CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En quoi la démarche associative, qui présente un réel intérêt éducatif dans la construction de l’estime de soi, d’autrui et qui favorise, par ailleurs, l’expression personnelle dans un environnement mieux perçu et pris en compte, peut-elle être un élément de pédagogie coopérative utilisable en milieu ouvert ? Telle est la question à l’origine de ce travail. Celui-ci s’appuie sur une expérience à la fois personnelle et d’équipe, acquise au contact de la population enfantine concernée par le programme Maison Robinson  [1] de l’association Intermèdes, entre 1999 et 20032. Pour sa mise en oeuvre et pour le recueil des éléments d’observation, cette recherche a bénéficié de mon investissement personnel, au sein de l’association Intermèdes, depuis son origine jusqu’à maintenant.

2Cependant, il convient d’aborder la position difficile de l’observateur, vis-à-vis d’une action qu’il a créée et développée. Il ne peut plus, dès lors, être question de prétendre à une forme de scientificité expérimentale et, pour acquérir quelque valeur, la « recherche-action » mise en œuvre par l’expérimentateur se doit d’être étayée par un retour constant de l’équipe sur sa pratique. Pour étayer son travail d’évaluation et de recherche, l’équipe professionnelle et « volontaire » de l’association Intermèdes a, notamment, souhaité s’entourer des mesures suivantes :

  • l’élucidation des objectifs, des référents théoriques;
  • la participation de l’équipe élargie à un groupe d’analyse de pratiques de type Balint, hebdomadaire;
  • le recours à un organisme spécialisé, indépendant et reconnu en matière de travail de « développement social », pour tenter d’apporter un « état des pratiques de l’équipe » et de leur perception par le public et les partenaires de l’équipe  [2].

3Pour autant, la position d’expérimentateur-acteur, permet une réflexion théoricopratique intéressante, à condition qu’elle puisse être communiquée et confrontée à d’autres expériences et d’autres approches. Dans le cadre de ce travail, j’ai cherché à enrichir les observations nées de la pratique de la Maison Robinson en matière d’accompagnement de groupes et de projets d’enfants, notamment en les mettant en rapport avec les pratiques courantes d’accompagnement de projet, dans le cadre de l’animation généraliste et dans le cadre scolaire.

Le cadre d’action : le programme Maison Robinson, de l’association Intermèdes

4L’association Intermèdes regroupe des acteurs sociaux et des citoyens concernés par les questions de coéducation aujourd’hui; elle développe un programme innovant de « permanence éducative » qui vise àlutter contre la solitude enfantine et parentale; valoriser l’initiative éducative et sociale, collective; soutenir la fonction éducative.

5Pour ce faire, l’association développe une action dénommée Maison Robinson et localisée à Longjumeau (91). Il s’agit d’un programme de « veille éducative de proximité », mis en place à partir d’une équipe de cinq permanents salariés, issus de diverses qualifications du secteur social et de l’animation. Ce programme concerne une population locale de deux cents enfants et leur famille, dans le quartier grand ensemble de cette ville.

6Il décline trois types d’actions complémentaires :

  • des actions de rue en grand groupe pour contacter l’ensemble de la population locale, fidéliser les enfants et les parents;
  • du soutien de groupes d’enfants et parents, porteurs de projets d’animation sociale, pour permettre aux enfants de réaliser leurs potentialités ailleurs qu’à l’école et dans leur famille;
  • du soutien d’individus isolés et de leurs parents.

7Notre programme a la particularité d’aborder le soutien de la fonction parentale à partir de la demande des enfants.

La transposition de pratiques pédagogiques

8Le problème de départ qui se posait à l’équipe était le suivant : comment, en milieu ouvert, en absence de tout mandat institutionnel, est-il possible, et avec quels effets, d’amener les enfants habitant un même quartier de s’associer en vue de développer une action d’intérêt collectif ?

9D’un point de vue plus sociologique, on s’est peu intéressé au lien de type coopératif en dehors des institutions pendant l’enfance (l’équipe de la Maison Robinson a qualifié le type de groupe ainsi créé comme « associatif » pour le différencier de ceux qui relèvent de situations fermées comme la situation de classe). Si le groupe, la bande, le club ont souvent été étudiés, parfois utilisés comme éléments moteurs dans certaines formes de pédagogie et d’éducation populaire, il n’en reste pas moins que ce qui fonde l’association dans le monde des adultes (le groupement autour d’un projet, l’ouverture sur un but extérieur, l’indivisibilité des bénéfices de toutes sortes) n’avait pas fait l’objet d’études particulières en ce qui concerne l’enfance en dehors des institutions  [3].

10En effet, si l’indivisibilité du profit et l’association des enfants autour d’un projet déterminé en interne du groupe sont des pratiques éducatives que l’on retrouve tout particulièrement dans deux courants pédagogiques majeurs, à savoir la pédagogie Freinet et la pédagogie institutionnelle, il est essentiel de remarquer ici que ces deux courants n’ont développé ces pratiques que dans un milieu clos et institutionnel, l’école en particulier  [4].

11Le simple fait d’étudier comment on peut transposer en milieu ouvert des pratiques pédagogiques conçues pour des groupes captifs en institution, est en soi un sujet passionnant. Mais, dans le cas présent, cette transposition dans le milieu ouvert permet de surcroît d’étudier l’adaptation de la conception du lien associatif, telle que définie en France, à l’enfance et donc probablement de concourir, ce faisant, à enraciner et favoriser cette démarche à l’âge adulte.

Comment caractériser une action coopérative en milieu ouvert ?

12L’association nomme « action coopérative en milieu ouvert » (nous emploierons dans ce texte, également, l’expression « d’action d’association ») un acte éducatif plutôt paradoxal. Il s’agit en effet de susciter la motivation des enfants réunis à l’occasion d’une action d’animation pour se constituer en groupe, autour d’un projet proposé par un des membres du groupe ou en tout cas librement consenti.

13Il faut absolument distinguer cet acte initial des procédures éducatives et pédagogiques classiques qui ont généralement cours dans la plupart des institutions de l’enfance. En effet, dans ces institutions, avant de présenter, lancer une activité ou une période d’activité, il est devenu d’usage que les éducateurs organisent une « phase de motivation ».

14Celle-ci prend souvent la forme d’un « Et si on faisait, etc. ». Apparemment, ce type habituel de procédure n’est pas si éloigné de ce que l’association propose aux enfants dans le cadre du programme Maison Robinson. Il convient donc de bien clarifier les différences et en quoi celles-ci nous paraissent significatives :

  • L’action d’association se distingue de l’activité pédagogique classique proposée à des enfants, même motivés, dans un cadre institutionnel, en ce qu’elle prend place dans un tout autre cadre : le milieu ouvert  [5]. Le travail en milieu ouvert tel qu’il est pratiqué à Longjumeau rompt en effet avec tout type de travail institutionnel en cela qu’il s’adresse à des enfants qui viennent et repartent librement. Leur adhésion, dans ce cadre, à un projet et leur implication dans un groupe qui aura à charge de se conduire en interne (au moins partiellement) prend un tout autre sens : la motivation de chacun et le fonctionnement du groupe seront éprouvés d’une façon beaucoup plus proche de la réalité, tout au long de la vie du projet.
  • Il en découle que l’activité de l’enfant se trouve libérée de toute mission de garde. L’adulte encadrant se « pose en ressource », mais il est libéré des préoccupations sécuritaires ou pédagogiques classiques des institutions éducatives ou de loisirs.
  • Il s’agit d’une action plus complexe en ce que le groupe d’enfant a aussi à gérer la question du local, du matériel et la question des rendez-vous, à un âge où la gestion de l’emploi du temps personnel pose encore des difficultés. Le groupe a, avec l’aide de l’adulte, à identifier ces difficultés et à imaginer des procédures pour les résoudre.
  • Parce qu’il n’émane pas de l’intérieur d’une institution, le projet qui donne lieu à la naissance de cette « association » y gagne une qualité et rencontre un écueil. En effet, il peut beaucoup plus facilement s’agir d’un projet qui se donne comme objectif d’apporter une animation ou un service au quartier ou au cadre de vie de tous. Par contre, comme il est choisi avec plus de liberté, la tentation est grande pour les membres du groupe de ramener ce projet à un bénéfice en interne pour chacun d’entre eux.

