gestion nécessite la constitution de réserves et le recouvrement de marges d’action. Ciblant le plus souvent la médecine technique et hospitalière, ces réformes se désintéressent en outre généralement de la santé publique que les citoyens et les gouvernants redécouvrent, dans ses dimensions les plus anciennes comme les plus modernes, à la faveur de la crise sanitaire. Celle-ci ne pourrait-elle pas alors être un levier de transformation de la place de la santé dans le débat public comme de ses approches qui dominent et organisent ce débat ? En somme, la pandémie de Covid-19 ne pourrait-elle pas soutenir un renouvellement des rapports politiques à la santé ? Ce sont là des enjeux majeurs que devraient investir les organisations syndicales si l’on veut rompre avec les logiques économistes et technicistes dans lesquelles sont enfermés les débats publics sur les systèmes de santé depuis de nombreuses années.

39Achevé de rédiger le 30 novembre.

Notes

  • [1]
    L’idée d’une première phase épidémique ne doit toutefois pas conduire à sous-estimer la diversité des trajectoires épidémiques nationales qui peuvent prendre des formes différentes. C’est le cas des États-Unis où, après celui d’avril, un nouveau surcroît de mortalité est observé dès l’été, lié à un déplacement de l’épidémie de la région du Nord-Est vers l’Ouest et le Sud.
  • [2]
    H. Leridon, « Lutte contre le covid-19 : les limites des comparaisons internationales », The Conversation, 7 juin 2020, https://bit.ly/2H7T1Vh.
  • [3]
    L. Boussaguet, F. Faucher, « Comment Emmanuel Macron a raté son rendez-vous symbolique avec les Français », The Conversation, 27 mai 2020 ; voir aussi Faure (2020).
  • [4]
    La « loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 » du 23 mars en France, le « Coronavirus Act » du 25 mars au Royaume-Uni, le « Health (Preservation and Protection and other Emergency Measures in the Public Interest) Act » du 20 mars en Irlande.
  • [5]
    Adopté en 1951 et révisé en profondeur en 2005 après l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), le Règlement sanitaire international lie l’ensemble des États membres de l’OMS. Il définit notamment la procédure d’urgence de santé publique de portée internationale et précise les obligations des États à l’égard de l’OMS (notification des événements de santé publique sur le territoire national, etc.) et réciproquement en confiant à cette dernière une mission de surveillance, d’alerte et de recommandation face aux risques sanitaires, notamment infectieux.
  • [6]
    La biomédecine désigne le rapprochement, principalement dans la deuxième moitié du XXe siècle, de la médecine clinique et des savoirs biologiques qui est largement soutenu par les États, favorise l’essor d’industries biotechnologiques et entretient un modèle de santé à dominante curative.
  • [7]
    Ce sont d’ailleurs les pays qui sont dotés des plans de lutte contre la pandémie grippale les plus récents en Europe dans leur dernière version (2019 en Suède, 2017 en Allemagne, entre 2009 et 2011 pour les autres pays européens étudiés dans le numéro).
  • [8]
    Cela va sans dire mais les effets sanitaires du confinement ne sont pas réductibles à sa capacité ou non à contenir l’épidémie de Covid-19. Leur évaluation doit aussi intégrer le non-recours au système de soins d’individus malades, les ruptures de suivi de malades (notamment chroniques et psychiatriques) ou encore le report d’interventions chirurgicales programmées.
  • [9]
    Cette « privatisation externe » est aussi très présente en Chine même si la temporalité de ce mouvement et ses ressorts institutionnels et politiques sont différents de ceux observés en Europe (Xing-Bongioanni et al., dans ce numéro).
  • [10]
    ecdc.europa.eu/en/covid-19/latest-evidence/epidemiology.
  • [11]
    À l’échelle mondiale, celle-ci a ainsi littéralement décuplé pendant la période pour certains produits comme les masques, les réactifs ou les respirateurs (OECD, 2020a).
  • [12]
    A. Hufford, « 3M CEO on N95 masks: “Demand exceeds our production capacity” », Wall Street Journal, April 2, 2020.
  • [13]
    Ce qui est d’autant plus considérable que l’UE ne représente que 7 % de la population mondiale contre 19 % pour la Chine.
  • [14]
    Les masques N95 sont l’équivalent aux normes étasuniennes des masques FFP2 européens.
  • [15]
    Principalement pour des raisons fiscales : des entreprises non européennes s’implantent en Irlande, d’où elles réexpédient des biens produits hors de l’Union. Ce phénomène vaut aussi en partie pour les excédents néerlandais, l’accroissement des excédents commerciaux en termes d’équipements médicaux semble surtout provenir des parts de marché gagnées par l’acteur historique du secteur qu’est Phillips. « Excédent de 1,3 milliard d’euros du commerce international de biens de la zone euro », Communiqué de presse n° 46/2020, Eurostat, 18 mars 2020, https://bit.ly/2Uxuk7J.
  • [16]
    Cette tendance à la polarisation de secteurs entiers dans un petit nombre de pays avait déjà été relevée pour les industries automobile et aéronautique (Serfati, Sauviat, 2018), qui se concentre autour de l’Allemagne pour la première et de la France pour la seconde.
  • [17]
    J. Borell, « The Coronavirus pandemic and the new world it is creating », European Union external action, March 23, 2020, https://bit.ly/3f60ctC.
Français

