CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Sur le plan démographique, le Maroc est souvent présenté comme un pays « jeune » dans la mesure où près d’un habitant sur trois a moins de 15 ans. Mais si le Maroc est « jeune », ce sera de moins en moins vrai dans les années à venir. En effet, alors que les personnes âgées de 60 ans et plus (au nombre de 2,4 millions de personnes) ne représentaient en 2004 que 8 % de l’ensemble de la population marocaine, leur part dans la population totale devrait augmenter de moitié d’ici 2020 pour atteindre 11,5 %. Dix ans plus tard, en 2030, cette part devrait atteindre 15,4 % et compter 5,8 millions d’individus  [1]. En 2040, un marocain sur cinq aura plus de 60 ans. En d’autres termes, le poids relatif de la population âgée au Maroc sera équivalent, dans 30 ans, à celui de la population âgée en France aujourd’hui  [2], et ainsi le Maroc aura connu en moins de 40 ans un vieillissement comparable à celui de la France en plus de 150 ans  [3]. Ce phénomène de vieillissement de la population marocaine devrait par la suite se poursuivre de sorte qu’en 2050 un marocain sur quatre aura plus de 60 ans  [4]. Comme le souligne le CERED (2005, p. 58), « Le vieillissement de la population représente, sans doute, la caractéristique démographique la plus spectaculaire que connaîtra le Maroc dans les trois ou quatre prochaines décennies ». Après avoir relevé le défi de la maîtrise de la fécondité, le Maroc devra en relever un nouveau, celui de l’accompagnement économique et social du vieillissement de sa population.

2 Nous allons dans un premier temps rappeler les mécanismes démographiques à l’œuvre dans ce processus de vieillissement de la population marocaine. Nous présenterons ensuite certains éléments des profils démographique et socio-économique actuels des personnes âgées vivant au Maroc. Pour finir, nous évoquerons certains enjeux soulevés par la métamorphose démographique à venir que constituent la gérontocroissance et l’importante modification de la structure par âge de la population.

De la transition démographique au vieillissement démographique

3 La rapidité du processus de vieillissement démographique que connaîtra le Maroc est à mettre en relation avec la rapidité de la transition démographique survenue dans ce pays. Comme l’indiquent Eggerickx et Tabutin (2002, p. 99), « Le vieillissement de la population est “l’enfant” de la transition démographique [...] ». En effet, la baisse de la mortalité et les progrès de la longévité qui en découlent entraînent un vieillissement par le sommet de la pyramide des âges. Par ailleurs, la transition de la fécondité est une autre composante du vieillissement car elle agit sur la base de la structure par âge.

Baisse de la mortalité et vieillissement par le haut de la pyramide des âges

4 Les progrès continus en matière d’élévation de l’espérance de vie à la naissance résument les effets de la baisse de la mortalité à tous les âges de la vie. Alors que sur la période 1950-1955, l’espérance de vie à la naissance au Maroc n’était que de 43 ans, elle s’élève aujourd’hui à plus de 72 ans (cf. Tableau 1). L’allongement de la durée de vie moyenne induit un élargissement progressif du sommet de la pyramide des âges. Mais en dépit de très importants progrès en matière de longévité au niveau de l’ensemble de la population, de fortes disparités persistent, notamment entre les contextes urbain et rural. Ainsi en 2002, alors que l’espérance de vie à la naissance masculine était de 71,2 ans en milieu urbain, elle s’élevait à 66,5 ans en milieu rural. Ce différentiel rural/urbain apparaît plus élevé pour les femmes puisqu’en milieu urbain leur espérance de vie à la naissance était de 75,6 ans alors qu’en milieu rural elle était de plus de sept années moins élevée.

5 Les gains en matière de durée de vie moyenne résument la rapidité de la baisse de la mortalité à différents âges de la vie et en particulier dans l’enfance. Le niveau de la mortalité des enfants de moins de 5 ans a en effet considérablement reculé au cours des quatre dernières décennies passant de 203 ‰ en 1962-1966 à 47 ‰ en 1999-2003. Le niveau de la mortalité infantile a pour sa part été divisé par près de trois entre ces deux périodes passant de 118 ‰ à 40 ‰, avec des différences notables entre milieux rural et urbain (Sajoux, 2009).

6 Dans le cadre du processus de transition démographique, la baisse des risques de décéder à chaque âge s’est accompagnée d’une baisse de la fécondité qui concourt également au vieillissement de la population.

Tableau 1

Évolution de l’espérance de vie à la naissance au Maroc de 1950-1955 à 2008 (en années)

Milieu Urbain Rural Ensemble
Année Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Ensemble
1950-1955 – – – – – – 42,9
1962 57,0 43,0 – – 47,0
1967 50,1 47,2 – – 48,2
1980 63,0 65,0 55,4 57,6 58,1 60,2 59,1
1987 67,8 71,8 61,1 63,0 63,7 66,4 65,0
1994 69,4 73,7 64,0 65,9 66,3 69,5 67,9
1997 70,1 74,4 65,0 66,9 67,1 70,7 68,8
1999 70,6 74,9 65,6 67,5 67,5 71,5 69,5
2002 71,2 75,6 66,5 68,4 68,2 72,4 70,3
2008 73,8 77,9 – – 71,4 73,9 72,6
figure im1

Évolution de l’espérance de vie à la naissance au Maroc de 1950-1955 à 2008 (en années)




1950-1955 à 1967 : CERED–HCP, 2005, p. 22. 1980 à 1997 : Direction de la Statistique,Annuaire Statistique du Maroc 1999, p. 18. 1999 à 2008 : CERED, HCP.

Baisse de la fécondité et vieillissement par le bas de la pyramide des âges

7 Alors que l’Indice Synthétique de Fécondité (ISF) s’élevait à plus de 7 enfants par femme au début des années 1960, il s’établissait à 2,3 en 2007. Le déclin de la fécondité s’est opéré de manière différenciée selon le milieu de résidence considéré, avec un déclin plus précoce en milieu urbain (Sajoux Ben Seddik, 2001). Mais la fécondité rurale a néanmoins connu une forte baisse, baisse qui s’est accélérée durant la décennie 1990 (cf. Tableau 2). En 2004, le différentiel entre l’ISF rural (3,1 enfants par femme) et l’ISF urbain (2,1 enfants par femme) n’est plus que de un enfant par femme alors qu’il s’établissait à trois au début des années 1990.

