CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Legs colonial prestigieux, l’Indian Administrative Service (IAS) est un corps d’élite dont les membres, recrutés sur concours à l’échelle nationale, exercent localement leurs fonctions comme préfets de district dans les différents États fédérés  [1]. Cette structure administrative panindienne devait servir d’ « armature d’acier » pour maintenir l’unité du pays après l’Indépendance. L’extrême fragmentation du territoire hérité de l’Empire britannique, où subsistaient nombre d’États princiers autonomes, faisait craindre à certains l’implosion de l’Inde. C’est pourquoi Sardar Patel, Ministre de l’Intérieur du gouvernement Nehru, plaida en faveur du maintien d’un système administratif uniforme sur l’ensemble du territoire et contrôlé par le pouvoir central. Il dut faire face à l’hostilité des chefs régionaux du Parti du Congrès qui voyaient dans l’IAS un instrument centralisateur contraire au principe fédéral. Si le fédéralisme s’imposait aux yeux de tous comme la meilleure solution du fait de la taille et de la grande diversité du pays, cette diversité même représentait une menace pour l’unité de la nation, confrontée à l’émergence de forces centrifuges risquant de mener à la désintégration. Le traumatisme lié à la Partition entre l’Inde et le Pakistan en 1947 encouragea par ailleurs la volonté du nouveau gouvernement de créer un État fort. Pour Sardar Patel, l’IAS devait être l’instrument privilégié de ce compromis entre fédéralisme et centralisation.

2 Le recrutement des hauts fonctionnaires de l’IAS s’est progressivement démocratisé. L’élargissement de sa base sociale et géographique est dû notamment à la mise en place de quotas pour les castes défavorisées et à la possibilité, pour tous les candidats, de passer les épreuves du concours en langue vernaculaire. L’intégration nationale est en effet une tâche double, de nature à la fois sociale et spatiale. Si le caractère panindien de l’IAS permet d’assurer la cohésion territoriale, ses membres doivent être représentatifs de l’ensemble de la population pour œuvrer à la cohésion sociale. La question de la nécessaire représentativité de la bureaucratie dans les régimes démocratiques fut théorisée par J. Donald Kingsley, qui remit en cause la conception wébérienne classique du bureaucrate impersonnel, simple « rouage » d’un mécanisme qui le dépasse [Weber, 1946]. Pour Kingsley, la neutralité de la bureaucratie est une fiction. Les bureaucrates sont issus de milieux sociaux bien spécifiques et leur comportement est influencé par cette appartenance sociale. Le seul moyen d’éviter la partialité des hauts fonctionnaires est de rendre la bureaucratie « démocratique », c’est-à-dire « représentative des groupes qu’elle sert » [Kingsley, 1944, p. 305]. Mais existe-t-il un lien systématique entre l’origine sociale des bureaucrates et la manière dont ils prennent leurs décisions dans le cadre de leurs fonctions ? Frederick C. Mosher en doute et propose de distinguer la « représentativité passive (ou sociologique) » qui peut être mesurée en termes statistiques, et la « représentativité active (ou responsable) par laquelle un individu (ou un administrateur) est supposé faire pression pour les intérêts et les aspirations de ceux qu’il représente, qu’il s’agisse de l’ensemble ou d’une partie de la population » [Mosher, 1968, p. 11].

3 Dans un contexte comme celui de l’Inde où les sentiments d’appartenance sociale, religieuse et régionale sont parfois extrêmement forts et exclusifs, la « représentativité active » de la bureaucratie peut s’avérer plus dangereuse que favorable à l’unité nationale. En effet, la somme des intérêts particuliers qui cherchent à être activement représentés au sein de la bureaucratie ne peut conduire à l’intérêt général. D’une part, ces intérêts particuliers sont souvent conflictuels, d’autre part, la puissance des groupes de pression qui les défendent est inégale et n’est pas uniquement fonction de leur poids démographique. Qu’en est-il au sein de l’IAS ? Au-delà de leur fonction administrative à l’échelle locale, ses membres contribuent-ils, à la hauteur des attentes formulées par les fondateurs de la République, à la difficile mission d’intégration nationale que s’est donnée l’Inde indépendante ? Pour répondre à cette question, il convient d’analyser non seulement leurs origines sociales et géographiques, mais aussi leurs « attitudes », notamment en termes de sentiments d’appartenance. L’analyse statistique a été réalisée à partir de la base de données [2] de l’Académie Nationale d’Administration, où sont formés les hauts fonctionnaires, et d’un questionnaire mené auprès d’un échantillon de 50% d’une promotion d’IAS de 91 personnes. L’étude quantitative est complétée par une série d’entretiens avec des membres de l’IAS en formation ou en exercice.

Le recrutement : concilier méritocratie et juste représentation à l’échelle nationale

4 Le mode de recrutement par concours, fondé sur le mérite, fut établi par les Britanniques pour l’Indian Civil Service (ICS), ancêtre de l’IAS. En théorie, rien n’interdisait aux Indiens de se présenter au concours, mais dans la pratique, entreprendre un long et coûteux voyage jusqu’à Londres n’était pas à la portée de tous. C’est seulement à partir de 1922 que l’ICS commença à s’indianiser lorsque, sous la pression des nationalistes du Congrès, un second centre d’examen fut ouvert à Allahabad. Malgré ces timides progrès, l’Indian Civil Service continua à être dominé par les Anglais, et il fut souvent décrié comme n’étant « ni Indien, ni Civil, ni au Service de la population ». Les « Sahibs bruns », comme on avait coutume d’appeler les hauts fonctionnaires indiens, se trouvaient d’ailleurs dans une position délicate. Alors que le mouvement nationaliste de non-coopération prenait de l’ampleur, ils étaient tentés de s’aligner sur les Anglais et faisaient parfois preuve d’un excès de zèle pour se faire bien voir de leurs patrons blancs [Gupta, 1996].

5 C’est pourquoi, après l’Indépendance, la loyauté des membres de l’ICS fut parfois suspectée. L’un des arguments des opposants au maintien de l’ICS, symbole du joug colonial, reposait d’ailleurs sur le rôle ambigu de ses membres dans le mouvement de libération nationale. Mais Sardar Patel, chef de l’aile conservatrice du Congrès, finit par imposer ses vues sur l’importance de la continuité administrative pour la stabilité du pays, et on se contenta de rebaptiser l’institution Indian Administrative Service (IAS). Il fallut très vite organiser de nouveaux recrutements car les rangs de l’ICS s’étaient vidés après la démission des fonctionnaires britanniques et le départ au Pakistan d’une grande partie des fonctionnaires musulmans après la Partition. Une Commission de l’Union pour le Service Public (UPSC) fut chargée du recrutement des hauts fonctionnaires à l’échelle nationale. Elle organise chaque année un concours commun aux différents services de la haute fonction publique.

