CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Considérés depuis quelques décennies comme participant pleinement au développement durable [Duftield, 2000, p. 277], les savoirs traditionnels associés à la biodiversité et leurs détenteurs ­ les communautés autochtones et locales ­ se voient accorder une reconnaissance juridique depuis la Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992. Cette reconnaissance, est-il besoin de le dire, se situe dans le cadre d'un objectif plus large d'exploitation de ressources génétiques clairement affirmé dans le Protocole de Nagoya signé en 2010 sur l'accès aux ressources génétiques et sur le partage juste et équitable des avantages. À la base des discussions aboutissant à la CDB, on distingue un scénario polarisé entre, d'une part, les pays du Sud, dotés d'une forte diversité biologique qui revendiquent le droit à leur utilisation et leur exploitation et, d'autre part, les pays du Nord, accusés le plus souvent d'exploiter les ressources et les savoirs traditionnels au Sud [Aubertin, Pinton, Boisvert, 2007].

2 Ces rapports de force politique se voient toutefois encadrés par les régulations issues d'organismes et de conventions internationales. Ainsi, l'Organisation mondiale du commerce ­ à travers l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle (ADPIC) de 1994 qui touchent au commerce ­ et l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) prônent toutes deux une régulation des savoirs traditionnels dans le cadre des droits de la propriété intellectuelle par le biais des brevets et de la promotion du principe des bases de données [Bellman, Dutfield, Melendez, 2004]. La CDB reconnaît à la fois la souveraineté des États sur leurs ressources et le pouvoir de décision des communautés sur leurs savoirs et fait reposer sur les États la capacité à encadrer leur utilisation par une législation précise. La protection, ainsi que l'exploitation des savoirs traditionnels associés aux ressources biologiques peuvent donc devenir un levier de développement économique national. Celui-ci soulève cependant au moins deux défis, l'un politique, l'autre juridique. Premièrement, la reconfiguration des rapports États ­ communautés autochtones entraîne des difficultés, dans les pays avec une longue histoire de discrimination envers les communautés autochtones. Deuxièmement, l'adaptation aux droits classiques de propriété intellectuelle s'avère très complexe, en raison de la nature de ces savoirs oraux, transgénérationnels et de la question de la propriété ­ collective et partagée entre plusieurs communautés d'un ou de différents pays ­ ainsi que les droits intellectuels sur ces savoirs ancestraux imprescriptibles [Correa, 2001 ; Vivas, Ruiz, 2001 ; Dutfield, 2000]. La création d'un régime sui generis[1] apparaît alors comme une alternative intéressante [Gibson, 2004]. Plus encore, dans le langage de la CDB, les bases de données sont devenues incontournables en matière de diversité biologique [Hayden, 2003, p. 64]. En effet, elles sont considérées de plus en plus comme les outils juridiques les plus adaptés pour garantir à la fois une protection des savoirs et un débouché commercial pour leurs détenteurs, ce qui n'est d'ailleurs pas exempt de contradictions si l'on songe à la publicité des savoirs que cela entraîne [Hermitte, 2004].

3 Le Pérou offre un cas original lié tout d'abord à son contexte historique et régional qui illustre combien, en Amérique latine en particulier, diversité culturelle et diversité biologique sont indissociables [Aubertin, Pinton, Boisvert, 2007a, p. 156]. Avec un nombre important de communautés autochtones [2], la Charte politique de 1993 affirme la diversité culturelle de la nation péruvienne basée sur la reconnaissance et la protection de la pluralité ethnique et linguistique. Cette reconnaissance officielle, qui s'amorce dès les années 1980 dans d'autres pays de la région, cherche à considérer cette diversité moins comme un obstacle au projet de la construction de la nation au sein de ceux-ci, tel qu'envisagé par les politiques assimilationnistes à l'égard des communautés autochtones depuis la colonisation, que comme une caractéristique à mettre en valeur, puisqu'inhérente à la nation [Gros, 2001]. Ce qui en résulte est un repositionnement du rôle de l'État ayant comme présupposé une participation plus active des organisations représentatives autochtones fondée sur les postulats de la démocratie participative [Gros, 2001, p. 155]. Disposant également d'une riche biodiversité [3], le Pérou fait partie du groupe des pays megadivers [4] et de la Communauté andine (CAN) [5] qui développe une législation spécifique dans la logique de la CDB grâce aux décisions 391 de 1996 et 486 de 2000.

4 En 2002, dans ce contexte spécifique et fort contrasté, le gouvernement péruvien promulgue la loi 27811 consacrée à la « protection des savoirs collectifs des peuples autochtones associés aux ressources biologiques », qui établit un registre des savoirs collectifs. Il s'agit d'un inventaire de plantes et d'autres ressources biologiques comportant trois modalités : un registre public, un registre confidentiel et des registres locaux. Si la gestion des registres locaux est accordée par la loi aux peuples autochtones, ceux-ci n'ont pas encore vu le jour. En revanche, la direction des Inventions et des Nouvelles technologies de l'Institut national de défense de la concurrence et de la protection de la propriété intellectuelle (INDECOPI), est responsable de la gestion du registre public et confidentiel. Si le nombre de fonctionnaires consacrés à cette tâche est réduit (seulement deux), celle-ci mobilise aujourd'hui une palette de ressources pour mener à bien l'enregistrement des savoirs traditionnels.

