CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La présente contribution s’inscrit dans le débat autour des « identités nationales d’État » [1] déclenché par la création du Ministère dit « de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire », dans le but de trouver une voie d’issue au « piège idéologique » (Bazin/Gibb/Selim 2007 : 7) qui apparaît dans cette évolution récente de la société française. Notre travail se propose de contester la validité scientifique de la notion d’« identité nationale d’État » [2], telle qu’elle apparaît dans les discours sociaux dominants, en « déconstruisant » l’identité de l’État-nation français qui, aux temps modernes, se veut « une et indivisible ». Pour ce faire, nous allons confronter cette construction identitaire, tant sur le plan culturel et religieux que linguistique, non seulement avec les phénomènes migratoires, mais aussi, et au même titre, avec la revendication occitane.

2Déjà Renan avait identifié dans la mythologie fondatrice de la nation française le refoulement systématique tant de la chasse aux Huguenots que de la chasse aux hérétiques cathares en Occitanie (Renan 1997 : 14-15). Dès le départ, la répression religieuse et culturelle visant l’homogénéisation en France est aussi consubstantielle de la nation que la poursuite du monolinguisme par le biais de la répression de cultures régionales, dont l’enjeu occitan est emblématique. Cette structure ethnopolitique a par la suite été transposée sur la relation entre la nation et les colonies, ce qui a toujours joué un rôle de premier plan dans l’« invention » de la nation (cf. Anderson 1991). Ceci explique – tant sociohistoriquement qu’à l’époque actuelle – les conflits particulièrement violents entre la nation d’une part, et d’autre part les colonies et certaines régions « dissidentes », comme le montre la guerre d’Algérie aussi bien que l’occitanisme surtout des années 60 et 70 (cf. par ex. Lafont 1971, ainsi que Jablonka 2008 [3]), où l’enjeu consistait à chaque fois dans le renversement d’une situation d’oppression massive au profit de l’émancipation des « damnés de la terre ». S’il est vrai que du point de vue ethno-sociolinguistique, la dynamique de la confrontation diglossique entre le français standard comme facteur unificateur de la nation, et des langues régionales et coloniales dominées est d’une importance cruciale, c’était le rôle de l’Occitanie, dans l’histoire récente, de lancer un sérieux défi à la nation « une et indivisible ».

« Réinvention » de la nation en Occitanie

3Certes, le potentiel conflictuel est aujourd’hui apaisé sur le plan culturel et linguistique, car l’émergence d’une variété régionale de la langue standard nationale à partir du substrat occitan correspond, du point de vue ethno-sociolinguistique, à la réintégration de l’identité régionale à l’identité nationale. Nous assistons à une sorte de « réinvention » de la nation. Toutefois, même si le défi occitan semble pour le moment désamorcé (cf. Jablonka 2008a), il persiste un potentiel conflictuel latent du fait de l’inévitable affaiblissement de la pression normative des institutions de l’État et de la prise de leurs vecteurs symboliques dans le cadre de l’unification européenne ; en même temps, au sein de l’Europe, les régions gagnent en importance vis-à-vis de l’État-nation, qui est pour ainsi dire pris en tenaille. De plus, si le conflit linguistique autochtone est apaisé en Occitanie, l’identité nationale semble devoir faire face à un nouveau conflit culturel et linguistique qui se « branche » sur le premier, du fait du ‘contrecoup’ postcolonial et donc de la forte présence d’anciens « colonisés » dans la « colonie interne » que représente l’Occitanie (Lafont 1971).

Migration, religion, enjeux langagiers

4En effet, l’histoire semble boucler la boucle, car nous sommes actuellement de nouveau en présence d’un processus lié au refoulement qui connaît des enjeux linguistiques – présence de langues d’immigration, notamment de l’arabe, ainsi que de variétés de contact émergentes – aussi bien que culturels et religieux: en premier lieu la présence de l’islam, qui se répercute dans les paroles de nombreux morceaux de rap, notamment du sud:

5

Red, black and green (IAM, album « De la Planète Mars ») : « Allahu akbar [= Dieu est le plus grand], protège-nous des ténèbres absolus/Comme a dit King Raz à qui je dis salaam [= (que la) paix (soit avec toi)]/Ulémas [= savants islamiques] nous sommes, âmes de l’islam ».
Les cités d’or (Psy 4 De La Rime, album homonyme) : « On souhaite à vos familles les bon choix inch’allah [= si Dieu le veut] » ; «Woulah [= je te le jure], ils sont trop beaux » ; « Mets-toi le hijab [= voile islamique]/Lé lé lé lady » [lé lé lé peut avoir le sens de ‘non non non’ en arabe dialectal maghrébin] ; « fais le rho » [= frère].

6Le morceau Pasqua (Fabulous Trobadors, album Ma Ville Est Le Plus Beau Park) mérite, dans ce contexte, une attention particulière, car il soude par voie (voix) du contact linguistique l’alliance franco-occitano-maghrébine : la critique de l’expulsion arbitraire de migrants nord-africains trouve un support de jeux de mots nourri par le contact linguistique et les possibilités d’expression, notamment phoniques, ouvertes par le français régional du sud. On retiendra dans l’exemple suivant l’amalgame de Pasqua (nom de l’ancien ministre de l’intérieur) avec parce que :

7

Pourquoi Fatima a eu chaud, mon ami ? Pourquoi Fatima a eu chaud ?
Pasqua z’ont failli l’expulser, mon ami. Pasqua z’ont failli l’expulser…

8Ainsi, tout se passe comme si la « réinvention » de la nation française en Occitanie restait instable, en raison de la reproduction de conflits ethnolinguistiques homologues. Nous allons étudier ces phénomènes en nous basant sur certaines productions du hip-hop ou proches du hip-hop, et notamment du rap, issues du sud de la France. L’intérêt que représentent ces productions réside dans leur fonction d’articuler des composantes de l’imaginaire socioculturel et langagier, et de lui servir en même temps d’écran de projection – ce qui explique en partie le succès de ces productions.

