CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Et introduire le coin du doute et de l’analyse dans le bloc compact de la « loi immémoriale » n’est pas une mince affaire.
Colette Guillaumin, « Les harengs et les tigres », 1978

1La pensée de Colette Guillaumin n’a pas encore beaucoup circulé en Argentine. Sa valorisation peut néanmoins être repérée et analysée à partir de convergences théoriques observables dans la production féministe argentine : en 2005, dans une conférence de l’écrivaine Angélica Gorodischer d’abord, dans un article de Danielle Juteau publié dans la revue Mora en 2015 ensuite. L’introduction ponctuelle de la notion de « sexage » par Gorodischer dans le contexte de la mobilisation pour la dépénalisation de l’avortement sera confrontée à sa mise en circulation plus large à partir de la revue Mora, dix ans plus tard. Il aurait pu être heuristique également d’introduire son roman de science-fiction Opus dos (1967) dans le corpus et de postuler par ailleurs l’existence de convergences contextuelles – les luttes féministes, anti-racistes et anti-colonialistes des années 1960 et 1970 – mais ce volet dépasserait les limites de cet article. Je chercherai donc seulement à mettre en valeur les points de rencontre qui concernent la critique de l’idéologie naturaliste et le dévoilement de la violence sociale, politique et économique qui perpétue la performativité des catégorisations issues de cette idéologie. En effet, la performativité des classes de sexe, autrement dit le consensus qui les instaure en tant que « nature », repose sur la violence de rapports socio-historiques occultée.

2À la fin des années 1990 j’ai découvert avec enthousiasme les textes d’Angélica Gorodischer, écrivaine argentine née en 1928. Mon intérêt pour ses prises de positions militantes [1] et la pensée féministe matérialiste que je reconnaissais dans ses fictions littéraires m’a amenée à la rencontrer et à travailler sur ses nouvelles et romans, malgré le dédain que lui témoignait alors la critique universitaire argentine. Reconnue d’abord pour ses récits de science-fiction (Dellepiane 1985 ; Yannopoulos 2014), elle était considérée comme une écrivaine mineure dont les textes ne s’ajustaient guère au canon littéraire national, fondamentalement masculiniste (Courau 2019). La radicalité féministe explicite de ses textes (Aletta 2009) et interventions publiques n’était pas toujours considérée comme du courage et passait plutôt pour un certain goût du scandale (Tessa 2004). La reconnaissance dont elle jouit aujourd’hui, alors que les luttes féministes sont devenues massives et (presque) légitimes, est beaucoup plus importante [2] (Zunini 2018).

3L’héritage beauvoirien (Femenías 2011 ; Femenías et Gagnolati 2010) et les débats marxistes (Tarcus 2007) sont très présents en Argentine où le mouvement féministe a une longue histoire ; j’attribuais donc le féminisme matérialiste de Gorodischer et les coïncidences que je pouvais observer avec la pensée de Colette Guillaumin – entre autres – à des convergences issues de traditions différentes, mais en quelque sorte, parallèles. Comme la plupart des écrivain·es et intellectuel·les argentin·es, Gorodischer est une grande lectrice et lit de tout, y compris en français et en anglais (Gorodischer 2004 ; Ferrero 2011, p. 398-405) ; c’est aussi une féministe militante qui se nourrit de la pensée féministe internationale (Ferrero 2011, Yannopoulos 2014), même si elle s’attache plutôt à mettre en valeur la production littéraire des femmes et à intervenir sur ce sujet (Le Guin et Gorodischer 1992 ; Saccomanno 2004). Pourtant, dans l’une de ses conférences publiques en faveur de la dépénalisation de l’avortement, en 2005 – éditée ensuite dans un recueil (Gorodischer 2007) – l’écrivaine met en évidence l’une des lectures qui soutiennent sa réflexion : elle glose la notion de « sexage », sans mentionner toutefois le nom de Colette Guillaumin. L’imprécision qu’elle adopte lorsqu’elle attribue « aux Françaises » la notion sur laquelle elle va fonder une grande partie de son propos soulève en outre quelques questions que je tenterai d’aborder.

4Je me propose d’interroger cette lecture de la pensée de Colette Guillaumin à partir de la conférence citée, puis de mesurer l’actualité de cette pensée matérialiste partagée en examinant brièvement sa diffusion, dix ans plus tard, dans la revue de l’Institut interdisciplinaire d’études de genre de l’université de Buenos Aires, Mora. Dans les deux cas, c’est la critique de l’idée de nature que je voudrais mettre en valeur et en particulier la façon dont Gorodischer et Guillaumin construisent, à rebours des consensus admis, un discours féministe capable de mettre en suspens les évidences des catégories diffusées par l’idéologie naturaliste. Les convergences matérialistes observées consistent en premier lieu à expliciter les violences matérielles qui rendent possible cette naturalisation (Mathieu 1999 ; Falquet 2011).

