CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Quoique le traitement des cheveux ne figure pas parmi les « techniques du corps » énumérées par Mauss [(1936) 1991], il a fait l’objet d’un certain intérêt au fil des monographies de quelques grands pères fondateurs de l’ethnologie  [1]. Dans un article célèbre, Leach [(1958) 1980] réhabilite les cheveux non seulement en tant qu’objet ethnographique – montrant l’universalité et la variabilité de leur traitement –, mais insiste également sur leur valeur heuristique en tant que l’interprétation de leur façonnage illustre les apports réciproques de la théorie psychanalytique et de la démarche anthropologique ; il souligne surtout l’importance des coiffures dans les rites de passage. Aussi, la lacune relative des recherches actuelles sur les cheveux est d’autant plus étonnante qu’ils constituent un marqueur corporel dans la plupart des sociétés [Baduel et Meillassoux, 1975]. Mon propos est ici de contribuer à la documentation et à l’exploration anthropologique du traitement des cheveux lors du passage de la petite enfance à l’enfance – une période qui renvoie par ailleurs à un champ peu (re) connu de l’anthropologie  [2].

2 Dans les familles paysannes quechuaphones d’Amazonie bolivienne d’origine andine, la cérémonie de la première coupe de cheveux (rutuchikuy en quechua ; corte de pelo en espagnol) survient entre l’âge de deux et quatre ans. D’origine préhispanique, elle a été combattue (comme l’emmaillotement) par les hommes d’Église parce que considérée comme bestiale ou « idôlatre » (Christinat [1989], Malengreau [1995]). D’après González Holguín [(1608) 1952, p.323], rutuni signifie : « tondre une personne ou un animal » et rutuchicuni : « faire tondre l’enfant avec superstition et beuverie ». Le rutuchikuy, pour sa part, désigne « la cérémonie et la beuverie pour le tondre » [cité par Lestage, 1999, p. 244].

3 Le rutuchikuy est l’occasion de rendre publique l’existence de l’enfant (en l’appelant notamment par son nom), marquant ainsi son « entrée dans le monde » et, par-delà, son intégration dans le cadre de relations sociales plus larges et complémentaires à celle, privilégiée jusqu’alors, avec sa mère. Le rutuchikuy constitue également une étape importante de la construction sociale du sexe en ce qu’il amorce l’apprentissage de rôles et de comportements sociaux spécifiques. Négliger le rutuchikuy – ou ne pas l’opérer au bon moment – reviendrait à empêcher l’enfant de franchir l’allqa, la période où culminent les acquisitions motrices et sociales majeures qui participent de son « bon » développement (maîtrise de la marche, de la parole et du discours ; autonomie alimentaire partielle) dans les perceptions locales.

4 Mais en quoi le traitement des cheveux rend-il explicites ces différents passages ? Comment la coupe des cheveux scelle-t-elle les liens de l’enfant au monde des adultes ? Quelle fonction symbolique occupent les cheveux dans l’existence de la personne ? Je m’attacherai tout d’abord à dépeindre une cérémonie du rutuchikuy. Après en avoir analysées les implications sociales et symboliques, je suggérerai les correspondances qui apparaissent entre la sortie de la petite enfance et d’autres étapes ou rituels du cycle de vie – notamment la mort. Et c’est d’ailleurs par la description d’une séquence de rituel funéraire, dans laquelle le traitement des cheveux s’impose clairement comme un « marqueur d’état », que j’ouvrirai le texte.

Déroulement de la cérémonie

6 mai 2002 : séquence de rituel funéraire

5 La scène se déroule dans le cimetière de Puerto Aurora. Ce petit village est situé sur un front de colonisation agricole, en bordure de la rivière Chimoré, au cœur de la région amazonienne du Chaparé. En fin de matinée, plusieurs comuneros (habitants de la communauté) procèdent à l’enterrement d’une des leurs. Alors que le cercueil n’est pas encore scellé, plusieurs hommes se saisissent du corps de la défunte et le redressent doucement. Une parente s’en approche et entreprend de dénouer une par une les nombreuses tresses qui composent sa coiffure  [3]. Sauf lorsqu’elles se les lavent, les femmes, dans les régions andines, portent toujours les cheveux peignés et tressés. Les nœuds en tissu qui enserrent les tresses, une douzaine, sont mis de côté dans un bol, tandis que les cheveux lachés – qui reprennent leur volume naturel – recouvrent une grande partie du visage de la morte. Ce n’est qu’après avoir effectué ce geste que le corps est définitivement mis en bière, laquelle est ensuite calée au fond de la sépulture. À l’instar de la plupart des habits  [4] de la défunte, les nœuds doivent être immédiatement brûlés et leurs restes, quelques particules de poussière, sont dispersés par le vent.

6 Paradoxalement, l’observation de cette séquence précise du rituel funéraire m’a permis de mieux comprendre, un an après et dans le même village, le sens de la cérémonie de la première coupe de cheveux de l’enfant à laquelle j’ai pu assister. Elle m’a plus généralement éclairé sur l’importance jouée par le traitement des cheveux dans le marquage corporel associé aux statuts successifs qu’occupe la personne au cours du cycle de vie.

