CAIRN.INFO : Matières à réflexion

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Si l’œuvre de David Wojnarowicz ne doit pas être réduite à son travail sur le sida, la maladie en a pourtant profondément orienté le cours, qui était, au fond, celui de sa vie même. Les artistes ont toujours un temps d’avance sur nous, quand leur « pensée-radar » aiguise leur rapport au monde. Chaque œuvre de Wojnarowicz, dès ses débuts, était une sortie par le haut d’une société qu’il jugeait insupportable, un exercice de catharsis très précieux. Et lorsque l’épidémie de sida détruisit sous ses yeux jusqu’à la vie même de ceux qu’il aimait – Peter Hujar, son amant-compagnon-mentor, mourut en 1987 –, il tira de la catastrophe des œuvres terriblement puissantes où passe l’époque tout entière, de l’incurie criminelle des pouvoirs publics dans la crise au besoin de « beauté », « ce à quoi nous voulons revenir », parce qu’en dehors d’elle, « nous n’avons nulle part où aller ». Wojnarowicz a toujours créé dans un espace social très abîmé par la violence qu’il voyait déployée sous toutes ses formes, et ce dès sa jeunesse. Mort en 1992 à 38 ans, il léguait des outils renouvelés pour la penser, en art comme ailleurs, et une réinvention archi-personnelle du territoire libre de l’imagination qu’il a toujours considéré comme un refuge, le seul, au fond, absolument irréductible et irrécupérable par les pouvoirs.
Thibault Boulvain – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/Institut national d’histoire de l’art

2À la demande de la photographe Marion Scemama, Félix Guattari a rédigé en 1989 un essai intitulé Notes, pour le catalogue photocopié de l’exposition de David Wojnarowicz In the Shadow of Forward Motion à la galerie P.P.O.W. à New York. Sylvère Lotringer traduisit le texte de Guattari pour le catalogue [1]. Pour Wojnarowicz, c’était important de se voir reconnu par un intellectuel tel que Guattari, dont certaines traductions circulaient dans Semiotext, la revue animée par Sylvère Lotringer qui contribua, à partir de la moitié des années 1970, à la réception de la « French theory » au-delà des cercles académiques, dans une New York bohème et « schizoculturelle ».

3Guattari souligne dans son papier le courage personnel de Wojnarowicz face à sa séropositivité, ainsi que son sens politique dans la confrontation ouverte avec la censure et les mesures réactionnaires qui pesaient dans l’attribution des subventions aux activités artistiques. Guattari soulignait la présence de Wojnarowicz dans les rues avec ACT-UP, son combat victorieux devant les tribunaux contre l’attaque de son travail par l’Association des familles américaines, son soutien à Karen Finley après que le Fonds national des Arts lui ait retiré son financement. Guattari s’est intéressé surtout à la manière dont cet artiste forgeait une cartographie très singulière à partir principalement de ses rêves.

4À quoi ressemblerait une approche schizoanalytique des rêves de Wojnarowicz ? Quelles conditions mettre en place pour une telle approche ? Les journaux intimes de Wojnarowicz sont remplis de rêves. In the Shadow of the American Dream : The Diaries of David Wojnarowicz contient de nombreux récits et quelques réflexions à ce propos. Il note au printemps 1979 que « les rêves de ce dernier mois ont été comme des diapositives claquant l’une après l’autre dans une vieille visionneuse – scènes personnages associations vie – rythmes raisons formes : tout change vite ». Guattari note son intérêt pour les machines tout au long de son essai, et montre combien les contenus des rêves et les fantasmes sont connectés à des machines défuntes qui jonchent le paysage qu’elles avaient aidé à coloniser (spécialement les machines à vapeur) et sont parfois élevées au rang de dieu païen. La méthode d’enregistrement de ses rêves par Wojnarowicz, au magnétophone et sur carnets, a impacté son écriture et son art visuel, et ceux-ci en retour ont alimenté sa perpétuelle réinvention de lui-même. Il utilisait les images qu’il créait pour son militantisme en faveur d’un changement de la manière dont les institutions publiques de santé traitaient le Sida. L’admiration de Guattari pour Wojnarowicz dépasse sa peinture ou l’art de l’East Village et enveloppe son militantisme artistique contre la stigmatisation de la culture gay et des séropositifs aussi gays qu’hétéros. S’intéresser à Wojnarowicz, c’est se poser la question d’une « esthétique autonome », immanente à la vie personnelle de l’artiste, à son milieu et à ses nombreuses collaborations, mais aussi autonome par rapport aux institutions. La dimension esthétique dans le cas de Wojnarowicz est inséparable des sites d’autonomie socio-sexuelle que sont les hangars et les quais abandonnés des anciens chantiers navals le long de l’Hudson qu’il a commencé à fréquenter à la fin des années 1970, « l’underground sexuel » comme il disait. Les rêves étaient sa machine littéraire, les quais la source de son énergie.