6 Pour pouvoir passer le concours, il faut être titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur équivalent à la licence (Bachelor’s Degree), quelle que soit la discipline. Près de la moitié des postes sont réservés aux castes défavorisées. Les castes et tribus répertoriées (Scheduled Castes et Scheduled Tribes), dites SC et ST, bénéficient de quotas proportionnels à leur poids démographique, respectivement 15 et 7,5 %. Les Other Backward Classes (OBC), qui représentent plus de la moitié de la population indienne, bénéficient depuis 1993 d’un quota de 27 %, la somme des postes réservés ne devant pas dépasser 50 %. Les mesures de discrimination positive pour les SC et ST relèvent de dispositions constitutionnelles et sont relativement bien acceptées par le reste de la population. En revanche, la mise en place de quotas pour les OBC provoqua de violentes réactions au début des années 1990 [Jaffrelot, 2005]. La colère des hautes castes, due à la perte de leur position hégémonique dans la fonction publique qu’elles considéraient comme leur « chasse gardée », s’est apaisée à mesure que le pays s’ouvrait aux réformes économiques et que la libéralisation créait de nouvelles opportunités d’emploi dans le secteur privé. Mais en 2006, le projet du gouvernement Manmohan Singh d’étendre les quotas pour les OBC aux grandes écoles et au secteur privé a réveillé le mouvement étudiant contre les réservations, dénoncées comme contraires au principe méritocratique.

7 Au sein de l’administration, l’argument du mérite versus quotas est sujet à controverse car l’objectif est de rendre la bureaucratie non seulement performante, mais également plus représentative. Le concours de la haute fonction publique tente de concilier ces deux exigences par un processus de sélection rigoureux sur lequel se greffent les quotas. Il se déroule en trois étapes successives sur une année entière. L’étape préliminaire consiste en un test éliminatoire de culture générale qui permet de faire une première sélection parmi les 100 000 candidats qui se présentent en moyenne chaque année, et dont 10 % seulement sont retenus pour la seconde étape. Celle-ci se compose d’une série d’épreuves écrites, certaines obligatoires comme l’anglais, une langue indienne au choix et un « essai », d’autres optionnelles, que les candidats peuvent choisir dans une longue liste de disciplines enseignées dans les universités. À l’issue de cette seconde étape, ne sont retenus à nouveau que 10 % des candidats, ce qui fait donc un millier de personnes environ convoquées à l’épreuve finale de l’ « interview ». Il s’agit en quelque sorte d’un test de personnalité, où l’on cherche à évaluer la motivation du candidat, sa culture, ses qualités intellectuelles et morales, ainsi que son aptitude à occuper des postes de « commandement » (leadership qualities). Un candidat sur deux est déclaré admis à l’issue de cette dernière épreuve. Au final, c’est donc à peine 0,5 % des candidats qui sont sélectionnés et seuls les mieux classés peuvent opter pour l’Indian Administrative Service, les autres devant se contenter de services moins prestigieux.

8 À l’épreuve orale du concours, la seule où les candidats perdent leur anonymat, certains se plaignent de discrimination, non pas directement à cause de leur origine sociale, mais à cause de leur choix de passer l’entretien dans leur langue maternelle au lieu de l’anglais. Ce choix est pourtant parfaitement autorisé depuis les années 1970 pour les 18 langues régionales officiellement reconnues, outre le hindi, langue nationale. L’idée était d’élargir la base sociale et géographique du recrutement, en permettant aux personnes n’ayant pas eu accès à l’éducation en langue anglaise, ou originaires de régions où elle est très peu utilisée, de concourir. La préférence du jury pour les candidats anglophones peut sembler motivée par des raisons purement académiques et professionnelles, mais certains y voient un parti-pris favorable aux candidats issus de la classe moyenne urbaine, surreprésentés au sein de l’IAS.

Profil éducatif, origines sociales et géographiques des hauts fonctionnaires de l’IAS

9 Les candidats recrutés dans l’IAS appartiennent non seulement à une élite scolaire, mais à une élite sociale, puisque même les candidats issus des basses castes font majoritairement partie de ce qu’on appelle la « creamy layer »  [3]. Les différences sociales se font sentir dès l’école primaire, notamment entre les enfants des classes urbaines aisées qui sont scolarisés dans les English medium schools privées, les plus cotées étant celles tenues par des missionnaires chrétiens (convent schools), et les enfants qui ont grandi en milieu rural et n’ont eu d’autre choix que de fréquenter l’école publique du village, dont l’enseignement est délivré dans la langue locale. Deux-tiers des IAS interrogés ont fait leurs études primaires en milieu urbain, alors que les Indiens sont ruraux à 72 %. 40 % des IAS ont été scolarisés dans des écoles privées, dont la moitié dans des convent schools. Un tiers a étudié en anglais dès le primaire, mais au lycée cette proportion s’élève à deux-tiers.

10 Pour ce qui est des études universitaires, 60 % des personnes interrogées ont un diplôme supérieur à la licence, qui est le minimum requis pour se présenter au concours. Généralement, ceux qui échouent au concours la première fois, c’est-à-dire la grande majorité, choisissent en effet de poursuivre leurs études supérieures en attendant de pouvoir repasser les épreuves. De nombreux candidats sont donc surqualifiés au moment de la sélection. Pendant longtemps, le profil universitaire des IAS était homogène et faisait la part belle aux « humanités » (histoire, philosophie, sciences politiques, etc.). Mais on compte de plus en plus de candidats ayant un diplôme professionnel, avec 15 % de médecins et 25 % d’ingénieurs recrutés dans l’IAS entre 2001 et 2006. Avec la libéralisation économique et l’apparition d’emplois plus rémunérateurs dans le secteur privé, on s’attendait à une désaffection des meilleurs étudiants à l’égard du concours de la haute fonction publique. Pourtant, le prestige du service de l’État et l’attrait du pouvoir ne semblent pas faiblir.

11 On assiste actuellement au succès croissant des classes préparatoires privées auprès des candidats au concours de la haute fonction publique. Le coût de cette formation est souvent prohibitif et remet donc en cause le principe méritocratique du recrutement. Il réduit sa base socio-spatiale en diminuant les chances de réussite de ceux qui n’ont pas les moyens financiers d’y accéder, ou qui vivent loin de Delhi et des grandes métropoles où les coaching centres prolifèrent. C’est pourquoi les autorités publiques, notamment les gouvernements régionaux, cherchent à rétablir une plus grande égalité des chances au concours en créant leurs propres centres de préparation, gratuits pour les catégories défavorisées.