7 juin 2003 : le rutuchikuy d’Evaristo

7 Cette fois-ci, la scène se déroule en début d’après-midi. Pour les parents de l’enfant, le rutuchikuy est l’occasion de réunir tout ou partie de l’entourage (parenté proche et élargie, parenté rituelle, voisins et amis)  [5]. Dans la mesure où elle est relativement coûteuse, puisqu’il faut abondamment pourvoir les invités en boissons alcoolisées et en nourriture, la cérémonie ne survient pas à une date fixe : elle vient « le moment venu... » dit-on pudiquement.

8 Les invités arrivent peu à peu à la chacra, le terme qui – dans cette partie de l’Amazonie bolivienne – désigne à la fois le champ et le logis attenant. Les convives, une vingtaine au total, prennent place sur de petits bancs disposés dans la cour en terre qui entoure la maison de bois montée sur pilotis de Doña Isidora et de son mari, Don Luciano – surnommé « Lucho ». Le couple, dont c’est le premier enfant à franchir le rutuchikuy, s’est installé dans sa propre maison il y a près d’un an, conformément au modèle néolocal. Auparavant, il vivait chez les parents de Lucho. Tandis que la mère de ce dernier surveille la cuisson des plats, la maîtresse de maison sert la chicha de maïs (bière fermentée plus ou moins alcoolisée) qu’elle a elle-même préparée.

9 Pendant ce temps, la jeune sœur de Doña Isidora entreprend de peigner ou plutôt de démêler la tignasse du jeune Evaristo, et de former le plus possible de tresses avec ses cheveux. Chaque tresse est tissée vers la gauche et doublée d’un ruban de couleur. Celui-ci permet d’arrêter la tresse en son extrémité en formant un nœud. D’après Robin Azevedo [2008, p. 55], les amulettes (fils de laine) accrochées aux poignets et aux chevilles des enfants sont tissées vers la gauche, c’est-à-dire à l’envers, afin « (...) d’éviter la sortie inopinée de l’âme-force vitale et la bloquer à l’intérieur du corps ». Dans le contexte thérapeutique, ces fils ont également « le pouvoir de contrer les sorts et d’élever une barrière de protection contre les maladies » [Véricourt, 2000, p. 39].

10 L’opération, qui relève de la prouesse tant l’enfant s’agite, doit cependant être répétée, car, d’après Doña Isidora, les couleurs des rubans choisis par sa sœur ne conviennent pas. Il est vrai que chacune revêt une ou plusieurs significations (espoir, argent, fertilité, fécondité, santé...) et que le « bouquet » ainsi composé renvoie à l’orientation de la destinée dont les parents souhaiteraient l’accomplissement pour leur enfant.

11 Le parrain de cheveux (padrino de pelo)  [6] est le premier à couper une tresse d’Evaristo. Il choisit celle dont la couleur du ruban qui l’enserre correspond à ce qu’il désire le plus pour lui. En l’occurrence, il choisit le vert censé symboliser l’espoir, l’avenir... Muni de ciseaux, il coupe la tresse et le ruban, et prend bien soin de recueillir l’ensemble dans un plat. Dans les Andes, mais aussi dans l’Europe médiévale où ils permettaient d’éloigner les démons, les ciseaux – qui symbolisent la croix – apparaissent dans la plupart des rituels de protection [Christinat, 1989]. Après avoir sèchement soufflé sur la tête de l’enfant  [7], le parrain de cheveux émet haut et fort le vœu selon lequel le jeune Evaristo fera un « bon militaire pour défendre la Patrie ! ». Ce vœu, auquel répondent les rires et applaudissements de l’assistance, prend d’autant plus de sens que le vert est aussi la couleur des militaires et l’une des couleurs emblématiques du drapeau bolivien qui flotte non loin, accroché à un pilier de la maison en ce jour particulier.

12 Avant de passer le plat à ses voisins, le parrain de cheveux y dépose huit billets de 5 bolivianos (l’équivalent à l’époque de 6 euros)  [8]. Le fait de privilégier plusieurs petits billets au lieu d’un ou de deux gros n’est pas anodin. Comme je l’expliquerai plus loin, il s’agit d’une métaphore de l’abondance sous-entendant que l’argent va « s’auto-reproduire ». Il arrive aussi que soient déposés des billets en dollars US, lesquels incarnent la monnaie la « plus forte » et la « plus sûre », indiquant métaphoriquement la volonté du donneur de faire un bon placement sur le long terme... Suivent alors les parents de l’enfant, puis ses grands-parents qui respectent la même procédure : chacun formule son vœu, tout en coupant la tresse de la couleur de son choix. Si certains invités, apparentés ou non à l’enfant, déposent quelques pièces dans le plat, d’autres y placent un tubercule (pomme de terre), des graines de céréales (quinoa, blé, amarante) en provenance des hauts plateaux ou un fruit (banane, orange...) qui seront offerts en plus grande quantité aux parents d’Evaristo plus tard dans la journée. N’ayant guère plus d’une dizaine de tresses, et celles-ci disparaissant rapidement, la cérémonie prend soudain un tour inattendu : des convives se lèvent spontanément et tentent d’aller couper un reste de mèche à l’enfant hilare ! Ceux qui n’y parviennent pas parachèvent la coupe en égalisant plus ou moins les ultimes touffes de cheveux, tout en faisant leurs offrandes. L’ambiance qui règne dans la chacra à ce moment souligne le caractère convivial, festif et, en définitive, relativement informel de la cérémonie. Et l’usage particulièrement généreux des serpentins pendant le rutuchikuy évoque irrésistiblement à l’observateur le renforcement (symbolique) des liens qui unissent les participants.