8 La baisse de l’intensité de la fécondité s’est accompagnée d’une modification de son calendrier. L’évolution de l’âge moyen au premier mariage des femmes en témoigne : alors qu’en 1960, les femmes marocaines entraient en union vers l’âge de 17 ans, en 2004 (dernier recensement) elles contractaient leur première union, en moyenne, à 27,1 ans en milieu urbain et à 25,5 ans en milieu rural.

9 La baisse de la fécondité a provoqué un rétrécissement de la base de la pyramide des âges entraînant une diminution progressive de la proportion de jeunes. C’est la rapidité de cette baisse qui produira au Maroc un vieillissement beaucoup plus rapide que celui qu’ont connu les pays européens.

Tableau 2

Évolution de l’ISF au Maroc selon le milieu de résidence de 1962 à 2007

Année 1962 1977 1982 1985 1991 1994 1995 1996 2004 2007
Source [5] EOM ENFPF RGPH ENPS ENPS RGPH ENSME ENVM RGPH CERED
61-63 79-80 1982 I II 1994 1997 1998/99 2004 2007
Urbain 7,77 4,38 4,28 3,17 2,54 2,56 2,3 2,3 2,1 2
Rural 6,91 7,02 6,59 5,86 5,54 4,25 4,1 4 3,1 –
Ensemble 7,2 5,91 5,52 4,84 4,04 3,28 3,1 3 2,5 2,3
figure im2

Évolution de l’ISF au Maroc selon le milieu de résidence de 1962 à 2007





1962, 1977, 1985, 1991, 1995 : Enquêtes du Ministère de la Santé, Rabat. Certaines donnéessont reprises de CERED, 1997, p. 29. 1982, 1994 et 2004 : Recensement Général de la Population et del’Habitat. 1996 : Enquête nationale sur les Niveaux de Vie des Ménages 1998/1999. 2007 : Direction dela Statistique, Annuaire Statistique du Maroc 2008, p. 25.

Le vieillissement de la population marocaine : un processus en marche

10 L’analyse de l’évolution de la structure par âge de la population marocaine au cours des 40 dernières années révèle la forte baisse de la part des moins de 15 ans. Ainsi, alors qu’ils représentaient 44 % de la population en 1960, ils n’en représentent plus que 31 % en 2004 (cf. Tableau 3). Le Maroc est ainsi devenu de moins en moins « jeune ». Mais est-il pour autant devenu de plus en plus « vieux » ?

Tableau 3

Structure par grands groupes d’âges au Maroc, 1960 à 2004

En % de la population totale
Âge 1960 1971 1982 1994 2004
00-14 ans 44,3 45,7 42,2 37,0 31,2
15-59 ans 48,3 47,2 51,5 55,9 60,7
60 ans et + 7,4 7,1 6,3 7,1 8,1
Total 100 100 100 100 100
Effectifs
Âge 1960 1971 1982 1994 2004
00-14 ans 5 130 380 7 036 815 8 621 309 9 635 509 9 260 622
15-59 ans 5 617 868 7 250 324 10 539 909 14 541 422 18 010 389
60 ans et + 857 983 1 091 726 1 288 333 1 840 727 2 375 623
figure im3

Structure par grands groupes d’âges au Maroc, 1960 à 2004


pour 1960, 1971, 1982 et 1994 : CERED, 1998, p 83- 84. 2004 : HCP, 2005, p. 15.

11 Les données issues des différents recensements indiquent que la part des « 60 ans et plus » n’a que peu évolué entre 1960 et 2004, passant de 7,4 à 8,1 % après être descendue à 6,3 % en 1982. Nous pensons néanmoins qu’il faut considérer avec prudence les effectifs relatifs aux « grands âges » en 1960 et 1971. Une lecture attentive de la répartition par âge de la population en 1960 laisse en effet supposer des erreurs dans les déclarations d’âges aux âges élevés. [6] Parmi les facteurs explicatifs de ces erreurs figurent des éléments relatifs au contexte historique et social de l’époque : analphabétisme particulièrement fort, population résidant pour plus des deux tiers en milieu rural, parfois méconnaissance de l’année de naissance, surestimation probable de l’âge de certaines personnes âgées (et d’hommes âgés en particulier) liée à la représentation que l’on se faisait alors de la vieillesse... Par ailleurs, l’attraction bien connue pour les chiffres « ronds » (en 0 et 5) a également joué dans les erreurs de déclaration d’âge. Notre hypothèse est que la population des 60 ans et plus en 1960 était en réalité inférieure au niveau mesuré. Il paraît cependant raisonnable de considérer que les erreurs de déclaration d’âge ont décliné au fil des différents recensements (notamment sous l’effet du recul de l’analphabétisme) pour atteindre un niveau certainement globalement faible aujourd’hui (même si, comme nous le verrons plus loin, des erreurs semblent persister en ce qui concerne la population très âgée, particulièrement en milieu rural). L’ensemble de ces éléments nous conduit à penser que la gérontocroissance a certainement été plus forte au cours des années 1960 et 1970 qu’elle ne paraît l’être. Les données censitaires indiquent que l’effectif des 60 ans et plus a été multiplié par 2,8 en 44 ans passant de 858 000 personnes en 1960 à près de 2,38 millions en 2004, soit une croissance d’environ 1,5 million. Compte tenu des probables erreurs de déclaration d’âge dans les premiers recensements et de la surestimation probable de l’âge de nombre de personnes âgées (hommes en particulier), il est probable que l’effectif des personnes âgées a été en réalité multiplié par plus de 3 au cours des quatre dernières décennies. Ainsi peut-on considérer que le vieillissement de la population marocaine, caractérisé par une augmentation du poids relatif des plus de 60 ans, a démarré avant la décennie 1980.

Les personnes âgées au Maroc : réalités démographiques et résidentielles

12 L’étude de l’évolution de la répartition par âges des personnes âgées au Maroc entre 1982 et 2004 montre un déclin du poids relatif des 60-64 ans au sein des 60 ans et plus. Leur part dans la population âgée marocaine a en effet baissé de 7 points entre ces deux dates passant de 38 à 31 %. Cette baisse est concomitante d’une augmentation forte de l’effectif des 60-64 ans qui a connu une augmentation de 50% entre1982 et2004 passant d’environ 487000personnes à près de741 000 personnes. Les effectifs des autres tranches d’âges (65-69 ans, 70-74 ans et les 75 ans et plus) ont encore plus fortement augmenté entre ces deux dates. En 2004, un peu moins de la moitié (46 % pour un total de près de 1,1 million de personnes) des personnes âgées de 60 ans et plus au Maroc avaient 70 ans et plus.