Une diversité de types « d’associations »

15Dans l’espace de travail de la structure, ont été proposées depuis 1999 aux enfants trois possibilités et formes d’actions coopératives organisées (ou actions d’association): actions d’associations ponctuelles à partir d’un projet d’origine individuelle; actions d’associations plus durables dans un groupe qui se consacre à une action; actions d’associations d’individus déjà impliqués et intégrés dans les accueils de la Maison Robinson, qui répondent à des besoins ressentis en interne.

16Les actions d’associations ponctuelles constituent l’exemple le plus rudimentaire de projet coopératif et associatif entre enfants. Il part d’une proposition portée par l’enfant, acceptée par le groupe, dont la réalisation est accompagnée par les adultes. Il a pu s’agir d’organiser une projection vidéo, une soirée autour de jeux de cartes à collectionner. Pour les enfants nouvellement contactés, la part de travail et d’élaboration de l’événement recherché se limite à l’acceptation de la responsabilité et à l’accompagnement du projet. Pour d’autres enfants, plus chevronnés, le projet a pu aller au-delà du premier stade et consister à s’occuper de l’organisation d’un événement plus complexe, supposant un partage des tâches en interne, des réunions préalables et un certain consentement, le jour de l’événement pour s’impliquer dans sa réussite (ce qui suppose de renoncer à être également « usager » de ce que l’on organise). Sont ainsi couramment organisées à la Maison Robinson, des soirées ou après-midi, « jeux à thème » pour enfants et-ou adultes. De telles initiatives peuvent paraître dérisoires; il n’échappera cependant peut-être pas au professionnel ayant l’expérience des groupes d’enfants et de préadolescents contactés en dehors des institutions, que des exigences telles que : se projeter, accepter le mélange des groupes, passer de la demande à l’organisation, se présenter aux autres comme impliqué dans une démarche de don et de service aux autres constituent une extrême difficulté.

17Les actions d’association plus durables, des associations à portée réelle d’enfants. Au départ, les enfants ont exprimé leurs propres souhaits d’activités au cours des « conseils d’enfants du quartier ». Ces activités devaient donner lieu à des temps de préparation en vue de leur réalisation le dimanche matin. Face au nombre de projets, il a paru impossible de les recevoir tous dans un cadre aussi ouvert; pour en diminuer le nombre, la solution trouvée par l’équipe a été de fixer un temps de rendez-vous pour leur dépôt, en vue d’une présentation ultérieure au cours du conseil suivant. Ces projets suscitent en général « la mise en association » de deux à trois enfants en moyenne. Les projets retenus au cours des conseils exigent des temps de préparation ayant pour objectif à la fois de former les enfants pour qu’ils soient en mesure d’être les animateurs de leurs propres projets mais aussi de leur faire prendre conscience de la dimension collective de leur projet. Les groupes organisateurs doivent souvent accepter des modifications de leur idée initiale pour s’adapter à la réalité des moyens, du cadre ouvert à tous mais aussi des différentes tranches d’âges.

18L’accompagnement de ces groupes reste largement effectué par les animateurs de la structure. Ceux-ci conservent la charge d’une part de la difficulté de la préparation dès lors que celle ci nécessite des moyens que les enfants n’ont pas (aller faire des courses dans des magasins spécialisés, acheter un matériel trop coûteux) mais aussi pour éviter que les enfants confrontés à une préparation trop difficile, n’abandonnent. Il n’est pas évident, en effet, pour certains enfants de changer de statut : devenir organisateurs et animateurs de leur quartier suppose en effet de s’engager à rendre d’éventuels comptes en cas d’échec ou de difficulté. Il faut aussi accepter à un moment donné de « sortir de la bande » pour s’affirmer comme auteur, au risque de recevoir critiques et moqueries… La distanciation nécessaire n’a pas été une chose acquise facilement. C’est littéralement ce type d’actions qui a donné tout son sens, pour l’équipe comme pour les enfants, au concept d’association d’enfants.

Des « mini projets associatifs » qui nécessitent une recherche d’information

19À l’origine, la demande « de faire du théâtre » par des enfants regroupés en association ou par des enfants individuellement a été présente dès le début du fonctionnement de la Maison Robinson. Dès la deuxième année de fonctionnement, un cadre a été proposé. Il a permis de constituer un groupe d’enfants. Au départ, huit enfants de six à douze ans se sont réunis avec deux adultes afin de choisir le thème et la trame de la représentation. Au fur et à mesure des répétitions, une dynamique associative s’est mise en œuvre. Les enfants sont passés d’une recherche de satisfaction personnelle à une démarche de « troupe »: la recherche du plaisir personnel se trouvait relativisée par le collectif. Dès lors, certains enfants en grande difficulté personnelle, dont un enfant mutique, ont pu trouver une place dans la troupe constituée.

20La représentation a eu lieu en extérieur et a amené une quarantaine de spectateurs tous âges confondus. L’expérience de cet atelier a été originale : elle était en effet conduite en milieu ouvert, ce qui suppose une adaptation constante à l’imprévu et à la défection possible de certains membres de la pert du groupe engagé et des animateurs adultes éventuels. Accepter cette contrainte exige en retour une grande souplesse et de l’adaptation vis-à-vis des nécessités du spectacle. C’est aussi un exemple de démarche associative pendant l’enfance qui suppose un acte de formation en collectif préalable. Dans ce dernier cas, une animatrice professionnelle de théâtre a été embauchée directement en lien avec ce projet de création théâtrale; les enfants, en quelque sorte se sont trouvés commanditaires d’une formation qui leur était proposée, ce qui a évidemment renforcé la concentration, l’attention et l’assiduité portées à cette formation.

Les actions d’association liées à la structure : intitulés, modalités, hésitations

21En dehors de la démarche de projets, à travers son fonctionnement quotidien, l’action de la Maison Robinson rend également compte d’un souci de préparation des enfants à adopter une démarche de type coopératif. À l’occasion des goûters, de l’aménagement et du rangement du local principal, les enfants sont également invités à prendre des responsabilités et des engagements dans un groupe dont ils ne sont ni directement ni uniquement les bénéficiaires. Ainsi en est-il du cas des goûters. Durant la deuxième année de fonctionnement, un temps d’accueil des enfants de moins de sept ans et comprenant un goûter a été organisé tous les jours après l’école. Chacun de ces accueils a permis quotidiennement d’accueillir entre dix et dix-sept enfants. Le travail d’organisation autour du goûter a permis d’évoluer vers la création de « métiers du goûter ». Une tâche fut assurée par chaque enfant : serveur, préparation, débarrassage… Un souci de décomposition des actions et de leur adaptation à l’âge des enfants a guidé l’équipe. Durant l’été, ce goûter a été transposé à l’extérieur et fut ouvert à toutes les tranches d’âges.

