CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 En 2004, a été inauguré sur le versant nord-est de Medellin un nouveau système de transport téléphérique, dénommé Metrocable, relié au système de transport métropolitain de la vallée d’Aburra. Ce dispositif est le premier, à l’échelle de l’Amérique Latine, qui ait réussi à s’adapter à la fois aux conditions topographiques du site et à la structure urbaine d’une des plus grandes zones de développement informel  [1] où se concentre environ 40 % de la population urbaine qui, jusque-là avait été tenue à l’écart de toute politique publique. Cette initiative n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un programme qui tend aujourd’hui à être un véritable modèle d’intervention dans les quartiers informels : le Projet Urbain Intégral (PUI). Ce projet vise à rassembler un maximum d’interventions dans un même espace en déployant à la fois des travaux d’aménagement de voirie et d’espaces publics (parcs, places et boulevards) et des équipements éducatifs et de santé. En outre, il tente d’articuler les actions de toutes les instances de l’administration municipale autour de programmes sociaux, économiques et culturels. Le PUI, en tant que modèle de réaménagement urbain, commence aujourd’hui à être reproduit dans d’autres zones de même type, notamment dans le centre-ouest, où se construit une nouvelle ligne de Metrocable et où a été inauguré au cours de l’année 2007 le parc-bibliothèque San Javier.

2 Bien qu’il soit trop tôt pour évaluer l’impact de ces projets de grande ampleur sur l’organisation de ces espaces, le modèle PUI représente la dernière génération de programmes visant à contrôler la croissance de la ville informelle. Par ailleurs, il témoigne d’un véritable changement d’approche en matière de gestion des zones périphériques dont le développement a longtemps échappé au contrôle et aux priorités des pouvoirs publics. La mise en place de ce type de projet innovant est ainsi un point de départ pour mettre en perspective l’évolution des discours et des pratiques, et les défis auxquels doivent faire face les pouvoirs publics dans une ville représentative des problèmes urbains et sociaux que connaissent les villes andines de nos jours.

3 Cet article se divise en trois parties : dans une première partie seront exposés les dispositifs d’aménagement de la première moitié du XXe siècle, qui comportent notamment les premières délimitations du périmètre urbain et les ébauches des plans régulateurs.

4 Dans une deuxième partie, nous analyserons la manière dont les pouvoirs publics ont géré l’explosion de la ville marginale. Les mesures d’éradication sont progressivement remplacées par des programmes de réhabilitation des quartiers informels. Néanmoins, cette évolution n’empêche pas la mise en Œuvre de dispositifs visant à limiter la croissance dans les marges de la ville. Ceci se traduit par exemple, à Medellin, par la définition d’un « Cordon vert » périphérique, et par celle de « zones à risque » qui, nous le montrerons, mettent en évidence la spécificité du cas de Medellin.

5 La dernière partie, enfin, tâche d’analyser les programmes les plus récents de réhabilitation des quartiers mis en place à Medellin, qui sont des éléments structurants de la réorientation des politiques urbaines latino-américaines observées depuis les années 1980. Ces programmes visent à renforcer l’intégration de ces zones aux dynamiques urbaines formelles, à la lumière des nouveaux paradigmes de la gestion urbaine [Gouëset, 2006b ; Lulle, Le Bris, 2000] comme la prévention des risques, la planification participative et le développement durable.

Les premières tentatives de planification, la politique du périmètre urbain et le Plan régulateur

6 À l’aube du XXe siècle, l’administration municipale de Medellin, en relation avec les élites patronales locales – qui jouaient un rôle très important dans les décisions de celle-ci [Botero Herrera, 1996] –, a tenté de formuler les premiers plans régulateurs.

7 Ces outils visaient à établir des réglementations dans le tracé des lotissements urbains et des voies, ceci permettant d’adapter la structure urbaine à l’augmentation de la population. Ces premières normes (le premier plan fut élaboré en 1890, le deuxième en 1913) se basaient sur les principes hygiéniques en vigueur dans les villes européennes qui privilégiaient la construction de parcs, la luminosité, la circulation, l’esthétique, ainsi que l’établissement de limites urbaines (González, 2005 ; Perfetti, 1996).

8 Dans la pratique, leur mise en place a été confrontée à de nombreux obstacles : manque de ressources financières de la municipalité pour acquérir les terrains et réaliser les expropriations nécessaires à l’élargissement de la voirie et à la construction des espaces publics [Perfetti, 1996] ; rivalités d’intérêts privés des mêmes élites prévalant sur l’intérêt général. Au XIXe siècle, Medellin était le principal pôle de commercialisation de l’or provenant de l’ensemble du département d’Antioquia  [2]. Grâce à l’augmentation de la production de café et l’insertion du pays dans l’économie mondiale, la ville s’est affirmée en tant que centre commercial et politique de la région. Comme l’a expliqué Reyes [1996], l’accumulation de capital et l’expérience commerciale acquise ont généré un esprit de patronage et d’entreprise chez les classes commerçantes du département, conduisant à la diversification des investissements permettant d’initier le processus d’industrialisation du XXe siècle [Botero Herrera, 1996]. La transformation urbaine de Medellin au cours des premières décennies du XXe siècle s’explique ainsi largement par son affirmation en tant que ville industrielle, qui conduira également à produire une image de Medellin associée à la prospérité, à la modernité, et représentant un modèle de société « catholique et entreprenante ». Cette image, contestée par plusieurs auteurs à l’exemple de Reyes [1996], explique certainement la réaction tardive et peu adaptée des pouvoirs publics et des dirigeants aux changements spatiaux et démographiques opérés au cours du XXe siècle.