Le contexte : la lutte pour la dépénalisation de l’avortement

5À partir de la crise politique et économique aigüe qui a marqué la fin de l’année 2001 en Argentine, la question de la dépénalisation de l’avortement est devenue un thème central (Bellucci 2014). L’importante présence des femmes dans les assemblées populaires organisées en réponse aux événements des 19 et 20 décembre ont fait de cette question un problème transversal, alors que jusque-là il semblait ne concerner que les féministes et affectait surtout les femmes pauvres et racisées (la paupérisation des classes moyennes provoquée par la crise a décloisonné la question). Cette nouvelle mobilisation a permis l’émergence de l’Assemblée pour le Droit à l’avortement en 2002. La XVIIIe Rencontre nationale des femmes [3] de 2003 à Rosario est vécue comme un moment-clé : elle rend compte de ce tournant et donne lieu à une assemblée consacrée au « droit à décider ». Dans la manifestation massive qui l’accompagne apparaissent pour la première fois les foulards verts distribués par milliers par les Catholiques pour le Droit à décider [4]. Ces foulards qui deviennent l’emblème de la liberté de décider, renvoient aux foulards blancs qui symbolisent la lutte des Mères de la place de Mai (Alma et Lorenzo 2013, p. 144-162). L’Assemblée pour le droit à l’avortement se consacre alors à la définition d’une stratégie nationale à partir du slogan de la Commission pour le droit à l’avortement créée lors des mouvements des années 1980 : « Éducation sexuelle pour décider. Contraceptifs pour ne pas avorter. Avortement légal pour ne pas mourir » [5]. Il s’agissait de monter une campagne nationale pour intervenir sur le plan légal afin d’aboutir à un projet de loi, mais aussi de déployer des stratégies éducatives et communicationnelles (Burton 2017).

6Dans le nouveau contexte politique défini par le gouvernement de Nestor Kirchner, élu en 2003, la question du taux de mortalité élevé des femmes enceintes, lié aux pratiques d’avortement clandestin a été reconnue comme un problème de santé publique posé dans le cadre du droit à la santé et des droits humains (Rosemberg et Schvartzman 2014). Le 28 mai 2005, journée d’action mondiale pour la santé des femmes, est rendue publique la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit, dans laquelle ont conflué les différentes luttes menées depuis les années 1980 (Burton 2017). L’écrivaine Angélica Gorodischer, comme d’autres personnalités publiques, s’est associée à cette campagne et est mentionnée dans la presse qui en rend compte [6] (Carbajal 2008).

7C’est dans ce cadre de mobilisation intense – encore d’actualité – que Gorodischer intervient lors de la conférence d’ouverture du Congrès de santé reproductive organisé à Rosario en avril 2005 par l’Association argentine de santé sexuelle et reproductive, sous la présidence du Dr Walter Barbato, obstétricien engagé dans l’éducation sexuelle et la contraception depuis les années 1980 (Aller Atucha 2006). Je décrirai brièvement l’argumentation développée afin d’analyser la place centrale qui est donnée au concept de Guillaumin.

Le contrôle des corps

8Le titre de la conférence est « El control de los cuerpos » (Le contrôle des corps), il est suivi d’une citation de Saint Augustin en épigraphe qui indique que, selon la loi, l’avortement n’est pas un homicide, dans la mesure où l’âme n’est pas présente dans un corps qui n’éprouve encore aucune sensation [7]. Les deux orientations de l’argumentation sont ainsi exposées : d’une part les rapports de domination qui seront ensuite décrits en tant que rapports d’appropriation ou « sexage » ; d’autre part les débats qui hantent le discours religieux catholique. Ce dernier constitue le cadre dans lequel se déploie le principal argument des groupes qui s’opposent à la légalisation de l’avortement en Argentine et en Amérique latine (Lamas 2012). L’hypothèse qui fonde l’argumentation est que les deux systèmes, juridique et idéologique, sont articulés et produisent l’oppression et la misère, la culpabilité, le malheur et la mort. La conférence associe deux volets : à la réflexion historique décrivant les rapports qui organisent le contrôle des corps et leurs conséquences, s’articule un rappel de différents textes théologiques. La série évoquée va du IVe siècle à nos jours et inclut pour finir une déclaration conjointe de la Société théologique d’Amérique et des femmes catholiques pour le droit à décider, contemporaine de la conférence (Gorodischer 2007, p. 39-40). L’objectif est de déstabiliser les positions « pro-vie » en démontrant que l’Église n’a jamais été ni unanime ni très précise dans la condamnation de l’avortement. Le cadre polémique dans lequel s’inscrit l’énonciation est manifeste, cependant on observe que dans la ligne argumentative principale, l’avortement n’est pas thématisé en tant que tel, il est inscrit dans la problématique du pouvoir exercé sur les corps. La construction de l’objet du discours déplace les catégories du discours hégémonique et indique la position adoptée par l’écrivaine. En effet, comme le souligne Guillaumin :

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Perspective « historique » et perspective « naturaliste » sont un « œil », une certaine façon de situer son objet d’étude et de le choisir. Sans doute est-ce au fond une façon de se situer soi-même.
(Guillaumin, « Nature et histoire. À propos d’un ‟matérialismeˮ » [1981] 1992, p. 205)

10Ces réflexions que consacre Guillaumin aux différentes façons de « poser » les problèmes ont été fondamentales dans ma pratique de l’analyse du discours et nous engagent à être sensibles non seulement aux « formations imaginaires » (Guillaumin 1992, p. 185-193) et aux mythologies qui informent les notions que nous utilisons, mais également aux dualismes préconstruits dans la langue, qui tendent à naturaliser les groupes humains et laisser dans l’impensé les rapports qui ont forgé ces groupes. La perspective historique, nécessaire, n’est pas toujours suffisante, et les questions que pose l’histoire des femmes en témoignent (Perrot 2011, Thébaud 2007). S’il importe de nous « situer », de mettre à distance les « sous-textes de genre » et de retrouver les « référents polémiques occultés » (Femenías 2012) qui hantent les discours disciplinaires dans lesquels nous intervenons, il s’avère que c’est également dans le maillage étroit de la discursivité que fonctionnent les lignes de partage polémiques héritées et « les évidences qui nous sont susurrées » (Guillaumin 1992, 82). C’est pour cette raison qu’il me semble intéressant d’insister sur les stratégies mises en œuvre dans le texte de Gorodischer pour enrayer l’efficacité des catégories « naturelles » – c’est-à-dire relevant d’un consensus pragmatique – que la communication impose. L’invention ou l’adoption d’un concept qui fait irruption et déstabilise le consensus – ici celui de sexage – est la partie la plus saillante du travail de désengagement à l’égard de l’idéologie naturaliste, mais son introduction exige d’autres déplacements.

