CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Dans les sciences sociales qui s’intéressent à la place de l’économie dans la société, Karl Polanyi est sans doute aujourd’hui l’un des auteurs les plus cités et les moins compris [2]. Son analyse de l’effondrement, au cours des années trente, des démocraties européennes, sous le coup d’un délitement du tissu social produit par le principe du marché autorégulateur demeure comme un exemple unique d’épistémologie critique et de philosophie sociale fondée sur l’histoire. Soixante ans plus tard, La grande transformation (1944) est encore, explicitement ou implicitement, au cœur du débat sur les liens entre libéralisme, marchandisation du monde et totalitarisme nationaliste, religieux ou fasciste. Cet ouvrage fondateur, et ses thèses ailleurs reprises et développées (Polanyi, 1977), est pourtant tout sauf simple, clair, univoque (Dumont, 1983). On ne peut le lire sans un sentiment de vertige devant les perspectives ouvertes, mais aussi sans regretter l’absence de réelle synthèse qui le caractérise. Que dit exactement Polanyi ? Beaucoup de choses, saisissantes souvent, et parfois contradictoires. On comprend aisément que cet ouvrage ait donné lieu à commentaires et interprétations [3]. La présente contribution se propose, modestement, de clarifier les apports de la définition de l’économie que propose Polanyi pour définir un terrain commun aux hétérodoxies institutionnalistes [4]. Karl Polanyi constitue déjà, en France, un point d’appui important pour les courants de sociologie économique qui se revendiquent de l’économie sociale et solidaire (Caillé, 2005 ; Laville, 1994). Mais, s’agissant des sciences économiques – domaine auquel se restreint notre contribution –, les interventions se réclamant de Karl Polanyi ont du mal à se faire entendre en dehors des murs de l’histoire économique, de l’histoire de la pensée et de l’épistémologie. Or, l’œuvre de Polanyi constitue une ressource théorique légitime pour intervenir de façon critique au cœur même du paradigme dominant. Il nous semble en effet possible de lire Polanyi à travers le prisme d’un questionnement sur la rationalité individuelle comme en témoigne d’une certaine manière cette appréciation finale de Polanyi lui-même :

2

"La véritable critique que l’on peut faire à l’économie de marché n’est pas qu’elle était fondée sur l’économique - en un sens toute société quelle qu’elle soit doit être fondée sur lui - mais que son économie était fondée sur l’intérêt personnel. Une telle organisation de la vie économique est complètement non naturelle (…)."
(Polanyi, 1983, p. 320)

3Notre article se propose d’une certaine manière de commenter et tirer toutes les conséquences de cette remarque qui met en accusation la confusion de l’économique et du rationnel. Ainsi, derrière la critique du libéralisme et de l’économisme contemporain apparaît un plaidoyer pour le dépassement de la représentation de l’acteur économique uniquement sous l’angle de sa rationalité instrumentale. Un dépassement dont le sens reste cependant ambigu. En effet, faut-il concevoir la critique polanyienne depuis une conception naturaliste de l’acteur économique comme le suggère l’expression "non naturelle" ? Faut-il au contraire la concevoir depuis une conception institutionnaliste précisément soumise à l’exigence d’une position antinaturaliste ? Il convient de trancher cette ambigüité, pour poser, avec Polanyi, les jalons d’une économie de la raison pratique, fondement d’une science économique réintroduite à l’intérieur des sciences sociales (et non pas intégrée aux sciences naturelles…).

4Pour défendre cette idée, nous proposons, de restituer la séquence critique de Polanyi de la manière suivante : (1) Polanyi met en évidence l’ambigüité du terme "économique" en ce qu’il recouvre deux réalités, formelle et substantive, différentes. (2) Il rejette l’approche formelle comme étant coextensive au mythe d’un marché autorégulateur se réduisant au triptyque "marché-rareté-rationalité". (3) Il tente de lui substituer un autre triptyque, conçu comme universel, le triptyque "nature-besoin-institution". Or, si l’on suit Polanyi dans le fil de sa critique décisive de l’économisme [5] inhérent au premier triptyque – que nous appellerons "économisme de niveau 1" –, on a plus de réticence à accepter telle quelle sa solution de substitution, mélange hétérogène de naturalisme et institutionnalisme, d’essentialisme et d’historicisme – que nous appellerons "économisme de niveau 2". Sans doute, pour faire aujourd’hui usage théorique de Polanyi, il faut être plus polanyien que lui, et rompre définitivement avec tout naturalisme pour affirmer la spécificité socio-historique de l’objet d’une science économique, désormais pleinement réintroduite à l’intérieur des sciences sociales.

1 – L’ambiguïté de l’économique

5C’est dans le chapitre 13 de l’ouvrage collectif de K. Polanyi, C.M. Arensberg et H.W. Pearson (1957) [6] que Polanyi (1957a, p. 241-245) présente et oppose le double sens, formel et substantif de l’économique, véritable malentendu épistémologique qui sous-tend selon lui la domination et l’extension contemporaine du discours économiste, en théorie et en pratique [7]. Il y revient longuement dans "The economic fallacy", premier chapitre de The livelihood of Man[8], un texte peu commenté en langue française comme le souligne Alain Caillé (2005). Nous appuierons donc dans un premier temps sur une analyse de ce texte, lequel clarifie selon nous définitivement la notion d’économie :

6

"Toute tentative d’appréciation de la place de l’économie dans une société devrait partir du simple constat que le terme "économique" que l’on utilise couramment pour désigner un certain type d’activité humaine, est un composé de sens distincts. (…) Le premier sens, le sens formel, provient du caractère logique de la relation des moyens aux fins, comme dans les termes "economizing" ou "economical"[9] ; la définition économique par rareté provient de ce sens formel. Le second sens, ou sens substantif, ne fait que souligner ce fait élémentaire que les hommes, tout comme les autres êtres vivants, ne peuvent vivre un certain temps sans un environnement naturel qui leur fournit leur moyen de subsistance ; on trouve ici l’origine de la définition substantive de l’ "économique". Ces deux sens, le sens formel et le sens substantif, n’ont rien de commun".
(Polanyi, 1986, p. 20)

1.1 – Définition substantive versus définition formelle

7Communément, et avant même la constitution du discours de connaissance du même nom, l’économie s’est ainsi toujours entendue en deux sens différents, mais qui ne sont pas de même niveau d’analyse. En un premier sens, dit "substantif" (ou encore parfois appelé "matériel"), l’économie désigne un certain domaine de la vie sociale en général, un ensemble circonscrit de pratiques, de règles et d’institutions dont l’objet est la production, la distribution et la consommation de ressources, biens ou services, nécessaires à la vie individuelle et collective. Certes, cet ensemble de pratiques peut recevoir un contenu variable, être différemment valorisé selon les époques et les sociétés, et différemment organisé suivant les rapports sociaux qui la structurent et le niveau technique qui en commande la productivité. Mais le point essentiel est que, dans l’histoire des hommes, aucune formation sociale ne saurait se concevoir sans économie [10]. Il y là quelque chose de "naturel" – ou plus précisément de transhistorique – que Karl Polanyi définit de la façon suivante pour marquer la finitude de la condition humaine toujours vécue comme pluralité organisée et coexistant dans un substrat naturel:

8

"(…) le sens substantif provient de ce que l’homme est manifestement dépendant de la nature et des autres hommes pour son existence matérielle. Il subsiste en vertu d’une interaction institutionnalisée entre lui-même et son environnement naturel. Ce procès est l’économie ; elle lui offre les moyens de satisfaire ses besoins matériels. (…) "Économique" ne signifie rien d’autre que "contenant une référence au procès de satisfaction de besoins matériels". Étudier l’existence matérielle de l’homme, c’est étudier l’économie dans son sens substantif, c’est ce sens que nous attribuons au terme "économique" tout au long de ce livre".
(Polanyi, 1986, p. 21)

9Nous aurons à revenir plus loin sur le contenu, naturel et institutionnel, de cette définition. Pour l’heure, contentons-nous de marquer la différence avec l’autre définition de l’économie pour Karl Polanyi. En un second sens, dit "formel", l’économie ne désigne plus une sphère incontournable de toute vie sociale mais qualifie une certaine disposition de l’esprit humain, disposition que l’on repère communément en disant de quelqu’un qu’il est "économe". Si ce déplacement de perspective en soi n’est en rien illégitime, la confusion des perspectives, en revanche, l’est assurément. Tout le travail critique de Karl Polanyi peut être vu comme l’explicitation de cette confusion de perspectives. L’économicité désigne un calcul portant, à fin donnée, sur l’utilisation la plus efficace des moyens disponibles dans un contexte de rareté, contexte hors duquel il n’y aurait pas le moindre sens à vouloir être économe. Être économe, c’est ainsi vouloir, pour le dire vite, le plus par le moins, et ce en mesurant au plus juste la dépense de moyens, qu’elle s’exprime en temps, en effort ou bien encore, suivant des figures moins concrètes et plus occidentales, en argent. Ainsi,

10

"le sens formel [du mot économie] a une origine entièrement différente. Provenant de la relation des moyens aux fins, il est un universel dont les référents ne sont restreints à aucun champ particulier d’intérêts humains. Les logiques ou mathématiques de ce type sont appelées "formelles" pour contraster avec les champs particuliers auxquels elles sont appliquées. Un tel sens sous-entend le verbe "maximiser", ou encore – moins techniquement, encore que le plus précisément possible – "faire du mieux avec ses propres moyens".
(Polanyi, 1986, p. 21)

11Certes, l’économie, au premier sens du terme, ne peut se passer d’économes : on imagine mal la viabilité d’une société dont la sphère économique serait organisée autour d’un infini gaspillage [11]. Mais cette seconde définition comporte intrinsèquement un danger d’extraversion qui fait que sa perspective est à la fois différente et plus large que la première : l’économicité est, en effet, une disposition psychique qui peut a priori objectiver n’importe quoi, et pas seulement les ressources nécessaires à la vie, quel qu’en soit du reste le contenu historiquement variable. N’importe quelle activité humaine, quelles que soient sa "substance" et son épaisseur historique, peut être saisie sous un point de vue "économique", décomposée en fin(s) et moyen(s) et rationalisée quant à l’usage des moyens sous la forme réductrice d’une rationalité instrumentale intemporelle (Berthoud, 1994). L’économie comme type de connaissance a vu dans cette perspective praxéologique universelle le moyen de se constituer en véritable Science Économique :