13 Les tresses et les rubans sont brûlés à l’issue de la coupe, selon une procédure similaire à celle mise en œuvre au terme des rites funéraires. Par le truchement de cette destruction totale et définitive, l’intention est de protéger l’enfant d’éventuels agresseurs vivants ou morts qui, en se saisissant de ce qui incarne son âme, souhaiteraient le frapper lui ou ses parents. D’ailleurs, que les cheveux soient gardés par ceux qui les ont coupés, confiés à la Terre-Mère (Pachamama) ou camouflés à l’intérieur de la maison, c’est la recherche de la protection de l’enfant qui prime (cf. également Àvalos de Matos [1952] et Valiente Catter [1965]).

14 Mais quelle est la place du rutuchikuy dans la vie d’Evaristo ? En quoi permet-il de passer d’un état à un autre, d’un âge à un autre ? Les principales séquences du rituel de la première coupe de cheveux étant dépeintes, il convient à présent d’examiner les implications à la fois symboliques et sociales de ce que Robin Azevedo [2008, p. 70] appellerait un « changement d’identité rituellement codifié ».

La place du rutuchikuy dans la vie de l’enfant

De la petite enfance à l’enfance : rituels et acquisitions

15 Attestée de longue date et largement répandue parmi les populations aymaraphones et quechuaphones des régions andines rurales comme urbaines, la cérémonie du rutuchikuy ne doit pas être confondue avec la coupe ou le rasage des premiers cheveux. Cette pratique, observable dans diverses sociétés africaines [Razy, 2007], arabo-musulmanes [Aubaille-Salenave, 1999], asiatiques [Ang, 1994] ou océaniennes [Jorgensen, 1983], survient quelques jours après la naissance du nourrisson, généralement lors du rituel de la dation du nom, tandis que le rutuchikuy se déroule entre la deuxième et la quatrième année de vie du petit enfant.

16 Habituellement, dans les populations andines, elle se tient une fois qu’il a franchi une série de rites de passage (coupe et traitement du cordon ombilical, ondoiement, baptême) ou d’étapes informelles (emmaillotement  [9], fermeture de la fontanelle, dation du nom) et lorsque ses parents estiment qu’il est sur le point d’achever la période au terme de laquelle il apprend à maîtriser les principales compétences motrices et sociales liées à son développement (marche, parole, autonomie alimentaire).

17 Et c’est peut-être pour cette raison que le rutuchikuy n’a pas été remplacé par la cérémonie du baptême catholique. Tandis que le baptême donne un esprit au tout-petit (l’esprit Saint descend en lui), et opère une forme d’exorcisme qui le sort du monde sauvage et domestique, il y a, dans le rutuchikuy, comme l’idée d’une nouvelle naissance non plus opérée par la mère biologique mais par la société  [10]. Le rutuchikuy occupe ainsi une place essentielle dans le cycle des rituels qui jalonnent la vie : il permet l’« achèvement » du petit enfant et annonce son entrée dans l’enfance.

La clôture de l’allqa

18 L’appréciation portée par les parents sur le niveau de développement  [11] de leur progéniture, que les parents appellent l’allqa, détermine la date de déroulement du rutuchikuy. Auparavant, on dit que « l’enfant n’est pas complet », qu’« il n’est pas encore consolidé » ou qu’« il n’est pas fait d’une seule pièce ». Ces expressions font clairement écho au concept quechua d’allqa qui signifie, littéralement, « la combinaison de deux couleurs », « la présence simultanée de l’ombre et de la lumière » ou « ce qui ne peut être uni » ; on peut également traduire le terme par « contrariété », « contraste » ou « dualité » Véricourt [2000, p. 39]. Cereceda [1990], pour sa part, rappelle que l’allqa est un oiseau adulte et multicolore tandis que l’allqamari est un oisillon monochrome. L’idée d’une maturation et donc d’une séparation pointe. Cereceda [1978] rappelle aussi qu’en aymara et en quechua anciens, le terme désignait celui qui parle sans discernement ni modération ou encore celui qui marche sans savoir où il va. Si les auteurs ne mentionnent pas l’application de l’allqa au développement des enfants humains, on peut formuler l’hypothèse d’un lien.