L’histoire

11La conférence commence par un retour sur « notre histoire, l’histoire de l’humanité… », marquée par la soif de pouvoir et par le puritanisme [8]. En a-t-il toujours été ainsi ? s’interroge Gorodischer. Avec ironie, elle cite alors l’écrivain espagnol Pío Baroja, figure conservatrice des Belles-lettres connue pour son profond pessimisme, qui considère que « l’homme est un animal mauvais ». Or, corrige-t-elle, il ne s’agit pas de considérer que l’humanité – et non pas l’homme – « est » comme ceci ou comme cela, mais plutôt qu’elle « devient », à mesure que le temps advient à travers elle qui façonne les événements ensuite consignés dans les documents sur lesquels s’appuiera l’histoire (Gorodischer 2007, p. 29-30). Une première distance est construite : l’histoire de l’oppression est longue mais nous devons nous garder d’en conclure qu’elle correspond à une supposée « nature » humaine. Le problème auquel elle va tenter de répondre ensuite est donc celui-ci : comment a commencé l’articulation de la soif de pouvoir et du fondamentalisme religieux ? Comment a commencé le contrôle des corps ?

12Postuler un commencement, inscrire le contrôle des corps dans l’histoire, est la stratégie adoptée pour récuser l’hypothèse naturaliste, qui par ailleurs est déjouée par l’expression « contrôle des corps » elle-même, car c’est un rapport de pouvoir qui est énoncé et non les groupes sur lesquels il s’exerce. La longue histoire de l’humanité, l’interminable histoire de l’appropriation des corps évoquée ensuite, s’ouvre, à la fin de la conférence, sur cette phrase : « À moins que nous ne fassions quelque chose » (Gorodischer 2007, p. 43). Cet appel à l’action est évidemment en rapport direct avec le contexte de la Campagne nationale pour le droit à l’avortement à laquelle elle participe, mais il engage notre responsabilité bien au-delà.

13L’histoire racontée commence significativement en Afrique avec Lucy, se poursuit avec l’évocation des groupes nomades du Paléolithique, qui offraient à tous les humains (aux femmes aussi bien qu’aux hommes) une sépulture digne. Puis, au Néolithique :

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on invente l’agriculture, l’élevage, le village et en même temps la division du travail, la différenciation des rôles, la propriété, la hiérarchie, le pouvoir, la guerre et le contrôle des corps. L’âge d’Or est fini, le monde moderne est en marche[9]
(Gorodischer 2007, p. 31)

15L’écrivaine cite alors Jean Courtin qui affirme qu’il est difficile d’expliquer pourquoi, au Mésolithique, les groupes humains ont commencé à se sédentariser. Une fois encore, le piège de l’idéologie naturaliste est évité, la question du « sens » ou celle de la « cause première » n’est pas l’enjeu du récit synthétique et plaisant qui est énoncé ici. Ce n’est pas une mythologie des origines qu’entreprend Gorodischer mais une hypothèse portant sur les circonstances socio-économiques de l’apparition d’un certain type de rapport :

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Tout a peut-être commencé ainsi. Du moins selon les paléontologues, les bio-paléontologues, les paléo-pathologistes, la probabilité pour que les choses se soient passées ainsi est grande. Rien n’a pu arrêter désormais ce monde moderne en marche et il est devenu un monde d’appropriateurs et d’appropriés, dans lequel les appropriateurs soutiennent que les appropriés le sont parce qu’ils sont naturellement conçus pour cela. L’antiquité a dit cela des esclaves. Toute l’histoire du monde a dit (dit encore) cela des femmes.
(Gorodischer 2007, p. 32)

Sexitud

17La distinction est opérée entre le rapport social qui crée les groupes et le discours qui vient fournir une « explication » à l’arbitraire de la domination en construisant un ordre naturel, providentiel ou divin qui régirait l’apparition spontanée des groupes. C’est alors qu’intervient la notion de « sexage » et la glose de Gorodischer, que je reproduis en espagnol afin de souligner sa création d’un néologisme à partir du modèle adopté par Guillaumin :

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Las francesas que llaman esclavage a la esclavitud, llaman por asociación sexage a esa situación a la que nosotras por afinidad con esclavitud podríamos llamar sexitud. Pero se la llame como se la llame, lo cierto es que se trata, se ha tratado siempre, de una apropiación no aleatoria, es decir que no deriva de un accidente sufrido por el individuo apropiado, sino de una relación social fundadora de la sociedad que implica que las clases nacidas de esa relación deben ser las así definidas, porque sin ellas la sociedad dejaría de existir. Y este hecho ideológico significa que todas las mujeres pertenecemos a un conjunto apropiado como conjunto, situación que vendría a ser la sexitud, de donde deviene la dependencia de la apropiación privada de cada mujer.[10].
(Gorodischer 2007, p. 32-33)

19La lecture de Pratique du pouvoir et idée de nature (Guillaumin [1978] 1992) est mise en évidence par l’exposé synthétique des thèses centrales de l’article : d’une part la négation d’une origine « aléatoire » de la situation d’appropriation, autrement dit l’hypothèse d’une causalité naturelle qui renverrait à une caractéristique quelconque de l’individu approprié (« accident » physique, somatique, génétique, etc.) est récusée ; d’autre part, l’affirmation que c’est bien le rapport social qui crée, de la même manière, la structure sociale et les groupes qui la composent, par conséquent, c’est la structure sociale elle-même qui est mise en jeu dans l’éventuelle (et nécessaire mais extrêmement difficile à produire) transformation des rapports décrits (Gorodischer 2007, p. 33-34). Enfin, il est précisé que c’est de l’appropriation en tant que classe que dérive l’appropriation individuelle, le cadre privé ne représente qu’une des expressions du rapport décrit.