22Ce peut être également le cas des métiers. L’équipe de la Maison Robinson a cherché à vérifier s’il était possible de donner corps à la notion de « métier d’enfant », issue de la pédagogie coopérative et institutionnelle, dans un cadre de travail en milieu ouvert. L’intérêt visé était de permettre aux enfants de faire l’expérience du remaniement des relations d’influence et d’autorité que rend possible dans un groupe l’acceptation volontaire d’une responsabilité. En effet, comme le notait Jean Oury, dans la préface du Mémento de pédagogie institutionnelle (Laffitte, 1999), « les responsabilités permettent à un petit, si c’est son métier, de faire la leçon à un grand ». Voici quelques exemples de métiers d’enfants :

  • le prêt de jeux; les enfants investis de cette responsabilité gèrent les prêts, le retour et le renouvellement du stock de jeux et jouets du local;
  • les « brigades de nettoyage de la Maison Robinson »; l’équipe de la Maison Robinson a fait le choix, depuis l’ouverture de son local, de ne pas faire appel à un professionnel pour l’entretien, le nettoyage et le ménage, mais de réaliser ces tâches avec les enfants. Les enfants, qui s’inscrivent dans cette responsabilité, rejoignent une équipe ponctuelle qui prendra en charge des tâches d’entretien ou des nettoyages plus ambitieux;
  • les ateliers cuisine; les enfants qui choisissent la responsabilité « cuisine », sont sollicités en équipe pour préparer des plats et des gâteaux, à l’occasion des événements organisés par la structure : goûters, repas, apéritifs, etc.

23À la réflexion, la mise en place et l’usage des « métiers » enfantins relève bel et bien d’une démarche du même type que la démarche associative; les métiers apparaissent en effet comme une « association à un » dans le sens où ce qui motive l’enfant à l’accepter est la compréhension de l’intérêt personnel qu’il y a de rentrer dans une démarche collective dans laquelle tout bénéfice d’une action ou d’un projet est par définition « indivisible » du bénéfice apporté à la collectivité. Le succès des métiers d’enfants, y compris en milieu ouvert, témoigne par ailleurs de la validité de « l’invariant pédagogique » 10 ter (Freinet 1964): « Ce n’est pas le jeu qui est naturel à l’enfant, mais le travail. »

Évolution des modes de constitution des groupes : du volontariat à la pratique du conseil coopératif

De l’association d’enfants autocentrée à l’association d’enfants dans un but collectif

24Les différentes associations d’enfants mentionnées ci-dessus permettent de souligner une évolution importante rendue possible au fil du temps. D’une démarche groupale autocentrée (regroupement en vue de satisfaire un but commun aux participants au groupe) les enfants qui étaient sous l’influence des adultes sont passés progressivement à une démarche associative « excentrée »; la réalisation personnelle a pu être associée avec une ouverture et une adaptation au collectif. L’exemple des métiers d’enfants ou des mini-ateliers est à ce titre significatif, les enfants ayant su visiblement dépasser leur désir de « consommation » au profit d’une mise à disposition de leurs capacités vis-à-vis des autres. Cette évolution que l’on pourrait qualifier d’institutionnalisation du principe d’association a été rendue possible par deux apports de l’équipe des adultes :

  • la proposition pour les enfants de recevoir et d’acquérir des compétences utiles. On a ainsi pu passer de l’acquisition d’un savoir-faire à l’acquisition d’un savoir être : en l’occurrence, au sein de la Maison Robinson, celui du travail pour la collectivité. Ainsi la participation aux goûters qui, au départ, répondait aux besoins des enfants d’être accueillis, s’est transformée en une volonté de permettre au goûter de se dérouler dans les meilleures conditions pour que cette action dure;
  • la sécurisation des enfants en ce qui concerne l’attention apportée à leurs demandes, par les adultes. Les enfants ont éprouvé la certitude que la Maison Robinson leur témoignait un intérêt personnalisé et durable et les reconnaissait, de surcroît, capables d’apporter un bénéfice au collectif, il leur a été ainsi plus facile de passer du « groupe de demandes » à l’association.

Entre solitude et dépendance : paradoxes de la sociabilité enfantine, en milieu urbain

25Il pourrait paraître de premier abord quelque peu paradoxal de faire état de difficultés fréquentes de sociabilité et en particulier d’insertion dans un groupe, pour des enfants qui vivent dans des grands ensembles urbains et qui fréquentent largement les espaces publics où ils sont en contact constant avec d’autres enfants. Et pourtant, le constat n’est pas nouveau.

26Ce que l’action de l’association Intermèdes permet d’entrevoir, c’est d’abord la très grande hétérogénéité des enfants de ces quartiers : on y rencontre en effet autant d’enfants capables de s’insérer dans un groupe nouveau et structuré que d’autres qui, au contraire, ne peuvent y développer que violences et inhibitions. Face à cette hétérogénéité, plusieurs voies s’offrent à l’action éducative; la première consiste à ne pas vouloir la traiter et à laisser les enfants, en fonction de leurs compétences sociales, bénéficier et s’inscrire dans les activités traditionnelles ouvertes aux enfants en milieu urbain : garderies, clubs de sports, clubs de loisirs culturels. C’est la tendance actuelle : elle aboutit visiblement à renforcer les compétences et la sociabilité de ceux qui en ont le plus et à reléguer, à l’inverse, les enfants considérés comme les plus « difficiles » hors de tout groupe structuré, les mettant en contact avec des adultes et un projet éducatif. Il ne restera plus alors à ces enfants en difficulté que de bénéficier sporadiquement d’activités offertes par les municipalités dans un but de pure consommation : manifestations festives, actions ponctuelles d’animation avec des supports valorisés, sorties vers des bases de loisirs.

27On saisit ce que cette répartition, finalement assez libérale, peut avoir d’enfermant; on fabrique ainsi les adolescents infantiles et individualistes, qui, quelques années après ne peuvent plus envisager le dialogue avec la collectivité que sous la forme de la « pression » ou du chantage, dans une dépendance finalement totale vis-à-vis des institutions et des pouvoirs qu’ils croient pourtant « manipuler ». Une deuxième voie consiste évidemment à exploiter cette hétérogénéité comme une ressource et surtout comme une occasion de permettre aux enfants les plus en difficulté dans un groupe, d’apprendre à s’y exprimer, à y trouver une place et à enrichir et varier leurs compétences de relations à autrui. C’est bien entendu à cette deuxième voie que s’attelle toute démarche visant à développer des « actions d’association » pendant l’enfance.

28Deuxième constat : la solitude. C’est essentiellement à partir du double constat de l’isolement des parents et des enfants que s’est initiée puis développée l’action de l’association Intermèdes (Ott, 2001-2003). Par ailleurs, il est important de préciser, pour mémoire, que le développement incessant de loisirs et de soins spécialisés pour les enfants a été contemporain d’une baisse évidente des ambitions publiques en matière d’éducation et à la baisse concomitante des grands mouvements d’éducation.