12

"La reconnaissance de la double origine du terme "économique" n’est en aucun cas nouvelle. On peut même affirmer que, dans les années 1870, la théorie néoclassique s’est construite à partir de cette distinction entre la définition de l’économique par la rareté et la définition substantive".
(Polanyi, 1986, p. 23)

13Sans développer plus avant les conséquences de ces deux définitions, arrêtons-nous sur notre questionnement de départ. Peut-on faire l’hypothèse que cette distinction des deux définitions de l’économie nous permet de produire un éclairage nouveau sur les fondements de l’opposition orthodoxie/hétérodoxies qui traverse les sciences économiques ? Il semble en effet possible de classer l’Économie politique classique d’hier (Smith, Ricardo, et Marx) ainsi que les hétérodoxies keynésiennes, institutionnalistes ou marxistes d’aujourd’hui, du côté d’une conception substantive et historique (Postel, 2007). A l’inverse, la théorie néoclassique dominante depuis son ambitieux noyau dur, l’Équilibre général de Walras-Arrow-Debreu, jusqu’aux avatars récents de la théorie des contrats (Brousseau, 1993), se verrait toute entière rangée du côté de la définition formelle et anhistorique telle que la définit par exemple Lionel Robbins (1935) [12]. L’analyse des tenants et des aboutissants de cette distinction chez Polanyi devrait permettre de clarifier les enjeux de cette partition, notamment s’agissant des hétérodoxies d’aujourd’hui.

1.2 – L’économisme de niveau 1

14La distinction que nous venons d’exposer est extrêmement et doublement précieuse. D’abord, pour peu qu’elle soit mobilisée et assumée jusqu’au bout, elle manifeste un pouvoir critique très important. Elle permet en effet de mettre en évidence l’économisme dont fait preuve le courant dominant dans les sciences économiques, comme l’a très bien analysé l’anthropologue Gérald Berthoud (1986a ; 1986b) et comme le rappelle plus récemment le sociologue Alain Caillé (2005, pp. 207-232). Définir l’économique par l’économicité entraine, qu’on le veuille ou non, une visée totalisante. Dès lors qu’on la mobilise rigoureusement, cette entrée est en effet exclusive de toute autre et s’affirme comme un mode d’explication, complet et autonome, de n’importe quelle pratique humaine en tout lieu et en tout temps. Cette entrée ambitionne de ne laisser aucun résidu inexpliqué [13]. Au mieux, les autres sciences sociales sont utiles pour décrire, chacune à leur manière, le contexte social-historique des pratiques en question – rien de plus. Or, cette visée n’est pas aussi neutre qu’elle le laisse entendre et tout le propos critique de Polanyi est de montrer, précisément, qu’elle tient son efficacité d’avoir partie liée avec un certain fonctionnement social-historique de l’économie – au sens substantiel du terme –, à savoir celui du principe de marché autorégulateur. Ce que critique Polanyi, c’est une forme d’illusion d’universalité : dès lors qu’on la recontextualise sous la perspective historique de l’extension de la logique marchande, la pertinence de l’analyse par l’économicité comme définition générale de l’économique tombe [14].

15Ensuite et sur un plan positif, la distinction polanyienne, en libérant l’économie du joug de l’économicité, ouvre un espace théorique nouveau. Elle permet de donner des fondements théoriques solides, mais non ésotériques [15], à l’analyse des pratiques économiques concrètes qui caractérise, pensons-nous, l’hétérodoxie. Nous proposons d’appeler "Économisme de niveau 1" la réduction de l’économique à l’économie formelle qui procède d’une confusion entre la définition de l’économie et le fonctionnement particulier d’un système économique. On doit à Karl Polanyi l’analyse la plus fine des tenants et aboutissants de cette confusion. La force de sa démonstration tient au point de vue substantif et réaliste qui constitue son camp de base : on ne peut ériger en conceptualisation à vocation universelle ce qui n’est que l’effet contingent d’un fonctionnement socio-historiquement déterminé de l’économique.

2 – L’apport critique de Karl Polanyi : le rejet de l’économisme de niveau 1

16Les analyses de Polanyi n’ont pas mis fin aux controverses autour de la théorie de l’équilibre général – que de toute évidence il ne connaissait pas – ni même entravé la conquête des esprits par la théorie néoclassique. Pourtant, et pour le dire de façon ramassée : comment accepter encore de se ranger sous la définition formelle-néoclassique de l’économie après Polanyi ? Sa critique est en effet difficile à dépasser en ce qu’elle allie de manière convaincante arguments historiques et épistémologiques en replaçant la construction du dogme néoclassique – mot qu’il n’emploie jamais, comme Keynes – dans le contexte de la révolution industrielle et de l’émergence du marché autorégulateur. Son schéma critique est le suivant : l’économie s’autonomise en prenant comme objet, et en popularisant au niveau des représentations de la vie économique concrète, le principe de marché. Ce principe une fois solidement en place – en théorie et en pratique –, les concepts fondamentaux de rareté et de rationalité peuvent alors être reconnus par le regard occidental comme spécifiant le problème universel de l’être humain lorsqu’il cherche à satisfaire ses besoins et, partant, constituer assez "naturellement" le fondement d’une science économique autonome vis-à-vis des contextes sociaux-historiques [16]. Pourtant, force est de constater que le marché autorégulateur n’est qu’un mythe, qui plus est dévastateur, et dès lors le triptyque "marché-rareté-rationalité" s’effondre.

2.1 – La critique du constructivisme de l’économie classique

17L’analyse que Polanyi, dans La grande transformation, propose du principe de marché autorégulateur est bien connue et discutée (Servet, Maucourant, Tiran, 1998). Qu’il suffise simplement ici d’en rappeler quelques éléments. L’État prend une part déterminante dans l’unification de l’espace économique sous l’ère mercantiliste et construit, ce faisant, un espace marchand. La mécanisation de la production, dans le fil de la recherche d’une certaine compétitivité internationale, implique l’immobilisation de capitaux importants sur le long terme. Cette immobilisation nécessite un constant approvisionnement des entreprises en matières premières (travail, terre) et en capitaux (monnaie). Cette constance, nous dit Polanyi, n’est pas "naturelle" : il faut la produire. Il faut ainsi que le travail, la terre, la monnaie, deviennent des marchandises, disponibles, marchandises dont le prix est géré par… un mécanisme de marché. Comme toute marchandise [17], ces trois éléments fondamentaux de la production doivent être disponibles en permanence, l’évolution de leur prix fournissant l’information nécessaire pour déterminer l’échelle à laquelle ils doivent être produits. Il s’agit bien sûr d’un mythe – aucun de ces éléments fondamentaux de la production ne sont, au sens propre, des marchandises – mais d’un mythe qui tend à organiser le fonctionnement des économies occidentales du 19ème. Le marché autorégulateur ainsi construit repose sur une séparation entre deux ordres, le "politique" (ou plus précisément le "politico-étatique") et l’économique. Ce dernier ordre s’autonomise, et nécessite la mise en place d’une "société de marché" organisée de telle sorte que les marchandises "fictives" aient, malgré tout, toutes les apparences des véritables marchandises.

18L’économie classique découvre ce système et lui cherche une assise naturelle. Que cette assise soit celle du penchant naturel de l’être humain pour l’échange et la poursuite de son intérêt, qu’elle aille se loger dans une théorie de la valeur-travail comme lien entre les prix de marché et la valeur "véritable" des produits, ou apparaisse à travers les "lois de population" de Malthus qui seront au fondement de la "loi d’Airain" des salaires de Ricardo, est une distinction secondaire à ce niveau de problématisation. Reste ceci : les premiers économistes appuient et défendent le marché contre les agissements de l’État en matière d’organisation de la production. Ils sont libéraux car ils sont naturalistes. Ils considèrent, comme le souligne l’étude magistrale de Foucault, le marché comme une "instance de véridiction" (Foucault, 2004, p. 35). Pour cette raison, ils participent à la construction d’un espace économique conforme à la théorie qu’ils ont construite, et dissimulent, consciemment ou non, ce double constructivisme sous l’argument naturaliste.

19Cette première confusion en entraîne d’autres. Car avec le principe "naturel" de marché, les Classiques découvrent aussi le problème "naturel" de la rareté …et sa solution "naturelle" à savoir la capacité des êtres humains à poursuivre rationnellement leur propre intérêt. Envisageons d’abord la question de la rareté. Polanyi souligne, tout comme Salhins (1976), que la rareté n’est que l’autre face des désirs infinis de consommation que suscite le marché. La rareté devient ainsi un terme fallacieux pour désigner un phénomène évidemment réel : à un moment donné des techniques et des forces productives, la capacité de production est toujours bornée, tandis que la poursuite de nos désirs ne l’est pas. C’est donc l’ouverture de cette infinité, réalisée par le marché, qui installe le principe du surplus, de la croissance et de l’accaparement comme principe organisateur de la société. Appeler cela "problème de la rareté" n’est qu’un moyen de recouvrir d’un vernis naturel le problème de la "mauvaise chrématistique" [18]. De cette rareté et du contexte marchand naît la nécessité du calcul et de l’exercice d’une rationalité instrumentale en vue d’accaparer un maximum de biens (et non pas un minimum nécessaire comme pourrait le suggérer l’emploi du terme rareté). L’exercice de la recherche égoïste de son bien-être à travers la captation d’une part maximale de la production marchande devient alors le mode de comportement "naturel" de l’individu. Homo oeconomicus est donc un sous-produit du couple marché-rareté. Marché-rareté-rationalité forment le triptyque de l’approche "formelle".