13 Bien que les erreurs de déclaration d’âge aux âges élevés soient probablement marginales aujourd’hui au regard de la taille de la population marocaine totale, dans le cadre d’une étude portant spécifiquement sur la population âgée il est difficile d’évaluer l’impact que peuvent avoir d’éventuelles erreurs de déclarations au niveau des effectifs des tranches d’âges les plus élevées. En supposant que cet impact soit faible, nous poursuivrons en observant la répartition de la population âgée marocaine selon l’âge et le milieu de résidence.

14 C’est en milieu urbain que vit le plus grand nombre de personnes âgées au Maroc : 1,24 million de personnes contre 1,13 en milieu rural. Mais que l’on considère la part relative des 60 ans et plus ou des 70 ans et plus, le milieu rural apparaît « plus âgé » que le milieu urbain. La part des 60 ans et plus est de 8,5 % en milieu rural contre 7,6 % en milieu urbain et la part des 70 ans et plus de 4,1 % en milieu rural contre 3,4 % en milieu urbain  [7]. En milieu urbain, la population féminine est, sans surprise, « plus âgée » que la population masculine (8 % de 60 ans et plus au sein de la population féminine contre 7,2 % au sein de la population masculine). En milieu rural, les parts des 60 ans et plus pour chacun des deux sexes sont relativement proches : 8,6% pour les femmes et 8,4% pour les hommes. Les proportions des 70 ans et plus dans la population de chacun des deux sexes sont très proches en milieu urbain (3,2 % pour les hommes et 3,5 % pour les femmes) et identiques en milieu rural (4,1 %). Ces valeurs suggèrent que des erreurs dans les déclarations d’âge, vraisemblablement plus fréquentes en milieu rural, subsistent encore pour les personnes les plus âgées. Les rapports de masculinité calculés aux âges élevés  [8] pour chacun des deux milieux de résidence corroborent cette idée. Ainsi, pour les 75 ans et plus, le rapport de masculinité s’élève en 2004 à 89,1 hommes pour 100 femmes en milieu urbain et à 106,7 en milieu rural. Même si des inexactitudes perdurent encore aujourd’hui pour les âges les plus élevés, les derniers recensements sont certainement bien meilleurs en termes d’âge que les premiers [9]. Aujourd’hui, même s’il existe encore des imprécisions au niveau du « quatrième âge », elles devraient s’estomper dans les décennies à venir. En effet, pour les plus jeunes des personnes âgées en 2004, les 60-65 ans (qui feront partie du « quatrième âge » dans une quinzaine d’années), les rapports de masculinité s’élèvent à 83,6 hommes pour 100 femmes en milieu urbain et à 87 en milieu rural. Ces chiffres semblent bien plus en adéquation avec les réalités biologiques et sociales que ceux mentionnés pour les 75 ans et plus.Ces éléments préfigurent le fait que la population âgée devrait être connue de plus en plus précisément dans sa structure par âge dans les années à venir, ce qui est très important dans la mesure où les besoins médico-sociaux des personnes de 75 ans et plus présentent des spécificités dont il convient de tenir compte pour accompagner socialement le vieillissement de la population.

Personnes âgées, activité et retraites : une réalité complexe

Exercice d’une activité : des comportements contrastés

15 Au Maroc, comme dans la plupart des pays du Sud, les personnes âgées continuent souvent à travailler. Selon l’Enquête Nationale sur l’Emploi de 2006, le taux d’activité des 60 ans et plus s’élève à 26,6 % avec des situations fortement différenciées selon le sexe (40,2 % pour les hommes et 13,2 % pour les femmes) et le milieu de résidence (12,4 % en milieu urbain et 43,6 % en milieu rural). Notons que les taux d’activité mesurés sous-estiment probablement la pratique effective d’une activité aux grands âges, notamment en milieu rural, car la contribution aux travaux agricoles peut continuer fort longtemps. L’Enquête Nationale sur les Personnes Âgées  [10] (ENPA) de 2006 a pour sa part mise en évidence le fait que près de 30 % des personnes âgées ayant déjà été actives exercent toujours une activité. Cette proportion (que nous appellerons dans la suite de l’article « taux d’activité ») est plus forte chez les hommes que chez les femmes (33,4 contre 19,3 %). La situation apparaît fortement différenciée suivant le milieu de résidence : le taux d’activité varie du simple au double s’établissant à 19,2 % en milieu urbain et à 40,1 % en milieu rural. Dans ce milieu de résidence, le taux d’activité des hommes de plus de 60 ans est de 45,7 % et celui des femmes de 26,2 %. En milieu urbain, ces taux sont respectivement de 21,8 % et 12 %. Le taux d’activité des personnes âgées diminue au fur et à mesure que l’on considère une tranche d’âges plus élevée : en milieu urbain, le taux d’activité des 60-64 ans est de 25,7 % et celui des plus de 75 ans de 10,9 % ; en milieu rural ces taux sont respectivement de 55,4 et 18,9 %. Pour les personnes de 70-74 ans, les différences de comportement en matière d’activité sont particulièrement fortes : leur taux d’activité s’élève à 16,5 % en milieu urbain et il est deux fois et demie plus élevé en milieu rural où il atteint 42,2 % (cf. Tableau 4).

16 Pour mieux saisir les conditions de vie et d’activité des personnes âgées dans chacun des deux milieux de résidence, il serait important d’interroger la nature de l’activité exercée, le niveau de revenus perçus en contrepartie de cette activité, le temps passé à l’exercice de l’activité, les raisons de son exercice (nécessité économique, impact en termes de lien social, ...) et le sens qui lui est donné par les individus (fardeau, estime de soi, reconnaissance d’autrui, ...). Le recueil de récits de vie auprès de personnes âgées marocaines nous permettrait de mieux cerner ces éléments.

Tableau 4

Part des personnes âgées ayant déjà été actives et exerçant toujours une activité selon le groupe d’âges et le milieu de résidence (en %), 2006

Groupe d’âges Urbain Rural Ensemble
60-64 25,7 55,4 39,9
65-69 21,6 46,9 33,5
70-74 16,5 42,2 28,9
75 et plus 10,9 18,9 15,3
Ensemble 19,2 40,1 29,6
figure im4

Part des personnes âgées ayant déjà été actives et exerçant toujours une activité selon le groupe d’âges et le milieu de résidence (en %), 2006



HCP (2008c), p. 44.