5 Comment, dans ces conditions, le registre peut-il garantir aux peuples autochtones un pouvoir de décision sur leurs savoirs ? Quels sont les bénéfices pour l'État et que cela rapporte-t-il aux communautés autochtones ? En décrivant la construction juridique du registre et sa mise en  uvre, cet article tente de répondre à ces questions. J'ai réalisé une étude sociologique et juridique de ce registre dans le cadre d'une recherche sociologique plus large qui comprend un travail de terrain de six mois non consécutifs au Pérou en 2012 (juin-juillet), 2014 (mars-avril) et 2015 (avril-mai). L'article s'appuie sur l'analyse de documents légaux, une enquête de 10 entretiens semi-directifs réalisés auprès des institutions publiques, des organisations autochtones et des ONG [6] et un travail d'observation des réunions d'acteurs, d'associations et de conférences [7].

6 L'article présente tout d'abord une analyse des choix sémantiques que la loi 27811 réalise, pour se focaliser ensuite sur l'instrument : le registre, sa définition dans la loi ainsi que ses finalités. Puis, la distinction entre les catégories du registre public et du registre privé telles que conçues dans loi, est analysée et en particulier la façon dont, à travers ce registre, les droits de propriété intellectuelle sont mobilisés. Enfin, l'analyse de la logique des interactions entre l'INDECOPI et quelques-uns de ses interlocuteurs principaux permettra de comprendre le rôle accru de l'État et la participation problématique des peuples autochtones à ce processus.

Le contexte de la loi et les défis du registre

Autochtones, savoirs, ressources : une définition « traditionnelle » va-t-elle de soi ?

7La loi 27811 se veut intégratrice lorsqu'elle affirme que le terme « autochtone » est synonyme de « traditionnel », « originaire », « ethnique », « ancestral » ou « natif » ; ainsi qu'en incluant les communautés paysannes et natives dans la définition des peuples autochtones. Une telle conception, évidente pour les membres des institutions publiques péruviennes s'est construite au sein de la législation péruvienne au fil des années et se trouve étroitement liée à la distribution de la terre ­ aspect toujours controversé ­ d'où l'importance des tentatives de réforme agraire [8] menées dans le pays.

8 Elle se veut cependant moins intégratrice des communautés dites « locales », comme les afros descendants, par exemple, qui sont absentes ici, mais qui sont mises par la CDB sur le même plan que les peuples autochtones, du fait du lien qu'elles entretiennent avec les ressources biologiques.

9 Développés par les peuples et les communautés autochtones, les savoirs qui font l'objet de protection se distinguent par plusieurs caractéristiques. Ils sont accumulés et transgénérationnels, ce qui nous permet de supposer qu'il ne s'agit pas de savoirs nouveaux. De plus, ils sont associés aux ressources biologiques qui sont définies dans la loi, conformément à la CDB, comme : « les ressources génétiques, les organismes ou éléments de ceux-ci, les populations, ou tout autre élément biotique des écosystèmes ayant une utilisation ou une valeur effective ou potentielle pour l'humanité ».

10 D'autre part, en associant les savoirs des communautés autochtones à leur caractère collectif, plutôt qu'à celui de « traditionnel », fortement connoté [Collot, 2007], la loi tente de privilégier la cohésion des communautés. Or, comme le souligne Irène Daes dans son analyse des droits intellectuels des peuples autochtones [9], le caractère collectif des savoirs est indissociable de l'aspect territorial. Objet d'une revendication active dans les arènes publiques depuis les années 1970, du moins dans le contexte régional [Gros, 2003], cette dimension est peu évoquée dans la loi et suscite des interrogations autour de deux aspects : l'accessibilité effective aux ressources biologiques qui se situent dans des territoires autochtones [Filoche, 2009, p. 452] lorsque ceux-ci bénéficient d'une législation particulière ; la portée du caractère « collectif », lorsque l'on considère que les communautés autochtones ressortent d'un pays ou de plusieurs pays. Si l'accessibilité recoupe la problématique plus vaste de la souveraineté, le caractère collectif renvoie, quant à lui, aux conditions d'exercice des droits par plusieurs communautés possédant les mêmes savoirs.

Le registre de savoirs collectifs : un modèle sui generis d'appropriation

11Indéniablement, le registre en tant que base de données est créé pour classer et attribuer aux savoirs une existence dans le langage de la propriété intellectuelle (antériorité, nouveauté, publicité, description suffisante, etc.). Même s'il n'est pas « constitutif des droits », celui-ci est un élément probatoire pour la mise en  uvre des dispositions de la loi 27811 de 2002, notamment les enquêtes sur les cas d'appropriation supposée. Si ce registre est particulièrement original, sa conception repose sur un paradoxe : la construction d'une preuve d'antériorité pouvant servir de motif d'exception à la « nouveauté » qui est l'une de conditions de la brevetabilité, entraîne une publicité qui rend difficile la protection de ces savoirs par la loi, concernant leurs aspects collectifs, leurs secrets et les communautés péruviennes qui les détiennent. Si la création d'une base de données est promue par l'OMPI [10] depuis les années 2000 [OMPI, 2001 ; 2001a ; 2002 ; 2002a ; 2002b], les solutions juridiques proposées (les accords de non-divulgation et les contrats) [OMPI, 2013, p. 37 ; 2016] pour éviter l'accessibilité des savoirs que cela entraîne mériteraient une réflexion plus fine autour du rôle que les créateurs des bases de données sont censés jouer.