20Je voudrais m’arrêter brièvement sur le contraste entre la référence à Jean Courtin à propos du Mésolithique et la référence aux « Françaises », et non à Colette Guillaumin, à propos du sexage pour avancer quelques hypothèses. Au cours de cette même année, à Buenos Aires, Jules Falquet et Ochy Curiel publient : El patriarcado al desnudo. Tres feministas materialistas : Colette Guillaumin - Paola Tabet - Nicole Claude Mathieu (Falquet et Curiel 2005), une édition en espagnol de trois textes parmi les plus représentatifs du féminisme matérialiste français, dans laquelle figure une traduction de Pratique du pouvoir et idée de nature. Dans leur introduction, les éditrices déplorent la circulation encore très limitée de ces textes, exposent la grande cohérence théorique du groupe dans lequel ils ont été écrits et expriment leur volonté de les rendre accessibles aux féministes hispanophones pour l’impact qu’ils peuvent avoir dans le questionnement de l’idéologie naturaliste (Falquet et Curiel 2005, p. 1-17).

21Le fait que la traduction que propose Gorodischer de « sexage » sur le modèle de esclavitud : sexitud, diffère de la traduction adoptée dans l’ouvrage en question : sexaje[11], indique que sa lecture de Guillaumin est antérieure à la publication de cette traduction. Il est très probable que Gorodischer ait eu – au minimum – un contact indirect avec le corpus féministe matérialiste. En effet, le numéro de juin 2001 de l’importante revue féministe argentine Feminaria, dont elle est très proche, publie une présentation des « Rencontres internationales des écrivaines » (1998 ; 2000 ; 2002) signée Gorodischer (Gorodischer 2001) – qui est l’organisatrice de ces rencontres – et également la traduction d’un article de Toril Moi sur Bourdieu (Moi 2001) dans lequel est cité en note l’article critique de Françoise Armengaud (1993) et sont mentionnées « les féministes matérialistes » Christine Delphy, Colette Guillaumin, Nicole-Claude Mathieu et Michèle Le Dœuff.

22La faible circulation du féminisme matérialiste français en Argentine (Femenías 2015) implique que leurs noms ne soient pas encore reconnaissables par le public auquel est adressée la conférence. Par ailleurs, la cohérence théorique du groupe autour de la revue Questions Féministes a déterminé une circulation systématique des références et des concepts dans l’ensemble des textes publiés dans les années 1970-1980. Ces deux éléments pourraient, en partie, expliquer le choix d’attribuer la notion non pas à son autrice mais « aux Françaises » qui de fait l’ont relayée. En outre, l’introduction d’un nouveau concept paraît sans doute plus justifiée quand celui-ci a déjà été adopté par un ensemble important de personnes, car il existe alors dans un consensus pragmatique et épistémologique qui lui confère plus d’autorité que s’il était présenté comme le résultat des réflexions d’un seul individu – en particulier lorsqu’il s’agit d’une seule individue.

Appropriation et génocide

23Dans sa conférence, à travers la revendication du concept de sexitud, Gorodischer tend par ailleurs à faire comprendre la notion de classe de sexe dans un paradigme analogique plus large : celui des rapports d’appropriation dont la violence, physique et symbolique, articulée aux catégories qu’ils font exister, crée les groupes sociaux. Elle insiste donc sur l’articulation qu’elle signale en ouverture entre les rapports de pouvoir et l’idéologie qui les soutient :

24

La discrimination, cette faculté qui s’exerce à partir de la classe appropriatrice jusqu’à contaminer, coloniser la classe appropriée sur tous les niveaux d’une société qui dépend de celles-ci, est souvent mise en œuvre par des chemins tortueux. Justement ces chemins sinueux que le pouvoir emprunte pour obtenir ce qu’il prétend être son bon droit.[12]
(Gorodischer 2007, p. 33)

25Elle enchaîne alors sur trois exemples, celui des « messieurs de croix et d’épée » qui, il y a un peu plus de cinq cents ans, venaient sauver des âmes et ont exploité et détruit les individus et les civilisations, celui d’un monde encore proche de surhommes qui recherchaient la pureté et ont provoqué la Shoah, enfin celui de « nos récents messieurs de croix et d’épée » qui décidèrent de « sauver » l’Argentine. Trois génocides sont ainsi mis en parallèle (la tradition historiographique occidentale refuserait peut-être les anachronismes qu’impliquent ces comparaisons). Le premier est celui qu’a provoqué la conquête de l’Amérique, vient ensuite celui qu’a organisé le régime nazi, enfin est rappelé le massacre de toute une génération dont fut responsable la dictature civico-militaire argentine (1976-1983). Ce parallèle insiste sur les finalités politiques de ces violences, analysées en tant que « pratiques sociales ». L’argumentation est contemporaine des débats provoqués par les jugements rendus contre les militaires argentins (Feierstein 2008) et des travaux sur les pratiques sociales génocidaires menés en particulier par Daniel Feierstein (2000 ; 2007). Ceux-ci engagent une réflexion sur les rapports socio-politiques qui construisent les groupes « appropriés » à partir des spécificités du contexte argentin.