12 Dans les années 1950 et 1960, l’immense majorité des hauts fonctionnaires faisait partie des classes urbaines aisées, généralement de hautes castes [Subramaniam, 1971]. Les quotas pour les castes et tribus répertoriées étaient rarement remplis, faute de candidats qualifiés. Aujourd’hui, les progrès réalisés par ces catégories dans le domaine éducatif et l’émergence d’une classe moyenne issue des basses castes permettent de remplir les postes de la haute fonction publique qui leur sont réservés. L’hégémonie des Brahmanes dans la haute fonction publique fut fortement remise en cause dans les années 1990 par les quotas pour les OBC. Alors qu’ils constituent à peine 4 % de la population indienne, les Brahmanes ont longtemps été surreprésentés dans l’IAS dont ils occupaient environ 40 % des postes. Après eux, les plus représentées étaient les castes lettrées de scribes. Venaient ensuite les castes de propriétaires terriens ayant connu une certaine ascension sociale après avoir investi dans l’éducation de leurs enfants. Certaines d’entre elles furent par la suite classées parmi les OBC, mais les castes agraires dominantes et prospères ne bénéficient pas des quotas. Toutefois, elles sont encore très présentes dans l’IAS.

13 Majoritaires dans la population (82 %), les hindous sont surreprésentés dans l’IAS, avec en moyenne 88 % de candidats recrutés chaque année. Les minorités chrétienne, sikhe et jaïne le sont également, tandis que les musulmans sont nettement sous-représentés, avec moins de 3 % de candidats recrutés en moyenne, alors que l’islam est la religion de 12 % de la population indienne. La sous-représentation des musulmans dans l’IAS s’explique historiquement par la Partition qui a amputé la communauté musulmane indienne de ses élites parties au Pakistan. Par ailleurs, la communauté musulmane, très présente dans les métiers de l’artisanat et du petit commerce, n’a pas investi massivement dans l’éducation ni la recherche des carrières, peut-être par crainte de discrimination dans les emplois tertiaires. Elle souffre également de l’inadaptation des établissements d’enseignement musulmans et du déclin de sa langue littéraire, l’ourdou.

14 L’immense majorité des IAS fait partie de la classe moyenne  [4]. 27 % des personnes interrogées sont des enfants de fonctionnaires. Il y a donc une part de reproduction sociale, mais le principe méritocratique du concours permet également une certaine mobilité ascendante, comme le montre le nombre non négligeable d’enfants d’agriculteurs, de petits employéet d’instituteurs (figure 1).

Fig. 1

Profession du père chez les IAS

figure im1
en %
30
25
20
15
10
5
0
fonctionnaire homd’maffeasires agriculteur employé professeur instituteur médecin ouvrier

Profession du père chez les IAS

15 Au lendemain de l’Indépendance, on ne comptait quasiment aucune femme dans la haute fonction publique. Aujourd’hui, les femmes recrutées dans l’IAS représentent environ un quart de chaque promotion, et leur profil est beaucoup plus élitiste que la moyenne. Elles occupent souvent les meilleurs rangs au concours (dont celui de major de promotion à plusieurs reprises depuis 2001) et sont majoritairement issues des classes urbaines aisées de haute caste. Parmi les femmes recrutées dans l’IAS entre 2001 et 2006, moins de 15 % sont d’origine rurale, contre 43 % chez les hommes.

16 Si l’on se penche sur l’origine régionale des IAS, on constate de fortes disparités entre les États (fig. 2). L’organisation d’un recrutement à l’échelle nationale avait pour but d’attirer les meilleurs talents disponibles sur l’ensemble du territoire, le mérite comptant davantage que l’origine géographique. Toutefois, pour un service à vocation panindienne qui souhaite œuvrer à l’intégration nationale, il semble important que les différents États soient relativement bien représentés.

Fig. 2

Représentation des États dans le recrutement des IAS

figure im2
Indice de représentation des États
dans le recrutement des IAS
19
2 forte surreprésentation
N Jammu& 1 légèresurreprésentation
Cachemire représentation proportionnelle
Himachal 1
Pradesh 0,5 légère sous-représentation
Penjab Chandigarh forte sous-représentation
Uttaranchal 0
Haryana APrraudneaschhal
Delhi
Sikkim
UPrtatadresh Nagaland
Rajasthan Assam
Bihar Meghalaya Manipur
Jharkhand Tripura Mizoram
Gujarat Madhya Pradesh Bocecnigdaelnetal
Chhattisgarh
Daman & Diu
Dadra & Nagar Orissa
Haveli
Maharashtra
Andhra
Pradesh
Goa
Andaman &
Nicobar
Karnataka
Pondichéry
Tamil
Laquedives Nadu
Kerala 0 500 km

Représentation des États dans le recrutement des IAS


Census of India 2001, Lal Bahadur Shastri National Academy of Administration database (2001-2005)

17 Le Rajasthan, l’Uttar Pradesh et le Bihar sont des États pauvres mais bien représentés dans l’IAS, car dans ces États le prestige de la haute fonction publique est immense et de nombreux candidats y tentent leur chance chaque année. En revanche, des États comme le Gujarat, le Maharastra et l’Andhra Pradesh sont plus développés, avec de meilleures structures éducatives, mais ils offrent de ce fait d’autres opportunités de carrière à leurs étudiants les plus brillants, qui peuvent ainsi se tourner vers le secteur privé. Il n’y a donc pas de lien évident entre le niveau de développement d’un État et sa représentation dans l’IAS.

18 Parmi les États nettement surreprésentés, on trouve le Tamil Nadu, qui est plus urbanisé que la moyenne, or statistiquement les candidats d’origine urbaine ont un taux de réussite supérieur au concours. C’est pourquoi Delhi et sa région (Haryana), ainsi que le territoire de Chandigarh, urbanisé à 100 %, sont toujours fortement surreprésentés dans l’IAS, même si le développement des universités régionales a permis de contrebalancer le poids de la capitale fédérale dans le recrutement des IAS. Les États à forte population tribale comme le Chhattisgarh et l’Orissa, ainsi que les États du Nord-Est, sont nettement sous-représentés, à l’exception du Meghalaya et du Mizoram, où les missionnaires chrétiens ont depuis longtemps encouragé l’éducation des tribaux qui ont su tirer profit des quotas pour les ST.