Tab. 1

Accroissement de la population de Medellin au cours du XXe siècle

Année Population Taux d’accroissement
1930 129 100 0,50
1940 185 000 0,43
1950 340 470 0,84
1960 464 780 0,37
1970 1 016 780 1,19
1980 1 451 760 0,43
1990 1 554 000 0,07
2000 2 052 230 0,32
figure im1

Accroissement de la population de Medellin au cours du XXe siècle


Poveda [2006]

9 La croissance économique, forte demandeuse de main-d’œuvre, et l’apparition de services urbains ont en effet entraîné des migrations massives de population rurale [3] (tab. 1). Jusqu’aux années 1950, faute de régulation effective, la trame urbaine a continué à s’étendre de manière anarchique au rythme de la forte activité immobilière qui a accompagné la demande de logement des classes ouvrières émergentes. Cette demande a été en partie absorbée par des promoteurs privés. Sous prétexte de transformer les sols ruraux en sols urbains, les promoteurs privés, par le biais de sociétés anonymes, ont acheté de grandes portions de terrain destinées à des lotissements massifs [Botero Herrera, 1996]. L’arrivée du train en 1914 et la construction du tramway dans les années 1920 ont contribué à accélérer le processus d’urbanisation en entraînant en même temps la densification et la consolidation de la trame intérieure et l’extension de la structure urbaine au-delà les limites fixées dans les premières ébauches de plans.

Le périmètre urbain

10 En effet, une des stratégies de planification du début du siècle a été la définition du périmètre urbain comme instrument permettant de séparer l’aire urbaine de l’aire rurale de la commune. Le premier périmètre a été établi en 1905 par décision du Conseil Municipal. Cette mesure exclusivement administrative concernait la perception des impôts fonciers. Cependant, Naranjo et Villa (1997) soulignent que cette politique a eu non seulement des répercussions importantes dans le sentiment d’appartenance des habitants à la ville. Elle a aussi manifesté des fonctions de contrôle social et d’exclusion des quartiers considérés insalubres. Être à l’intérieur du périmètre signifiait avoir un meilleur accès aux équipements et aux services de la ville, et bénéficier d’une présence plus importante de l’Administration. Dans la première moitié du XXe siècle, ce périmètre a été modifié six fois  [4] (fig. 1), toujours avec des arguments administratifs (tarification des impôts, zonage et sectorisation)  [5].

11 Le périmètre de 1945 a intégré au sein de l’aire urbaine la quasi-totalité des quartiers qui s’étendaient dans la plaine alluviale de la rivière au milieu de la zone la plus large de la Vallée d’Aburra, qui correspond à la région métropolitaine (fig. 2). En 1963, une nouvelle extension du périmètre s’est avérée nécessaire en réponse à l’éclatement de la ville. L’arrêté déclarant une nouvelle sectorisation de Medellin, signifiait expressément que le nouveau périmètre devait nécessairement contrôler la croissance de la ville et freiner l’implantation de nouveaux secteurs qui tendaient à intégrer le territoire urbain  [6]. Toutefois cette orientation ne s’est pas révélée très efficace : les secteurs informels ont continué à s’étendre sur les versants escarpés. L’effet attendu de cette politique était de restreindre la disponibilité de sol urbain afin d’augmenter sa valeur à l’intérieur du périmètre [Blaesser, 1981]. En reléguant la périphérie à un statut de sol semi-rural (et semi-urbain) aux conditions topographiques contraignantes, les marges se sont affirmées comme les terrains les plus appréciés par les familles à bas revenu, dynamisant le marché informel.

Fig. 1

Évolution du périmètre urbain entre 1928 et 1999

figure im2

Évolution du périmètre urbain entre 1928 et 1999

12 Les extensions successives de l’espace déclaré urbain, en date de 1981, 1983, 1992, 1994 et 1999, marquent un changement débuté à partir des années 1980, que nous discuterons plus loin. Elles ont été décidées dans une perspective inclusive, avec l’objectif de faciliter la gestion administrative des parties de la ville qui demeuraient jusque-là dans une situation indéterminée, ni urbaine ni rurale qui, légalement, empêchait tout investissement public  [7].

Fig. 2

Localisation géographique de la Région métropolitaine de la Vallée d’Aburra – AMVA [8]

figure im3

Localisation géographique de la Région métropolitaine de la Vallée d’Aburra – AMVA [8]


Le Plan Régulateur

13 Dans la décennie de 1940, la croissance des principales villes du pays a conduit le gouvernement national à promulguer la Loi 88 de 1947 qui ordonnait aux communes l’élaboration d’un plan régulateur permettant de réorienter la planification de la ville construite et de planifier son développement futur. Ces plans ont été réalisé à la lumière des discours fonctionnalistes de l’époque, dont le but était d’exercer un contrôle social à travers un contrôle de l’espace rendu possible par un zonage précisant les usages de chaque zone de la ville [Lulle, Le Bris, 2000].

14 L’administration municipale a alors engagé les urbanistes P. L. Wiener et J. L. Sert [9] pour l’élaboration du Plan régulateur de la ville. Les éléments essentiels des programmes de town planning menés dans les villes latino-américaines par ces deux urbanistes, tel qu’ils l’ont eux-mêmes expliqué [Wiener, Sert, 1951, p. 6], comprenaient la délimitation des zones d’habitation, d’activité professionnelle, de loisir et de circulation. Ils ont introduit des éléments comme l’organisation en unités résidentielles adaptées à la topographie, rompant ainsi avec la logique du damier espagnol ; la hiérarchisation de la voirie comme élément d’aménagement urbain ; le renforcement des limites à l’expansion ; la réorganisation des centres-villes et le remplacement des centres coloniaux par des centres publics modernes. Le Plan Pilote de Medellin visait à consolider les interrelations régionales au moyen de la définition d’une « aire métropolitaine »  [10] suivant l’axe de la rivière. Il prévoyait aussi un réseau de parcs linéaires suivant l’axe des ruisseaux qui sillonnent les versants afin de protéger les rives et d’éviter leur occupation. Ce plan envisageait enfin le développement d’un « Cordon vert » périphérique servant d’espace vert mais surtout de frein à l’expansion urbaine, ceci venant renforcer le périmètre normatif.