26La discussion que mène Feierstein à propos de la distinction entre « crime contre l’humanité » et « pratiques sociales génocidaires » tend à mettre en lumière deux points essentiels. En premier lieu est critiqué le point de vue à partir duquel sont conçus et narrés les processus génocidaires : les groupes qui les subissent sont considérés du point de vue des exécuteurs et « altérisés » (Delphy 2008). En deuxième lieu, c’est leur finalité qui est mise en évidence : pour ceux qui perpètrent les génocides, il s’agit de transformer durablement les rapports sociaux :

27

Pour résumer, la divergence centrale dans l’utilisation de ces deux concepts – crimes contre l’humanité ou génocide – provient du fait que le premier rend uniquement visible et compréhensible le délit ponctuel commis par le coupable (l’assassinat, la torture, le viol, etc.), alors que le concept de génocide restitue la finalité de l’action en tant qu’elle s’adresse à l’ensemble de la population, il permet donc que l’ensemble de la société s’interroge sur les effets que l’extermination a engendrés dans ses propres pratiques, brisant ainsi le processus d’altérisation dans ce qui apparaissait initialement comme la souffrance « des autres » (assassinés, disparus, survivant·es ou proches)
(Feierstein 2008, p . 154-156, ma traduction)

28Cet éclairage particulier adopté par Gorodischer, étroitement lié à l’histoire argentine – et diffusé par le Centre d’Études sur le Génocide [13] qui organise des rencontres internationales sur les pratiques génocidaires depuis 2003 – engage cette conférence sur le contrôle des corps vers la notion de nécropolitique (Mbembe 2006), montrant que, si dans le discours « la maternité est sublime », dans les faits, les femmes, elles – et en particulier les femmes pauvres, car la pauvreté se féminise toujours davantage – sont « jetables » : le contrôle des corps condamne à la misère et à la mort prématurée (Gorodischer 2007, p. 43-44). La formule « les messieurs de croix et d’épée » insiste sur l’articulation étroite entre l’institution militaire et l’institution religieuse, présente depuis l’époque coloniale et dont certaines structurations perdurent. De toute évidence, comme le signale Guillaumin, « on ne peut isoler la violence physique du substrat idéologique qui lui donne une forme spécifique » (Guillaumin 1972, p. 48).

Sexoesclavitud

29Significativement, l’article de Danielle Juteau consacré à Guillaumin publié dans Mora dix ans après la conférence (« Colette Guillaumin: la teoría como acto contestatario ») et présenté par Maria Luisa Femenías (Femenías 2015) est centré sur les rapports d’appropriation de race et de sexe théorisés par les féministes matérialistes. La mise en valeur de cet apport théorique repose avant tout sur l’explicitation des effets émancipateurs que peut entraîner l’adoption de la notion de sexage qui permet de saisir les processus de constitution des groupes, et à la fois ouvre la possibilité d’analyser l’imbrication de différents rapports sociaux (Juteau 2010). Dans la traduction de l’article de Danielle Juteau que propose Aurélie Meignan, « sexage » devient sexoesclavitud, un néologisme légèrement différent de sexitud qui donnerait en français « sexesclavage ». L’analogie est donc rendue encore plus explicite. Néanmoins, dans la synthèse des travaux de Guillaumin, Delphy, Mathieu et Tabet qu’opère Juteau dans Mora, il ne s’agit pas de comparer, ni de hiérarchiser, les conditions de maltraitance et d’exploitation, mais bien d’identifier un type de rapport dans ses multiples dimensions. Juteau (2010 et 2015) – comme Bilge (2014) qui renvoie aux travaux de Stuart Hall (1980, 1983, 1986, 2007, 2012, 2013) – insiste sur la nécessité d’adopter un paradigme multidimentionnel pour penser l’intersectionnalité. Or, dans sa présentation, de l’article de Juteau publié dans Mora, ce qui intéresse la philosophe argentine Maria Luisa Femenías, spécialiste du féminisme latino-américain et de ses dialogues avec les divers courants féministes actuels (Femenías 2002, 2005, 2006, 2007, 2011), c’est bien la pertinence de la pensée de Guillaumin pour l’analyse :

30

Des nouveaux discours de légitimation qui précèdent les appropriations et les esclavages contemporains, les tensions ethno-raciales et la division du travail, au niveau global, que mettent en évidence les chiffres des réseaux du care.[14]
(Femenías 2015, p. 150, ma traduction)

31Comme le suggère l’article de Juteau traduit dans Mora – qui insiste sur les outils d’analyse que produit le féminisme matérialiste –, ce que cherche Gorodischer dans sa revendication de la notion de sexage, c’est la double distance critique qu’elle opère. La première vis-à-vis de la « nature » supposée des femmes – c’est le rapport qui crée la classe – la seconde, vis-à-vis du naturalisme sexiste et raciste promu par l’institution religieuse, dont elle exhibe la violence, en mettant en évidence les entreprises d’asservissement, de colonisation et d’extermination qu’elle a accompagnées – elle décrit par exemple les tortures et les persécutions dont furent victimes les sorcières en tant que modalité du rapport d’appropriation qui se reproduit sous différentes formes suivant les périodes de l’histoire. Les sinistres « messieurs de croix et d’épée » en Argentine ont soutenu récemment (et soutiennent encore) une idée de nation qui renforce les rapports d’appropriation, la misère et la mort des femmes et des enfants des groupes qui subissent des oppressions imbriquées (Gorodischer 2007, p. 39-41). Enfin, ce que valorise l’écrivaine argentine dans la notion de Guillaumin, c’est sa capacité à provoquer une mobilisation féministe, incluse dans une politique de défense des Droits humains, à partir de la résistance qu’elle est susceptible d’engendrer :