Démarche, base de données

9Notre thèse est donc que la notion d’« identité nationale » n’est pas dépassée, encore moins invalidée du point de vue scientifique. Elle l’est sous sa forme monolithique, statique, figée. Le problème est que c’est précisément cette acception de la notion d’« identité nationale » qui est sous-jacente à la conception du dit Ministère et de ses ravages répressifs. C’est en cela que réside la force contraignante du dit « piège idéologique ». En revanche, ce piège s’ouvre lorsque l’on dynamise la valeur sémantique de cette notion même. C’est en relevant l’interaction de l’identité nationale de la France avec l’identité régionale dans le sud de la France (en l’occurrence de l’Occitanie), et l’interaction de celle-ci avec une identité plus largement du sud (méditerranéen et au-delà, avec des influences clairement identifiables de l’islam et de la négritude), que nous apercevons la pluralité transversale d’une identité nationale déconstruite. Nous voyons précisément cette dynamisation in actu dans le rap, et nous pouvons situer le centre d’irradiation et de ressourcements émancipateurs sans hésiter dans le sud.

10Nous allons expliquer de quelle manière l’identité régionale dans le sud de la France est dépassée, et en même temps ressourcée par l’orientation identitaire générale du sud. Ensuite, nous allons montrer que le rap, à partir du sud, met en œuvre la construction d’un modèle de contre-hégémonie permettant par voie déconstructive le dépassement transversal de l’identité nationale d’État. La dernière partie de ce travail nous permettra de mettre en lumière la dimension émancipatrice de la décentration déconstructive de l’identité nationale d’État. Cet arrière-plan conceptuel permet de faire apparaître en toute clarté le caractère foncièrement réactionnaire de la conception même du Ministère chargé de la gestion de ces questions identitaires.

11Dans notre analyse, nous allons nous baser sur des albums de plusieurs groupes hip-hop du sud de la France : IAM et Akhenaton, Fabulous Trobadors, Massilia Sound System, et Psy 4 De La Rime, ainsi que du groupe Zebda.

De l’identité régionale dans le sud de la France vers l’orientation identitaire générale du sud

12Le pressentiment d’un ‘seuil historique’ proche semble transparaître dans le rap du Midi, une attitude dans laquelle se reflète l’intuition d’une profonde transformation socioculturelle et sociétale qui se prépare à (ou derrière ?) l’horizon. Cette vision apparaît avec une particulière clarté non seulement dans Planète Mars de IAM, mais aussi, par exemple, dans La Qibla (K-rhyme Le Roi, album Comme un aimant) :

13

Tous fils de la qibla [= orientation vers la Mecque]
À l’horizon sous les galops des destriers dirigés vers la qibla
Chevaucher de la main droite
Mon étendard sous les tambours flotte
Quand la rose des vents sur mes
Violons joue des notes salées pour mon courage

14En effet, la pénétration capillaire de notre civilisation, notamment dans le sud de la France, par des traditions culturelles orientales (cf. Kepel 1994) semble réunir, jusqu’à un certain point, les conditions culturelles de changements considérables. La principale référence culturelle est, évidemment, la tradition arabo-musulmane, élargie par des éléments culturels d’Afrique noire, influencée par cette dernière, ainsi que, dans le cas du groupe IAM, asiatiques (au moins sur le plan déclaratoire). [4] Pour Zebda, cf. l’extrait suivant du morceau J’y suis j’y reste (album Utopie d’occase) :

15

Y’a des djembés [= instrument de percussion africain] qui sous la bourrasque
Font chanter tous les pays basques
Sans déconner il était temps
Des Sénégalais chantent l’occitan.

Dépassement régionaliste occitan par une orientation générale ‘sudiste’

16Or, il est remarquable que le discours occitaniste régionaliste (troubadours, langue occitane) s’amalgame [5] avec l’orientation culturelle discutée dans le paragraphe précédent et donne naissance à une orientation culturelle méditerranéenne, ou globalement du sud (cf. Gasquet-Cyrus 2007). Nous sommes en présence d’un désenclavement identitaire véhiculé par le contact linguistique multiple. Il faut notamment citer les groupes Fabulous Trobadors et Massilia Sound System (albums Parla patois, Occitanista et autres), qui chantent tant en occitan que dans des variétés du français standard considérablement affectées par des interférences de la langue régionale – même si la musique se situe plutôt dans le style du raggamuffin, oscillant entre le rap et le reggae. La variété de contact émergeant en milieu (sub)urbain dans le sud de la France, à Marseille comme ailleurs, apparaît sur le plan phonologique dans un grand nombre de morceaux de différents interprètes, à travers le remplacement des voyelles nasales par des combinaisons voyelle orale + consonne nasale. En dehors de ce trait central de la phonologie de ce français régional (dit « français d’oc »), c’est notamment IAM qui revendique la variété émergente comme marqueur identitaire et d’intégration dans le cadre d’une « contre-attaque » symbolique retournée contre l’hégémonie [6] culturelle et linguistique, en proposant comme support d’apprentissage la « Méthode Marsimil » [7]. C’est ici que s’élève, sur le plan symbolique, le « pouvoir constituant » (Negri 2002), c’est-à-dire le (contre-)pouvoir qui est en processus d’émergence, en quête d’un véritable poids hégémonique alternatif, opposé à l’ordre établi dominant et en confrontation avec le pouvoir constitué ; pour ce faire, le « pouvoir constituant » puise dans les ressources symboliques du « general intellect » des classes émergentes, ce dernier n’étant, en fin de compte, rien d’autre que le répertoire sémiologique qui se constitue à partir de codes et traditions de pratiques nationales, régionales, et migratoires (notamment post/néo-coloniales).