15 Dès 1950, Wiener et Sert dénonçaient l’action des promoteurs qui autrefois était socialement acceptée, en les traitant de spéculateurs fonciers (dénommés ensuite lotisseurs « pirates »). Par cette dénonciation, ils mettaient en lumière le phénomène de croissance informelle en direction de versants pentus détériorés par le déboisement, par l’usage inadéquat de leurs ruisseaux, transformés en égouts, occultés ou remblayés. Cette croissance sans contrôle en direction des versants, outre d’être en opposition avec la logique initiale de la ville, annonçait l’apparition de risques liés à l’érosion, à l’écoulement des eaux usées et au régime torrentiel des ruisseaux. Le Plan Régulateur devait ainsi minimiser ces effets et réorienter la croissance selon les principes d’une ville planifiée [Wiener, Sert, 1950].

16 Dans la pratique, l’application de ces modèles importés d’Europe sans égard pour les spécificités du terrain local, s’est heurtée à la dépendance économique, à la pauvreté et aux processus démographiques caractéristiques des villes latino-américaines [Gouëset, 2006b]. En outre, dans le cas de Medellin, après l’adoption du Plan Régulateur en 1951, le manque de ressources financières de l’administration locale et la situation d’instabilité politique dans laquelle était plongée la Colombie ont compliqué la poursuite du travail autour du plan et limité sa mise en œuvre [Schnitter Castellanos, 2004]. À la fin des années 1970, la réalité urbaine ne correspondait pas du tout à la ville planifiée. Le plan avait en effet été dessiné pour une ville de 250 000 habitants en 1948 et projetait une population de 700 000 habitants en 50 ans, une projection largement dépassée en 25 ans, comme le montrent les chiffres du recensement. Le développement des secteurs informels vers les versants avait littéralement explosé.

17 En 1975, l’entité municipale chargée du logement social Corvide  [11] a envisagé de mettre en place à plusieurs reprises un programme de fermes et de parcelles agricoles dans la frange semi-rurale, afin de limiter l’expansion et de mettre en place une zone de protection écologique. Ce projet, le « Cordon vert », a néanmoins très vite souffert d’un manque de moyens et de savoir-faire dans le domaine agricole, l’institution étant spécialisée dans la construction de logements sociaux [Contraloría General de Medellín, 1994, p. 25]. Il n’a donc jamais abouti. Les terrains acquis par Corvide au cours de cette période n’ont servi qu’à accroître le domaine public, beaucoup plus attractif au peuplement informel que les terrains privés généralement plus surveillés : en 1985, 220 Ha avaient été achetés dans le versant nord-est mais seulement 30 Ha avaient été effectivement destinés à des fermes, le reste ayant été envahi par l’habitat informel [Corvide, 1985]. Cette frange constitue actuellement les zones considérées « à risque ».

Explosion de la ville marginale et discours publics

18 Le peuplement des versants s’est accéléré au cours des années 1950. Au phénomène des lotissements clandestins s’est ajouté la multiplication des invasions dues à l’affluence de nouvelles vagues de population rurale migrante, chassée par la crise agraire : en 1974, selon une enquête officielle [Vélez Mejía, 1974], 75,4 % des familles qui habitaient les secteurs informels déclaraient avoir été contraintes de quitter les campagnes pour des raisons économiques, tandis que, contrairement aux idées reçues, seulement 2,7 % de cette population déclarait avoir fui suite à la Violence politique des années 1950. La vague de migrants des années 1960 et 1970 était constituée par des groupes très défavorisés qui parvenaient difficilement à s’intégrer au marché du travail industriel [Naranjo, 1992], ce qui coïncide avec la stagnation industrielle et le ralentissement de l’activité économique à l’échelle du pays [Palacios, Safford, 2002].

19 Aujourd’hui, la ville de Medellin se présente comme un espace urbain fortement segmenté : 47,13 % de la population appartient aux couches socioéconomiques les plus basses (1 et 2)  [12] et habite majoritairement dans les quartiers d’origine informelle des versants (fig. 3). Ces secteurs sont caractérisés par un énorme déficit en infrastructures de base (services publics, santé et éducation, espaces publics et récréatifs, transports) ainsi que par de fortes densités de population, par la prévalence de l’emploi informel, par des hauts indices d’insalubrité du logement, le manque de titres de propriété et la présence de groupes armés qui exercent un pouvoir sur ces territoires.

20 En outre, la confluence entre les caractéristiques topo-climatiques, les défauts de la gestion territoriale et la structure urbaine dérivée des processus de peuplement informel se traduisent dans de désastres socio-naturels liés à des glissements de terrain, à des inondations et à des crues subites. À ampleur variable, beaucoup de ces désastres « quotidiens » rentrent dans la catégorie des événements « mineurs » – par rapport aux seuils des grandes bases de données – dont les effets accumulés ont été signalés dans des travaux récents [La Red & OSSO, 2002 ; Marulanda, Cardona, 2006]. Il faut savoir que dans la période 1977-2006, les désastres « naturels » accumulés dans l’agglomération métropolitaine ont provoqué la mort de 917 personnes et on compte 31 637 sinistrés  [13].

