CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Amor était couché, nu, sur son lit comme un fragile souffle, comme une ombre allongée. Les yeux mi-clos, les bras étendus à l’horizontale comme un oiseau de nuit. Tranquille et haletant, voire exalté, la peur le contemplait. L’Amor répandu dans une sensation égarée, dans un labyrinthe d’émois kaléidoscopiques – propagation des couleurs de l’inquiétude, t’a envahi au moment où ta vie venait à tomber, comme tombe la nuit. – Spasmes d’amor, spasmes de l’être. Dénudé, tu étais confus de me voir là. Seul, au seuil de la mort, tu me laissais la porte ouverte, afin que je puisse te rendre visite. Tu ne pouvais plus te lever – Amor assassiné par tant d’indifférence, par temps d’indifférence, partant dans l’indifférence. Amor meurt d’émois inconnus – spasmes d’amor – spasmes du corps – spasmes de mort. Amor déployait ses ailes dans la nuit, d’un côté, l’aile de l’il, de l’autre l’aile d’elle. Eros égaré, en sort effaré, peut-être changé. Tu relatais quelques souvenirs, dans des rêves confus où le jardin public revenait sans cesse. Le jardin était le lieu de l’ex-i l — ivresse d’un combat dans l’ex-il. Amor mord dans la mort-fine du jardin public. Tout feu tout flamme, le jardin est le lieu où le feu dévore l’inconnu, comme invasions barbares, comme un conquistador qui déflore un féminin sans contour. Le jardin est la solitude qui s’habille de nudité. Le public du sexe cherche le jardin intime et anonyme. La nuit, surtout, le jardin public, c’est le sexe. Il voile le privé, le privé de l’enfance. En même temps, la nuit, il dévoile l’innocence. Il dévoile l’abandon. La nuit, les frontières s’effacent : grilles, tracés, fourrés, fouillis, taillis, massifs. Le jardin nocturne est sans pastiche et sans décor. Végétal, organique, monochrome, flou et suave à la fois, odeur d’empreintes, nudités qui délivrent, langage minimal, furtif, passager, intense, langage de solitude. La lumière descend dans l’obscurité. Les végétaux muets sont vivants dans une nature oubliée. L’histoire, ses profondeurs s’infiltrent dans le dégagement des senteurs et des rhizomes cachés. Là, Amor, tu mordais l’indifférence, et découvrais le langage de l’ex-il, un langage sans bord. Découvrir sa nudité, dans un féminin sans bord – spasmes du surmâle. Le jardin, lieu où les cœurs sont trahis, transis, envahis t’avait surpris. Une vie en solo. Amor meurt d’amour, d’amour de mort, d’amour mort. Amor meurt du meurtre du monde, dans la nudité.

2Ce qui vous dépossède, vous possède-toujours – Ce qui vous possède vous dépossède – toujours. Ce qui vous dépouille vous soigne en secret – à jamais - Ce qui vous secrète vous dépouille — à jamais. Ainsi, tu avais approché la nudité de ton désir sans nom. Le désir mis à nu est toujours dérangeant comme vérité approchée. Qui peut échapper à cette nudité ? Qui peut approcher cette nudité sans s’inquiéter ? L’aile d’elle est là, tout le reste est contrefaçon ou mascarade.

3Avant de partir dans le vaste jardin céleste, Amor, tu m’offris un livre. Ce livre s’appelle Solal… Tel Solal, tel Achillas et moi-même… Solal, Achillas et bien d’autres. En l’occurrence, en cet instant, j’occupais la place de Photis. « C’était bien au silence qu’Achillas adressait ses protestations d’amour et Photis ne l’interrompait pas, respectant le dernier souffle exalté par une passion morte en lui, écoutant le récit de ce combat où un autre lui-même, éromène idéal issu de son corps, luttait pour ne pas succomber au désordre du monde. » [1]

Notes

  • [1]
    Guy Hocquenghem, Oiseau de la nuit, Albin Michel, Paris 1998, p. 193.
Anne Decamps
Psychologue clinicienne et psychanalyste.
Dernière publication : Effets de voix, Paris, Champs Social, 2006
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/chime.069.0207
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