20Ce triptyque n’est bien sûr pas uniquement de nature épistémologique. En s’impliquant politiquement dans la construction du marché, l’économie classique produit son propre objet, conforme la société à ce qu’elle croit être la nature humaine, et construit dans les faits une société obsédée par l’accumulation contre la rareté et par le calcul rationnel. D’une certaine manière, Polanyi suit ainsi Marcel Mauss (1924) annonçant que "homo oeconomicus est devant nous". Il est devant les Classiques et devant nous car le discours économique, où cet homo oeconomicus trouve naissance, précède et suscite son apparition effective dans la société.

2.2 – Après le mythe, une science sans objet identifié

21L’idée-force bien connue et très commentée de La grande transformation consiste à démontrer que le principe du marché autorégulateur et de la marchandisation du social est un mythe. Un mythe qui guide certains réformateurs politiques et modifie ainsi profondément la réalité de la société du 19ème – et devrait-on ajouter de ce début de 21ème. Mais un mythe, par définition, condamné à l’échec. Or, la démonstration polanyienne du caractère mythique du principe de marché autorégulateur est d’une certaine manière incomplète, parce ce qu’elle n’est qu’empirique.

22La preuve historique du caractère illusoire d’une société de marché est, pour Polanyi, son effondrement dans les années trente. C’est l’objet de la démonstration que Polanyi mène le premier, et de manière magistrale. Mais on ne saurait démontrer "empiriquement" la faillibilité "logique" d’une théorie. Il est toujours possible en effet de défendre que les contingences historiques ont rendu temporairement impossible un projet théoriquement viable. Or la démonstration théorique, elle, ne se trouve pas explicitement chez Polanyi. Polanyi parvient à établir, à partir de l’histoire et de l’anthropologie comparative, qu’une société de marché est une exception. Mais il n’entreprend pas de démontrer que la figure même de l’homo oeconomicus est asocial et ne peut être "contenue" dans aucune société parce qu’il travaille précisément contre toute idée de collectif, ruinant en cela la possibilité logique d’existence d’une "société de marché". Cette démonstration, nous la devons aux théoriciens néoclassiques conséquents et en particulier à Kenneth J. Arrow.

23Pendant et après que Polanyi eut cherché à démontrer l’illusion d’une organisation économique reposant sur une société d’homo oeconomicus, les économistes néoclassiques ont en effet cherché à démontrer la possibilité d’une économie autonome reposant, précisément, sur cet homo oeconomicus. Et ils ont échoué [19]. La théorie de l’équilibre général a démontré que l’équilibre général était formellement pensable et qu’il serait alors efficace au sens de Pareto (Arrow, 1951 ; Arrow, Debreu, 1954). Elle a aussi, et peut-être surtout, montré que l’on ne pouvait rien dire de son caractère effectif (Sonnenschein, 1973) et de sa nature socialement souhaitable (Arrow, 1963). Cet échec, retentissant et pourtant silencieux, a clos les recherches sur la théorie de l’équilibre général de marché. Mais il n’a pas clos les recherches menées à partir de l’outillage que les néoclassiques avaient forgé pour cet objectif, bien au contraire.

24Ainsi Arrow, le premier, a cherché à comprendre ce qu’il pouvait en être du comportement d’un individu instrumentalement rationnel en dehors d’un univers walrassien. Que se produit-il lorsque le système de marché est incomplet (en raison de l’absence de marché futur) ? Que se produit-il lorsque le bien échangé est imparfaitement défini (problème de l’organisation du système de soin ou encore des "lemons" d’Akerloff (1970)) ? Que se produit-il lorsque la relation marchande doit s’inscrire dans la durée (problème de l’organisation de la production, repris ensuite par Williamson (1975, 1985)) ? A toutes ces questions, la réponse apportée par Arrow est claire : l’accord entre les homo oeconomicus est rendu impossible par l’absence de confiance mutuelle. Cette confiance nécessaire à l’échange doit être rendue possible par des règles et normes sociales extérieures à l’interaction. Ces règles peuvent être "des normes morales" partagées ou encore des "règles coercitives" (comme dans la perspective hobbienne) fondées sur une relation d’autorité [20]. Le testament théorique d’Arrow est donc clair : "la rationalité nécessite des conditions d’exercice qui sont très rarement réunies" (Arrow, 1986, p. 43) ou encore, dans un autre texte : "du point de vue de l’efficience comme du point de vue de la justice distributive, il faut quelque chose de plus que le marché" (Arrow, 1974, p. 24). Autrement dit, les recherches menées à partir de l’hypothèse standard de rationalité appliquée en dehors du marché walrassien (marché à ce point spécifique qu’il ne comporte, rappelons-le, aucun échange direct entre acteur…) attestent de l’incapacité d’homo oeconomicus à prendre lui-même en charge la question de la coordination, y compris dans le cadre d’un échange marchand.

25Ces analyses néoclassiques des limites de la rationalité instrumentale – que l’on peut tout aussi bien repérer en théorie des jeux – ont donné lieu à deux types de développement. Le premier consiste à prendre acte de ces limites et à prendre en compte les règles et normes, c’est la stratégie que nous qualifierons d’institutionnaliste, qui est selon nous au centre de l’hétérodoxie, et que nous étudions dans la partie suivante. La seconde stratégie, cohérente dans son acharnement, consiste à maintenir coûte que coûte cette hypothèse comme principe unique d’analyse quitte à augmenter encore les capacités calculatoires et manipulatrices des individus et à proposer une représentation du monde où seul le comportement stratégique peut exister, envers et contre toutes les évidences empiriques du contraire. C’est la stratégie de la théorie standard étendue (modèle principal agent, théorie des contrats, etc.…) parfaitement conforme à la définition formelle de l’économie, telle qu’exprimée par Polanyi. Elle nous fait paraître de plus en plus nettement à quel point cette définition, une fois sortie de la perspective de l’équilibre général ou du mythe du marché autorégulateur, ne peut en aucun cas nous servir de boussole. La théorie standard à travers ses extensions récentes a vocation à traiter en effet :

  • De tous les comportements rationalisables, même extra économiques (le mariage, le choix de faire des enfants et de les éduquer, le vote, la construction de relations amicales). Or quel comportement ne peut être après coup rationalisé, pour peu que l’on produise les hypothèses adéquates [21]?
  • Mais pas de tous les phénomènes économiques, puisque certains ne peuvent pas être retranscrits comme étant l’effet de choix rationnels (par exemple : l’action collective, la coopération, la consommation éthique, l’amour du travail bien fait, l’économie solidaire, la protection sociale fondée sur des cotisations solidaires, le don/contre-don, l’évolution des règles collectives, …)
La question ne laisse de se poser : une définition du champ de la science économique qui conduit les économistes à laisser de côté des pans entiers de la vie économique tout en s’aventurant à traiter de phénomènes non économiques, une telle définition est-elle vraiment rigoureuse ? N’est-ce pas là le signe, annoncé par Polanyi, d’une inadaptation profonde de la définition de l’économie formelle à ce que l’on attend du travail de l’économiste ? Nous suivons donc Polanyi, aujourd’hui davantage encore qu’hier, dans sa critique de l’approche formelle ; cette approche est, à la fois, ontologiquement illusoire (car le principe du marché autorégulateur est un mythe), politiquement orientée (car son assise suppose une organisation libérale de l’économie) et désormais épistémologiquement incomplète (depuis que la crise du paradigme de l’équilibre général a laissé orphelin les concepts de rareté et de rationalité qui en découlaient). Ce point est important puisqu’il légitime d’une certaine manière la recherche d’autres approches, hétérodoxes, de l’économie. Mais pour qu’un paradigme succède à un autre, il ne suffit pas que l’un soit en crise. Il faut aussi que l’autre se constitue avec un minimum d’unité. La définition substantielle de l’économie peut-elle servir un tel projet ?

3 – Apports et limites de la définition substantive de l’économie

26La définition "substantive" de l’économique par Polanyi, est très largement débattue dans le champ de l’anthropologie économique [22] mais l’est peu dans le champ des sciences économiques. Notre contribution prend donc le risque d’ouvrir un débat qu’elle ne pourra pas entièrement clore. De plus, nous cherchons à saisir le sens de la proposition polanyienne depuis les sciences économiques, et non depuis une position extérieure, ce qui ne nous permet pas de débuter notre analyse par une référence fouillée à la littérature anthropologique. Mais malgré ces deux obstacles, il nous semble utile et même urgent de tenter de critiquer la définition de Polanyi. Cette critique a en effet un enjeu essentiel : celui de pouvoir identifier, ou non, une définition commune de l’économique à même de fédérer les différentes approches dites "hétérodoxes" qui ne se reconnaissent pas dans la définition formelle. Notre ligne argumentaire est la suivante : pour rendre cette définition opératoire il faut être, finalement, plus institutionnaliste – ou plus polanyien ? – que Polanyi…

3.1 – L’économie substantive : "besoin-nature-institution"

27Karl Polanyi cherche, après La grande transformation, à élaborer une autre définition de l’économie, replacée dans le giron d’une science sociale réunifiée : "nous nous proposons essentiellement de déterminer le sens du terme "économique" de telle sorte qu’il puisse s’appliquer uniformément à toutes les sciences sociales" (Polanyi, 1957a, p. 239) [23]. Dans ce cadre il propose de rassembler les chercheurs en sciences sociales autour d’une définition de l’économie substantive : "qui tire son origine de la dépendance de l’homme par rapport à la nature" (ibid., p. 239), c’est-à-dire d’une sorte d’universel empirique de la condition humaine. Cet universel le conduit à une nouvelle définition de l’économie "substantive" comme "procès institutionnalisé d’interaction entre l’homme et son environnement qui se traduit par la fourniture continue des moyens matériels permettant la satisfaction des besoins" (ibid., p. 242).