21 Au cours des dernières années, l’affluence de populations venant s’installer en périphérie s’explique en partie par la recrudescence du conflit armé colombien qui a entraîné le déplacement forcé de plus de trois millions de personnes depuis 1995 dans tout le pays  [14]. Compte tenu de la disparité des données selon les sources, entre 2000 et 2006, 86 461 chefs de ménage sont venus se déclarer en situation de déplacement à la Personería de Medellin  [15] [Personería de Medellín, 2005, p. 54]. Ces familles viennent occuper les terrains les plus éloignés, sur la partie haute des versants, souvent dans des zones considérées « à risque non récupérable » (ZHNR) selon le Plan d’aménagement territorial en vigueur : sur les 29176 ménages recensés habitant ces zones, 17,6% sont des déplacés [Secretaria del medio ambiente et alii, 2005, p. 5, annexe 3].

22 Le regard des pouvoirs publics face à cette explosion est néanmoins passé par différentes étapes. Le premier rapport élaboré par l’administration municipale reconnaissant la problématique des lotisseurs pirates et des invasions a été présenté en 1958 par le Bureau du Plan Régulateur (devenu Département administratif de planification, DAP). On y rapportait l’existence de 54 lotissements distribués dans deux franges périphériques des deux cotés de la vallée (en dehors du périmètre en vigueur) ainsi que la dissémination des invasions [Mesa Velásquez, 1958]. Dans les années 1960, la gestion publique a privilégié l’éradication des invasions dans le centre ville. On retrouve aussi plusieurs diagnostics de la situation générale sans que ceux-ci se soldent par des mesures concrètes de contrôle ou par des réponses adaptées. L’idée selon laquelle le phénomène informel était transitoire prévalait encore dans l’imaginaire des planificateurs, des décideurs et des classes dominantes. La ville était censée reprendre la direction d’un progrès confortant l’image de la ville industrielle ordonnée, propre et dynamique qui avait prévalu jusque-là. En vue de quoi, l’expansion de l’informalité comme problème urbain auquel il fallait faire face a été sous-estimée, ses dynamiques et ses réalités ayant été exclues de l’idéal urbain. L’éradication des bidonvilles installés dans les aires centrales correspondait au besoin d’éliminer la criminalité, les menaces à la santé publique et les conflits que l’on associait aux migrants et qui mettaient en péril une supposée harmonie sociale [Jaramillo et alii, 2004]. Les mesures d’éradication étaient fondées également sur une vision charitable d’assistanat, orientée par les préceptes du catholicisme et du devoir chrétien. Cela peut être constaté dans les propos du rapport de 1958 : « l’éradication des bidonvilles appelle la compassion et la charité chrétiennes (…) Le contraste entre cette grande misère à tous yeux visible, avec le luxe de certaines classes (…) crée un environnement propice aux ressentiments sociaux » [Mesa Velásquez, 1958, p. S/P].

Fig. 3

Distribution socioéconomique de la population et densité de population par arrondissement

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Distribution socioéconomique de la population et densité de population par arrondissement


23 Entre 1961 et 1968, l’institution municipale chargée du logement social « Casitas de la Providencia »  [16], avec la participation des organismes privés et religieux, s’est spécialisée dans la construction de quartiers en périphérie permettant de loger les familles provenant des aires centrales évacuées (quartiers Santander et Villa del Socorro dans la zone nord-est) [Departamento administrativo de planeación, 1968]. Si cette mesure est parvenue à « libérer » le centre-ville de ces bidonvilles, elle a néanmoins eu des effets inattendus en périphérie où les invasions se sont intensifiées [Blaesser, 1981]. Le phénomène des invasions l’a peu à peu emporté sur les lotissements dits clandestins en raison de l’épuisement des grandes extensions propices aux lotissements, et de la promulgation de la Loi 66 de 1966 régulant les activités d’urbanisation et prévoyant des sanctions pénales pour les lotisseurs clandestins.

24 Les politiques d’éradication ont ainsi progressivement glissé vers des politiques de réhabilitation, axées initialement sur le raccordement aux services publics, puis sur des interventions dispersées à travers la construction d’ouvrages civils et de quelques équipements. En 1964 a été créé le Fonds attaché à l’Entreprise de services publics de Medellin (EPM)  [17] dont l’objectif était la réhabilitation des quartiers qui ne disposaient d’aucune infrastructure de base. La restriction dans l’attribution de ces services aux lotissements clandestins avait été utilisée comme stratégie de contrôle. Le Fonds a eu une forte activité dans les années 1970. Entre 1966 et 1977, ont été mis en place 17 669 raccordements individuels d’égouts, 31 052 d’alimentation en eau potable et 65 210 raccordement d’électricité [Blaesser, 1981]. Ces infrastructures étaient considérées comme suffisantes, laissant pourtant de côté la précarité des logements, le manque d’intégration de ces quartiers à la structure urbaine et les conditions socio-économiques des populations. EPM a joué dès lors un rôle fondamental dans la légitimation et la consolidation des zones informelles à l’insu de la Direction de Planification, et par conséquent dans les conflits d’intérêts que provoque la gestion des zones d’habitat informel (photo 1). En effet, depuis la création d’un programme de contrôle de pertes liées aux connexions clandestines de EPM en 1989, l’extension des services publics, notamment d’électricité, répond plutôt aux priorités financières de cette entreprise qui a assumé une position beaucoup plus agressive vis-à-vis de l’incapacité de l’administration municipale de contrôler le territoire. Il faut noter qu’à la fin 2006, l’inventaire des installations individuelles d’électricité d’EPM comptait 626 835 logements. Or, l’inventaire de la Direction du cadastre municipal en comptait 486 507  [18].