17L’orientation culturelle méditerranéenne connaît d’importants supports linguistiques par l’usage d’éléments lexicaux italiens (pour la discussion de l’influence italienne, cf. également Gasquet-Cyrus 1999 : 140) :

18

Sol invictus (Akhenaton, album Sol invictus) :
Je viens […] D’la où les cités sont ennemies depuis des temps immémoriaux
Sans cesse aux mains d’colons venus d’Espagne
Du monde arabe ou d’France du Royaume Normand
[…] Là où s’pète un plat de Penne all’Arrabbiata [= plat de pâtes épicé ; arrabbiata littéralement ‘furieuse’]
[…] Où la majorité s’acquiert dans la strada [= rue]
Où on rêve tous de luxe, de femmes qui claquent et de costumes
Prada [= maison de haute couture milanaise] ;

19dans une moindre mesure espagnols :

20

Les cités d’or (Psy 4 De la Rime) :
Escucha [= écoute] mami
Les Cités d’or ese aquí [= c’est ici]
Comprende [= comprends] papi ;

21avec l’occitan comme pont géolinguistique et lien ethno-sociolinguistique :

22

Violent (album homonyme de Massilia Sound System) :
Poupa Jali dans la danse le dit tranquillement
Je tchatche pour les Français, je tchatche pour les Occitans
Les Africains, les Antillais, ceux du Moyen-Orient
Je ne suis pas chrétien, je ne suis pas athée, je ne suis pas musulman
Mes idées je ne vais pas les chercher dans la Bible ou le Coran
Je n’ai pas besoin de croix, d’étoile, pas besoin de croissant
J’ai ma propre liturgie, mes propres sacrements […]
Poupa Jali dans la danse change de comportement
Quora veni charrar un troc de liric en occitan […]
Te parla francés, te parla patois, te parla de quaucarèn de violent
Mai escota me que siau pas un colhon
Te parli ame sapiença, te parli ame rason.

23Notamment la Sicile, qui connaît un long passé islamique, est la région d’origine de la famille d’Akhenaton, la tête du groupe IAM, qui s’est converti à l’islam. On ne s’étonnera donc pas que l’Italie, et la langue italienne, jouent un rôle privilégié dans cet amalgame ethnolinguistique afro-arabo-islamo-méditerranéen qui s’incarne dans les populations métissées en grande partie issues de l’immigration, résidant dans les quartiers périphériques de Marseille (et d’autres grandes villes), ‘consacrées’, pour ainsi dire, dans les productions culturelles par voie de stylisation symbolico-mythique [8].

24L’orientation culturelle méditerranéenne se démarque de l’État-nation français, [9] dont l’unité – fictive – est symbolisée par la langue nationale purement orientée par rapport au standard prescriptif. En rétrospective, les Cathares semblent s’unir avec les Sarrasins, contre Charles Martel et les croisés opposés aux Albigeois :

25

Une tour de Bab-el-Oued
Pour nos voix multicolores
Une agora pour nos aedes
Et un monument aux Maures
Sarrazin nous a quittés
Mais les autres sont restés
Te mets pas martel en tête
Pour nous Poitiers fut une défaite.
Come On Every Baudis (Fabulous Trobadors, album Era pas de faire)

26Dans les deux cas, il s’agit d’orientations religieuses opposées au catholicisme [10], opposition dotée de supports identitaires linguistiques (arabe respectivement occitan contre le français).

Mars(eille)… glissement sémantique et identitaire

27Nous observons dans ce contexte une projection mythique qui se présente, dans le cas du groupe IAM, sous la forme d’un recours déconstruit à l’ancienne Egypte. Évidemment, si l’avenir semble verrouillé, il est plausible de se réorienter par rapport à des topoï du passé mythique, afin de se projeter en vertu d’un ressourcement dans l’imaginaire d’autant plus résolument sur un avenir conçu de façon autonome, avenir dans lequel l’identité nationale traditionnelle, monolithique, réifiée et essentialiste, n’a plus de place [11]. Herr/Ueckermann (2005 : 119) parlent dans ce contexte de « constructions historiques mythologiques ». Les rappeurs mettent différentes traditions historiques, en grande partie mythologisées, en relation avec leur lieu de résidence ; ces traditions apparaissent ainsi comme – fictivement – indigénisées. Cette « post-indigénité mythologique » n’est pas cohérente, mais fragmentaire, « disséminaire », précisément : au sens de la « DissémiNation » dont parle Homi Bhabha (2006), qui implique, sur le plan sémiotique, la déconstruction des codes culturels dominants, y compris des langues nationales. De tels phénomènes sémiotiques par rapport à l’identité nationale sont discutés par Sarasin (2001 : 34) du point de vue lacanien : glissement du signifié en dessous du signifiant. Il me semble nécessaire d’insister notamment sur des resémantisations « anti-fonctionnelles » contre l’ordre hégémonique des codes initialement en vigueur. À ce titre, le morceau Planète Mars[12] du groupe IAM est un cas exemplaire :