12 En droit, la création d'une base de données est alternativement envisagée comme (1) l'objet d'une protection sui generis ou comme (2) un moyen pour assurer une protection sui generis [Brahy, 2006, p. 285]. La première modalité de protection consiste à traiter la base de données [11] en tant que création intellectuelle et met l'accent sur l'originalité et l'importance du travail réalisé par son créateur. Lorsqu'il s'agit de la deuxième modalité, le créateur de la base de données se place dans une situation d'intermédiaire entre les détenteurs de savoirs traditionnels et les usagers. Toutefois, pour assurer le contrôle de l'information et en cohérence avec la finalité principale de la loi 27811, à savoir la lutte contre la biopiraterie, il est reconnu qu'une base de données doit, entre autres, agir sur la régulation des conditions d'accès et l'administration du secret [Roumet, 2012, p. 289]. Comme on le verra dans la section suivante, le registre public semble se pencher sur la première tandis que le registre confidentiel s'attache à la seconde.

L'institut péruvien de la propriété intellectuelle chargé de la catégorisation des savoirs

Les possibilités d'un domaine public payant

13Le registre public est dédié aux savoirs collectifs appartenant au « domaine public ». Il est destiné à la consultation des offices des brevets, ce qui invalide toute intention d'exclure ces savoirs de « l'état de la technique », qui en droit de brevets désigne l'ensemble des connaissances (orales ou écrites) accessibles au public avant le dépôt d'un brevet, nécessaires pour déterminer la nouveauté de celui-ci. Le registre public est constitué d'une base bibliographique classée par ordre alphabétique dont les informations ne diffèrent pas de celles que l'on trouve dans n'importe quelle compilation sur les plantes médicinales. Selon les informations de l'INDECOPI, en mai 2015 [12] la base de données comportait 1 235 entrées.

14La particularité de ce type de registre tient davantage au sens ici accordé à la notion de « public » et, par conséquent, à la manière selon laquelle les données sont classées et organisées. Alors que je souhaitais consulter le registre dans le détail, j'ai pu accéder uniquement au registre bibliographique public, après avoir dû justifier mon intérêt pour obtenir un mot de passe. Si la loi n'opère pas de distinction entre les données conservées dans le registre public, l'INDECOPI distingue deux sous-ensembles : (1) le registre public dont l'information correspond aux demandes des autochtones sur des savoirs qui, après un examen des fonctionnaires de l'INDECOPI, s'avèrent être tombés dans le domaine public (en avril 2015 le registre public comptait 987 savoirs traditionnels) ; et (2) la base de données qui répertorie les plantes et les savoirs traditionnels d'origine péruvienne collectés à travers une revue bibliographique sur le sujet.

15 Le caractère « public » du registre accentue ici le sens étatique par opposition au sens communautaire. En outre, il renvoie moins à une possibilité de consultation ouverte aux tiers qu'au fait que les savoirs qui y sont conservés ont échappé au cercle des communautés autochtones qui les possédaient. Selon la loi péruvienne, un savoir est dans le domaine public lorsqu'« il est accessible à des personnes extérieures aux peuples autochtones par des moyens de communication massifs, tels que des publications. Il en est de même pour les ressources biologiques dont les propriétés, usages ou caractéristiques sont connus massivement en dehors de l'espace des peuples et des communautés autochtones ». Une grande partie des savoirs des communautés divulgués depuis longtemps dans des publications scientifiques ou de vulgarisation est donc classée dans le domaine public. Comment la loi prévoit-elle d'assurer une protection efficace ? Pour les vingt dernières années, soit depuis 1982, compte tenu de la date de publication de ladite loi, les savoirs traditionnels dépourvus d'une valeur commerciale liée à un brevet se voient conférer une protection particulière : dans le cas d'une commercialisation de produits issus de ces savoirs, les communautés autochtones concernées pourront être rétribuées à travers le Fonds pour le développement des peuples autochtones [13].

16 L'exigence fixée par la législation péruvienne d'une rétribution économique dans ce cas est un aspect dont la portée mérite d'être expliquée au regard de la Convention sur la diversité biologique. Bien que la CDB ait restitué la souveraineté aux États fournisseurs, ce droit n'est valable qu'après 1993 et n'englobe pas les ressources transférées auparavant, qui continuent d'être régulées d'après les lois antérieures à la CDB [Hermitte, 2004, p. 88]. L'accord sur les ADPIC a, pour sa part, éliminé toute obligation pour les États d'assurer une protection sur des objets tombés dans le domaine public (article 70.3), qui devient facultative. L'interprétation proposée par le chercheur Brendan Tobin [14], selon laquelle le mandat de l'article 8j doit englober les savoirs tombés dans le domaine public [Tobin, 2001, p. 55] semble toutefois être privilégiée par le gouvernement péruvien au motif de la conservation du patrimoine et de la dimension symbolique sous-tendue.

