CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Contrairement à une idée reçue et très largement partagée, la ménopause n’est pas un fait biologique, mais bien plutô tun fait social, historiquement et récemment construit. Il existe bien un phénomène naturel, l’arrêt de la fonction reproductive féminine à partir d’un certain âge, que l’on commence d’ailleurs à identifier chez d’autres mammifères [1]. Les biologistes, quant à eux, utilisent volontiers le terme de sénescence reproductive. Dans la culture européenne savante, on parlait de cessation des menstrues ou d’arrêt des règles jusqu’au début du XIXe siècle, quand le médecin français Charles Pierre Louis de Gardanne propose d’adopter le terme « ménespausie », dans la préface de son ouvrage Avis aux femmes qui entrent dans l’âge critique (1816). La deuxième édition, en 1821, remplace ce mot par celui de « ménopause », plus euphonique, et le fait apparaître dans le titre : De la ménopause ou de l’âge critique des femmes. Construit sur les mots grecs, M ??, µ? ? ? ?, « mois, règles ou menstrues » et, ? ? ? ??, « cessation », ménopause signifie littéralement arrêt des règles (Pemeury, 1990, p. 12). D’après le matériel encore succinct dont nous disposons, les autres cultures n’ont pas non plus créé un terme spécifique. Une expression populaire se retrouve fréquemment en Europe, avec le sens de changement de vie : the change of life, die Wechseljahre, cambiamento di vita, cambio de vida. Le français a privilégié d’autres dimensions avec le retour d’âge et l’âge critique, cette dernière expression renvoyant notamment à l’idée de troubles, de maladies « longues et dangereuses » (Diderot, 1951, p. 955). En 1805, le médecin français Jallon parle dans sa thèse des « grands dangers qui précèdent, accompagnent, suivent la cessation de cette fonction. Et c’est sans doute ce qui a donné lieu à la dénomination d’âge critique. » (Jallon, 1805) Ces dangers sont expliqués par, et même déduits du modèle physiologique galénique demeuré vivace dans la pensé savante jusqu’au milieu du XIXe siècle environ. Le dominicain érudit Albert Le Grand (1978) l’explicite et en déroule les conséquences au XIIIe siècle dans Les secrets des femmes, un texte diffusé dans toute l’Europe encore très lu au XIXe siècle justement. Le sang menstruel, dont la fonction est d’éliminer des résidus toxiques, n’est plus éliminé et reste dans l’organisme :

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Les vieilles femmes qui ont encore leurs règles et, certaines dans lesquelles elles sont retenues, si elles regardent des enfants couchés dans un berceau, elles leur communiquent du venin par leur regard. La cause de cela, dans les femmes auxquelles elles coulent, vient ce que le flux et les humeurs étant répandus par tout leur corps, offensent les yeux, et les yeux étant ainsi offensés infectent l’air, et l’air infecte l’enfant, suivant le sentiment du philosophe. On demande aussi d’où vient que les vieilles femmes à qui leurs règles ne fluent plus infectent les enfants. On répond que c’est parce que la rétention des menstrues engendre beaucoup de méchantes humeurs et qu’étant âgées, elles n’ont presque plus de chaleur naturelle pour consumer et digérer cette matière, et surtout les pauvres qui ne vivent que de viandes grossières qui y contribuent beaucoup; celles-là sont plus venimeuses que les autres.

3La dangerosité de la vieille femme pour autrui laisse place progressivement aux dangers qu’elle court elle-même. Dans la même logique, la figure de la pléthore s’impose aux XIXe siècle :

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Habitué à trouver une voie facile par la menstruation, le sang s’adresse à tous les organes lorsque son écoulement est supprimé; il les congestionne, et il s’ensuit un état de pléthore. (Gardanne, 1816).

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La pléthore qui survient à l’époque de la ménopause donne des signes généraux, des signes d’apoplexie, de pleurésie, de pneumonie, d’hémoptysie, d’odontalgie. Les plus fréquents sont la dureté et la plénitude du pouls, les feux et les chaleurs de la figure, les hémorragies nasales et surtout les hémorroïdes. Les crachements de sang, les douleurs de la poitrine, qui portent la terreur dans l’esprit des femmes, ne sont bien souvent que le résultat de cet état pléthorique... Au point de vue nerveux, on note des étourdissements, de la pesanteur, des bourdonnements et des tintements d’oreilles. D’autres fois ce sont des rêves fatigants, des insomnies, des sensations bizarres, des spasmes, de la tristesse, de la mélancolie ou un état d’exaltation (Poquillon, 1846).