29La solitude c’est également pour beaucoup de la dépendance. Pour autant, dans le cadre des actions du dispositif de la Maison Robinson, l’équipe s’est rapidement rendu compte que l’isolement des enfants, postulé à l’origine de l’action, se déclinait souvent d’une façon paradoxale, au travers de relations réduites, exclusives et souvent enfermantes qu’ils pouvaient connaître. En effet, de nombreux enfants des villes se trouvent souvent confinés, loin des adultes, dans des situations de coexistence quotidienne avec d’autres enfants; il s’agit souvent de frères et sœurs ou à défaut — ou alors par surcroît — le groupe d’enfants de la cage d’escalier ou de l’immeuble lui-même. Le point commun de ces relations de quotidienneté est qu’elles sont, à l’observation, plus souvent subies que choisies.

30Elles semblent à l’évidence devoir leur force et leur permanence au fait que le groupe ainsi créé est en quelque sorte un groupe d’appartenance : il est en quelque sorte une enveloppe protectrice qui entoure l’enfant, plongé un peu rapidement et rarement accompagné, dans un environnement vécu comme inquiétant. Grâce à ce groupe premier, l’enfant acquiert une certaine forme de sécurité dans son environnement immédiat. Il se sent en particulier protégé de l’intervention potentielle des adultes étrangers, toujours ressentie et attendue avec une certaine inquiétude. Le groupe est en effet ainsi constitué qu’il fait souvent écran aux tentatives (voire aux tentations) de communication avec un intervenant adulte; il permet également de protéger chacun de ses membres, à l’occasion de tel ou tel mauvais tour, de la colère des personnes vécues comme étrangères à l’environnement immédiat. À l’inverse, ce type de groupe est un obstacle quand l’enfant cherche à initier de nouveaux contacts ou quand il tente de s’adonner à une forme d’expression plus personnelle. Par ailleurs, ce type de groupe, aussi plébiscité soit-il, est souvent le lieu d’incessantes petites tracasseries, de petites maltraitances quotidiennes que s’infligent les membres du groupe entre eux, selon un rapport de force, fortement implanté; c’est un peu l’histoire de l’aîné qui frappe le cadet, qui frappe, le benjamin… qui frappe le chien.

Du groupe d’appartenance spontané à la bande d’adolescents, les avatars du collectif

31Les groupes premiers d’enfants, ceux que l’on pourrait qualifier d’appartenance ou encore d’identitaires en ce qu’ils permettent à l’enfant de répondre au fait qu’il se sent souvent perdu dans un environnement qu’il ne comprend pas et dans lequel il n’est pas accompagné, ont évidemment tendance à se préserver tout au long de l’enfance. En effet, ces groupes constituent tout autant des écrans que des protections et l’enfant continue donc à fréquenter exclusivement les membres de ces groupes.

32À l’adolescence, ces groupes extrêmement rigidifiés et solidifiés par leur ancienneté développent d’autres zones d’intervention : ils s’imposent dans les structures de loisirs offertes aux adolescents, entrent en concurrence souvent violente avec d’autres groupes ou d’autres bandes de même nature. Vis-à-vis des institutions publiques et des acteurs sociaux, depuis une dizaine d’années, ces groupes fonctionnent comme des groupes de pression marchandant volontiers une sorte de pression sociale contre le fait de bénéficier de prestations valorisées. Pour autant, les membres de ces groupes semblent bel et bien y être enfermés; le groupe fait que l’on ne quitte pas le quartier, que l’on ne s’insère dans un stage éloigné, que l’on n’envisage plus d’autre avenir, à terme, que de travailler dans son milieu de vie immédiat avec « ses potes », sans se poser la question de la professionnalité et de la légitimité de l’intervention  [6].

33Aussi convient-il d’en finir avec l’image des quartiers urbains comme milieux naturellement sociabilisants. Une certaine économie de pensée se représente souvent la condition de l’enfant en milieu urbain, au sein d’un quartier de type « grand ensemble », comme celle d’un enfant fortement sociabilisé, possédant plutôt mieux que d’autres des capacités d’expression de ses émotions au sein d’un groupe de pairs ou dans une collectivité institutionnalisée.

34Bien entendu, l’expérience quotidienne des acteurs socio-éducatifs témoigne du contraire; cette socialisation d’apparence cache évidemment le plus souvent un confinement, voire une succession ininterrompue de ruptures  [7], et les enfants issus de quartiers précarisés, moins que d’autres, savent exprimer leurs émotions, leurs désirs ou déceptions. Certes, ils n’en ont pas pour autant moins acquis de réelles compétences sur le plan relationnel; mais il s’agit de compétences défensives et peu tournées vers l’expression de soi; tel enfant va exceller à l’oral, par exemple, pour « embrouiller » tel ou tel adulte qui lui demande des comptes, tel autre saura en quelques phrases retourner une situation et se présenter aux yeux de l’assistance en victime, dans les mêmes circonstances. Mais les mêmes individus, s’ils acceptent (et c’est loin d’être gagné) de prendre place dans un groupe organisé qui laisse une grande place aux activités d’expression (groupes « goûters de philo », conseils, etc.) perdent instantanément cette aisance qui semblait pourtant les caractériser autant et on comprend soudain, face à ces difficultés profondes, d’où leur vient un tel besoin de les dissimuler.

35Les groupes en eux-mêmes n’ont aucune vertu éducative. Or, on a longtemps cru qu’il suffisait, pour donner à l’enfant une certaine sociabilité, de le plonger dans un collectif quelconque : l’expérience, la pratique permettraient ainsi à l’enfant d’acquérir par lui-même, comme un effet du cadre, les compétences indispensables à la vie en collectivité ainsi que la capacité de se construire dans et par le groupe. De nombreuses pratiques, toujours actuelles, qu’elles prennent pour cadre le centre de loisirs, l’école  [8] ou le club de sports, sont toutes empreintes de cette conviction « naturaliste », de sorte qu’il ne rentre pas beaucoup dans le projet des initiateurs de tels lieux et groupes, de créer en leur sein les institutions pourtant élémentaires qui les rendront « vivables » et, peut-être, éducatifs. Si de telles convictions, tellement partagées, peuvent encore influencer les pratiques, c’est probablement parce qu’on néglige de prendre en compte le fait suivant : jusque dans les années 1970, les enfants ne se contentaient pas de fréquenter ces « groupes d’appartenance » décrits plus haut. Ils étaient également majoritairement appelés à s’investir dans des mouvements d’éducation pour enfants d’obédience scoute, religieuse ou même politique qui avaient en commun d’introduire l’enfant dans une organisation et non pas seulement dans un collectif. La famille elle-même n’était pas encore réduite au point d’aujourd’hui, à la stricte parentalité et (à défaut) à la monoparentalité, elle pouvait offrir une autre diversité et une autre richesse en interne : liens de parentalité latéraux, fréquentation soutenue et régulière de familles alliées, etc. De ce fait, c’était toute une organisation familiale qui assumait, aux yeux de l’enfant, toute une panoplie de rôles et de fonctions qu’aujourd’hui un ou deux individus s’épuisent à tenir.

Faire du collectif un milieu éducatif

36L’expérience des groupes de la Maison Robinson a entraîné l’équipe vers des pratiques paradoxales; celle-ci ne pouvait, en effet, pas se satisfaire, lors de la genèse de ces groupes, de se contenter « d’officialiser » les « groupes d’appartenance » préexistants, pas plus qu’il était possible de se résoudre à ne développer, vis-à-vis du public enfantin, que des actions individuelles.