28

De la flotte asiatic de Marseille invincible armada
Ordonne d’une vive voix
L’invasion immédiate de la France […]
Une attaque en règle venue de la planète Mars
De la planète Mars….eille […]
Pour la peine, j’exige une pénalité
Pour avoir essayé de tuer notre identité
L’entité, Extra Terrestre Akhénaton
Attaque encore ensuite ordonne
L’imminence du flot des guerriers khatares
Qui viennent se venger arrivant de la planète Mars
De la planète Mars […]
l’alliance de l’islam
Imhotep et Kephren et Khéops assistés de Sodi
Shurik’n et Malek Sultan contrent les félonies
Mars est-il bien le dieu de la guerre
Oui guerre est déclarée à la planète Terre
Invasion immédiate par les ondes hertziennes
Est la 1re arme des divisions martiennes
Destruction car la France est une garce
Elle a osé trahir les habitants de la Planète Mars

29Dans ce morceau, et notamment dans l’extrait cité, nous observons la déconstruction mythologique de la référence géo-historique de l’origine du groupe, et en même temps de celle d’un – fictif – vaisseau spatial qui viendrait de Mars, donc de la planète homonyme, donc de la ville de Mars(eille) (toponyme apocopé), et donc d’Égypte (référence à la forte présence d’immigrés d’origine afro-arabe), et donc de l’au-delà – d’abord géographique – au-delà de la mer méditerranéenne, puis métaphysique (cf. l’analyse de Herr/Ueckermann 2005 : 125-126). Le vaisseau spatial serait en tête d’une armada asiatique (!) invisible ayant pour mission la conquête de la France. Toute résistance de la part de l’ennemi serait écrasée par les redoutables armes musicales des rappeurs [13]. Les parallèles avec la naissance du deuxième empire colonial français en 1830, lorsque la marine française quitta le port de Marseille pour Alger afin de soumettre le sultan manu militari, sont évidentes. L’une des nombreuses inversions mythologiques qui apparaissent dans les textes de IAM et d’Akhenaton concerne la destination de cette ‘croisade’, qui se retourne contre son origine historique. Cette fois-ci, dans l’imaginaire, c’est le point de départ d’antan, la capitale Paris même, qui est prise pour cible. La dernière partie du morceau Sol invictus (album homonyme), le jeu d’inversion mythico-religieuse apparaît sous forme de métaphorique géométrique (paroles disponibles sous http://www.oleo.tv/lyrics/akhenaton/sol-invictus/):

30

Comme un orage d’été dont les éclairs déchirent l’air dans
l’atmosphère 361,
pose un miroir à droite du wahad
et vois c’que t’obtiens, opère une rotation du 3 de 90°,
vers l’bas à droite
et lis l’nom d’mon squad,
maintenant changes le A, en majuscule et fait pivoter l’tout
d’180° à gauche et sous tes yeux,
s’revèle dans ces quelques lettres
le Pouvoir Infini et le Nom d’mon Maître

31Ces exemples montrent que les constructions identitaires d’ensembles sociaux sont coextensives avec leurs relatives formations discursives « glissantes » (cf. Sarasin 2001 : 35). Ce qui apparaît comme identité n’est autre qu’un nœud discursif momentanément fixé, jamais fermé, jamais définitif, jamais déterminé. La positivité identitaire échappe ainsi nécessairement à l’expression discursive, du fait de l’articulation inéluctablement polysémique. Un manque constitutif s’inscrit dans l’identité, toute fixation étant insaisissable du fait du permanent glissement langagier ; c’est, au contraire, ce manque qui définit ex negativo l’identité ($, le « sujet barré » lacanien, cf. Sarasin 2001 : 35). Toute communauté, et toute construction identitaire lui servant de support cohésif, restent imaginaires, fragmentaires, et ouvertes au changement. L’objectif de toute politique identitaire conservatrice, au contraire, est précisément d’arrêter ce glissement incontrôlable, d’opérer un « gel du sens » (Lafont 1978: 123) et de figer les constructions identitaires dans un ordre conventionnel.

32Si, dans le rap marseillais, le topos du soleil joue un rôle important, on aperçoit également, de façon complémentaire sur le plan mythologique, l’identification avec le côté obscur, ici représenté par la cité de banlieue, comme la partie refoulée de la « cité du soleil » [14]. En effet, comme il transparaît dans le titre du deuxième album du groupe, « Ombre est lumière », il existe chez IAM une tension polaire entre le pôle ‘ensoleillé’ et le pôle sombre. IAM, et la culture de banlieue dans son ensemble, et notamment du sud, semblent se situer, à des géographies variables, à l’intérieur de ce champ gravitationnel bipolaire. Il apparaît en effet que dans l’imaginaire, l’Égypte est le lieu d’alliage entre des références d’une part nord-africaines, donc islamiques du point de vue actuel, et d’autre part de références relevant de l’ancienne culture égyptienne polythéiste [15] qui privilégie la conception de l’unité du bien et du mal, redéfinissant ainsi globalement les conditions de la pensée et de l’agir humains au sein d’un univers de sens réintégré [16]. A en croire Bhabha (2004 : 323 ss.), il émerge dans la diaspora un courant néo-islamique déconstruit, où existe la tendance à souder de nouveau les polarités dissociées initialement par l’islam doxique. [17]

Dépassement de l’identité nationale par l’orientation vers le contre-modèle du sud