5Guattari ne mentionne qu’en passant les graffitis, les tags, les peintures murales, les graffs dessinés par Wojnarowicz et d’autres artistes sur les quais, sans spécifier les rôles multiples de ces lieux, terres de drague et de sexe public, toiles multimédias pour Wojnarowicz, et pour beaucoup réalisation de fresques non signées. Certaines de ces fresques n’étaient pas statiques mais animées par les corps des hommes. Les descriptions par Wojnarowicz des quais, des sons, de l’obscurité, du vent, de la lente désintégration des structures solides, et des moments de solitude, sont remarquables. C’est l’anonymat de ces lieux et d’autres gestes, largement irrécupérables par le marché de l’art, qu’il préférait : « vous ne pourriez pas signer une touffe d’herbe Wojnarowicz » [2].

6Mon approche schizoanalytique des rêves de Wojnarowicz est aussi informée par l’essai de Guattari Soixante-neuf rêves de Franz Kafka, dans lequel il expose sa méthode de collecte et d’analyse des rêves tirés des carnets, des lettres, des romans, et mélangeant des périodes de la vie de K. J’analyserai donc également les rêves de Wojnarowicz, ses écrits, ses travaux visuels, en extrayant d’eux diverses dynamiques prégnantes. Je chercherai de plus à articuler un principe de sélection et un point d’entrée dans chaque rêve de manière à retrouver l’ambition critique de Guattari dans l’analyse de son propre rêve de l’automobile perdue. Établir un corpus qui saute par-dessus les années peut choquer les amoureux des biographies mais le mouvement de l’exploration passe ainsi à travers diverses strates de temps. Surtout dans la conception de Guattari où chaque rêve est un hologramme qui contient tout le programme de la vie. Un simple rêve est chargé d’une vie en n-dimensions.

Les rêves de Kafka

7Revenons donc d’abord à Kafka. Pour Guattari l’enregistrement par Kafka de ses rêves est plus qu’une source d’inspiration : c’est un outil pour écrire et une méthode pour l’élaboration de ses objectifs littéraires [3]. Cela met Kafka aux antipodes de Freud. L’interprétation freudienne est dite par Freud lui-même « un passage […] qui doit être laissé obscur, car nous nous sommes rendu compte que durant le travail d’interprétation il y a un point d’accroche des pensées de rêves qui ne peut pas être révélé [4] ». Mais est-ce que c’est là que s’arrête l’interprétation ? Guattari le refuse avec Kafka : « Au point où s’arrête l’interprétation freudienne – ce que Freud a appelé l’ombilic du rêve –, tout commence pour Kafka » [5]. Le modèle alternatif d’un inconscient machinique immanent développé par Guattari, donne lieu à une micro-production de toutes sortes de choses, et ne se referme pas sur un nœud [6].

