CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Le 25 juin 2012, quelques semaines après le début du chantier, les 218 ouvriers camerounais de l’entreprise chinoise China Water Electric Corporation chargée de la construction du barrage de retenue d’eau de Lom Pangar se mettent en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail et de vie. Quelques jours plus tard, le 2 juillet 2012, le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, accompagné du ministre de l’Eau et de l’Énergie, et du gouverneur de la région de l’Est se rendent sur le site de construction du barrage afin de « ramener la paix pour que règne la cohésion sociale qui fera avancer ce grand chantier » [1]. L’empressement de deux ministres et d’un gouverneur à se rendre sur les lieux montre l’importance politique de ce projet. Selon le site d’informations en ligne Cameroon-info.net, les ministres « somment l’entreprise chinoise de se conformer immédiatement à la réglementation camerounaise en matière de travail, notamment à résoudre les problèmes de santé, de nourriture et de l’eau soulevés par les ouvriers » [2]. Le compte rendu de cette grève sur le chantier de Lom Pangar montre la rapidité de l’apparition d’un conflit social et de l’intervention de l’État.

2 De larges pans de la littérature sur la présence chinoise en Afrique adoptent des perspectives macro pour aborder les opportunités offertes aux pays africains ou, au contraire, les risques d’une mise sous tutelle du continent par la nouvelle grande puissance (Kernen 2014). Dans cet article, la perspective est tout autre, puisque l’analyse porte sur les conditions de travail et de vie des ouvriers camerounais sur le site d’un barrage au Cameroun réalisé par une entreprise chinoise, la China International Water and Electric Corporation (cwe). Cette perspective résolument micro veut s’inscrire en complémentarité avec la littérature existant sur les entreprises chinoises en Afrique. En effet, s’il existe depuis quelques années des recherches de terrain approfondies rendant compte du fonctionnement des entreprises chinoises en Afrique (Lee 2009, 2017 ; Corkin 2012 ; Kernen & Lam 2014 ; Lam 2017), ces travaux n’abordent qu’à la marge le quotidien et le ressenti des employés africains sur les chantiers chinois.

3 En s’inspirant de la démarche de quelques travaux de référence menés sur d’autres terrains (Bazin 1996 ; Rubbers 2006, 2020), nous nous sommes appuyés sur les récits des travailleurs camerounais dans ces enclaves chinoises pour rendre compte de leur quotidien ainsi que de leur perception de l’organisation raciale de leur travail et de leur vie sur place.

4 Nous avons mené des entretiens auprès d’employés camerounais travaillant ou ayant travaillé sur le site de Lom Pangar. En 2018, en marge d’une autre recherche, nous avons d’abord rencontré quelques-uns de ces employés à Yaoundé avant de conduire d’autres entretiens en 2019 auprès de personnes ayant travaillé à Lom Pangar, mais aussi sur le barrage de Memve’ele ou d’autres « grands chantiers ». En 2020, nous avons rencontré cinq anciens employés de Lom Pangar vivant actuellement à Bertoua et à Belabo. Puis, sur le site du barrage, nous avons fait des entretiens avec sept jeunes enrôlés pour la construction d’une usine au pied du barrage en vue d’alimenter la région de l’Est en énergie hydroélectrique. Au total, nous avons réalisé 33 entretiens approfondis avec des employés d’entreprises chinoises de construction. Nous revoyons et maintenons un contact et des échanges sur WhatsApp avec certains d’entre eux.

5 Même si cet aspect n’apparaît qu’en arrière-plan de l’article, notre compréhension des enjeux et de l’organisation du chantier de Lom Pangar s’appuie également sur des entretiens que nous avons menés au cours de la même période avec des responsables de la société d’État camerounaise en charge du suivi du chantier (edc), avec plusieurs cadres régionaux des ministères du Travail, de l’Emploi, de l’Eau et de l’Énergie, des Mines et de l’Industrie, ainsi qu’avec deux responsables régionaux de la Caisse nationale de prévoyance sociale (cnps) et du Fonds national de l’emploi (fne). Si, à d’autres occasions, nous avons interrogé des responsables chinois d’entreprises de construction (Kernen & Lam 2014), nous n’avons à ce jour pas encore réussi à nous entretenir avec la direction de la cwe au Cameroun. La perspective de notre article, consistant à éclairer le vécu des employés camerounais dans un chantier de construction chinois, ne rend cependant pas nécessaire la confrontation de leurs points de vue avec ceux des dirigeants des entreprises menant ces chantiers.

6 Après une brève présentation du barrage de Lom Pangar et des « grands chantiers de l’émergence » lancés par le président Byia en 2015, cet article s’intéresse au processus de déqualification à l’œuvre lors de l’engagement des ouvriers camerounais. En effet, comme l’ensemble de l’encadrement et des responsables du chantier sont des employés expatriés venant de Chine, seuls les manœuvres et quelques techniciens sont engagés localement. Par la suite, nous analysons comment l’importance de la main-d’œuvre expatriée chinoise engendre une organisation racialisée du travail et de la vie dans ces enclaves chinoises.

7 Enfin, signalons que nous utilisons dans cet article le terme d’« ouvrier » car, à l’exception d’une cuisinière ayant travaillé quelques semaines au réfectoire des ouvriers camerounais et d’une traductrice chinoise, ce chantier est exclusivement masculin.

Le barrage de Lom Pangar : un « grand chantier de l’émergence » réalisé par une entreprise chinoise

8 Le 1er mai 2006, le Cameroun est le quinzième pays africain à atteindre le point d’achèvement de « l’initiative ppte » [3] et, à ce titre, il bénéficie d’une réduction de 27 % de sa dette extérieure. Profitant de sa nouvelle marge de manœuvre financière, le Cameroun s’est doté d’un « plan d’émergence ». S’appuyant sur l’agenda de l’Union africaine prônant un retour de l’État dans le développement et la construction de nouvelles infrastructures [4], il développe sa « vision 2035 » qui planifie son développement à long terme. Cette stratégie est ambitieuse puisqu’elle prévoit le développement d’une industrie nationale, la construction d’infrastructures dans les domaines des transports ou de l’énergie, tout en cherchant à améliorer les conditions de vie de la population à travers l’accès à l’éducation, à l’eau, à l’électricité, au logement. Même si les moyens de mise en œuvre diffèrent, l’ambition de ce programme rappelle la volonté de « rattrapage » des États modernisateurs au lendemain des Indépendances (Nugent 2004). D’ailleurs, plusieurs projets de la « vision 2035 » étaient dans les tiroirs du ministère du Plan depuis les années 1970, mais avaient été abandonnés suite à la crise de la dette des années 1980.

9 Au moment où le Cameroun se lance dans la construction des « grands chantiers de l’émergence », l’économie connaît un fort taux de croissance atteignant 5,88 % en 2015. Dans le même temps, le revenu par habitant double, passant de 660 dollars en 2000 à 1 452 en 2017 [5]. La répartition de cette croissance reste toutefois très inégale, puisque le taux de pauvreté stagne et concerne environ 40 % de la population (Ngo Tong 2016), du fait notamment d’une très forte inflation. Le taux de chômage est estimé à 13 % alors que le taux de sous-emploi est de 70 % et touche particulièrement les jeunes [6].