19 Le profil des hauts fonctionnaires de l’IAS est donc très varié, qu’il s’agisse de leur origine sociale ou géographique, même si cette diversité est encore loin de représenter correctement la diversité de la population indienne dans son ensemble. Ce qui a été examiné jusqu’ici, c’est la représentativité « passive », ou sociologique, de l’IAS, qui peut se mesurer en termes statistiques. Se pose à présent la question de la représentativité « active », qui elle ne se mesure pas de manière quantitative, mais peut s’évaluer par des entretiens et par l’observation des comportements individuels. Si la représentation « passive » joue un rôle important dans l’intégration nationale, notamment sur le plan symbolique et psychologique, puisque les différents groupes sociaux et régionaux ont ainsi le sentiment de participer indirectement aux affaires publiques, le rôle de la représentation « active » est quant à lui ambigu. Faut-il souhaiter que chaque « représentant » d’un groupe social ou ethno-linguistique défende activement les intérêts de sa communauté une fois placé à un poste de pouvoir au sein de l’IAS ? Le propre de la bureaucratie n’est-il pas au contraire d’agir dans l’impartialité la plus stricte pour l’intérêt général, sans distinction ni favoritisme ? La première règle de conduite des membres de l’IAS est en effet d’agir dans la neutralité la plus totale. Au moment de la rédaction de la Constitution, Sardar Patel avait insisté pour que les hauts fonctionnaires soient politiquement neutres et travaillent de préférence hors de leur région d’origine, afin de ne pas céder aux pressions des membres de leur caste ou de leur groupe linguistique. Neutralité politique, lutte contre le castéisme, le régionalisme, le confessionnalisme : tel est l’idéal de la haute fonction publique indienne. Mais qu’en est-il dans la pratique ?

La formation à l’Académie Nationale d’Administration : promouvoir la mixité sociale et régionale

20 Après leur recrutement, les hauts fonctionnaires de l’IAS sont formés pendant un an à l’Académie Nationale d’Administration, située à Mussoorie, sur les contre-forts de l’Himalaya. Avant 1959, date à laquelle l’institut fut délocalisé, leur formation était assurée à Delhi. Il existe aujourd’hui de fortes pressions pour que l’Académie soit ramenée dans la capitale fédérale, mais la métropole souffre de congestion et les autorités préfèrent tenir les nouvelles recrues à l’écart des lobbies et des factions du Secrétariat central, qui pourraient leur servir à s’insérer dès le début dans des réseaux destinés à leur assurer les meilleures affectations et les promotions les plus rapides [Maheshwari, 2005]. En outre, les membres de l’IAS ont vocation à travailler dans les États et il semblait préférable qu’ils ne commencent pas leur carrière dans la capitale fédérale, où nombre d’entre eux cherchent par la suite à obtenir une mutation.

21 Dès l’époque coloniale, il fut décidé de donner aux membres de l’Indian Civil Service une formation d’excellence, alors assurée en Grande-Bretagne dans l’East India College de Haileybury [Mason, 1985]. Aujourd’hui, à l’Académie de Mussoorie, les hauts fonctionnaires de l’IAS reçoivent des enseignements variés en administration publique, droit, économie, histoire, géographie et ils apprennent la langue régionale de l’État où ils seront postés. Mais au-delà de ce cursus académique, les formateurs, souvent eux-mêmes membres de l’IAS, cherchent à créer chez leurs jeunes collègues un « esprit de corps », malgré leurs différences d’origine. Ils veillent à ce que les personnes issues de régions différentes apprennent à se connaître, comme le montrent les règles d’attribution des chambres à l’internat. Un Indien du Nord et un Indien du Sud partagent généralement une même chambre et doivent parfois contourner l’obstacle de la langue en communiquant entre eux en anglais. Beaucoup avouent découvrir à l’Académie pour la première fois la diversité de leur propre peuple. 90 % des personnes interrogées sur la promotion 2005 n’ont jamais quitté leur État avant leurs études supérieures. En revanche, plus de la moitié d’entre eux est partie faire des études supérieures dans un État différent du sien, mais il s’agit souvent d’un État voisin ou bien de Delhi.

22 Pour les initier à la diversité culturelle de leur pays, de nombreux spectacles de danse, de musique et de théâtre sont organisés à l’Académie, où sont invités des artistes de toutes les régions de l’Inde. Les apprentis-IAS sont par ailleurs envoyés pendant une semaine dans différents villages de l’Inde pour se confronter aux problèmes socio-économiques des zones rurales qu’ils devront administrer, sachant que la majorité d’entre eux n’a jamais vécu dans un village. Ils partent également dans l’Himalaya faire un trekking de dix jours en petits groupes autonomes qui doivent apprendre à gérer ensemble les difficultés de la haute montagne, les obstacles étant censés les souder et les rapprocher, par-delà leurs différences religieuses, linguistiques et de caste. Enfin, ils réalisent un long voyage d’étude à travers toute l’Inde, à l’occasion duquel de nombreux IAS découvrent pour la première fois l’immensité et la variété de leur pays. Ce voyage est destiné à leur fournir une vision globale du territoire qu’ils seront amenés à administrer.

23 À l’issue de leur première année de formation à l’Académie, les IAS sont envoyés dans leurs districts d’affectation respectifs, où ils sont initiés à la pratique du métier pendant un an. C’est cette période de formation sur le terrain que raconte avec beaucoup d’humour Upamanyu Chatterjee dans son roman English August, qui décrit les désillusions et l’ennui d’un jeune citadin de l’IAS, perdu dans un district rural de l’Inde profonde [Chatterjee, 1988]. Après leur formation pratique, les IAS doivent retourner à l’Académie pour une durée de deux mois, pendant laquelle ils comparent leurs expériences sur le terrain et parlent des difficultés qu’ils ont rencontrées à leurs formateurs.

24 L’observation du comportement des hauts fonctionnaires pendant ces différentes étapes de leur cursus permet de nuancer le bilan « moral » de leur formation et de constater les limites de l’intégration sociale et régionale au sein du corps de l’IAS. À l’Académie, s’il est possible d’imposer une certaine mixité à l’internat, il n’en est pas de même à la cantine. Les végétariens, généralement Brahmanes ou de haute caste, mangent à l’écart des autres. En outre, les tables se forment souvent par groupes régionaux, où l’on parle une même langue. Interrogés sur leurs affinités, 90 % affirment que les groupes se forment avant tout en fonction de l’appartenance régionale, et les non-hindiphones sont les plus montrés du doigt pour leur régionalisme et leur « chauvinisme linguistique ». Il ne faut toutefois pas tirer de conclusions hâtives de ces regroupements régionaux, somme toute naturels. Plus inquiétant en revanche est le favoritisme dont semblent bénéficier, d’après plusieurs témoignages, certains IAS de la part de formateurs issus de la même région.