Le secret : une catégorie « inédite » pour la propriété intellectuelle ou une innovation juridique ?

17En principe, réservé aux savoirs qui ne sont pas dans le domaine public, le registre confidentiel réunit les informations relatives aux usages des plantes qui ne sont ni connus ni divulgués dans une communication dite « massive » de ce savoir. À chaque usage correspond une entrée. En mai 2015, il comptait 1 847 savoirs traditionnels.

18Le recours à la notion de « secret » est incontestablement l'un des éléments originaux de ce système, tant pour la charge symbolique du terme vis-à-vis des communautés, que pour son insertion dans le cadre des droits de propriété intellectuelle. Derrière cette notion se trouve une idée en apparence simple : les savoirs sur les ressources biologiques qui ne sont pas connus ou divulgués doivent être enregistrés dans le registre confidentiel. Du principe à sa mise en  uvre concrète se pose toutefois une question complexe : quel est le caractère inédit d'un savoir ?. De quelle façon les fonctionnaires de l'INDECOPI trient-ils les savoirs en vue d'un enregistrement dans le registre confidentiel ? L'exemple qui suit est éloquent :

19 « Dans certains cas, c'est très précis, le cas est très détaillé, mais nous ne trouvons pas la même information. Nous pouvons trouver quelque chose de similaire, mais ce n'est pas la même [chose] et nous faisons donc l'enregistrement dans le [registre] confidentiel. Voici le critère : il faut qu'il s'agisse de ‟miroir-miroir” [information exacte], nous ne pouvons pas enregistrer [dans le domaine public] quelque chose qui ne soit équivalent » (Madame X, INDECOPI, mars 2015).

20 Il y a ici un effort pour saisir la spécificité du procédé, car celui-ci est fondamental pour distinguer le public du privé. Toutefois, le contenu du registre confidentiel est déterminé en fonction du registre public et des outils dont les fonctionnaires de l'INDECOPI disposent pour alimenter ce dernier. En raison de la corrélation constante établie entre ces deux bases de données, et au fur et à mesure de l'élargissement de la sphère du public, l'étendue de la sphère du secret peut se réduire après le constat d'un savoir rendu public. Cette logique échappe au contrôle des communautés et peut devenir problématique. Selon la même responsable de l'INDECOPI, au moment de demander l'enregistrement, les communautés choisissent systématiquement le registre confidentiel. Cependant, après vérification dans la base de données de l'INDECOPI et dans les publications scientifiques, l'institut peut décider d'inscrire le savoir dans le registre public, et ce contre l'intention de la communauté.

21 En termes juridiques, le registre confidentiel, parce qu'il met en  uvre une protection non limitée dans le temps et sans coût pour les communautés, semble assez proche de la notion de « secrets commerciaux » [Ruiz, 2010, p. 22]. Dans l'accord sur les ADPIC, les « secrets commerciaux » sont assimilés aux « renseignements non divulgués », qui accordent aux personnes physiques et morales le droit d'empêcher la divulgation, l'acquisition ou l'utilisation d'informations « licitement sous leur contrôle » (article 39), pourvu qu'elles soient secrètes, attestent une valeur commerciale et que des mesures « raisonnables » pour assurer le secret aient été prises [15]. Les savoirs traditionnels associés aux ressources biologiques peuvent trouver leur place dans ce cadre juridique, car ils sont considérés comme des procédés. Le caractère collectif de ces savoirs fragilise néanmoins cette modalité de protection, en raison de la possibilité de divulgation par d'autres personnes ou communautés en possession du même savoir.

22 À la fois dépositaire et détenteur du secret, l'INDECOPI détient aussi un pouvoir de décision sur l'usage et la finalité de ces savoirs, ce qui soulève une ambiguïté fondamentale. En effet, inhérent à la nature des bases de données [Brahy, 2006, p. 286], il semble possible que l'INDECOPI puisse envisager une exploitation commerciale des bases de données qu'il a créées, avec la possibilité d'associer à leur consultation tarifée un accord de non-divulgation. Toutefois, en ce qui concerne le registre confidentiel péruvien, la présentation devant les offices de brevets n'est pas prévue et la consultation par des tiers est interdite (article 18). Cette décision est fréquemment justifiée par les fonctionnaires de l'INDECOPI par le respect dû aux communautés autochtones. S'ajoute à ces considérations, d'ordre éthique, la logique économique de la loi qui invite, par hypothèse, à relier cette décision à deux motifs : le premier concerne l'intention d'établir l'antériorité de l'enregistrement des savoirs, ce qui requiert la procédure fondamentale de « traduction » des savoirs traditionnels dans le langage de la propriété intellectuelle ; le second renvoie au projet de l'État péruvien de soutenir l'innovation par le développement de nouveaux produits à partir de ces savoirs. L'exploitation des savoirs traditionnels est pourtant réputée malaisée [16] et l'antériorité difficile à établir sans divulguer le secret, même dans le cas de la négociation d'un contrat. Il n'en reste pas moins que l'intention de l'État péruvien est claire : il s'agit pour lui d'exercer un contrôle direct sur les savoirs et de devenir un acteur incontournable lors d'éventuelles exploitations commerciales.