19 De tout ceci, il découle que le rite doit, en quelque sorte, « attendre » les étapes du développement de l’enfant et non les précipiter... Aux yeux des parents, il est indispensable que l’enfant se tienne bien debout et puisse manger sans être aidé avant de procéder au rutuchikuy. Les premiers signes de l’autonomie, dans tous ses aspects, constitue une condition préalable à la cérémonie. Aussi, le rutuchikuyne doit pas avoir lieu trop tôt au risque de freiner – voire d’interrompre définitivement – l’acquisition de la parole par l’enfant et sa capacité à la maîtriser. Cette exigence renvoie, comme ailleurs dans les Andes et dans le monde, au contrôle des émotions, des sentiments et des pensées parfois négatives qui sous-tendent les mots prononcés. Quand les parents disent que le rutuchikuy « libère la parole » [Suremain, 2007a], ils sous-entendent en fait que l’enfant doit désormais être capable de retenir ses cris, ses pleurs ou ses colères intempestives, et d’y substituer « la parole juste » (la palabra corecta). L’importance donnée à la maîtrise de l’oralité et à la retenue des comportements en général s’articule à la représentation selon laquelle toute forme d’expression non contrôlée peut se transformer en une agression magique, laquelle est susceptible de se retourner contre la personne qui en est, volontairement ou non, à l’origine [Bernand, 1985].

La construction sociale du sexe : le nom, les vêtements et les rôles

20 À Puerto Aurora, c’est à l’issue du rutuchikuy que les parents inscrivent l’enfant au registre de l’état civil : celui-ci se trouve à la mairie du bourg de Chimoré à environ quatre heures de marche. Il gagne alors une existence officielle et devient, en quelque sorte, un véritable citoyen bolivien  [12]. Inversement, sa mort devra désormais être déclarée. Dès lors, les personnes de l’entourage s’adressent à lui en utilisant son prénom, parfois un diminutif, mais n’emploient plus le terme quechua générique et sexuellement indifférencié de wawa (« bébé ») qui lui était réservé jusqu’à présent. D’après mes observations, l’enfant reçoit un nom lors de la cérémonie dite de l’ondoiement ou de l’« eau de secours » (agua de socorro), version domestique et intime du baptême religieux, quelques jours après sa naissance (la cérémonie du baptême à l’église, quant à elle, se tient généralement après la période de l’emmaillotement, c’est-à-dire au moins trois mois après sa naissance). Le fait que l’on se réfère à l’enfant – et que l’on s’adresse à lui – avec son propre nom induit l’apprentissage des rôles dévolus à son sexe, ainsi que le port des vêtements qui en découlent. Jusqu’au rutuchikuy, les wawa sont confondus, le sexe étant seulement trahi par le port de petites boucles d’oreilles pour les fillettes dont les lobes ont été percés lors du baptême. Dans la région péruvienne où Lestage [1999, p. 248] a travaillé, le percement des oreilles est, pour les filles, un rituel qui se substitue au rutuchikuy. Notons que tel n’est pas le cas dans le Chaparé et, que je sache, dans les hautes terres boliviennes.

21 Après la cérémonie de la première coupe de cheveux, les enfants revêtent comme une nouvelle peau. Tandis que les filles se couvrent le torse d’une chemisette et, surtout, qu’elles se laissent pousser les cheveux jusqu’à ce que l’on puisse les tresser, les garçons, même s’ils déambulent torse nu et en short, ont les cheveux coupés courts et portent une ceinture autour de la taille, comme la plupart des hommes qui travaillent aux champs (dans les hautes terres, les habits sont plus codifiés : pantalon pour les garçons, jupe pour les filles, et chapeaux – dont les modèles varient selon les communautés et le genre – pour les uns et les autres...).

22 Progressivement, les enfants se voient confier diverses tâches afférentes à leur sexe : balayage, lavage du linge, préparation de la cuisine, entretien de la bassecour ou ramassage du bois pour les unes et travail aux champs, pêche, chasse ou entretien des constructions pour les autres. Progressivement, après le rutuchikuy, il ne s’agit plus seulement d’apprendre des besognes par mimétisme en les observant, mais d’y participer activement sous le regard vigilant de ses pairs et, par-delà, de l’entourage.

23 Une fois montrée la place cruciale du rutuchikuy dans la vie de l’enfant, il s’agit maintenant d’en apprécier l’importance dans l’ensemble du cycle de vie. Après avoir élucidé les raisons qui commandent le choix du parrain ou de la marraine de cheveux, j’analyserai leur rôle dans l’insertion d’Evaristo à la société, notamment par son initiation progressive aux multiples enjeux liés à l’argent.

La place du rutuchikuy dans le cycle de vie

L’élargissement de l’entourage

24 Le rutuchikuy consacre l’intégration de l’enfant dans un large réseau de relations complémentaires à celles qu’il a entretenues jusqu’alors avec sa mère de façon privilégiée. Certes, depuis sa naissance, le cercle des personnes avec lesquelles il entre en interaction ne cesse progressivement de s’agrandir. En témoigne la diversité des partenaires, apparentés ou non, qui composent son « entourage nourricier » [Suremain 2000 et 2007b)  [13]. Toutefois, la cérémonie de la première coupe de cheveux élargit encore son univers avec, on l’a annoncé plus haut, la désignation d’un parrain ou d’une marraine de cheveux.