37D’où la nécessité de transformer les « groupes d’appartenance ». L’équipe s’est ainsi rapidement rendu compte, que, dans le cadre de son travail en milieu ouvert, elle n’arrivait parfois pas à créer, en conservant ces groupes d’appartenance, les situations de rupture et de changement qu’elle souhaite développer. Elle a donc été amenée à diverses reprises à refuser d’accueillir ou d’accompagner de tels groupes, obligeant, par-là même, les individus concernés à se retrancher de cette « enveloppe sécurisante ».

38Mais c’est un travail de longue haleine : il s’agit en effet d’un véritable travail de négociation qui se construit jour après jour, dans la confiance avec les enfants concernés. Il y a en effet une contradiction apparente à lever : l’association avait affirmé dans tous ses documents de travail, en direction de ses subventionneurs, que le travail en milieu ouvert prôné se devait d’accorder une grande souplesse à l’accueil des contraintes vécues par les enfants; c’est ainsi que l’accueil de l’hétérogénéité en âge peut permettre d’intégrer dans une structure une grande sœur chargée d’enfants plus jeunes, situation qui exclue quotidiennement ce type de public de la fréquentation des structures culturelles ou de loisirs classiques. Dans ce cadre-là, il faut bien comprendre que la pratique finalement adoptée, de « casser les groupes d’appartenance », est, pour l’équipe, un aboutissement et non pas un préalable à l’établissement et à la poursuite des relations éducatives durables avec le ou les individus concernés.

39Quelles sont, dès lors, les caractéristiques modernes des collectifs enfantins spontanés ? Les sociétés d’enfants ont des caractéristiques bien connues et anciennes. Une solide tradition littéraire et populaire a témoigné de l’existence de ces sociétés éphémères; cette tradition est encore prégnante dans la façon courante de considérer de prime abord les phénomènes de bandes d’enfants en milieu urbain. Or, il s’avère, à l’observation, que cette apparente familiarité est trompeuse : ce n’est pas en ayant en tête La Guerre des boutons, que l’on peut le mieux comprendre ce que les phénomènes de solitude et de dépendance des enfants en milieu urbain ont de significatif.

40Ce n’est pas l’objet de ce travail de développer particulièrement sur le plan anthropologique ce que les sociétés d’enfants d’avant-guerre pouvaient avoir de radicalement différent par rapport aux petits groupes atomisés au milieu desquels vivent souvent les enfants des quartiers d’aujourd’hui. Il peut quand même être utile de faire remarquer que les sociétés d’enfants des villages, d’après de nombreux témoignages et récits écrits, empruntaient souvent aux collectifs adultes des éléments d’organisation sociale tels que : grades, titres et rituels de passation ou d’intronisation. Forts de ces « pratiques de référence », ces « microsociétés » se lançaient souvent dans des projets de réalisations collectives. À l’inverse, les groupements d’enfants dans les quartiers urbains sont souvent dénués de ces éléments d’organisation même embryonnaires; ils se constituent en général sans référence au monde adulte et sans projet, idéal collectif ou « mythe d’origine ».

41Ces bandes d’enfants généralement rurales bénéficiaient, pour fonctionner, d’une forte opacité vis-à-vis du monde des adultes; elles pouvaient se constituer des espaces ou des territoires qui n’étaient ni surveillés ni interdits. Les enfants d’aujourd’hui, et d’autant plus en milieu urbain, vivent dans la transparence et au vu de tous. Les espaces qu’ils peuvent investir sont souvent considérés par les adultes comme usurpés ou occupés (quand leur fréquentation ou occupation ne tombe pas carrément sous le coup de nouvelles lois); ils font forcément l’objet d’un conflit.

42Du fait de cette opacité, les collectifs traditionnels d’enfants pouvaient à l’occasion se rendre collectivement coupables de délits non négligeables tels que vol de matériel, bris ou casse dans certaines propriétés, de sabotages divers, parfois même de violences sexuelles ou de cruauté envers les animaux, etc., sans que ces délits n’attirent, pour ceux qui se faisaient prendre, autre chose qu’une correction. Ces « bêtises » ne semblaient pas être ressenties par les adultes comme des atteintes inacceptables et dangereuses à l’ordre public. On assiste aujourd’hui à l’inverse à une pénalisation de la vie des familles et des enfants. L’idéologie de « la tolérance zéro » semble ainsi progresser au moins dans les médias et dans les annonces politiques et on semble avoir complètement perdu de vue que l’enfance a toujours été de tout temps une période où pouvaient trouver à s’exprimer sporadiquement certaines tendances antisociales sans pour autant que l’enfant y gagne un statut de délinquant.

43Et pourtant, la gravité des actes reprochés aux enfants d’aujourd’hui est souvent en deçà des récits de nos anciens concernant leurs propres « frasques ». Une fois de plus, la différence essentielle provient du fait que les groupes enfantins d’aujourd’hui, et surtout en milieu défavorisé, sont contraints d’opérer dans la transparence. Ces quelques points de comparaison apportent quelques éléments explicatifs ce qui s’impose à l’observation de la condition de nombreux enfants dans les quartiers urbains défavorisés, à savoir que les groupes qu’ils sont amenés à composer sont souvent très réduits, très pauvres, et fondamentalement très enfermants. On y chercherait en vain les éléments du folklore enfantin littéraire. Il semble donc manquer aux enfants d’aujourd’hui, dans l’apprentissage de la socialité, ce que l’on pourrait définir comme « le stade du club »  [9]. Ce stade semblait par contre, en milieu rural du moins, relativement naturel aux enfants d’autrefois; il avait l’avantage d’introduire dans les groupements d’enfants des pratiques de recherche de règles en interne et de décentration des individus.

44S’ils ne parviennent à un fonctionnement organisé, les groupes d’enfants d’aujourd’hui n’en développent pas moins un caractère envahissant pour les membres et l’environnement au fait qu’ils sont solidement ordonnés en interne, à défaut d’être structurés.

Passer de l’ordre à l’organisation  [10]

45Tout l’intérêt de la démarche associative adaptée à l’enfance semble justement résider dans la possibilité offerte à l’enfant de comprendre et de pouvoir expérimenter des modes de vie groupaux non gouvernés par les stricts rapports de force. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ce n’est pas tant l’ordre qui manque aux groupements spontanés d’enfants que l’organisation. L’ordre en effet est partout : tout groupe spontané de bas d’immeuble a ses « dominants » et ses « dominés ».

46Le choix des actions collectives, la distribution des rôles et des responsabilités ne laissent rien au hasard; en fait ces groupes spontanés paraissent essentiellement déterminés de l’extérieur et polarisés sur la recherche de modèles groupaux très stéréotypés et très liés aux images véhiculées par les médias. À l’inverse, une démarche coopérative adaptée à l’enfance produit de l’organisation, c’est-à-dire qu’elle structure les rapports en interne et en externe du groupe en vue d’un but extérieur. Cette structuration produit pour se prolonger « des règles », des rituels et des institutions, au sens que donnent à ce mot les pédagogies Freinet et Institutionnelle.

47Il est possible de relever deux invariants et trois grands « organisateurs » de la structuration des groupes enfantins. À la base de tout travail en milieu ouvert durable, se tiennent deux invariants fondamentaux : la permanence du lieu et du temps des rencontres, et la fidélité de l’adulte à la parole donnée. L’équipe de la Maison Robinson retire de sa pratique de travail en milieu ouvert le caractère fondamental de la fidélité de l’adulte vis-à-vis de ce qui était convenu. De là découle toute confiance possible de l’enfant, et toute adhésion possible de ce dernier à quelque projet, quelque groupe, que ce soit. Cela n’est pas un principe en l’air, pas une éthique réfléchie, mais une pratique quotidienne de chaque adulte qui engage le fonctionnement de la structure. Il s’agit d’un principe absolu : « aucun enfant ne doit attendre en vain ».