8L’extraction et la multiplication des singularités par Kafka commencent sans surcodage d’aucune sorte, dit Guattari [7]. La pragmatique onirique de Kafka ne passe jamais par l’inconnu ou au contraire par des coordonnées trop communes, mais fonctionne de manière intersubjective pour choisir les rêves de sa fiancée qu’il considère avoir été rêvés collectivement par le couple. Au-delà de ce rôle particulier, Guattari observe trois contenus de rêves principaux dans les textes de Kafka : les flux de lettres, les machines à écrire, les bandes de jeunes filles. Guattari cite aussi de nombreux exemples (les dents, les chiens, les prostituées, les filles aveugles) de transfert des points singuliers des rêves dans les écrits, ainsi que l’inverse, et donc de passages entre les rêves et les univers imaginaires. Guattari estime cependant que chaque point de singularité doit être traité avec les trois questions suivantes sans les durcir ni les statufier en symboles : 1. S’agit-il d’événements mineurs annonçant des catastrophes majeures ? 2. Y a-t-il neutralisation des événements ? 3. Y a-t-il réaffirmation d’une force motrice incidente dans le processus littéraire ? [8] Ces traitements exposent le rôle des rêves dans le processus littéraire de subjectivation auquel Kafka se livre.

9La pragmatique onirique renvoie directement à l’approche de la schizoanalyse et au rejet de « structures subjectives préformées au profit d’agencements d’énonciation capables de forger de nouvelles coordonnées pour lire et faire advenir de nouvelles représentations et propositions » [9]. L’interprétation de ces assemblages implique de prendre en compte des référents liés au contexte, qui ont des effets pragmatiques à l’intérieur des institutions aussi bien que dans des champs politiques et sociaux plus vastes.

Les rêves de David Wojnarowicz

10J’utiliserai ici trois textes : In the Shadow of the American Dream, Close to the Knives and Memories that Smell Like Gasoline, en recherchant les points de singularité communs aux rêves et aux écrits – souvenirs, journal, commentaires. Mais il y a plus : dans Memories il y a des dessins avec des récits de rêves non datés [10] et des points d’entrée discursifs dans des textes, annoncés par des phrases comme : « au cours de ce sommeil », « dans ce rêve », « ce garçon marche dans mon sommeil », ou simplement « rêve » et « sommeil ». Ces marques signalent un changement de registre, et soulignent le processus littéraire. Close to the Knives est construit selon de multiples modalités : journaux personnels avec des fragments de rêves, transcriptions d’interviews enregistrés, extraits de lettres, conférences dans des galeries d’art, notes de recherche pour ACT-UP. Les rêves sont aussi illustrés, donnent lieu à des peintures, notamment les peintures « du sommeil » de la fin des années 1980. Nous ne sommes donc pas limités à une seule substance sémiotique.

11Pour Guattari, « la méthode de Wojnarowicz consiste à utiliser ses fantasmes et avant tout ses rêves, enregistrés ou transcrits systématiquement, pour se forger un langage et une cartographie qui lui permettent de reconstruire en permanence son existence. Cela donne à son œuvre une très grande vigueur » [11].

12Durant sa brève période de musicien « no wave » avec 3 Teens Kill 4, Wojnarowicz fournit des sons trouvés et enregistrés. Les singularisations subjectives ne sont pas isolées sur le plan imaginaire mais connectées à des événements historiques : la vie des quais pour la drague, le début des années 1980 quand le Sida fut diagnostiqué pour la première fois, l’énergie incroyable de l’art des graffitis, les performances et les fanzines. Les rêves de Wojnarowicz, et les autres moyens par lesquels son intimité est dévoilée, véhiculent des affects puissants qui collent au lecteur et spectateur et font disparaître la distance entre eux. Pour Guattari, « l’affect est le processus de l’appropriation existentielle par une création continue de durées hétérogènes d’existence » [12]. « Wojnarowicz, n’exhibe pas seulement des formes passives signifiantes mais produit un mouvement existentiel, sinon de révolte, en tout cas de créativité » [13]. Wojnarowicz est un artiste politique qui galvanise les spectateurs en agissant sur des problèmes cruciaux pour questionner leurs propres réponses à la fois quotidiennes et existentielles dans la recherche d’une vie érotique homosexuelle. Quelque chose émerge du chaos de Wojnarowicz qui nous enjoint d’être responsable et de prendre notre place dans le mouvement du monde [14]. Les méditations de Wojnarowicz sur le désir et la mort et les complexités de la vie d’un séropositif rejoignaient la réflexion de Guattari sur la manière dont les artistes peuvent prendre acte de ruptures asignifiantes [15]. Wojnarowicz l’exprimait différemment en termes d’irruption du domaine privé dans le public, d’explosion du consensus maintenu artificiellement et de manière illusoire par l’État, les églises, le corps médical, les mass media et les faiseurs autoproclamés de morale. Il proposait le démantèlement des équipements du pouvoir par la mise en circulation de ces gestes micro-artistiques.