6Ripeault parle encore dans sa thèse de cette évacuation périodique destinée à expulser un « virus », dont la « matière âcre et morbifique » qui peut occasionner des « effets délétères par sa rétention dans l’économie » (1848).

7Les troubles attribués à la ménopause sont d’une grande diversité. Au XXe siècle la ménopause devient pathologique par la médiation de l’arrêt de la production des œstrogènes. Pour autant, le tableau reste multiforme et décline quasiment tout le catalogue des pathologies jusque dans les années 1980, quand les épidémiologistes ont entrepris des études rigoureuses en population générale. Des incertitudes demeurent encore, comme on l’a vu à propos de la maladie d’Alzheimer, supposée un moment bénéficier d’un traitement œstrogénique préventif. Ainsi, la création du terme de ménopause a renforcé la construction d’un ensemble de pathologies attribué à l’arrêt de la fonction de reproduction chez la femme, somatiques et mentales. L’idée que la ménopause produit une dépression a été formalisée par Kraepelin (1904). La dépression d’involution comme on l’appelait à l’époque constituait une des cinq classes de la dépression avec notamment la mélancolie. Constatant que ces dépressions prolongeaient en fait une pathologie depuis longtemps présente chez les patientes, Kraepelin abandonna cette catégorie, qui connut cependant un grand succès chez les autres psychiatres, les psychanalystes et les gynécologues. Si les psychiatres ont retiré la mélancolie d’involution de la Classification Internationale des Maladies en 1975, psychanalystes et gynécologues continuent à associer ménopause et dépression, depuis la théorisation d’Hélène Deutsch (1949). Selon elle la ménopause provoque une perte symbolique majeure, sans guère d’élaboration ni de compensation possible.

8Au-delà du champ pathologique et biologique, le champ sémantique du terme de ménopause s’étend à une dimension du cycle de la vie en général, que révèle la très intéressante expression de ménopause masculine, très utilisée par les anglo-saxons. On voit d’emblée qu’il ne peut pas s’agir de l’arrêt des règles, ni de troubles dus à l’arrêt de la production des œstrogènes. Le sens de cet étrange auximoron se rapproche de l’antique notion du climatère, moins défini par la physiologie reproductive. Le climatère désigne plutôt une crise, censée se produire selon un symbolisme pythagoricien à 49 ans (7 x 7), ou à 63 ans (9 x 7), la grande année climatérique (Furetière, 1690). Nous sommes ainsi en mesure de justifier notre énoncé initial selon lequel ménopause n’est pas un fait biologique, mais bien plutôt un fait social. Le signifiant de ménopause a d’emblée désigné de façon confuse et mouvante un ensemble de troubles pathologiques attribués à l’arrêt des règles, une phase de l’existence, ainsi qu’une transformation des rôles et de la valeur sociale des femmes. En effet, dans les discours dominants, la ménopause s’accompagne d’une perte de valeur. Baron écrit dans sa thèse que « la femme ne voit s’éloigner qu’avec peine et même avec une sorte d’effroi, les attraits fragiles sur lesquels elle avait toujours compté pour plaire » (1851). Elle a alors le choix entre l’ivrognerie et la dévotion. Cent ans plus tard, Simone de Beauvoir fait un constat assez proche, bien que dans sa perspective critique elle attribue cette situation à des facteurs sociaux et non biologiques :

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Il lui reste à vivre, privée de tout avenir, environ la moitié de sa vie d’adulte. On ne lui a permis d’avoir prise sur le monde que par la médiation de l’homme : que deviendra-t-elle quand elle n’aura plus de prise sur lui ? (1949).

10La « ménopause » condense ainsi des enjeux majeurs autour de la condition féminine, où plutôt des rapports sociaux de sexe, selon un concept plus critique (Tabet, 1998).

11Aussi avons nous choisi d’analyser les représentations savantes et profanes de la ménopause selon un modèle distinguant cinq dimensions : les représentations de l’arrêt des règles et de la fécondité, l’évolution de la santé, de l’apparence et de la valeur sociale. Le discours médical moderne nous a fourni une explicitation des stéréotypes dominants dans nos cultures. Dans son livre de promotion du traitement hormonal, Feminine Forever, le gynécologue américain Robert Wilson (1966) fait un portrait de la femme ménopausée, entièrement définie par son taux d’œstrogènes, comme une calamité pour elle-même et pour son entourage, déjà annoncé dans un article antérieur :

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Raides, fragiles, courbées, ridées et apathiques elles traversent en trébuchant leurs dernières années. (...) Femmes désexuées, elles passent dans la rue sans qu’on les remarque et remarquent peu de choses elles-mêmes. (...) La douleur de l’alcoolisme, de la toxicomanie, du divorce et des foyers brisés par ces femmes instables privées d’œstrogènes ne pourront jamais être racontées (1966) Il est prouvé que le cours de l’histoire a été changé non seulement par la présence des œstrogènes, mais aussi par leur absence (1963).