33Il semble en effet que dans l’émergence d’une articulation arabo-islamique en France prennent corps les anciens spectres de la Saint-Barthélemy – sauf que le lieu de cette émergence déclenchée sous le contrepoids catholique n’est plus la colonie « externe » ; elle est maintenant, sous l’effet du contrecoup post-/néocolonial, transposée au pays d’accueil métropolitain. Or, le refoulement de ces spectres est aussi constitutif de l’identité nationale que l’oubli durable de la chasse aux Cathares. Mutatis mutandis apparaît une continuité du retour du refoulé : l’œuvre de la présence arabo-musulmane, en synergie avec les facteurs régionaux et d’autres liés à la migration, consiste en la conscientisation du caractère illusoire, « inventé » (Anderson 1991) de la communauté nationale. La fracture sociale qui frappe les nouvelles communautés est une plaie ouverte au sein même de la nation, plaie dont la visibilité quotidienne évoque les massacres sanglants gravés comme des actes fondateurs (« nation’s writ », Bhabha 2006 : 310) dans les bas-fonds de la mémoire nationale française. Le ‘risque’ serait ainsi que la communication dans des langues et variétés linguistiques en concurrence avec la variété « légitime », normée de la langue standard, déclenche un processus dissociatif de la conscience que cette communauté nationale imaginée a d’elle-même – et donc l’érosion subversive du tissu institutionnel national.

Le modèle du sud comme contre-modèle de l’hégémonie culturelle nationale

34Cette évolution est le corollaire d’une double contestation, elle-même conséquence d’une double rupture : elle s’oppose tant à l’adoption sans réserve de la culture d’origine qu’à la culture hégémonique de la société d’accueil [18]. Les groupes, surtout jeunes, issus de l’immigration construisent ainsi un contre-modèle, qui s’articule notamment sur le plan langagier contre l’hégémonie monolithique de la variété standard (dite « de référence ») de la langue nationale, facteur de cohésion de l’identité nationale. En revanche, le contre-modèle réclame le respect des valeurs républicaines issues de la Révolution française et interroge la société française sur la légitimité des pratiques d’exclusion sociale dont ces groupes, relégués dans les quartiers périphériques, sont notoirement victimes. Dans le rap, surtout du sud, s’articule une culture opposée à la culture nationale à l’intérieur de celle-ci. Pour ce faire, elle puise dans le répertoire symbolique de l’identité régionale en déconstruisant celui-ci dans le concert polyphonique des voix multiples occitanes (y compris français d’oc) et issues de l’immigration; cependant, les tons harmoniques dans cette polyphonie sont méditerranéens, ou, plus généralement, du sud.

35Bhabha (2006 : 313) remarque que cette « vox populi », cette « tradition of the people of the pagus – colonials, postcolonials, migrants, minorities – wandering peoples who will not be contained within the Heim of the national culture and its unisonant discourse, but are themselves the marks of shifting boundaries that alienates the frontiers of the modern nation », est « relatively unspoken ». Cela nous semble vrai et faux à la fois. S’il est vrai que les productions culturelles issues de ce contexte manquent de cohérence argumentative, c’est précisément, dans une attitude gramscienne (cf. Ives 2004), le travail de « l’intellectuel organique » non seulement de donner une voix à tous ceux qui n’en ont pas, mais aussi (et surtout) de donner aux productions culturelles subalternes la cohérence discursive nécessaire pour permettre aux « cités d’or » de se transformer en forges d’armes culturelles aptes à contrer l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie autochtone. S’il est vrai que l’identité de la communauté nationale repose en grande partie sur la fiction d’unité et la dénégation de potentiels de conflit substantiels, il s’agit pour les Sciences Humaines engagées et émancipatrices de souligner par voie (et voix) discursive explicite [19] le caractère profondément antagoniste de la société française et de l’État-nation dans lequel celle-ci s’incarne, antagonisme évoqué par les rappeurs (non seulement) du sud [20].

Les anciens points de rupture deviennent virulents

36Ainsi, les solidarités et identités régionales et transrégionales (le Méditerranéen, le Sud – englobant la culture et la langue d’oc) se situent, et s’opposent, de manière transversale vis-à-vis des solidarités et identités nationales, avec lesquelles elles entretiennent une relation latente de concurrence, mais dans lesquelles elles sont, même d’une manière tout à fait ambivalente, néanmoins intégrées. Même si ces solidarités sont de longue date, même si ces identités plongent leurs racines dans un passé lointain, on a beau les considérer comme des atavismes : sous l’effet de l’immigration massive notamment du bassin méditerranéen, qui se prolonge logiquement et organiquement à d’autres pays du Sud (surtout d’Afrique, mais même d’Asie), et en synergie avec les effets de déstabilisation néolibérale, ces ruptures apparemment depuis longtemps cicatrisées (re)deviennent virulentes, car il est désormais indéniable que l’apaisement des foyers conflictuels est illusoire : l’Autre culturel et religieux, linguistiquement marqué, qui s’est déjà attaqué au noyau identitaire de la langue nationale, consommant la variété prestigieuse du standard dit « de référence », se focalise dans son activité subversive précisément sur le point névralgique. Nous sommes effectivement en présence, pour ainsi dire, de points de rupture ‘préperforés’ de l’identité nationale de la France. C’est, semble-t-il, en effet dans ce but que Robert Lafont met plus récemment les Eurorégions transnationales en avant, notamment celles unissant le Midi de la France avec la Catalogne et des zone d’Italie du nord et s’opposant au nord de la France, c’est-à-dire à l’entité nationale de la France dans son ensemble – mais, bien entendu, plutôt de façon transversale et non exclusive. De même, c’est le sud qui investit le nord de la France en s’infiltrant par les banlieues. Le modèle ‘sudiste’ fonctionne ainsi en transversale au sein du modèle du nord. C’est de ce dédoublement identitaire de la France que parle le rappeur Kerry James [21], d’origine antillaise, puis installé dans les Yvelines : « Parce qu’à ce jour il y a deux France, qui peut le nier ?/Et moi je serai de la 2e France ». « Il est temps que la 2e France se réveille. [22] »