Photo 1

Compteur d’électricité dans un logement localisé en zone considérée « à haut risque »

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Compteur d’électricité dans un logement localisé en zone considérée « à haut risque »


(© J. López, mars 2006)

25 Au cours des années 1970, on retrouve encore dans les rapports municipaux des propos exprimant la crainte de l’administration municipale pour que toute intervention publique soit interprétée comme une « claire acceptation des établissements humains sans contrôle » [Departamento administrativo de planeación, 1968, p. S/P] stimulant de nouvelles migrations. Cependant, ces années marquent un virage dans les politiques urbaines : l’attention auparavant portée sur la planification spatiale se déplace vers les conflits socio-économiques dérivés de l’amplification de l’habitat clandestin et spontané [Lulle, 2000 ; Massiris Cabeza, 2004]. Le phénomène urbain occupe ainsi une place centrale dans les politiques nationales, et les solutions visent la régularisation, la légalisation et le développement progressif des quartiers sur la base de critères plus adaptés « aux possibilités et aux ressources d’un pays pauvre » [Instituto de Crédito Territorial, 1995, p. 69]. En outre, la notion de planification environnementale et l’intérêt de réguler les ressources naturelles commence à prendre de l’importance [Massiris Cabeza, 2004]. Ces changements vont de pair avec la nécessité de renforcer l’autonomie municipale, les mécanismes de participation citoyenne. Le développement régional et l’organisation des aires métropolitaines occupent désormais une place centrale dans le débat politique et se matérialisent dans plusieurs dispositifs (Code de ressources naturelles 1974, Code sanitaire 1979, Loi de réforme urbaine 1989) [Martínez Muñoz, 2004].

26 Ces avancées fondamentales président à la mise en place de la démocratisation et de la décentralisation administrative qui ont marqué le tournant des années 1980 et 1990 en Amérique Latine [Gouëset, 2006a]. Ceci a entraîné en Colombie la proclamation de la Constitution de 1991, qui synthétise l’essentiel de ces deux changements. À la lumière de celle-ci, le renouvellement des politiques urbaines repose essentiellement sur l’introduction du concept d’aménagement du territoire (Loi 388 de développement territorial de 1997) conçu comme une politique de planification qui intègre des objectifs environnementaux, privilégiant à l’échelle locale la planification [Massiris Cabeza, 2004, p. 62]. Ces principes sont établis à l’échelle municipale dans un Plan d’aménagement du territoire (POT), dont un des objectifs est la prévention des risques socio-naturels.

Zones à haut risque non-récupérables (ZHRNR)

27 Nous arrivons ainsi à un autre instrument qui peut être entendu comme un des dispositifs de contrôle territorial mis en place par l’Administration municipale. En effet, dans le cas de Medellin, la problématique du risque socio-naturel a fortement conditionné la gestion publique des secteurs informels, avant même la promulgation des lois nationales. La délimitation des zones à risque dans la classification des usages du sol urbain découle des premiers programmes de réhabilitation des quartiers dans une perspective plus globale. Selon les critères d’évaluation géotechniques employés, ces zones représentaient des coûts estimés trop élevés en raison des difficultés d’extension des réseaux d’eau et d’assainissement dans des lieux de fortes pentes. De ce fait, elles ont été écartées de l’intervention publique.

28 Suite à la multiplication des désastres socio-naturels à partir des années 1980, l’Administration a promulgué en 1985 le Décret municipal 15 déclarant des « Zones à haut risque potentiel de désastres ». La définition initiale a progressivement été adaptée aux normes nationales et ces zones constituent actuellement les ZHRNR dans le POT. Elles ont varié en extension, mais les critères de définition et de gestion restent les mêmes :

29

Ce sont des zones urbaines ou rurales, pour la plupart habitées qui, étant donné leurs caractères topographiques (de pentes prononcées), hydrologiques, les processus d’instabilité géologique actifs ou latents qui les définissent ou, enfin, leur exposition à un aléa ou risque externe, sont très instables et dont le traitement pour leur récupération est très difficile (…) (POT, Décision du Conseil Municipal 62 de 1999, art. 95)

30 La norme municipale interdit ainsi dans ces zones tout type d’intervention publique (construction d’infrastructures, extension des services publics, programmes de régularisation et légalisation de titres de propriété, etc.). De même, elle exige que tous les habitants soient délogés et déplacés dans le cadre de programmes de logement social. Ces espaces doivent ensuite être transférés aux organismes environnementaux afin d’être reboisés avec « des espèces végétales endémiques ou exotiques » et transformées en aires de protection écologique.

31 Or, les ZHRNR présentent à l’heure actuelle différents degrés de consolidation, en fonction de l’autogestion des habitants et des interventions fractionnées et souvent contradictoires au regard de la norme des organismes étatiques et privés. Ces versants continuent à être la seule possibilité d’accès au logement pour de nombreuses personnes et la catégorie ZHRNR est entendue par la population de différentes manières selon ses perceptions de la ville et le profit qu’elle peut tirer des ambiguïtés de la gestion municipales.

32 L’actualisation du POT en 2006 a ouvert la possibilité pour les pouvoirs publics d’intervenir dans les ZHRNR dans des cas spécifiques : grands projets d’infrastructure (voies périphériques), projets stratégiques locaux ou régionaux, localisation de tours d’énergie, et en l’occurrence, structures de support du système de transport téléphérique. Ceci à condition que soient réalisées des études géologiques et géotechniques approuvées par les autorités environnementales. Ce changement est apparu suite à la construction du Metrocable en 2002.

33 La construction de la Bibliothèque Espagne (un des mégaprojets de l’Administration 2004-2007) implantée elle-aussi aux abords d’une ZHRNR dans le Cerro Santo Domingo Savio, s’est accompagnée de forts mouvements revendicatifs portés par les habitants du quartier, notamment illustrés dans des pancartes affichant : « Zones à haut risque ou zones à coût élevé ? », ou encore : « Zones à haut risque seulement pour les pauvres ? ». Ces interpellations dénonçaient l’évaluation et le zonage du risque, fondés sur le seul critère du coût d’intervention. L’implantation de la bibliothèque aux abords d’un secteur d’habitat spontané très consolidé censé être évacué, a renforcé chez les habitants l’ancrage à leur quartier. Ces phénomènes rendent compte de manière explicite des enjeux qui se jouent dans ces espaces, qui relèvent autant d’une exclusion que d’une sélection de leurs usages et les usagers.