13Un peu plus tard, le psychiatre américain David Reuben résume de façon lapidaire le rôle social des femmes ménopausées dans son best-seller Tout ce que vous vouliez savoir sur le sexe :

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Ayant épuisé leurs ovaires, elles ont épuisé leur utilité en tant qu’être humain. (1969)

15En France, le Dr Anne Denard-Toulet (1975) décrit la ménopause en des couleurs fort sombres également : « La peste, puisqu’il faut l’appeler par son nom. »

16En regard de la violence de ce discours, qu’en est-il donc de l’expérience des femmes ? Les rares données anthropologiques disponibles indiquent que le statut des femmes ménopausées varie considérablement selon les cultures, mais aussi selon la situation de la femme à l’intérieur du groupe social et de la famille.

17Chez les indiens Mohave tels que les a décrits George Devereux (1950) la ménopause offre une étape d’épanouissement social et amoureux :

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Pendant et après la ménopause, la femme Mohave continue à rester dans le courant de la vie, ses mains pleines de travail, sa maison pleine de petits-enfants, sa tête pleine de la sagesse de l’expérience, ses bras souvent pleins d’un jeune mari ou amant, son œil rayonnant, sa langue prompte à la répartie et pas du tout gênée de flirter avec un homme assez jeune pour être son petit-fils...

19Chez les indiens Mayas, la ménopause est aussi une période de la vie bienvenue, libérée des tabous et restrictions liées aux menstruations (Beyenne, 1986), comme cela se retrouve dans beaucoup de cultures. Dans la société de cour de la France des XVIIe et XVIIIe siècles, la femme connaît une situation favorable rarement atteinte dans l’histoire. En 1671, Ninon de Lenclos, âgée de 51 ans, eut une liaison avec le fils de Mme de Sévigné, âgé de 23 ans. Jusqu’à 80 ans, elle fut l’arbitre du goût du tout Paris. Son salon surpassait celui des princesses de la cour. Mme de Maintenon, à 50 ans, épousa secrètement Louis XIV, âgé de 46 ans. (Greer, 1991). Le rôle des femmes d’âge moyen à la cour de France s’explique par leur maîtrise longuement acquise des principes compliqués et subtils du jeu social. Dans ce monde si bien décrit par Norbert Elias « la domination de l’homme sur la femme se trouve complètement abolie. La puissance sociale de la femme égale ici à peu près celle de l’homme » (1973). À l’autre extrême, dans l’Irlande rurale des années 60, on pense que la ménopause peut rendre folle et, vers 45 ans, certaines femmes se confinent au lit pour attendre la mort (Cohen, 1967). En Afrique, chez les Gisu, la femme qui n’a pas eu d’enfants perd toute valeur sociale à la ménopause et peut se suicider. Au contraire, si elle a des enfants, elle sera associée à la famille de son fils et aura un rôle très important comme grand-mère (La Fontaine, 1960). Chez les Samo, comme dans nombre de sociétés traditionnelles ou dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècle, la femme ménopausée est d’autant plus suspectée de sorcellerie qu’elle est veuve et pauvre (Héritier, 1996).

20Notre enquête menée en France [2], montre que l’expérience et les représentations de la ménopause se répartissent sur un continuum s’étendant sur un large registre. Les cinq dimensions que nous avons identifiées peuvent se combiner diversement pour constituer autant de représentations, qui s’étendent sur un continuum d’un pôle négatif à un pôle positif. Le pôle négatif rassemble 39% des femmes interrogées, qui se caractérisent à des degrés divers par un regret vis-à-vis des règles et de la fécondité, une perte de capital santé, une perte de capital esthétique et une perte de capital symbolique. Le pôle positif concerne 17% des femmes, qui sont très satisfaites de l’arrêt des règles et de la fécondité, pour qui il n’y a pas de perte de capital santé ou de capital esthétique et qui font l’expérience d’un gain de capital symbolique. Entre les deux se situe un pôle neutre, qui regroupe le plus de femmes, 44% pour qui, à la ménopause, rien ne change ou presque. Les autres représentations intermédiaires qui existent, sont caractérisées par un poids spécifique d’une ou plusieurs dimensions. Les femmes les plus indépendantes économiquement et professionnellement se situent dans le pôle neutre, alors que les représentations négatives concernent des femmes au foyer de milieu favorisé. Le pôle positif concerne des femmes plus âgées que les autres, de milieu modeste ou moyen, le plus souvent à la retraite.