25 Les tensions entre communautés religieuses ne se font pas vraiment sentir à l’Académie. Ultraminoritaires, les musulmans adoptent un profil bas et une attitude prudente qui ne donnent pas prise à la provocation, même s’ils n’échappent pas à certaines remarques comme l’affirmation que l’hindouisme est le véritable ciment de l’unité nationale et que la loyauté des musulmans à la nation indienne est douteuse. Dans le milieu des IAS, l’influence des mouvements nationalistes hindous et du Bhartiya Janata Party (BJP), parti conservateur anti-musulman, est beaucoup plus importante que ce qui est ouvertement déclaré. L’un des centres de préparation au concours les plus cotés est entièrement financé par le RSS, organisation nationaliste hindoue, qui dispose ainsi d’un moyen puissant pour propager son idéologie auprès des futures élites de l’administration. L’importance du confessionnalisme (communalism [5]) au sein de la haute fonction publique est apparu clairement lors du massacre de plus d’un millier de musulmans au Gujarat en 2002, en toute impunité, révélant la complicité d’une partie de la classe politique et de l’administration avec les fondamentalistes hindous [D’Souza, 2002].

26 De même, si le castéisme n’est pas flagrant à l’Académie, c’est une réalité qui intervient plus tard dans la carrière des IAS. À l’Académie, l’intouchabilité n’est évidemment plus pratiquée de manière ouverte comme dans les années cinquante et soixante, époque à laquelle les préjudices subis allaient jusqu’à pousser à la démission certains IAS issus des basses castes [Singh, 1964]. Aujourd’hui, la mise à l’écart subsiste mais de manière beaucoup plus subtile. Elle est d’ailleurs souvent auto-imposée, pour ne pas avoir à subir une forme de « mépris larvé ». Les conflits ne sont jamais frontaux, à moins qu’un incident particulier ne les déclenche. En avril 2006, lors de la célébration de l’anniversaire du leader « intouchable » Ambedkar à l’initiative d’un groupe d’IAS de l’Académie, l’absence de certains de leurs collègues issus des hautes castes avait suscité quelques remous. Une fois en poste sur le terrain, c’est surtout pour les promotions que le favoritisme de caste joue un rôle. La concurrence est grande entre les membres de l’IAS, puisque seule une minorité d’entre eux pourra parvenir aux plus hauts postes de l’administration, ceux du Secrétariat et des ministères. Au mérite et à l’ancienneté s’ajoutent bien d’autres considérations, parmi lesquelles l’affiliation à des réseaux fondés sur la caste n’est un secret pour personne. Les discriminations déguisées sont chose commune et des fonctionnaires incompétents peuvent être promus uniquement sur la base de leur appartenance sociale [Banik, 2001].

27 Le castéisme, le confessionnalisme et le régionalisme affectent la performance des hauts fonctionnaires, dont l’image ne cesse de se dégrader aux yeux de l’opinion publique. L’exemple du Gujarat a montré comment l’attentisme bienveillant de la police et de l’administration peut coûter la vie à des milliers de personnes. De même, la presse révèle parfois comment les auteurs d’exactions contre les « intouchables » peuvent bénéficier d’une certaine impunité dans les districts où le chef de la police et le préfet sont peu regardants sur ce genre d’affaires. Le favoritisme de caste conduit par ailleurs à l’inégale distribution des ressources et au détournement des aides publiques en faveur de groupes qui ne sont pas forcément les plus démunis. Les fonctionnaires, pour se justifier, accusent les hommes politiques locaux de faire pression sur eux pour qu’ils satisfassent en priorité leurs « clients », c’est-à-dire leurs électeurs. En réalité, bureaucrates et politiciens travaillent souvent main dans la main pour mettre en œuvre ces pratiques clientélistes. Les divisions de la société indienne non seulement se reflètent dans les rangs de la bureaucratie, mais par la partialité de certains de ses membres, celle-ci contribue parfois à alimenter et à renforcer ces divisions au sein de la société.

28 La seule tendance encourageante observée à l’Académie, qui va dans le sens d’une véritable intégration nationale, sont les mariages intercastes, interreligieux et interrégionaux qui ont lieu dans chaque promotion d’IAS. Les femmes cherchent généralement à se marier au sein de la profession, avec un homme de l’IAS, car autrement il leur est difficile de trouver un mari acceptant que son épouse exerce une profession plus prestigieuse que la sienne. La tendance à l’homogamie est moins forte chez les hommes de l’IAS. Conscients de leur valeur sur le marché matrimonial de la dot, ils ont tout intérêt à faire un mariage arrangé au sein de leur caste avec la fille d’un riche industriel, d’un homme politique puissant ou d’un haut fonctionnaire en fin de carrière. Si la pratique de la dot est officiellement interdite en Inde depuis 1961 (Anti-Dowry Act), elle ne fait en réalité que se généraliser, et son montant, qui varie en fonction de la catégorie socio-professionnelle, augmente d’année en année.

29 En Inde, ce sont les IAS qui occupent la plus haute position sur le marché de la dot. 40 % des IAS interrogés déclarent avoir reçu des offres se chiffrant en crores (dizaines de millions de roupies), notamment en biens immobiliers, mais seule la moitié d’entre eux admet avoir accepté de telles offres. Seuls de richissimes hommes d’affaires ou des politiciens et bureaucrates corrompus peuvent s’offrir un IAS comme gendre. Les IAS profitent de cette demande pour élever leur statut social par le biais du mariage. Issus majoritairement de la classe moyenne, une grande partie d’entre eux se marie dans les classes supérieures de la société. Le montant de la dot qu’ils reçoivent est si phénoménal qu’ils peuvent en recycler une partie pour marier leurs sœurs à de bons partis et élever ainsi la position de l’ensemble de leur famille. Tout ceci est bien sûr parfaitement illégal, surtout qu’il s’agit le plus souvent d’argent sale (quel bureaucrate ou homme politique peut gagner honnêtement les millions offerts au gendre avec un salaire mensuel de quelques dizaines de milliers de roupies ?). La dot est en quelque sorte le premier pot-de-vin de la carrière d’un IAS. Elle lui est offerte par une famille riche et puissante en échange de services. Par son titre d’IAS, le gendre procure à sa belle-famille une reconnaissance sociale et une respectabilité qui lui faisaient peut-être défaut malgré sa fortune.