13Après le printemps 1988, l’écriture de son journal par Wojnarowicz est passée de l’expression de sa rage de voir mourir ses amis, ses amants et ses collaborateurs à l’annonce de son propre diagnostic, ce qui lui a fait accélérer son activisme public à travers des œuvres comme ITSOFOMO (avec Ben Neill, 1989) et Fear of Disclosure (1990). La transition entre une culture de la mort et le désir envers les personnes vivant avec le Sida est accompagnée non pas d’une accélération des rêves mais d’un appauvrissement. Il n’arrive plus à s’en souvenir. Il est heureux quand le vide est repeuplé même pauvrement. Cette déconnexion de ses rêves nuit à sa machine d’écriture.

14La fin de son ancien amant, le photographe Peter Hujar, mort à la fin 1987, est chroniquée scrupuleusement, son corps étant photographié par Wojnarowicz. (cf. Untitled 1989) qui avait d’ailleurs déjà réalisé des portraits à la manière de Hujar dans les années 1970, et n’avait cessé de reprendre depuis 1982 la peinture du Rêve de Peter Hujar.

15Guattari nous demande de rechercher les passages singuliers communs aux rêves et aux écrits, que j’ai désignés comme les fantasmes d’enfermement et de laisser-aller, de soin comme capture et de relâchement comme fuite fatale – exemplifiée par les animaux –, mais aussi par des morceaux d’architecture, retrouvant de l’ouverture à travers la décomposition, comme le ptérodactyle qu’on voit sur les murs et les fenêtres d’une pièce abandonnée sur les quais, et le stégosaurus de son rêve, de ses dessins et peintures avec son nom écrit sur ses écailles.

Les rêves de Wojnarowicz et la cartographie de Guattari

16Comment distribuer les textes et les rêves de Wojnarowicz selon la cartographie schizoanalytique élaborée par Guattari ?

17Les territoires existentiels sont étagés en deux plans : l’un récent, fait des quais et hangars désaffectés du port qui offrent des lieux de rencontres sexuelles secrètes, mais aussi des étendues à peindre et à tagger, des étendues où surgissent de nouveaux sons à enregistrer. L’autre plus ancien, élaboré dans la jeunesse et l’adolescence, impliquant un désir de formes vagues à remplir.

18Les univers incorporels sont des constellations relativement harmoniques découlant de ruptures de la communication avec l’extérieur, et de sa cristallisation autour des amis, des collaborateurs – tous les fabricants d’une même culture locale, et qui a sa pointe d’intensité avec les amants, dont les noms dans le cas de Wojnarowicz ont la particularité de commencer par Hu : Hujar, Huncke, Hultberg.

19Les flux sont des flux de désir sexuels concernant l’érotique post-positiviste de l’homosexuel mâle, les négociations autour des rencontres sexuelles et l’éthique de la divulgation.

20Les phylums sont ceux d’animaux qui relient la communauté actuelle des homosexuels à l’histoire et aux postures des espèces menacées ou disparues, et l’invitent à rechercher près de ces animaux des alliances, des partages de conduite dans l’espoir d’une coévolution.