34 Néanmoins, on observe en même temps un recours plus systématique à des solutions alternatives au délogement/relogement. La « récupération » de ces zones à risque se présente en effet dans certains cas comme une solution beaucoup plus adaptée aux réalités territoriales, à la volonté des habitants et à la capacité institutionnelle. Comme le souligne Lugo [2002], la relocalisation entraîne souvent un désarroi chez les populations déplacées. Par ailleurs, il est important de souligner que dans la période 1990-2000, 2 218 logements ont été produits pour la relocalisation de familles vivant dans des zones à risque [López, sous presse], ce qui semble bien moindre par rapport aux 29 000 familles qui demeurent dans ces zones. Dans ce sens, malgré des réticences, on observe chez les planificateurs et décideurs une plus grande disposition à flexibiliser la norme et à considérer de plus en plus souvent la mise en Œuvre de projets intégraux de réaménagement visant la réduction des risques.

De l’extension des services publics aux Projets urbains intégraux

35 En 1987, un glissement de terrain dans le quartier spontané Villatina a provoqué la mort de 500 personnes et la destruction de 120 logements [Bustamante, 1987]. Par son envergure, cette catastrophe a marqué un autre tournant dans la gestion locale des secteurs spontanés. Jusqu’alors, la réhabilitation des quartiers se limitait, comme cela a déjà été mentionné, à des actions ponctuelles et dispersées, mais ne répondait pas à une véritable stratégie d’intervention et d’intégration de ces secteurs à la structure urbaine. Faisant suite au séisme de la ville de Popayán en 1983 (283 morts), et à l’explosion du volcan Nevado del Ruiz en 1985 (25 000 morts), la catastrophe de 1987 est survenue dans une période de grande mobilisation en Colombie à l’égard des risques dits naturels. Dans cette conjoncture, l’Administration municipale s’est vue contrainte, non sans atermoiements, de mettre en œuvre des stratégies de récupération des quartiers spontanés qui, au cours du temps, vont se perfectionner.

36 Projet saillant, le Programa integral de mejoramiento de barrios subnormales (Primed) [19], élaboré avec la coopération de l’Agence allemande KFW et le PNUD, a été reconnu internationalement comme une expérience réussie de gestion urbaine. En effet, trois nouvelles dimensions ont été prises en compte dans la réhabilitation : la réduction du risque géologique ; le renforcement des organisations communautaires et de la planification participative ; la réhabilitation juridique (légalisation des titres de propriété), l’ensemble se basant sur une coordination inter institutionnelle voulue plus soutenue. Le Primed a également été formulé comme une réponse face à la crise liée à l’expansion du narcotrafic, qui avait conduit à une situation de violence extrême dans les zones informelles. Il visait la recomposition de la structure urbaine mais aussi du tissu social. Fait nouveau, les critères d’intervention ne se basaient pas sur la viabilité technique mais sur le degré d’intervention étatique s’attachant à élever le niveau des quartiers où elle avait été plus faible.

37 Une évaluation de cette intervention [Alcaldía de Medellín, 2006] estime que 51 000 habitants des versants nord-ouest, centre-ouest et centre-est de la ville ont directement bénéficié de l’augmentation de la couverture des services accompagnant ce programme et, en conséquence, d’une réduction de la vulnérabilité des lieux. En 1998, 4 048 logements avaient été améliorés et 3 299 propriétés légalisées. Selon l’évaluation, les interventions auraient généré chez les habitants un plus grand sentiment de sécurité et d’appartenance. Les fonctionnaires publics interrogés s’accordent sur le fait que l’extension des ZHRNR s’est réduite de manière considérable entre 1992 et 1997, grâce aux investissements de récupération (Phase I du programme Primed). Or, le gouvernement municipal de la période 2001-2003 n’a pas engagé les financements nécessaires à l’exécution des ressources requises pour la Phase II, envisageant d’intervenir sur le versant nord-est. Malgré les résultats positifs du programme, sa continuité a été compromise par les vicissitudes politiques. De surcroît, son interruption a coïncidé avec l’aggravation du phénomène de déplacement forcé, l’année 2000 étant la plus critique [Jaramillo et alii, 2004], et les secteurs intervenus ont assisté à des dynamiques nouvelles de peuplement et de densification.

38 Au début des années 2000, l’Administration municipale a concentré la plupart de ses ressources dans la construction du Metrocable, conçu comme un projet de mobilité et d’articulation au Système métropolitain de transport des secteurs informels. Ce téléphérique traverse un couloir de 4 100 mètres au coeur du versant nord-est (photo 2). Aussi innovateur soit-il, la construction du câble ne stipulait pas la mise en place de programmes urbanistiques complémentaires. D’où l’idée, formulée par le gouvernement suivant (2004-2007) d’étendre l’intervention publique sur sa zone d’influence.

39 Il est possible de considérer que le PUI reprend les grandes lignes du Primed, dans la mesure où il s’agit d’une stratégie intégrale ayant pour objectif de concentrer l’action publique sur une zone spécifique, tout en respectant les objectifs préalablement définis (coordination, planification participative, renforcement des réseaux sociaux). En revanche, le PUI a donné priorité à la création de grandes infrastructures et d’espaces publics, attribuant une place secondaire à l’amélioration et la régularisation de l’habitat. À côté des impacts positifs de cette intervention, la construction de bibliothèques, places, boulevards, centres sociaux et « parcs linéaux » a impliqué la démolition de 283 habitations et le relogement de ces familles dispersées dans différentes parties de la ville. Cette recomposition urbaine a par ailleurs eu des conséquences non envisagées, se traduisant par l’émergence d’une spéculation immobilière et par l’augmentation des coûts relatifs aux logements, aux impôts fonciers et aux services de base. Comme cela a déjà été observé dans d’autres pays d’Amérique Latine, le passage de l’informalité à la formalité urbaine par des projets de réaménagement contribue souvent à l’expulsion des populations les plus pauvres chassées par l’incapacité de faire face à l’augmentation des prix ou tentées de vendre leur terrain pour des sommes attractives [Dureau, 2006]. Nous avons déjà énoncé les réactions qu’a engendrées la construction de la bibliothèque Espagne (photo 3) vis-à-vis la définition des zones à risque, qu’illustrent bien les conflits d’intérêts qui en résultent.