17 Les résultats de l’ENPA indiquent aussi que les personnes âgées qui perçoivent une retraite sont moins actives que celles qui n’en perçoivent pas : leurs taux d’activité respectifs sont de 12,1 et 37,6 %. Vivre aux grands âges avec la perspective à plus ou moins long terme de ne plus pouvoir être en capacité de travailler expose les individus ne disposant pas de rentes à une insécurité économique forte. Cette dernière ne peut à l’heure actuelle être contrecarrée que par les solidarités privées (intrafamiliales la plupart du temps) dans la mesure où il n’existe pas, pour le moment, de prestation sociale du type « minimum vieillesse » au Maroc.

Une population âgée peu couverte par un régime de retraite

18 Le système de retraite au Maroc relève, comme les systèmes de retraite algérien et tunisien, du principe bismarckien (Dupuis et al., 2009). Il s’agit donc d’un système contributif à base professionnelle. L’âge légal de départ à la retraite est de 60 ans. Les taux de pensions, pour une carrière complète, sont supérieurs aux taux européens.

19 Le secteur de la retraite au Maroc se caractérise notamment par une diversité institutionnelle (Ministère des Finances et de la Privatisation, 2007). Mais ces régimes ne couvrent qu’une faible partie de la population. Le taux de couverture des actifs occupés (nombre des cotisants rapporté à la population occupée) est estimé par Dupuis et al. à 26 % pour le Maroc en 2004 (contre 58 % en Algérie et 78 % en Tunisie). Ce taux renseigne sur les retraités de demain. La situation des retraités actuels peut être appréhendée à partir d’un ratio rapportant les retraités de droits directs de 60 ans et plus à la population de 60 ans et plus. Ce ratio est estimé par Dupuis et al. à 20 % pour le Maroc (35 % en Algérie et 38 % en Tunisie). Les mêmes auteurs considèrent que le caractère partiel de cette couverture est dû essentiellement à l’existence d’activités informelles, par ailleurs très courantes dans le secteur agricole qui représente 46 % de l’emploi total au Maroc.

20 Les résultats de l’ENPA indiquent que 16,1 % des plus de 60 ans perçoivent une pension de retraite avec une très nette dichotomie en les deux sexes puisque si 30,4 % des hommes de cette tranche d’âges sont pensionnés seulement 3 % desfemmes le sont. En ne considérant que les personnes de 60 ans et plus ayant déjà travaillé, 32 % des hommes et 10 % des femmes perçoivent une pension en 2006. La rurospécificité est très fortement marquée puisque seulement 6,5 % des ruraux perçoivent une retraite à l’issue de leur vie active contre 46,2 % des citadins.

Santé et recours aux soins dans la population âgée marocaine

21 L’avancée en âge se traduit par une modification qualitative et quantitative des besoins des individus en matière médicale.

22 Les résultats des enquêtes sur les niveaux de vie des ménages ont permis d’établir que le taux de morbidité des personnes âgées était, tant en 1991 qu’en 1998, deux fois supérieur au taux de morbidité de l’ensemble de la population (El Youbi, 2002). Le taux de morbidité des personnes âgées en milieu urbain est supérieur au niveau mesuré en milieu rural : 32,6 % contre 28,5 % en 1991 et 35,7 % contre 28,4 % en 1998. Entre ces deux dates, on constate une inversion des niveaux de morbidité entre les sexes. La morbidité des hommes était plus importante que celle des femmes en 1991 et sept ans plus tard la situation s’est inversée et ce dans les deux milieux de résidence. L’étude de l’évolution des taux de morbidité est complexe car il n’est pas aisé de déterminer s’il y a détérioration médicalement objective de l’état de santé des individus et/ou si ces derniers portent plus d’attention à leur corps en raison d’une amélioration de leur niveau de vie (et donc des moyens disponibles pour se faire soigner).

23 Les résultats de l’ENPA fournissent des indications sur les pathologies dont déclarent souffrir les personnes âgées. Près des deux tiers (58,9 %) indiquent avoir au moins une affection chronique ; ce pourcentage est plus élevé chez les femmes (66,6 %) que chez les hommes (53,3 %). Les femmes déclarent davantage souffrir de problèmes articulaires que les hommes : 40,7 % contre 25,2 % des hommes. Une plus grande proportion de femmes âgées déclare souffrir de maladies cardiovasculaires (11,2 % contre 8 % pour les hommes) ou de diabète (8,9 contre 6,5 %).

24 En ce qui concerne la perception, par les personnes interrogées, de leur état de santé, des variations sont observables en fonction de la situation matrimoniale et du niveau d’instruction. Ainsi, 36,9 % des veufs se déclarent en moins bonne santé (par rapport à des personnes du même âge) contre 26,8 % pour les célibataires, divorcés ou séparés. Par ailleurs, 33,1 % des enquêtés n’ayant aucun niveau d’instruction se considèrent en moins bonne santé que les personnes de leur âge, contre seulement 11,4 % chez les personnes ayant le niveau secondaire ou plus. Même si des éléments objectifs attestés médicalement seraient nécessaires pour corroborer les déclarations des enquêtés, ces éléments semblent témoigner de la vulnérabilité des personnes âgées, et des femmes en particulier, compte tenu de l’ampleur de l’analphabétisme touchant cette population.

25 Les résultats de l’ENPA indiquent également que si 73,3 % des citadins âgés ayant été malades ont eu recours aux soins de santé au moins une fois pendantles six derniers mois précédant l’enquête, cette proportion n’est que de 58,7 % chez les ruraux. Les difficultés économiques expliquent probablement pour une large part ces différences, notamment en raison de la quasi-absence d’assurance-maladie en milieu rural. En effet, seulement 13,3 % des personnes interrogées ont déclaré avoir une telle couverture avec une très forte différence entre les deux milieux de résidence : 22,4 % en milieu urbain et à 3,2 % en milieu rural. Un autre élément explicatif réside dans l’inégale répartition spatiale de l’offre de soins de santé. On peut noter également de fortes différences genrées puisque seulement 8,5 % des femmes âgées interrogées déclarent bénéficier d’une couverture par un système de sécurité sociale contre 18,5 % des hommes âgés.