25 À l’occasion du rutuchikuy, la parenté rituelle – la relation de parrainage qui unit des adultes à travers le lien qu’ils entretiennent avec un enfant – entraîne des relations de compadrazgo particulières [14] avec l’enfant et les membres de sa famille. En premier lieu, le parrain ou la marraine de cheveux n’est pas apparenté à l’enfant, comme cela peut être le cas pour d’autres rituels de l’existence (naissance, cordon, baptême). Par ailleurs, il est notable qu’une seule personne puisse être choisie pour la cérémonie, et non un couple, comme c’est l’usage pour d’autres occasions (baptême confirmation, fête des 15 ans, mariage). Enfin, le parrain ou la marraine de cheveux désigné est originaire du village et se situe au même niveau de richesse, ou de pauvreté, que ses compadres [15].

26 Ces différentes caractéristiques confèrent à la relation qui unit l’enfant à son parrain ou à sa marraine – ainsi qu’à celle qui lie les compadres – une dimension bien moins formelle qu’à l’accoutumée. Les liens ainsi consacrés sont plus proches de « l’amitié ritualisée » que de la cordialité compassée qui marque souvent le compadrazgo dont parle Christinat [1981, p. 92]. Dans le cadre du rutuchikuy, le compadrazgo contribue à consolider les rapports entre des personnes proches, tant sur le plan résidentiel que socio-économique, mais pas apparentées. Ce faisant, par l’entremise de son parrain ou de sa marraine, qui l’invitera régulièrement et où il pourra se rendre librement, l’enfant conforte son intégration à la communauté plus large formée par le quartier et le village. Il fait, selon l’expression locale, son « entrée dans le monde ».

Des parrains, des cadeaux, de l’épargne

27 Les dons en nature (fruits, tubercules, légumes, céréales...) sont partie intégrante de la cérémonie. C’est la mère d’Evaristo qui regroupe l’ensemble des vivres offerts par les convives, lesquelles ne se limitent bien évidemment pas aux échantillons déposés dans le plat qui circule lors du rituel. Il s’agit de sacs entiers, entreposés dans le coin-cuisine (ouvert) de la maison. Ces denrées sont destinées à une consommation quasi-immédiate dans la mesure où de nombreux invités ne repartiront pas le jour même, mais le lendemain – voire le surlendemain.

28 Au-delà de cette raison pratique, pointe l’idée selon laquelle les dons en aliments que les parents ont reçus « pour » Evaristo laissent présager que ce dernier ne manquera jamais de rien au cours de son existence. Dans les offrandes de produits de la terre qui surviennent à l’occasion du rutuchikuy, Malengreau [1995, p. 287] voit le signe d’une alliance, plus fondamentale, entre l’enfant, les apus (« esprits de la montagne ») et la Pachamama (« Terre-Mère ») : « Il s’établit (...) à ce moment un lien entre l’enfant et, d’une part, les apus, par la prise de possession par l’enfant d’un animal qui va paître dans la montagne, associée au monde des apus, protecteurs des troupeaux et donc de la laine qui sert à tisser les vêtements reçus, et, d’autre part, la Pachamama, par le don à l’enfant de produits agricoles dont la Pachamama est la garante ». À Puerto Aurora où l’élevage de montagne n’est pas adapté aux conditions écologiques, l’enfant ne se voit pas confier la responsabilité d’un animal. Pour autant, après le rutuchikuy, il est vrai qu’il lui sera désormais possible d’accompagner ses pairs ou ses parents qui vont traire les vaches, les soigner ou les changer de pâture. Le lien est direct entre l’entrée dans la vie productive de l’enfant et sa participation à des activités d’adultes.

29 L’argent recueilli (une centaine de bolivianos soit 15 euros) en même temps que les petites tresses de cheveux d’Evaristo fait l’objet d’un traitement spécifique : il participe de l’insertion de l’enfant à l’économie domestique et plus largement à la « gestion » des relations dont il constitue l’un des enjeux. En recevant, l’enfant se trouve désormais dans l’obligation, à terme, de rendre. La dette est créatrice de lien. En constituant un capital à l’enfant (produits agricoles et argent), celui-ci se voit lancé dans l’économie et le monde du travail, dans le monde des adultes et dans les rapports sociaux qui le caractérisent.

30 L’argent est présenté comme une cagnotte qui reviendra à Evaristo une fois celui-ci considéré comme un véritable adulte (c’est-à-dire dès lors qu’il se sera marié et qu’il aura eu un enfant). Entre-temps, l’argent est censé fructifier, se multiplier, croître... « en passant de main en main » dit-on  [16]. En réalité, c’est la mère d’Evaristo qui va se charger de la gestion à long terme de ce petit portefeuille en le faisant rentrer dans des cycles de prêts (avec intérêts) auprès de quelques personnes de confiance  [17]. L’argent est ainsi divisé en toutes petites sommes sans qu’aucun document écrit ne vienne formaliser les transactions. Dans le contexte, seule la parole et la promesse de rendre comptent. Parmi les bénéficiaires privilégiés, figurent le parrain ou la marraine de cheveux, l’ensemble des compadres de Doña Isidora, ainsi qu’une petite dizaine de parents ou personnes de l’entourage.