10 Pour trouver les financements des « grands chantiers de l’émergence », le Cameroun s’est notamment tourné vers des prêts chinois. Au travers de différentes conventions de financement signées entre 2011 à 2018, sa créance à l’égard de la Chine s’élève aujourd’hui à 3,2 milliards d’euros [7]. Devenue le premier bailleur du pays, la Chine a financé la construction de la première étape du port en eau profonde de Kribi, celle du barrage hydroélectrique de Memve’ele et de celui de Mekin, celle des autoroutes Lolabé-Kribi-Edéa et Douala-Yaoundé et, enfin, l’édification de 1 500 logements sociaux et des stades de football de Limbé et de Bafoussam. Si les barrages, les stades et les logements sociaux sont achevés, les autoroutes Lolabé-Kribi-Edéa et Douala-Yaoundé sont encore en travaux. Bien que terminé, le petit barrage de Mekin rencontre des problèmes importants liés à ce que certains appellent des erreurs de conception. Toutefois, malgré l’importance des prêts chinois, d’autres bailleurs sont mobilisés, comme pour le barrage de Lom Pangar qui est financé par un consortium comprenant la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, la Banque de développement des États de l’Afrique centrale, la coopération française et le gouvernement camerounais.

11 La mise à l’agenda et le suivi de la réalisation des « grands projets » s’inscrivent dans une présidentialisation toujours plus marquée du régime politique camerounais. Les slogans des différentes campagnes de Paul Biya montrent la forte articulation de l’émergence avec le programme du Président. En 2004, ce dernier promet de « grandes ambitions » à travers la réalisation de nombreux grands chantiers. En 2011, il se fait réélire avec le slogan des « grandes réalisations ». En 2018, même si son plan pour « l’émergence » est toujours au cœur de sa campagne, c’est la « force de l’expérience » qu’il met en avant. Très concrètement, la mise en scène de l’avancement des grands projets s’articule avec le rythme des échéances électorales. En 2011, à la veille de l’élection, il pose la première pierre du port en eau profonde de Kribi et, au lendemain de sa victoire, il affirme que « le Cameroun sera transformé en un immense chantier ». Tout au long de l’année 2012, Paul Biya se transforme en maître d’œuvre de l’émergence en se déplaçant sur les lieux de grands chantiers. Cette politisation et cette médiatisation des grands chantiers ont des retombées sur les ouvriers de Lom Pangar comme en témoigne Alain, soudeur : « On parlait de projet international, Madame [son épouse] était fière, j’étais même passé à la télévision. Les gens du quartier et les proches se disaient qu’à mon retour, les choses allaient changer » [8].

12 La construction du barrage de retenue d’eau de Lom Pangar, d’un coût de 494 millions de dollars, a débuté en 2012 et a été achevée en 2019. Même si le financement vient d’un consortium international, c’est une entreprise chinoise, la cwe, qui a été mandatée pour la construction. L’edc opère comme maître d’ouvrage.

13 La cwe est une entreprise publique comptant parmi les 250 plus grandes entreprises de construction au monde. Depuis la fin des années 1980, elle a débuté son internationalisation surtout à travers des projets de coopération en Asie et en Afrique. Si les premiers projets ont été financés par la Chine, elle a aussi souvent opéré par le biais de projets financés par d’autres gouvernements et institutions. Elle s’est ainsi installée au Ghana au début des années 1990 en remportant un appel d’offre de la coopération japonaise. Par la suite, elle a obtenu un projet de forage de puits financé par l’Allemagne et le Danemark et, plus récemment, des projets de construction d’autoroutes et d’électrification rurale soutenus par les gouvernements ghanéen et qatari (Kernen & Lam 2014). Après avoir achevé le barrage de Lom Pangar, la cwe a été active au Cameroun dans la construction de routes, notamment entre Nkolessong et Nding dans la région Centre.

Le recrutement d’employés camerounais à Lom Pangar

14 L’annonce de nombreux engagements liés au lancement du « grand chantier de l’émergence » de Lom Pangar a été relayée dans différents médias et a suscité un grand intérêt parmi les sans-emplois mais aussi ceux ne bénéficiant pas d’un emploi fixe ou formel puisque les « chantiers de l’émergence » étaient supposés offrir des emplois stables et garantis par un contrat [9]. Dans un pays où rares sont ceux qui jouissent d’un tel statut, les emplois de Lom Pangar ont donc été perçus comme une aubaine. Dès lors, de nombreuses personnes de tout le pays se sont rendues sur les lieux de recrutement dans l’espoir d’obtenir un contrat de travail stable. David, un jeune homme d’une vingtaine d’années, a ainsi traversé une grande partie du pays pour trouver un travail [10]. Il vient de la région de l’Ouest. Lui comme d’autres ont entendu parler dans les médias du chantier et des nombreuses embauches. Arrivé sur place, il choisit de s’engager, malgré un salaire qu’il trouve « décevant ». Et de toute façon, il n’a plus assez d’argent pour rentrer chez lui et craint par-dessus tout de décevoir ses proches en rentrant sans un sou. Il s’accroche à l’espoir que « ça va s’améliorer au fil du temps ».

15 Toutes les personnes engagées sur le chantier n’ont toutefois pas traversé le pays car les autorités locales font pression pour faire engager des jeunes des villages environnants. En redistribuant localement une partie des emplois, les autorités espèrent limiter les expressions de contestation liées à la construction du barrage qui impacte la vie et les activités économiques des villages environnants. En effet, la pêche est interdite aux abords du barrage, certaines terres cultivées seront inondées et quelques villages devront être déplacés. Au contraire, les dirigeants de l’entreprise chinoise évitent plutôt l’engagement de personnes résidant proche du site, qui favorise, selon eux, l’absentéisme de la main-d’œuvre [11].

16 Alors que seuls des emplois de manœuvre ou de technicien sont proposés lors des procédures de recrutement, la perspective d’un emploi stable et l’espoir de progresser dans la hiérarchie de l’entreprise poussent beaucoup de diplômés du secondaire camerounais à les accepter. Ainsi, Brice, qui vient de terminer sa première année d’université à Yaoundé, s’engage comme manœuvre à Lom Pangar [12]. Sa famille fait face à des difficultés financières et ne peut plus payer ses études.

17 Ces personnes formées peinent à comprendre l’absence de reconnaissance des diplômes camerounais. Ainsi, Olivier, titulaire d’un baccalauréat technique, a été engagé comme électricien et est en outre responsable d’une petite équipe où se trouve Ghislain qui dispose, lui, d’un diplôme d’ingénieur en hydroélectricité. Ghislain a travaillé seulement six mois avant de démissionner : « On n’a pas pu être d’accord. Ils me donnent des tâches de technicien. Au départ, je me dis qu’ils finiront par me surclasser. Puis le salaire mensuel n’atteignait pas les 100 000 fcfa [200 dollars]. » Dès le moment de l’embauche, l’entreprise chinoise crée une segmentation du marché de l’emploi et une discrimination des employés camerounais en refusant de reconnaître la valeur des diplômes et des formations du Cameroun. Ainsi, quel que soit son diplôme ou son expérience, un employé engagé localement ne peut être que manœuvre ou technicien, les postes plus élevés dans la hiérarchie étant tous occupés par des employés chinois.