21Le thème de la vieillesse cristallise les enjeux de la valeur sociale des femmes ménopausées. L’analyse des discours de la médecine dégage une représentation de la ménopause comme fin de la féminité et de la jeunesse, que nous avions jugée dominante. Les différentes représentations témoignent d’une expérience, actuelle ou anticipée, et des divers compromis entre la représentation de cette expérience et la représentation dominante. Elles s’organisent sur un axe allant d’un pôle négatif à un pôle positif, selon un ordre qui correspond à leur contenu, et qui peut être mesuré par l’accord avec l’opinion « La ménopause est le début de la vieillesse ». L’accord avec ce stéréotype est le plus fréquent chez les négatives et diminue jusqu’au groupe des neutres. Le groupe des négatives accepte plus cette opinion que l’ensemble de l’échantillon. Les neutres nettement moins. Cette progression se modifie un peu avec les positives, qui acceptent un peu plus l’idée de la ménopause comme début de la vieillesse, sans pour autant que cela empiète sur les bénéfices de la ménopause. Chaque groupe est confronté au stéréotype et développe plus ou moins une mise à distance de cette représentation dominante. Pour les négatives, le stéréotype s’impose comme une évidence naturelle indiscutable. Les neutres connaissent le stéréotype, mais ne perçoivent pas leur expérience en fonction de cette représentation. Elles peuvent au contraire rejeter facilement la représentation dominante.

22La distribution des représentations montre que la représentation dominante dans le discours constitué ne domine que partiellement le groupe social concerné. Ces résultats diffèrent de la description de Simone de Beauvoir ou d’Hélène Deutsch, pour qui l’expérience de la ménopause ne pouvait qu’être négative. Il est difficile de dire si cet écart renvoie à l’évolution de la société depuis une cinquantaine d’années ou bien au fait que ni l’une ni l’autre ne disposaient d’enquête en population générale. Margaret Mead, cependant, à la même époque, avait dressé un tableau plus ouvert de la ménopause, en distinguant plusieurs possibilités, de l’événement terrible et ravageur à l’étape paisiblement acceptée ou heureusement surmontée (1966). L’expérience de l’anthropologue lui a donné un regard plus précis que celui de la philosophe ou de la psychanalyste.

23Cette diversité des représentations et des expériences vient aussi contredire le discours médical destiné au public profane, du type Robert Wilson, construit autour d’une vision naturalisante de l’expérience de la ménopause. Ces résultats montrent aussi la limite de l’adhésion des femmes à ce discours. Nous reprendrons à notre compte cette réflexion générale de Pierre Bourdieu pour souligner l’enjeu de pouvoir et de domination sous-jacent à la classification des femmes ménopausées comme vieilles :

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Les frontières, même les plus formelles en apparence, comme celles qui séparent les classes d’âge, fixent un état des luttes sociales, c’est-à-dire un état de la distribution des avantages et des obligations. (...) Les limites sont ici des frontières qu’il faut attaquer ou défendre de vive lutte et les systèmes de classement qui les fixent sont moins des instruments de connaissance que des instruments de pouvoir, subordonnés à des fonctions sociales et orientés, plus ou moins ouvertement, vers la satisfaction des intérêts d’un groupe (1979).

25En conclusion, nous voudrions préciser encore quelques points. Il est démontré par des méthodes épidémiologiques que l’arrêt de la production d’œstrogènes par l’ovaire produit chez environ un tiers des femmes de type caucasien une ostéoporose, pathologie grave et invalidante, vingt à trente ans après l’arrêt des règles. De même, un certain nombre de troubles fonctionnels de fréquence variables surviennent dans les années qui suivent l’arrêt des sécrétions ovariennes, qui peuvent être très gênants (Ringa, 1999). Enfin, une question demeure ouverte, quant à une éventuelle souffrance psychique dépressive spécifique. Les enquêtes épidémiologiques des années 1980 ont confirmé qu’elle n’existait que chez des femmes déjà souffrantes auparavant. Les psychanalystes, comme certains gynécologues, insistent quant à eux sur un remaniement psychique douloureux, de l’ordre de la perte ou du deuil, à prendre en compte, même s’il n’atteint pas le seuil de la pathologie. Les instruments d’observation ne sont pas équivalents. Le matériel recueilli au cours d’une psychothérapie ou d’une psychanalyse n’est pas de même nature que celui récolté par un questionnaire ou par un entretien approfondi.