30 Parmi les IAS recrutés entre 2001 et 2006, 45 % des mariages renseignés sont des mariages arrangés au sein de la caste, généralement avec dot. 40 % sont des « mariages d’amour », le plus souvent sans dot, sans considération de caste, de religion ou de région, même si parfois ces données coïncident. Cette proportion est beaucoup plus élevée que la moyenne nationale, puisqu’à l’échelle de l’Inde l’immense majorité des mariages sont arrangés par les familles au sein d’une même caste. Les femmes de l’IAS refusant généralement de payer une dot à leur mari, les mariages entre IAS sont soit des mariages d’amour, soit des mariages « intéressés », en vue d’obtenir une meilleure affectation, grâce à un système de mutation par rapprochement de conjoint. Ces derniers représentent 15 % des mariages renseignés. Le déroulement de la carrière d’un IAS peut en effet varier considérablement en fonction de l’affectation obtenue, valable pour la durée de sa vie active. Postés parfois loin de leur région d’origine, certains sont prêts à tout pour se rapprocher de chez eux ou pour exercer leurs fonctions dans un État où la carrière d’un IAS est plus valorisée.

Les affectations : favoriser la mobilité géographique

31 L’IAS est un service panindien (All-India Service) dont les règles d’affectation reposent sur le principe de la parité : la moitié des IAS exerçant dans un État en est originaire et l’autre moitié vient d’ailleurs. Parmi ceux qui sont originaires de l’État où ils travaillent, 33 % sont des promus de l’administration régionale (State Civil Service). Il ne reste donc que peu de postes « maison » (home cadre) pour les IAS recrutés directement par le concours national, ce qui explique que la grande majorité d’entre eux exerce dans un État différent du sien. C’est une politique délibérée qui vise à encourager la mobilité géographique des hauts fonctionnaires et à promouvoir l’intégration nationale. L’objectif est également de briser les réseaux de clientèle locaux et d’éviter que les hauts fonctionnaires ne soient soumis en permanence à la pression de leur caste ou cercles affinitaires et puissent se consacrer plus facilement à l’intérêt général lorsqu’ils sont en terrain inconnu.

32 Mais certains gouvernements régionaux voient arriver d’un mauvais œil des fonctionnaires « imposés » par le gouvernement central, surtout depuis la fin de l’hégémonie du Congrès à l’échelle nationale et la montée des partis régionaux d’opposition. Le caractère panindien de l’IAS est parfois considéré comme une atteinte au principe fédéral et à l’autonomie des régions, ses membres étant perçus comme les représentants du pouvoir central dans les États. Entre 1975 et 1977, sous l’état d’urgence imposé par Indira Gandhi, le zèle avec lequel les hauts fonctionnaires ont collaboré avec le régime autoritaire les a rendus suspects aux yeux des hommes politiques régionaux [Appu, 2005]. En 1977, dans un mémorandum sur les relations Centre-Etats, le gouvernement communiste du Bengale occidental demanda explicitement l’abolition de l’IAS. Huit ans plus tard, trois autres États, le Tamil Nadu, le Tripura et le Penjab, exprimèrent une position similaire. La question de la suppression de l’IAS n’a jamais été sérieusement considérée par le pouvoir central, car les défenseurs de l’institution continuent d’affirmer son rôle fondamental dans l’intégration nationale et cette thèse semble pour l’instant l’emporter.

33 La carrière des IAS, dans ses grandes lignes, est gérée au niveau central par le Ministère du Personnel, récemment détaché du Ministère de l’Intérieur. Un système de rotation a été mis en place pour qu’au cours de sa carrière, un IAS puisse exercer à la fois dans son État d’affectation et au niveau central dans les ministères de New Delhi. Les dix premières années sont en principe passées dans les régions, où ils travaillent d’abord à l’échelle locale du district jusqu’à atteindre la position de préfet (Collector ou District Magistrate). Dans les États, c’est le Chief Minister, à la tête du gouvernement régional, qui décide de poster les membres de l’IAS dans tel ou tel district. Les transferts sont nécessaires au bon déroulement des processus administratifs puisque, selon le modèle wébérien, ils permettent d’opérer une séparation entre le fonctionnaire et sa fonction. Mais certains hommes politiques abusent de ce pouvoir et essayent de faire pression sur les bureaucrates insoumis en les transférant vers des postes dits « punitifs », dans des zones très reculées ou affectées par des troubles politiques. C’est ce qui explique la collusion d’intérêts entre bureaucrates et politiciens corrompus. En effet, certains hauts fonctionnaires n’hésitent pas à offrir des pots-de-vin très importants aux hommes politiques pour obtenir un bon poste, qui leur permettra de se rembourser rapidement grâce aux larges ressources qui lui sont allouées ou au pouvoir discrétionnaire qui lui est attaché [Wade, 1985 ; Arora, Radin, 2000]. La Commission Centrale de Vigilance fait le constat d’une corruption croissante au sein de l’IAS [Government of India, 2001], héritier d’un Indian Civil Service qui se voulait pourtant incorruptible  [6] et qui voit aujourd’hui sa réputation ternie.

34 Malgré la fréquente collusion entre politiciens et bureaucrates, la position de ces derniers reste précaire car ils peuvent être transférés à tout moment, notamment s’ils s’attaquent à des intérêts puissants et bien implantés au niveau local [Banik, 2001]. À chaque changement de gouvernement, on observe une grande valse des fonctionnaires à l’échelle des États. Mayawati, première femme « intouchable » à devenir Chief Minister, fut la championne des transferts administratifs lors de sa victoire aux élections de 1995 en Uttar Pradesh. Elle a notamment permis à un grand nombre d’IAS de basse caste de devenir préfets de district, fonction dont ils avaient souvent été volontairement écartés sous les gouvernements précédents. Ils ne sont sans doute pas restés longtemps en poste, car entre 1992 et 2002, plus de 7000 hauts fonctionnaires ont été transférés en Uttar Pradesh, État qui détient le record indien pour la mobilité de ses administrateurs. Cette instabilité chronique affecte la performance de l’administration, qui a besoin d’une certaine continuité pour pouvoir être efficace.