18 Pour certains, l’attrait du contrat mérite bien quelques sacrifices. Tadé, chauffeur de camion à Lom Pangar, bénéficiait à 43 ans pour la première fois d’un contrat de travail, et garde plutôt un bon souvenir de ces années. Jusque-là, avec son permis poids lourd obtenu en 1990, il a dû « se débrouiller dans le tas ». Avoir un contrat pour transporter du sable et du gravier au barrage a été un grand soulagement pour lui et sa famille. Il a donc choisi de faire ce qu’il faut pour conserver son travail : « Je travaillais et je savais qu’un jour ça pouvait changer, mais je voulais tirer le meilleur de mon premier projet, pour me permettre de grandir et d’apprendre auprès des Chinois. » Lucide, toutefois, il analyse finement la faiblesse des employés face au jeu des entreprises chinoises : « Que veux-tu faire ? Tu vas porter plainte comment ? C’est un peu difficile dans notre pays. On va dire que les Chinois viennent nous donner le travail, et nous on refuse le travail ! Ça, c’est la raison de l’État » [13].

19 À Lom Pangar, le fait que la Banque mondiale soit le principal bailleur du projet semble avoir favorisé le respect de certaines normes sociales. Comme sur d’autres projets qu’elle finance, le consortium doit respecter les normes établies par les accords signés avec elle dans le domaine de la protection de l’environnement et des conditions de travail notamment (Munoz 2008 : 12). Ainsi, les entretiens de recrutement ont été menés par le Fonds national de l’emploi (fne) de Bertoua et des contrats ont été établis assez rapidement après une courte période d’essai, ce qui n’est pas toujours le cas sur les autres chantiers dirigés par des entreprises chinoises. Le montant des salaires est en outre légèrement plus élevé qu’ailleurs : « À Lom Pangar, comme chauffeur, j’étais à 5B [14] à mon arrivée, puis à 5C [15] vers la fin, je n’ai jamais eu autant sur d’autres chantiers chinois » [16]. La cwe versait en outre chaque mois sa part des cotisations sociales dues à la caisse de protection sociale des employé.e.s camerounais.e.s, même s’il semble qu’une partie de ces versements aient été égarés par l’administration [17].

20 La situation est très différente sur le chantier du barrage de Memve’ele qui ne dispose pas de financement de la Banque mondiale. L’entreprise chinoise retarde délibérément la signature des contrats de travail en prolongeant la période d’essai, comme le rapporte Willy :

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Quand j’ai commencé ici en 2012, on ne nous a pas fait signer les contrats. Ce qui fait qu’on percevait 250 francs CFA (0,5 dollar) l’heure. On a fonctionné comme ça, sans contrat. Et quand on a vu comme on nous mettait la pression, notamment pour les bâtiments de logement, et qu’il y avait des risques, on a été obligés de se mettre en grève le 1er septembre 2012. Après, les têtes ont certes sauté, mais c’est de là qu’on a commencé à nous faire signer des contrats de travail à 384 francs CFA l’heure. J’étais ferrailleur de 4e catégorie de salaire [18].

22 Toutefois, même avec un contrat, l’emploi reste précaire à Lom Pangar avec l’entreprise chinoise cwe. Les licenciements et les menaces de licenciement sont monnaie courante et maintiennent un sentiment de précarité : « Lorsque tu travailles avec des Chinois, tu sais que tu peux être viré du jour au lendemain » [19]. Des entretiens menés sur des chantiers proches des zones urbaines ont révélé que cette stratégie est encore plus largement utilisée. Sur le chantier de l’autoroute qui reliera l’aéroport international de Yaoundé au centre-ville, la menace du licenciement est récurrente et explicite : « On vous prévient dès le départ que si quelqu’un n’est pas d’accord avec les conditions de travail, qu’il s’en aille tranquillement » [20]. Dans ces lieux où les entreprises chinoises peuvent facilement jouer sur le nombre important des demandeurs d’emploi, les licenciements sont fréquents. De plus, à en croire les ouvriers qui travaillent sur place, les démissions enregistrées sur ce chantier sont nombreuses, les salaires étant jugés trop bas [21].

23 Nos interlocuteurs perçoivent les rémunérations proposées par les entreprises chinoises comme étant trop faibles en raison de la pénibilité du travail, mais aussi de leur embauche par une entreprise étrangère qui se devrait d’être plus offrante que les structures camerounaises et de la non-reconnaissance de leur expérience ou de leurs diplômes. Les salaires versés à Lom Pangar ne se situent pourtant pas parmi le segment le plus bas du salariat au Cameroun. Comme le montre G. Vadot (2019 : 105-107), les salaires dans la construction sont en moyenne nettement plus élevés que dans les grandes plantations ou dans le secteur du gardiennage [22]. À Lom Pangar, les salaires versés représentent plusieurs fois le montant du salaire minimum fixé à 36 670 fcfa par mois (55 euros). Il est vrai que cette référence ne veut plus dire grand-chose puisque sa dernière indexation au coût de la vie remonte à juillet 2014.

24 En outre, la cwe encourage les employés de Lom Pangar à faire des heures supplémentaires afin de leur permettre d’accroître leur revenu. Le chantier étant éloigné de plus de 26 kilomètres de piste du premier village, de nombreux employés font ce choix et travaillent jusqu’à quatorze heures par jour. Ce système permet à la cwe tout à la fois de respecter les délais prévus sans engager davantage de personnel et de refuser les demandes d’augmentation de salaire. Cette stratégie de généralisation des heures supplémentaires mieux payées est largement utilisée en Chine comme le montrent de nombreux travaux sur le sujet (Lee 2009 ; Kernen 2014).

Les conditions de vie dans une enclave chinoise

25 Lors des grèves, les revendications des ouvriers camerounais ne se sont pas focalisées sur le travail précaire, les bas salaires ou les heures supplémentaires mais sur les conditions de vie. En effet, au Cameroun, même si le salaire minimum est maintenu très bas, il existe dans certains secteurs un système de conventions collectives permettant d’améliorer les minima prévus par le Code du travail en définissant des prestations sociales qui accompagnent un emploi formel (nourriture, logement, santé…) [23]. Dans le secteur de la construction, « la convention collective et le Code du travail disent que si on te déplace du lieu où tu vis pour te faire travailler ailleurs, on prend en charge ton hébergement, ta nutrition et ta santé » [24].

26 Les infrastructures mises en place par la cwe étaient perçues par les ouvriers comme étant rudimentaires et très insatisfaisantes. Les conditions de logement étaient régulièrement dénoncées : « On vivait à trois personnes par chambre dans une grande promiscuité. Chacun avait deux briques à gauche, deux briques à droite, on a mis une planche et un matelas d’une épaisseur de 10 centimètres. Les maisons étaient faites en planches » [25].

27 La nourriture posait aussi problème en raison des quantités jugées insuffisantes et du fait que des employés souffraient régulièrement d’intoxication alimentaire [26] : « De temps en temps, tu manges et tu as mal au ventre. Parfois, tu es trop mal pour aller travailler alors tu perds un jour de salaire. C’était normal les grèves » [27].

28 Enfin, le poste de santé était rudimentaire et ne disposait pas ou pas assez de médicaments. « À Lom Pangar, tu es au bord d’une rivière au milieu de la forêt. Dans un tel endroit, les cas de malaria sont fréquents, tu dois pouvoir te soigner » [28]. À la question de savoir à quoi sert l’infirmerie du site, Alain répond que : « Là-bas, on te donne une plaquette de paracétamol. Attends-toi après à ce qu’on te coupe 5 000 [fcfa] dans ton salaire. Tout était payant. On voilait seulement les yeux des visiteurs » [29]. Et Olivier de renchérir : « Pour les médicaments, on est obligés de prendre une permission de sortie ou espérer une évacuation à Bertoua. Il y a eu des décès. Des gens étaient malades » [30].