28Le premier palier de cette définition est donc la nature. D’une certaine façon, Polanyi assume l’ancrage naturaliste de sa définition tout en soulignant cependant "qu’aucun concept purement naturaliste de l’économie ne peut concurrencer l’analyse économique dans l’explication des mécanismes dans lesquels l’homme assure son existence dans un système de marché" (ibid., p. 236). Polanyi sait bien que l’homme, dans les sociétés occidentales, n’est plus dans un rapport direct à la nature – à supposer qu’il l’ait un jour été - ni dans une économie de subsistance ; mais il cherche à faire apparaître ce cas particulier comme s’intégrant quand même dans une perspective générale, laquelle, assure-t-il, trouve son origine dans cette dialectique homme/nature. Cette assise est étrange, quand on a suivi en particulier avec quelle lucidité Polanyi rejette par ailleurs le naturalisme des Classiques et le concept de rareté comme fondement universel de l’économie (Berthoud, 1986a). C’est qu’au concept de rareté, Polanyi suggère de substituer celui de besoin, second stade de sa redéfinition. En effet, souligne-t-il : "à moins qu’un homme n’ait à manger, il doit mourir de faim, qu’il soit ou non rationnel" (Ibid., p. 236). Cette translation est cependant moins anodine qu’il n’y parait puisqu’elle déplace la contrainte d’où nait le problème économique depuis une perception subjective (le sentiment de rareté) jusqu’à un problème objectif (le besoin vital de nourriture). Cette translation, habile, permet à Polanyi d’identifier un universel humain qui ne soit pas un sous produit d’une époque, mais qui tienne à la condition humaine.

29Le troisième stade de sa définition est institutionnel. En effet "si ce procès économique se limitait à une interaction mécanique, biologique et psychologique des éléments, il ne posséderait pas de réalité globale. (…). D’où l’importance fondamentale de l’aspect institutionnel de l’économie" (Ibid., p. 244). L’institution est ainsi ce qui détermine ce qu’est l’économie dans un lieu et un temps donné. Contre la "robinsonnade" d’un homme seul face à la nature, Polanyi défend la thèse qu’il y a toujours institution sociale de l’ordre économique. En définitive, la nature n’est convoquée que pour souligner le caractère "universel" car indispensable d’une telle institution. Toute collectivité "produit" une structure institutionnelle pour organiser ses rapports matériels avec la nature : voilà pour Polanyi le fait économique fondamental. La définition substantive de l’économie est donc avant tout une définition sociale. Toutes les sociétés ont nécessairement leur part "économique" et celle-ci est toujours déjà "encastrée", insérée dans le social. C’est le point de départ des études d’anthropologie et d’histoire comparative (Garlan, 1973 ; Valensi, 1974) que propose Polanyi avec en particulier l’étude des deux grandes formes d’économie encastrée qu’il repère : la redistribution qui fonctionne selon le modèle social de la centralité, et la réciprocité qui fonctionne avec un modèle social fondé sur la symétrie [24]. On notera que le système de marché autorégulateur a pour caractéristique de n’être pas "encastré" mais au contraire de soumettre la société à une certaine forme de l’économique, et que c’est cette caractéristique qui rend ce modèle non viable. La "grande transformation", pour Polanyi, donne naissance à une économie de marché moderne qui est ré-encastrée et il convient précisément de comprendre comment.

30On peut tenter de présenter la définition substantive de l’économie à l’aide d’un triptyque ayant la prétention d’englober le triptyque formel. D’une certaine manière en effet Polanyi indique que la biologie humaine, la situation naturelle de l’homme, permet de faire émerger la notion universelle de besoin, puis celle d’institution permettant d’y faire face. Ainsi émerge le triptyque "nature-besoin-institution", le marché n’étant qu’une des institutions envisageables dans ce cadre. Une institution, qui plus est, "encastrée" dans la société – comme toute formule institutionnelle viable socialement selon Polanyi. Cette définition est forte de sa généralité : "Seul le sens substantif d’économique est capable de produire les concepts qu’exigent les sciences sociales pour analyser toutes les économies empiriques du passé et du présent" (Polanyi, 1957a, p. 239). Cette généralité est un progrès important pour l’analyse de l’économique dans les sciences sociales [25]. Mais pour autant est-elle véritablement satisfaisante ?

3.2 – "Nature-besoin-institution" : un économisme de niveau 2 ?

31Ce travail de redéfinition de l’économique est connu et commenté (Godelier, 1975 ; Berthoud, 1986a ; 1986b ; Caillé, 2005). Reste tout de même, selon nous, une interrogation qui tient au fait que Polanyi n’explicite aucunement les concepts d’institution et de besoin qu’il convoque dans son élaboration de la notion transhistorique d’économie substantive. On peut sans doute percevoir relativement bien ce que peut être une institution qui assure la subsistance dans une société [26]. Mais pour autant et en ne se plaçant plus sur le plan de l’observation mais sur celui de la théorisation, est-ce là la limite de l’économique ? Certainement pas pour Polanyi, qui insiste au contraire sur le fait que sa définition embrasse tous les aspects "matériels" qui ont trait à la satisfaction des besoins :

32

"[besoin matériel] ne doit pas être interprété comme signifiant que les besoins qu’il s’agit de satisfaire sont exclusivement des besoins physiques, tels que la nourriture ou l’habitat, aussi essentiels soient-ils pour la survie, car ceci restreint de façon absurde le champ de l’économie. Ce sont les moyens, non les fins, qui sont matériels. Peu importe que les objets soient nécessaires à prévenir la faim, ou nécessaires à des objectifs d’éducation, militaires ou religieux. Tant que les besoins dépendent pour leur satisfaction d’objets matériels, la référence est économique.".
(Polanyi, 1986, p. 21)

33Or, outre que le qualificatif "matériel" fait vraiment problème pour nos économies tertiarisées [27] – ce qui est gênant dans une perspective qui se veut historiciste et constructiviste - il faut admettre que cette définition générale n’est pas suffisamment synthétique pour circonscrire avec précision le champ économique. On voit mal, en effet, ce que l’on peut exclure du champ des besoins, si l’on n’entend pas par besoins les seules conditions de subsistance, par ailleurs elles-mêmes problématiques pour tout antinaturalisme conséquent. D’une certaine manière, cette définition pose le même type de problème que la définition formelle : elle n’embrasse pas tout le processus économique, et elle n’embrasse pas que le processus économique. Plus généralement, l’absence de précision concernant le champ des "besoins matériels" fragilise fortement l’objectif universaliste de Polanyi, puisque certaines sociétés bornent le champ des besoins auxquels elles répondent de manière collective à ce qu’elles se représentent comme étant les seuls biens de subsistance tandis que d’autres s’organisent pour susciter toujours de nouveaux besoins et y répondre. Pour le dire de façon générale, la notion de besoin est elle-même toujours déjà socialement instituée[28]. Et Polanyi le reconnaît d’ailleurs explicitement :

34

"En l’absence de toute indication sur les conditions sociales d’où émanent les motivations des individus, il n’existerait que peu de choses, sinon rien, qui permette d’affirmer l’interdépendance et la récurrence de ces mouvements sur lesquels reposent l’unité et la stabilité du processus [économique]".
(Polanyi, 1957a, p. 243)

35Mais alors, que signifie l’ancrage naturaliste de la définition de Polanyi ? Comment comprendre exactement le rapport qu’entretient la notion de besoin avec la nature d’une part, et l’institution d’autre part ?

36De cette première interrogation, en jaillit une autre : une fois déstabilisée, la notion de besoin ne permet en effet plus de bien comprendre le rôle des institutions. Dans une première lecture, on peut comprendre que la nécessaire satisfaction des besoins naturels légitime la présence d’institutions permettant d’y répondre efficacement. Mais une fois que la vacuité de cette notion de "besoins naturels" est mise en lumière… on ne peut plus concevoir que l’institution tire sa légitimité de besoins eux même institutionnellement ou socialement conçus. Cette circularité de la légitimation de la notion d’institution par celle des besoins est en fait, d’une certaine manière, l’impasse de toute position fonctionnaliste. Il n’est pas sûr, en définitive, que la définition que propose Polanyi de l’économie substantive y échappe complètement.

37La définition polanyienne de l’économie n’est donc pas parfaitement satisfaisante, et ce en raison de son assise curieusement naturaliste. Karl Polanyi est, sur ce point, ambigu : il cherche à énoncer des propositions sur ce qu’est l’économique en général, selon une visée naturaliste, tout en privilégiant l’ancrage institutionnel. Sans doute est-ce contradictoire. L’économie est définie à partir des besoins matériels, de la nécessité de vivre et de reproduire la vie pour tout collectif humain. Polanyi constate ensuite que les groupes humains subsistent en vertu d’une interaction institutionnalisée (donc à analyser à chaque fois de façon spécifique) avec leur environnement matériel. C’est la thématique philosophique de la finitude humaine : l’existence humaine s’insère dans des limites physiques et biologiques, et l’économique, c’est l’organisation (institutions et règles) à chaque fois différente de cette contrainte (la marchandisation en est une perversion récente et dangereuse, rien de plus). Mais la difficulté vient de ce qu’il faut penser à la fois notre appartenance au monde vivant (mais peut-on parler d’une sphère économique chez les vivants ?) et notre rupture avec lui (la culture comme spécificité humaine). L’économicité constitue-t-elle une catégorie permettant de penser cette différence ? Assurément non pour Karl Polanyi qui en critique la fausse universalité. Elle ne peut pas être le fondement d’une Science Économique pertinente ; au mieux d’une anthropologie universaliste et essentiellement normative. Soit. Mais alors de deux choses l’une :

  1. Ou bien il faut trouver un "universel de substitution" à mettre en face, candidat au remplacement de l’économicité comme principe anthropologique de base sur lequel ériger une science économique, qui fasse autant que lui et aussi bien.
  2. Ou bien cette recherche d’universel économique est toujours une illusion et tout n’est qu’analyse concrète de situation concrète à chaque fois nouvelle, en dehors de toute visée scientifique de type naturaliste à la manière des sciences physiques. C’est une position dont Louis Dumont propose de radicaliser l’historicisme à partir de sa lecture de Karl Polanyi. Dans sa préface à La grande transformation, il propose de "refuser jusqu’au bout la compartimentation que notre société et elle seule propose, et au lieu de chercher dans l’économie le sens de la totalité sociale – ce à quoi Polanyi s’est certes opposé – de chercher dans la totalité sociale le sens de ce qui est chez nous et pour nous économie." (Dumont, 1983, p. XXVI) [29].
Entre ces deux options, Polanyi semble, par sa définition, revendiquer la première. En ce sens il s’inscrit dans ce que nous proposons d’appeler "économisme de niveau 2". Mais il échoue à nous convaincre de son succès dans l’identification de "l’universel" économique avec sa définition substantive, et son imprécise utilisation du concept de "besoin". Plus généralement cette définition semble finalement en porte à faux au regard de ce que son élève, Anne Chapman souligne comme étant son véritable objet : "son intérêt réside dans les institutions humaines, tout autant que dans la place de l’économie dans les différentes sociétés au cours du temps" (Chapman, 2005, p. 19). Notre critique de la définition substantive nous conduit ainsi à creuser davantage la dimension institutionnaliste de l’approche polanyienne, et à assumer, avec et au-delà de la définition polanyienne, le principe de créativité et de contingence humaine qui la sous-tend.