48Chemin faisant, au cours de l’expérimentation de la Maison Robinson, l’équipe a été progressivement amenée à réaliser un travail d’adaptation et de redécouverte d’outils traditionnels de la Pédagogie Institutionnelle, comme en témoigne le travail réalisé sur la notion de « métiers ». Ce qui est intéressant, c’est que ces outils n’ont pas été plaqués dès l’origine des actions, mais qu’ils sont apparus progressivement ou bien à la demande des enfants, ou bien, à la réflexion, comme mode de réponses proposés par les adultes à des difficultés rencontrées par les groupes [11]. Le groupe coopératif tend généralement à générer des conflits, inhérents justement au fait que chacun est appelé à prendre une place active en son sein.

Trois « organisateurs »  [12]

49Le premier organisateur : savoir accepter, et exprimer les conflits nécessaires. La gestion de ces conflits devient le travail quotidien de ce type de groupe et prend énormément de temps. De cela, il ne faut pas trop s’inquiéter car ce temps est en fait un temps nécessaire pour que le groupe existe et que chacun puisse s’approprier son évolution. Le temps du groupe s’accorde ainsi sur les possibilités des personnes qui le composent. Les conflits mettent en péril le groupe, aussi doi-vent-ils être absolument gérés par la parole. Les enfants ne sont pas spontanément capables de susciter et gérer un tel travail de la parole; cependant, comme le remarquent les intervenants de la Maison Robinson, ils sont tout à fait compétents et ce, depuis l’âge de six à sept ans, pour prendre la parole et exprimer avec leurs mots « ce qui va », « ce qui ne va pas » et « ce qu’on pourrait faire ». Les enfants qui ont bénéficié de cette action de l’Association Intermèdes ont visiblement énormément progressé dans leurs capacités préexistantes à verbaliser leurs sentiments, leurs émotions, leur colère vis-à-vis de ce qu’il se passe dans le groupe. Le recours à la parole a, à l’observation même, énormément gagné sur le recours à la violence physique ou verbale  [13].

50Le deuxième organisateur des groupes démocratiques et organisés pendant l’enfance, savoir organiser la circulation de la parole, découle en ligne directe du premier : il ne servirait à rien d’accueillir et de permettre le conflit, de lui reconnaître une valeur positive dans l’évolution des groupes et des individus si on ne permettait pas à ces conflits de s’élaborer à travers la parole et donc si on ne recherchait pas les moyens de susciter et de laisser circuler cette parole de conflit  [14]. L’organisation de la prise de parole, de son écoute et de sa circulation constitue un enjeu majeur de ce type de collectifs. Dans les associations d’adultes, il n’est pas forcément nécessaire de recourir à des outils spécifiques mais notons que bien souvent de nombreux conseils d’administration tournent au règlement de compte, du fait que le collectif adulte n’a justement pas su organiser en interne un travail de « veille critique constructive ». Dans les collectifs d’enfants, c’est plus simple; on ne peut s’en remettre à une pente supposée naturelle des conflits à s’exprimer et à se résoudre d’eux-mêmes, il faut organiser.

51Là encore l’usage et l’expérience ont convaincu l’équipe de la validité et l’intérêt en Milieu Ouvert de deux outils empruntés à la pédagogie institutionnelle, à savoir le Quoi de neuf ? et le Conseil. En milieu ouvert, ces deux instances gardent les mêmes fonctions et le même recours qu’elles peuvent avoir dans une salle de classe, mais il faut fournir par contre un continuel effort d’adaptation des modalités d’exécution  [15]. Les animateurs de la Maison Robinson ont pris l’habitude de commencer toute réunion d’un groupe organisé par un rituel de type « Quoi de neuf ?» Celui-ci est parfois accompagné d’un goûter qui en renforce le caractère de convivialité. À chaque fois, ce « Quoi de neuf ?» est l’occasion d’ouvrir le groupe à chacun tout en permettant à chacun aussi de s’ouvrir sur le groupe. Il est aussi l’occasion de nommer les présents et les absents et de recevoir les messages rapportés par un autre. De la même façon, les animateurs ont graduellement mis en place une nouvelle pratique de conseil des enfants du quartier. Au-delà de son instrumentalisation en tant qu’outil d’évaluation de la démarche associative chez les enfants, ces conseils des enfants du quartier (ou réunions d’enfants) ont permis de travailler sur la circulation de la parole et la verbalisation. Ce conseil, fidèle en cela à notre vocation, se tient dehors dans un espace public bien repéré et selon un horaire immuable. Il permet aux enfants présents de prendre la parole pour exprimer trois actions fondamentales : raconter, critiquer, proposer, et bien entendu, de donner son appréciation au sujet des dires d’un autre. C’est également un lieu où peuvent s’exprimer les critiques personnelles qu’elles soient adressées à d’autres enfants, aux adultes ou à des absents. À chaque fois, l’adulte présent rappelle ce qui est possible et ce qui ne l’est pas et veille à faire respecter au mieux la liberté d’écoute et d’expression ainsi que la sécurité de chacun. Petit à petit, les adultes, dans la mesure du possible, tendent à s’effacer et à permettre à certains enfants de remplir ces fonctions : gardien du temps, distributeur du « bâton de parole », président de séance, secrétaire.

52Troisième organisateur : savoir produire et reconnaître des compétences reconnues en interne. Sortir de l’ordre pour aller vers l’organisation, c’est aussi déterminer en interne, avec les enfants eux-mêmes un système de reconnaissance des compétences acquises par tel ou tel des membres du groupe. Ainsi le groupe est attentif à chacun de ses membres, et surtout, est amené à réfléchir sur les compétences nécessitées par tel ou tel but qu’on se donne. Ce n’est donc ni la popularité, ni la force qui donne de la valeur et de l’importance à un individu mais la compétence que peut apporter ce dernier pour un objectif commun. Ainsi celui qui fait pour de vrai, passe-t-il pour plus précieux que celui qui est censé tout savoir et pouvoir tout faire… Et ainsi, un enfant plus faible, plus jeune peut-il apporter parfois davantage dans un groupe que nombre de ses aînés.

53Ce point est essentiel : il permet en effet de décentrer l’attention perpétuelle portée par les enfants sur la valeur intrinsèque ou supposée telle des uns et des autres (« T’es super !», « T’es nul !»), pour la reporter sur les actes en eux-mêmes. De nombreux enfants qui ont parfois des difficultés d’estime d’eux-mêmes peuvent alors se trouver quand même justement valorisés. D’autres peuvent apprendre leurs limites et s’y confronter. Bien entendu, il est indispensable que l’adulte aide à ce travail de repérage et de discrimination qui permet justement à chacun des membres du groupe de se développer en tant que personne et de se différencier tout en apportant aux autres. Il peut alors être fait utilement appel aux techniques des « métiers »; dans le cadre du fonctionnement du groupe et du projet, on liste les besoins, on nomme les compétences, et quand tout cela est clair, on distribue des responsabilités. Bien entendu, toutes ne seront pas tenues; aussi le travail de bilan et d’évaluation que le groupe sera amené à faire sur comment ces responsabilités ont été respectées (ou pas et pourquoi) est encore plus important que la simple distribution de rôles ou de tâches.