Réécriture inter-nationale de l’identité nationale

37Nous pouvons ainsi confirmer la position de Homi Bhabha (2006) : parler de conscience nationale n’a plus de sens en dehors d’une dimension inter-nationale, et il faut bien insister sur le double sens de ce terme : entre les États-nations, dans les espaces interstitiels émergents qui les séparent (« boundaries in-between nations », Bhabha 2006 : 4), tout en les liant comme des charnières – transnational serait donc le deuxième sens à retenir. Il s’avère en effet que l’État-nation est pris en tenaille entre les identités régionales ressourcées dans leur contact avec l’Autre migratoire, qui les composent, d’une part ; et d’autre part des ensembles transnationaux (cf. Laclau 2007 : 100), en premier chef l’Europe et le pourtour méditerranéen, qui les englobent. Ces tensions sont amplifiées, sinon exacerbées sous les effets post-/néocoloniaux. La région et les ensembles transnationaux s’amalgament, les troubadours et les griots (cf. Herr/Ueckermann 2005), les dialectes occitans et les nombreuses langues d’immigration (en commençant par l’arabe), méditerranéennes et autres, font leur alliage ‘sudiste’ dans le hiphop. Il apparaît effectivement dans le rap du sud que la nation et son identité ne peuvent plus être (ré)écrites que du point de vue marginal, exilé, (post/néo)colonial (cf. Bhabha 2006 : 291). Il est notamment important de mettre en valeur l’aspect communautaire contre le poids du système institutionnel de la société d’accueil [23] – nous parlons en effet de communauté migrante – qui trouve un appui organique dans le monde vécu régional également marginalisé. Les bénéfices émancipatoires de l’atout du monde vécu joué contre le système ne sont toutefois accessibles que si l’on parvient à dépasser dialectiquement la contradiction entre le particulier et l’universel.

La dimension émancipatrice du dépassement de l’identité nationale d’État par l’universalisation du contre-modèle ‘sudiste’

38La contradiction entre le particulier et l’universel est une constante dans le régionalisme, puisqu’il s’agit de défendre des entités régionales au nom de particularités spécifiques de certaines régions contre des États-nations qui mènent des discours de légitimation fondés sur des revendications universalistes. En effet, le politologue Ernesto Laclau (2007 : viii) est convaincu « that both universalism and particularism are two ineradicable dimensions in the making of political identities, but that the articulation between them is far from being evident »; il s’interroge, par conséquent, sur une possible «médiation » entre ces deux termes.

Universaliser le particulier

39La réconciliation du particulier avec l’universel est envisageable lorsque le premier peut légitimement affirmer que ses revendications particulières coïncident avec des intérêts universels, dans le cadre d’un projet hégémonique. Pour établir ce lien, il faut qu’apparaisse un groupe historique particulier qui incarne l’universel (cf. Laclau 2007 : 10). Par rapport à l’occitanisme, il a été possible de montrer (cf. Jablonka 2008a : 9, 14) que la contradiction entre le particulier et l’universel n’a pu être dépassée – relativement, et seulement en théorie – que dans la mesure où ce mouvement s’est inscrit dans un projet ce décolonisation globale et de libération tiers-mondiste des « damnés de la terre ». Le cadre transculturel dans un contexte de contact multiple, lié à différents types de migration à l’échelle globale, à la négritude et à la créolisation, trouve aujourd’hui des répercussions et sa prolongation dans les productions culturelles de la banlieue des villes du Midi de la France (et par irradiation aussi ailleurs), et notamment dans le hiphop. En effet, Gasquet-Cyrus (1999 : 145) souligne que IAM, par exemple, tend à « universaliser » ses messages en dosant de manière équilibrée les éléments langagiers restreints à l’échelle locale. Cette orientation d’amalgame contestataire va de pair avec le challenge du monde oriental, préparé par la pénétration capillaire par la culture orientale, surtout dans une situation de crise (non seulement identitaire) qui frappe les sociétés occidentales au niveau général.

Éclatement de l’identité nationale d’État sous l’impact du Sud

40Quant à l’Occitanie, il apparaît que les problèmes théologiques et sociopolitiques se confondent. Déjà dans l’épopée mistralienne Mirèio/Mireille existent toute une cosmologie et une eschatologie qui plongent leurs racines au Mont-Ségur et qui prolongent l’hérésie cathare à travers le catholicisme populaire ouvert aux plaisirs charnels, jusqu’à la révolte sociopolitique et religieuse de la Nation of Islam de Malcolm X dans l’œuvre littéraire de Robert Lafont (1980) [24]. Tout ce complexe d’oc (du sud) se démarque du complexe ‘nordique’ de la France, qui s’arrêtait à l’origine à la Loire. Le bord de ce fleuve était en même temps la frontière du domaine des Francs, et c’est depuis ce nord que le sud fut conquis et violemment assimilé. Si la croisade contre les Cathares fut l’acte fondateur de la nation française (c’est-à-dire des Francs, à l’origine), les stigmates de l’altérité – que ce soit du point de vue linguistique ou religieux – doivent être effacés par un refoulement rigoureux, et autorisés seulement par une commémoration à titre folklorique. Le sacrilège commis par les occitanistes contre la nation française était précisément l’infraction de ce dogme. S’il est vrai que dans la période avant et après 1968, cette transgression aurait pu remettre en question sérieusement l’unité et l’indivisibilité nationales, l’identité régionale semble avoir été réintégrée fermement dans l’ensemble identitaire de la nation. Après une phase de restauration qui a vu le désamorçage provisoire de ce foyer conflictuel, c’est précisément cette plaie où les anciens symptômes se manifestent de nouveau sous l’effet de l’immigration postcoloniale, et spécialement du fait de la présence massive de l’élément arabo-islamique. C’est de ce côté, appuyé sur des revendications dont la légitimité est loin d’être dénuée d’une certaine plausibilité, que l’envahissement de l’universel par le particulier – sur le fond de et par ‘alliage’ avec l’héritage culturel occitan – revient à l’ordre du jour.