4 – Polanyi contre Polanyi

38Le mot institution chez Polanyi renvoie à la notion de structure sociale. Cette structure sociale est prégnante et toujours déjà première par rapport aux comportements individuels. Polanyi précise assez longuement que "si les effets sociaux du comportement individuel dépendent de la présence de conditions institutionnelles déterminées, celles-ci ne résultent pas pour autant du comportement personnel en question." (Polanyi, 1957a, p. 245). Polanyi est donc holiste, et d’une façon très spécifique : il mobilise le rapport de l’homme à la nature pour préciser l’origine, obscure, de ces institutions. Pourtant, on l’a vu, cet ancrage naturaliste ne tient pas parce qu’on ne peut expliquer en même temps la diversité des modèles institutionnels et leur origine naturelle commune. Comment sortir du piège ? Un premier pas consiste, comme on vient de le suggérer, à renoncer à toute visée universaliste pour situer la pertinence d’une approche théorique au regard d’un temps et d’un lieu [30]. Ce faisant, on n’a fait que la moitié du chemin, puisque les structures institutionnelles ne sont alors plus adossées à rien : comment en rendre compte sans faire appel à une efficace structuraliste ou à la créativité sans acteur d’un "imaginaire social" hypostasié [31] ?

4.1 – Liberté et choix des institutions

39La réponse nous est suggérée par les réflexions de Polanyi quant au sens de la "liberté dans une société complexe" [32]. La question de la liberté est absolument centrale pour Polanyi et explique sa réticence face au marxisme, dont il déplore le mécanicisme, et son rejet de plus en plus net de l’Union Soviétique [33].Cette question de la liberté se pose au travers d’une double exigence que Polanyi indique dans une lettre à Von Mises (citée par J. Maucourant (1993)) : "L’essor de la productivité maximale d’un côté et le principe de la justice de l’autre constituent l’essence de notre concept d’économie socialiste" (Polanyi, 1924). Cette double exigence est posée dés le départ de la réflexion de Polanyi, et montre à quel point, la question matérielle (ou vitale, pour faire signe à la célèbre trilogie d’Arendt (1983)) de l’efficacité est immédiatement compensée par la question éthico-politique de la justice. Polanyi se situe d’emblée dans une perspective de philosophie politique et insiste sur la dimension éthique du comportement économique [34]. Pour autant, il ne rabat pas la dimension éthique sur une position morale ou essentialiste mais la prolonge au contraire par une réflexion sur la manière dont la collectivité, en se choisissant des institutions, dessine une trajectoire éthique. C’est cette exigence qui rend complexe la lecture de Polanyi, lequel peut ainsi être considéré précurseur du dépassement de l’opposition entre holisme et individualisme qui hante aujourd’hui les sciences sociales. Ce vers quoi pointe son analyse est précisément le principe, fort ancien, de la liberté qu’ont les acteurs d’édifier des règles collectives qui sont autant de signes qu’ils ne sont pas "contraints" par un quelconque déterminisme transcendant ou naturel. L’analyse de Polanyi ménage un espace pour cette capacité d’action dans la collectivité humaine, capacité politique qui conduit à la production des règles de la cité et qui soutient un sens : "Les institutions sont les incarnations d’un sens et d’un projet humain" (Polanyi, 1944, p. 326) [35].

40L’analyse polanyienne du libéralisme et de l’économie formelle montre à quel point il saisit les dangers d’un système qui "instrumentalise" l’être humain et lui ôte toute disposition pratique. Pour le paraphraser, on pourrait dire que le postulat de rareté associé au mécanisme de marché enferme l’individu dans le choix des moyens et l’empêche précisément d’accéder à l’existence sociale en participant, en tant qu’acteur, au choix des institutions. S’il est entendu que l’homo oeconomicus ne peut être au fondement des institutions de la société, faut-il pour autant nier tout lien entre l’acteur et les institutions ? L’histoire même de l’institution du marché autorégulateur, comme "exception historique construite par l’État", devrait inciter Polanyi à répondre par la négative ! Car enfin, si cette institution n’a aucun fondement naturel [36], ni aucune nécessité historique, c’est qu’elle est bien le fruit d’une action humaine – ce que Karl Polanyi décrit d’ailleurs tout au long de La grande transformation. Finalement Karl Polanyi ne peut raisonnablement être naturaliste et pour que son institutionnalisme ne tourne pas à vide – c’est-à-dire ne soit pas un mot savant mis à la place d’un problème –, il faut mobiliser le concept d’acteur économique "délibératif", ou encore de raison pratique [37]. Ce que Polanyi ne fait certes pas, mais ce que tout le mouvement de sa pensée suggère, ou, en tout cas, rend nécessaire pour sortir de l’impasse dans laquelle il nous laisse après avoir, à juste titre, rejeté l’idée d’économie formelle.

4.2 – Vers un triptyque "besoin-institution-raison pratique "

41Au triptyque "nature-besoin-institution" on serait donc enclin à substituer un triptyque "besoin-institution-raison pratique". Ce glissement nous permet en effet de suggérer que la notion de besoin naturel, si elle est sans doute à l’origine de la question économique, ouvre immédiatement, parce qu’elle reçoit une réponse collective institutionnelle, à celle de la justice et donc de la raison pratique. L’ancrage naturaliste n’est qu’un leurre, sans doute maladroit, dans la définition de Polanyi. L’introduction de la raison pratique n’est cependant pas un ajout inoffensif : il conduit bien sûr à produire une conceptualisation, exigeante sur le plan antinaturaliste, à la fois de la notion de besoin et de celle d’institution. Il n’entre pas dans le cadre de cet article portant sur la définition de l’économie par Polanyi de développer les lignes d’une problématique véritablement institutionnaliste en économie. Les projets théoriques de l’économie des conventions ou de l’école de la régulation pointent d’ores et déjà cet agenda théorique d’une économie institutionnaliste assise sur un acteur doté d’une capacité pratique à raisonner non seulement sur l’efficace mais aussi sur le juste (Postel, Sobel, 2006). Les importants écrits de Lawson, visant à un pluralisme "structuré", mettent eux aussi en avant la fécondité d’un tel programme de recherche (Lawson, 2003). Dans cette optique, notre analyse critique de Polanyi permet de concevoir une définition de l’économique qui puisse fédérer effectivement les recherches hétérodoxes institutionnalistes. Dans un champ davantage enclin à la différenciation critique qu’à l’unité théorique, l’existence d’un tel point de repère commun est essentielle [38].

42Qu’avons-nous en effet appris au terme de cette lecture critique de Polanyi ? Qu’on ne peut plaquer, sans plus de procès, une ambition institutionnaliste sur une considération aussi générique que "l’espèce humaine et ses besoins" sans prendre appui sur la pierre angulaire de tout institutionnalisme conséquent : la catégorie antinaturaliste d’acteur ou de raison pratique. Tout comme l’économie substantive, mais "l’économisme de niveau 2" en moins, cette économie pratique a vocation à être pleinement réintégrée dans les sciences sociales et assise sur le principe d’une diversité des modèles institutionnels envisageables, signe de la liberté et de la créativité de l’homme face à l’environnement naturel dans lequel l’humanité comme espèce prend place. Dans ces conditions, existe-t-il encore un champ particulier de connaissances dites "économiques" ? Pour nous, en général : non ; en particulier : oui. Dans une organisation sociale donnée, l’économiste peut encore avoir quelque chose de spécifique à dire en se concentrant sur le domaine des interactions sociales qui concerne la production, la répartition et la consommation des richesses [39]. Cette position implique cependant une surdétermination du "social" par rapport à l’"économique" : si la manière de faire face aux besoins est un fait social, alors l’économie s’insère dans les sciences sociales, non pas dans une position de subordination mais dans une position de travail en commun [40]. Il faut alors dire clairement ce qu’une telle posture implique. Sorti de quelques grandes formules sur le travail, la production, la rareté, la consommation – bref, d’une philosophie économique (Berthoud, 2002) [41] – il n’y aurait pas vraiment de Science Économique Générale, mais simplement des théories socioéconomiques particulières, à chaque fois contextualisées. Bien sûr, certaines de ces théorisations particulières seraient plus complexes que d’autres et pourraient présenter un certain degré de formalisation, se faisant écho du caractère déjà abstrait et complexe des pratiques historiquement déterminées dont elles essaient de rendre compte. C’est le cas des théories du mode de production capitaliste telles l’approche classique, l’approche néomarxiste, les approches postkeynésiennes (identifiant une économie monétaire de production), les approches institutionnalistes (de type régulationniste, conventionnaliste, sociétal).

43Polanyi nous donne un point d’appui essentiel pour fonder une perspective institutionnaliste en économie. Mais sa définition ne devient opératoire qu’à condition de lever toute ambigüité quant à l’assise naturaliste de la définition substantive, laquelle court le risque de soutenir, finalement, un autre économisme (niveau 2) que l’économisme dominant (niveau 1). Cela passe par une réflexion sur la liberté de l’acteur quant à la définition institutionnelle de ces besoins et des manières collectives de les satisfaire, une liberté à agir sur et dans les institutions. Une telle capacité implique d’élargir la représentation de l’acteur économique au-delà de la simple rationalité instrumentale et vers une forme de raison pratique. La question en sciences sociales reste finalement indéfiniment la même : sommes-nous capables de tenir jusqu’au bout une position radicalement antinaturaliste ?