Une organisation racialisée de l’espace

29 Si les grèves sont apparues rapidement à Lom Pangar, ce n’est pas seulement le fait de conditions de travail et de vie difficiles. Les travaux sur les mouvements sociaux ont montré depuis longtemps que des conditions objectives de privation ne sont pas suffisantes pour engendrer une mobilisation (Tilly 1976, 1992 ; Bennani-Chraïbi & Fillieule 2003). Dans un tout autre contexte, nous avions montré comment les entreprises chinoises regroupant lieu de production et logement tout en réprimant les organisations syndicales facilitent paradoxalement l’organisation de manifestations, même après l’arrêt de la production (Kernen 2002). Le processus est assez similaire à Lom Pangar, puisqu’après le repas du soir devant les baraquements servant de dortoirs, les ouvriers se retrouvaient pour discuter. Progressivement, ces moments de socialisation à siroter une bière se sont transformés en réunions plus politiques où la question des conditions de vie et de travail était au cœur des discussions. Dans une telle configuration, il n’a pas été nécessaire d’organiser des réunions, de trouver un lieu pour réfléchir à un mode d’action. En écoutant ceux qui avaient déjà travaillé sur d’autres chantiers, ceux qui venaient d’autres régions du Cameroun, ceux qui pensaient connaître le droit du travail, les ouvriers ont progressivement été amenés à décider de faire grève. Au-delà du cas de Lom Pangar et même des chantiers chinois, on constate que les arrêts de travail sont fréquents lorsque le chantier regroupe dans un même lieu de vie l’ensemble des employés. Au Cameroun, les plantations qui partagent cette même caractéristique sont également le lieu de production d’une intense conflictualité (Vadot 2020).

30 À Lom Pangar toutefois, l’organisation raciale de l’espace de chantier a servi de catalyseur aux plaintes des employés camerounais. En effet, lorsque l’on arrive sur le site de Lom Pangar, on ne peut qu’être frappé par le contraste entre les deux espaces distincts du camp : celui réservé aux employés chinois et celui attribué à leurs homologues camerounais. Le quartier chinois est installé au sommet d’une petite colline qui surplombe le site, alors que le lieu de vie des ouvriers camerounais se trouve en dessous, plus près du barrage. Les infrastructures pour accueillir les 700 employés chinois du chantier ont été aménagées grâce à une juxtaposition de grands conteneurs métalliques posés sur des plots de béton. Les employés chinois y disposent de ce qui peut être vu du bas de la colline comme du confort et du luxe : toilettes, douches, salle d’eau, accès à internet, lits, salle de repos, cantine bien aménagée, terrain de basket, infirmerie, etc.

31 L’accès à la colline est réservé, les Camerounais n’y sont admis qu’avec des autorisations spéciales. Le contrôle strict de cette zone d’exclusion est facilité par le fait que les personnels chinois et camerounais portent des uniformes de couleurs différentes : kaki pour les premiers, bleu foncé pour les seconds.

32 Les travailleurs chinois bénéficient d’un contrat d’expatriation, généralement de deux ans renouvelables ou pour la durée du chantier. Le plus souvent, une fois par an, ils peuvent bénéficier d’un retour en Chine pour quelques semaines, payé par l’entreprise. Même si leur salaire est largement inférieur à celui des expatriés européens en Afrique, le montant des rémunérations est déterminant dans leur choix de partir travailler dans cette région du monde. En effet, grâce à leur salaire et aux différentes primes d’expatriation, leur revenu triple durant le séjour (Kernen & Lam 2014).

33 La décision d’engager un travailleur expatrié se comprend en raison des qualifications requises, mais on ne cherche pas toujours à savoir si des compétences pourraient exister localement (Rubers 2020). En raison du coût comparativement faible de ces cadres expatriés, les entreprises chinoises sont moins sous pression que la concurrence pour réduire leurs effectifs. Au Cameroun, les autres multinationales de travaux publics s’appuient davantage sur des équipes d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, comme de la Côte d’Ivoire ou du Mali, qui circulent d’un chantier à l’autre à travers le continent. La différence a son importance, puisque le traitement des travailleurs n’est dès lors pas défini en fonction de leur nationalité mais de leurs statut et compétences.

34 Les effectifs importants d’expatriés chinois s’expliquent aussi par la nature de ces entreprises. À la différence des multinationales globalisées, leur mode de fonctionnement reste (encore) très similaire à celui que l’on connaît en Chine. Il en découle par exemple que le mandarin est la seule langue de communication parlée par la direction du chantier et, plus largement, la principale utilisée dans l’entreprise [31]. Les emails, rapports, notes ou discussions sont exclusivement en mandarin. Il est dès lors impossible pour un ingénieur formé au Cameroun, y compris s’il a prolongé son cursus en Chine, de parvenir à interagir de manière fluide dans un tel cadre (Kernen & Guex 2016). D’ailleurs, même dans les pays africains qui, comme le Ghana ou l’Algérie, ont décidé d’imposer aux entreprises chinoises de recruter localement une partie de leurs cadres, ingénieurs ou comptables, la direction des entreprises concernées n’est pas relocalisée mais simplement dédoublée (Kernen & Lam 2014).

Une racialisation des rapports de travail

35 La particularité des chantiers chinois ne réside pas dans la division raciale de l’espace ou dans les uniformes différents portés par les employés chinois et camerounais, que l’on peut retrouver dans certaines villes usines minières en Afrique (Pauthier 2002 ; Knierzinger 2014, 2017). C’est bien davantage l’abondance de la main-d’œuvre chinoise qui fait la spécificité de ces chantiers. En effet, les employés chinois ne composent pas seulement l’encadrement du chantier, mais toute son ossature. Tous les postes à responsabilité, même de moindre importance, sont en effet occupés par des employés chinois. Dès lors, l’autorité et le pouvoir sont exercés par des Chinois. En raison du nombre important d’expatriés et de l’organisation des entreprises chinoises, les possibilités de promotion sont très limitées pour les Camerounais. Les employés camerounais peinent à comprendre les raisons d’un tel fonctionnement : « Peu importe vos diplômes ou vos compétences, vous serez sous les ordres d’un Chinois, parfois moins formé que vous. Tous les postes d’ingénieurs sont pour les Chinois, je ne pense pas qu’il y avait un seul ingénieur africain, pas un Noir » [32]. Et comme le relève un technicien camerounais : « Tout le monde [du côté camerounais] a presque le même statut ouvrier ou technicien ; il n’y avait pas de politique d’avancement » [33]. Comme le montre Michael Burawoy (1972, 2014) dans les années 1970 dans les mines de cuivre de Zambie, on retrouve une superposition de la classe et de la race. Sur les chantiers chinois aussi, la hiérarchie est traversée par une barrière de couleur (color bar) définie comme « le principe qu’aucun noir ne doit exercer de pouvoir sur un blanc » (Brurawoy 2014 : 964).