La pauvreté aux grands âges

26 En termes de pauvreté monétaire, les données collectées lors de l’ENVM 1998-1999 ont permis d’établir que 13,2 % des personnes de plus de 60 ans sont pauvres avec une nette différenciation entre milieu rural et milieu urbain (avec des taux correspondants se situant respectivement à 17,4 % et à 9,2 %)  [11]. Au sein de cette population, la pauvreté touche 11,8 % des 60-69 ans et 15 % des 70 ans et plus. En milieu urbain, ces chiffres sont de 8,7 et 10,1 % et en milieu rural de 15,4 et 19,8 % (Ajbilou et Fazouane, 2002). Ces éléments mettent en relief le caractère hétérogène de la population âgée marocaine et montrent à la fois une plus grande vulnérabilité des ruraux et des plus âgés d’entre eux. En mesurant la pauvreté selon le statut matrimonial, il apparaît que ce sont les personnes veuves de plus de 70 ans qui connaissent le plus fort taux de pauvreté – 18,8 % – alors que ce taux est de 11,7 % pour les personnes mariées de 70 ans et plus. Les premiers résultats de l’ENVM de 2007 indiquent que le taux de pauvreté au niveau de l’ensemble du pays a baissé, se situant à 8,9 % (contre 16,3 % en 1998  [12]) avec une disparité forte entre les deux milieux de résidence (4,8 % en milieu urbain contre 14,4 % en milieu rural). Le taux de pauvreté des 60 ans et plus est quant à lui de 6,4 % pour l’ensemble du pays (3,5 % en milieu urbain, 9,6 % en milieu rural). L’approche en termes de pauvreté monétaire semble donc indiquer que les plus de 60 ans sont moins touchés par cette forme de pauvreté que l’ensemble de la population. Toutefois, il conviendrait de se demander si la méthodologie utilisée pour mesurer la pauvreté n’induit pas sa sous-estimation au sein de la population âgée.

27 Au-delà de ces taux, chercher à mieux saisir comment les personnes âgées dépensent et à partir de quelle (s) source (s) de revenus (retraite ou pension de réversion, aide financière des enfants ou d’autres membres de la famille, ...) constituent des axes importants de futurs travaux de recherche. Ces éléments permettraient d’approfondir les connaissances relatives à la diversité des profilssocio-économiques qui eux-mêmes dépendent de la diversité des parcours de vie. Le milieu de résidence, contexte urbain ou contexte rural, semble être une variable fondamentale pour appréhender la diversité des situations.

28 En termes de pauvreté humaine [13], il faut rappeler que l’analphabétisme est particulièrement fort au sein de la population âgée au Maroc : plus de huit personnes âgées sur dix n’arrivent pas à lire et écrire (ENPA)  [14]. Cette situation concerne davantage les ruraux que les citadins (92 % contre 74,2 %) et davantage les femmes que les hommes (94,5 contre 69,6 %).

Personnes âgées et familles

29 Traditionnellement, les familles maghrébines assuraient la prise en charge des personnes âgées qui étaient fortement respectées, et qui détenaient une forte autorité sur les plus jeunes. Au Maroc, la famille élargie a longtemps été considérée comme la clé de voûte de la société. Elle assurait la cohésion sociale et l’intégration des individus en contribuant à leur socialisation, leur formation, leur activité économique. Dans le respect des traditions, notamment religieuses, le fonctionnement familial affirmait l’autorité des pères sur les femmes et sur les descendants, et définissait des rapports d’entraide et d’échanges entre groupes domestiques (El Harras, 2006). Mais depuis plusieurs décennies, l’institution familiale au Maroc se transforme : la famille étendue cède lentement la place à la famille nucléaire (parents avec enfants célibataires sous le même toit) (CERED, 1996), voire à des formes mononucléaires économiquement précaires (Ajbilou, 2002). Désormais, quand ils le peuvent économiquement, les jeunes couples cherchent à prendre de la distance par rapport à leurs parents, aspirant à une plus grande intimité. Sans chercher à s’éloigner géographiquement des parents, ils visent à gagner leur autonomie résidentielle.

30 La famille marocaine réagit ainsi aux nombreuses transformations de la société : sphères économique et familiale de moins en moins liées, urbanisation, exode rural, hausse de la scolarisation, extension du salariat des femmes en milieu urbain, mobilité sociale, individuation, affaiblissement du contrôle social, nouveaux moyens de communication, etc. (Ajbilou, 1998). Dans le cadre de ces changements, le statut des personnes âgées se transforme également et on peut s’interroger sur les conséquences du vieillissement démographique sur le fonctionnement et l’organisation de la famille. Certains auteurs se demandent si la famille marocaine pourra répondre au défi du nombre croissant des personnes âgées ; la crainte étant que ces dernières deviennent des charges pour leurs enfants et petits enfants (dont le nombre diminue du fait de la baisse de la fécondité), surtout lorsque les descendants vivent eux-mêmes des situations de pauvreté (Loriaux, 2002). Les évolutions sociétales et la gérontocroissance vont-elles remettre en cause unmodèle où les enfants prenaient en charge leurs parents âgés en développant des solidarités intergénérationnelles ? On manque actuellement de données pour pouvoir apprécier finement l’évolution actuelle des relations de solidarité entre les générations  [15].

La cohabitation intergénérationnelle demeure, mais n’est pas également probable

31 Vivre avec d’autres membres de sa famille – le plus souvent les enfants et les petits-enfants – permet dans une certaine mesure de se prémunir contre les conséquences des méfaits de l’âge. Les données d’enquêtes ne permettent pas de savoir précisément dans quels cas ce sont les enfants adultes qui accueillent sous leur toit leurs ascendants, dans quels cas il s’agit de la situation inverse. Matériellement parlant, les personnes âgées semblent mieux dotées pour accueillir les plus jeunes, car elles sont davantage propriétaires de leur logement  [16], et ces derniers sont plus spacieux. Par exemple, en ville, les personnes âgées de 60 ans et plus disposent de 3,7 pièces en moyenne par logement (ENPA), tandis qu’on observe 3,1 pièces pour l’ensemble des chefs de famille urbains (RGPH-2004). A priori, ces caractéristiques permettent plus facilement aux aînés d’héberger au moins un enfant adulte qui peut avoir lui-même fondé sa propre famille. De plus, cette situation est plus conforme au modèle de la famille traditionnelle élargie. Habiter chez des parents représente aussi une solution économiquement intéressante pour des enfants, si ces derniers possèdent de faibles revenus. De plus, les grands-parents peuvent participer à la garde et à l’éducation des petits enfants.