Notes

  • [1]
    Maîtres de Conférences en Économie et chercheurs au Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques (CLERSE – UMR 8019 CNRS), Bâtiment SH2, Faculté des Sciences Économiques et Sociales de l’USTL (Lille1), 59655 Villeneuve d’Ascq Cedex. nicolas. postel@ univ-lille1. fr, richard. sobel@ univ-lille1. fr
  • [2]
    Comme le suggère, d’une certaine manière le titre du récent ouvrage de Jérôme Maucourant (2005).
  • [3]
    Dalton (1987) est un point d’entrée incontournable pour les économistes. En se limitant aux publications en langue française, signalons également : pour une présentation générale de la vie et de la pensée de Karl Polanyi : (Maucourant, 2005), et pour une mise en perspective historique et théorique : (Servet, Maucourant, Tiran, 1998). On trouve notamment dans le premier ouvrage une bibliographie critique très complète sur de nombreux aspects de l’œuvre de Karl Polanyi et dans le second une étude précieuse de la réception de la pensée de Karl Polanyi dans le monde anglo-saxon, en France, au Japon et en Italie.
  • [4]
    L’œuvre de Polanyi est certes pluri voire transdisciplinaire, mais s’agissant des sciences économiques, les relations se nouent assez facilement avec les courants institutionnalistes, comme le souligne l’article de Stanfield (1980) ou encore celui de Hodgson (1992). Notre contribution propose un éclairage des conditions de possibilité épistémologiques d’un tel dialogue entre approche polanyienne et approche institutionnaliste, dans la lignée de ces deux articles, mais en travaillant davantage l’ambigüité de Polanyi quant au naturalisme.
  • [5]
    Par naturalisme, nous entendons l’opération "idéologique" qui consiste à faire passer un fait social-historique pour un fait de nature, c’est-à-dire l’opération qui consiste à faire disparaître le caractère de construit social propre à tout fait social-historique (Rosset, 1973). L’économisme est le naturalisme qui concerne plus particulièrement cette catégorie de faits sociaux que sont les faits économiques.
  • [6]
    Désormais les citations extraites de cet ouvrage collectif (et de ses différents chapitres) sont celles de sa traduction française, publiée en 1975.
  • [7]
    Dans son propre travail de définition de l’économique, l’anthropologue Maurice Godelier (1971) repère et commente cette opposition. Celle-ci constitue pour lui le noyau identitaire de la science économique dominante et menace d’envahir l’anthropologie. Il dénonce ainsi l’économisme de l’anthropologue R. Burling (1962), lequel considère qu’ "il n’y a de techniques ni de buts économiques spécifiques. C’est seulement la relation entre la fin et les moyens qui est économique…Si tout comportement impliquant une allocation (de moyens) est économique, alors la relation d’une mère à son bébé est également une relation économique ou plutôt a un aspect économique tout autant que la relation d’un employeur à son ouvrier" (cité dans (Godelier, 1971), tome 1, p. 20)
  • [8]
    Nous suivons la traduction d’Antoine Deville (Polanyi, 1986). La pagination que nous utilisons est celle de cette traduction en français.
  • [9]
    Dans sa traduction, Antoine Deville conserve les termes anglais, car selon lui l’équivalent français ne peut rendre aussi parfaitement le sens précis de ces deux termes.
  • [10]
    Nous n’insistons pas ici sur cette perspective d’encastrement et/ou de différenciation des ordres de pratiques sociales qui est seconde au regard du problème fondamental de la définition (Théret, 1992).
  • [11]
    Ce qui, du reste, ne présage en rien du sens social que peuvent prendre, à un moment donné dans des sociétés données, des formes non "utilitaires" de consommation, comme les "sociétés de consumation" qu’analyse G. Bataille (1967) dans le cadre d’une "économie générale" s’inspirant notamment de M. Mauss (1924) et qui entend dépasser les "insuffisances du principe de l’utilité classique".
  • [12]
    L’usage épistémologiquement discriminant de l’analyse historique dont il est ici question est le suivant : non pas historiciser après coup des analyses d’abord construites a priori à partir de catégories anthropologiques essentialistes, mais historiciser les catégories elles-mêmes, et ne s’appuyer sur aucune essence "économique" de l’homme qui serait immuable (Castoriadis, 1975). Car on trouve aussi des développements "historiques" dans les analyses néoclassiques, développements visant à produire le récit des changements affectant le contexte extérieur dans lequel se meuvent les homo oeconomicus, quant à eux parfaitement immuables. Voir l’exemple des néo-institutionnalistes dans (Maucourant, 2003)
  • [13]
    Voir à cet égard les développements actuels de la théorie des contrats (Favereau, Picard, 1996), des institutions (Sudgen, 1986), du droit (Posner, 1973, 2001).
  • [14]
    La notion même d’économicité, qui est fondamentalement logique, n’est en rien affectée par ce type de critique externe !
  • [15]
    Bien évidemment, nous ne confondons pas ésotérisme (qui forclôt le concret) et abstraction (qui suppose un rapport au concret pour ensuite s’en émanciper en proposant d’en saisir la diversité sous la perspective de formes générales), et considérons du coup que, loin de se réfugier dans un empirisme naïf, les sciences sociales ont aussi à produire leur propre forme d’abstraction (Passeron, 2006).
  • [16]
    Ce sont évidemment les travaux des anthropologues qui ont le mieux développé, en liaison avec ou en complément à l’œuvre de Polanyi, cette déconstruction de l’économisme occidental ; voir notamment : (Godelier, 1973), (Sahlins, 1976) et, s’agissant précisément de l’idéologie économique moderne, voir (Dumont, 1977).
  • [17]
    Rappelons que, pour Karl Polanyi, "les marchandises sont empiriquement définies comme des objets produits pour la vente sur le marché (…) Il est évident que travail, terre et monnaie ne sont pas des marchandises ; en ce qui les concerne, le postulat selon lequel tout ce qui est acheté et vendu doit avoir été produit pour la vente est carrément faux" (Polanyi, 1944, p. 107). Pour une réflexion hétérodoxe sur la définition rigoureuse de la marchandise et la caractérisation théorique des "marchandises fictives", on pourra se reporter à (De Vroey, 1984).
  • [18]
    Au sens d’Aristote, dont Polanyi (1957b) reprend et développe les "intuitions", notamment l’opposition entre, d’une part, une économie solidaire des besoins et organisée sous une perspective de justice sociale et, d’autre part, une économie débridée de l’enrichissement monétaire, menace radicale pour la cohésion sociale de la Cité.
  • [19]
    Pour plus de développements sur cette impasse, voir (Postel, 2003)
  • [20]
    Cette séquence critique d’Arrow est développée plus longuement dans par Postel (Postel, 2003 et 2007a) ; retenons simplement ce constat lourd de sens d’Arrow : "le plus simple en apparence des actes individuels nécessite la participation de la société dans son ensemble" (Arrow, 1967, p. 63).
  • [21]
    Maurice Godelier, dans une perspective polanyienne, signalait déjà fort bien la vacuité épistémologique d’une telle extension. "L’analyse du comportement rationnel se présente donc comme la recherche théorique des conditions de possibilité à atteindre un objectif quelconque compte tenu d’un jeu déterminé de contraintes. Comme toute activité finalisée a la possibilité de posséder une logique qui en assure l’efficacité face à une série de contraintes, la théorie du comportement rationnel se présente nécessairement, si le contenu de l’activité reste indéterminé, comme la théorie formelle de toute action finalisée, comme une logique (…), comme une praxéologie. Cette théorie des formes générales de l’action finalisée peut-elle se constituer comme science et éviter d’être autre chose qu’une réflexion vide et inutilement compliquée sur des concepts généraux tels que : la fin, les moyens, le plan, l’efficacité, la correction, etc. ?" (Godelier, 1971, pp. 18-19)
  • [22]
    (Isaac, 2005) présente la réception de l’œuvre de Polanyi dans ce champ, (Topik, 2001) présente un bilan plus critique de son approche.
  • [23]
    On retrouve sur ce point le projet des premiers "socio-économistes" (Orléan, 2005)
  • [24]
    Deux modèles auxquels il ajoute l’économie domestique, autarcique, qu’il repère chez Aristote.
  • [25]
    L’histoire et l’"ancienne" sociologie économique (Swedberg, 1987 ; Steiner, 1999), depuis Marx jusqu’à Polanyi en passant par Weber, pour ne citer qu’eux, nous ont appris à décrire et comprendre, en leur spécificité technique politique et culturelle, les différents modes de production, de distribution et de consommation de ressources propres à telle ou telle société humaine. Le capitalisme, quelles que soient ses figures, n’est qu’un de ces modes, dominant certes, mais somme toute fort récent. Beaucoup plus récent que le mode de production domestique dont nous parle Sahlins (1976).
  • [26]
    "Relativement bien", disons-nous, tout en sachant pertinent que la notion de "subsistance", en dépit de son ancrage naturel et contre toute réduction vitaliste de l’existence humaine, doit aussi être envisagée d’un point de vue antinaturaliste, c’est-à-dire comme relevant dans son sens effectif d’une construction sociale propre à une communauté humaine à tel moment de son histoire. Pour une réflexion antinaturaliste sur l’énigmatique notion de besoins naturels chez l’homme, on pourra lire Castoriadis (1976).
  • [27]
    Ce que Polanyi pressent indiquant, maladroitement : "La satisfaction des besoins est matérielle si elle implique l’usage de moyens matériels pour satisfaire des fins ; lorsqu’il s’agit d’un type précis de besoins physiologique tels que la nourriture et le logement, seuls ce qu’on appelle les services entrent en jeu" (Polanyi, 1957, p. 243). Outre que cette remarque est bien difficile à saisir (en quoi la nourriture renvoie-t-elle au service ?) ces implications sont lourdes et non assumées : car faut-il en conclure que les services sont en dehors de l’économie ? Et avec eux la question de la nourriture ? Dans ce cas, c’est l’ensemble de la notion polanyienne d’économie qui tombe…
  • [28]
    Pour lever définitivement toute ambiguïté naturaliste dans la définition substantive, on peut suivre Alain Caillé qui propose, dans une terminologie stoïcienne, la reformulation suivante : "L’activité économique a trait aux moyens mis en œuvre pour obtenir des biens ou des qualités désirables – appelons les des désirables – par une dépense d’énergie pénible parce que contrainte" (Caillé, 2005, p. 219). Car pour lui dans une perspective toute sartrienne (Sartre, 1960), la rareté n’est "ni un absolu ni une chose. Effet autant que cause, elle ne précède pas, au titre de matrice originelle, les systèmes sociaux. Elle est leur corrélat, selon un mode qui n’est pas tant le produit passif d’une nécessité naturelle que la mise en forme d’une logique proprement symbolique et sociale" (Caillé, 2005, p. 52).
  • [29]
    Parmi les chercheurs français en sciences sociales qui cherchent à rendre compte de la place et du sens de la "sphère économique" aujourd’hui, les travaux de Maurice Godelier (1984), mais surtout de Michel Freyssenet (1990a) et de Bruno Théret (1992) présentent trois perspectives différentes mais complémentaires prolongeant cette exigence historiciste formulée par Louis Dumont.
  • [30]
    On rejoint ainsi l’exigence épistémologique sous laquelle J.-C. Passeron (2006) place la spécificité du travail théorique des sciences de l’homme et de la société, à la différence des disciplines logico-formelles et des disciplines empirico-formelles.
  • [31]
    Comme c’est selon nous le cas – sous des modalités différentes et malgré l’apport antinaturaliste – des perspectives historicistes radicales sans acteurs véritables, notamment celles de M. Freyssenet (1990 a ; 1990b) et de Bruno Théret (1992), ainsi que celle de Castoriadis (1975).
  • [32]
    Ce qui est le titre du dernier chapitre de "La Grande Transformation" (Polanyi, 1983, chap.21) mais aussi d’un recueil de texte publié, en italien, par Alfredo Salsano (1987) et largement commenté dans (Maucourant, Servet, Tiran, 1998).
  • [33]
    C’est ce que défend vigoureusement sa fille Kari Polanyi-Levitt (1998, 2005). Sur l’éloignement progressif vis-à-vis de Marx, voir Block (2003) et Maucourant (2000). L’ambigüité des rapports de Polanyi à l’égard du marxisme se lit aussi dans sa recension du livre de Sweezy (Polanyi, 1954).
  • [34]
    Ce que soulignent avec force J. Maucourant, J.-M. Servet et A.Tiran : "Les derniers écrits de Polanyi après la grande transformation et the livelihood of man relèvent de la philosophie politique et de l’éthique" (Servet, Maucourant, Tiran, 1998, introduction, p.XX).
  • [35]
    On ne peut qu’être surpris si l’on compare cette remarque à celle de J. D. Reynaud, grand penseur de la régulation sociale : "Créer des règles de relation, c’est donner un sens à l’espace social" (J.D. Reynaud, 1989, p. 280).
  • [36]
    Ce qui ne signifie bien sûr pas – levons encore un fois le malentendu – qu’elle n’ait aucune assise naturelle, aucun substrat sur laquelle elle prend appui pour déployer une certaine forme.
  • [37]
    En utilisant cette terminologie de raison pratique, nous nous situons délibérément dans la tradition aristotélicienne (Aubenque, 1963) qui trouve, dans la période contemporaine, une reformulation dans la philosophie de l’action d’Hanna Arendt (1983). Il y aurait bien sur – mais cela dépasse les ambitions de cet article et les compétences de ses auteurs – tout un travail à faire pour mettre en lien Karl Polanyi et la philosophie pragmatiste américaine.
  • [38]
    Sur cette question de l’unification possible du champ hétérodoxe autour de la problématique institutionnaliste on peut se reporter aux analyses de (Postel, 2007b) et (Théret, 2000) ou bien encore à l’excellente mise en perspective historique de (Chavance, 2007).
  • [39]
    Par exemple, le système capitaliste – lequel est distinct du principe de marché autorégulateur – peut constituer un objet de connaissance propre aux économistes. Étudier le capitalisme, c’est étudier l’ensemble des formes institutionnelles qui le caractérise, et qui ne se laisse pas réduire au marché, surtout pas dans des économies où la moitié environ des richesses sont redistribuées par l’État (où l’on reconnaît la "redistribution" comme modèle social de gestion de l’économique).
  • [40]
    C’est encore un point d’accord avec Lawson (2005, p. 17) : "Par conséquent je pense que nous devons accepter qu’il n’y a aucune base légitime à distinguer une science économique autonome. Les sciences économiques doivent être considérées comme tout au plus une forme de division de travail au sein des sciences sociales". Mais fort curieusement, Lawson ne cite pas Polanyi comme fondement d’une ontologie hétérodoxe, bien que sa conception en soit très proche.
  • [41]
    Mais ce disant, il reste encore à trancher sur le statut d’une telle philosophie : car, pas plus que le champ économique, le champ philosophique n’est homogène : des positions essentialistes et des positions historicistes s’y affrontent depuis toujours, même si la visée essentialiste domine le plus souvent (Rosset, 1973).
Français