Conclusion

54La démarche coopérative en milieu ouvert correspond à un réel besoin pendant l’enfance et à une réelle urgence de notre temps. Les enfants d’aujourd’hui sont en effet de plus en plus mal accompagnés dans ce que la vie en collectivité peut comporter de difficile; ils sont mal préparés à en affronter les inévitables frustrations et sont fréquemment ainsi réduits à se tenir à l’écart de l’action organisée. Les institutions éducatives ne semblent pas à ce jour s’être emparées de ce travail qui semble pourtant d’une grande actualité : certaines semblent bien davantage, en effet, avancer plutôt dans la voie de l’individualisation, de la contractualisation (et de la pénalisation qui en découle) des rapports éducatifs, ce qui, à la lumière de l’expérience de la Maison Robinson, semble incomplet, voire dangereux.

55L’expérimentation de l’Association Intermèdes témoigne de la difficulté des enfants à entrer dans des formes d’action organisées où ils sont amenés à être davantage acteurs que consommateurs, mais aussi (et c’est bien plus important) de leur immense soif d’y parvenir ! Quelles que soient en effet leurs difficultés personnelles qui sont pourtant quelques fois massives, les enfants des quartiers contactés par l’Association Intermèdes, se montrent fidèles, assidus et enthousiastes pour les démarches collectives qui paradoxalement les mettent en difficulté; c’est qu’ils sentent que ces démarches leur permettent d’exprimer des aspects de leur sensibilité et de leur personnalité que l’isolement ou le cantonnement dans des groupes fermés et régis par la violence ne saurait leur permettre.

56Pour aussi peu spectaculaire qu’il soit, ce travail de promotion de la démarche d’association entre les enfants et dirigé vers un bénéfice collectif et extérieur, semble revêtir un énorme intérêt éducatif. Toutefois, un tel travail rencontre quelques difficultés institutionnelles : il ne peut s’accomplir efficacement qu’en milieu ouvert. Pour permettre réellement à chacun d’y trouver sa place, il nécessite un engagement dans la durée et l’accompagnement, de la part d’adultes de références, dans une période où le fractionnement des subventions et leur perpétuelle remise en cause rend l’action éducative durable plutôt rare, quoique essentielle.

Notes

  • [1]
    Cet article est issu de l’étude Association d’enfances : relevé d’expérimentation concernant les effets et les potentialités éducatives d’une initiation dès l’enfance de la démarche associative (octobre 2001). La Maison Robinson a fermé ses portes en septembre 2004 faute de moyens financiers (note de l’éditeur).
  • [2]
    Association Intermèdes-Maison Robinson, Bâtiment C2, logement 117, La villa Saint-Martin, 91160 Longjumeau; Cf. Ott (2001-2003) et Ott (2002 a). On peut aussi trouver des textes de présentation, de bilan et d’actualité de l’action sur : http ://assoc.intermedes.free.fr/
  • [3]
    Rapport d’évaluation de l’action de l’association Intermèdes, AFRESC (association de formation et de recherches en santé communautaire), financée sur fonds propres, juin 2002, consultable sur le site de l’association : http ://assoc.intermedes.free.fr/
    Dans le domaine de l’association des enfants, comme base d’une action éducative durable, il existe en France, comme dans de nombreux pays d’Europe trois traditions importantes : celle du scoutisme, celle de l’action catholique des enfants, et celle des mouvements politiques qui ont pu créer et gérer une « branche jeunesse » (dans ce dernier cas, il s’est par contre le plus souvent agi d’enfants plus âgés et surtout d’adolescents). Il est important de noter que chacune de ces trois traditions est aujourd’hui en crise face à la professionnalisation et à l’émiettement du travail éducatif. De ce point de vue, notre action peut être comprise dans un souci de refonder une certaine « globalisation » de l’approche de l’enfant dans notre société et dans le souci de requalifier l’enfant comme acteur social et politique au moins occasionnel.
  • [4]
    À ce sujet, l’association Intermèdes se doit de reconnaître une dette évidente dans ce domaine, par rapport aux corpus théoriques de la pédagogie Freinet et surtout de la pédagogie institutionnelle (PI). La connaissance de l’œuvre de F. Oury est en effet indispensable pour qui cherche à saisir l’importance de la dynamique collective et institutionnelle sur la structuration du sujet humain, et particulièrement pendant l’enfance. À la Maison Robinson, il a beaucoup été recherché comment l’on pourrait justement transposer en « milieu ouvert » les concepts originaux de la PI, initialement conçus pour des milieux clos.
  • [5]
    Pour éviter les confusions, il importe de préciser que l’expression « milieu ouvert », employée par l’association Intermèdes pour rendre compte du cadre de son travail, à partir de 1998, est à distinguer du sens que cette expression revêt pour l’AEMO. En effet, l’action éducative en milieu ouvert, qu’elle relève du cadre administratif ou judiciaire, est une action éducative mandatée. Le travail « en milieu ouvert » mis en place par l’association Intermèdes exprime au contraire la libre initiative des enfants, la proximité de cet accueil vis-à-vis de leur lieu de vie, la gratuité totale des actions et l’accueil conjoint des âges et des sexes.
  • [6]
    C’est par exemple la recherche auprès de la municipalité d’un emploi d’animateur ou de médiateur, au sein du quartier même de résidence, qui aboutit à l’ambiguïté et à l’enfermement dans des rôles peu légitimes, inconfortables et souvent privés d’évolution, de type « grand frère ».
  • [7]
    Selon Serge Paugam, le degré de socialisation à l’âge adulte, la confiance dans les institutions est directement en lien avec le nombre de difficultés affectives et de ruptures connues pendant l’enfance; on saisit alors l’enjeu de développer dès l’enfance des relations sociales positives et durables.
  • [8]
    L’école, en France, a continûment et progressivement tourné le dos aux objectifs de socialisation (qu’elle avait mis en valeur dans les années 1970) depuis 1984, au profit d’objectifs purement cognitifs. C’est le constat que faisait par exemple Philippe Meirieu, en 1997, soulignant par ailleurs la contradiction qu’il y a à s’éloigner des objectifs d’éducation à la collectivité au même moment où l’école se plaint continuellement d’une progression de « l’incivilité ». C’est également le constat du Manifeste pour un débat public sur l’école.
  • [9]
    La structure du club est bien à différencier de la démarche coopérative, même si toutes deux supposent entraide et initiatives de groupe. La différence fondamentale réside dans le fait que, normalement, la démarche coopérative véritable (telle qu’elle est définie par la Pédagogie Freinet) se développe en fonction d’objectifs qui ne s’épuisent pas dans la satisfaction des membres du groupe, alors que le club se propose comme objectif premier, et néanmoins implicite, la sauvegarde du groupe et la recherche des intérêts particuliers de ces membres. De ce point de vue, on constate que nombre d’associations adultes ne sont en fait que des clubs, malgré le statut de la loi 1901 revendiqué par ailleurs. Ce n’est pas dans ce sens, du moins à ce qu’il me semble, que l’équipe de la Maison Robinson sens que nous utilisons quant à nous, dans ce travail quand nous employons l’expression de « démarche coopérative » ou « associative ». Pour autant, la démarche de club, qui constitue probablement un premier palier de cette coopération, est donc intéressante de ce point de vue.
  • [10]
    Mot d’ordre emprunté à M Bernard Collot (2003), membre historique de l’ICEM- Pédagogie Freinet.
  • [11]
    Il faut remarquer à ce propos que seul le groupe de type démocratique, de type associatif, organisé donc, rencontre des problèmes ou des difficultés. C’est justement une de ses caractéristiques les plus essentielles, que celle de cette difficulté ressentie par chacun des membres de le faire vivre ou fonctionner; rien ou presque rien n’y vient naturellement, le détour par le conflit et la parole est toujours nécessaire. À l’inverse, le groupement spontané, ordonné, donc qui se forme parmi les enfants d’un même quartier ne traverse presque pas de crises groupales : ce n’est en effet pas le groupe qui pourrait supporter des crises, dans cette configuration, mais les individus. Et c’est ainsi que dans ces modes groupaux spontanés, les individus, finalement toujours seuls, sont toujours en risque d’être oubliés, exclus, rejetés ou exploités et développent des techniques personnelles pour que, justement, cela « n’arrive qu’aux autres ».
  • [12]
    Nous employons ici le mot « organisateur » au sens que Spitz a donné ce terme, en décrivant notamment les trois grands organisateurs de la personnalité du nourrisson; ce qui est intéressant dans ce terme est qu’il exprime moins un état final et accompli d’un développement que le point de départ, au contraire, d’une dynamique d’évolution. De ce point de vue, le terme « d’organisateur » pourrait se rapprocher au mieux de celui de « point d’appui ».
  • [13]
    Nous souscrivons pour notre part à la nécessité d’établir une distinction claire et précise entre violence physique ou verbale. En effet la violence verbale est d’une nature tout à fait différente de la violence physique, même si elle l’appelle quelques fois en retour. La violence verbale nous semble bel et bien constituer un progrès énorme sur la voie de la symbolisation, si elle permet d’éviter le conflit physique.
  • [14]
    De nombreuses institutions ou lieux éducatifs se donnent assez banalement comme objectif plus ou moins secondaire de « susciter la parole des enfants »; le terme est ainsi en passe de devenir un des pires lieux communs éducatifs, surtout quand la notion est appelée au secours de la crédibilité défaillante des adultes. Dans notre pratique, le fait d’amener les enfants membres d’un groupe à « parler » sous-entend en fait que ce sont tout particulièrement les conflits en interne et en externe qui sont le sujet privilégié de cette prise de parole. Le bémol est de taille. La parole dans ce sens n’est pas employée comme une sorte « d’exutoire » qui permettrait aux enfants d’échapper à des passages à l’acte et à se calmer, mais au contraire est naturellement subversive, puisqu’elle est par définition « critique » et polémique.
  • [15]
    Pour plus d’information sur ces deux outils, se référer à l’important travail de synthèse réalisé par J. Laffitte dans Mémento de pédagogie institutionnelle, Paris, Matrice, 1999.
Français