L’identité régionale réintégrée dans l’identité nationale redéfinie

41À l’époque post-métaphysique, où toute revendication basée sur la foi religieuse se heurte à des problèmes de légitimation à peine surmontables, on s’interrogera sur un possible fondement (« grounding ») du lien entre le particulier et l’universel et de son groupe médiateur. Évidemment : « Émancipation is strictly linked to the destiny of the universal. […] Without the emergence of the universal within the historical terrain, emancipation becomes impossible. » (Laclau 2007 : 13) Pour cette raison, Laclau considère le lien entre le particulier et l’universel émergeant en son sein comme principiellement instable et indécidable. Ainsi, le décalage entre l’identité (universelle) du groupe et l’accomplissement de sa tâche dans le temps historique reste infranchissable : « Incompletion and provisionality belong to the essence of democracy. » (Laclau 2007 : 16) Par conséquent, le principe régulateur à l’horizon guidant un groupe qui se veut universel devrait être l’émancipation elle-même, dans toutes ses limitations et contingences que le contexte historique lui impose. Le principe émancipateur doit impérativement rompre avec toute tradition eurocentriste. En effet, un État-nation européen comme la France, qui intègre l’Autre postcolonial, ne peut pas ne pas se décentrer lui-même. Cette décentration lui permet de faire émerger, à partir de faits historiques et particuliers même, des positions progressivement universelles : en assimilant son passé colonial intégré dans l’héritage régional, passé très présent sur lequel il est inévitable de se projeter dans un contexte de globalisation (cf. Laclau 2007 : 34). Cela présuppose des identités qui se définissent précisément par leur indétermination et leur incomplétitude constitutives, ce qui implique l’absence de tout fondement ultime définissable (« degrounding », Laclau 2007 : 100). C’est en effet dans ce sens que l’histoire a bouclé la boucle, que l’identité régionale se réintègre de nouveau dans une identité nationale intégralement redéfinie. C’est également une excellente occasion de soumettre le postulat d’universalité sur lequel se base la nation française à une révision intégrale, idem l’universalité de la langue française, qu’il conviendrait de concevoir dorénavant légitimement du point de vue de sa variation, c’est-à-dire « dans tous ses états ».

La marche en arrière institutionnelle

42En revanche, tout se présente comme si la création du Ministère dit « de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire », dont le modèle plongerait, d’après Arditty/Blanchet (2008 : 2, 9) et Bazin/Gibb/Selim (2007 : 8), ses racines historiques à Vichy, et qui représente sans doute aussi un effet retardé de l’issue traumatique de la guerre d’Algérie (Jablonka 2008a : 4), était motivée par le souci de compenser de redoutées tendances désintégratives au niveau national par un « re-grounding » en quête de repères, dont la réalité sociopolitique et la base socioculturelle connaissent un processus d’érosion progressive. Il apparaît, en revanche, que cette quête est tournée vers un passé imaginaire, et tout se présente comme si l’identification – fort discutable – du foyer du problème était l’origine de cette motivation: au lieu de contrer la dérégulation déchaînée en situation de mondialisation néolibérale, le choix qui a été opéré prend pour cible l’immigration et les immigrés, qui sont la conséquence et les victimes de cette dérégulation.