32

Tant que nous resterons sujettes et sujets au sexage, tant que cette enfant continuera à demander quelques pièces devant les feux de signalisation et sa mère à mourir peu à peu, il n’y a pas, il n’y aura pas d’espoir. À moins que nous ne fassions quelque chose.
(Gorodischer 2007, p. 43)

Convergences matérialistes

33La perspective croisée du sexage et des pratiques sociales génocidaires auxquelles est sensibilisée la population argentine – comme une grande partie de l’Amérique latine – semble répondre, dans la conférence, aux arguments pro-vie des groupes sociaux opposés à la légalisation de l’avortement. Elle discrédite leur discours en exposant ses contradictions : ceux qui défendent le droit à la vie organisent dans les faits la mort prématurée de centaines de femmes. Toutefois, au-delà de la stratégie visant à la dépénalisation de l’avortement, cette perspective croisée, héritière d’une lutte historique en faveur des droits humains dans laquelle les femmes et les féministes ont été en première ligne – on pense aux mères de la Place de mai – incarne les convergences fondamentales qui nous intéressent. Les positions dont Gorodischer se fait la porte-parole indiquent que l’appropriation des corps – dans le sexage et dans les variations contemporaines du servage et de l’esclavage – exige non seulement des discours qui promeuvent des processus d’altérisation, mais surtout une violence inouïe, mise en œuvre par des pratiques génocidaires.

34Par ailleurs, une véritable politique de santé reproductive est réclamée dans la conférence – qui inclut éducation sexuelle [15], accès à la contraception et aux soins gynécologiques et pédiatriques – ainsi qu’une politique sociale antidiscriminatoire en matière d’emploi (Gorodischer 2007, p. 41-42). Cette perspective croisée qui se révèle dans « le contrôle des corps » rend palpable le continuum des violences de genre qui vont de l’ignorance et des « intimidations cognitives » (Le Dœuff 1998, p. 17) jusqu’à la mort, en passant par la discrimination à l’emploi, le mépris, la misère, la prostitution, le viol et les grossesses forcées, les avortements risqués et punis (Busdygan 2018). L’interprétation de la pénalisation de l’avortement dans le cadre des pratiques génocidaires annonce cette lame de fond qui agitera et amplifiera le mouvement féministe argentin quelques années plus tard, à partir de la notion de féminicide (Femenías et Novoa 2018), dont le processus a été précocement théorisé par Guillaumin dans son analyse de l’attentat à l’École polytechnique de Montréal (Guillaumin [1990] 1992). Le mouvement historique Ni Una Menos[16] qui apparaît avec la marche massive du 3 juin 2015 montre que :

35

la violence n’est guère reconnue qu’à partir du meurtre systématique et révélé [mais aussi que] ce n’est […] pas la mise à jour de la violence exercée contre l’autre qui jouera […] le rôle du révélateur […] mais bien leur propre lutte pour imposer leur existence.
(Guillaumin 1972, p. 102)

36Si Ni Una Menos ne théorise pas ce processus exactement dans les mêmes termes, il inscrit manifestement la formulation de Guillaumin dans ses pratiques. Cette lecture de Guillaumin par la militante féministe Gorodischer n’est qu’un bref exemple d’un chantier théorique et pratique en cours. D’autres convergences entre le féministe matérialiste français et la tradition féministe argentine pourraient probablement être mises en valeur, comme le fait Luisina Bolla qui revendique la critique du discours scientifique que réalise le féminisme matérialiste français et la « colère » des opprimé·es en tant que « clé pour penser l’imbrication entre théorie et pratique » (Bolla 2018, p. 130). En écho à l’article de Guillaumin (1981) et revenant sur les propositions de Rivera Cusicanqui (2010) et de Curiel (2014), les conclusions de Bolla insistent sur les douloureuses vertus épistémologiques du contexte argentin :

37

La colère nous montre le lieu où l’épistémologie et la politique fusionnent, bien que ceci soit un nouveau piège métaphorique car elles n’existent pas sur le mode de la séparation mais toujours en ch’ixi [17], en nuances de gris. Le niveau où la théorie devient furieuse, se fâche et se change en lutte et en transformation.
(Bolla 2018, p. 130, ma traduction).