Photo 2

Cabines du Metrocable

figure im6

Cabines du Metrocable

(© J. López, 2007)

Photo 3

Bibliothèque España (PUI-Nororiental)

figure im7

Bibliothèque España (PUI-Nororiental)

(© J. López, 2007)

40 Un seul programme associé au PUI se démarque de cette vision trop centrée sur les infrastructures, intervenant non seulement sur l’habitat, mais aussi dans le cadre d’une approche traitant l’ensemble d’un micro-territoire : un petit quartier très précaire développé sur les rives d’une canalisation d’eaux usées. Dénommé « projet pilote de récupération environnementale et consolidation de l’habitat de la quebrada Juan Bobo », il envisage le réaménagement de l’ensemble du bassin sur le principe de la réduction du risque hydrologique et sanitaire, en mettant l’accent sur la rénovation des logements individuels et la régularisation foncière. Ce projet a par ailleurs permis d’introduire un élément fondamentalement nouveau dans les politiques urbaines colombiennes : la relocalisation in situ des familles situées en zone à risque, au travers de la construction de petits immeubles collectifs, avec le souci de les insérer au mieux dans leur environnement. Ceci représente un pas très significatif dans la conception des stratégies d’intervention publique, plus adaptées aux conditions géographiques inhérentes au site et aux processus de peuplement à l’œuvre. Ce projet traduit la prise en compte progressive par les pouvoirs publics des caractères singuliers de ces espaces informels, adaptant infrastructures et services aux trames urbaines et sociales existantes. Il s’oppose ainsi radicalement aux opérations de délogement engagés par le passé. Néanmoins, son impact reste encore trop ponctuel, et il reste à ce jour un exemple isolé au sein de la politique locale en matière de logement social.

Photos 4a (2005), 4b (2008) et 4c (2008)

Évolution du projet pilote Q. Juan Bobo : aménagement urbain et logements

figure im8
4a 4c
4b

Évolution du projet pilote Q. Juan Bobo : aménagement urbain et logements


(© J. Portillo)

Conclusion

41 Cet article s’est attaché à présenter un panorama des approches municipales des zones d’habitat informel et de leur évolution depuis les années 1950. Dans les décennies 1960-1970, comme cela a été observé dans d’autres villes d’Amérique latine, ont été privilégiées des approches normatives. Celles-ci se traduisaient en outils et dispositifs ayant eu des difficultés à s’adapter aux réalités territoriales complexes. Ces politiques révèlent les limites des pouvoirs locaux longtemps nourris par l’espoir de résoudre trop rapidement les problèmes d’informalité. Leurs conséquences ont été marquées par l’accentuation des inégalités dans la ville et l’exclusion toujours plus soutenue des catégories les plus pauvres de la population. S’agissant d’un contexte géographique particulièrement contraignant, l’aggravation de la problèmatique des désastres socio-naturels dans les secteurs informels, depuis les années 1980, a conduit à un changement de perspective au profit d’approches plus globales. Les interventions ponctuelles ont progressivement glissé vers des interventions urbanistiques (amélioration des infrastructures et mise en place des services) tenant cmpte des risques encourus par les populations de ces quartiers.

42 En effet, le risque a été un élément central de ce changement. Sa définition est désormais un préalable à la mise en place de dispositifs de planification et d’intervention urbaines qui l’utilisent à la fois comme outil de régulation de processus informels et comme outil de préservation de l’environnement. Or, le peuplement des zones périphériques à haut risque constitue à ce jour la seule possibilité de satisfaire les besoins en logement d’un pourcentage très élevé de la population urbaine et rurale migrante. L’accélération régulière de l’expansion de l’habitat informel en zone à risque s’explique par l’absence d’une politique foncière au bénéfice du logement social dans des secteurs « sans risque » et, paradoxalement, par la position ambiguë des pouvoirs publics, mettant en place des infrastructures et des services publics dans des espaces n’étant pas destinés à l’habitat.

43 Malgré des avancées certaines en direction d’actions plus intégrées, les instruments de planification légitimés dans le cadre de pratiques de concertation entre les pouvoirs publics et les habitants demeurent insuffisants. Ces démarches, à condition de dépasser les effets d’annonce, devraient permettre de mettre davantage l’accent sur la multiplicité des perceptions et des représentations des différents acteurs, afin d’apporter des propositions plus adaptées aux besoins des habitants, et d’assurer la continuité des expériences réussies. Les tentatives de récupération intégrale de quartiers comme le Primed ou Juan Bobo sont dissimulées par de grands projets urbanistiques, plus visibles dans l’espace et dans les médias. Laboratoire d’intervention, le PUI – tout particulièrement le projet pilote Juan Bobo – devrait définir la ligne à suivre dans la gestion des zones à risque. Il est vrai que les formulations unilatérales qui ont marqué le passé, que ce soit à partir des conceptions politiques (dites d’assistanat, hygiénistes, ou charitables), exclusivement urbanistiques ou trop techniques, ont largement été dépassées dans les discours. Néanmoins, ces initiatives demeurent insuffisamment agencées pour que leur impact ait une réelle influence sur les politiques urbaines nationales.