36 Si des ouvriers ont parfois de bonnes relations avec leur supérieur chinois, ces cas demeurent rares. Ceux qui en bénéficient sont ironiquement appelés « bébés chinois » par leurs camarades. Plus souvent, les relations de travail sont régies par la dimension hiérarchique, comme l’indique Olivier : « Avec les Chinois, il ne faut pas prendre d’initiative, il faut attendre les ordres. Aujourd’hui, je travaille pour des Italiens, j’ai plus d’autonomie dans l’organisation et la planification du travail. Avec les Chinois, ils te disent ce qu’il faut faire et comment le faire et il n’y a pas de place pour la discussion, on ne peut pas le faire autrement » [34]. Paul a des propos très similaires : « Les Chinois semblent toujours agacés lorsqu’on les contredit et même si on a raison » [35]. Nos entretiens avec les employés camerounais montrent que leurs représentations sur les expatriés dépendent de la nationalité de ces derniers. Les Chinois sont décrits comme plus durs, moins généreux et plus travailleurs que les Occidentaux. Des représentations similaires ont été mises en avant dans les travaux de Claire Cosquer (2020) à Abou Dabi et ceux d’Amélie Le Renard (2019) à Dubaï.

37 Les difficultés de communication entre supérieurs chinois et employés camerounais reviennent souvent dans nos entretiens. Dans certains cas, ces difficultés de compréhension dégénèrent et les protagonistes en viennent aux mains. Nous avons choisi de reprendre un long extrait du récit de l’altercation qui oppose Joseph à son supérieur chinois, puisqu’il rend compte du langage utilisé ainsi que des conséquences de leurs difficultés de communication [36] :

38

Ce chef chinois n’aimait pas que tu répondes : « pas connais » [37] lorsqu’il te pose la question : « Toi ami, connais ou pas connais ? ». Si tu dis : « Pas connais », il commence à te dire : « Le con de ta mère » en chinois et puis « Pas connais comment ? » Un jour, ce Chinois me dit : « On part. » Ça veut dire que j’étais son aide. L’aide est celui qui porte tout. Sur le chantier, il soude et me demande avec des gestes de regarder, je regarde. Après un moment, il me fait signe qu’il va boire de l’eau, que « toi travaille », mais moi je ne connaissais pas encore la soudure. Je lui dis : « Chefou [chef], ça, moi pas connais. » Là, il s’énerve. Je réussis à éviter le premier coup avec le fer à souder, mais pas le deuxième. Quand je crie, il commence à me donner des coups de poing… je saigne, j’ai mal à la dent. On m’a amené à l’hôpital pour me soigner. En sortant, le médecin m’a donné un papier au cas où je voulais porter plainte. En revenant au chantier, je suis allé aux ressources humaines et ils ont convoqué le Chinois. Mais dès que le Chinois a commencé à bavarder, ils m’ont donné tort, en disant qu’il fallait que je fasse seulement le travail que mon chef m’avait demandé, sans poser de questions. En fait, c’est une direction composée de Chinois. J’ai hésité à aller porter plainte même à la gendarmerie, car les Chinois ont de l’argent qu’ils iront verser. Plus tard, ce sera une haine envers moi et ils pourront me faire perdre mon travail. Or c’était mon gagne-pain [38].

39 Ces bagarres entre employés chinois et camerounais ne sont pas rares. Plusieurs cas nous ayant été relatés découlent toujours de difficultés de communication. Avec leurs quelques mots de français, les employés chinois peinent à se faire comprendre et les deux ou trois traducteurs présents sur le chantier accompagnent le plus souvent les dirigeants de l’entreprise :

40

Lorsque des chefs chinois font le tour du chantier, il arrive qu’ils t’insultent devant tout le monde, mais ils sont dans l’incapacité de t’expliquer ce qu’ils attendent de toi. Ils te disent : « Toi pas faire ça, toi faire là, là, là. Toi compris. » Et comme tu n’as pas compris, ils crient et s’énervent, pour te forcer à faire quelque chose, mais toi, tu ne comprends toujours pas ce qu’ils veulent te dire [39].

41 Cet encadrement perçu par les ouvriers camerounais comme autoritaire leur impose de faire des tâches qu’ils considèrent dégradantes ou qui ne devraient en tous cas pas être de leur ressort. Nos interviewés disent qu’ils ont dû apprendre à devoir « tout faire », car un refus peut avoir de lourdes conséquences. C’est ce dont parle Tadé, chauffeur à Lom Pangar :

42

Quand le Chinois t’embauche, il veut que tu fasses tout. Il peut même te demander de prendre la machette et d’aller défricher la forêt. Un jour, le Chinois dit d’aller graisser le camion. Je lui ai dit que je ne sais pas faire et que c’est le travail du mécanicien. Ça l’a énervé, et j’ai perdu mon travail [40].

43 Alain, un soudeur qui a travaillé à Lom Pangar puis à Memve’ele, exprime la même chose. Alors qu’il avait été engagé comme soudeur, il est rapidement affecté à une tâche de manœuvre : « Au bout de quatre mois, j’ai abandonné ce chantier parce que mon patron avait décidé que je serai chargé de transporter le ciment » [41].

44 Les chefs chinois sont aussi décrits comme accordant de petits avantages aux personnes qui leur sont utiles. Alain perçoit cette gestion comme arbitraire : « À Lom Pangar, certains manœuvres avaient été pris à la catégorie des techniciens. Le Chinois ne tient pas compte de ton niveau, il regarde seulement comment tu travailles. Et même si tu bosses bien, il te change de poste en fonction de son humeur » [42]. Les responsables chinois jouent sur les promotions, tout en évitant celles qui conduisent à une hausse significative du salaire :

45

Quand un Chinois voit que tu es plus serviable que les autres, il t’ajoute une catégorie. Si tu étais à 5A, il te met à 5B. Mais ça ne donne rien. C’est à partir de la C que l’argent commence un peu à monter. A ou B, c’est presque le même salaire, c’est peut-être 50 francs [cfa] qui va s’ajouter. Pour avoir un peu d’argent, il faut monter en 5C ou 5D. Et ils nous traînaient toujours seulement à ce niveau, A-B, A-B, A-B [43].

Une segmentation par l’appartenance raciale durement ressentie par les travailleurs camerounais

46 Les tensions entre salariés chinois et camerounais ne se limitent pas aux seules relations de travail puisque l’ensemble du chantier est organisé selon une logique raciale. Comme nous l’a dit le Camerounais Trésor : « Tous les Chinois sont tes chefs. Même s’il est menuisier, s’il vient te donner un travail en électricité, tu dois seulement faire, tu exécutes bêtement. Même s’il n’a pas ton niveau » [44]. Le terme chinois 师傅 (shifu), qu’il est demandé aux ouvriers camerounais d’utiliser lorsqu’ils s’adressent à un Chinois illustre bien les rapports de domination à l’œuvre sur le chantier. Cette formule de politesse signifie « maître » au sens de maître de kungfu ou maître-artisan. Dans le langage courant, il s’emploie fréquemment pour s’adresser à un ouvrier spécialisé. Pour les ouvriers camerounais, ce terme signifie « chef » et souligne l’inégalité fondamentale entre Chinois et Camerounais sur le chantier. Comme ce ne sont pas les compétences mais l’appartenance à une communauté racialisée qui détermine à première vue un traitement ou un salaire, des travailleurs camerounais déclarent que « les Chinois nous considèrent comme des sous-hommes » [45].

47 Les employés chinois sont donc considérés comme racistes au quotidien : « Même au chantier, si tu vas t’asseoir sur la place où il a l’habitude de s’asseoir, c’est des problèmes. Sur « sa » place personne n’a le droit de s’assoir. Ce qui nous unissait n’était que le travail et en dehors du travail, rien ne marchait. C’est leur nature comme ça » [46]. Et plus fondamentalement, les conditions de vie réservées aux Chinois illustrent cette inégalité raciale qui structure le chantier : « Ils viennent avec leurs frères manœuvres [venant de Chine], mais eux ils sont mieux traités que nos techniciens. Ils avaient des meilleurs salaires et des meilleures conditions de vie » [47].