Notes

  • [1]
    Elle reçut en 1997 le Prix Dignidad décerné par la Asamblea Permanente por los Derechos Humanos (association argentine fondée en 1975 qui a eu une action importante pendant et après la dictature militaire, et continue aujourd'hui http://www.apdh-argentina.org.ar./) pour son travail en faveur des droits des femmes.
  • [2]
    Parmi ses principales publications signalons : Cuentos con soldados. Santa Fe, Club del Orden, 1965 ; Opus dos. Buenos Aires, Minotauro. 1967 ; Las pelucas. Buenos Aires, Sudamericana, 1968 ; Bajo las jubeas en flor. Buenos Aires, Ediciones de la Flor, 1973 ; Casta luna electrónica. Buenos Aires: Andrómeda, 1977 ; Trafalgar. Buenos Aires, El Cid, 1979 ; Kalpa imperial. Buenos Aires, Minotauro, 1983 ; Mala noche y parir hembra. Buenos Aires, La Campana, 1983 ; Las Repúblicas. Buenos Aires, Ediciones de la Flor, 1991 ; Fábula de la virgen y el bombero. Buenos Aires, Ediciones de la Flor, 1993 ; Prodigios. Barcelona, Lumen, 1994 ; Como triunfar en la vida. Buenos Aires, Emecé, 1998. Doquier. Buenos Aires, Emecé, 2002 ; Tumba de jaguares. Buenos Aires, Emecé. 2005 ; Querido amigo. Buenos Aires, Edhasa, 2006 ; Las señoras de la calle Brenner. Buenos Aires, Emecé. 2012 ; Las nenas. Buenos Aires, Emecé, 2016.
  • [3]
    Les Encuentros Nacionales de Mujeres (Rencontres nationales des femmes) sont un événement annuel qui existe depuis 1986 et réunit des milliers de femmes pendant 3 jours ; en 2003, 15 000 femmes se sont réunies à Rosario (Alma et Lorenzo 2013, p. 144).
  • [4]
    Il s’agit d'un important réseau d’associations féministes et catholiques nord-américaines et latino-américaines (Lamas 2012) qui revendique une théologie féministe, la laïcité, la justice sociale et l’autonomie des personnes, en particulier des femmes. On consultera la charte en ligne sur http://catolicas.org.ar/carta-de-principios-de-la-red-latinoamericana-de-catolicas-por-el-derecho-a-decidir/. En Argentine l’association travaille la question des droits sexuels et reproductifs sur trois fronts : le conseil auprès des organismes de l’État, la formation, la recherche. Le financement des activités provient de fonds internationaux ainsi que de projets nationaux. http://catolicas.org.ar/nuestro-trabajo/)
  • [5]
    « Educación sexual para decidir. Anticonceptivos para no abortar. Aborto legal para no morir » (je traduis, comme pour tous les textes cités dans les notes).
  • [6]
    En particulier à l’occasion de la marche du 25 novembre 2005 qui apportera au Congrès les 60 000 signatures (parmi lesquelles celle de Gorodischer) réunies durant les 6 mois antérieurs : « Marcha al Congreso para pedir la despenalización del aborto », DiarioÉpoca.com, 24/11/2005, disponible sur : http://diarioepoca.com/92423/Marcha-al-Congreso-para-pedir-la-despenalizaciandoacuten-del-aborto/
  • [7]
    « Según la ley, el acto del aborto no se considera homicidio, porque aún no se puede decir que haya un alma viva en un cuerpo que carece de sensación ya que todavía no se ha formado la carne y no está dotada de sentidos », cette citation de Saint Augustin par Gorodischer n’inclut pas de référence, elle apparaît cependant, déjà en épigraphe puis commentée, dans un ouvrage de Jane Hurst intitulé « Histoire de l’avortement dans l’église catholique. Un récit qui n’a pas été raconté » (ma traduction), édité et très largement diffusé par les Catholiques pour le droit à décider (Hurst [1981] 1992). Elle y est référencée ainsi : « San Agustin, On Exodus 21.80 (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 28.147) ».
  • [8]
    « Nuestra historia, la historia de la humanidad, es un largo camino signado por la desesperación que despierta el ansia de poder y por el puritanismo que no es otra cosa que el miedo obsesivo de que alguien en alguna parte pueda ser feliz. » (Gorodischer 2007, p. 29).
  • [9]
    « Se inventa la agricultura, la cría de ganado, el pueblo y al mismo tiempo la distribución de las tareas, la diferenciación de los roles, la propiedad, la jerarquía, el poder, la guerra y el control de los cuerpos. La Edad de Oro ha terminado y el mundo moderno está en marcha. »
  • [10]
    « Les Françaises, qui appellent esclavage [« la esclavitud »] appellent par association sexage cette situation que nous pourrions, pour son affinité avec [« la esclavitud »], appeler [« sexitud »]. Mais quel que soit le nom qu'on lui donne, ce qui est sûr c'est qu'il s'agit, qu'il s'est agi toujours d'une appropriation non aléatoire, c'est-à-dire qu'elle ne dérive pas d'un accident que subirait l'individu approprié, mais d'un rapport social fondateur de la société, qui implique que les classes nées de ce rapport doivent être définies ainsi, parce que sans elles la société cesserait d'exister. Et ce fait idéologique signifie que nous toutes, les femmes, appartenons à un ensemble approprié en tant qu'ensemble, cette situation serait donc la [« sexitud »], d'où provient la dépendance de l'appropriation privée de chaque femme. »
  • [11]
    Le choix de « sexaje » semble déterminé par sa proximité phonétique ainsi que par le modèle issu de « vasallaje » qui est choisi pour traduire « servage », or il correspond davantage à « vassalité », alors que « servidumbre » exprime l’état du serf dans l’économie féodale.
  • [12]
    « El discrimen, esa facultad que se ejerce desde la clase apropiadora hasta contagiar, colonizar a la clase apropiada en todos los niveles de una sociedad que de ellas depende, se ejercita muchas veces por caminos tortuosos. Justamente los sinuosos caminos que sigue el poder para obtener lo que simula ser su derecho. »
  • [13]
  • [14]
    À ce propos, Femenías cite l’ouvrage de Pautassi, Laura et Zibecchi, Carlos (2013), afin d’indiquer l’importance quantitative des femmes migrantes, en Amérique latine et d’Amérique latine vers l’Europe, et la nécessité de penser leur situation et leurs droits dans le cadre des injustices et dissymétries des réseaux globaux du care, dans les dynamiques desquels interviennent les personnes chargées du care, celles qui reçoivent ces services, mais aussi les politiques publiques, les institutions, les régulations nationales et internationales du marché du travail.
  • [15]
    En 2006 a été sanctionnée la loi d’éducation sexuelle intégrale : « Ley 26.150 de Educación Sexual Integral » (https://www.argentina.gob.ar/educacion/esi/historia).
  • [16]
    On lira dans la « Carta orgánica » du collectif Ni Una Menos la revendication d'une généalogie qui remonte aux luttes des Mères et Grand-Mères de la Place de Mai, à celles de leurs filles révolutionnaires, et inclut les trois décennies de Rencontres Nationales des Femmes, la Campagne pour le droit à l'avortement légal, sûr et gratuit, les luttes des mouvements LGBT, des piqueteras, des migrantes, des femmes des peuples originaires, des femmes afro-descendantes ; on trouvera aussi la revendication d'un mouvement à la fois régional, international et présent partout sur le territoire national : http://niunamenos.org.ar/quienes-somos/carta-organica/
  • [17]
    Bolla cite la catégorie forgée par Silvia Rivera Cusicanqui (2010), mot aymara qui désigne un « gris jaspé, résultat du mélange imperceptible de blanc et de noir, confondus dans la perception mais qui jamais ne se mêlent complètement ». Ch’ixi revendique l’hétérogénéité et la conflictuelle complexité culturelle, historique et socio-économique des sociétés latino-américaines « métisses » – se substituant à cette catégorie issue des discours hégémonique – et s’inscrit dans un projet politique de modernité critique.
Français