35 Les interférences politiques dans l’administration sont plus ou moins fortes selon les États. C’est d’ailleurs l’un des critères qui fait d’un État une « bonne » ou une « mauvaise » affectation (cadre) aux yeux des IAS. À l’Académie, les expressions « good cadre » et « bad cadre » reviennent sans cesse dans les conversations et il est intéressant de se pencher sur la perception du territoire indien par ceux qui l’administrent. L’enjeu des affectations est considérable, car celles-ci sont valables pour la durée d’une carrière. Elles se font désormais de manière aléatoire et non plus « au mérite », afin de ne pas donner l’impression que certains États déshérités sont choisis par défaut par les derniers au classement du concours. Au contraire, c’est le souci de l’intégration nationale et de l’égalité de traitement entre les différents États qui justifie le recrutement des hauts fonctionnaires au niveau central. Cela permet d’offrir aux États les plus petits ou les moins développés un personnel administratif hautement qualifié qu’ils n’auraient peut-être pas pu recruter sur leur propre territoire. Le mérite n’entre en jeu que pour l’attribution des home cadres, postes destinés à des IAS originaires de l’État d’affectation, qui exercent donc « chez eux ».

36 Interrogés sur leurs préférences ( « si vous pouviez choisir, quels seraient vos cinq premiers vœux d’affectation ? »), 95 % des IAS classent leur État d’origine en premier choix. Pour les choix suivants, les trois États qui recueillent le plus de suffrages, le Maharashtra, le Karnataka et l’Andhra Pradesh, sont généralement considérés comme de « bonnes affectations » car ce sont de grands États, parmi les plus développés de l’Inde. Mais le degré de développement d’un État peut jouer dans les deux sens, puisque des États plutôt pauvres comme le Rajasthan, le Madhya Pradesh et l’Uttar Pradesh offrent d’autres avantages aux IAS, notamment en termes de pouvoir et de prestige. C’est pourquoi ces États sont fréquemment cités dans la liste des vœux d’affectation (fig. 3).

Fig. 3

Préférences des IAS concernant leur affectation dans les États

figure im3
Fréquence avec laquelle les États sont cités
parmi les 5 premiers choix (en %)
50
N JCaamchmemui&re 40
Himachal 30
Pradesh
Penjab Chandigarh 18
Haryana Uttaranchal 8 Arunachal
Delhi 0 Pradesh
Sikkim
Rajasthan Uttar Assam Nagaland
Pradesh Bihar Meghalaya
Manipur
Jharkhand Tripura
Gujarat Madhya Pradesh Bocecnigdaelnetal Mizoram
Chhattisgarh
Daman & Diu
Dadra & Nagar Orissa
Haveli
Maharashtra
Andhra
Pradesh
Goa
Andaman &
Nicobar
Karnataka
Pondichéry
Tamil
Laquedives Nadu 0 500 km
Kerala
Source : enquête personnelle (2006)

Préférences des IAS concernant leur affectation dans les États

Fig. 4

Affectations redoutées par les IAS

figure im4
Fréquence avec laquelle les États sont cités
parmi les 5 derniers choix (en %)
60
N Jammu & Cachemire 50
Himachal 35
Pradesh 20
Chandigarh
Penjab Uttaranchal 7 Arunachal
HaryaDnealhi 0 Pradesh
Sikkim
Rajasthan UPrtatadresh Assam Nagaland
Bihar
Meghalaya Manipur
Tripura
Jharkhand
Gujarat Madhya Pradesh Bocecnigdaelnetal Mizoram
Chhattisgarh
Daman & Diu
Dadra & Nagar Orissa
Haveli Maharashtra
Andhra
Pradesh
Goa
Andaman &
Karnataka Nicobar
Pondichéry
Tamil
Laquedives Nadu 0 500 km
Kerala
Source : enquête personnelle (2006)

Affectations redoutées par les IAS

37 La figure 4 a été réalisée à partir des réponses des personnes interrogées sur leurs cinq derniers choix d’affectation. Il apparaît clairement sur cette carte que les affectations les moins recherchées par les IAS sont toutes des États périphériques. Les États du Nord-Est sont considérés comme de « mauvaises affectations » à cause de leur distance, de leur difficulté d’accès, mais aussi à cause de leurs forts particularismes ethniques et des troubles politiques provoqués par les groupes rebelles séparatistes. C’est également pour des raisons de manque de sécurité que le Cachemire est une affectation redoutée par les IAS. Le Bihar est lui aussi considéré comme une « mauvaise affectation », car sa situation administrative est chaotique [Appu, 2005]. Le Kerala, longtemps dirigé par des gouvernements communistes, n’offre pas beaucoup de pouvoir aux IAS. La population de cet État, la plus alphabétisée et la plus syndiquée de l’Inde, « n’a pas plus d’égards pour les hauts fonctionnaires que pour des employés de bureau » (selon les IAS interrogés), ce qui n’est pas sans irriter profondément ce corps d’élite de l’administration.

38 Certains IAS ont tendance à déserter leur affectation, comme le montre le caractère déficitaire de quelques États, notamment dans le Nord-Est, où des postes de hauts fonctionnaires restent vacants. Les stratégies d’évitement sont très variées, depuis le mariage jusqu’aux manœuvres politiques les moins avouables. Se marier avec un autre membre des services panindiens qui a obtenu une meilleure affectation est le seul moyen de changer d’État de manière définitive grâce à une mutation pour rapprochement de conjoint : c’est le « cadre-based marriage ». Les personnes déjà mariées ou fiancées au moment du concours doivent adopter d’autres stratégies d’évitement, cette fois temporaires. Après un certain nombre d’années passées obligatoirement sur le terrain dans leur État d’affectation, les IAS peuvent demander une mutation auprès du gouvernement central à Delhi. En réalité, ces postes sont monopolisés par un petit nombre d’IAS qui disposent de puissants soutiens politiques [Mukherjee, 1994]. Les IAS ont également la possibilité d’aller à l’étranger pour quelques années, et certains obtiennent même des postes prestigieux à l’ONU ou à l’OMC. Une grande partie du travail d’IAS consiste donc à gérer au mieux sa carrière, au détriment de certains États délaissés par la haute administration.

39 Les défenseurs de la thèse du rôle intégrateur de l’IAS citent les exemples de fonctionnaires qui choisissent de rester dans leur État d’affectation après leur retraite, ce qui tend à prouver que la « greffe a bien pris ». Ceci est vrai pour les fonctionnaires affectés dans des États qui disposent de métropoles où les conditions de vie sont bonnes et l’accès aux soins médicaux aisé. C’est également le cas des IAS qui au cours de leur carrière ont accumulé un grand nombre de biens immobiliers dans leur État d’affectation (souvent illégalement, comme le rappelle N. S. Saksena, membre de l’Indian Police Service, qui estime que 15 % des hauts fonctionnaires arrivés à la retraite sont multimillionnaires [Maheshwari, 2005]). Dans les États du Nord-Est en revanche, non seulement les IAS n’ont pas le droit d’acquérir des propriétés foncières (en vertu d’une loi qui protège les terres des populations tribales), mais ils ne cherchent pas à le faire puisqu’ils rentrent généralement chez eux une fois à la retraite. Le cas du Nord-Est, où les mouvements sécessionnistes sont très actifs, souligne les limites de la politique d’intégration nationale par l’intermédiaire de la haute fonction publique. Ni les membres de l’IAS ne semblent accepter de « servir » des populations avec lesquelles ils considèrent n’avoir rien de commun, ni ces populations n’acceptent de remettre leur destin entre les mains de représentants d’un pouvoir extérieur qui, selon elles, cherche à les dominer et à les assimiler.