31 La somme en jeu (100 bolivianos) sert de support à l’apprentissage de la confiance ou, plutôt, de la « confiance négociée ». En suivant le cheminement de « son » argent, Evaristo apprend les arcanes souvent complexes qui commandent les relations entre prêteurs et débiteurs. Cette utilisation pédagogique de l’argent, qui permet en même temps de découvrir le jeu social dans ses dimensions les plus ordinaires, est indissociable des acquisitions psychomotrices – présentées comme « naturelles » par l’entourage d’Evaristo – que sont la marche, l’autonomie alimentaire et la parole, et qui sont le préambule du rutuchikuy.

Conclusion

32 Qu’en est-il finalement du statut des cheveux lors des rites de passage, très importants dans le cycle de vie, que sont le rutuchikuy et la cérémonie funéraire ? Comme si la mort et la « naissance sociale » se faisaient écho, les deux cérémonies dans lesquelles apparaissent les cheveux s’éclairent l’une par rapport à l’autre. À ce titre, le traitement des cheveux s’impose comme un marqueur d’état essentiel.

33 Le rutuchikuy évoque le démarrage d’un processus de contrôle social de la personne par l’entremise des nombreuses relations qui la rattachent désormais à son entourage, à son village, à son quartier et plus généralement à la société. S’ajoute aussi le contrôle social des comportements et des émotions à travers la maîtrise de la parole et du corps. Cependant, le rattachement de l’enfant à la vie sociale passe d’abord par une coupure fondamentale – celle du lien privilégié avec la mère – symbolisée par la coupe de ses petites tresses. Dans le même registre, il est significatif que les premiers cheveux de l’enfant soient appelés « les cheveux du ventre »  [18] dans certaines régions des Andes. L’articulation entre la première coupe de cheveux de l’enfant et la période de la gestation ressort ici clairement. Couper les cheveux ne reviendrait-il pas finalement à couper, au sens figuré, le cordon ombilical  [19] ?

34 Le dénouement des cheveux lors du rituel funéraire évoque, à l’inverse mais en écho, une libération alors que la personne était jusqu’à présent comme attachée à la vie ou nouée dans le nattage des relations sociales. D’après Christinat [1981, p. 82] : « Les rites funéraires n’exigent pas à proprement parler un parrain ; ils impliquent néanmoins une série d’obligations pour certains des parrains du défunt ». À Puerto Aurora, j’ignore si la « parente » qui a dénoué les cheveux de la défunte mentionnée plus haut était l’une de ses marraines ou comadres. Quoi qu’il en soit, l’acte de dénouer les cheveux pourrait revenir métaphoriquement à les rendre à la morte et, ce faisant, à la défaire de toutes les relations dans lesquelles elle était prise. Dispensé de relations sociales, privé de parole, le défunt semble effectuer une sorte de désocialisation ou un retour en enfance sur le plan social ; il observe un mouvement de « décroissance » sur un plan physiologique ; plus largement, il partage l’état de tous ceux qui n’appartiennent pas à la société des vivants, lesquels sont complets, adultes, sexués, productifs et n’appartiennent pas au monde des limbes [Platt, 2001]  [20].

35 Au fil de la vie, les individus franchissent d’autres étapes (fête des 15 ans, mariage...) au cours desquelles les cheveux sont diversement peignés, coiffés, traités... D’autres événements, peu ou guère ritualisés, ont également des répercussions sur l’attention portée aux cheveux. Ainsi, pour de nombreuses jeunes filles d’origine rurale, le fait de partir travailler en ville comme domestique chez des Métis, des Blancs ou même des parents « acculturés » entraîne une modification de la coiffure. La coupe, la permanente ou la décoloration marque la rupture sociale avec le milieu et le mode de vie d’origine qui s’opère à ce moment précis de leur existence. Les hommes, quant à eux, sont tondus lorsqu’ils intègrent l’armée. Le traitement des cheveux renvoie au sort de celui ou celle qui se transforme socialement. En l’occurrence, le façonnage des cheveux reflète les aspirations au changement, les contraintes imposées par l’idéologie ou le pouvoir dominant et, plus largement, les nouveaux repères identitaires de l’individu. Le cheveu cesse d’être un support de l’âme pour devenir un marqueur d’appartenance sociale, dans un univers où l’apparence signifie plus que l’essence.

36 Rite de passage, le rutuchikuy exprime à la fois des évolutions majeures dans le développement de la personne, un changement de statut social, une affirmation et l’avènement d’une identité (sexuelle, sociale, spirituelle) complète. Une fois le rituel accompli, doivent se substituer de nouvelles relations ou de nouvelles formes de liens qui sont à l’image des cheveux domestiqués du petit enfant devenu grand. Ne dit-on pas que « le cheveu fait l’homme » ? Dès à présent et jusqu’à sa mort, l’individu – à moins d’être confondu avec un « enfant sauvage » – ne devra plus jamais avoir les cheveux en bataille.