Les « alliés » et la construction de liens : la force symbolique du registre

23Selon la loi 27811, l'enregistrement débute à la demande du chef de l'organisation représentative ou de la fédération à laquelle la communauté concernée est affiliée ou qui est désignée par celle-ci. Si l'un des apu (l'autorité traditionnelle) de la communauté Yanesha est fier d'affirmer que c'est bien à leur initiative que l'enregistrement des savoirs a eu lieu en 2012 (entretien LAF, avril 2015), cette pratique est exceptionnelle, car dans la majorité des cas, c'est une équipe de l'INDECOPI qui se rend auprès des communautés autochtones pour faire la promotion du registre et encourager l'inscription des savoirs. Cette initiative est justifiée par le souci de pallier « un manque d'intérêt » manifeste des communautés, associé, selon les membres de l'INDECOPI, à une méconnaissance de la loi. Si l'on considère les demandes des communautés au sein de l'INDECOPI, on constate effectivement que début 2006 (la loi date de 2002) aucun enregistrement n'avait été effectué (Madame X, INDECOPI, entretien juillet 2012).

24 S'agit-il d'une forme de résistance de la part des autochtones, compréhensible du fait de leur participation limitée à l'élaboration de la loi 27811 [17] ? La disposition des organisations autochtones nationales et régionales à participer au processus lorsqu'elles sont sollicitées, ainsi que l'enthousiasme de certains porte-parole lors d'ateliers consacrés à la loi 27811 [18] semblent corroborer un intérêt particulier lié à l'exploitation commerciale de leur savoir [19]. Ainsi, la responsable de la santé au sein d'une communauté de la région de San Martin conclut : « nous avons un droit, et nous devrions donc avoir une incitation, que ce soit de l'argent ou autre chose » (entretien FM, avril 2015). D'autres, comme le responsable d'une fédération quichua de la région de San Martin, qui a participé à l'enregistrement de 260 savoirs traditionnels (entretien, TM avril 2015), pointent davantage la cohésion de la communauté par le biais de la récupération de savoirs médicinaux. En attendant, d'autres préoccupations, comme la reconnaissance légale des territoires, les concessions minières et les extractions forestières que le gouvernement autorise, constituent un aspect majeur de l'agenda des organisations autochtones sur la scène politique.

25 Promu par l'État, l'enregistrement de savoirs entraîne de la part de l'INDECOPI une entente avec les communautés autochtones qui n'est pas évidente pour une institution publique chargée de la propriété intellectuelle. L'un des fonctionnaires de l'INDECOPI l'exprime d'ailleurs en ces termes : « Nous ne pouvons pas y aller tous seuls ; nous essayons d'y aller avec une fédération, un institut qui soit parvenu à se mettre en contact avec ces communautés et donc à gagner leur confiance. Parce que si j'arrive en tant qu'État, sans rien faire en préalable et sans aucun soutien, les gens ne vont pas être objectifs, peut-être ils vont m'écouter, mais je ne vais pas pouvoir aller plus loin » (Madame X., entretien juillet 2012). C'est pour l'interaction avec les communautés que l'INDECOPI fait appel à un réseau d'organismes considéré comme capital : les institutions « alliées ».

26 D'usage courant dans le langage des fonctionnaires de l'INDECOPI lors des entretiens que j'ai réalisés et dans différents documents fournis par ceux-ci, le terme « allié » désigne des institutions, ONG, associations ou instituts consacrés à la recherche sur les plantes et au travail avec les communautés. Ces acteurs contribuent à l'enregistrement de savoirs dans le cadre des appels à projets et agissent en fonction d'un bailleur international ou bien à la demande directe de l'INDECOPI.

27 Puisqu'il s'agit avant tout d'une nomination faite par l'INDECOPI, la présence, parmi ces institutions alliées, de l'Institut de recherches de l'Amazonie péruvienne (IIAP), du Centre des cultures autochtones du Pérou (CHIRAPAQ) et de la Confédération des nationalités de l'Amazonie du Pérou (CONAP) offre des exemples intéressants pour l'analyse.

L'INDECOPI et l'IIAP : un pari sans risque

28L'Institut de recherches de l'Amazonie péruvienne (IIAP), collaborateur habituel de l'INDECOPI est une institution publique promouvant l'usage durable de la diversité biologique de l'Amazonie. Depuis sa création en 1980, l'IIAP développe des programmes de recherche dans plusieurs domaines, dont la biodiversité, le changement climatique, la forêt, ou la conservation de l'eau. Implanté tout au long de l'Amazonie péruvienne, l'IIAP mène aussi des projets avec les communautés autochtones des régions au travers de deux programmes : le programme de recherche en biodiversité de l'Amazonie (PIBA) et le programme de recherche sur la diversité culturelle et l'économie de l'Amazonie (SOCIODIVERSIDAD).