Conclusion

40 Il n’y a plus de raisons objectives aujourd’hui de penser que la suppression des services administratifs panindiens constituerait une menace pour l’intégrité territoriale. La contribution de l’Indian Administrative Service au maintien de l’unité nationale semble marginale en comparaison des facteurs historiques, politiques et culturels qui donnent aux Indiens le sentiment d’appartenir à une même nation, par-delà leurs différences. La volonté de rendre la haute fonction publique plus représentative de l’ensemble de la population grâce à une politique de quotas se contente d’une approche purement quantitative de l’intégration nationale, et ne permet pas de transcender les clivages sociaux, religieux et ethniques qui divisent la société indienne. Comment une haute administration elle-même affectée par le castéisme, le confessionnalisme et le régionalisme peut-elle offrir à ses administrés la perspective d’une poursuite collective d’un bien commun, comme le voudrait une approche plus qualitative de l’intégration nationale ? La solidarité verticale entre bureaucrates et politiciens haut placés semble l’emporter sur la solidarité horizontale d’un corps composite d’IAS, qui s’alignent sur des partis politiques en fonction de leur appartenance sociale, ou simplement pour des raisons opportunistes de carrière.

41 Si une minorité d’IAS résiste à ce courant dominant, elle ne peut infléchir à elle seule un système dont elle est elle-même victime : harcèlement et pression des hommes politiques locaux, transferts « punitifs », menaces à la personne et aux familles. Pour mettre fin à ces pratiques abusives, le gouvernement Manmohan Singh a décidé de limiter les prérogatives des politiciens sur les hauts fonctionnaires  [7]. Encore faut-il que cette nouvelle loi soit appliquée, car les commissions sur les réformes administratives ne cessent de rendre rapports et recommandations, sans avoir apporté de changement significatif à l’institution. C’est pourquoi de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer la suppression de l’IAS, qui n’a pas fait la preuve de son efficacité dans les politiques d’intégration nationale. Le caractère élitiste de la haute fonction publique était censé garantir la probité de ses membres et les placer au-dessus des intérêts particuliers. Or certains observateurs constatent avec amertume que « l’élitisme n’est pas synonyme de neutralité ni de franc-jeu »  [8]. Si les fonctionnaires de l’IAS ne sont pas capables de jouer leur rôle intégrateur à l’échelle nationale, et si, au lieu de contribuer à l’unité du pays, ils renforcent par leur partialité les divisions qui déchirent la société indienne, alors l’institution a effectivement perdu sa raison d’être.

Notes

  • [*]
    Doctorante, AMN (Allocataire-Monitrice Normalienne), laboratoire Gecko, Université de Paris X, 200, avenue de la République 92000 Nanterre – dbenbabaali@hotmail.com.
  • [1]
    Les districts, au nombre de 602, sont des subdivisions administratives au sein des 28 États qui forment l’Union Indienne.
  • [2]
    Cette base de données contient des informations sur les candidats recrutés au sein de l’IAS depuis 2001, notamment leur sexe, date et lieu de naissance, catégorie administrative (caste), état civil, profil éducatif, langue utilisée au concours.
  • [3]
    La « crème » ou le « gratin ». Cette catégorie a été officialisée selon des critères stricts de revenus et de profession, ce qui permet désormais d’exclure des quotas les candidats OBC dont les parents occupent des positions élevées dans la société (échelons supérieurs de la fonction publique, hauts gradés de l’armée, juges de la Cour Suprême et des Hautes Cours de Justice, etc., mais également grands propriétaires terriens).
  • [4]
    La « middle class » indienne diffère de la notion de classe moyenne telle qu’on l’entend en Europe ou aux États-Unis. Il s’agit de classes urbaines, minoritaires, souvent aisées, que leur composition majoritairement de haute caste influence fortement.
  • [5]
    Le « communalisme » est le terme employé en Inde pour désigner le sentiment exclusif d’appartenance religieuse qui débouche sur le rejet, parfois violent, des communautés de confession différente.
  • [6]
    E. M. Forster, dans son roman A passage to India, écrit en 1924, nous rappelle avec beaucoup d’humour que les fonctionnaires britanniques travaillant en Inde n’étaient pas plus incorruptibles que les fonctionnaires indiens, sauf qu’ils se faisaient prendre moins facilement : « When we poor blacks take bribes, we perform what we are bribed to perform, and the law discovers us in consequence. The English take and do nothing. I admire them » [Forster, 2005, p. 6].
  • [7]
    Hindustan Times, 14 septembre 2006.
  • [8]
    « We have been expecting too much from the bureaucracy because it was elitist. Elitism is not synonymous with neutralism or with fair play » [Venkataratnam, 2005, p. 1791].
Français

Au-delà de leur fonction administrative à l’échelle locale, les hauts fonctionnaires de l’Indian Administrative Service (IAS) ont pour mission d’œuvrer à l’intégration nationale, à la fois sur le plan social et territorial. Si la mise en place de quotas a démocratisé le recrutement, la représentativité de ce corps d’élite de l’administration reste faible. L’idéal de neutralité de la bureaucratie, censé assurer la cohésion sociale en plaçant ses membres au-dessus des intérêts particuliers, est mis à mal par la partialité de certains fonctionnaires, fondée sur leur appartenance régionale, religieuse et de caste. La structure panindienne de l’IAS doit également favoriser la cohésion territoriale. Or les États périphériques, notamment ceux du Nord-Est, sont des affectations redoutées, et de ce fait souvent contournées, alors qu’il s’agit précisément des régions qui ont le plus besoin d’être intégrées à l’ensemble national.

Mots-clés

  • Inde
  • hauts fonctionnaires
  • administration
  • bureaucratie représentative
  • élitisme
  • intégration nationale
  • quotas
  • castes

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Dalal Benbabaali [*]
  • [*]
    Doctorante, AMN (Allocataire-Monitrice Normalienne), laboratoire Gecko, Université de Paris X, 200, avenue de la République 92000 Nanterre – dbenbabaali@hotmail.com.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/autr.047.0005
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