37 Que représentent plus largement les cheveux pour la personne ? Quel est leur rapport (ou leur statut) avec ses composantes animiques ? Si les habits sont le prolongement de la personne – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on les brûle et qu’ils ne sont pas offerts à des inconnus – il en va de même pour les cheveux : ne sont-ils pas des cibles privilégiés pour la sorcellerie ? Le rutuchikuy s’accompagne de gestes particuliers, le souffle par exemple, destinés à fixer l’esprit de l’enfant dans son corps. Symboliquement, le geste pourrait signifier que cette inscription n’est pas acquise. Ce qui se passe durant le rutuchikuy serait, finalement, complémentaire à ce qui s’opère lors du baptême catholique, lequel est censé donner le Saint-Esprit à l’enfant pour qu’il reste dans son corps jusqu’à la mort... Par-delà le traitement des cheveux comme signe d’appartenance social ou médiateur des rapports sociaux, s’ouvre un vaste champ de recherche ou symboles et représentations chrétiens et pré-hispaniques jouent un rôle central.

Notes

  • [*]
    Je remercie Pacale Absi, Élodie Razy et Palmira La Riva Gonzales pour leur stimulante relecture du manuscrit.
  • [**]
    IRD, Anthropologue, IRD, UMR 208 « Patrimoines Locaux » (IRD-MNHN). Mail : suremain@ird.fr. Les données présentées ici ont été recueillies tandis que je travaillais dans un programme interdisciplinaire sur les perceptions locales de la croissance et du développement de l’enfant. Financé par la Communauté Européenne, il s’intitulait Health Sector Reform : Towards A More Global Approach of Child Health (no IC18-CT97-0249 [DG12-WRCA]).
  • [1]
    Cf. Tylor [1871], Van Gennep [1909], Frazer [1915], Malinowski [(1929) 2000] ou Ananthakrishna Iyer [1935].
  • [2]
    Malgré les travaux, entre autre, de Bonnet [1994], Lallemand [1997], Suremain [2000], Pourchez [2002], Bonnet et Pourchez [2007] ou Razy [2007], l’anthropologie de l’enfance reste peu développée en France. Sur les raisons de cet état de fait, cf. les textes de Lallemand [1981] et Hirschfeld [2003] dont les titres sont très évocateurs.
  • [3]
    Les croquis de Guamán Poma de Ayala [1615] montrent que les femmes et les hommes étaient tressés à l’époque de la Conquête. Seules les femmes auraient gardé cette habitude. D’après Robin Azevedo, dont la recherche porte sur les rituels funéraires et le statut des défunts au Pérou, les hommes sont parfois rasés avant leur mise en bière [2008, p. 70]. Des pratiques similaires sont observées chez les Manouches [Williams, 1993].
  • [4]
    Les autres habits sont lavés et mis de côté avant d’être éventuellement transmis à des proches [Malengreau, 1995, p. 293].
  • [5]
    Dans le contexte andin péruvien, plusieurs cérémonies au contenu assez proche de celle que j’ai observée en Bolivie sont finement décrites dans l’ouvrage de Christinat [1989, p. 66-70 ; p. 120-122 notamment].
  • [6]
    Je reviendrai plus bas sur son statut, les raisons de son choix par les parents de l’enfant et son rôle dans la vie de ce dernier. Il peut également s’agir d’une marraine de cheveux (madrina de pelo). Contrairement à ce qu’il advenait à l’époque préhispanique, le sexe de l’enfant ne semble pas influencer le choix du sexe de l’officiant [Christinat, 1989 ; Lestage, 1999].
  • [7]
    L’usage du souffle (soplo) est une opération courante dans les cures thérapeutiques. Le fait de souffler contribue à fixer l’âme dans le corps et à en empêcher la sortie suite à une frayeur ou un acte malveillant. On souffle également sur les bougies pour s’imprégner de leur fumée.
  • [8]
    Cette somme n’est pas négligeable compte tenu du niveau de vie local, mais inférieur à celle qui peut être engagée lors d’autres cérémonies [Absi, à paraître].
  • [9]
    Sur l’emmaillotement du nourrisson en Bolivie, cf. Suremain [2007a] et le film qui se rapporte au texte dans le même ouvrage.
  • [10]
    À Potosí, les gens disent qu’il faut baptiser les enfants trop turbulents... car ils n’ont pas vraiment d’âme puisque dieu ne les a pas (encore) vus (Pascale Absi, communication personnelle).
  • [11]
    Sur les représentations du développement de l’enfant et les pratiques de soin qui y sont associées en Bolivie, cf. Platt [2000], Suremain et Lefèvre et al. [2001], Suremain et Lefèvre et al. [2003], Suremain [2003]. Sur le Pérou, cf. entre autre Christinat [1976a], Lestage [1999], La Riva Gonzáles [2000] et Rubín de Celis et Pecho et al. [2003]. Se rapporter également à Lallemand [2007] sur les « ethnothéories » ou les attentes parentales vis-à-vis de l’enfant.
  • [12]
    Les parents n’encourent pas de sanctions administratives ou financières particulières pour la déclaration tardive de l’enfant. Cette pratique est bien connue des employés de mairie. Ceux-ci, qui s’autodéfinissent comme « Blancs », y voient même un marqueur culturel de différenciation supplémentaire entre eux et les Indiens (Indios, Indígenas ou, plus péjorativement, Indiecitos – « petits Indiens »).
  • [13]
    « (...) [il] comprend l’ensemble des personnes, adultes et enfants, appartenant ou non à ce qu’il est convenu d’appeler “la famille” dans une société donnée et qui participent, selon leur statut et leurs prérogatives, à l’alimentation de l’enfant. La notion d’entourage nourricier se fonde donc sur la recension systématique des individus, et sur l’analyse de leur rôle, à partir de leur fonction nourricière entendue au sens large » [Suremain, 2007b, p. 349-350].
  • [14]
    Le compadrazgo est une forme de lien qui dépasse de loin la simple affinité que traduit en français la notion de compérage. Sur les fonctions complexes et les différents sens du compadrazgo dans la région andine, se rapporter aux travaux de Christinat [1976b, 1989] et de Houdart [1976].
  • [15]
    Ce terme englobe les différents types de « parents rituels » (désignés sous le terme de compadres pour les hommes et de comadres pour les femmes). Les compadres sont habituellement choisis dans une strate sociale et économique supérieure. Pour les populations d’origine indigène, le cas le plus fréquent est de s’allier à des Métis de la ville qui peuvent les loger, leur acheter des produits, leur vendre des marchandises à meilleur marché ou leur consentir un crédit. Sur le choix d’un parrain ou d’une marraine de cheveux « au plus proche » et de statut socio-économique équivalent, mes observations rejoignent celles de Christinat [1989, p. 96-110]. Il atteste de la reproduction sociale, voire du contrôle social, qui s’exerce à cette occasion.
  • [16]
    Harris [1989] parle de la « fertilité de l’argent » et Absi [2003] de son importance dans les rituels miniers. Sur la place et la fonction réelle et symbolique de l’argent dans un rituel de mariage, cf. Absi [à paraître].
  • [17]
    « De nos jours, (...) la somme d’argent ainsi obtenue est prêtée chaque année, afin d’en augmenter le capital, jusqu’à ce que l’enfant en ait besoin » [Lestage, 1999, p. 245].
  • [18]
    « À Puno, les paysans appellent ces premières mèches coupées “les cheveux du ventre” (cabellos de vientre) : cheveux de l’enfant, ventre de la mère. Cette chevelure apparaît indissociable de l’utérus maternel, comme si elle avait poussé alors que le nourrisson se trouvait non pas à l’extérieur mais à l’intérieur de ce ventre » [Lestage, 1999, p. 246].
  • [19]
    Il n’est pas possible, dans le cadre de cet article, de mettre ces données ethnographiques en perspective avec celles, de nature similaire, que l’on rencontre dans d’autres régions du monde. À Tonga (Océanie), par exemple, une âme – laquelle est un don des ancêtres et des dieux aux humains – prend possession du fœtus, et les premiers cheveux du nouveau-né sont appelés « cheveux du dieu » [Jorgansen, 1983].
  • [20]
    D’après Harris [1989], les monnaies offertes aux morts étaient égratignées pour n’être plus qu’un signe social imparfait, incomplet.
Français