48 S’appuyant sur cette inégalité structurée, certains employés chinois abusent de leur pouvoir. Au cours de nos entretiens avec les salariés camerounais, le terme de « mépris » revient souvent pour caractériser les relations qu’entretiennent les employés chinois avec eux. Parmi les nombreuses anecdotes qui nous ont été rapportées, celle de Bertrand, gardien sur le site de Memve’ele, rend compte du fait que chaque occasion peut être utilisée pour rappeler une supériorité hiérarchique :

49

Un jour, un Chinois est venu sans badge alors je lui ai dit : « Toi badge, c’est où ? » Il me dit : « Maison. » Je lui dis : « Pars maison chercher badge pour passer. » Il me dit : « Moi amis taper toi. » Je lui réponds : « Taper parti police. » Il dit : « Parti police, moi argent, toi parti là-bas. » Il voulait dire qu’il va monnayer et que je serai arrêté. Et en fait, il avait le badge dans sa poche, c’était pour me montrer qu’il me contrôle. Bon, nous tous on connaît ça, c’est notre Cameroun [48].

50 Ces abus d’autorité de la part de certains salariés chinois se retrouvent aussi dans les petits arrangements qui se développent entre employés chinois et camerounais pour prendre quelques jours de congé ou éviter les tâches les plus pénibles sur le chantier :

51

Si tu es à Lom Pangar, tu verras. Si tu veux faire quelques jours dehors, tu donnes une chèvre. Après tu n’es pas là, mais on va te pointer et tu toucheras ton salaire. Et si tu ne veux pas travailler de nuit, tu sais ce que tu dois faire. Ils savent jouer avec ces choses. Il faut te démarquer pour qu’ils te remarquent. Regarde un Chinois, son premier réflexe c’est de dire : « Comme toi ami-là, on fait comment ? » Ils surfent très bien sur nos faiblesses  [49].

52 Dans ce chantier de Lom Pangar, en somme, l’organisation de l’espace, les codes vestimentaires distincts, les conditions de vie et la structure hiérarchique du travail sont bien loin de l’égalité de traitement et de la fraternité qui sont décrites dans les textes de la propagande chinoise relatant la construction du Tazara. Cette voie ferrée reliant le port de Dar-es-Salam à la Copperbelt zambienne, qui a été construite grâce à l’aide chinoise dans les années 1970, fait en effet toujours l’objet en Chine de l’entretien d’une mémoire tout à la faveur du régime communiste [50].

Les ouvriers camerounais face aux ruses de l’État

53 À en croire Olivier, délégué des ouvriers du chantier, les grèves à répétition ont permis de faire plier l’entreprise chinoise sur certains points : « Lors de nos discussions, lorsque le patron chinois se lève et dit qu’il ne veut plus rien entendre, nous on arrêtait le travail jusqu’à ce que le Chinois redevienne plus souple » [51]. Effectivement, entre 2012 et 2016, les six mouvements de grève du chantier de Lom Pangar ont abouti à des améliorations des conditions de travail. La première grève a permis la suppression des salaires les plus bas fixés au niveau du smig (36 670 fcfa par mois), remplacés par la catégorie 1B, à 45 000 fcfa par mois, ainsi que l’instauration de temps de repos. La deuxième grève, qui portait sur les rations alimentaires et les médicaments, a débouché sur un compromis moins favorable aux ouvriers camerounais puisque le montant mensuel prélevé sur le salaire pour la nourriture est passé de 6 000 à 12 000 fcfa, même si, en parallèle, les contributions mensuelles de la cwe et de l’edc ont augmenté de 18 000 à 24 000 fcfa. Les grèves suivantes n’ont en revanche pas permis de résoudre les problèmes liés au logement (indemnités pour des logements non conformes) et à la santé (cotisations à la Caisse nationale de prévoyance sociale, cnps).

54 L’État et l’edc sont généralement présentés dans les médias camerounais dans une position d’arbitre entre les revendications ouvrières et la direction de la cwe, ce qui laisse penser que l’entreprise étatique n’est pas impliquée dans le conflit et que tous les torts reposent sur l’entreprise chinoise. Les responsables des autorités locales interviewés soulignent au contraire les responsabilités partagées entre les deux entreprises. Ils rappellent par exemple qu’il revenait à l’edc de ravitailler le dispensaire en médicaments destinés aux travailleurs camerounais et de payer les cotisations des employés à la caisse de chômage cnps[52]. L’edc, quant à elle, ne valide pas cette répartition des charges sociales et met en avant les manquements de l’entreprise chinoise. Selon plusieurs sources [53], il semble que le flou autour des tâches relevant du maître d’ouvrage et celles revenant à l’entreprise chinoise serait dû au manque de clarté des différents contrats. En tout cas, les ministères concernés, en concertation avec l’edc, ont décidé de créer une commission de dialogue social, afin de répondre aux revendications des ouvriers et aux attentes de la Banque mondiale, sans mettre en péril l’avancement du chantier. Se réunissant tous les 15 du mois, celle-ci permet aux différents protagonistes de poser les problèmes et difficultés rencontrés. Dans ce lieu de conciliation, les représentants du personnel se rendent progressivement compte de l’alliance qui existe entre l’edc et la cwe. Ainsi, Olivier, l’un des représentants du personnel camerounais dans cette commission, comprend au fil des réunions que le sort des employés importe peu aux deux entreprises. Selon lui, « edc et les Chinois nous considéraient comme des sous-hommes. Évidemment, ils n’ont jamais dit ça » [54].

55 Les responsables locaux, évincés par le rôle donné à l’edc dans la construction du barrage, parlent volontiers des instructions données par leur hiérarchie pour apaiser les conflits tout en mettant la priorité sur la réalisation de l’ouvrage. Selon eux, alors que le principal enjeu des grands chantiers est de montrer que « l’émergence est en bonne voie », ils n’étaient pas en position de pouvoir intervenir [55].

56

On n’a pas de pouvoir, ce qui compte c’est que le projet soit réalisé. Vous arrivez là-bas, même le traducteur camerounais va dire ce qui l’arrange. Il se dit que son poste est peut-être en danger. Donc pas d’infirmerie, tu te fais mal, tu te bats. Il n’y a rien. Les congés annuels, c’est un autre problème. Lors de nos visites sur le chantier, on trouve que les travailleurs n’ont pas de toilettes, qu’ils mangent dans des casques. Oui, quand on vous sert de la nourriture, vous présentez votre casque et on vous sert à manger, et vous n’avez pas de cuillère. Certains avaient des petits matelas, d’autres dormaient sur des cartons [56].

57 Comme ailleurs en Afrique, « l’État d’émergence » au Cameroun va en effet de pair avec une présidentialisation du régime et la création d’agences de contrôle qui mettent de côté les délégations régionales des ministères concernés (Péclard, Kernen & Khan-Mohammad 2020).

58 D’après les témoignages recueillis, il semblerait que l’edc et la cwe se soient accordés pour retarder, voire bloquer le versement des indemnités réclamées par les employés. Olivier, représentant des ouvriers, nous raconte :

59

À la fin du projet en 2016, j’ai décidé d’aller poursuivre mes études à Yaoundé. Mais aujourd’hui encore, je fais des va-et-vient pour suivre l’évolution du dossier de nos revendications. Avant-hier, j’étais à Bertoua pour la requête qu’on avait écrite pour qu’on nous rembourse l’argent qu’on nous prélevait pour la nutrition, et l’indemnité de logement qu’on devait nous verser, pour logement non conforme [57].