29 Que ce soit dans le cadre de l'évaluation des composants bioactifs par le PIBA ou celui de la gestion des terres communales et de la diversité biologique du programme SOCIODIVERSIDAD, une approche ethnobotanique est privilégiée dans le respect strict de la loi, particulièrement pour ce qui est du consentement préalable. C'est ainsi que, entre les Andes et l'Amazonie, dans des territoires souvent éloignés des grandes villes, avec une équipe de scientifiques composée principalement de biologistes et d'ethnobotanistes, l'IIAP réalise des recherches de terrain auprès des communautés.

30 Depuis 2010, le programme SOCIODIVERSIDAD prend en main l'enregistrement des savoirs et dirige toute l'organisation de l'accès des membres de l'IIAP aux communautés. Une personne de l'IIAP de la région de San Martin nous précise : « Nous prenons tout en charge, le choix des communautés, le travail avec elles, ainsi que le repérage des communautés qui ont une intention de travailler ces sujets puisque nous devons faire tout un travail de sensibilisation avec les membres des communautés... » (Entretien CO, mars 2014). Quant au PIBA, il est chargé de la collecte et de l'identification des plantes, laquelle se présente davantage comme un échange de savoirs entre l'ethnobotaniste et la communauté, du moins d'après les propos de L. R., attachée à l'IIAP depuis plus de 15 ans (entretien, avril 2015).

31 L'intervention de cette institution tierce, qui n'est pas prévue par la loi est évidemment bénéfique pour l'INDECOPI, ce qui explique ce terme d'allié. L'IIAP facilite le travail de l'INDECOPI d'autant plus que ses employés n'ont pas de formation méthodologique en ethnobotanique. Cette absence de formation suscite d'ailleurs les critiques de certains scientifiques, biologistes et ethnobotanistes, sur la façon de collecter et de transcrire les données (Entretien A. C., Musée d'histoire naturelle, mai 2015).

L'INDECOPI et les autochtones : des éventuels alliés ?

32Les alliés épaulent aussi l'INDECOPI dans le travail d'enregistrement des savoirs auprès des communautés autochtones, d'où l'importance de la participation des organisations et des associations autochtones comme le Centre des cultures autochtones du Pérou (CHIRAPAQ) et de la Confédération des nationalités amazoniennes du Pérou (CONAP).

33 Le Centre des cultures autochtones du Pérou (CHIRAPAQ) (« scintillement d'étoiles » en langue quechua) s'est activement engagé entre 2008 et 2009 auprès des communautés andines quechuas de la région d'Ayacucho et des communautés natives Asháninkas de la région de Junin, en sollicitant l'inscription de près de 165 savoirs. Mis en  uvre par des autochtones natifs et amazoniens selon une approche interculturelle et dans une perspective du genre, l'enregistrement de ces savoirs s'est inscrit dans le cadre de l'initiative de la Liaison continentale des femmes autochtones des Amériques et fait partie d'un projet financé par le Fonds de développement agricole FIDA [Chirapaq, 2009]. Ce projet étant très étendu, englobant la région de la Sierra et de la forêt Amazonienne, une collaboration avec les fonctionnaires de l'IIAP a été prévue dans le but de déterminer le nom scientifique des plantes (Entretien Madame P., Chirapaq, mars 2014).

34 Pour l'enregistrement des savoirs traditionnels de la communauté autochtone de Callerias (ethnies Llaneza et Shipibo-Conibo) qui a eu lieu en 2007, le rôle de la Confédération des nationalités amazoniennes du Pérou (CONAP) [20], est plus complexe. En « association » avec la Société péruvienne du droit de l'environnement (SPDA) et l'INDECOPI [Ruiz, 2010, p. 27], la CONAP participe comme organisation représentative de la communauté de Callerias. Son rôle ne s'est cependant pas cantonné à cela, tel que l'usage du mot « associé » le démontre. La CONAP est aussi censée faire la promotion (socialisation) de la loi au sein de la communauté au travers des ateliers mis en place pour l'occasion et des contacts directs avec les membres des communautés. « Moi-même, en tant que représentant de la CONAP, j'ai participé et discuté, premièrement avec les autorités de la communauté ; il fallait une autorisation de la communauté et nous avons eu le soutien des autorités pour parvenir au consentement de la communauté et ainsi procéder par la suite à la collecte de plantes » (entretien avec un membre de la CONAP, mars 2014). Au préalable, et pour être en mesure de discuter de la loi auprès des communautés, les membres de la CONAP ont suivi une formation sur les dispositions générales de la loi 27811 et sa mise en  uvre [Ruiz, 2010, p. 24], ce qui renforce l'idée d'une méconnaissance de la loi de la part des autochtones.

35 Travaillant pour le compte de l'INDECOPI dans le but de matérialiser les finalités de la loi et surtout de réaliser l'enregistrement de données, les alliés sont de nature diverse et affichent des intérêts divergents. Toutefois, une intention commune est à la base de leur collaboration : la sauvegarde des savoirs des communautés face au risque d'extinction, qui est l'un des arguments mobilisés pour persuader les communautés de décrire leurs savoirs.