26Cependant, il nous paraît important de distinguer réaction individuelle à l’arrêt de la fonction reproductive et réaction à la situation sociale faite aux femmes, phénomène de nature et domination symbolique, représentation dominante support de la domination masculine et expérience personnelle.

27L’enquête qualitative a bénéficié d’un contrat avec l’INSERM (Contrat Normalisé d’Étude Pilote n° 94 CN 15) et d’un financement complémentaire du Laboratoire Théramex. L’enquête quantitative a été réalisée par le laboratoire Théramex, la Société SOFRES médical et le Centre de recherche sur les enjeux contemporains en santé publique, CRESP, Université Paris Nord, Bobigny.

Notes

  • [1]
    La baleine pilote, « subit la ménopause vers l’âge de trente ou quarante ans, peut vivre en moyenne encore quatorze ans après, et dépasse parfois l’âge de soixante ans ». Jared Diamond, 1999, p. 129. L’arrêt de la fonction reproductive s’observe aussi chez les primates non-humains, les chiens, les lapins, les éléphants et les animaux du bétail domestique. C. Parker, 1998. Parker C., Tatar M., CollinsA, « Reproductive cessation in female mammals », Nature, 392, Avril 1998, p. 807-811. Diamond J., Pourquoi l’amour est un plaisir, Paris, Hachette, 1999 (Édition originale 1997)
  • [2]
    Une soixantaine d’entretiens approfondis et 1700 questionnaires auprès de femmes de 45 à 65 ans, ainsi que trois entretiens de groupe, entre 1995 et 1997.
Français

Perçue à travers le sens commun comme un pur phénomène de nature, la ménopause s’est au contraire révélée à travers notre recherche comme une vaste construction sociale dépassant largement la désignation de l’arrêt de la fonction reproductive féminine pour inclure des maladies, des modifications de l’apparence, des transformations de la valeur et des rôles sociaux attribués et imposés aux femmes. Forgé à partir du grec par un médecin français au début du XIX e siècle, le terme de ménopause signifie littéralement « arrêt des règles » mais son champ sémantique s’étend jusqu’à un objet qui n’a pas de nom propre, la « ménopause masculine », terme fréquemment utilisé dans les écrits anglo-saxons. Notre enquête menée en France auprès des femmes de 45 à 65 ans, et des hommes de 50 à 60 ans, montre que l’expérience des femmes s’étend selon un registre très étendu. Pour une forte minorité il s’agit d’un sentiment de perte majeure du fait de l’arrêt des règles et de la fécondité, ainsi qu’une perte du capital santé, du capital esthétique et surtout du capital symbolique. Pour la majorité des femmes, la ménopause constitue plutôt un non-événement, une évolution physiologique sans conséquence particulière quant à leur valeur sociale notamment. Enfin une minorité exprime une forte satisfaction. D’une part les représentations dominantes de la ménopause s’inscrivent dans le processus de la domination symbolique masculine, et d’autre part cette domination est aujourd’hui limitée à une minorité de femmes.

Mots-clés

  • Ménopause
  • Représentations
  • Domination
  • Valeur sociale
English

Perceived by common sense as a purely natural phenomenon, menopause is in fact a social construction that goes far beyond designating the end of women’s reproductive functions. Coined in the 19th century, the term menopause literally means the stopping of menses, or periods, but its semantic field meets that of the ancient concept of climacteric, a critical moment of life. Increasingly plentiful since the 1960s, the medical discourse aimed at the general public has two leitmotifs : hormonal treatment keeps the menopausal woman « young » and « feminine ». This paralipsis tacitly expresses the idea that women become old and stop being feminine once their fertility has ended. Our survey, conducted in France among women aged 45 to 65 years and men aged 50 to 60 years, shows that women’s experience is distributed over a broad range, from a negative pole to a positive one, passing through neutral. A sub-stantial minority of women feel a major loss of their « capital » of health and physical beauty and especially of their symbolic capital. For the majority, however, menopause is an inconsequential non-event. Finally a minority express strong satisfaction. On the one hand the dominant representations of menopause are part of the process of symbolic domination of women and of their assignment to their reproductive function and on the other hand only a minority of women today are in the grip of this domination.

Key-words

  • Menopause
  • Representation
  • Domination
  • Social value

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Daniel Delanoë
psychiatre, anthropologue, chercheur associé Centre de Recherche sur les Enjeux Contemporains en Santé Publique (CRESP), UFR Santé Médecine Biologie 74 Rue Marcel Cachin 93017 Bobigny Cedex. Chargé d’étude et de recherche, Développement Innovation Évaluation en Santé (DIES), Filiale de la Fondation de l’Avenir 17 av. de Choisy 75013 Paris.
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