32 Il reste que la tendance à la nucléarisation des ménages conduit à la diminution des structures familiales complexes, dans lesquelles s’enregistrent les situations de cohabitation entre générations. En 1995, 36 % de l’ensemble des ménages comprenaient des familles complexes composées de plusieurs noyaux, soit 4 points de moins qu’en 1982. Cette proportion continue de décroître depuis 1995. Parmi ces ménages, les deux tiers étaient constitués d’individus appartenant à trois générations (El Youbi, 2002, p. 264). Pour des raisons qui tiennent autant à l’évolution des modes de vie qu’à la structure de l’habitat, la cohabitation est moins fréquente en ville que dans les zones rurales. Cette tendance signifie que dans le futur une part croissante de personnes âgées vivra en couple ou seules dans leur propre logement. Cependant, pour que ce scénario devienne effectif, il faudra que les personnes concernées soient en mesure d’assurer financièrement le quotidien, même après le décès du conjoint. Autrement, une mobilité résidentielle pourrait être nécessaire afin de trouver un autre logement adapté au niveau de vie diminué,ou afin de se rapprocher géographiquement des proches, car la proximité entre parents et enfants facilite les relations d’entraide. Pour le moment, cette mobilité résidentielle des personnes âgées est certainement faible, mais elle mériterait d’être mieux appréhendée.

33 Non seulement la cohabitation entre les générations s’atténue au Maroc, mais elle ne concerne pas toutes les personnes âgées de la même manière. Il a été montré que plus les personnes âgées avancent en âge, moins est grande leur probabilité d’être prises en charge par un de leurs enfants, que le fait d’être une femme, d’être célibataire, veuve ou divorcée, d’habiter en ville, d’avoir (trop) peu de ressources sont autant de facteurs qui réduisent les chances pour une personne âgée de cohabiter avec un membre de sa famille (El Youbi, 2002 ; Fazouane, 2002a). Outre des logiques affectives de la prise en charge des parents âgés, interviennent donc des critères économiquement rationnels, plus favorables aux hommes. Après 60 ans, 55 % des femmes sont veuves alors que 90 % des hommes sont mariés (ou remariés) (ENVM 1998-1999)  [17] ; les femmes sont 11 % à être en situation de ménage isolé ou monoparental contre 5 % des hommes. Ces résultats confirment un raisonnement plusieurs fois démontré, à savoir que les femmes sont relativement protégées économiquement tant qu’elles sont mariées. Au décès du mari, elles peuvent devenir chef de ménage par défaut, et sont 58 % à la tête d’un ménage isolé ou monoparental. Les hommes ne sont que 2 % à s’inscrire dans ces configurations (Fazouane, 2002a).

34 Il reste que vivre avec d’autres membres de sa famille dans le même logement n’est pas une garantie de recevoir une aide matérielle et affective à la hauteur des besoins. Il serait donc simplificateur de poser une équivalence absolue entre cohabitation intergénérationnelle et soutien de qualité aux ascendants.

Des formes de solidarité existent entre les générations en dehors de la cohabitation, mais elles sont plus faibles

35 De nos jours, la cohabitation avec les enfants adultes est la formule qui apparaît encore la plus souhaitable pour le plus grand nombre des marocains. Parents âgés comme enfants déclarent cette intention, mais les souhaits apparaissent supérieurs à la cohabitation effective. Toutefois, lorsque ce mode de vie n’est pas mis en place, les enfants peuvent manifester d’autres formes d’aide à l’égard des parents âgés. En effet, parmi les personnes âgées ayant eu des enfants mais ne cohabitant pas, près de trois sur dix ont des contacts avec leurs enfants au moins une fois par semaine et six sur dix les rencontrent au moins une fois par mois (ENPA). Ces échanges sont facilités par la proximité géographique entre ascendants et descendants. Indépendamment de la cohabitation, sept personnes âgées sur dixdéclarent recevoir une aide régulière ou occasionnelle de la part d’au moins un enfant, avec ici un avantage donné aux femmes susceptible d’atténuer leur situation plus souvent défavorable sur le plan économique et familial. Au-delà des enfants, les personnes âgées peuvent aussi recevoir des aides d’autres membres de la famille ou du ménage. Elles sont généralement moins fréquentes et sont rarement d’origine extra-familiale. Pour les personnes âgées, la famille est donc bien un pourvoyeur d’aide essentiel. Réciproquement, dans la mesure de leurs possibilités, les personnes âgées aident aussi leur famille (en particulier leurs descendants), mais leurs contributions seraient trois fois plus faibles que celles apportées par leurs enfants (Fazouane, 2002b) et les aides s’avèrent nettement moins soutenues en l’absence de cohabitation  [18]. On notera qu’une proportion plus grande d’hommes âgés déclare aider ses enfants. Ce constat peut s’expliquer par une plus grande capacité économique à le faire, ou par une sous-déclaration de l’aide des femmes qui ont culturellement intégré le soutien aux enfants comme allant de soi.

Réalités et enjeux de la métamorphose démographique à venir

36 En 2030, l’espérance de vie à la naissance devrait atteindre 76,8 ans (75,1 ans pour les hommes et 78,5 ans pour les femmes) ; l’ISF devrait avoir poursuivi sa baisse et s’établir à 1,82 enfant par femme (1,73 en milieu urbain). L’effectif des personnes âgées de plus de 60 ans devrait alors être de l’ordre de 4,1 millions de personnes en milieu urbain et de 1,7 million en milieu rural (CERED, 2007). La gérontocroissance sera donc particulièrement accentuée en milieu urbain. Contrairement à la configuration actuelle, le milieu urbain sera alors « plus âgé » que le milieu rural avec un poids relatif des 60 ans et plus de 16,7 % (contre 12,9 % en milieu rural ; pour l’ensemble du pays, ce poids sera de 15,4 %). En 2060, l’effectif des 60 ans et plus devrait s’élever à 9,5 millions de personnes et sa proportion devrait atteindre 26,9 % de la population totale (CERED, 2005). Il devrait donc y avoir un quadruplement du nombre des « personnes âgées » entre 2004 et 2060.