21Dans un des rêves apparaît le son Huné, que Guattari pense une mauvaise reproduction du nom La Hune, une librairie de Saint-Germain-des-Prés où Wojnarowicz aimait se rendre quand il était à Paris. Ce son apparaît dans le rêve du fils inconnu, comme un élément de connexion, créant de nouveaux agencements d’énonciation, plutôt qu’un lapsus qui marquerait l’existence de déterminations inconscientes inadéquatement réprimées. La connexion de pensées inconscientes avec des associations externes qu’elle activerait pourrait être productive si elle n’était pas mise au service d’une métapsychologie abrutissante.

22Prenons la schizoanalyse d’un seul rêve, celui du fils inconnu, enregistré en 1979, ouvrant sur les visites de Wojnarowicz à Paris qui se sont étalées sur dix ans (1978-1988), son sentiment de trahison au moment de la naissance à Paris de l’enfant de sa sœur Pat, sa relation avec son amant Jean-Pierre Delage et finalement sa décision de faire le test du Sida après son retour à New York suite à son dernier voyage à Paris en 1988. La suite de H muets renvoie à un multiple silence : le choix de la douceur d’une lettre silencieuse en français – l’artiste ne parlant pas français – et habitué au H aspiré de l’anglais américain. Il faut souligner la sémiotique du silence dans le lexique artistique multimodal de l’activisme autour du Sida dans les années après que le rêve en question ait été cité dans les affiches roses triangulaires d’Act-Up et dans un film de Rosa Von Prainheim, dans lequel Wojnarowicz apparaît pour critiquer le silence de l’administration Reagan alors qu’une crise de santé publique faisait des ravages, et pour élaborer les grandes lignes d’une éthique et d’une érotique du « safe sex » avant la lettre. Une politique culturelle complète était mobilisée derrière la délivrance de messages qui n’étaient pas entendus. De fait, Wojnarowicz a déclaré de nombreuses fois qu’il fallait répondre à ce silence par des gestes radicaux et non par des mots : « ce que j’aimerais vraiment, c’est qu’au moment où je mourrais à l’hôpital, quelqu’un prenne mon corps, le mette dans une voiture, aille à Washington, entre par la grille centrale de la Maison Blanche, et le jette sur les marches » [16].

23La question pour une pragmatique onirique en ce qui concerne les occurrences du son « hu » et les silences est de savoir comment ils sortent du statut de résidus du rêve et de la vie éveillée et comment ils atteignent une indépendance asignifiante, cristallisant de nouveaux univers de référence et actant leurs rôles transformateurs [17].

24Ce qui rend ce souhait viable est aussi ce que révèle un principe qu’éclaire Guattari, à savoir un processus d’autoréférence dans le rêve lui-même, en plus de la réflexion permise par la métamodélisation, favorisant des mouvements de certains domaines sur d’autres plus contraints, de manière à ce que les relations d’association ne soient pas entièrement libres dans la cartographie. Le principe est que chaque domaine a un certain degré d’autonomie, consistant en entités uniques et cependant s’écrivant l’une à travers l’autre. Mais il n’y a pas moyen d’établir un passage direct entre les territoires existentiels et les phyla machiniques, de même qu’entre les flux et les univers incorporels, sans passer d’abord par les tenseurs entre territoires et univers, entre flux et phyla. Ce qui veut dire que les rêves et les désirs ne peuvent pas être réduits à la biographie ou à des localisations pures et simples (les quais, les Tuileries) mais passent par le processus d’écriture et les textes cités indirectement. C’est ainsi que le deuxième faux mouvement du stylo dans le rêve du fils inconnu concerne Attila le Hun et le souvenir de Wojnarowicz selon lequel il était en train de lire un livre d’histoire concernant celui-ci, introduisant le terme « ivraie » de la parabole biblique (dans l’Évangile selon Mathieu), à séparer du blé, se référant aux êtres stigmatisés, aux démons qui sèment des mauvaises herbes dans les récoltes. C’est en entreprenant le processus de catégorisation, en se déplaçant dans la collection, en suivant l’application réflexive des principes que la sélection d’un analyseur peut être faite de manière adéquate à la tâche d’entreprendre une pragmatique du rêve avec une translatabilité vivante et labile.