60 Soutenus par l’administration locale pour faire avancer leur dossier, certains ouvriers ont reçu des lettres de l’inspection du travail signifiant qu’ils allaient toucher une indemnité de 300 000 fcfa. « Il y a deux ans, le préfet est venu dire que le problème est déjà au parquet » [58]. Toutefois, à ce jour, cette requête tarde à aboutir et Olivier perd espoir : « Pour dire vrai, c’est sans espoir ; il vaut mieux trouver d’autres causes à défendre » [59]. Aujourd’hui, les anciens ouvriers rencontrés ont le sentiment qu’un accord a été passé entre l’autorité camerounaise et l’opérateur chinois pour bloquer le processus d’indemnisation en dépit des taux fixés par l’inspecteur du travail. À chaque convocation par les autorités administratives de Bertoua, les responsables d’edc et de cwe semblaient s’arranger pour ne pas être présents au même moment [60], ce que les ouvriers perçoivent comme étant un stratagème pour les décourager.

61 Dans tous les cas, l’existence d’une alliance — qu’elle soit implicite ou explicite — entre l’edc et la cwe pour construire le barrage au plus vite en minimisant les coûts permet de dépasser la seule explication raciale des conflits sur le chantier de Lom Pangar où s’opposeraient les « gentils » Camerounais aux « méchants » Chinois. « Dès lors, la gestion des grands chantiers s’inscrit dans une longue tradition de décharge et de privatisation du pouvoir sur laquelle se sont construits les États africains dès l’époque coloniale » (Peclard et al. 2020).


L’organisation raciale des chantiers chinois : une responsabilité partagée

62 Les fréquentes grèves qui apparaissent dans les chantiers chinois au Cameroun sont souvent comprises comme étant la conséquence de conditions de travail particulièrement difficiles. Dans cet article, nous avons montré que, si les conditions de travail et de vie sont certes rudes, c’est surtout l’importance de la main-d’œuvre expatriée chinoise qui renforce une division raciale du travail sur ces chantiers. Tous les postes à responsabilité, même de moindre importance, étant occupés par des salariés chinois, seuls les manœuvres et quelques techniciens sont engagés localement. Dès lors, quelle que soit la formation ou l’expérience du travailleur camerounais recruté, il est assigné au même type de travail et obtient le même type de salaire et de prestations sociales. Cantonnés à des emplois subalternes, les employés camerounais sont soumis à l’encadrement chinois sans avoir même l’espoir d’une progression.

63 Une conséquence de l’éloignement du site de Lom Pangar a été la construction de deux camps distincts et de standing très différents. Dans le camp construit pour les Camerounais, les baraquements étaient rudimentaires, la nourriture de mauvaise qualité et le dispensaire de santé inexistant, alors qu’à quelques centaines de mètres, le camp réservé au personnel chinois disposait de logements en dur, de douches, d’une infirmerie et d’un accès à internet. Ces inégalités de prestations ne pouvaient pas être interprétées par les Camerounais autrement que selon une logique racialisante. Comprenant qu’ils étaient considérés « comme des sous-hommes », ils ont développé une aversion envers leurs collègues chinois, aversion renforcée par l’organisation très hiérarchique et autoritaire du travail.

64 L’entreprise chinoise n’est évidemment pas à considérer comme la seule fautive. Le gouvernement camerounais a accepté l’offre de la cwe alors que rien dans l’origine des financements du chantier ne l’y obligeait [61]. Celui-ci a choisi de privilégier un moindre coût de construction, alors que d’autres choix, comme celui de valoriser les compétences locales ou de privilégier le transfert de technologies, auraient été possibles. On touche là aux limites du redéploiement d’un État planificateur au Cameroun qui ne se nourrit pas seulement d’un modèle fictionnel d’interventionnisme étatique asiatique (Hibou 2011), mais aussi des vieilles recettes néolibérales qui continuent d’être privilégiées par les organisations internationales dans le contexte post Consensus de Washington. L’objectif de la construction de nouvelles infrastructures dans le cadre des grands travaux n’est pas d’accroître des compétences locales et encore moins un développement endogène, mais de fournir les conditions au développement de l’économie privée.