Notes

  • [*]
    Doctorante EHESS, études urbaines, juanalp@gmail.com. Cet article se base sur le travail de recherche doctorale de Juanita López-Peláez, mené sous la direction de M. Alain Musset, intitulé « Du risque géré au risque réel : gestion et représentations sociales des risques dits naturels à Medellin », à soutenir en octobre 2008. Recherche soutenue par la Fundación Banco de la República de Colombia et l’IFEA.
  • [**]
    Professeur associé Universidad Nacional de Colombia sede Medellín, Escuela del Hábitat (Faculté d'Architecture) – lfgonzal@unal.edu.co.
  • [1]
    Nous incluons sous cette forme les différents types d’autoproduction de l’habitat : lotissements clandestins ( « lotissements pirates ») et invasions. Les premiers désignent la forme de production de l’habitat où il y a une transaction de vente, les propriétaires vendant les parcelles, sans prospection des réseaux et de services et sans approbation officielle. Les invasions, en revanche, résultent de l’appropriation de fait de terrains privés ou publics.
  • [2]
    Medellin est la capitale du département d’Antioquia depuis 1826. L’unité administrative de base est le municipio (équivalent de commune).
  • [3]
    Ces flux migratoires des campagnes vers les villes se manifestent dans toutes les métropoles du pays, et dans tous les pays d’Amérique Latine, puis les décennies de 1960 et de 1970 connaissent les taux les plus forts de croissance démographique mais c’est l’accroissement naturel qui domine [Dureau et alii, 2006, p. 68].
  • [4]
    En 1912, 1916, 1921, 1928, 1934 et 1945.
  • [5]
    Débats préalables aux décisions du Conseil Municipal (Archive historique de Medellin, tome 804 de 1945).
  • [6]
    Décision du conseil municipal 52 de 1963.
  • [7]
    Acte 005 du Conseil métropolitain, 1992.
  • [8]
    Unité administrative composée des 10 communes qui apparaissent sur la carte, dont la population est de 3 316 370 habitants, selon le dernier recensement national [DANE, 2005].
  • [9]
    Ils ont réalisé parmi d’autres les plans de Cali et Tumaco en Colombie, Chimbote et Lima au Pérou.
  • [10]
    Cette figure fut créée en 1980.
  • [11]
    Corporation de logement et développement social (Corvide), qui a remplacé en 1975, « Casitas de la Providencia » première entité municipale chargée de la politique de logement social qui avait été créée en 1956. Corvide fut fusionné en 2002 avec la Direction municipale de développement social.
  • [12]
    La « stratification socioéconomique » est l’instrument technique de planification et de focalisation de l’investissement public (tarification de services publics, subventions, etc.) selon des couches classifiées en fonction des caractéristiques de l’habitat. Les critères sont définis par le DANE (Département administratif national de statistiques). Au-delà de son caractère technique, son usage est très répandu dans le langage quotidien.
  • [13]
    AMVA, base de données DesInventar, mai 2007.
  • [14]
    Rapport CODHES – Pastoral Social (www.acnur.org/pais/docs/1242), cette estimation est également citée dans le Rapport sur les droits de l’homme en Colombie de l’ONU (mars 2006).
  • [15]
    Organisme municipal dépendant du Ministère public, chargé de veiller à la promotion et respect des droits de l’homme, la protection des intérêts collectifs et la surveillance des actions officielles selon la Loi nationale 136 de 1994.
  • [16]
    Voir note 10.
  • [17]
    Entreprise commerciale et industrielle de l’État d’ordre municipal chargé de la direction, administration et prestation des services municipaux d’énergie électrique, télécommunications, gaz, aqueduc et égouts, crée en 1955.
  • [18]
    Données Sous-direction de Metroinformation, mai 2007.
  • [19]
    Programme intégral d’amélioration des quartiers sous-intégrés.
Français

Cet article analyse, dans une approche historique, les dispositifs mis en place par la municipalité de Medellin pour contrôler l’expansion de l’habitat informel sur les collines environnant la ville. Ce phénomène ayant longtemps été considéré comme transitoire, les dispositifs de planification se sont limités à établir des limites urbaines formelles, laissant la ville informelle à l’écart de toute initiative de planification. Un changement s’opère à partir des années 1970, qui voient l’intégration progressive de ces espaces à la ville formelle à travers des programmes se prévalant d’approches plus intégrées. Depuis les premières initiatives reconnaissant ces invasions et œuvrant à leur amélioration, jusqu’à la construction d’infrastructures d’envergure et la mise en place du Projet Urbain Intégral (PUI), nombreux ont été ces dispositifs. En dépit d’efforts et d’avancées notables dans les conceptions de ces phénomènes comme dans les modes d’action engagée, l’actualité fait état de processus durables d’exclusion sociale, et d’une réalité urbaine multiforme dont les enjeux demeurent.

Mots-clés

  • gestion urbaine
  • habitat informel
  • villes latino-américaines
  • réhabilitation de l’habitat
  • projets urbains intégraux
  • gestion de risques

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Juanita López-Peláez [*]
  • [*]
    Doctorante EHESS, études urbaines, juanalp@gmail.com. Cet article se base sur le travail de recherche doctorale de Juanita López-Peláez, mené sous la direction de M. Alain Musset, intitulé « Du risque géré au risque réel : gestion et représentations sociales des risques dits naturels à Medellin », à soutenir en octobre 2008. Recherche soutenue par la Fundación Banco de la República de Colombia et l’IFEA.
Luis Fernando González [**]
  • [**]
    Professeur associé Universidad Nacional de Colombia sede Medellín, Escuela del Hábitat (Faculté d'Architecture) – lfgonzal@unal.edu.co.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/autr.047.0187
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