Conclusion

36Dans la mise en  uvre du système de protection des savoirs traditionnels que le Pérou entreprend se dégage une intention de revendication et de valorisation des ressources biologiques et des savoirs traditionnels des communautés autochtones. Ces dernières bénéficient d'une visibilité dont l'État veut tirer profit.

37 La construction d'un inventaire des savoirs est certes une innovation et fait partie d'une nouvelle conception de la nation dans laquelle les communautés et l'État sont censés travailler autour d'un même objectif. Toutefois, elle comporte une instrumentalisation de la part de l'État par le biais d'une « appropriation » des savoirs, dans la mesure où le registre est géré par celui-ci et met l'accent sur les savoirs des communautés péruviennes.

38 Bien que le registre bénéficie d'un accueil positif au sein des organisations et des associations autochtones péruviennes, elles ne le revendiquent pas. C'est, pour cette raison que l'INDECOPI entreprend la démarche auprès des communautés. Mais cette initiative génère deux conséquences : les communautés sont invitées à s'engager dans le registre, mais leur participation demeure fortement incitée et contrôlée par l'État, par diverses institutions publiques et privées, particulièrement dans l'étape de collecte de données ; l'accent est mis sur les registres public et confidentiel en dépit du soutien du registre local géré par les communautés, celui-ci pouvant constituer un exemple plus génuine de régime sui generis.

39 Une fois les données collectées, l'autonomie des communautés titulaires des savoirs pour gérer le registre ainsi que leur contrôle sur ces savoirs est difficile à situer. Pour les organisations et les associations autochtones, c'est une façon de se rendre visible sur la scène politique nationale et de s'insérer dans des projets internationaux. Le registre n'est cependant pas leur priorité, car les conflits parallèles dans lesquels elles se débattent concernant la revendication des territoires rendent secondaire l'intérêt que les communautés peuvent avoir pour l'enregistrement des savoirs.

40 En ce qui concerne le régime juridique, la consolidation du registre confidentiel contenant des données inédites est lente et manque de précision, car il est uniquement alimenté par l'information publique, accessible aux fonctionnaires pour leur propre expertise, dont les sources demeurent ténues. Outre la sauvegarde des savoirs, la protection et la valorisation de ce registre à des fins commerciales restent ambigües. Le Registre public n'a pas de méthode de transcription et de classification utile destinée aux offices des brevets pour rendre compréhensible l'information et pour permettre aux examinateurs des brevets d'aborder la question des savoirs traditionnels dans leurs analyses. Dans le cas péruvien, aucun brevet n'a été remis en question à partir du registre, car la contestation auprès des offices de brevets se réalise à travers une autre institution, la Commission nationale de lutte contre la biopiraterie, laquelle, bien qu'affilié à l'INDECOPI, développe son propre système de gestion de l'information.

41 En attendant les bénéfices économiques, la régulation juridique du registre et surtout la participation de l'INDECOPI assurent une fonction symbolique importante et fortement connotée dans le contexte latino-américain : elles renouent les liens entre l'État et les communautés autochtones et contribuent à consolider la confiance de ces dernières dans le régime de la propriété intellectuelle pour la protection des savoirs traditionnels.