37 Ces évolutions démographiques à venir vont entraîner une augmentation du rapport de dépendance des personnes âgées (proportion de personnes à l’âge de la retraite par rapport à celles qui sont en âge d’activité), également appelé rapport de vieillesse : alors qu’au début des années 1960, il s’établissait à 13 personnes âgées pour 100 personnes en âge d’activité, il devrait être de 49 pour 100 en 2060. [19] Quant au rapport de jeunesse (proportion des personnes de moins de 15 ans par rapport aux personnes en âge d’activité), il était de 92 jeunes pour 100 personnes en âge d’activité en 1960 et devrait descendre jusqu’à 32 pour 100 au début des années 2030 pour ensuite rester stable jusqu’en 2060. Le rapport de dépendance global (somme des rapports de vieillesse et de jeunesse) devraitcontinuer de baisser jusqu’aux années 2020 mais augmentera ensuite sous l’effet de la croissance soutenue de la population âgée.

38 On peut donc parler d’une véritable métamorphose pour qualifier les changements démographiques à venir au Maroc. La gérontocroissance va soulever des questions qui se posent dans tous les contextes nationaux où l’augmentation du nombre de personnes âgées est déjà ancienne, mais où sa montée en charge a été plus lente, facilitant en cela son adaptation (Loriaux, 2002). Les enjeux soulevés concernent notamment le devenir du système de protection sociale marocain à travers deux axes principaux : les retraites et la santé.

39 En matière de retraites, ce pays devra faire face à un double défi : étendre le taux de couverture de la population concernée alors que cette dernière connaîtra une forte augmentation. La transformation démographique à venir entraînera en outre une évolution importante du rapport actifs/inactifs dont l’impact est fondamental pour envisager l’évolution du système de protection sociale. D’ici 2050, le nombre de cotisants devrait en effet augmenter de 60 % seulement alors que celui des retraités connaîtra une augmentation de 383 %. La proportion actifs/ retraités qui était de 12 actifs pour 1 retraité en 1983, de 5 pour 1 en 2003, ne devrait plus être que de 1 actif pour 1 retraité en 2020. [20] Comme l’indique le CERED (2005, p. 61), « [...], le taux de charge (prestations/cotisations) évoluera en se détériorant d’où l’urgence d’une réforme du système de retraite pour remédier aux facteurs le déstabilisant et pouvant générer des crises, à savoir la faiblesse de l’effectif des affiliés aux caisses de retraite, la précarité de l’emploi et particulièrement dans le secteur informel, le chômage, l’arrivée de vagues de plus en plus nombreuses de retraités et la hausse de l’espérance de vie à la naissance. »

40 En matière de santé se profile également un double défi : étendre la couverture médicale par le développement de la solidarité publique en matière de prise en charge de soins de santé tout en faisant face à une augmentation de la demande de soins et à sa modification qualitative consécutives aux besoins spécifiques des personnes des troisième et quatrième âges.

41 Au Maroc, on a vu que le système de protection sociale actuel ne couvre que très partiellement la population âgée. Par ailleurs, le pays est déjà confronté à des enjeux sociaux qui concernent d’autres classes d’âge : chômage important (en particulier chez les jeunes et les diplômés)  [21], déficits sociaux en milieu rural (avec notamment des répercussions en matière de santé et des taux encore élevés de mortalités infantile et maternelle), ... La mise en place de politiques publiques destinées à agir de façon préventive en faveur des conditions de vie des personnes âgées de demain doit être envisagée en tenant compte de la grande complexité des problématiques économiques et sociales du pays. Modifier l’architecture d’un système de protection sociale n’est pas chose aisée et nécessite du temps ; aussi,l’augmentation du nombre de personnes âgées au Maroc aura d’abord des conséquences dans la sphère domestique, lieu principal des relations d’entraide et de solidarité. S’il faut s’attendre à moins de cohabitation entre générations, d’autres formes de soutien intrafamiliales devraient apparaître : les enfants adultes seront sollicités pour répondre aux besoins économiques, affectifs et sanitaires de leurs parents âgés.

42 La transformation de la solidarité familiale marocaine ne se pose pas nécessairement dans le sens de son affaiblissement, car de nouvelles formes d’aide cohérentes avec la culture maghrébine peuvent se développer, dans la « proximité traditionnelle », tout en inventant de la distance entre générations. Pour vérifier cette hypothèse, il est nécessaire que les sciences sociales approfondissent la réflexion sur les conséquences de la gérontocroissance, en développant des recherches, en milieu rural comme en milieu urbain, permettant de mieux qualifier dès maintenant la nature des relations d’entraide entre générations, notamment vis-à-vis des parents âgés non-cohabitants et ne vivant pas en couple.

Conclusion

43 Cet article a étudié la réalité et les moteurs du vieillissement démographique en cours dans la société marocaine tout en mettant l’accent sur l’extrême célérité et l’ampleur du processus.

44 L’analyse de la situation actuelle des personnes âgées au Maroc a notamment mis en relief la vulnérabilité socio-économique des femmes âgées et des ruraux âgés. Cette vulnérabilité est en grande partie liée à la configuration actuelle du système de protection sociale qui ne couvre que très partiellement la population âgée en termes de retraite et de prise en charge financière des frais médicaux. Les solidarités privées (intrafamiliales la plupart du temps) jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement économique et social de la vieillesse. Les conséquences de la gérontocroissance sur la dynamique des familles ont été ici soulignées. Alors que la sphère domestique marocaine est déjà en train de vivre des changements du fait de divers processus économiques et sociaux évoqués plus haut, elle aura aussi à considérer les implications de l’augmentation du nombre des aînés.

45 La forte gérontocroissance attendue dans les prochaines décennies et le poids relatif croissant de la population âgée sont des éléments incontournables à prendre en considération dans l’élaboration et la coordination des politiques publiques. Les perspectives démographiques couplées à l’évolution des modes de vie et à la diminution de la taille des fratries rendent impérative une réflexion sur le développement de solidarités publiques spécifiquement orientées vers la population âgée. Le développement de telles solidarités ne doit pas être assimilé à une prévision de la disparition des solidarités familiales intergénérationnelles. Il s’agit de réfléchir à la manière dont l’articulation et la complémentarité entre solidarités privées et publiques peuvent être envisagées.

46 L’exemple marocain qui a ici été traité met en relief le fait que le vieillissement démographique et la gérontocroissance ne concernent plus seulement les pays du Nord mais concernent également les pays du Sud. Pour ces derniers, la métamorphose démographique à venir se déroulera dans des délais notablement plus courts que ceux qu’ont connus les pays européens. Relever le défi de l’accompagnement économique et social du vieillissement de la population constitue pour le Maroc, comme pour les autres pays du Sud, un enjeu majeur.