Rite de passage s’il en est, la cérémonie de la première coupe de cheveux chez les paysans quechuaphones d’Amazonie bolivienne accomplit l’achèvement d’acquisitions motrices et sociales fondamentales dans les représentations locales du développement du « petit enfant » et marque les débuts de son intégration à l’« enfance ». La construction sociale du sexe, l’élargissement de l’entourage de l’enfant et des parents – à travers le choix d’un parrain ou d’une marraine « de cheveux » – et l’insertion de l’enfant dans les flux monétaires avec l’argent qui s’opèrent à cette occasion témoignent de l’évolution de son statut social et de l’affirmation de son identité (sociale, sexuelle, spirituelle). Plus largement, le traitement des cheveux est l’un des « marqueurs d’état » de la personne qui jalonnent le cycle de vie depuis la naissance jusqu’à la mort.

Mots-clés

  • Rite de passage
  • cheveux
  • enfant
  • développement
  • parenté rituelle
  • construction sociale du sexe
  • dentité
  • Bolivie

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Charles-Édouard de Suremain [**]
  • [**]
    IRD, Anthropologue, IRD, UMR 208 « Patrimoines Locaux » (IRD-MNHN). Mail : suremain@ird.fr. Les données présentées ici ont été recueillies tandis que je travaillais dans un programme interdisciplinaire sur les perceptions locales de la croissance et du développement de l’enfant. Financé par la Communauté Européenne, il s’intitulait Health Sector Reform : Towards A More Global Approach of Child Health (no IC18-CT97-0249 [DG12-WRCA]).
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/11/2010
https://doi.org/10.3917/autr.055.0125
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