Ce travail se pro-pose d’explorer en quoi et si oui comment la démarche associative pendant l’enfance peut constituer à la fois un outil de promotion éduca tive des individus et des groupes; il s’appuie sur l’expérience d’un dispositif innovant de soutien de la fonction éducative: la Maison Robinson de Longjumeau. Ce que l’accompagnement éducatif de groupes en dehors de toute institution permet de rencontrer, ce sont avant tout des situations de solitude et de dépendances; au risque d’un paradoxe, cette étude a permis de mettre en évidence que nombre d’enfants plongés perpétuellement dans des collectifs non choisis sont probablement les moins préparés à en retirer des expériences positives; cette image négative du collectif est la conséquence d’un véritable déficit de «l’éducation au collectif» et de la perte des milieux sociaux et éducatifs. Or ce déficit d’éducation au collectif alimente chez de nombreux enfants certaines tendances antisociales ainsi que des difficultés à s’exprimer sur le plan langagier et émotionnel. Le travail décrit et analysé permet aux enfants de développer de nouvelles expériences groupales, à même de modifier leur perception des collectifs et de favoriser leur insertion et leurs capacités d’expression. À l’issue de cette expérience trois «invariants» et deux «organisateurs» de la structuration des groupes enfantins, pour faciliter le passage de «la bande» à l’association, sont proposés.

English

Groups of children: transition from “gang” to association

This study seeks to explore if there are ways that, and if so how, the introduction of associative procedure during childhood can be a tool to promote education for individuals and groups; it draws on the experience of an innovative set-up aiming at encouraging educational methods: the Robinson House in Longjumeau. The educational accompaniment of groups outside the framework of institutions allows, above all, situations of solitude and dependence to be met with; risking a paradox, this study has shown that children who are perpetually plunged into collective life against their will are probably the least likely to have had a positive experience from it; the negative image of collective life is a consequence of a real lack in “collective education” and in the loss of social and educational spheres. What is important is that this lack of collective education arouses anti-social tendencies in many children, as well as trouble finding words and expressing emotions. Describing and analysing the work enables children to develop new experiences as part of a group, allowing them to modify the opinion they may have of collectivity and encouraging their integration and capacities to express themselves. As a conclusion to this study, three «invariables» and two «organizers» for the structuring of groups of children are put forward, as a way to evolve from the “gang” to “association”.

Deutsch

Kindergruppen – Von der „Clique “zum Zusammenschluss

In der vorliegenden Arbeit wird der Frage nachgegangen, inwiefern und wie die Integration von Kindern in assoziative Strukturen unter erzieherischen Gesichtspunkten sowohl die Individuen als auch die Gruppen fördern kann. Dabei wird mit dem Maison Robinson in Longjumeau auf die Erfahrung einer innovativen Förderungseinrichtung mit erzieherischem Auftrag Bezug genommen. Bei der erzieherischen Betreuung von Gruppen außerhalb von Institutionen lassen sich vor allem Einsamkeiten und Abhängigkeiten erkennen. Paradoxerweise geht aus dieser Studie hervor, dass viele Kinder, die sich wiederholt in nicht selbst gewählten Einrichtungen aufhalten, wahrscheinlich am wenigsten dazu im Stande sind, positive Erfahrungen daraus abzuleiten. Dieses negative Bild kollektiver Einrichtungen ist eine Folge einer defizitären „gruppenbasierten Erziehung “und ergibt sich aus dem Niedergang der erzieherisch wirkenden Sozialmilieus. Bei vielen Kindern führt dieses gruppenerzieherische Defizit jedoch zu antisozialen Tendenzen sowie zu Schwierigkeiten beim sprachlichen und emotionalen Ausdruck. Die hier beschriebene und analysierte Arbeit ermöglicht den Kindern, neue Gruppenerfahrungen zu machen, mit denen sie ihre Wahrnehmung assoziativer Einrichtungen modifizieren, ihre gesellschaftliche Integration fördern und ihre Ausdrucksmöglichkeiten verbessern können. Abschließend werden drei „Invarianten “und zwei „Organisationsprinzipien “bei der Strukturierung von Kindergruppen dargelegt, mit denen sich die „Kindercliquen “assoziativ umgestalten lassen.

BIBLIOGRAPHIE

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  • PAUGAM S. (2002), Enquête détresses et ruptures sociales, synthèse de février 2002, FNARS.
Laurent Ott
Éducateur spécialisé, docteur en philosophie.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2008
https://doi.org/10.3917/cdle.018.0072
Pour citer cet article
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