25Guattari remarque qu’il voit les rêves comme des hologrammes sur le phylum machinique dans un lourd objet technoculturel qui fonctionne en rechargeant la non-séparabilité de l’intérieur et de l’extérieur, de la partie et du tout (le tout existant dans chaque partie comme une autre partie). Guattari utilise l’hologramme comme un outil pour une exploration transversale à travers les espaces et les temps, rendant les translations translocales et temporelles possibles sans les contraintes du quadrant ontologique.

Notes

  • [*]
    Ce texte est une adaptation réalisée par Anne Querrien de la communication présentée par Gary Genosko au colloque Deleuze + Art, qui a eu lieu à Dublin du 8 au 10 avril 2016. Traduction par Anne Querrien.
  • [**]
    David Wojnarowicz (1954-1992) est un peintre, écrivain, poète, graffeur, musicien, homosexuel et militant new-yorkais. Trois de ses livres ont été traduits en français par Laurence Viallet chez des éditeurs différents. Certains sont publiés aux éditions Laurence Viallet. Il était l’ami de Marion Scemama qui l’a présenté à Félix Guattari.
  • [***]
    Gary Genosko est professeur de communication et de théorie culturelle au Canada, notamment à Toronto. Il a publié en 1996 un « Guattari reader », recueil de textes importants de Félix Guattari en anglais. Il travaille régulièrement avec les amis anglophones de Félix Guattari.
  • [1]
    Cf. Félix Guattari, « David Wojnarowicz », in Qu’est-ce que l’écosophie ? Lignes, 2013.
  • [2]
    Barry Blinderman, « A Compression of Time : An Interview with David Wojnarowicz », in Tongues of Flame, New York Distributed Art/University Galleries of Illinois State University, 1990, p. 56.
  • [3]
    Soixante-Cinq Rêves de Franz Kafka, Lignes, 2007, p. 11.
  • [4]
    Freud, L’interprétation des rêves, PUF, 1996.
  • [5]
    Soixante-Cinq Rêves de Franz Kafka, p. 12
  • [6]
    Jean-Claude Polack, « L’analyse entre psycho et schizo », Multitudes n° 34, 2008.
  • [7]
    Soixante-Cinq Rêves de Franz Kafka, p. 13.
  • [8]
    Ibid., p. 24-26.
  • [9]
    Guattari, Cartographies schizoanalytiques, Galilée, 1989.
  • [10]
    Wojnarowicz, Memories that Smell like Gasoline, San Francisco : Artspace, 1992, p. 41.
  • [11]
    Cf. Guattari, « David Wojnaowicz, », op. cit.
  • [12]
    cf. Guattari, Cartographies schizoanalytiques, op. cit.
  • [13]
    Cf. Guattari, « David Wojnarowicz », op. cit.
  • [14]
    Idem.
  • [15]
    Cf. « Félix Guattari et l’art contemporain », un entretien avec Olivier Zham, paru dans Chimères n° 23, réédité dans Félix Guattari, Qu’est-ce que l’écosophie ? op. cit.
  • [16]
    S. Lotringer, entretien avec Wojnarowicz dans le catalogue de l’exposition « In the Shadow of Forward Motion », galerie P.P.O.W., New York.
  • [17]
    Cartographies schizoanalytiques, op. cit.
Gary Genosko [***]
  • [***]
    Gary Genosko est professeur de communication et de théorie culturelle au Canada, notamment à Toronto. Il a publié en 1996 un « Guattari reader », recueil de textes importants de Félix Guattari en anglais. Il travaille régulièrement avec les amis anglophones de Félix Guattari.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/08/2016
https://doi.org/10.3917/chime.088.0187
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