Notes

  • [1]
    L'idée de sui generis désigne, soit l'adaptation d'un outil juridique déjà existant, soit la création d'un système spécifique qui respecte les particularités du bien juridique à protéger [OMPI, 2002, p. 9].
  • [2]
    Dans le contexte péruvien, la communauté demeure le mode d'organisation sociale et politique des peuples autochtones, lesquels sont définis par la Convention 169 de l'OIT comme les peuples ayant des droits dont l'existence précède la constitution de l'État, qui maintiennent des traditions, des coutumes et un territoire propres, avec un accent mis sur l'autoreconnaissance. Divisé principalement selon un critère géographique et linguistique, en communautés paysannes (les habitants de la Sierra) et communautés natives (habitants de la région de la forêt amazonienne), le 3e recensement national agropécuaire de 1994 reconnaît 5 680 communautés paysannes et 1 192 communautés natives [Del Castillo, 2014, p. 120].
  • [3]
    Avec à peu près 25 000 spécimens de flore, 11 écorégions et 84 microclimats [Ministerio de Relaciones Exteriores].
  • [4]
    Basé sur la Déclaration de Cancún, ce groupe constitué en 2002 rallie 17 pays avec la plus grande diversité biologique au monde et a pour but d'intervenir en leur faveur dans les négociations concernant celle-ci [Aubertin, Pinton, Boisvert, 2007, p. 88].
  • [5]
    La Communauté andine (CAN) créée en 1969 sous les postulats du Pacte Andin est un organisme régional d'intégration économique composé par la Colombie, l'Équateur, la Bolivie et le Pérou. Le Venezuela, présent depuis sa création, a quitté la CAN en 2006.
  • [6]
    En ce qui concerne les populations autochtones, j'ai privilégié les entretiens avec les présidents des principales organisations autochtones qui siègent à Lima : AIDESEP (Association interethnique de développement de la forêt péruvienne) et CONAP (Confédération des nationalités de l'Amazonie péruvienne), ainsi qu'avec les responsables de la question des savoirs traditionnels au sein de celles-ci. Ont également été sollicités : les fonctionnaires de l'INDECOPI, les autorités de trois organisations autochtones natives régionales, les chercheurs des universités publiques (San Marcos) et privées (Université Cayetano Heredia) à Lima, de l'Institut de recherches de l'Amazonie péruvienne (IIAP) et le responsable de la question des savoirs des autochtones au Centre des cultures indigènes du Pérou (CHIRAPAQ).
  • [7]
    J'ai assisté au premier séminaire régional de protection et d'innovation en produits naturels d'origine péruvienne organisé par l'INDECOPI les 18 et 19 mai 2015, ainsi qu'à l'atelier « outils qui facilitent l'utilisation juste et équitable des savoirs traditionnels » qui s'est tenu à Tarapoto, dans la région de San Martin, le 7 avril 2015 et qui était destiné aux porte-parole des communautés autochtones de la région. Il a été sponsorisé par l'Institut de recherches de l'Amazonie péruvienne (IIAP) et a porté sur le cadre légal de la protection des savoirs traditionnels, les contrats de licence et les protocoles de négociation.
  • [8]
    Avec la réforme agraire qui s'amorce dès les années 1950 et dont le décret-loi 17716 de 1969 constitue un point important, la dénomination de « communautés paysannes » supplante celle « d'autochtones » (indigenas) et avec la Constitution politique de 1979 s'ajoutent les « communautés natives », toutes les deux sous une même régulation [Robles, 2002, p. 118]. Pour une analyse de la question, voir Salazar-Soler [2013] et Robles [2002].
  • [9]
    Et ratifié, par ailleurs, dans la Déclaration de Matatua [Hermitte, 2007, p. 196].
  • [10]
    Toutefois, depuis les années 1990, diverses organisations prônent une systématisation des savoirs autochtones afin de les rendre disponibles pour la recherche scientifique. C'est le cas du Board on Science and Technology for International Development aux États-Unis [Nemoga, 2013, p. 100].
  • [11]
    Tel que mis en avant dans l'accord sur les ADPIC.
  • [12]
    Premier séminaire régional de protection et d'innovation en produits naturels d'origine péruvienne.
  • [13]
    Créée par la loi 27811, celle-ci prévoit que le Fonds sera notamment financé par le budget public, la coopération technique internationale et les dons. En décembre 2015, le Fonds n'était pas encore en fonctionnement.
  • [14]
    Ayant travaillé avec la Société péruvienne du droit de l'environnement (SPDA) au Pérou, Brendan Tobin a suivi tout le processus de création de la loi 27811 de 2002.
  • [15]
    En France, leur protection se réalise à travers l'enveloppe Soleau pour une période de cinq ans renouvelable.
  • [16]
    Du fait, de la présence d'acteurs multiples et très variés dans le processus de bioprospection, des avantages des ingénieurs en chimies combinatoires qui ne passent pas par des négociations avec des communautés, ou encore des coûts associés à la recherche de plantes médicinales pour l'industrie pharmaceutique [Moretti, Aubertin, 2007].
  • [17]
    Pour ce qui est de la participation des organisations autochtones dans l'élaboration de la loi 27811, voir [Tobin, Swiderska, 2001].
  • [18]
    Notamment aux protocoles de négociation des contrats visant un partage juste et équitable des bénéfices dérivés des savoirs traditionnels.
  • [19]
    Même si une intention plus large de protection et de sauvegarde des savoirs traditionnels serait à la base de la conception de la loi 27811, selon l'un des participants autochtones (entretien, mai 2015).
  • [20]
    La CONAP, créée en 1987, est l'une des principales organisations autochtones natives péruviennes. Elle compte 25 fédérations et 390 délégués au plan national.
Français

À la suite la Convention sur la diversité biologique en 2002, l'État péruvien a mis en place une base de données des savoirs collectifs des peuples autochtones associés aux ressources biologiques. Inscrits dans la logique de la protection des droits de propriété intellectuelle, ces savoirs sont conçus comme un outil de développement économique pour l'État aussi bien que pour les peuples autochtones. En décrivant la construction juridique et la mise en  uvre de cette base de données, cet article montre les particularités d'une régulation originale qui s'achemine vers un processus de nationalisation des savoirs traditionnels auquel les peuples autochtones ne participent que marginalement. En l'absence de bénéfices économiques, cette base n'a pour l'heure qu'une efficacité symbolique du rôle de l'État et des outils de la propriété intellectuelle pour la protection et l'exploitation de ces savoirs, efficacité cependant non négligeable pour les peuples autochtones.

Mots-clés

  • savoirs traditionnels
  • sui generis
  • base de données
  • autochtones
  • Pérou
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Adriana Munoz Sanchez
Juriste, doctorante en SPPS (santé, populations et politiques sociales) à l'École des hautes études en sciences sociales EHESS et attachée au CERMES3.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/12/2017
https://doi.org/10.3917/autr.080.0089
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