Cet article interroge la lecture de la pensée de Colette Guillaumin par l’écrivaine féministe argentine Angélica Gorodischer à partir d’une de ses conférences de 2005 sur le « contrôle des corps ». Il examine par ailleurs l’actualité de cette pensée matérialiste en Argentine à travers sa diffusion, dix ans plus tard, dans la revue Mora. Dans les deux cas, la critique de l’idéologie naturaliste est mise en valeur ainsi que le dévoilement de la violence sociale, politique et économique qui perpétue la performativité des catégorisations issues de cette idéologie. Le « sexage » ne peut être conçu que dans ce continuum de la violence, symbolique et matérielle. L’hypothèse qui sous-tend cette réflexion serait que les convergences observées dans ce corpus limité sont un exemple parmi d’autres possibles, car la pensée féministe argentine croise de multiples façons la pensée matérialiste, très prégnante dans la tradition nationale.

Mots-clés

  • Sexage
  • Pratiques génocidaires
  • Féminisme matérialiste
  • Gorodischer
Español

Sexitud: relaciones de apropiación y prácticas genocidas. Una lectura de Colette Guillaumin por Angélica Gorodischer

Este artículo analiza la lectura del pensamiento de Colette Guillaumin por la escritora feminista argentina Angélica Gorodischer a partir de una de sus conferencias de 2005 sobre el "control de los cuerpos". También examina la actualidad de este pensamiento materialista en Argentina a través de su publicación, diez años después, en la revista Mora. En ambos casos, se destaca la crítica de la ideología naturalista y la revelación de la violencia social, política y económica que perpetúa la performatividad de las categorizaciones derivadas de esta ideología. El sexaje sólo puede concebirse dentro de este continuo de violencia, tanto simbólica como material. La hipótesis que subyace a esta reflexión sería que las convergencias observadas en este limitado corpus son un ejemplo entre otros posibles, ya que el pensamiento feminista argentino se cruza en muchos aspectos con el pensamiento materialista, muy vivo en la tradición nacional.

Palabras claves

  • Sexaje
  • practicas genocidas
  • feminismo materialista
  • Gorodischer

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Michèle Soriano
Michèle Soriano, PhD Université de Pittsburgh, professeure de culture latino-américaine à Université Toulouse – Jean Jaurès. Parmi ses dernières publications : « Pour un féminisme « métis », la pensée de Maria Luisa Femenías », revue Iberic@l [en ligne] N. 13 – printemps 2018 « Le concept de genre dans les mondes hispanophones et lusophones : des discours théoriques aux imaginaires des créations », http://iberical.paris-sorbonne.fr/; « El discurso feminista y su traducción en la novela policial: exploraciones del contra-archivo en las translaciones », Ángeles Ciprés Palacín & Isabelle Marc, Canon et écrits de femmes en France et en Espagne dans l'actualité (2011-2016) /Canon y escritos de mujeres en Francia y en España en la actualidad (2011-2016), Peter Lang, 2020.
Camille Noûs
Camille Noûs est un consortium scientifique créé pour affirmer le caractère collaboratif et ouvert de la création et de la diffusion des savoirs, sous le contrôle de la communauté académique. Ce collectif scientifique, comme Bourbaki, Henri Paul de Saint Gervais ou Arthur Besse en mathématiques, ou Isadore Nabi en biologie, prend l’identité d’une personnalité scientifique qui incarne la contribution collective de la communauté académique. Plus précisément, Camille Noûs est un individu collectif qui symbolise notre attachement profond aux valeurs d’éthique et de probation que porte le débat contradictoire, elle est insensible aux indicateurs élaborés par le management institutionnel de la recherche, elle sait ce que nos résultats doivent à la construction collective. C’est le sens du « Noûs», porteur d’un Nous collégial mais faisant surtout référence au concept de “raison” (ou “esprit” ou “intellect”) hérité de la philosophie grecque.
http://www.cogitamus.fr/
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/10/2020
https://doi.org/10.3917/cdge.068.0121
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