Résumé

Polanyi analyse le déploiement historique d’une science économique "formelle" à partir du triptyque "marché-rareté-rationalité instrumentale". Il fait apparaître ce triptyque, et le savoir qui s’y consacre, comme étant un sous-ensemble d’une question plus large que devrait analyser une science économique "substantielle" s’intéressant au triptyque "besoin-nature-institution". Si l’on suit Polanyi dans sa critique fondamentale de l’économisme inhérent au premier triptyque, on a plus de réticences à accepter sa solution de substitution, mélange hétérogène de naturalisme et d’institutionnalisme, d’essentialisme et d’historicisme. La thèse défendue dans l’article est qu’il faut être plus polanyien que Polanyi et rechercher une économie de la raison pratique, fondement d’une science économique réintroduite à l’intérieur des sciences sociales.

English

Abstract

Polanyi analyzes the historical deployment of a "formal" economic science starting from the triptych "market-rarety-instrumental rationality ". It reveals this triptych, and the knowledge which is devoted to it, as being a part of a question broader than should analyze a "substantial" economic science being interested in the triptych "need-nature-institution". If we can and must follow Polanyi in his criticism of economism suited to the first triptytic, we have more reserve to accept his solution of substitution, an heterogeneous mixture of naturalism and institutionalism, of essentialism and historicism. The thesis defended in the article is that it is necessary to be more polanyian that Polanyi himself, and to develop an economy of the practical reason, base of an economic science reintroduced inside social sciences.
Classification JEL: A10, A14, B25, B40, B52