Annexe : abréviations utilisées

47 CERED : Centre d’Etudes et de Recherches Démographiques.

48 ENE : Enquête Nationale sur l’Emploi.

49 ENFPF : Enquête Nationale sur la Fécondité et la Planification Familiale au Maroc 1979-1980.

50 ENPA : Enquête Nationale sur les Personnes Âgées, 2006.

51 ENPS I : Enquête Nationale sur la Planification Familiale, la Fécondité et la Santé de la Population au Maroc, 1987.

52 ENPS II : Enquête Nationale sur la Population et la Santé, 1992.

53 ENSME : Enquête Nationale sur la Santé de la Mère et de l’Enfant, 1997.

54 ENVM : Enquête Nationale sur les Niveaux de Vie des Ménages 1998/99.

55 EOM : Enquête à Objectifs Multiples 1961-1963.

56 HCP : Haut Commissariat au Plan.

57 RGPH : Recensement Général de la Population et de l’Habitat.

Notes

  • [*]
    Maître de Conférences, UMR CITERES 6173 – Équipe Monde Arabe et Méditerranée (EMAM). 33 Allée Ferdinand de Lesseps, BP 60449, 37204 Tours cedex 03.
  • [**]
    Maître de Conférences, UMR CITERES (Équipe COST) et UMR CEPED. 221 Boulevard Davout, 75020 Paris.
  • [1]
    Haut Commissariat au Plan, 2006, p. 6.
  • [2]
    En 2008, la France comptait près de 13,9 millions de personnes de 60 ans et plus sur un total de près de 64 millions d’habitants, d’où un poids relatif de la population âgée de 21,7 %. Insee (2009).
  • [3]
    En 1851, les plus de 60 ans représentaient en France 10,2 % de la population totale.
  • [4]
    CERED-Haut Commissariat au Plan, 2005, p. 59.
  • [5]
    Cf. liste des abréviations utilisées en annexe.
  • [6]
    Parmi les éléments relevés, notons le nombre important de centenaires (5 146 pour une population totale de 11,6 millions d’habitants dans le Maroc du début des années 60) et une dissymétrie hommes/ femmes aux grands âges à la fois forte et atypique (3264 hommes et 1882 femmes), qui nous font penser que l’âge de nombreux hommes a été surestimé.
  • [7]
    Calculs des auteurs à partir des données de HCP, 2005, p. 57-58.
  • [8]
    Calculs effectués par les auteurs à partir des tableaux de répartition de la population selon le groupe quinquennal d’âge et le sexe, HCP, 2005, p 57-58.
  • [9]
    En 1960, le rapport de masculinité s’élevait à 159 parmi les 75 ans et plus en milieu rural. Même si les conditions de l’époque en matière de santé de la reproduction pouvaient expliquer une forte mortalité féminine, un tel rapport de masculinité ne nous semble pas de nature à refléter la réalité.
  • [10]
    Cette enquête a été réalisée au niveau national sur un échantillon de 2 500 ménages regroupant 3 010 personnes âgées de 60 ans et plus qui représentait toutes les catégories sociales et régions du Maroc.
  • [11]
    Le seuil de pauvreté est défini en termes de dépense annuelle moyenne par personne. Ce seuil est différent selon le milieu de résidence considéré.
  • [12]
    HCP, 2009, p. 53.
  • [13]
    Au sens du PNUD.
  • [14]
    HCP, 2008c, p. 16 et 55.
  • [15]
    Pour affiner la réflexion, des recherches sur la dynamique des familles sont nécessaires, privilégiant l’étude des relations intergénérationnelles.
  • [16]
    Au Maroc, 87 % des personnes de 60 ans et plus sont propriétaires de leur logement. La propriété est quasi-généralisée dans les territoires ruraux (96,5 % de personnes âgées propriétaires) et elle concerne 78 % des personnes âgées qui vivent en ville. Cette valeur s’avère supérieure à celle enregistrée dans la population nationale urbaine, puisque seulement 52 % des chefs de ménage citadins étaient propriétaires ou copropriétaires en 2004 (RGPH-2004).
  • [17]
    Les résultats du RGPH de 2004 ont permis quant à eux de constater que 54,8 % des femmes de plus de 60 ans sont veuves (contre 5,9 % des hommes du même âge) ; 41 % sont mariées alors que 90,8 % des hommes le sont à cet âge. Ces différences genrées proviennent certainement d’une plus grande facilité pour les hommes, à tout âge, à se remarier. La différence d’âges entre époux est un autre facteur explicatif potentiel.
  • [18]
    En situation de cohabitation, 44 % des personnes âgées déclarent aider leurs enfants matériellement (régulièrement ou occasionnellement) ; sans cohabitation, cette valeur tombe à 12 %.
  • [19]
    CERED, 2005, p. 60.
  • [20]
    CERED, 2005, p. 60.
  • [21]
    Le chômage a néanmoins reculé entre 1999 et 2008 au profit de toutes les catégories de la population active. HCP, 2009, p. 26-27.
Français

Alors qu’en 2004 les personnes de 60 ans et plus représentaient 8 % de l’ensemble de la population du Maroc, leur part devrait augmenter de moitié d’ici 2020. En 2050, un marocain sur quatre aura plus de 60 ans. Bien qu’il y ait une grande diversité de situations individuelles, la population âgée marocaine se caractérise actuellement, sur le plan socio-économique, par une faible couverture en matière de régime de retraite et d’assurance-maladie. Plusieurs éléments soulignent la vulnérabilité des femmes âgées et celle des personnes âgées vivant en milieu rural. Même si les solidarités familiales, en transformation, perdurent, le vieillissement démographique et la gérontocroissance à venir rendent incontournable une réflexion sur l’évolution du système de protection sociale.

Mots-clés

  • Maroc
  • vieillissement démographique
  • personnes âgées conditions de vie
  • retraite
  • protection sociale
  • solidarités familiales
  • relations intergénérationnelles

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Muriel Sajoux [*]
  • [*]
    Maître de Conférences, UMR CITERES 6173 – Équipe Monde Arabe et Méditerranée (EMAM). 33 Allée Ferdinand de Lesseps, BP 60449, 37204 Tours cedex 03.
Laurent Nowik [**]
  • [**]
    Maître de Conférences, UMR CITERES (Équipe COST) et UMR CEPED. 221 Boulevard Davout, 75020 Paris.
Mis en ligne sur Cairn.info le 11/03/2010
https://doi.org/10.3917/autr.053.0017
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