L’article propose une lecture transversale du numéro qui porte sur les mobilisations sanitaires de neuf États et de l’Union européenne face à la « première vague » de l’épidémie de Covid-19. En s’intéressant aux interventions publiques sur l’accès aux soins, les services de santé et l’industrie médicale, il montre que la plupart des États ont recours à des recettes similaires (confinement, mobilisation des hôpitaux, etc.) qui s’inscrivent cependant dans des logiques nationales liées aux configurations institutionnelles et économiques des systèmes de santé.

Mots-clés

  • Covid-19
  • État
  • système de santé
  • hôpital
  • inégalités de santé
  • professionnels de santé
  • pénurie de matériel médical
  • accès aux soins
  • confinement
  • urgence sanitaire

Sources

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  • Bamber P., Fernandez-Stark K., Taglioni D. (2020), « Four reasons why globalized production helps meet demand spikes: The case of medical devices and personal and protective equipment », World Bank Blogs, May 12, https://bit.ly/3f5y21Y.
  • Batmanghelidj E. (2020), « European supply chains are global lifelines: Why Europe must maintain medical exports during the COVID-19 pandemic », Global Security Policy Brief, European Leadership Network, April, https://bit.ly/3lHZW6A.
  • Borraz O., Gilbert C. (2008), « Quand l’État prend des risques », in Borraz O., Guiraudon V. (dir.) Politiques publiques 1, Paris, Presses de Sciences Po, p. 337-357.
  • Bown C.P. (2020), « EU limits on medical gear exports put poor countries and Europeans at risk », Trade and Investment Policy Watch, Peterson Institute for International Economics, March 19, https://bit.ly/2H8toUm.
  • Brender N., Gilbert C. (2016), « De l’émergence aux émergences. Le cas de la pandémie grippale », in Morand S., Figuié M. (dir.), Émergence de maladies infectieuses. Risques et enjeux de société, Versailles, Éditions Quæ, p. 37-62, https://doi.org/10.3917/quae.moran.2016.01.0037.
  • Brun S., Simon P. (2020), « Dossier : Inégalités ethno-raciales et coronavirus », De Facto, n° 19.
  • Burau V., Blank R.H. (2006), « Comparing health policy: An assessment of typologies of health systems », Journal of Comparative Policy Analysis: Research and Practice, vol. 8, n° 1, p. 63-76, https://doi.org/10.1080/13876980500513558.
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Renaud Gay
Chercheur post-doctoral à l’Ires
Kevin Guillas-Cavan
Chercheur à l’Ires
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/01/2021
https://doi.org/10.3917/chii.171.0003
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