Bibliographie

  • En ligneAkerloff George A, (1970), “The Market for Lemons: Qualitative Uncertainty and the Market Mechanism”, Quarterly Journal of Economics, vol. 84, pp. 488-500.
  • Arendt H. (1983), La condition de l’homme moderne, Paris, Agora Pocket/ Plon
  • Arrow K. J. (1951), "An extension of the basic theorem of classical welfare economics", in, J Neyman (ed), Proceedings of the Second Bekerley Symposium on Mathematical Statistics and Probability, pp. 507-532.
  • Arrow K. J. (1963), Social Choice and Individual Values, New Haven, Yale University Press.
  • Arrow K. J., (1967), "Values and collective decision making", in Laslett and Ruciman (Eds) Philosophy, Politics and Society, Third series, Oxford, Basil Blackwell. Repris dans The Collected Papers, vol.1, pp. 59-77.
  • Arrow K. J. (1974), The Limits of Organisations, New York, Norton (Ed. Française: 1976, Les limites de l’organisation, Paris, PUF).
  • Arrow Kenneth J. (1986), "Economic Theory and the Hypothesis of Rationality", Journal of Business, Vol. 59, n° 2, pt 4. Repris dans J. Eatwell (ed), The New Palgrave, pp. 69-75.
  • En ligneArrow K. J., Debreu G. (1954), "Existence of an equilibrium for a competitive economy", Econometrica, vol. 22, pp. 265-290.
  • Aubenque P. (1963), La prudence chez Aristote, Paris, PUF.
  • Bataille G. (1967), La part maudite, Paris, Minuit.
  • En ligneBerthoud A. (1994), "Remarques sur la rationalité instrumentale", Cahiers d’économie politique, n°24-25, pp 105-124.
  • Berthoud, A. (2002), Essais de philosophie économique, chapitre 5, Villeneuve d’Ascq, Presse universitaire du Septentrion, pp. 195-226.
  • Berthoud G. (1986a), "L’économique en question", Bulletin du MAUSS, n°18, pp. 65-92.
  • Berthoud G. (1986b), "Dichotomie ou totalité", Bulletin du MAUSS, n°19, pp. 115-137.
  • En ligneBlock F. (2003), "Karl Polanyi and the writting of The Great Tranformation", Theory and Society, vol. 32, pp. 275-306.
  • Brousseau E. (1993), L’économie des contrats, Paris, PUF.
  • En ligneBurling R. (1962), "Maximization theories and the study of Economic Anthropology", American Anthropologist, n°64, pp. 802-821.
  • Caillé A. (2005), Dépenser l’économique, Paris, La Découverte.
  • Castoriadis C. (1975), L’institution imaginaire de la société, Paris, Le Seuil.
  • Castoriadis C. (1976) "Valeur, égalité, justice, politique de Marx à Aristote et d’Aristote à nous", Les carrefours du labyrinthe, Paris, Seuil, pp. 249-315.
  • Chapman A., (2005), "Karl Polanyi (1886-1964) for the students", in Rouillard Pierre (2005), Autour de Polanyi, Coll. Colloques de la maison René-Ginouves, Paris, De Boccard, pp. 17-32
  • En ligneChavance B., 2007, L’économie Institutionnelle, Paris, Repères/La Découverte.
  • Dalton G. (1987), "Karl Polanyi", in Eatwell J., Milgate M. et Newman P. (Sous la direction de), The new Palgrave Dictionnary of economics, vol. 3, London, The Macmillan Press.
  • De Vroey M. (1984), "Marchandise, société marchande, société capitaliste : un réexamen de quelques définitions fondamentales", Cahiers d’économie politique, n°9, p. 109-134.
  • Dumont L. (1977), Homo aequalis Genèse et épanouissement de l’idéologie économique moderne, Paris, Gallimard.
  • Dumont L. (1983), "Préface", in Polanyi K., La grande transformation, Paris, Gallimard.
  • Eymard-Duvernay F. (2006) (Sous la direction de), L’économie des conventions Méthodes et résultats Tome 1 Débats, Paris, La Découverte.
  • Favereau O., Picard P. (1996), "L’approche économique des contrats : unité ou diversité ?", Sociologie du travail, vol. XXXVIII, n°4, pp. 276-338
  • Foucault M. (2004) Naissance de la biopolitique : Cours au collège de France (1978-1979), Paris, Seuil.
  • Freyssenet M. (1990a), "Le concept de rapport social peut-il fonder une autre conception de l’objectivité et une autre représentation du social", in Freyssenet M, Magri S. (dir.), Les rapports sociaux et leurs enjeux, tome 1, CSU, Paris, pp. 9-23
  • Freyssenet M. (1990b), "Le rapport capital-travail et l’économique", in Freyssenet M, Magri S. (dir.), Les rapports sociaux et leurs enjeux, tome 2, Paris, CSU, pp. 5-16.
  • Garlan Y. (1973), "La place de l’économie dans les sociétés anciennes", La Pensée, n° 171, dossier "Ethnologie et marxisme", pp. 119-127
  • Godelier M. (1971), Rationalité et irrationalité en économie, Maspero, Paris
  • Godelier M. (1973), "Anthropologie et économie : une anthropologie économique est-elle possible ?", Horizon, trajets marxistes en anthropologie, Paris, Maspero, pp. 13-82
  • Godelier M. (1975), "L’œuvre de Karl Polanyi", préface à K. Polanyi, Les systèmes économiques dans l’histoire et dans la théorie, Larousse, 1957
  • Godelier M. (1984), L’idéel et le matériel, Fayard, Paris.
  • Hodgson G. (1992), "Karl Polanyi (1986-1964)", in A bibliographical dictionary of dissenting economist, Arestis P. and Sawyer M. (Ed.), Hants: Edward Edgar, pp. 432-438
  • Isaac L. B. (2005) "Karl Polanyi", in Carrier J (ed), A Handbook of Economic Anthropology, Northampton, Mass., Edward Elgar, pp. 14-25
  • Laville J.-L. (1994), "Économie et solidarité : esquisse d’une problématique", in L’économie solidaire : une perspective internationale (Sous la direction de J.-L. Laville), Paris, Desclée de Brouwer, pp 9-89.
  • Lawson T. (2003), Reorienting Economics, London and New York, Routledge
  • Lawson T. (2005), "The nature of heterodox economics", Cambridge Journal of Economics, December, pp. 1-23.
  • Maucourant J (1993), "Monnaie et calcul économique selon K. Polanyi : le projet d’une économie socialiste fédérale", Revue Européenne des sciences sociales, vol 31, n° 96, pp. 29-46.
  • En ligneMaucourant J. (2000), "Polanyi, lecteur de Marx", Actuel Marx, n°27, p. 133-151.
  • Maucourant J. (2003), "Le néo institutionnalisme à l’épreuve de quelques faits historiques", Économie appliquée, n°3, pp. 111-131
  • Maucourant J. (2005), Avez-vous lu Polanyi ?, Paris, La Dispute.
  • Maucourant J., Servet J.-M., Tiran A. (1998), "La réception de la pensée de Karl Polanyi", in Maucourant J., Servet J.-M, Tiran A. (dir.) La modernité de Karl Polanyi, Paris, L’Harmattan, pp. 385-398.
  • Mauss M. (1924), "Essai sur le don Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques", L’Année Sociologique, seconde série, 1923-1924, pp. 30-86 (Repris partiellement dans Sociologie et anthropologie, PUF, 1950, réédition Quadrige)
  • En ligneOrléan A. (2005) "La sociologie économique et la question de l’unité des sciences sociales", L’Année Sociologique, Vol. 55, pp. 279-305.
  • Passeron J.-C. (2006), Le raisonnement sociologique, Paris, Nathan.
  • Polanyi K. (1924), "Die funktionnelle Theorie des gesellschaft und das Problem des sozialistische Rechnungselegung eine erwiderung an Pr L .Von Mises und Dr F. Weil" traduit en anglais par Polanyi-Levitt K., Cahier Monnaie et Financement, Université de Lyon2, 22, pp. 115-126.
  • Polanyi K. (1954), "Review of The Present as History: Essays and Reviews on Capitalism and Socialism by P.M. Sweezy", The Journal of economic History, vol.14, n°3, pp. 293-294.
  • Polanyi K. (1957a), "L’économie en tant que procès institutionnalisé", in Polanyi K., Arensberg C.M., Pearsons H.W. (eds), pp. 239-260.
  • Polanyi K. (1957b), "Aristote découvre l’économie", in Polanyi K., Arensberg C.M., Pearson H.W. (eds), pp. 93-117.
  • Polanyi K. (1977), The livelihood of man (édité par H.-W Pearson), New York Academic Press.
  • Polanyi K. (1983), La Grande Transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps (1ière édition anglaise, The Great Transformation, 1944)
  • Polanyi K. (1986), "La fallace de l’économie", Bulletin du MAUSS, n°18, p. 11-26 (Extrait de Polanyi (1977) traduit par Antoine Deville).
  • Polanyi K., Arensberg C.M., Pearson H.W. (eds) (1957), Trade and Market in the Early Empires, New York, The Free Press. Traduction de Claude et Annie Rivière Les systèmes économiques dans l’histoire et la théorie, Paris, Larousse (1975).
  • Polanyi-Levitt K. (1998), "Karl Polanyi, socialiste" in Servet J.-M, Maucourant J., Tiran A. (dir.) La modernité de Karl Polanyi, L’Harmattan, Paris, pp. 5-25.
  • Polanyi-Levitt K. (2005), "les principaux concepts dans le travail de Karl Polanyi et leur pertinence actuelle", in Rouillard Pierre (2005), Autour de Polanyi, Coll. Colloques de la maison René-Ginouves, De Boccard, Paris, pp. 1-15.
  • Posner R.A., 1973, Economic analysis of Law, Boston, Little Brown.
  • Posner R.A., 2001, The economic structure of law, the collected economic essays of R. Posner, Francesco Parisi ed., Edward Elgard Publishing Ltd.
  • Postel N. (2003), Les règles dans la pensée économique, Paris, CNRS Éditions.
  • Postel N (2007a), "Les économistes, de la recherche de lois universelles à la découverte des règles contingentes", in Berthoud A., Delmas B., Demals T. (dir) Y-a-t-il des lois en économie?, Lille, Presses Universitaires du Septentrion.
  • En lignePostel N (2007b) "Hétérodoxie et Institution", La Revue du Mauss, n° 30, second semestre, pp. 68-101
  • Postel N., Sobel R. (2006) "Quelle théorie hétérodoxe de l’acteur économique", in Eymard-Duvernay F. (dir.) (2006), pp. 131-150.
  • Reynaud J. D., 1989, Les règles du jeu, L’action collective et la régulation sociale, Paris, Armand Colin.
  • Robbins L., (1935). Essai sur la nature et la signification de la science économique, Librairie de Médicis (trad. Française : 1947)
  • Rouillard Pierre (2005), Autour de Polanyi, Coll. Colloques de la maison René-Ginouves, Paris, De Boccard.
  • Rosset C., L’anti-nature, Paris, PUF, 1973.
  • Sahlins M. (1976), Age de pierre, âge d’abondance, Paris, Gallimard.
  • Salasano A. (ed), (1987), La liberta in una societa complessa, Torino, Bollati Boringhieri.
  • Sartre J.-P. (1960), "Rareté et mode de production", Critique de la raison dialectique, Tome 1, Paris, Gallimard, pp. 234-263.
  • Servet J.-M., Maucourant J., Tiran A. (Sous la direction de) (1998), La modernité de Karl Polanyi, Paris, L’Harmattan.
  • En ligneSonnenschein H. (1973), "Do Walras identity and continuity characterise the class of Community Excess Demand Function?", Journal of Economic Theory, vol 6, n°4, pp. 345-354.
  • En ligneStanfield D. (1980), "The institutional economics of Karl Polanyi", Journal of economics issues, September, pp. 593-614.
  • Steiner Ph. (1999), La sociologie économique, Paris, Repères/La Découverte.
  • Sudgen Robert, 1986, The Economics of Rights, Cooperation and Welfare, Oxford, Basil Blackwell.
  • Swedberg R. (1987), Une histoire de la sociologie économique, Paris, Desclée de Brouwer.
  • Théret B. (1992), Régimes politiques de l’ordre économique, Paris, PUF.
  • Théret B. (2000), "Nouvelle économie institutionnelle, Économie des conventions et Théorie de la régulation : vers une synthèse institutionnaliste ?", La lettre de la régulation, n°35, p. 1-4.
  • Topik S. (2001), "Karl Polanyi and the creation of the market society", in Centeno M.A. et Lopez-Alvarez F. (Eds), The Great Mirror: grand theory through the lens of Latin America, Princeton University Press, pp. 81-104.
  • En ligneValensi L. (1974), "Anthropologie économique et histoire : l’œuvre de Karl Polanyi", Annales, n°6, pp. 1311-1319
  • Williamson O. E. (1975), Market and Hierarchies Analysis and Antitrust Implications, New York, The Free Press.
  • Williamson Oliver E. (1985), The Economic Institutions of Capitalism, New York, The Free Press.
Nicolas Postel
Richard Sobel [1]
  • [1]
    Maîtres de Conférences en Économie et chercheurs au Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques (CLERSE – UMR 8019 CNRS), Bâtiment SH2, Faculté des Sciences Économiques et Sociales de l’USTL (Lille1), 59655 Villeneuve d’Ascq Cedex. nicolas. postel@ univ-lille1. fr, richard. sobel@ univ-lille1. fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2008
https://doi.org/10.3917/cep.054.0121
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...