Notes

  • [1]
    Cf. le no. hors série du Journal des Anthropologues consacré à ce débat en 2007.
  • [2]
    Conformément à la ligne du « Communiqué » (p. 37) contenu dans le dit fascicule du JdA.
  • [3]
    Le lecteur est invité à se reporter à ce dernier travail pour une analyse de l’enjeu occitan et des débats régionalistes, ainsi que de leur variation dans les différentes phases de l’évolution historique jusqu’à l’heure actuelle. Cela inclue la prise en compte de la tension entre colonies dites « internes » et « externes » (cf. surtout Lafont 1971) d’une part, et de la tension de tout ce champ (post-/néo) colonial, tant « interne » qu’« externe », avec le complexe de l’identité nationale d’État, d’autre part.
  • [4]
    En ce qui concerne IAM, cf. « Tam tam de l’Afrique » (album De la Planète Mars). En effet, le nom du groupe IAM serait, entre autres, l’acronyme de Imperial Asiatic MAN, cf. I A M Concept (« De la Planète Mars »). D’après Swedenburg (2001), le sigle peut aussi être décodé comme « Invasion Arrivant de Mars », « Indépendantistes Autonomes Marseillais », ainsi que comme l’anglais « I am » ‘je suis’.
  • [5]
    Cf. le titre Al khymia de l’interprète marseillais Dupain, morceau chanté intégralement en occitan; il s’agit d’un terme d’origine arabe qui a donné naissance à « alchimie », et qui renvoie effectivement à une transformation profonde par alliage. Le titre est cité, mais non discuté par Gasquet-Cyrus (2007).
  • [6]
    En effet, cf. Planète Mars : « Je dompte le beat, impose des paroles en harmonie/Symbole vivant de ma véritable hégémonie ».
  • [7]
    Il s’agit de l’album Ombre est lumière sur lequel on trouve ce morceau; pour la discussion, cf. Gasquet-Cyrus (1999 : 137-138).
  • [8]
    Notons toutefois que cette « consécration » va de pair, contrairement à ce que l’on observe chez Mistral dans sa célèbre œuvre Mirèio/Mireille, avec la désacralisation de l’occitan (Gasquet-Cyrus 2007).
  • [9]
    Cf. aussi le morceau « Non soumis à l’État » (album De la Planète Mars).
  • [10]
    S’y ajoute la Saint-Barthélemy, citée par Renan (1997), qui écrasa la minorité protestante.
  • [11]
    Cf. aussi Bhabha (2006 : 303). En effet, le lava liquide de la parole en situation de contact et de variation multiples fait fondre les constructions identitaires pétrifiées.
  • [12]
    En effet, Bhabha (2006 : 313) évoque dans ce sens « Nietzsche’s mobile army of metaphors, metonyms, and anthropomorphisms ».
  • [13]
    Dans le même registre symbolique puise le groupe Psy 4 De La Rime dans le morceau « Les cités d’or » (album homonyme).
  • [14]
    Plusieurs membres du panthéon égyptien, dont la divinité du soleil, sont évoqués dans I A M Concept. Généralement, les paroles de IAM fourmillent de références à l’ancienne Égypte. Certains membres du groupe ont choisi des noms égyptiens, en présence de références à l’histoire et la mythologie occitanes (« guerriers khatares », scil. Cathares, voir citation ci-dessous). (Paroles disponibles sous http://www.paroles-musique.com/paroles-IAM-Planete_Mars-lyrics, p21690 et de nombreux autres sites).
  • [15]
    Comme si c’était pour prouver la validité du hadith, rapporté par Muslim : « L’Islam a commencé étranger, et il redeviendra étranger comme il a été auparavant, et tant mieux pour ces étrangers. »
  • [16]
    Ce constat semble rejoindre une tendance générale du chiaroscuro dans les cultures orientales, déjà constatée par Michelet.
  • [17]
    On remarquera aussi qu’à cette double rupture ne sont pas étrangères des allures de double jeu, dans lequel l’adhésion à la culture de la société d’accueil est déjouée par la référence à celle d’origine, dans des buts contestataires, voire de provocation.
  • [18]
    La préservation de la stabilité de l’Étatnation et de son identité repose précisément dans le verrouillage de cette voie, cf. Sarasin (2001 : 30). De plus, comme le souligne Joseph (2004 : 15), « with the ‘discovery’ of a national language, a crucial part of this inventing of imagining of a nation is the creation of a belief that the nation has not been invented. Its invention must […] be forgotten. For if invented, the nation might be perceived as merely artificial, arbitrary, contingent in character ». Ainsi, la conscientisation, précisément, de la contingence de l’« invention » identitaire de la communauté nationale ouvre d’importantes marges de manœuvre à l’agir communicationnel, conjointement à l’agir non communicationnel, ainsi qu’une autonomie accrue aux communautés issues de l’immigration.
  • [19]
    L’anamnèse de la violence structurelle – et la commémoration esthétisée de la contre-violence dans le rap – font partie de ce complexe (cf. Jablonka 2008b).
  • [20]
    On remarquera, par exemple, dans « Les cités d’or » (Psy 4 De la Rime) la récurrence de « les cités d’or c’est » et l’homonymie avec « Orsay ». Ainsi, symboliquement, le Plan d’Aou, cité (d’or) près de Montpellier, quartier originaire du groupe qui apparaît dans le clip, investirait Paris, pénétrerait ‘en effigie’ la capitale (Quai d’Orsay…).
    Le clip est disponible sous http://www.youtube.com/watch?v=U8ToTa 4k4B4)
  • [21]
  • [22]
    On se demandera, d’ailleurs, en quoi se distingue le rap d’interprètes originaires du sud de la France de celui de groupes résidant dans la partie nord. Hormis les marques transcodiques à fonction identitaire emblématique (occitanismes lexicaux, traits phoniques marqués…), on pourrait sans doute constater, au niveau général, une évolution convergente – convergence dont l’attracteur est le modèle du sud. Nous retrouvons ainsi « la Méditerranée sur le continent » (Jablonka 2004).
  • [23]
    Pour une amorce d’application au contexte du régionalisme occitan, bien problématique, cf. Jablonka (2008a : 18).
  • [24]
    Cet islam « black », diasporique, est également fortement apprécié par des rappeurs du sud, notamment par Akhenaton, la « tête » du groupe IAM (cf. Swedenburg 2001) ; pour la discussion cf. aussi Jablonka (2004 : 72 ; 2008a : 13).

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  • Discographie

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    • FABULOUS TROBADORS: Ma Ville Est Le Plus Beau Park. Philips, 2001.
    • FABULOUS TROBADORS: Era pas de faire. Wagra, 2004.
    • IAM: De la Planète Mars. Delabel, 1991.
    • IAM: Ombre est lumière. Virgin, 1993.
    • MASSILIA SOUND SYSTEM: Violent. Adam, 1999.
    • MASSILIA SOUND SYSTEM: Parla patois. Wagra, 2005.
    • MASSILIA SOUND SYSTEM: Occitanista. Wagra 2007.
    • PSY 4 DE LA RIME: Les cités d’or. Barclay, 2008.
    • ZEBDA: Utopie d’occase. La Tawa, 2002.
Frank Jablonka
Université de Picardie Jules Verne
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/chime.071.0027
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