Notes

  • [1]
  • [2]
    Ibid.
  • [3]
    L’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) a été lancée lors du Sommet du G7 à Lyon en 1996 puis renforcée lors du G8 de Cologne en 1999. Elle définit un cadre global dans lequel les créanciers multilatéraux et bilatéraux procèdent de manière coordonnée à des allégements de dettes en faveur des pays pauvres qui appliquent des programmes d’ajustement et de réformes. Elle a pour objectif de rétablir la solvabilité de ces pays.
  • [4]
    Commission économique pour l’Afrique, L’Afrique 2011. Gérer le développement : Le rôle de l’État dans la transformation économique, Addis-Abeba, 2011.
  • [5]
    Des chiffres similaires sont disponibles sur le site de la Banque mondiale (World Development Indicators, <https://datacatalog.worldbank.org/>).
  • [6]
    République du Cameroun, Document de stratégie pour la croissance et l’emploi. Cadre de référence de l’action gouvernementale pour la période 2010-2020, Yaoundé, août 2009.
  • [7]
    Ministère de l’Économie, du Plan et de l’Aménagement du territoire (Minepat) : « Coopération Cameroun-Chine », 2018 (document interne non publié).
  • [8]
    Entretien avec Alain, 31 ans, soudeur, Yaoundé, 17 juin 2019.
  • [9]
    République du Cameroun, Document de stratégie pour la croissance et l’emploi. Cadre de référence de l’action gouvernementale pour la période 2010-2020, op. cit.
  • [10]
    Entretien avec David, 20 ans, manœuvre, Yaoundé, juin 2019.
  • [11]
    Entretiens avec deux cadres administratifs à Bertoua et à Belabo, décembre 2020.
  • [12]
    Entretien avec Brice, 31 ans, manœuvre, Yaoundé, novembre 2019.
  • [13]
    Entretien avec Tadé, 43 ans, chauffeur de camion, Yaoundé, juin 2019.
  • [14]
    5e catégorie échelon B, pour un salaire de 594 FCFA de l’heure
  • [15]
    5e catégorie échelon C, pour un salaire de 630 FCFA de l’heure.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Entretien avec deux anciens ouvriers de Lom Pangar, Yaoundé, novembre 2019.
  • [18]
    Entretien avec Willy, 25 ans, gardien, Memve’ele, juillet 2018.
  • [19]
    Entretien avec Olivier, 26 ans, électricien, Yaoundé, octobre 2019.
  • [20]
    Entretien avec Moussa, 48 ans, chauffeur d’engins, Yaoundé, juin 2019.
  • [21]
    Entretien avec Yadé Tadé, 50 ans, conducteur de camion, Yaoundé, juin 2019.
  • [22]
    Une recherche récente sur les jeunes gardiens domestiques originaires du septentrion camerounais à Yaoundé a cependant montré comment ils parviennent à maintenir leurs salaires entre 60 000 et 70 000 FCFA (Amougou, Salla Bezanga & Oyane Ossah 2021).
  • [23]
    Entretien avec Sarah, cadre au ministère du Travail, Yaoundé, 27 août 2019.
  • [24]
    Entretien avec Olivier, 26 ans, électricien, Yaoundé, novembre 2019.
  • [25]
    Ibid.
  • [26]
    Entretien avec Alain, 31 ans, soudeur, Yaoundé, 17 juin 2019.
  • [27]
    Entretien avec Abass, 29 ans, électricien, Bertoua, novembre 2020.
  • [28]
    Entretien avec Olivier, 26 ans, électricien, Yaoundé, octobre 2019.
  • [29]
    Entretien avec Alain, 31 ans, soudeur, Yaoundé, 17 juin 2019.
  • [30]
    Entretien avec Olivier, 26 ans, électricien, Yaoundé, octobre 2019.
  • [31]
    Depuis l’instauration de la République populaire de Chine en 1949, le régime a cherché à unifier les parlés régionaux ou provinciaux chinois en généralisant l’usage du putonghua (langue commune) ou mandarin notamment à travers sa généralisation dans le système éducatif. Aujourd’hui, même s’il existe encore plusieurs langues parlées régionalement, elles sont toutefois en net recul, résultat des différentes politiques publiques mises en œuvre, mais aussi de l’importance des migrations intérieures. Au Cameroun, les grandes entreprises de construction chinoises emploient du personnel venant de différentes provinces du pays et le putonghua est généralement utilisé à l’oral. Le système d’écriture du chinois fait que la langue écrite est identique.
  • [32]
    Entretien avec Ghislain, 37 ans, ingénieur, Yaoundé, 5 août 2018.
  • [33]
    Entretien avec Louis, 28 ans, ouvrier, Yaoundé, juin 2019.
  • [34]
    Entretien avec Olivier, 26 ans, électricien, Yaoundé, novembre 2019.
  • [35]
    Entretien avec Paul, 33 ans, manœuvre, Lom Pangar, décembre 2020
  • [36]
    La langue utilisée sur les chantiers entre Chinois et Camerounais est un français très simplifié et accompagné de gestes.
  • [37]
    « Pas connais » (« je ne connais pas ») signifie « je ne sais pas faire telle ou telle tâche ».
  • [38]
    Entretien avec Joseph, 32 ans, manœuvre, Belabo, décembre 2020.
  • [39]
    Entretien avec Olivier, 26 ans, électricien, Yaoundé, novembre 2019.
  • [40]
    Entretien avec Tadé, Yaoundé, juin 2019.
  • [41]
    Entretien avec Alain, 31 ans, soudeur à Lom Pangar, Yaoundé, 17 juin 2019.
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    Ibid.
  • [44]
    Entretien avec Trésor, 27 ans, conducteur d’engins, Bertoua, novembre 2020.
  • [45]
    Ce terme de « sous-homme » est revenu dans plusieurs de nos entretiens.
  • [46]
    Entretien avec Christophe, 36 ans, électricien technicien à Lom Pangar, Bertoua, décembre 2020.
  • [47]
    Ibid.
  • [48]
    Entretien avec Bertrand, ouvrier, Memve’Ele, 10 juillet 2018.
  • [49]
    Entretien avec Ghislain, ouvrier, Lom Pangar, 5 août 2018.
  • [50]
    L’ouvrage de J. Monson (2009) revient en détail sur cette épopée. Voir aussi Yan Jirong, « Tanzanjielu, Zhongfeiguanxide fengbei », Renmin Ribao, 24 juillet 2015,
    <http://paper.people.com.cn/rmrb/html/2015-07/24/nw.D110000renmrb_20150724_3-03.htm> (consulté le 10 décembre 2016).
  • [51]
    Entretien avec Olivier, Yaoundé, 30 mai 2019.
  • [52]
    Pour préserver l’anonymat de ces personnes responsables dans l’administration locale — préfecture ou sous-préfecture proche d’un des grands chantiers —, nous ne précisons ni leur nom, ni leur fonction, ni le lieu de leur activité.
  • [53]
    Entretien sous anonymat, juillet 2018.
  • [54]
    Entretien avec Olivier, 26 ans, électricien, Yaoundé, 30 mai 2019.
  • [55]
    Entretien sous anonymat, juillet 2018.
  • [56]
    Ibid.
  • [57]
    Entretien avec Olivier, Yaoundé, 30 mai 2019.
  • [58]
    Entretien avec René, 30 ans, manœuvre, Bertoua, novembre 2020.
  • [59]
    Message d’Olivier sur WhatsApp, 9 octobre 2019.
  • [60]
    Entretien avec Olivier, Yaoundé, mai 2019.
  • [61]
    Lorsque les financements d’un projet sont chinois, le gouvernement a en effet l’obligation contractuelle de faire appel à une entreprise chinoise.
Français

Au Cameroun, les « grands chantiers de l’émergence » servent à consolider le régime du président Paul Biya, mais représentent également de nouvelles opportunités d’emplois salariés sous contrat dans un pays marqué par leur rareté. En s’appuyant sur les récits d’ouvriers camerounais du barrage de Lom Pangar, cet article rend compte de la tension entre les avantages d’un emploi salarié et stable et la réalité du travail dans cette enclave chinoise caractérisée par des conditions de travail difficiles, des salaires bas et le maintien d’une grande précarité de l’emploi. Cette tension est renforcée par une organisation « raciale » du travail. Ainsi, quelle que soit la fonction des employés camerounais (manœuvres, conducteurs de machine, techniciens ou encore ingénieurs), ils sont toujours en position d’infériorité face aux employés chinois. Comme, dans les chantiers des entreprises chinoises au Cameroun, le nombre de travailleurs expatriés est beaucoup plus important qu’au sein des entreprises étrangères opérant dans le même secteur, chaque employé camerounais ou presque est sous les ordres directs d’un chef chinois. Dès lors, si les grèves dénoncent les conditions de vie et de travail sur le site, les récits que nous avons récoltés reviennent souvent sur les conflits, les bagarres et les frustrations engendrés par cette organisation raciale du travail.

  • travail
  • construction
  • Cameroun
  • barrage de Lom Pangar
  • conditions de travail
  • entreprises chinoises
  • grève
  • stratégie d’émergence
    • Amougou G., Salla Bezanga E. V. & Oyane Ossah V., 2021, « De l’assujettissement à la subjectivation : parcours de jeunes gardiens domestiques originaires de la région de l’Extrême-Nord à Yaoundé », Revue internationale des études du développement, 246 : 181-206, <https://doi.org/10.3917/ried.246.0181>.
    • Bayart J.-F., 1989, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard.
    • En ligneBazin L., 1996, « Une entreprise en noir et blanc : pouvoir et assignations identitaires », Journal des anthropologues, 66-67 : 41-58.
    • En ligneBennani-Chraïbi M. & Fillieule O. (dir.), 2003, Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, Presses de Sciences Po (« Académique »).
    • En ligneBurawoy M., 2014, « The Colour of Class Revisited : Four Decades of Postcolonialism in Zambia », Journal of Southern African Studies, 40 (5) : 961-979.
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Gérard Amougou
Centre d’études et de recherche en dynamiques administratives et politiques (Cerdap), Université de Yaoundé 2, Cameroun
Antoine Kernen
Capitalismes, cultures et sociétés (Laccus), Université de Lausanne, Suisse
Fabien Nkot
Centre d’études et de recherche en dynamiques administratives et politiques (Cerdap), Université de Yaoundé 2, Cameroun
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Mis en ligne sur Cairn.info le 13/06/2022
https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.36395
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